Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Rapport n° 3571

Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires
effectués par la France entre 1960 et 1996
et éléments de comparaison avec les essais des autres puissances nucléaires

2ème partie

LES ESSAIS NUCLEAIRES FRANÇAIS (suite)

III - L'expertise des incidences environnementales en Polynésie : les essais atmosphériques 57

1. Le point le plus ausculté de la planète 57

2. La liste et les caractéristiques des essais dans l'atmosphère de 1966 et 1974 58

3. Les incidences relevées par les autorités françaises et l'UNSCEAR 60

3.1. Le principe et l'analyse des retombées 60

3.2. Les retombées sur les secteurs habités 65

3.3. Les incidences relevées par l'UNSCEAR et l'AIEA 74

4. Les incidences relevées par des instances extérieures 76

4.1. Du début à 1982 76

4.2. La « mission Atkinson » 77

IV - L'expertise des incidences environnementales en Polynésie : les essais souterrains 79

1. L'étude de la Commission géomécanique internationale 81

1.1. La Commission géomécanique internationale 81

1.2. Résumé des résultats, conclusions et recommandations du rapport : 82

1.3. Stabilité des pentes et affaissements de surface 84

1.4. La surveillance proposée pour la pente Nord-Est de Mururoa et pour Fangataufa 88

2. Le rapport du Comité consultatif international de l'AIEA 93

2.1. Mandat de l'étude et principes d'organisation 93

2.2. L'évaluation des conditions radiologiques actuelles 96

2.3. L'évaluation des conditions radiologiques futures. 97

2.4. Doses estimées dues aux matières radioactives résiduelles 100

Conclusions et recommandations du Comité consultatif international de l'AIEA 105

Conclusions 105

Recommandation 106

V - L'expertise à la recherche de conséquences sanitaires 107

1. Les personnels participant aux activités du CEP 108

1.1. Le suivi médical courant 108

1.2. Le suivi dosimétrique 108

2. Suivi sanitaire des populations 110

2.1. Le registre des cancers de Polynésie française 110

2.2. Les études épidémiologiques 111

Suite du rapport : les essais nucléaires américains, soviétiques, britanniques, chinois, en Inde et au Pakistan.
Suite du rapport :
conclusion, recommandations des rapporteurs, examen du rapport par l'Office, annexes.
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LES ESSAIS NUCLEAIRES FRANÇAIS
(suite)

III - L'expertise des incidences environnementales en Polynésie : les essais atmosphériques

1. Le point le plus ausculté de la planète

Le site d'essais au CEP que constituaient les atolls de Mururoa et Fangataufa a fait l'objet, dès le début, de suivi et de surveillance de la part des expérimentateurs eux-mêmes d'une part, d'états et d'institutions étrangères d'autre part, et logiquement d'organes internationaux spécialisés (UNSCEAR, AIEA) ou non (Commission du Pacifique Sud). On a noté qu'à l'origine les laboratoires et mécanismes d'observations français avaient été mis en place et de leur côté des universités , des centres de recherche en Nouvelle-Zélande, Australie ou ailleurs suivaient soigneusement, y compris à la limite des eaux territoriales, les expérimentations. A cela s'ajoutait, comme il est naturel dans ce domaine, des actions dont les résultats n'étaient pas nécessairement destinés à être publiés : « avions américains venant de Pago-Pago pour effectuer des prélèvements dans le nuage, bâtiment anglais basé à Pitcairn pendant toute la campagne, cargo soviétique « de passage »... Pour les Américains, en dehors de l'aspect « renseignement », cela représentant aussi un entraînement à l'exécution et à l'exploitation de prélèvements aériens alors qu'ils n'utilisaient plus ce mode de tir, mais que le traité de Moscou de 1963 prévoyait la possibilité d'une reprise des essais aériens avec un préavis de trois mois1. ».

On se gardera d'oublier les bâtiments et flottilles d'organisations hostiles aux essais nucléaires français.

Aussi peut-on affirmer, sans aucune exagération, que Mururoa et Fangataufa ont constitué de 1966 à 1998 le point le plus et sans doute aussi le mieux ausculté de la planète2.

Toutes les disciplines scientifiques, toutes les techniques de recherches et d'analyse ont été mises en _uvre aux différents moments et ce, qu'il s'agisse des essais atmosphériques comme des essais souterrains. Non seulement cela n'est pas critiquable mais encore est tout à fait positif, y compris pour la méthodologie ainsi élaborée qui pourrait être au moins aussi utilement appliquée à d'autres sites d'essais nucléaires atmosphériques et souterrains.

Saisi de l'étude des « incidences environnementales et sanitaires des essais français » on se doit donc de rappeler à nouveau les résultats de ces différents travaux et observations, même si certains sont déjà anciens puisque la fin des « atmosphériques » remonte au mois de septembre 1974. Les essais souterrains quant à eux, seront ensuite abordés, ayant été complétés récemment par des études essentielles que sont celles de la Commission géomécanique internationale présidée par le Professeur Charles Fairhurst et bien sûr celle du Comité consultatif international de l'AIEA en 1998.

2. La liste et les caractéristiques des essais dans l'atmosphère de 1966 et 1974

Avant d'aborder ces différents développements, il convient de rappeler l'information de base que constitue la liste des essais atmosphériques et ce dans la version la plus parlante, celle donnée en annexe du rapport de l'AIEA même si elle peut être occasionnellement complétée en ce qui concerne la puissance ou la hauteur des éléments du nuage par le rapport de l'UNSCEAR de 2000.

graphique

3. Les incidences relevées par les autorités françaises et l'UNSCEAR

Les conséquences radiologiques des essais aériens à travers les retombées sont l'élément essentiel qui suscitent, à juste titre, les inquiétudes. Les nombreuses informations communiquées à l'époque ont été parfois précisées et en tout cas mises en perspectives dans différents documents publiés ou communiqués à des institutions étrangères internationales.

Une présentation simplifiée a été réalisée en 1997 par le Ministère de la Défense (DSCEN) et le CEA (DAM/DRIF/DASE) dont les extraits ci-après constituent un rappel nécessaire.

3.1. Le principe et l'analyse des retombées

« Le comportement des retombées constituait un élément essentiel de la sécurité radiologique de ces essais. De nombreuses études ont permis, au cours des années, de développer des modèles de prévision des retombées de plus en plus fiables permettant de prévoir leurs localisations dans l'espace et le temps, leurs intensités et leurs conséquences radiologiques. Avant chaque essai, les simulations réalisées en fonction des prévisions météorologiques et du fonctionnement attendu de l'engin, constituaient les éléments déterminant de la décision de tir. Après le tir, des simulations utilisant les données réelles relatives à la source et les météos actualisées permettaient un suivi de l'évolution du nuage et des prévisions de retombées pour éventuellement être à même de prendre des mesures de protection (mise sous abri des populations, détournement des bateaux ou des avions, etc, ...).

Dispositif de prévision et de contrôle des retombées au CEP

Les différentes mesures réalisées durant les campagnes d'essais aériens ont montré que l'essentiel de la radioactivité se trouve au niveau de la tête du nuage. La hauteur du nuage, et par conséquent, le compartiment atmosphérique dans lequel est injectée la radioactivité dépend de l'énergie de l'essai. La tête du nuage pénètre la stratosphère quand l'énergie dépasse 20 kilotonnes et devient entièrement stratosphérique au-dessus de 150 kilotonnes. Ainsi, pour les essais aériens réalisés au CEP, environ 65% des têtes des nuages, comportant environ 90% de l'énergie libérée, ont été entièrement stratosphériques. Seuls quelques essais de faible énergie (quelques kilotonnes) ont concerné les basses couches de la troposphère.

La circulation générale conduisait donc à diriger l'essentiel de la radioactivité vers l'Est, tandis que les particules les plus lourdes situées au niveau du pied étaient soumises aux vents de secteur Est.

Certaines situations météorologiques évolutives (pour les premières campagnes, une douzaine d'heures séparaient la dernière situation météorologique complète de l'heure du tir) ont pu compliquer les contours de retombées ou dégrader la fiabilité des prévisions. Les cas les plus caractéristiques ont été le découpage du nuage principal en tranches, les retours anticycloniques et les précipitations.

- Pour des essais de faible énergie pour lesquels les nuages étaient entièrement troposphériques, il est arrivé que le nuage soit découpé en plusieurs tranches par des vents de directions différentes suivant l'altitude. Les nuages secondaires ainsi formés évoluaient ensuite sur des trajectoires distinctes.

- Dans certaines conditions météorologiques, des éléments troposphériques du nuage principal pouvaient quitter celui-ci vers le nord dirigé par l'anticyclone froid de Kermadec, et former un ou plusieurs nuages secondaires repris ensuite vers l'ouest par les alizés. Ce phénomène donnait lieu à des retours d'une fraction de nuage appelés "retours anticycloniques" sur le nord et l'ouest de la Polynésie.

- Les précipitations qui intéressent la moitié basse de la troposphère, ont pour effet de lessiver le nuage et de rabattre au sol la radioactivité. Ces précipitations entraînent l'existence de points chauds c'est à dire une concentration de la radioactivité dans des zones restreintes et corrélativement l'appauvrissement du nuage et une diminution des retombées ultérieures. »

Un exemple de reconstitution des retombées est donné pour le tir Rigel à Fangataufa du 24 septembre 1966, tir sur barge donc localement contaminant mais qui par ailleurs n'a pas donné lieu à des retombées sur des secteurs habités.

graphique

Trois autres exemples de retombées sont fournis par des tirs sous ballon beaucoup moins contaminants mais dont l'un a entraîné des retombées sur Tureia (Encelade le 11 juin 1971) ; ces trois tirs présentés dans « Nuclear Test Explosions » (Scope/59 op. cit. p. 61-64) sont d'ailleurs très différents en puissance (34, 440 et 995 kt).

graphique

Isodoses et isochrones des retombées locales d'un tir de 34 kt

sous ballon à 275 m d'altitude (Dione, le 5 juin 1971 à Mururoa)

graphique

Isodose et isochrones des retombées locales d'un tir de 440 kt

sous ballon à 450 m d'altitude (Encelade, le 12 juin 1971)

graphique

Isodoses et isochrones des retombées locales d'un tir de 955 kt

sous ballon à 480 m d'altitude (Rhea, le 14 août 1971)

3.2. Les retombées sur les secteurs habités

Comme pour les essais au Sahara et d'une manière générale pour l'analyse des tirs sur des sites d'essais dont les paramètres essentiels ont été communiqués (Bikini, Nevada, Maralinga), on s'attache naturellement davantage aux « évènements » auxquels les essais ont pu donner lieu, cela allant de l'accident à l'incident le plus limité, même si de très nombreux tirs n'ont pas posé de problèmes.

En Polynésie, la décision de tir était conditionnée par la démonstration de l'insignifiance de l'impact sanitaire sur les îles habitées. Les retombées concernaient des zones maritimes désertes et les équivalents de dose induits aux populations par chaque essai ont été négligeables pour la grande majorité des tirs.

¬ D'après le document précité (Ministère de la Défense/CEA 1997), « cinq essais ont toutefois donné lieu à des retombées un peu plus significatives sur des lieux habités. Il s'agit des îles Gambier en 1966 et 1971, de l'atoll de Tureia en 1967 et 1971 et de Tahiti en 1974 (figure ci-après).

graphique

Retombées sur les îles Gambier

Les îles Gambier ont été touchées par des retombées consécutives aux essais ALDEBARAN (1966) et PHOEBE (1971). Le tableau ci-après résume les principales mesures physiques effectuées par le Poste de Contrôle Radiologique des Gambier.

Caractéristiques des retombées sur les îles GAMBIER

EXPERIMENTATION

duree

nature

debit de dose max*

debit de dose fin retombee

depot au sol (_,ɤ)

ALDEBARAN

02/07/66 -15h34 TU Mururoa

1h20 H+10h45àH+12h05

Particules Pluies

250 µGy/h

130 µGy/h (H+12h05)

6 107Bq/m2 (H+12h05)

PHOEBE

08/08/71-18h30TU Mururoa

5hOO H+6h10àH+6h40 H+8h00 àH+12h30

Pluies

55µGy/h (H+6h30)

32µGy/h (H+6h40)

1,1106Bq/m2 (H+26h)

* passage du nuage

Pour ALDEBARAN (28kt), premier essai sur barge, les îles Gambier ont été atteintes par des éléments du pied du nuage poussés par des vents de secteur Ouest-Sud-Ouest évoluant au Nord-Ouest dans les heures qui ont précédé l'essai. L'intensité de la retombée est liée au mode de réalisation de cet essai où la fraction de l'activité totale contenue dans le pied est plus importante que pour un essai sous ballon.

De fortes pluies sont intervenues le 03/07/66 et ont entraîné un lessivage du sol. Le débit de dose était de 55 µGy/h à H+21 h30.

Après l'expérimentation de faible énergie PHOEBE (3,7 kt), l'évolution météorologique a conduit à placer la population des Gambier sous abri de prévoyance de H+4h30 à H+21h30.

Retombées sur Tureia

L'atoll de Tureia a été atteint par des retombées des essais ARCTURUS (1967) et ENCELADE (1971). Le tableau ci-après présente les principales mesures effectuées par le PCR.

Caractéristiques des retombées sur l'atoll de TUREIA

EXPERIMENTATION

duree

nature

debit de dose max*

debit de dose fin retombee

depot au SOL (_,ɤ)

ARCTURUS

02/07/67 -17h30 TU Mururoa

3h H+8h30àH+11h30

Particules Pluies

30 µGy/h

16µGy/h (H+11h30)

3,3 106 Bq/m2 (H+24h)

ENCELADE

12/06/71 -19h15TU Mururoa

14h

H+10hàH+24h

Pluies

55 µGy/h

20 µGy/h (H+24h)

1,3 107Bq/m2 (H+22h45)

* passage du nuage

Quelques heures après l'essai sur barge ARCTURUS (23 kt) une frange du pied du nuage a dévié de la trajectoire principale se dirigeant vers le Nord-Est pour se diriger vers le Nord puis vers l'Ouest (retour anticyclonique). Après la retombée les pluies du 04/07/67 ont entraîné un abaissement du débit de dose d'environ 50%. A H+55 heures, le débit de dose était de 1,25 µGy/h.

Pour ENCELADE, essai de moyenne énergie (440 kt, nuage principal stratosphérique), la retombée s'explique par une situation météorologique complexe et évoluant rapidement dans les heures qui ont suivi le tir. Cette situation (présence d'un talweg évoluant du Sud vers le Nord) a conduit à des intrusions quasi-laminaires d'air stratosphérique jusque dans les basses couches de la troposphère. La retombée est intervenue durant la nuit sous forme de pluies abondantes (10 1itres/m2 entre H+8h50 et H+15h30). Les habitations ont offert une protection substantielle (débit de dose divisé par trois environ dans les habitations).

Retombée sur Tahiti

Des retombées intermédiaires consécutives à l'essai CENTAURE, ont atteint l'île de Tahiti. Le tableau ci-après concerne les mesures relevées au poste de contrôle de la radioactivité de Mahina.

Caractéristiques de la retombée CENTAURE sur TAHITI

EXPERIMENTATION

duree

nature

debit de dose max.

depot au sol

(_,ɤ)

CENTAURE

17/07/74 -17h TU Mururoa

20h30

H+43h30à H+64h

Pluies

3,9 µGy/h (H+54h)*

2 106 Bq/m2 (J+2)

* Fin de la retombée principale

Le nuage stabilisé de l'essai de faible énergie CENTAURE (4,5 kt) a atteint une altitude relativement faible (4000 mètres). Le nuage principal a formé plusieurs nuages secondaires qui ont suivi des trajectoires distinctes globalement dirigées vers l'ouest (retour anticyclonique).

L'île de Tahiti a été abordée par l'Est. Des précipitations de forte intensité conjuguées aux effets de relief (blocage des nuages) ont conduit à un dépôt au sol hétérogène ».

¬ L'évaluation des expositions induites

L'homme peut être exposé aux rayonnements ionisants suite à une retombée par plusieurs voies. L'exposition externe se produit lors du passage du nuage et provient ensuite des particules déposées sur le sol. L'exposition interne provient de l'inhalation pendant la retombée puis de l'ingestion d'aliments contenant des radioéléments.

Pour l'exposition par ingestion, les iodes constituent les radioéléments dimensionnants et les aliments critiques sont, a priori, l'eau de boisson lorsqu'il s'agit d'eau de pluie, le lait de production locale ainsi que les légumes frais.

Pour les calculs d'exposition externe, on considère que les dépôts au sol se maintiennent en surface pendant l'année qui suit l'essai. Cette hypothèse simplificatrice, qui conduit à une importante sur-estimation de l'exposition, s'impose en raison de l'impossibilité à prendre en compte les caractéristiques des sols qui conditionnent la migration et le lessivage.

Le calcul de la dose efficace doit tenir compte de la protection offerte par les habitations et les bâtiments. Pour la Polynésie, on considère que les populations passent en moyenne 30 % de leurs temps à l'intérieur. Le coefficient de protection des habitations, de construction légère, a été évalué à 0,5 et celui des abris de prévoyance à 0,3.

¬ L'exposition externe3

« L'exposition externe conduit à des doses efficaces comprises entre 0,6 et 3,4 mSv (tableau ci-dessous) pour la première année suivant chaque retombée. Ces valeurs ont été calculées à partir des mesures réalisées par les PCR pendant et dans les heures qui suivent la fin de chaque retombée. La dosimétrie par film témoin porté par du personnel affecté sur les lieux au moment des retombées a permis, dans certains cas, de vérifier ces évaluations. »

Doses efficaces reçues par irradiation externe dans l'année suivant chaque retombée

experimentation

date

lieu

Dose efficace

(Sv)

ALDEBARAN

02/07/66

GAMBIER

3,4 10-3

ARCTURUS

02/07/67

TUREIA

7 10-4

ENCELADE

12/06/71

TUREIA

9 10-4

PHOEBE

08/08/71

GAMBIER

9 10-4

CENTAURE

17/07/74

TAHITI (Mahina)

6 10-4

¬ L'exposition interne4

Exposition interne par inhalation lors du passage du nuage

L'exposition interne par inhalation est estimée à partir des relevés de la concentration atmosphérique ou à défaut, à partir du dépôt au sol. Les doses efficaces, présentées dans le tableau ci-après, ont été calculées à l'aide de Limites Dérivées de Concentration Atmosphériques (LDCA) correspondant à un mélange de produits de fission.

Exposition interne par inhalation en dose efficace

experimentation

date

lieu

exposition Bqh/m3

produits de fission

LDCA (1)

Bq/m3

equivalent de dose effectif Sv

ALDEBARAN

02/07/66

GAMBIER

6 104

8400

1,8 10-4

ARCTURUS

02/07/67

TUREIA

8000

9000

2,3 10-5

ENCELADE

12/06/71

TUREIA

800

9000

3 10-6

PHOEBE

08/08/71

GAMBIER

600

7300

2 10-6

(1) LDCA = Limite de Concentration dans l'air

Exposition interne par l'ingestion d'eau

L'eau de pluie provenant des toits des fares est recueillie dans une citerne pour l'alimentation en eau à Tureia. Pour Rikitea, principal village des Gambier (499 habitants en 1971), l'alimentation est assurée à partir d'un réservoir collectant les eaux d'infiltration. A Tahiti, l'eau de boisson provient de sources et dans ce cas l'exposition induite est négligeable.

Les doses efficaces présentées sur le tableau ci-dessous ont été estimées à partir des mesures pour une consommation de 2 litres d'eau par jour et en prenant les facteurs de dose recommandés par la CIPR. Seuls les iodes sont pris en compte car leur contribution à la dose est dimensionnante.

Estimations des doses efficaces dûes à l'eau de boisson

experimentation

date

lieu

concentration

MAX

P.F Bq/l

DOSE EFFICACE

Sv

ALDEBARAN

02/07/66

GAMBIER

1600(J+6)

1,4 10-4

ARCTURUS

02/07/67

TUREIA

5500 (J+2)

6 10-5

ENCELADE

12/06/71

TUREIA

4,2 104(J+1)

3,1 10-4

PHOEBE

08/08/71

GAMBIER

800(J+10)

3,5 10-5

A Rikitea, le mode d'alimentation en eau par collecte des eaux d'infiltration contribue à limiter l'exposition interne par ingestion.

Exposition interne par l'ingestion de lait

Le dépôt de produits de fission sur les pâturages de Tahiti, principalement situés sur le plateau de Taravao, a entraîné la présence d'iode dans le lait dans les jours qui ont suivi la retombée consécutive à l'essai CENTAURE en Juillet 1974. La production locale de lait était collectée dans sa quasi-totalité, par la laiterie de Taravao. Dans le cas le plus défavorable, celui des nourrissons qui auraient consommé du lait frais uniquement issu des cheptels locaux, ces niveaux conduisent, pour une consommation de 0,7 litre par jour à une dose efficace de 2,7 l0-4Sv. En fait, ce lait était uniquement destiné à fabrication de fromages et de yaourts pour lesquels le délai d'affinage est de quelques semaines. Les habitudes locales conduisaient à nourrir les nourrissons avec des laits en poudre ou stérilisés. De plus, la production locale de lait ne couvrait que 18% de la consommation. En tenant compte de ces facteurs, la dose efficace attribuable à l'ingestion de lait est de 5 10-5Sv dans le cas le plus critique (nourrisson).

Exposition interne par l'ingestion des autres aliments

Le tableau ci-après résume les doses efficaces induites par l'ingestion d'iodes déposés sur les aliments autres que l'eau et le lait. Ces estimations ont été établies à partir de mesures sur les denrées alimentaires produites localement. Pour les îles Gambier, l'essentiel de la dose provient des légumes verts (feuilles, salades) et pour Tureia, des produits du lagon en particulier des mollusques filtrants comme les bénitiers.

Doses efficaces induites par l'iode

pour l'ingestion des aliments autres que le lait et l'eau

experimentation

date

lieu

DOSE EFFICACE

(Sv)

ALDEBARAN

02/07/66

GAMBIER

1,2 10-3

ARCTURUS

02/07/67

TUREIA

5 10-5

ENCELADE

12/06/71

TUREIA

6 10-5

PHOEBE

08/08/71

GAMBIER

1,4 10-4

CENTAURE

17/07/74

TAHITI

2,5 10-5

Pour ces aliments, la contribution des autres radionucléides à la dose efficace par ingestion représente environ 30 % aux Gambier en 1971 et 50% à Tureia en 1971 et à Tahiti en 1974 ; pour l'évaluation de la dose efficace totale, ces coefficients ont été utilisés. »

3.3. Les incidences relevées par l'UNSCEAR et l'AIEA

Les relevés et mesures faits par l'UNSCEAR précédemment ont été repris par l'AIEA dans le rapport du Comité Consultatif International (CCI) sur la situation radiologique des atolls de Mururoa et Fangataufa publié en 1998 et dont il est largement rendu compte à partir de la page 86 de la présente étude (cf. infra 3.2). Le mandat de ce comité ne comprenait pas l'analyse rétrospective des retombées des essais atmosphériques mais dans la mesure où elle a néanmoins été abordée, il a paru souhaitable d'en donner connaissance ici. Ces éléments sont précisés dans le rapport du CCI par l'encadré ci-après :

graphique

A l'issue de cet examen des retombées atmosphériques qui permet de cerner directement les limites de celles-ci dans des proportions tout à fait rassurantes, notamment au regard des différentes comparaisons que l'on peut faire avec d'autres sites, sans parler de celles que l'on ne peut pas ou plus faire, on regrettera d'autant plus l'absence du Tome IV de l'ouvrage « Les atolls de Mururoa et Fangafaufa » (DIRCEN/DAM du Ministère de la Défense et du CEA) qui doit traiter des problèmes liés aux retombées radioactives et dont les trois premiers tomes sont parus en décembre 1995 (I. Géologie, pétrologie, hydrologie. ; II. Les expérimentations nucléaires-effets mécaniques, limino-thermiques, électromagnétiques ; III. Le milieu vivant et son évolution).

4. Les incidences relevées par des instances extérieures

Le point le plus ausculté de la planète l'a été par des instances étrangères étatiques ou scientifiques, internationales et des instances françaises extérieures aux Armées et au CEA. On évoquera ainsi leurs différentes observations et analyses en détaillant quelque peu celles dont l'ampleur des travaux le justifie.

4.1. Du début à 1982

¬ En 1971 en Australie, l'Atomic Weapons Tests Safety Committee estime que les doses absorbées dues aux retombées des essais nucléaires français en Polynésie ne sauraient constituer un danger pour les populations des pays intéressés.

¬ En 1972, une Commission scientifique réunit au mois de juin à Guyaquil des spécialistes des cinq pays Andins (du Chili à la Colombie) pour analyser les effets de la radioactivité produite par les essais français ; elle conclut que « dans le domaine écologique, maritime et terrestre, il a été vérifié que la contamination radioactive n'est pas significative »5.

¬ En Avril 1973, le National Radiation Advisory Committee australien et en mai de la même année, son homologue Néo-Zélandais reconnaissent que ces essais ne constituent pas un danger pour les populations.

Ces constatations n'empêchent nullement certains des gouvernements concernés d'entamer des procédures devant la Cour internationale de Justice de La Haye, ou à envoyer des bâtiments dans le voisinage de Mururoa. Le Pérou, quant à lui, rompt ses relations diplomatiques avec la France au motif que les essais nucléaires atmosphériques français seraient à l'origine d'un tremblement de terre survenu en juillet 1971 dans les Andes... il y a lieu de noter à ce sujet que la France avait pris l'initiative en 1966 d'aider les pays andins à mettre en place sur leurs territoires un dispositif de mesure de la radioactivité.

¬ En juin 1982, M. Haroun Tazieff, alors Commissaire à l'étude et à la prévention des risques naturels majeurs, effectue une mission scientifique au CEP orientée naturellement à ce moment sur les essais souterrains. En octobre de la même année, il précise dans une interview : « En 1975, j'étais déjà allé à Mururoa pour donner mon opinion de volcanologue (le soubassement de l'atoll étant un volcan éteint). Notre conclusion avait été que, si l'on faisait des essais à profondeur suffisante, il n'y avait, d'après nous, aucun danger de pollution. Or, j'étais un expert appartenant à l'opposition aux essais. J'étais un adversaire ! Mais l'honnêteté scientifique est de dire ce que l'on a constaté, pas ce que l'on voudrait ».

S'agissant des essais atmosphériques, le groupe des scientifiques qui accompagnait M. Haroun Tazief en 1982 avait estimé que « les explosions aériennes ont introduit dans l'atmosphère, l'océan et tous les organismes vivants, en particulier marins, une radioactivité significative mais non préoccupante au point de vue sanitaire » et que « depuis que les explosions sont souterraines, la contamination radioactive de l'environnement est devenue quasiment nulle à court terme ».

4.2. La « mission Atkinson »

A la suite de demandes réitérées du Gouvernement Néo-Zélandais, le Président François Mitterand accepte en mai 1983 la suggestion du Premier Ministre de ce pays de l'envoi d'une mission de scientifiques sur les sites d'expérimentations français. Cette mission, présidée par M. H.R. Atkinson à l'époque directeur du laboratoire national des radiations de Christchurch (Nouvelle-Zélande) comprenait en outre quatre autres scientifiques de haut niveau représentant l'Australie et la Papouasie-Nouvelle Guinée. Elle séjourna en Polynésie une douzaine de jours dont quatre à Mururoa. L'ensemble des moyens techniques et scientifiques ont été mis à la disposition de la mission, y compris le navire de recherches océanographiques « Marara » de la DIRCEN, ainsi que les moyens de conservation et d'envoi des différents échantillons prélevés. Le rapport indique d'ailleurs que « la visite d'experts scientifiques dans une zone d'expérimentation militaire d'une autre nation devait être considérée comme unique ». Toutefois les experts n'ont pas été autorisés à prélever des échantillons dans les parties Nord et Ouest de l'atoll de Mururoa, ni dans le sédiment du lagon alors que ce sont justement les zones où on eu lieu les essais atmosphériques, ce que l'AIEA a pu faire ultérieurement.

Le rapport Atkinson a constitué l'élément de référence essentiel dans l'analyse de la situation des atolls eux-mêmes jusqu'aux travaux en 1997 et 1998 respectivement de la Commission internationale géomécanique (présidée par M. Charles  Fairhurst) et du Comité consultatif de l'AIEA mais qui eux ne visent que les essais souterrains . Ce rapport est structuré en quatre chapitres ainsi définis :

- l'impact radiologique des anciens essais atmosphériques, et effets de la contamination radioactive dans le Pacifique Sud ;

- l'intégrité structurelle et l'hydrologie de l'atoll de Mururoa ;

- les fuites et la dissémination à long terme de produits radioactifs, consécutivement aux essais souterrains ;

- le traitement réservé aux déchets radioactifs à Mururoa.

Compte-tenu de l'accent mis dans cette partie sur les incidences des essais atmosphériques, ce sont d'abord les conclusions du premier chapitre auxquelles il convient de faire une place :

« 1 - Dans la zone tempérée australe, qui comprend la Nouvelle-Zélande, la plus grande contribution à l'exposition des radiations de la population, en raison des retombées radioactives, a été apportée par les produits de fission à longue période, issus des essais atmosphériques ayant eu lieu dans l'hémisphère nord. Environ 20 % du dépôt de produits de fission à longue période peuvent être attribués aux essais atmosphériques français dans les atolls de Mururoa et de Fangataufa. Dans les régions tropicales australes, le dépôt imputable aux retombées stratosphériques a été plus faible et, dans la zone tempérée de l'hémisphère nord, elle est environ 3 à 4 fois plus élevée que dans la zone tempérée de l'hémisphère sud.

2 - Les radionucléides à courte période, présents dans les retombées troposphériques dus aux essais atmosphériques dans l'hémisphère austral, ont engendré des doses variables d'une année à l'autre ; en Nouvelle-Zélande, l'apport de doses émanant de cette source était voisin d'environ la moitié de celle résultant des retombées stratosphériques, comme constaté certaines années. Dans les régions tropicales australes, on a observé des doses considérablement plus fortes en certaines occasions : en particulier, des chutes de pluie, à Samoa le 12 septembre 1966 et à Tahiti le 19 juillet 1974, ont augmenté les doses, ces années là, d'environ 10 fois la dose annuelle maximale, historiquement enregistrée (environ 20 micro-sieverts/an) dans ces mêmes lieux, imputable aux essais de l'hémisphère nord. Toutefois, les doses annuelles maximales estimées sont restées inférieures à l/10ème de ce qui découle de 1'exposition annuelle moyenne mondiale aux radiations naturelles (2.000 microsieverts/an) et très en-dessous des taux annuels mesurés dans les régions du monde ayant une haute radioactivité naturelle.

3 - Les doses annuelles (équivalent de dose engagée efficace) résultant des retombées en 1980 sont estimées avoir été d'environ 0,5 % du taux annuel moyen mondial de rayonnement naturel en Nouvelle-Zélande et à Tahiti et même quelque peu plus faible aux îles Fidji.

4 - Les niveaux ambiants de radiations, mesurés à l'extrémité Est de l'atoll de Mururoa sont généralement plus faibles qu'ailleurs dans le monde, en raison de la très faible concentration de radioactivité naturelle dans les sols coralliens.

Des traces des retombées globales dues aux essais atmosphériques sont détectables à des niveaux très en-dessous de ceux ayant une signification pour la santé.

5 - Les doses maximales reçues par le personnel employé à Mururoa et surveillé pour l'exposition aux radiations ne sont généralement que de petites fractions des doses limites admissibles pour les travailleurs exposés aux radiations et recommandées par la Commission Internationale pour la protection radiologique. La plupart des expositions sont inférieures au seuil motivant d'être signalées.

6 - Les doses de radiations auxquelles est soumise la population de la Polynésie Française, en raison du rayonnement naturel et de la radioactivité des retombées, sont plus basses que les niveaux moyens mondiaux et ne conduisent pas à penser que des maladies quelconques provoquées par des radiations pourraient être décelables. Les données statistiques sur le cancer dans cette région ne peuvent aucunement suggérer l'existence d'une proportion élevée de tumeurs de certains organes qui pourrait être associée à une exposition excessive des retombées radioactives. »

Ces conclusions rejoignent ce qui avait été observé précédemment par d'autres instances (cf. supra) et ce qui a encore ultérieurement été confirmé par les mêmes ou par d'autres encore.

¬ S'agissant des incidences régionales, c'est-à-dire des retombées au-delà des archipels des Tuamotou, Gambier, îles de la Société (Tahiti), une observation simple mais essentielle doit être rappelée : les essais nucléaires atmosphériques faits par les Américains et les Britanniques dans le Pacifique de 1957 à 1962 ont eu nécessairement une part importante dans les émissions de particules radioactives à retombées non locales. L'île de Malden est à 1 600 km de Bora-Bora, Christmas à 2 200 km. On dispose de peu d'informations à ce sujet mais il est clair que le nombre et la puissance de certains doivent être prises à due concurrence dans l'ensemble des essais. On compte ainsi :

- pour les Britanniques : trois tirs thermo-nucléaires à Malden Island (1,22 Mt au total), six tirs de même type à Christmas Island (6,65 Mt),

- pour les Américains : 24 à Christmas Island (23,3 Mt), Johnston étant, quant à elle, sensiblement plus éloignée.

IV - L'expertise des incidences environnementales en Polynésie : les essais souterrains

¬ Les incidences des essais souterrains constituent une question dont les termes sont, pour l'essentiel, connus depuis plus d'une vingtaine d'années et ont été précisés lors du rapport de l'Office sur « L'évolution et la recherche sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité » dont l'un d'entre nous avait été chargé6.

¬ Des éléments de réponse ont naturellement été apportés en leur temps pour les essais souterrains par les missions dont on a évoqué les travaux au sujet des essais atmosphériques (Tazieff, Atkinson et Cousteau).

¬ Mais l'essentiel sinon la totalité des réponses aux questions des incidences environnementales est maintenant formé par les travaux des deux instances spécialement constituées à cette fin : le Comité consultatif international de l'AIEA et la Commission géomécanique internationale.

¬ Les expertises exhaustives rendues en 1998 : AIEA et Commission géomécanique devaient répondre à :

- la nécessité d'aller au-delà des éléments de réponse tout à fait valides mais partiels ou anciens ;

- la nécessité d'une réponse exhaustive, et ce après la cessation définitive des essais, à l'aide de moyens techniques adaptés à l'enjeu, dans des délais confortables mais raisonnables pour des expertises scientifiques d'un tel niveau pour lesquelles il a été fait appel à une large palette de spécialistes.

C'est dans le cadre de la reprise des essais nucléaires souterrains et à la suite des réactions que cette décision avait suscitées qu'en septembre 1995 le Président de la République, Jacques Chirac, déclara que deux commissions scientifiques internationales composées d'experts indépendants seraient saisies, à la demande de la France, pour examiner les effets de ces essais sur l'environnement aussi bien du point de vue radiologique que du point de vue géologique et, notamment, de la stabilité des atolls.

La situation radiologique des atolls de Mururoa et Fangataufa a été l'objet de l'étude confiée au Comité consultatif international de l'AIEA réuni sous la présidence de Madame E. Gail de Planque (Etats-Unis). C'est l'étude dont le champ était le plus large. La stabilité et le régime hydrologique des atolls en liaison avec les effets des essais nucléaires a été l'objet de la seconde étude qui a été confiée à une Commission géomécanique internationale constituée spécialement sous la présidence du professeur Charles Fairhurst (Etats-Unis).

On présentera d'abord les travaux et conclusions de cette dernière commission, au domaine de compétence plus précis. Trois membres de celle-ci avaient également participé au groupe de travail de l'AIEA consacré au transport des radionucléides dans le massif rocheux, puisque les mouvements des substances radioactives sont directement reliées aux conséquences hydrologiques des essais.

1. L'étude de la Commission géomécanique internationale

1.1. La Commission géomécanique internationale

L'indépendance et les conditions dans lesquelles la Commission (Président : M. Charles Fairhurst) entendait _uvrer ont été dès l'origine fixées par celle-ci : « Les autorités françaises et les membres de la Commission ont attaché une importance toute particulière à l'indépendance de l'étude de la CGI. L'objet général des investigations, la stabilité et l'hydrologie, était défini par la lettre de M. de Charette, mais la CGI a considéré qu'il lui appartenait de définir sa propre méthode de travail et le détail du contenu de ses travaux. Ainsi, bien que la lettre de mission parle de « ...l'évaluation des effets de cette série d'essais... », la Commission a rapidement décidé que l'étude des effets des expérimentations sur la stabilité et l'hydrologie des atolls devait être replacée dans le contexte de la série complète des 147 essais nucléaires souterrains réalisés à Mururoa et Fangataufa. De la même manière, le choix des questions particulières méritant d'être traitées a été effectué par la Commission ».7

La Commission s'est répartie en sous-groupes : stabilité et hydrologie. Elle s'est réunie douze fois de mars 1996 à octobre 1997 (dont cinq réunions plénières).

La Commission a pu disposer, outre la littérature ouverte existante au début de ses travaux (dont les missions extérieures et différentes thèses et publications scientifiques) des deux tomes de l'ouvrage DIRCEN/DAM sur les deux atolls publiés au début de l'étude et surtout « par une série mise à jour et plus détaillée de 12 rapports techniques préparés par les scientifiques du CEA (de nouveau en français et en anglais). Ces documents, référencés ici comme Documents DIRCEN/CEA n° 1 à 12, ont été intensivement utilisés par la Commission ».

Quoique la publication plus tardive que prévu de ces rapports ait été initialement une source de gêne pour les membres de la CGI, on peut estimer, rétrospectivement, qu'elle a eu un effet positif, en ceci que les membres ont été contraints de reconstruire une compréhension qui leur soit propre de la mécanique des explosions nucléaires souterraines et de leurs effets sur la stabilité et l'hydrologie des atolls. Ceci a fourni l'occasion d'une intelligence des phénomènes, formée de manière indépendante, plus profonde que ne l'aurait permis une approche qui aurait plutôt été fondée sur une revue critique des rapports du CEA quand ils eussent été disponibles »8.

La préparation et la traduction de ces rapports constituaient en temps utile un réel défi comme l'évoque la CGI elle-même.

La Commission s'est rendue sur les atolls en juillet 1996. Les problèmes principaux déterminés par la Commission elle-même (cf. supra) ont été les suivants :

- Doit-on attendre une poursuite significative de l'affaissement, ou subsidence, de parties émergées de l'atoll ?

- Doit-on attendre que des glissements de terrains importants affectent les pentes extérieures de l'atoll ?

- Des fractures majeures ont-elles été créées en profondeur dans les atolls - notamment, les fractures visibles en surface constituent-elles la trace d'un réseau qui s'étendrait en profondeur sous l'atoll ?

- Y-a-t-il eu des changements de l'hydrogéologie naturelle de l'atoll, dont la convection d'origine thermique est un trait majeur, suffisamment importants pour accélérer significativement le transport des radionucléides de vie longue vers le lagon et l'océan?9

1.2. Résumé des résultats, conclusions et recommandations du rapport :

« 1° Environ 5% du volume total de roches volcaniques compris entre 500 mètres et 1500 mètres de profondeur sous la surface, à Mururoa aussi bien qu'à Fangataufa, a été endommagé du fait des essais nucléaires souterrains. Il n'y a eu aucun endommagement au-delà de 1500 mètres de profondeur.

Une partie des premiers essais, conduits sous la couronne de Mururoa, ont produit un endommagement des roches carbonatées depuis le sol jusqu'à une profondeur de 200 mètres, en entraînant des affaissements de surface visibles qui atteignent jusqu'à 2 mètres ; ces effets concernent environ 3% du volume total des couches carbonatées.

2° Associés à l'endommagement des carbonates dans la couronne sud-ouest de Mururoa, on constate un ensemble de glissements de pentes sous-marines, dont la plus grande intéresse quelques 0,1 km3 de matériaux principalement détritiques. Sur la pente nord-est de Mururoa, une déformation de fluage permanente s'est prolongée pendant presque deux décennies , elle se manifeste par de longues fractures ouvertes de surface, parallèles à la couronne, présentes à la fois du côté du lagon et du côté de l'océan. Des fractures analogues se sont développées sur la couronne nord-est de Fangataufa.

3° Ces affaissements et fractures dans les carbonates n'affectent pas le massif volcanique sous-jacent avec lequel elles ne sont pas en communication; elles sont particulières aux portions des carbonates les moins résistantes, ou constituant la couronne émergée.

4° A l'exception de la pente nord-est de Mururoa, qui se déforme encore par fluage (avec une vitesse qui décroît au cours du temps) et peut-être (à un moindre degré) de la pente nord-est de Fangataufa, les deux atolls sont partout stables et les soubassements volcaniques sont structurellement sains ; les cavités et cheminées, remplies de déblais, supportent efficacement les couches sus-jacentes.

5° II n'y aura pas d'impact à long terme (500 - 10 000 ans) sur l'hydrologie globale d'aucun des deux atolls.

6° Les augmentations de température au voisinage du centre de chacune des explosions ont entraîné des accroissements détectables de la vitesse ascendante de l'eau souterraine. Cet accroissement est particulièrement marqué dans les cas où la cheminée atteint les carbonates. Les accroissements de la vitesse de l'eau s'effaceront avec le temps, et les effets de la température seront imperceptibles après 500 ans.

Pour répondre aux questions posées précédemment, on peut plus particulièrement conclure :

7° II n'y aura pas, à Mururoa et Fangataufa, de nouvel affaissement (ou subsidence) majeur que l'on puisse attribuer aux campagnes d'essais. Il n'y a eu, et il n'y aura, aucun danger de volcanisme induit.

8° Un ou plusieurs grands effondrements sous-marins pourraient affecter les flancs de la couronne nord-est de Mururoa, intéressant un volume total de matériaux qui pourrait atteindre 0,6 km3. (Les mouvements des pentes dans cette région sont surveillés de près de sorte qu'on disposerait d'une alerte adéquate en cas d'accélération du fluage). Des glissements analogues sont envisageables sur la couronne nord-est de Fangataufa, mais ils n'ont pas fait l'objet de surveillance. Aucun nouveau glissement ne doit être attendu dans la couronne sud-ouest de Fangataufa, où de tels glissements sont déjà survenus.

9° On n'a pas créé de fractures majeures s'enfonçant profondément à l'intérieur des atolls, et les fractures visibles à la surface ne s'étendent pas jusqu'au massif volcanique.

10° L'hydrologie des atolls n'a pas été modifiée de manière durable. Les radionucléides produits par la plupart des explosions nucléaires réalisées sont toujours convenablement confinés par une couverture suffisante de roches volcaniques relativement imperméables. Les explosions effectuées dans les carbonates, ou les explosions qui ont engendré des cheminées ou des zones endommagées atteignant les carbonates, ont donné lieu à des relâchements précoces, mais qui ne présentent pas un risque significatif pour l'environnement, de tritium, strontium et césium, dans les portions inférieures des carbonates (et donc dans le lagon et l'océan).

11° Les modifications, mentionnées plus haut en 1. et 2., qui sont survenues, n'ont pas une importance supérieure à celle des modifications naturelles, telles que la baisse du niveau de la mer due aux glaciations, ou la croissance et la régression du corail, que l'on doit attendre à moyen terme à Mururoa et Fangataufa. Les atolls de corail se développent en permanence; l'expérience historique montre que des changements topographiques, bien plus grands que ceux que l'on peut attribuer à la série d'essais, surviennent quand on considère de longues périodes de temps. On sait que des événements isolés de la même ampleur que les glissements provoqués à Mururoa surviennent périodiquement.

12° Dans les régions peuplées du reste du monde, des changements de l'hydrologie et de la topographie, plus importants en termes quantitatifs, ont été induits par des activités humaines banales (et nécessaires) telles que l'agriculture de grande échelle, l'activité minière ou la construction des villes.

13° I1 est recommandé que le système actuel d'instrumentation destiné à mesurer les déformations futures de la région nord-est de Mururoa soit maintenu et surveillé pendant les 20 prochaines années (ou jusqu'à 1'apparition d'un effondrement, si celui-ci survenait pendant cette période), afin qu'il informe en temps utile de l'imminence possible d'un effondrement.

14° Il est recommandé que les informations complémentaires qui ont conduit le DIRCEN/CEA à conclure que le fluage observé dans le nord-est de Fangataufa était stabilisé soient rendues publiques, avec l'objectif d'obtenir une évaluation indépendante du danger que des glissements sous-marins plus importants ne surviennent dans cette région.

15° I1 est recommandé que les observations relatives au relâchement de radionucléides dans les carbonates inférieurs et dans les lagons de Mururoa et Fangataufa soient poursuivies, et que des études complémentaires analytiques et numériques soient menées afin de parvenir à une meilleure explication du mélange intensif d'eaux souterraines observé dans les carbonates.

Enfin, on note que les six essais de la campagne 1995/1996 ont tous été tirés dans le massif volcanique des parties centrales des atolls. Quoiqu'aucun détail spécifique concernant ces essais n'ait été fourni à l'I.G.C, il est clair que ces essais évitaient les risques de rupture dans les pentes associés aux essais sous la couronne. La poursuite de la surveillance du tritium relâché dans les carbonates des deux atolls devrait permettre d'évaluer si le confinement des essais est effectif ».

1.3. Stabilité des pentes et affaissements de surface

La surveillance proposée pour la pente nord-est de Mururoa va être détaillée à la fin de cette présentation du rapport de la CGI mais il convient de signaler ici deux points qui méritent d'être éclairés par des analyses contenues dans le rapport lui-même : d'une part des problèmes géomécaniques (stabilité des pentes) liés aux tirs pratiqués en 1976-1980, d'autre part le principe des tirs en puits profonds pratiqués en Polynésie, en comparaison avec les tirs pratiqués au Nevada.

¬ Problèmes géomécaniques, stabilité des pentes.

Le rapport explicite clairement, dans sa partie « historique des essais » (p. 251) l'origine, le mécanisme et les limites des effets négatifs des tirs pratiqués à l'époque :

« Il apparaît qu'une attention insuffisante a été portée aux problèmes géomécaniques pendant les phases initiales du programme d'expérimentation souterraine au CEP. Il est aujourd'hui évident, comme il est montré dans les Chapitres 4 et 5 du Volume II du rapport de la CGI, que des effets non désirés notables, comme l'affaissement de parties de la couronne et les glissements des flancs, auraient pu être évités si les premiers essais avaient été placés plus loin des franges extérieures des atolls, c'est-à-dire sous leur partie centrale et à plus grande profondeur. De plus, on aurait pu éviter que certaines cheminées n'atteignent la zone de transition ou les calcaires proprement dit, comme cela est arrivé au cours de 12 des essais de la période 1976-1980. Pour deux autres des premiers essais (Nestor et Enée) la qualité de la couverture volcanique s'est avéré pour empêcher une fuite précoce de radionucléides contenus dans la cheminée. Il faut reconnaître toutefois que cette lucidité est plus facile après coup: on a d'ailleurs fait remarquer que, si l'on se plaçait du point de vue de la sécurité, il était intrinsèquement plus sûr d'opérer sur terre plutôt que dans le lagon - et incidemment beaucoup moins cher.

Clairement, les effondrements de pente de la couronne sud à Mururoa, les vagues qu'ils ont provoquées et l'apparition, détectée dans les années 70, d'une lente déformation permanente affectant un large domaine de la pente de la couronne nord-est à Mururoa, rendirent impérative une révision complète de la stratégie d'expérimentation souterraine, le développement d'une technologie qui permette le forage de puits en grand diamètre (1,5 mètre) depuis des barges et des plates-formes opérant dans le lagon (Bouchez et Lecomte, 1996). et le basculement progressif de l'expérimentation du platier vers le lagon, qui a commencé en 1981. L'importance de ces changements a été soulignée par la Commission Tazieff (Tazieff, 1982). A partir de 1987, tous les essais, à l'exception d'un petit essai en novembre 1989, ont été conduits sous les deux lagons. Ainsi, depuis 1980, l'épaisseur minimale de couverture (volcanique) a été de 50 mètres puis, plus tard, de 100 mètres.

A l'exception de deux cas dans lesquels la couverture volcanique était inadéquate (elle a été endommagée)10 il apparaît que la totalité des 91 essais conduits depuis 1980 n'ont entraîné aucun des effets locaux non désirés expérimentés antérieurement. (...) De même, ni les essais CRTV ni les essais de Catégorie 2 n'ont eu de conséquences significatives du point de vue de la stabilité et ils n'ont eu que des conséquences négligeables du point de vue de l'hydrologie ou du relâchement de radionucléides (AIEA, 1998b). (...)

Les modifications graduelles dans la manière dont les essais ont été conduits (le choix de points zéros plus profonds, et plus largement espacés ; sous les deux lagons, plutôt qu'au voisinage des flancs des atolls) nous conduisent à conclure, même si les documents DIRCEN/CEA ne fournissent guère d'information à ce sujet, que l'équipe technique concernée a vraisemblablement analysé la situation qui se présentait à l'occasion de chaque nouvel essai avec une approche aussi prudente et objective qu'elle le pouvait ».

¬ Dans la présentation d'ensemble, traitant des possibilités d'instabilités ultérieures, il formule le diagnostic suivant :

« En conclusion, la zone nord-est de Mururoa est fondamentalement la seule pour laquelle subsistent des préoccupations quant à la stabilité locale. Les modifications introduites en 1980 (c'est-à-dire la limitation des énergies des tirs sous la couronne et le déplacement des essais vers le sous-sol des lagons) ont supprimé l'éventualité d'une conséquence supplémentaire du point de vue de la stabilité, en un autre point des atolls, des expérimentations souterraines.

Les essais souterrains n'ont eu de conséquence globale pour la stabilité d'aucun des deux atolls. Cette conclusion est évidente quand on prend en considération l'extension géométriquement limitée des effets des tirs dans les zones d'essais, du point de vue de la stabilité ; elle est confortée par les observations (Document DIRCEN/CEA n° 7) selon lesquelles le niveau moyen de l'océan à Mururoa pendant les 17 dernières années n'a montré aucun écart à la tendance observée pendant la même période dans d'autres régions du Pacifique Sud ; en d'autres termes il n'y a eu aucun effet des essais nucléaires souterrains sur la stabilité d'ensemble de Mururoa. La même remarque vaut très probablement pour Fangataufa, mais aucune mesure spécifique du niveau de l'océan n'est disponible pour cet atoll ».

¬ Les affaissements de surface

Les effets des tirs souterrains selon les types de tirs et les terrains du Nevada et du CEP constituent l'une des rares comparaisons dont on dispose :

« Observées à la surface, ces cuvettes ou dénivellations paraissent semblables aux manifestations de subsidence que l'on peut observer au-dessus de nombre des essais souterrains conduits au Nevada Test Site (NTS) aux États-Unis, en particulier ceux conduits dans les tuffs non cimentés. Les autorités du CEA soulignent, toutefois, qu'il y a des différences essentielles entre ces deux types de phénomènes (voir Figure ci-après).

De fait,

- (a) au NTS, les cuvettes de subsidence sont la manifestation en surface d'une cheminée d'effondrement qui forme un lien continu entre le point zéro souterrain et la surface du sol, dont le résultat est l'existence de passages très perméables reliant directement le point d'explosion à la surface, et donc une « fuite » possible des radionucléides les plus volatils vers la biosphère ou l'environnement accessible ; tandis que

- (b) au CEP, les profondeurs auxquelles ont lieu les tirs sont considérablement plus grandes, avec comme conséquence qu'une zone intacte de roches volcaniques subsiste au-dessus de la cheminée après un essai. De ce fait les radionucléides sont «confinés » dans la cheminée et isolés de la surface. Dès lors, les cuvettes d'affaissement au CEP n'ont qu'un caractère superficiel, et n'affectent pas plus que les 100 à 200 mètres supérieurs de carbonates.

Comme mentionné plus haut, les configurations géologiques et hydrologiques dans les deux sites d'essais sont aussi très différentes. Au CEP, les roches volcaniques, relativement résistantes quoique fracturées, sont recouvertes par quelques 300 à 500 mètres de carbonates moins résistants. Les roches volcaniques et les carbonates sont poreux et saturés jusqu'à la surface du sol. Au NTS, les tuffs volcaniques s'étendent depuis la surface du sol jusqu'à une profondeur plus grande que les points zéros, et la surface libre de la nappe est à une profondeur de 300 mètres environ, c'est-à-dire que le massif rocheux superficiel n'est pas saturé ».

(a) Nevada Test Site (NTS) (b) Centre d'expérimentations du Pacifique

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Comparaison entre la subsidence qui survient sur le Nevada Test Side (NTS) et les affaissements produits par les essais au CEP (d'après Bouchez et Lecomte, 1996) cité par l'étude de la Commission géomécanique internationale.

Il est à noter que ces deux croquis ne sont pas à la même échelle et ne reflètent pas la profondeur à laquelle les tirs ont été faits.

1.4. La surveillance proposée pour la pente Nord-Est de Mururoa et pour Fangataufa

¬ Surveillance proposée pour la pente nord-est de Mururoa

« L'arrêt des essais à Mururoa et Fangataufa a été suivi par un programme d'actions visant à reconstituer, autant que cela est possible, la situation de l'environnement naturel à la surface des atolls telle qu'elle existait avant les essais. Une grande partie des infrastructures associées aux essais ont été enlevées et le personnel a été réduit au minimum. L'accès aux atolls sera strictement limité dans le futur.

I1 est heureux que les développements récents dans la mesure à distance permette de lire et interpréter à distance les données des instruments de surveillance sur les atolls: c'est-à-dire qu'il est possible de mettre en _uvre un programme de surveillance qui ne requiert qu'une intrusion minimale dans l'environnement naturel. Le programme élaboré par les scientifiques de la DIRCEN et du CEA reposera très largement sur la mesure à distance. Le système d'instrumentation proposé, montré schématiquement sur les deux figures ci-après est pour l'essentiel analogue à celui utilisé depuis 1980. Les données acquises pendant les 18 dernières années ont permis aux scientifiques du CEA de développer une très bonne compréhension des mécanismes en jeu et des vitesses qui affectent le massif qui se déforme. Ceci peut fournir un guide précieux pour la prévision du comportement futur du massif rocheux, et pour l'établissement de critères de sécurité qui assurent qu'une instabilité future ne conduira pas à un risque pour les personnels à Mururoa, ou pour qui que ce soit dans la région, notamment les habitants de Turéia (La probabilité de conséquences sérieuses d'une vague importante à 110 km de Mururoa devrait être faible, inférieure à celle d'événements naturels dans cette région, tels que tempêtes et tsunamis).

C'est aussi une caractéristique des déformations progressives de type fluage (c'est-à-dire dépendant du temps) de grandes pentes rocheuses que l'effondrement soit précédé par une période d'accélération du fluage qui peut être facilement détectée par une instrumentation telle que celle qui est aujourd'hui installée à Mururoa. Ce système est maintenant très complet et comporte une redondance suffisante pour assurer une surveillance appropriée, même en cas de panne ou de dysfonctionnement de l'une de ses composantes.

La procédure à suivre pour alerter le personnel du risque d'un effondrement imminent est basée sur la vitesse relative des déformations à un instant donné, mesurée par extensométrie sur des câbles horizontaux (voir diagramme supérieur ci-après) et dans les sondages, la vitesse mesurée avant 1985 servant de référence.

Comme indiqué dans le Document DIRCEN/CEA n° 12, la vitesse de déformation relative, couramment désignée comme V.R. (Vitesse Relative) est traduite en niveau de risque, défini en termes de délai attendu avant un effondrement (imminent) majeur. Les définitions de ces niveaux de risque et des délais (avant l'effondrement) sont données ci-après ».

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Système de surveillance dans la zone nord-est de la couronne de Mururoa ; vue en plan (d'après DIRCEN/CEA n° 7)

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« Quoique orienté vers la surveillance de la pente nord-est, le système de surveillance comportera des composantes qui vérifieront périodiquement la situation dans d'autres parties de l'atoll. On considère que le système implique deux parties : l'une est un système permanent fonctionnant en routine ; l'autre est un système complémentaire mis en _uvre quand une situation anormale est détectée. Les deux systèmes sont synthétisés dans les tableaux ci-après ».

Techniques utilisées pour surveiller l'évolution géomécanique normale (attendue) des atolls

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Actions possibles et mesures complémentaires en cas d'évolution inattendue

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« Toute indication de risque sera rapidement communiquée au personnel du site. Le détail des procédures à suivre pour l'alerte du personnel, la réparation et la mise à jour du système, etc., est fourni dans le Document DIRCEN/CEA n° 12.

Le plan actuel envisage une période de surveillance de dix ans. À l'issue de cette période, une décision sera prise quant au maintien (ou non) du système. Si le maintien est considéré comme nécessaire, le système sera mis à jour pour incorporer les améliorations technologiques alors disponibles en télémétrie, surveillance et instrumentation.

La CCI considère que le système décrit dans le Document DIRCEN/CEA n° 12 est bien conçu, qu'il utilise des techniques conformes à l'état de l'art, et qu'il est suffisamment complet pour assurer la sécurité de toutes les personnes susceptibles d'être affectées par un effondrement de pente, et en particulier un effondrement survenant dans la couronne nord-est de Mururoa..

¬ Surveillance proposée à Fangataufa

Le Document DIRCEN/CEA n° 12 indique que les observations relatives à la couronne nord-est de Fangataufa ont cessé en 1996. La CGI donne acte de ce que le volume de roches concerné par les déformations de pente et la fracturation, à Fangataufa, apparaît être plus faible qu'à Mururoa, et s'être stabilisé. Cependant, il serait bon de s'assurer qu'aucun mouvement supplémentaire n'est effectivement survenu au moyen d'examens visuels de la fracturation de surface dans cette région, par exemple tous les deux ans. Une autre façon de faire serait que les scientifiques du DIRCEN/CEA fournissent des informations plus détaillées sur les raisons qui les conduisent à conclure que la situation à Fangataufa est stable ».

2. Le rapport du Comité consultatif international de l'AIEA

2.1. Mandat de l'étude et principes d'organisation

¬ Les principaux points du mandat de l'étude sont ainsi précisés à partir de la demande qu'a formulée le Gouvernement français en septembre 1996 :

Principaux points du mandat de l'étude

« _ L'Etude avait pour objet d'évaluer les conditions radiologiques sur les atolls après la fin des expériences nucléaires.

_ Elle a porté à la fois sur la situation radiologique actuelle et sur la situation radiologique potentielle à long terme.

_ Les buts de l'Etude étaient les suivants:

- évaluer la situation sur les deux atolls et dans les zones concernées du point de vue de la sûreté radiologique;

- déterminer s'il y a des risques radiologiques éventuels pour la population;

- faire des recommandations sur la nature, l'ampleur et la durée des activités de surveillance, des mesures correctives et des autres mesures de suivi qui pourraient être nécessaires.

_ L'Etude avait donc un caractère prospectif; on a néanmoins noté et résumé dans l'Etude les évaluations radiologiques rétrospectives détaillées des essais nucléaires, auxquelles l'UNSCEAR avait procédé au fil des années.

_ Un Comité consultatif international d'experts a été réuni par I'AIEA pour conseiller et guider celle-ci au plan scientifique pour toutes les questions liées à la conduite de l'Etude.

_ Le Gouvernement français a communiqué les informations et les données nécessaires à la réalisation de l'Etude, notamment dans un certain nombre de domaines spécifiés, mais on a utilisé aussi, aux fins des évaluations, des informations pertinentes émanant de différentes sources.

_ Les résultats, conclusions et recommandations de l'Etude devaient faire l'objet de rapports du CCI et être publiés par I'AIEA."

¬ Il y a lieu de rappeler que cette étude a porté sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, et ce dans leur totalité. Ces atolls, dans le passé récent et historique connu, n'ont jamais été habités et, par conséquent, la situation ne saurait se comparer avec des sites d'essais où des populations en ont été évacuées ou même déplacées en périphérie (îles Marshall, Semipalatinsk par exemple).

Au-delà de l'évaluation des conditions radiologiques actuelles, « l'évaluation des conditions radiologiques à long terme avait pour but d'estimer les doses hypothétiques que des groupes de population locaux et des personnes vivant en n'importe quel point de la région du Pacifique sud pourraient recevoir à l'avenir à la suite du relâchement dans le lagon des atolls ou directement dans l'océan environnant de matières radioactives résiduelles qui se trouvent actuellement dans le sous-sol de Mururoa et de Fangataufa ».

¬ Le rapport de l'AIEA précise dans les termes suivants l'organisation retenue pour la réalisation de cette étude11 :

« Les organes mis en place pour l'Etude comprenaient un Comité consultatif international (CCI); deux groupes d'étude et cinq groupes de travail établis par le CCI; un Bureau pour la conduite du projet établi par I'AIEA; et un Bureau de liaison établi par le Gouvernement français.

Le Groupe d'étude A (appuyé par les Groupes de travail sur la "contamination du milieu terrestre" et sur la "contamination du milieu aquatique") a évalué les niveaux actuels de matières radioactives résiduelles dans l'environnement des atolls et dans les eaux qui les entourent, ainsi que les doses de rayonnements actuelles et futures attribuables à ces matières radioactives résiduelles. En se servant des informations fournies par le Groupe d'étude B, il a également évalué les doses de rayonnements potentielles auxquelles pourraient donner lieu à l'avenir les matières radioactives résiduelles présentes actuellement dans les cavités des expériences de sécurité et les "cavités-cheminées" résultant de l'effondrement des roches volcaniques situées au-dessus des cavités créées par les essais nucléaires sous les atolls.

Le Groupe d'étude B (appuyé par les groupes de travail chargés du "terme source", du "transport des radionucléides dans la géosphère" et de la "modélisation marine") a estimé la vitesse à laquelle les matières radioactives résiduelles présentes dans les cavités et dans les cavités-cheminées pourraient migrer à travers la géosphère et être relâchées dans l'océan environnant soit directement, soit par l'intermédiaire du lagon des atolls, et être dispersées finalement dans le Pacifique Sud, et a fourni ainsi la base nécessaire pour l'évaluation des doses à long terme attribuables à ces matières.

Outre le personnel du Secrétariat de I'AIEA, 55 scientifiques au total - dont les 14 membres du CCI - venant de 18 pays et de quatre organisations internationales ont participé à l'évaluation des conditions radiologiques, et notamment aux campagnes d'échantillonnage et de surveillance de l'environnement qui ont été menées à Mururoa et à Fangataufa.

Dix-huit laboratoires de 12 pays, ainsi que les Laboratoires de I'AIEA à Seibersdorf (Autriche) et son Laboratoire de l'environnement marin à Monaco ont pris part a l'analyse des échantillons prélevés dans l'environnement. »

Une vingtaine de réunions au total (la plupart étalées sur plusieurs jours) ont été tenues entre janvier 1996 et février 1998, qu'il s'agisse des réunions en plénière du CCI ou des différents groupes d'étude et groupes de travail.

Les campagnes d'échantillonnage et de surveillance tant terrestres qu'aquatiques et souterraines ont été menées d'une façon exhaustive au mois de juillet 1976 ainsi que le précise l'AIEA elle-même12 :

¬ « La campagne d'échantillonnage et de surveillance terrestres a été axée sur Mururoa et Fangataufa, mais à l'époque des essais nucléaires atmosphériques une certaine quantité de radionucléides se sont aussi déposés sur des îles voisines, notamment sur l'atoll de Tureia. On a donc mesuré les niveaux d'activité sur cet atoll afin de calculer les débits de dose actuels à ses habitants.

Dans le cadre de la campagne d'échantillonnage et de surveillance terrestres, quelque 300 échantillons (végétation, noix de coco, sable, couche superficielle du sol, coraux, carottes de la dalle corallienne et aérosols) ont été prélevés et analysés dans dix laboratoires de neuf pays et au Laboratoire de l'AIEA à Seibersdorf. Ces échantillons ont fait l'objet de plus de 1 000 radio-analyses. En outre, on a procédé à de nombreuses mesures par spectrométrie gamma, en particulier sur le motu Colette à la pointe nord de Mururoa, près de l'endroit où les cinq expériences de sécurité atmosphériques avaient été réalisées (c'est-à-dire sur les motu Colette, Ariel et Vesta). On a également examiné du sable, du corail et des échantillons de la dalle corallienne provenant de cette zone en vue d'y déceler la présence de particules contenant du plutonium résiduel.

¬ La campagne d'échantillonnage et de surveillance aquatiques a duré quatre semaines et a été effectuée à partir de cinq navires. Des levés du fond marin ont été établis par spectrométrie gamma en vue d'optimiser l'échantillonnage. Plus de 300 échantillons (d'eau des lagons, d'eau océanique, d'eau interstitielle présente dans les sédiments, de sédiments, de coraux et du milieu biologique) ont été prélevés. Environ 13 000 litres d'eau et une tonne d'échantillons solides ont été collectés, traités, emballés et transportés à Monaco pour être répartis entre les laboratoires d'analyse.

Une campagne distincte d'échantillonnage des eaux souterraines a été menée à Mururoa et à Fangataufa en mai-juin 1997. Des échantillons ont été prélevés dans deux cavités-cheminées d'expérimentation à Mururoa et dans neuf forages de surveillance effectués dans les roches carbonatées.

¬ La campagne d'échantillonnage des eaux souterraines a permis de vérifier de manière indépendante la validité des hypothèses faites pour estimer les concentrations des radionucléides dans l'eau des cavités-cheminées en comparant les estimations de l'étude avec les concentrations effectivement mesurées dans l'eau des deux cavités-cheminées résultant des essais nucléaires Céto et Aristée (sous la couronne de Mururoa). Des échantillons d'eau ont été recueillis dans les cavités-cheminées en juin 1997 par des participants à l'étude. »

2.2. L'évaluation des conditions radiologiques actuelles

Les campagnes faites dans le cadre de l'étude ont confirmé les nombreuses données déjà disponibles et fourni de nombreuses indications scientifiques supplémentaires.

« Les concentrations des radionucléides dans les milieux terrestre et aquatique sont généralement faibles et comparables aux concentrations signalées pour les mêmes radionucléides sur des atolls analogues où aucun essai d'arme nucléaire n'a eu lieu »13.

L'AIEA résume ainsi ses observations et constats sur ce point :

« En résumé : l'Etude a permis de constater que les milieux terrestre et aquatique de Mururoa et de Fangataufa qui sont accessibles aux personnes contiennent des matières radioactives résiduelles attribuables aux "expériences nucléaires", mais généralement à des concentrations très faibles qui, selon les conclusions de l'Etude, sont sans importance du point de vue radiologique. Il convient toutefois de relever un certain nombre d'éléments dont les incidences radiologiques sont examinées dans la section "Cas méritant d'être considérés à part":

a) Plusieurs kilogrammes de plutonium résultant des essais nucléaires atmosphériques effectués sur les atolls subsistent dans les sédiments du lagon de chaque atoll. Une partie du plutonium présent dans les sédiments du lagon de Mururoa provenait des expériences de sécurité atmosphériques;

b) On a constaté que les concentrations de tritium dans chaque lagon étaient plus élevées que dans l'océan à cause de fuites provenant d'un certain nombre de cavités-cheminées créées par des essais nucléaires souterrains;

c) Des particules contenant du plutonium et de petites quantités d'américium résultant des expériences de sécurité atmosphériques subsistent dans la zone des sites des expériences, à savoir les motu Colette, Ariel et Vesta à Mururoa. Dans le cadre de l'Etude, on a analysé ces types de particules, qui ont été décelées dans des échantillons de sable et de corail recueillis à la surface du motu Colette et dans du sable prélevé dans un banc de sable adjacent à ce motu;

d) Des niveaux de 137Cs supérieurs à la normale ont été décelés sur de petites surfaces représentant au total plusieurs hectares dans le secteur Kilo-Empereur de la couronne de Fangataufa.

2.3. L'évaluation des conditions radiologiques futures.

La méthodologie retenue s'analyse en quatre étapes d'évaluation précisées ci-après14 :

« L'évaluation des conditions radiologiques futures a comporté quatre grandes étapes. L'étape initiale a consisté à évaluer l'énergie de chaque essai nucléaire souterrain en vue de déterminer l'activité de l'ensemble des radionucléides qui se trouvent actuellement dans le sous-sol de Mururoa et de Fangataufa dans les matières radioactives résiduelles produites par chaque essai nucléaire. C'est ce qui a été appelé le " terme source radioactif ".

La deuxième étape a consisté à évaluer le taux auquel les radionucléides présents dans chaque cavité-cheminée d'expérimentation nucléaire pourraient s'échapper dans les lagons ou directement dans l'océan en fonction du temps. Pour ce faire, on a d'abord estimé la concentration de chaque radionucléide dissous dans l'eau saline remplissant chaque cavité-cheminée, puis modélisé la vitesse de migration des matières dissoutes à travers les roches volcaniques environnantes et les roches carbonatées jusque dans les lagons ou directement dans l'océan. Le taux de relâchement des matières radioactives à partir des atolls- appelé le " terme source effectif " - variera avec le temps suivant la période radioactive des différents radionucléides et le ralentissement que chacun d'eux subira en traversant les roches volcaniques et la couche carbonatée avant d'arriver à la surface. Pour déterminer le terme source effectif, on a commencé par calculer la concentration des radionucléides dans l'eau remplissant les cavités-cheminées, que l'on a appelée le "terme source en solution".

La troisième étape a consisté à utiliser le terme source effectif pour modéliser la dispersion des matières relâchées dans le Pacifique Sud et pour calculer les concentrations futures des radionucléides importants du point de vue radiologique en un certain nombre de sites choisis du Pacifique Sud à différents moments à l'avenir - jusqu'à 100 000 ans dans le cas du plutonium.

La dernière étape de l'évaluation a consisté à estimer les débits de dose auxquels seraient exposés des groupes de population critiques dans les lieux et aux moments pour lesquels les concentrations futures de radionucléides avaient été calculées. »

La présentation des sept catégories d'essais et d'expériences nucléaires pour illustrer la modélisation du transport des radionucléides dans la géosphère est donnée par la figure 3 en annexe 4.

Sources souterraines : les sept catégories d'essais et d'expériences

« (Pour l'évaluation des taux de relâchement totaux de radionucléides à partir de toutes les sources souterraines)

On ne disposait pas, pour l'Etude, d'informations concernant l'emplacement précis et la profondeur de chaque essai, en sorte qu'il n'a pas été possible de calculer le taux de relâchement dû à chacune des 149 sources. Une telle précision aurait été de toute façon superflue; on est parvenu à un degré d'exactitude suffisant en classant les sources souterraines présentant des caractéristiques similaires en sept catégories et en évaluant les taux de relâchement associés à chaque catégorie de sources. Les sources comprennent les résidus de l'ensemble des essais souterrains, y compris, dans le cas de Mururoa, les expériences de sécurité et deux puits de stockage de déchets, ce qui donne 139 sources pour Mururoa et dix pour Fangataufa.

1) Un total de 121 essais "normaux" pour lesquels l'épaisseur de la couverture volcanique à peu près indemne au-dessus de la cavité-cheminée d'expérimentation a été suffisante pour assurer un bon confinement.

2) Quatre essais avec une épaisseur de roche apparemment suffisante mais des dégradations de la couverture de roches volcaniques ("essais à couverture inadéquate").

3) Douze essais dont la cavité-cheminée a atteint le toit du volcanisme ("essais à CATV").

4) Trois expériences de sécurité effectuées à au moins 280 m de profondeur dans les roches carbonatées qui ont libéré une (très faible) énergie de fission.

5) Quatre expériences de sécurité effectuées à au moins 280 m de profondeur dans les carbonates, pour lesquelles il n'y a pas eu libération d'énergie de fission.

6) Trois expériences de sécurité effectuées dans les roches volcaniques sans libération d'énergie de fission.

7) Deux puits de stockage pour déchets contenant du plutonium forés à 1 180 m de profondeur dans les roches volcaniques sous la couronne de Mururoa près de Denise, qui renferment chacun 3,7 kg de plutonium. »

« L'Etude a permis d'estimer le taux de migration des radionucléides des matières radioactives produites par les essais nucléaires souterrains depuis les cavités-cheminées vers les lagons et directement vers l'océan à travers les milieux géologiques au cours de périodes supérieures à 100 000 ans15.

Elle a permis de constater qu'au cours des premières dizaines d'années la majeure partie des radionucléides relâchés proviendraient d'un petit nombre de sites d'essais nucléaires souterrains où le confinement des essais nucléaires assuré par le soubassement volcanique situé au-dessus du point zéro a été inadéquat . En termes de quantités d'activité, le tritium prédominerait dans les premiers relâchements, mais avec des activités volumiques qui sont sans importance du point de vue radiologique. D'autres radionucléides, dont 137Cs et 90Sr, seraient retenus efficacement sous terre dans le soubassement volcanique et perdraient la majeure partie de leur activité par décroissance, et seules de faibles quantités de radionucléides seraient relâchées. Le relâchement du plutonium se poursuivrait à long terme, mais à des taux très faibles. D'après les prévisions fournies par la modélisation, il est improbable que les concentrations de 137Cs et de 239+240Pu dans l'eau des lagons excèdent les niveaux actuels à un moment quelconque à l'avenir. Les concentrations de 90Sr et de 3H pourraient éventuellement dépasser légèrement les niveaux actuels, mais seulement pendant les quelques décennies à venir.

Les résultats de l'Etude en ce qui concerne l'évolution des concentrations ont un certain nombre de conséquences importantes:

a) Les concentrations de 137Cs et de 239+240Pu dans les eaux lagonaires ont peu de chances de dépasser les niveaux actuels à un moment quelconque à l'avenir.

b) Les concentrations de 90Sr pourraient dépasser légèrement les niveaux actuels (spécialement dans le lagon de Fangataufa), mais seulement pendant quelques dizaines d'années.

c) Les concentrations de tritium dans les lagons pourraient rester assez constantes au cours des quelques dizaines d'années à venir avant de diminuer lentement.

d) On peut valablement utiliser les données actuelles pour estimer les débits de dose maximums aux populations hypothétiques des atolls à l'avenir, étant donné que les concentrations des radionucléides importants au point de vue radiologique ne seront, en principe, jamais dépassées à l'avenir.

e) Des quatre radionucléides étudiés, seul 239+240Pu est présent à des concentrations nettement supérieures aux niveaux océaniques dus aux retombées mondiales.

f) Les concentrations de radionucléides anthropiques dans les lagons sont très faibles et généralement bien inférieures à celles des radionucléides naturels dans l'océan, pour lequel les valeurs typiques sont de 12 000 Bq/m3 pour 40K et de 80 Bq/m3 pour les isotopes de l'uranium »

Recherchant une exhaustivité des hypothèses scientifiques imaginables, le CCI a envisagé « un certain nombre d'événements extrêmes » dont certains pourraient être dus à des changements climatiques : ainsi la glaciation entraînant une baisse du niveau de l'océan de plusieurs dizaines de mètres, entre autres. La Commission géomécanique internationale a envisagé de telles hypothèses de son côté. L'accroissement du taux de relâchement de matières radioactives en serait accru, notamment par le biais des cavités-cheminées. Une seule de ces hypothèses a toutefois été étudiée16 :

« Le seul événement disruptif dont on a jugé dans l'Etude qu'il méritait d'être évalué de manière approfondie a été le détachement et le glissement hypothétique d'une masse importante de roches carbonatées dans la zone nord de Mururoa, là où ont été effectués les expériences de sécurité souterraines et certains des essais nucléaires ayant produit des cavités-cheminées qui ont pénétré dans les formations carbonatées. Si un tel événement extrême hypothétique devait se produire, les courants océaniques entraîneraient les matières radioactives relâchées en les éloignant de Mururoa, en sorte que ce sont les habitants d'atolls proches qui recevraient la dose annuelle potentielle la plus élevée. Dans le cas des habitants de Tureia, la dose reçue au cours de la première année qui suivrait un tel glissement ne serait pas supérieure à quelques millièmes de millisievert, ce qui correspond à une fraction extrêmement faible (quelques parties par millier) de la dose annuelle due au fond de rayonnement que les habitants recevront inévitablement du fait des sources naturelles de rayonnements - même si l'on part de l'hypothèse pessimiste que tout le plutonium en jeu dans ce glissement entrerait en solution ».

¬ Résultats de la modélisation océanographique

« Pour l'Etude, on a utilisé des modèles océanographiques du champ régional et du champ lointain en vue d'estimer les concentrations dans l'eau de mer, en des lieux et à des moments différents, de radionucléides relâchés dans l'océan à partir de Mururoa et de Fangataufa. L'Etude a permis de constater qu'à l'exception de celles qui résulteraient d'un événement disruptif extrême hypothétique (cf. supra) les concentrations de radionucléides prévues à long terme tombent aux niveaux ambiants dans l'océan au-delà d'une centaine de kilomètres des atolls; ainsi, à Tureia, les concentrations prévues seront voisines des niveaux ambiants et sans importance du point de vue radiologique ».

2.4. Doses estimées dues aux matières radioactives résiduelles

« L'Etude a comporté une estimation des débits de dose à des groupes critiques dues à l'exposition aux radionucléides résiduels provenant des essais nucléaires français, actuellement et aux lieux et dates dans l'avenir pour lesquels les concentrations de radionucléides avaient été calculées. Les débits de dose ont été estimés pour des populations hypothétiques de Mururoa et de Fangataufa qui se nourriraient principalement de produits de la mer et de la terre locaux ».

¬ Une population hypothétique installée sur les deux atolls et « se nourrissant de produits de l'agriculture et de la pêche dans les lagons ne sera pas, de manière générale, exposée à des doses attribuables à la radioactivité résiduelle dépassant 0.01 mSv par an, soit l'équivalent d'une très petite fraction (moins de la 200ème partie) de la dose totale à laquelle cette population résidente serait inévitablement exposée du fait des sources de rayonnements naturelles17 ».

¬ « Les doses annuelles actuelles aux habitants d'autres îles du Pacifique Sud que les deux atolls attribuables à la radioactivité résiduelle dans l'environnement accessible ont aussi été estimées. Environ 5 000 personnes vivent dans un rayon de 1 000 km autour de Mururoa. On a estimé dans le cadre de l'Etude que les habitants de l'atoll de Tureia, qui est la terre habitée la plus proche de Mururoa et de Fangataufa (environ 130 km de Mururoa, et 120 habitants), ne reçoivent que des doses négligeables (moins de 0,0001 mSv par an) du fait de la radioactivité résiduelle à Mururoa et à Fangataufa même.

L'atoll de Tureia a toutefois reçu à l'époque quelques retombées dues aux essais nucléaires atmosphériques effectués à Mururoa et à Fangataufa, en plus des retombées mondiales. Les doses actuellement reçues par les habitants de l'atoll résultant de toutes les retombées antérieures ont été estimées à environ 0,005 mSv par an. Encore une fois, la fraction de cette dose qui est due aux retombées des seuls essais effectués à Mururoa et à Fangataufa est indéterminée, puisque les estimations de doses sont fondées sur les concentrations mesurées du total des radionucléides anthropiques présents dans l'environnement, qui incluront une certaine contribution attribuable aux retombées mondiales. La dose de 0,005 mSv par an est très faible comparée aux doses totales que les habitants de Tureia reçoivent des sources naturelles de rayonnements, et du même ordre que la dose calculée pour une population hypothétique de l'atoll de Mururoa ».

¬ Les doses estimées aux populations dans l'avenir

Le rapport succinct précise dans les termes suivants les perspectives auxquelles l'ensemble des analyses et projections précités permettent au CCI de conclure :

« Doses qu'entraîneront à l'avenir les matières radioactives résiduelles se trouvant actuellement dans le milieu accessible.

Les doses annuelles estimées à toute population hypothétique future à Mururoa et Fangataufa dues à la dispersion générale dans l'environnement des radio-nucléides provenant d'essais nucléaires sont faibles en termes absolus et insignifiantes par rapport à tout critère ou autre terme de comparaison existants. ; Des doses de rayonnement dues aux matières radioactives déjà présentes dans le milieu accessible - imputables principalement à 137Cs et 239+240Pu - continueront d'être reçues mais diminueront, en raison à la fois de la décroissance radioactive et d'autres processus réduisant la disponibilité de ces radionucléides dans l'environnement.

Selon les prévisions de l'Etude, le taux de lixiviation de 137Cs, 90Sr et 239+240Pu présents dans les sédiments des lagons (qui sont responsables des niveaux actuels de ces radionucléides dans l'eau lagonaire) continuera à décroître avec le temps, tout comme les doses de rayonnement estimées qui sont associées à ces radionucléides. Les doses futures hypothétiques estimées dues aux sources existantes à Mururoa, si les atolls sont effectivement habités, descendront d'abord sur 100 ans de leur maximum actuel qui ne dépasse pas 0,01 mSv par an à environ 0,001 mSv par an à mesure que les matières radioactives résiduelles à la surface se désintègrent et se dispersent. (Il faut noter que ces doses augmenteront dans l'avenir éloigné lorsque le plutonium aura migré à partir du sous-sol et atteint le lagon, mais elles ne dépasseront jamais les doses actuelles.)

En résumé: Les doses de rayonnements dues aux matières radioactives résiduelles déjà présentes dans l'environnement accessible - principalement à 137Cs et aux isotopes du plutonium - continueront d'être reçues, mais elles diminueront en raison à la fois de la décroissance radioactive et d'autres processus réduisant la disponibilité de ces radionucléides dans l'environnement. Selon les estimations de l'Etude, le taux de lixiviation du 137Cs et des isotopes du plutonium présents dans les sédiments des lagons continuera à décroître avec le temps, tout comme les doses de rayonnements estimées qui sont associées à ces radionucléides. L'Etude a permis de constater que les doses annuelles potentielles estimées les plus élevées qui sont attribuables aux matières radioactives résiduelles déjà présentes dans l'environnement accessible de Mururoa et de Fangataufa et dans les eaux environnantes tomberont de leur maximum hypothétique actuel, qui ne dépasse pas 0,01 mSv par an, à environ 0,001 mSv par an d'ici 100 ans.

Exposition potentielle dans l'avenir due aux matières radioactives résiduelles

Sauf pour la population hypothétique, mentionnée précédemment, qui se nourrirait exclusivement de denrées produites sur de petites surfaces dans le secteur Kilo-Empereur de la couronne de Fangataufa, aucun groupe n'est susceptible, à un moment futur quelconque, de recevoir une dose attribuable aux matières radioactives résiduelles présentes à Mururoa et à Fangataufa qui soit supérieure à environ 1 % de la dose que ce groupe recevra inévitablement du fait des sources naturelles de rayonnements.

Aucune population ne recevra, à un moment futur quelconque, de doses sensiblement supérieures aux très faibles doses actuelles dues, à Tureia, aux relâchements de matières radioactives dans l'océan à partir de Mururoa et de Fangataufa (à savoir moins de 0,0001 mSv par an), sauf à la suite d'un événement disruptif postulé, comme indiqué ci-après.

Exposition potentielle d'habitants de la région due à des événements disruptifs postulés

L'Etude a analysé les conséquences radiologiques d'événements disruptifs postulés susceptibles d'amener au jour des matières radioactives, tels qu'ils ont été décrits précédemment dans la section "Evénements disruptifs hypothétiques". Ces derniers comprenaient une glaciation et un glissement de roches carbonatées entraînant un relâchement de radionucléides dans l'océan. Après un tel glissement, c'est pour les personnes résidant sur les îles proches que les doses annuelles hypothétiques seraient les plus élevées, étant donné que les radionucléides ainsi relâchés seraient entraînés par les courants océaniques. Dans le cas des personnes résidant à Tureia, la dose consécutive à un tel glissement de roches ne dépasserait pas, au cours de la première année, quelques millièmes de millisievert, même dans l'hypothèse très pessimiste où tout le plutonium en jeu dans ce glissement entrerait en solution. Les doses ultérieures diminueraient progressivement avec la dispersion de l'activité.

En résumé: L'Etude a permis de constater qu'à l'exception de la situation hypothétique examinée précédemment, aucun groupe de population n'est susceptible, à un moment futur quelconque, de recevoir une dose attribuable aux matières radioactives résiduelles présentes à Mururoa et à Fangataufa qui soit supérieure à environ 1 % de la dose due au fond de rayonnement que ce groupe recevra inévitablement du fait des sources naturelles de rayonnements ».

Mise en perspective des résultats de l'étude : données comparatives sur les doses

graphique

Conclusions et recommandations du Comité consultatif international de l'AIEA

Conclusions

Incidences pour la santé humaine

L'Etude a permis de conclure qu'il n'y aura aucun effet sur la santé qui puisse être diagnostiqué médicalement chez un individu ou décelé dans un groupe par des études épidémiologiques et qui serait attribuable aux doses de rayonnements estimées qui sont reçues actuellement ou qui seraient reçues à l'avenir par des personnes du fait des matières radioactives résiduelles présentes à Mururoa et à Fangataufa.

Il a toutefois été noté dans l'Etude que l'incidence signalée du cancer dans les populations de la région du Pacifique Sud et dans le monde entier évolue pour diverses raisons, et notamment à cause de l'amélioration du diagnostic et de l'enregistrement des cas de cancer; de modifications de l'exposition aux agents cancérogènes dans le milieu ainsi que des habitudes individuelles (comme les habitudes alimentaires et tabagiques); des migrations de population qui modifient les taux de référence pour l'incidence du cancer; et de changements dans l'incidence d'autres maladies. Il est cependant souligné dans l'Etude qu'aux très faibles niveaux de doses estimés dans celle-ci il n'y aura aucune modification des taux d'incidence du cancer dans la région qui soit attribuable à l'exposition aux rayonnements provoquée par les matières radioactives résiduelles présentes à Mururoa et à Fangataufa.

Incidences pour le milieu biologique

L'Etude a permis d'évaluer les débits de dose au milieu biologique indigène résultant des matières radioactives résiduelles présentes à Mururoa et à Fangataufa et, dans la grande majorité des cas, il a été constaté qu'ils étaient analogues ou inférieurs aux débits de dose dus aux sources naturelles de rayonnements. Une exception à cela est constituée par les débits de dose potentiellement élevés auxquels pourraient être exposés des individus de certaines espèces du fait du plutonium contenu dans des particules - provenant, par exemple, des sédiments du banc de sable adjacent au motu Colette dans la partie nord de l'atoll de Mururoa. L'Etude a permis de conclure que, dans l'ensemble, les débits de dose de rayonnements et les modes d'exposition attendus sont tels qu'ils ne pourraient avoir aucun effet sur des groupes de population du biotope, bien que des individus des espèces puissent occasionnellement subir un détriment, mais pas au point que cela mette en péril l'ensemble de l'espèce ou crée des déséquilibres entre les espèces.

Mesures correctives

Etant donné les niveaux d'activité mesurés et prévus de radionucléides et les faibles niveaux de doses estimés pour le présent et pour l'avenir, et compte tenu des recommandations internationales, l'Etude a permis de conclure qu'aucune mesure corrective n'est nécessaire à Mururoa et à Fangataufa pour des raisons de protection radiologique, que ce soit maintenant ou à l'avenir.

Surveillance

De même, l'Etude a permis de conclure qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre la surveillance de l'environnement de Mururoa et de Fangataufa à des fins de protection radiologique.

Solidité des conclusions

Bien que de nombreuses hypothèses aient été faites pour la modélisation des systèmes, les résultats sont solides, c'est-à-dire que l'Etude a permis de conclure que l'ampleur escomptée des changements dans les conclusions du fait des incertitudes sur les paramètres utilisés dans la modélisation est faible. En outre, les doses prévues sont si faibles que des erreurs importantes (même d'un ordre de grandeur) n'influeraient pas sur les conclusions.

Recommandation

II a été noté dans l'Etude qu'un programme scientifique de surveillance des concentrations des radionucléides dans les formations carbonatées et dans les cavités-cheminées des essais nucléaires est en cours à Mururoa et à Fangataufa. Au cas où ce programme serait poursuivi, il est recommandé que l'accent soit mis sur la surveillance du comportement migratoire des radionucléides et des radiocolloïdes à longue période et relativement mobiles en raison de l'intérêt scientifique particulier qu'il présente. Ce programme scientifique, complété par une certaine surveillance des niveaux des radionucléides dans la biosphère, pourra également être utile pour convaincre le public de la sûreté radiologique permanente des atolls ».

* * *

*

L'étude du Comité consultatif international de l'AIEA illustre une expertise qui constitue, combinée sur un point précis avec les travaux de la Commission géomécanique internationale, un modèle d'exhaustivité et de rigueur, appuyée sur une information particulièrement ouverte de la part des autorités françaises, s'agissant d'un site d'essais militaires. Les conclusions n'en sont que plus incontestables pour un site qui avait déjà fait l'objet d'autres expertises et dont les résultats avaient déjà dessiné un diagnostic très ressemblant à celui-ci.

Il a lieu de rappeler ici que c'est la France qui avait demandé spontanément que soient faites ces deux études, lesquelles ont été réalisées, comme on a pu le noter, non seulement en toute indépendance mais encore avec la fourniture d'une grand nombre d'éléments d'informations scientifiques réunies pour ces travaux, outre tout ce qui avait déjà été communiqué précédemment. La liste donnée en annexe des membres et des consultants de ces deux instances scientifiques internationales, (y compris ceux venant de pays hostiles aux essais français), spécialement constituées pour traiter l'ensemble des questions, permet de confirmer que les deux atolls sont bien les sites les plus auscultés de la planète.

La remise en cause de ces conclusions ne relèverait plus que du harcèlement de principe.

V - L'expertise à la recherche de conséquences sanitaires

Ainsi que cela a été précisé précédemment, la recherche d'une sécurité maximale a permis dès les débuts du CEP (Centre d'Expérimentation du Pacifique), la mise en place d'une organisation assurant une surveillance étendue de l'environnement et donc d'une manière permanente des retombées et des paramètres dans tous les milieux naturels.

S'agissant des personnels participant aux activités du CEP, quel que soit leur statut, leur fonction, leur origine, leur durée de séjour sur les sites d'expérimentation, ils ont fait l'objet d'un suivi médical et bien entendu dosimétrique qui a permis de prendre la mesure des incidences à leur sujet lesquelles se sont révélées inexistantes , cela sera détaillé dans un premier point.

Le suivi sanitaire des populations de Polynésie française fera l'objet d'un second point. On y présentera les éléments caractérisant la situation sanitaire des populations à partir des analyses et des études réalisées notamment depuis l'établissement du registre des cancers en Polynésie. Les études épidémiologiques les plus précises, dont certaines sont en cours, doivent être bien distinguées du suivi sanitaire en général. En outre, les caractéristiques bien particulières de la région, au premier rang desquelles l'extrême étroitesse des effectifs en jeu, doivent rester présentes à l'esprit pour apprécier les résultats de ces travaux.

1. Les personnels participant aux activités du CEP

Alors que la première période des essais nucléaires dans le monde, notamment à travers les tirs atmosphériques, a mobilisé d'importants effectifs progressivement, lors des passages aux stades suivants il a été fait appel aux différents personnels en nombre beaucoup plus réduit. Les progrès technologiques et les contraintes budgétaires figurent dans les pays occidentaux, parmi les facteurs qui y ont largement contribué, de même que le choix de nouveaux sites qui ne permettaient pas aisément de toute façon le déploiement des effectifs antérieurs.

Cela s'observe avec netteté pour la France. On a compté environ 24 000 personnes sur les sites du Sahara avec 17 essais en six ans alors que pour le CEP en Polynésie on en comptait 57 750 pour 210 essais en 30 ans. En 1990, par exemple, on relevait la présence sur l'ensemble des sites du CEP de 1500 militaires, 600 personnels civils métropolitains (CEA et entreprises) et 1000 personnels civils recrutés localement.

1.1. Le suivi médical courant

Quelles que soient les différentes catégories de personnel, un suivi médical courant a été constamment assuré notamment à travers l'application de l'ensemble des dispositions nationales générales, spécifiques et locales (cf. supra).

Concernant le personnel recruté localement et pour l'ensemble de la période (1966-1996), on a relevé vingt cas de maladies professionnelles reconnues, le plus souvent liées aux activité de génie civil. : 5 conjonctivites du ciment, 5 cas de gale du ciment, 2 surdités par travaux sonores.

On a eu à déplorer pendant toute la période un seul accident en juillet 1979 : il s'agissait d'une explosion chimique de vapeurs d'acétate lors de la décontamination d'un bunker (« Meknès »)dédié à des expériences de physique ; cet accident a fait deux morts et deux blessés.

1.2. Le suivi dosimétrique

Pour l'ensemble des sites (Mururoa et Fangataufa) et leurs annexes (l'atoll de Hao par exemple), 250 000 dosimètres ont été distribués ; 57 750 personnes ayant participé aux expérimentations ont été surveillées par la mise en _uvre d'une dosimétrie individuelle et collective.

On présentera d'abord la dosimétrie externe, la plus significative pour les personnels, puis la dosimétrie interne en distinguant à chaque fois la période des essais atmosphériques et celle ces essais souterrains.

¬ La dosimétrie externe

Sur les 52 750 personnes affectées sur l'ensemble des sites pendant les essais atmosphériques, 93,5 % ont reçu une dose nulle ; seules 3 425 (6,5 %) ont reçu des doses mesurables.

Le nombre de doses ayant dépassé la « norme annuelle travailleur » de 50 mSv s'est élevé à sept. Dans quatre cas il s'agissait des pilotes d'avions chargés des pénétrations dans le nuage radioactif consécutif au tir pour des doses de 180 mSv, 120 mSv, 60 mSv et 51 mSv, ce qui les situe dans le domaine des expositions exceptionnelles concertées, la première étant légèrement supérieure à la limite. Dans deux autres cas, il s'agissait d'activités extérieures aux essais nucléaires avec deux médecins ayant eu une exposition lors d'examens radiologiques (60 et 54 mSv).

La plupart des autres personnels classés catégorie A a reçu dans sa majeure partie des doses inférieures à la norme « personnes du public » (soit 5 mSv) : seules 55 personnes ont atteint la valeur de 15 mSv.

Le groupe le moins exposé était constitué par les Polynésiens recrutés localement. Ainsi, pour un effectif de 4 701, on a relevé 4 461 doses nulles (95 %) et 240 (5 %) doses de 0,20 à 5 mSv, aucune n'atteignant ce seuil.

Pour les essais souterrains (1975-1996), 5 000 personnes ont fait l'objet d'un suivi dosimétrique : aucune n'a atteint la limite travailleur catégorie A et on ne relève que 16 doses comprises entre 5 et 25 mSv.

La diminution considérable des effectifs nécessaires par rapport aux essais atmosphériques et les caractéristiques des techniques mises en _uvre pour réaliser ce type d'expérimentations explique le très faible nombre de personnes exposées à un risque radiologique. Il s'agissait des personnels assurant le montage des édifices, le post-forage et la décontamination de l'ensemble des matériels de forage.

Pour tous les autres personnels, l'exposition a été nulle ou inférieure à 5 mSv. Enfin, au cours de la période du moratoire (1992-juin 1995) et lors de la dernière série de tirs souterrains (septembre 1995-janvier 1996), aucune dose n'a été relevée pour les personnels sur les sites.

¬ La dosimétrie interne

Les essais atmosphériques

La recherche d'une éventuelle contamination interne s'effectuait par des examens d'anthropo-spectro-gammamétrie et de radiotoxicologie des excrétas. En outre, un contrôle systématique était également pratiqué lors de l'arrivée et du départ de chaque personne affectée sur les sites.

De 1966 à 1974, on a relevé 6 cas de contamination interne significative, aucun n'ayant entraîné un dépassement de la limite normative des travailleurs.

Les essais souterrains

Les risques à prendre en compte durant cette période étaient de deux ordres : celui dû à la présence éventuelle d'iode radioactif lors des post-forages et celui dû à la présence de plutonium sur les chantiers de nettoyage et décontamination mis en _uvre au Nord de l'atoll de Mururoa. Un seul cas de contamination interne significative a été relevé : un dépassement de la norme de l'ordre du double.

En ce qui concerne les personnels recrutés localement, on constate là aussi une très faible exposition. Les deux types d'examens pratiqués ont mis en évidence l'absence de dose engagée significative.

La recherche d'une sécurité maximale et le soin rigoureux mis en _uvre dans la surveillance dosimétrique de tous les personnels confirme sans ambages l'absence d'incidence sur la santé pour des effectifs importants pendant une période de trente années. Au total, les doses collectives relevées s'élèvent à 8,9 homme.Sv.

2. Suivi sanitaire des populations

La faiblesse numérique relative de la population de Polynésie française (220 000 dont 192 000 natifs du Territoire selon le recensement de 1996) mais surtout son extrême éparpillement sur une superficie immense, permettent difficilement d'appréhender des situations variées, sur de tout petits effectifs et qui en outre ont pu très rapidement évoluer en raison des changements de mode de vie, alimentation notamment, et de la prise en charge médicale qui s'est très fortement améliorée avec la fin de l'isolement pour nombre d'atolls liée entre autres à l'activité du CEP.

A côté de l'extension de la couverture médicale des populations, la connaissance de la situation sanitaire s'est imposée comme un impératif qui est à l'origine d'études épidémiologiques fines. La recherche d'un éventuel lien entre les pathologies examinées avec les incidences des essais nucléaires atmosphériques est souvent l'objectif ou en tout cas la toile de fond de ces études.

2.1. Le registre des cancers de Polynésie française

La faiblesse des statistiques sanitaires a incité à créer un outil de référence en 1983 avec le registre des cancers. Dans bien des cas jusque là et encore au début des année quatre-vingts, la cause de la mort n'était pas mentionnée dans les actes de décès (21 % pour les îles de la Société, et jusqu'à 62 % aux Tuamotou et aux Gambier). On estime que l'on identifiait à l'époque à peine la moitié des cas. En outre, pour nombre de cancers dont les traitements exigent des moyens lourds n'existant pas en Polynésie, il est assez souvent procédé à des transferts sanitaires vers la métropole, plus rarement vers la Nouvelle-Zélande, ce qui complique encore davantage le suivi épidémiologique. Il était donc peu envisageable de procéder à des recherches fines pour connaître par exemple le cancer primitif par rapport à la pathologie apparente.

La Commission du Pacifique Sud avait prescrit en 1979 à ses membres la création d'un tel registre aux pays membres. A partir de 1988, où a pu notamment être réalisée la fusion des fichiers préexistants, la couverture de la population par le registre des cancers de Polynésie française, est devenue tout à fait satisfaisante.

Ce taux a ainsi été estimé à 90 % en 1990 par des consultants américains (Université de Californie du Sud et celle de Hawaï).

Les outils que constituent les registres des cancers qui ont pu être créés dans le Pacifique à l'instar de celui de la Polynésie ont permis de mener des études épidémiologiques comportant des comparaisons avec des groupes similaires. Ainsi, compte tenu des origines ethniques communes, les résultats observés pour les populations de Polynésie sont souvent comparés à ceux obtenus pour les populations mahories de Nouvelle-Zélande et celles de Hawaï.

2.2. Les études épidémiologiques

¬ Depuis 1994, plusieurs études ont été réalisées sur les cancers en Polynésie française. La structure au sein de laquelle elles sont principalement menées est l'unité de recherches en épidémiologie des cancers de l'INSERM et plus spécialement le « groupe de recherches sur les effets cancérigènes des radiations ionisantes » dirigé par M. Florent de Vathaire. L'OPRI (Office de Protection contre les rayonnements ionisants) participe également à ces études, de même que l'Institut Gustave Roussy de Villejuif et les partenaires sur place : centre hospitalier territorial de Mamao à Papeete, Institut de recherche pour le développement à Arue (Tahiti), Direction de la santé à Papeete.

Le principe de ces études est de réaliser un bilan des occurrences et de la répartition des différents types de cancers en fonction du sexe, de l'âge et de la résidence ce qui pouvait permettre, notamment, de constater l'absence ou la présence de liens entre certains cancers et les essais atmosphériques. Dans un cadre plus large de suivi sanitaire, l'objectif est d'identifier et de connaître la répartition des pathologies cancéreuses les plus fréquentes.

¬ Trois études qui ont donné lieu à des publications récentes sur des aspects essentiels :

- L'incidence des cancers en Polynésie française entre 1985 et 199518. Une première étude sur la mortalité par cancer en Polynésie française de 1984 à 1992 s'était révélée peu conclusive en raison des incertitudes sur les causes de mortalité, notamment pour le début de la période.

- Le cancer de la thyroïde en Polynésie française entre 1985 et 1995 : influence des essais nucléaires atmosphériques effectués à Mururoa et à Fangataufa entre 1966 et 197419.

- Incidences des hémopathies malignes (leucémies) en Polynésie française entre 1990 et 199520.

Il convient de rappeler quelques données factuelles nécessaires pour remettre en perspective les résultats de ces études. La population moyenne pour la période 1985 - 1995 a été estimée à 168 500 habitants nés et résidant en Polynésie française et ainsi répartis selon la résidence :

- 85 % dans l'archipel de la Société,

- 7 % dans les Tuamotou et les Gambier,

- 4 % aux Marquises et

- 4 % aux îles australes.

¬ Sur les 2863 cas incidents de cancers diagnostiqués sur la période, 76 % ont été histologiquement validés et pour les 677 non validés, 338 figuraient déjà sur le registre du Territoire.

- L'incidence annuelle brute des cancers est plus élevée chez la femme (167 pour 105) que chez l'homme (143 pour 105).

- Les localisations de cancer les plus fréquentes sont chez la femme : le sein, le col de l'utérus, l'appareil digestif, le poumon et la thyroïde, chez l'homme : le poumon, l'appareil digestif, la prostate et la cavité buccale.

L'étude sur l'incidence des cancers précise en outre : « L'incidence standardisée tous cancers confondus a augmenté significativement chez la femme de la période 1985 - 1989 à la période 1990-1995, mais elle est restée stable chez l'homme. L'incidence des cancers du sein et de la thyroïde chez la femme, des cancers de la prostate chez l'homme, a augmenté significativement entre ces deux périodes. En revanche, l'incidence des cancers du larynx et des myélomes multiples a diminué significativement chez l'homme entre 1985-1989 et 1990-1995.

L'incidence globale des cancers en Polynésie Française sur la période 1985-1995 était similaire à celle observée chez les Hawaiiens pour la période 1987-1992, mais plus faible que chez les Maoris pour la même période » (de 25 %).

Dans la partie « discussion » de l'étude, il est ainsi indiqué : « Le résultat principal de cette étude est la faible incidence en Polynésie française, chez les deux sexes, des cancers de l'estomac, du côlon et du rectum, et du tube digestif (tous types confondus) comparée à celle observée chez les Hawaiiens et les Maoris : l'incidence standardisée sur la population mondiale est respectivement de 6,6 9,9 et 19,8 pour 105 par an chez la femme et 9,9 12,9 et 29,2 pour 105 par an chez l'homme. Bien que les cancers soient traditionnellement fortement associés au régime alimentaire, il ne faut pas exclure la possibilité d'une prédisposition génétique ».

L'incidence des cancers du tube digestif est trois fois inférieure à celle observée chez les deux populations de référence (Hawaiiens et Maoris de Nouvelle-Zélande) ; en revanche, l'incidence des cancers du pharynx, du larynx et de la thyroïde est approximativement deux fois plus élevés.

Ces constatations de l'étude précitée peuvent être rapprochée des données publiées en janvier 1998 par l'Observatoire Polynésien de la Santé (Ministère de la Santé du Territoire) :

« Les cancers les plus fréquents en Polynésie sont les cancers du poumon et de la prostate chez l'homme, les cancers du sein, du poumon, du col utérin et de la thyroïde chez la femme. L'incidence du cancer du poumon chez les hommes est du même ordre en Polynésie (52,6 pour 100 000) qu'en France (52,8) : chez les femmes, l'incidence du cancer pulmonaire en Polynésie (25,5) est près de six fois plus élevée qu'en France (4,8), constatation en accord avec l'importance du tabagisme féminin soulignée par différentes études. L'incidence du cancer de la prostate est au même niveau en Polynésie et en France (30,4 et 31,1). L'incidence du cancer du sein observée chez les femmes en Polynésie (57,1) est très proche, bien qu'un peu inférieure, de l'incidence estimée en métropole (65,4). L'incidence du cancer du col est deux fois plus élevée en Polynésie qu'en France, et l'incidence du cancer de la thyroïde chez les femmes près de cinq fois plus. Pour ce dernier cancer, cette incidence élevée est retrouvée chez les mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie (avec des taux supérieurs) et les hawaiiennes d'Hawaii ; les facteurs qui expliquent cette fréquence élevée du cancer de la thyroïde chez les femmes dans le Pacifique restent encore mal compris. L'incidence des cancers digestifs (colon-rectum) reste actuellement inférieure de 2 (chez les femmes) à 3 fois (chez les hommes) en Polynésie par rapport à la France ».

L'un des objectifs de l'étude « Incidence des cancers en Polynésie Française » a consisté à analyser l'évolution et la répartition de tumeurs susceptibles d'être radio-induites.

¬ Les leucémies

Les auteurs de l'étude sur les hémopathies malignes en Polynésie française concluent qu'« ils n'ont pas constaté d'incidence accrue des leucémies (tous types moins les leucémies lymphoïdes chroniques) en Polynésie française par rapport à celle observée chez les Maoris de Nouvelle-Zélande ou chez les Hawaiiens pour la période 1988-1992. Ces résultats restent inchangés lorsqu'on restreint la comparaison aux patients natifs de Polynésie dont 94 % sont Maoris ou à moitié Maoris. Ces résultats viennent confirmer une précédente analyse de mortalité par cancer concluent qu'il n'y avait pas plus de décès par leucémies et par lymphomes chez les natifs de Polynésie française que chez les Maoris de Nouvelle-Zélande ou les Hawaiiens ».

S'agissant des leucémies diagnostiquées chez les moins de 25 ans (étude sur 1985-1995), il a été relevé que de tels diagnostics ont été plus nombreux entre 1985 et 1989. Cette constatation ne se corrobore pas avec un lien géographique quelconque (éloignement ou non du site d'essais, qu'il s'agisse du lieu de naissance ou de résidence). D'autre part, les dates de naissance correspondantes sont pour 90 % postérieures à 1975 ; ces deux constatations contribuent à éliminer tout lien avec une exposition potentielle lors des essais atmosphériques.

¬ Etude de la population âgée de moins de 25 ans lors des essais atmosphériques.

Les Polynésiens nés entre 1950 et 1975 avaient entre 10 et 45 ans pendant la période analysée. L'analyse des cancers dans ces tranches d'âge doit prendre en compte deux points particuliers :

- la plus grande partie des cancers survient au-delà de cette tranche d'âge, c'est-à-dire que l'on doit s'attendre au cours des prochaines années, du fait du vieillissement de la population, à une augmentation régulière de la fréquence des cancers ;

- certains de ces cancers (thyroïde, sein, col de l'utérus, colon) peuvent être dépistés précocement et les variations du taux de ces cancers doivent tenir compte des variations de l'âge au diagnostic qui dépend largement de la qualité de la surveillance médicale.

_ Les variations d'incidence entre 1985-89 d'une part et 1990-95 d'autre part sont similaires aux résultats de la totalité de la cohorte avec une augmentation d'incidence portant sur les cancers de la thyroïde chez la femme sans que soit analysée la variable « âge au diagnostic ».

_ Les taux de cancers sont comparés, entre autres, à ceux des habitants de Hawaii et de Nouvelle-Zélande, considérés comme des populations ayant de fortes similitudes. On constate cependant des différences d'incidence non expliquées pour certains types de cancers, en particulier chez la femme (pharynx et thyroïde plus fréquents, cancers digestifs, du sein, moins fréquents en Polynésie française).

¬ Les cancers de la thyroïde

- L'étude spécifique précitée sur les cancers de la thyroïde montre nettement une incidence plus élevée de cette pathologie avec 153 cas pour l'ensemble de la période. Ce sont les femmes qui en sont plus particulièrement victimes avec un doublement de la fréquence entre 1985-1990 (39 cas) et 1991-1995 (81 cas), le nombre total pour les hommes s'élève à 34.

- La répartition en classes d'âge n'est pas signifiante puisque sur les 118 cas féminins, 69 sont ceux de femmes nées avant 1950, qui n'ont donc pas été exposées à d'éventuelles retombées pendant leur enfance ou leur adolescence et 49 en revanche sont nées après cette date et donc susceptibles d'avoir subi des retombées.

- Se référant à l'épidémiologie des cancers radioinduits, il apparaît que la radio-sensibilité est d'autant plus forte que l'âge d'exposition est plus faible, le maximum de sensibilité visant les filles de moins de un an21. Or les 49 cas de cancers thyroïdiens survenus dans le deuxième groupe (femmes nées entre 1950 et 1975) montrent qu'il n'y a pas de cancer diagnostiqué chez l'enfant. Parmi les cas relevés chez des femmes résidant ou nées dans les Tuamotou-Gambier, qui sont au nombre de 4, ce qui est évidemment élevé rapporté à la population, un seul concerne une femme née en 1965, juste avant le début des essais atmosphériques, les autres ayant au moins 6 ans à cette date. La proportion de cancer de la thyroïde parmi les femmes est apparue nettement moins élevée pour les populations plus lointaines de Mururoa avec 42 cas pour celles vivant à plus de 1000 km (essentiellement Tahiti, compte tenu de son poids démographique).

- Le ratio standardisé d'incidence par rapport aux deux populations de référence (Maoris de Nouvelle-Zélande et Hawaiiens) s'établit à 2,4 pour l'ensemble des personnes (les deux sexes) du premier groupe (nées avant 1950) et à 2,2 pour le deuxième groupe c'est-à-dire dans tous les cas à plus du double. Cette observation doit toutefois être modulée en fonction de plusieurs éléments d'incertitude dont le plus important est sans doute celui de la normalisation du seuil d'enregistrement des cas de cancers de la thyroïde.

Les auteurs de l'étude générale (« Incidence des cancers en Polynésie Française ») indiquent eux-mêmes dans la partie « discussion » : « toute interprétation de cette différence est à proscrire en l'absence de procédures standardisées d'enregistrement des cas de cancer. Nos constatations peuvent être dues à notre choix d'un seuil de 5 millimètres pour ce cancer, alors que les registres d'Hawaii et de Nouvelle-Zélande s'en remettent aux jugements des praticiens et des pathologistes. En fait, une telle comparaison pourrait être effectuée en procédant à un ajustement des procédures de diagnostic et de la distribution des stades de tumeur au moment du diagnostic pour chaque pays. Le Pacifique est connu comme étant une zone à haut risque pour les cancers de la thyroïde (Henderson 1985). Les taux les plus élevés de cancer de la thyroïde ayant fait l'objet d'une publication ont été constatés en Nouvelle-Calédonie sur la période 1985-1992 : 34 pour 105 par an chez les femmes mélanésiennes (Ballivet 1995 ».

En outre, d'autres facteurs tels que la consommation alimentaire d'iode par les fruits de mer, une prédisposition génétique, ou l'excès de poids peuvent expliquer des différences d'incidences de cancers de la thyroïde. Enfin sous l'angle de la méthodologie, on sait que les études doivent être menées sur des populations d'autant plus nombreuses que le risque auxquelles elles sont confrontées est faible. A titre de référence, le NRPB Britannique (National Radiological Protection Board) a calculé qu'il faut 600 000 personnes ayant reçu en une seule fois une dose de 200 mSv, en les suivant pendant vingt ans, pour mettre en évidence une augmentation de 5 % du nombre de cas de cancers. Or, même la personne la plus exposée parmi le personnel pendant les essais atmosphériques avec 180 mSv (pilote de Vautour chargé de la pénétration du nuage) n'a pas atteint ce seuil.

Les auteurs de l'étude spécifique précisent eux-mêmes au sujet des calculs d'incidence différentielle par rapport aux deux groupes de référence qu'un excès induit par contamination radioactive devrait se traduire par un nombre minimal de cas de 83 et non 59 pour le deuxième groupe ; ils concluent le résumé de cette étude par les observations suivantes :

« Etant donné que la différence entre les populations polynésiennes et les populations de référence n'était pas plus importante pour les Polynésiens encore enfants lors des essais que pour les Polynésiens nés antérieurement, comme l'on s'y serait attendu dans le cas d'une contamination à l'iode radioactif, les taux élevés de cancers de la thyroïde en Polynésie française peuvent difficilement être attribués aux retombées d'iode radioactif. Néanmoins, une surveillance de la population née près de Mururoa est nécessaire afin de confirmer ou de nier l'existence d'un risque plus élevé de cancers de la thyroïde au sein de cette population ».

Cette observation nous paraît être la seule conclusion envisageable pour le seul élément notable qui ait pu être trouvé à travers un important suivi sanitaire et un nombre remarquable d'études épidémiologiques, surtout si on le rapporte au nombre d'habitants et à l'état sanitaire plutôt satisfaisant de ceux-ci.

Cette appréciation et l'ensemble des constatations et des comparaisons faites montrent la nécessité de poursuivre la recherche sur les facteurs de risque de cancers de la thyroïde en Polynésie française et sur ce seul point, la pérennité du registre des cancers en Polynésie, élément statistique de base, devant être assurée.

En effet, autant la réalisation d'autres études relèverait d'un superflu coûteux , autant la réponse à cette interrogation scientifique et médicale doit être recherchée, la méthodologie dont on dispose et les éléments de référence extérieurs (populations témoins) devraient permettre d'atteindre cet objectif.

* * *

*

Achevant ainsi l'examen des incidences et de la situation du centre d'expérimentations du Pacifique, on peut mettre en perspective la situation radiologique de Mururoa (où il n'y a pas et il n'y a pas eu d'habitants) et qui reste surveillée en permanence avec le soin et les moyens indiqués, avec d'autres sites d'essais :

- à Mururoa, la dose annuelle liée aux essais est de 0,01 mSv/an (soit 1/200 de l'exposition naturelle moyenne),

- sur l'île de Bikini, elle est de 15 mSv/an (1500 fois plus)

- sur le site de Semipalatinsk, elle est de 140 mSv/an (14 000 fois plus).

1 « Les essais nucléaires français » op. cit. page 20

2 Le rapport Atkinson (cf. infra) précise lui-même en 1983, c'est-à-dire bien avant que d'autres recherches et enquêtes scientifiques soient réalisées : « Mururoa a été étudié de façon plus approfondie que tout autre atoll de corail dans le monde. Les travaux géoscientifiques ont été très minutieux et menés avec une haute compétence » (version française page 89)

3 Document Ministère de la Défense/CEA précité

4 Document Ministère de la Défense/CEA précité

5 Livre Blanc sur les expérimentations nucléaires (1973)

6 Tome II - Les déchets militaires (décembre 1997), Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, M. Christian Bataille, rapporteur

7 Rapport version française - Préface page 190

8 Rapport CGI - version française - page 194

9 Rapport CGI - version française - page 227

10 Mégarée (novembre 1985), sous le lagon de Mururoa, et Lycos (novembre 1989), sous le lagon de Fangataufa (voir Volume II, annexe C, essais de Catégorie 2).

11 Rapport succinct page 20

12 Rapport succinct page 19

13 Rapport succinct page 20

14 Rapport succinct page 23

15 Rapport succinct page 32

16 Rapport succinct page 37

17 Rapport succinct page 42

18 Incidence des cancers en Polynésie Française entre 1985 et 1995 :

- Béatrice Le Vu - Institut Curie, Paris, France

- Florent de Vathaire - Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), Institut Gustave Roussy, Villejuif, France

- Cécile Challeton de Vathaire - Office de la Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI), Le Vésinet, France

- John Paofaite - Institut de Recherche pour le Développement, Arue, Tahiti, Polynésie Française

- Laurent Roda - Centre Hospitalier Territorial Mamao, Papeete, Tahiti, Polynésie Française

- François Lhoumau et François Laudon - Direction de la Santé, Papeete, Tahiti, Polynésie Française

(in Tropical Medicine and International Health - Volume 5, n° 10, pages 722 à 731, octobre 2000)

19 Florent de Vathaire, Béatrice Le Vu et Cécile Challeton de Vathaire (in Cancer causes and control, Kluwer Academic Publishers 2000)

20 Laurent Roda, Florent de Vathaire, Bernard Rio, Agnès Le Tourneau, Patrice Petididier, François Laudon, Robert Zittoun (in Leukemia Research 23 (1999). Pergamon-Elsevier Science Ltd)

21 L'irradiation de la thyroïde augmente le risque de cancer de la thyroïde en particulier chez l'enfant et l'adolescent : le facteur d'augmentation du risque est de 80 % pour une dose de 1000 mSv, les filles sont deux à trois fois plus sensibles que les garçons. Le risque devient faible vers l'âge adulte et disparaît vers 35 ans.