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LES CONSÉQUENCES DES INSTALLATIONS DE STOCKAGE
DES DÉCHETS NUCLÉAIRES
SUR LA SANTÉ PUBLIQUE ET L’ENVIRONNEMENT
Tome II

Deuxième Partie : Les avancées scientifiques et techniques indispensables *

La nécessité de réduire les incertitudes scientifiques et d’approfondir la maîtrise technique de l’entreposage et du stockage *

Chapitre 1 : Les questions sanitaires *

I – La recherche nécessaire sur les effets des rayonnements ionisants *

1. Les acquis scientifiques en ce qui concerne les effets des rayonnements ionisants sur la santé *

1.1. L’état des connaissances *

1.2. Les principales inconnues *

2. Les recherches épidémiologiques nécessaires *

2.1. L’épidémiologie indispensable, en dépit de ses limites méthodologiques *

2.2. Les principales études en France *

3. Les pistes ouvertes par la radiobiologie moléculaire *

3.1. La recherche sur les mécanismes de base *

3.2. Les applications *

3.3. Le bouleversement de la radioprotection par l’éventuelle confirmation d’une susceptibilité génétique *

3.3.1. La piste de la susceptibilité génétique *

3.3.2. Les fondements de la radioprotection remis en question *

3.4. La recherche en France *

II – Les imperfections de la dosimétrie et des mesures dans l’environnement *

1. La dosimétrie *

1.1. L’imprécision de la dosimétrie externe *

1.2. La dosimétrie électronique *

1.3. La dosimétrie neutronique *

1.4. La mesure de l’exposition interne *

2. Les mesures dans l’environnement *

III – Les cofacteurs et la toxicité chimique *

1. Les cofacteurs *

2. La toxicité chimique et radiologique des radionucléides *

2.1. Les propriétés radiotoxiques des éléments *

2.2. La radiotoxicité et la toxicité chimique *

Chapitre 2 : les autres questions scientifiques *

I – Les modèles *

1. La modélisation pour les études de sûreté relatives à la loi de 1991 *

2. Les modèles pour les études d’impact des installations nucléaires *

2.1. Le rôle des modèles *

2.2. Les difficultés de spécification *

2.3. Les impasses méthodologiques *

2.3.1. La finesse d’analyse temporelle *

2.3.2. Les marges d’incertitude *

3. La recherche générale sur les modèles et le soutien aux équipes de recherche *

3.1. L’approfondissement de la recherche fondamentale *

3.2. La diffusion des techniques de modélisation *

II – L’importance des scénarios *

Chapitre 3 : Les questions techniques *

I – La réduction des rejets dans l’environnement *

II – Les déchets miniers *

1. La nécessité de renforcer certains sites de stockage *

2. La nécessité d’aménagements performants et durables *

III – Le stockage des déchets de très faible activité *

1. Les incertitudes sur les spécifications *

2. Les améliorations nécessaires du projet *

IV – Les déchets de graphite *

V – Le stockage des déchets tritiés *

1. La situation actuelle : volumes et entreposages *

2. Plusieurs options d’intérêt inégal *

2.1. Le recours au Centre de stockage de l’Aube *

2.2. La solution centre d’entreposage et centre TFA *

2.3. La création d’un centre de stockage dédié *

VI – Les déchets radifères *

1. Les premières orientations données par le groupe permanent *

2. L’avant-projet de l’Andra *

VII – Les déchets de faible et moyenne activité à vie longue et les déchets de haute activité *

VIII – Les enseignements de l’approche américaine de la question des déchets *

1. Les forces en présence *

1.1. Les différents centres de décision *

1.2. La controverse sur les normes *

2. L’assainissement et le démantèlement à Hanford *

2.1. Le démantèlement et la reprise de déchets de haute activité *

2.2. Un impact potentiel important sur la santé publique et l’environnement *

2.3. Un effort budgétaire très important *

3. Les enseignements du WIPP pour les déchets contenant du plutonium *

3.1. Un processus long de 19 ans mais couronné de succès *

3.2. Des limites clairement définies qui empêchent toute extension à d’autres types de déchets *

4. Yucca Mountain pour la sub-surface ou la difficile preuve de la sûreté à très long terme *

4.1. Un projet dispendieux et interminable *

4.2. Des besoins urgents en capacités d’entreposage *

4.3. La fixation des normes *

4.4. Les difficultés de la preuve *

4.5. Les difficultés de l’irréversibilité *

Chapitre 4 : La nécessité d’une R & D nucléaire réorientée vers la réduction des rejets et des déchets ainsi que vers la radioprotection *

I – La stratégie de réduction des rejets radioactifs prévue par la convention internationale OSPAR *

1. L’accord de Sintra sur la renonciation au droit d’immersion dans la mer de déchets radioactifs solides *

2. La stratégie de réduction des rejets radioactifs *

2.1. Un engagement de parvenir à des rejets " zéro " *

2.2. Un engagement contraignant sur le plan politique *

II – La recherche au CEA et à l’IPSN *

1. La recherche en matière de radioprotection *

2. La recherche sur les rejets et les déchets *

2.1. La R & D directe *

2.2. La R & D indirecte *

3. La recherche à l’IPSN *

4. L’avenir du CEA *

4.1. Les énergies nouvelles renouvelables *

4.2. Le CEA, Commissariat aux énergies d’avenir *

III – La recherche sur les déchets et les rejets conduites par EDF et Cogema *

1. La R & D d’EDF sur les rejets et les déchets *

1.1. Les dépenses de recherche et développement d’EDF *

1.2. Les dépenses " environnement " d’EDF *

1.3. Les dépenses " environnement " dans le domaine nucléaire *

1.4. L’insuffisance de la recherche et développement sur la minimisation des rejets et des déchets *

2. La recherche sur les rejets et les déchets à Cogema *

2.1. La recherche et développement à Cogema *

2.2. La R & D sur les rejets et les déchets *

Deuxième Partie : Les avancées scientifiques et techniques indispensables

La nécessité de réduire les incertitudes scientifiques et d’approfondir la maîtrise technique de l’entreposage et du stockage

Chapitre 1 : Les questions sanitaires

I – La recherche nécessaire sur les effets des rayonnements ionisants

Selon la formule utilisée par le Professeur JF Viel à propos des études épidémiologiques réalisées au voisinage des installations nucléaires, " l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ".

A dire vrai, une telle assertion mérite d’être précisée. Car avec une portée générale, elle permettrait de suspecter un nombre infini de causes dans tout effet particulier. Néanmoins, dans le domaine des faibles doses, cette formule, comme il convient, grave dans le marbre la nécessité d’une grande prudence.

En toute hypothèse, la controverse sur les effets des faibles doses est principalement à usage réglementaire sinon politique. C’est pourquoi elle est évoquée rapidement ici, avant que l’on examine les recherches nécessaires, et en particulier les pistes ouvertes par la radiobiologie moléculaire.

1. Les acquis scientifiques en ce qui concerne les effets des rayonnements ionisants sur la santé

La liste est longue des rapports ou colloques consacrés récemment aux effets des rayonnements ionisants sur la santé et sur la validité de la relation LNT dite relation linéaire sans seuil.

Parmi ces rapports, on peut citer le rapport de l’Académie des sciences d’octobre 1995, le colloque international organisé par l’Académie des sciences en mai 1998, le rapport de l’AEN-OCDE sur les connaissances et les inconnues dans le domaine des effets des rayonnements sur la santé, l’avis de l’Académie nationale de médecine, de juin 1999, le colloque du World Council of Nuclear Workers de mai-juin 1999.

Parmi tous ces travaux, le bilan des connaissances scientifiques relatives aux effets des rayonnements sur la santé de l’OCDE (AEN-OCDE) paraît le plus intéressant. Cette agence a en effet comme objectif déclaré la promotion du nucléaire civil. On ne peut donc la suspecter de partialité anti-nucléaire. Au surplus, l’AEN-OCDE a rassemblé des experts de tous pays, pour dégager le consensus international que toute approche scientifique doit par essence rechercher.

Les conclusions de ce rapport qui dégage les acquis et les inconnues, ainsi que les axes de recherche prioritaires, sont citées dans la suite, en particulier parce qu’elles ne mélangent pas le bilan des connaissances et la critique des dispositions pratiques en matière de protection.

1.1. L’état des connaissances

Le rapport de l’AEN-OCDE établit un récapitulatif en 12 points sur lesquels existe un consensus international (conclusions citées en caractères normaux dans la suite). L’IPSN a, dans une conférence de presse suivant la publication du rapport de l’AEN-OCDE, présenté ses propres précisions et commentaires sur cette publication (additifs présentés en italiques).

1. Le principal effet somatique des rayonnements ionisants à faible dose est l’induction de cancers. Les rayonnements ionisants à fortes doses, (supérieures à 500 mGy) ont des effets déterministes, comme l’érythème, la cataracte et la stérilité, par exemple.

2. Les rayonnements ionisants, au niveau des doses intéressant la radioprotection, ont un faible pouvoir cancérogène.

3. Les doses d’irradiation aiguë supérieures à 200 mGy induisent un risque de cancer chez les êtres humains. L’augmentation du taux des cancers n’a été prouvée qu’au-dessus de doses situées autour de 10 à 20 mSv chez l’enfant.

4. On n’observe aucun effet biologique bénéfique d’une exposition aiguë aux rayonnements ionisants.

5. La sensibilité aux cancers radio-induits varie considérablement en fonction des tissus et des organes exposés. Exemple : en cas d’irradiation homogène, le poumon est près de trois fois plus sensible que le sein.

6. Le nombre d’événements moléculaires et cellulaires primaires varie parfois linéairement avec l’énergie absorbée. Cependant de nombreux processus biologiques à plusieurs étapes sont non linéaires.

7. Les cancers solides radio-induits ont une longue période de latence, en général supérieure à 10 ans. La leucémie et le cancer de la thyroïde peuvent apparaître chez l’enfant quelques années seulement après l’exposition. Pour les cancers solides, la période de latence est de 15 à 30 ans ; pour les leucémies des adultes, l’apparition se produit environ 5 ans après l’irradiation ; pour les cancers de la thyroïde chez les enfants, l’apparition a lieu 3 ans après l’irradiation.

8. L’embryon ou le fœtus en développement sont plus sensibles à une exposition aux rayonnements ionisants que les enfants et les adultes. On sait, par exemple, que dans les zones les plus affectées par les retombées de Tchernobyl, les enfants les plus touchés par ces cancers sont ceux qui ont été exposés in utero. Le degré de sensibilité décroît avec l’âge ; il s’approche de celui de l’adulte peu après l’âge de 5 ans.

9. Divers facteurs comme l’âge de l’individu au moment de l’exposition, le temps écoulé depuis l’exposition, le sexe, la prédisposition génétique, et des facteurs environnementaux, comme le tabagisme ou les agents infectieux, influent sur le risque de cancer aux niveaux d’exposition correspondant à l’irradiation subie.

10. Il existe des mécanismes de réparation cellulaire. Toutefois, la réparation peut être fautive et il peut subsister un dommage résiduel de l’ADN.

11. Les études épidémiologiques ne pourront à elles seules démontrer l’existence ou l’absence d’effets cancérogènes des faibles doses ou débits de dose de rayonnement. L’absence de données épidémiologiques démontrant les effets radio-induits des faibles doses ou des faibles débits de dose ne prouve pas que ces effets n’existent pas.

12. Les études épidémiologiques n’ont pas permis de mettre en évidence des effets héréditaires des rayonnements sur l’homme avec un degré de confiance qui soit statistiquement significatif.

Telles sont les conclusions que le consensus international dégagé par l’AEN-OCDE retient sur ce que l’on connaît des effets des faibles doses. Les inconnues restent nombreuses.

1.2. Les principales inconnues

Les principaux points restant à éclaircir concernant les faibles doses et les faibles débits de dose qui intéressent la radioprotection sont nombreux. La liste suivante de l’AEN-OCDE, assortie des commentaires de l’IPSN (en italiques) recense les zones d’ombre les plus importantes.

1. La forme de la relation dose-effet aux faibles doses pour la cancérogenèse chez l’homme reste à établir. Dans certains cas, on constate l’existence de seuils (pour l’inhalation d’oxyde de plutonium, l’ingestion de radium) mais ces observations relèvent actuellement de l’exception.

2. La part dans le risque radiologique des facteurs individuels comme l’âge de l’individu au moment de l’exposition, le temps écoulé après l’exposition, le sexe, la prédisposition génétique etc., ainsi que des facteurs environnementaux, comme le tabagisme ou les agents infectieux est mal connue. On ne sait pas quantifier l’influence de ces facteurs individuels ou environnementaux.

3. A dose absorbée identique, les différents types de rayonnements (alpha, bêta, gamma, neutrons) produisent des effets biologiques avec une efficacité variable. Il nous reste encore beaucoup à apprendre sur l’efficacité avec laquelle les différents types de rayonnement produisent des effets tardifs sur les humaines aux faibles doses ou faibles débits de dose.

4. Les effets des rayonnements sur les étapes particulières de la cancérogenèse sont mal connus.

5. La cause d’un cancer particulier ne peut être précisément attribuée à une agression particulière comme la radioexposition.

6. On ignore le nombre de cellules tumorales nécessaires pour engendrer un cancer in vivo.

7. On n’explique pas encore pourquoi les organes et les tissus ont une radiosensibilité variable. On ne sait pas non plus si la sensibilité aux rayonnements peut être déduite de l’incidence spontanée de la plupart des cancers.

8. On ignore si la réponse adaptative observée sur des cellules individuelles dans certaines conditions influe sur le risque de cancer radio-induit chez l’homme.

9. On ne dispose pas de méthode permettant de mesurer la sensibilité d’un individu aux rayonnements.

10. L’influence des mécanismes de réparation cellulaire sur le risque de cancer étant mal connue, il existe des incertitudes sur les facteurs de correction de doses ou de débits de dose utilisés pour estimer les risques de cancer radio-induit.

11. Il n’est pas démontré que les faibles doses de rayonnement aient des effets biologiques positifs sur la santé de l’homme.

Découlant des observations précédentes, un consensus semble également exister sur les recherches qui devraient être prioritaires pour élucider les effets des faibles doses de rayonnements ionisants sur la santé.

Le premier point est celui de la mise en évidence d’une éventuelle signature des cancers radio-induits. L’IPSN estime qu’aucun progrès dans ce domaine ne devrait malheureusement intervenir dans les dix prochaines années. Le deuxième point est celui de la prédisposition génétique, évoqué ci-après. Le troisième point est celui des effets combinés des rayonnements ionisants et des polluants chimiques.

2. Les recherches épidémiologiques nécessaires

Si l’épidémiologie à elle seule, ainsi qu’il a été vu plus haut, ne peut suffire à démontrer les effets des faibles doses, faut-il renoncer à ce type d’études ?

La réponse est évidemment négative, même si les contraintes méthodologiques de l’épidémiologie sont fortes.

2.1. L’épidémiologie indispensable, en dépit de ses limites méthodologiques

La première limitation de l’épidémiologie est qu’il s’agit d’une science de l’observation. L’expérimentation étant évidemment impossible en matière d’effets des rayonnements ionisants sur la santé, et les cancers ayant plusieurs facteurs de risque, il faut construire des modélisations complexes pour en tirer les enseignements.

La deuxième limitation est le pouvoir de détection des études épidémiologiques. Pour qu’un excès de cancer, par exemple, soit reconnu comme significatif, il faut qu’il dépasse les variations associées à l’aléa statistique du bruit de fond. En particulier si l’étude est trop restreinte, son apport est nul.

La limitation statistique des études épidémiologiques peut être réduite de deux façons. La première est l’augmentation du nombre de personnes suivies et la prolongation de la durée d’observation. La deuxième possibilité est la réalisation d’études conjointes regroupant des études menées séparément dans différents pays.

Peut-on dire que les études épidémiologiques dont on dispose sont suffisantes et qu’il serait possible, en conséquence, de stopper les efforts dans ce domaine ?

En tout état de cause, l’obligation morale de suivre les populations exposées conduit naturellement à l’observation de leur état médical, et moyennant des précautions additionnelles marginales, fournit des données épidémiologiques supplémentaires.

Mais la raison essentielle pour persévérer dans les études épidémiologiques est que les études dont on dispose actuellement ont toutes leurs limites, aucune d’entre elles et toutes ensembles ne permettant pas de répondre, comme on l’a vu précédemment, aux questions sur les effets des faibles doses de rayonnements ionisants.

Selon l’UNSCEAR, 47 études épidémiologiques d’intérêt majeur sont aujourd’hui disponibles sur les effets des rayonnements ionisants de faible transfert d’énergie linéique. Ces études peuvent être classées en deux catégories : d’une part, les études relatives à des populations ayant reçu une exposition à but thérapeutique ou à fin d’exploration médicale et d’autre part les études relatives à des populations ayant subi une exposition involontaire.

Les études relatives à des expositions médicales portent sur les malades traités pour soigner des affections malignes (cancer de l’utérus ou du sein, cancers divers chez l’enfant) ou des affections bénignes (spondylarthrite ankylosante, teigne du cuir chevelu, angiome de la peau chez l’enfant, mastite). D’autres études concernent les examens de diagnostic, en particulier les fluoroscopies du thorax sur les malades souffrant de tuberculose.

La plus importante des études sur les autres populations est l’étude des survivants d’Hiroshima et Nagasaki, étude intitulée " Life Span Study ", qui présente comme caractéristique de porter sur une population importante (39 593 personnes exposées et 46 716 personnes non exposées) qui a subi un spectre de dose très large (0,01 à 6 Gy), et a été suivie médicalement sur une période supérieure à 45 ans.

D’autres études importantes sont celles relatives aux expositions prénatales (fœtus), aux expositions professionnelles (étude CIRC, cohorte canadienne 1998/1999) ou aux expositions dues à des environnements contaminés (rivière Techa dans l’Oural, population des îles Marshall, liquidateurs et populations de Tchernobyl, etc.).

En tout état de cause, les différentes études utilisables ont chacune d’étroites limites. La poursuite des efforts est donc indispensable.

2.2. Les principales études en France

On a vu, dans la première partie du présent rapport, quelles sont les études recommandées par le Pr. A. Spira pour les populations du Nord-Cotentin. Différentes enquêtes dans d’autres domaines sont en cours en France, suite aux efforts de l’IPSN, qui distingue deux phases dans son action.

La première phase correspond au démarrage, au début des années 1980, de l’activité épidémiologique.

Un système de surveillance des travailleurs statutaires du nucléaire est mis en place, avec archivage des dosimétries individuelles dans la perspective d’un suivi sanitaire à long terme. Puis, sur la période 1983-1988, l’IPSN met au point un protocole et lance une étude épidémiologique sur les mineurs d’uranium. Un bilan annuel de la mortalité par cancer du personnel actif CEA-Cogema est également effectué et ses résultats sont publiés au niveau international pour la période 1968-1985.

La deuxième phase de l’activité de l’IPSN dans ce domaine correspond au développement des études analytiques. L’étude des mineurs d’uranium de Cogema est étendue à la période 1947-1994. Son bilan est annoncé pour la fin 1999. L’étude CEA-Cogema sur les personnels en activité porte, quant à elle, désormais sur 25 000 personnes exposées entre 1959 et 1994.

Outre ces études de cohorte, l’IPSN conduit également des études cas-témoin. Parmi celles-ci, on peut citer l’étude sur les risques de leucémie chez les liquidateurs de Tchernobyl, celle sur les risques de leucémies ou de lymphomes de la population autour de la rivière Techa (Oural) et l’étude internationale sur les risques de cancer du poumon après exposition au radon domestique et au tabac.

Enfin, l’épidémiologie comprend aussi les études post-accidentelles qui nécessitent une méthodologie particulière et les études autour des sites. L’on a vu à cet égard combien le soutien technique de l’IPSN au groupe radioécologie Nord-Cotentin a été précieux.

En toute hypothèse, l’on ne saurait se passer de l’épidémiologie car elle traite de l’identification et de l’estimation des risques subis par des populations qu’il s’agit de protéger. Dans cette veine, on peut dire que l’aide apportée par des spécialistes en épidémiologie au groupe radioécologie Nord-Cotentin constitue un exemple à reproduire pour l’instruction de dossiers importants comme ceux du renouvellement des autorisations de La Hague.

La recherche fondamentale doit fournir, en tout état de cause, des pistes pour améliorer l’efficacité des études épidémiologiques, en permettant l’augmentation de leur puissance statistique. Elle ne saurait s’y substituer.

3. Les pistes ouvertes par la radiobiologie moléculaire

S’il fallait caricaturer le débat scientifique sur les effets des rayonnements ionisants sur la santé, on pourrait sans doute dire que la force des controverses est inversement proportionnelle à la faiblesse de la recherche fondamentale. Au vrai, selon le Professeur André Syrota, " l’étude des mécanismes d’action des rayonnements ionisants sur la matière vivante est délaissée et souffre d’un désintérêt en France et ailleurs ".

Pour autant, la discipline de la radiobiologie, c’est-à-dire l’étude des mécanismes d’action des rayonnements ionisants sur la matière vivante, devrait avoir une grande importance. Au plan de la recherche fondamentale, la radiobiologie oblige à une analyse du fonctionnement intime de la cellule qui pourrait conduire à des progrès dans différentes branches de la médecine. Au plan de son utilité sociale, la radiobiologie devrait permettre à la fois une meilleure connaissance des pathologies consécutives à une irradiation au niveau de l’organisme et une meilleure prévention, c’est-à-dire une meilleure radioprotection.

Ces enjeux ne sauraient être considérés comme accessoires, alors que l’on constate des craintes plus fortes du public vis-à-vis de sources d’exposition dont on ne saurait dire qu’elles sont en diminution.

3.1. La recherche sur les mécanismes de base

La connaissance des mécanismes d’action des rayonnements ionisants sur la cellule est probablement la clé d’une meilleure radioprotection.

Les rayonnements électromagnétiques (rayonnement gamma, rayons X), de même que les particules (particules alpha, bêta, protons), entraînent l’excitation et l’ionisation de différentes molécules contenues par les tissus vivants, ce qui conduit à la formation de radicaux libres, comportant des formes activées de l’oxygène.

Un premier niveau de défense existe, celui des défenses chimiques, qui peuvent permettre la recombinaison des radicaux libres, auquel cas l’agression par les radicaux libres est terminée.

En revanche, si les radicaux libres ne sont pas détruits, ils peuvent s’attaquer aux molécules organiques de différentes façons. Les lipides peuvent être peroxydés, ce qui a des conséquences sur la compartimentation, sur les échanges transmembranaires et les communications cellulaires. Les radicaux libres peuvent également provoquer l’oxydation des acides aminés, ce qui altère l’architecture cellulaire ou tissulaire et peut entraîner des perturbations fonctionnelles. Les radicaux libres peuvent enfin altérer l’ADN lui-même, en oxydant les bases azotées et en provoquant des cassures ou des pontages ADN-protéines. Ce dernier mécanisme d’altération de l’ADN est sans doute le plus important.

Des réponses cellulaires diverses sont en effet possibles, face à l’attaque de radicaux libres. Un premier niveau de défense existe, avec la recombinaison enzymatique de certains radicaux libres. En cas de défaillance et d’une modification de l’ADN, la cellule peut déclencher des mécanismes de réparation de ce dernier, par exemple par excision ou au contraire par synthèse.

Quelles sont les raisons pour lesquelles ces réparations peuvent se produire dans certains cas et non pas dans d’autres ?

Un premier axe de recherche se dégage, avec l’approfondissement nécessaire de la connaissance des gènes qui interviennent dans les mécanismes de protection ou de réparation de l’ADN. Au vrai, il semble qu’il existe plusieurs dizaines de gènes intervenant dans ces mécanismes. Ainsi, le gène OGG1 a été identifié par le Laboratoire de radiobiologie de l’ADN du CEA-CNRS, comme ayant subi une mutation dans des tumeurs du rein et des poumons.

Mais l’analyse doit également être conduite à d’autres niveaux. L’attaque de la cellule par des radicaux libres peut entraîner des conséquences sur le fonctionnement global de celle-ci. Les lésions introduites par les radicaux libres peuvent en effet entraîner le ralentissement du cycle cellulaire, le dérèglement de l’apoptose, des mutations génétiques ou des transformations tissulaires malignes.

Même s’il s’agit là de mécanismes plus macroscopiques, la connaissance des gènes est là aussi fondamentale. Des études relatives aux conséquences des rayonnements UV ont en effet montré que des lésions du gène P53 sur des brins d’ADN non transcrit pouvaient expliquer le blocage de l’apoptose.

Il apparaît ainsi clairement que la recherche en matière de radioprotection doit utiliser de plus en plus les méthodes de la biologie moléculaire mais aussi de la biologie cellulaire.

3.2. Les applications

Les applications de la radiobiologie sont immédiates. Deux exemples peuvent être cités. Le premier est celui des fibroses radio-induites. L’étude des mécanismes moléculaires et cellulaires de la formation et de l’évolution des fibroses permettra de moduler les traitements thérapeutiques. De même, on sait que l’irradiation cause des dommages considérables aux tissus hématopoïétiques. L’étude de la radiosensibilité des cellules souches devrait permettre de mieux identifier les facteurs de reconstitution du tissu.

C’est par ailleurs avec les outils de la biologie moléculaire qu’il devrait être possible, mieux qu’avec l’épidémiologie statistique, d’évaluer la relation dose-effet, selon la nature des rayonnements (alpha, neutron, gamma, rayons X) et selon le débit de dose, dans la mesure où les effets sur la cellule et l’ADN pourraient être mis en évidence.

La comparaison des effets respectifs des rayonnements ionisants et des cancérogènes de l’environnement devrait en outre être profitable, non seulement pour l’élucidation des mécanismes de base mais aussi pour la compréhension des effets combinés des radiotoxiques et des toxiques chimiques.

Au total, selon l’expression du Pr. A. Syrota, il faudrait mettre en place une " épidémiologie moléculaire ". Des prélèvements seraient effectués sur les malades repérés par les études épidémiologiques. L’objectif serait alors d’effectuer une dosimétrie moléculaire de l’exposition aux cancers, en mettant en évidence les voies d’accès des cancérigènes, les cibles cytogénétiques et les spectres des mutations et leurs fréquences. Un autre objectif serait l’étude de la prédisposition génétique au cancer et l’évaluation de la sensibilité individuelle.

La mise au point de biopuces à ADN pour la mise en évidence de la radiosensibilité individuelle viendrait également apporter une conclusion pratique à ces travaux.

3.3. Le bouleversement de la radioprotection par l’éventuelle confirmation d’une susceptibilité génétique

Une des hypothèses les plus intéressantes concernant l’effet des rayonnements ionisants est celle de la susceptibilité génétique. Selon cette hypothèse, il existerait une plus ou moins grande sensibilité des individus aux radioéléments.

3.3.1. La piste de la susceptibilité génétique

Il existe une susceptibilité génétique aux rayonnements UV. Vis-à-vis des lésions ponctuelles et des cancers cutanés dus à ces rayonnements, les facteurs de risque peuvent être l’âge, l’exposition et le phénotype.

Une autre indication est fournie par certains affections héréditaires. L’affection dite Xeroderma Pigmentosum, déclenchée par les rayonnements UV, consiste en un endommagement du mécanisme de réparation de l’ADN par excision-resynthèse. Or, plusieurs gènes communs à différents groupes de malades ont pu être identifiés. Or dans l’affection dite Ataxie Telangiectasie, on constate une anomalie du cycle cellulaire après une exposition à des rayonnements ionisants. Cette anomalie consiste en une instabilité génétique, qui, elle-même, apparaît comme imputable à un seul gène, quel que soit le groupe de malades observés.

Un autre constat milite également en faveur de l’hypothèse de la sensibilité génétique. Il s’agit de la relation entre le risque de cancer associé à une mutation germinale et la fréquence allélique. On remarque en effet que le risque de cancer est d’autant plus faible que la fréquence de l’allèle est forte pour divers cancers comme le rétinoblastome, la neurofibromatose, l’ataxie telangectasie, les cancers du sein et de l’ovaire, le cancer colorectal et différents métabolismes carcinogènes.

3.3.2. Les fondements de la radioprotection remis en question

La confirmation d’une susceptibilité génétique aurait pour conséquence que pour certains individus, l’on pourrait avoir des effets massifs à de très faibles doses, alors que, pour d’autres, les effets seraient négligeables pour des doses élevées. La théorie de l’innocuité de la dilution des radioéléments dans l’environnement serait remise en cause, dans la mesure où de faibles excès même par rapport à un niveau naturel faible pourraient déclencher chez certains sujets des affections radioinduites.

La mise en évidence de différences individuelles en matière de radiosensibilité risquerait de poser de redoutables problèmes d’éthique. Des discriminations à l’embauche pourraient en effet se produire et la radioprotection pourrait devenir à deux vitesses. Les individus plus radiosensibles que la moyenne pourraient être écartés de certains emplois, tandis que d’autres, moins radiosensibles, pourraient être employés dans le cadre d’une radioprotection moins coûteuse car dégradée.

Une autre dimension devrait également être étudiée, celle des variations dues à la diversité des expositions. Il est donc nécessaire de développer les études de radiotoxicologie, qui pourraient également remettre en cause certaines règles de la radioprotection.

3.4. La recherche en France

Les dépenses du CEA pour les recherches relatives à la protection de l’homme et la radiobiologie, se sont élevées à 275,8 millions de francs en 1997 et 260 millions de francs en 1998. Pour une évaluation globale plus représentative des besoins en connaissances fondamentales, on peut leur ajouter les crédits consacrés à l’étude et à l’ingéniérie des protéines et à l’organisation et aux fonctions cellulaires, soit 285,3 millions en 1997 et 288,9 millions en 1998.

Les années récentes ont vu au CEA la création de laboratoires de radiobiologie, le renforcement des équipements, des recrutements de chercheurs et différentes actions incitatives.

Au reste, le ministère de la recherche a mis en place une action concertée sur les effets biologiques des radiations ionisantes en 1996 et 1997, et a apporté un soutien spécifique en 1998. Des laboratoires communs ou des unités mixtes CEA/CNRS et CEA/INSERM travaillent sur ces questions, de même que le CEA a mis en place un réseau de laboratoires de recherche correspondants et des accords-cadres avec différents organismes.

La coopération internationale a également été renforcée entre le CEA et des organismes de recherche étrangers. Au plan européen, certains projets sont coordonnés, comme ceux sur les bases moléculaires de la cancérogenèse, sur le comportement des actinides ou sur l’évaluation du risque d’exposition au radon. Des accords de coopération ont été signés avec le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Etats-Unis.

II – Les imperfections de la dosimétrie et des mesures dans l’environnement

En dépit des progrès effectués sur les appareillages de mesure des rayonnements ionisants, progrès qui vont dans le sens d’une sensibilité et d’une miniaturisation accrues, de nombreux progrès restent à faire pour passer des expositions externes aux expositions internes.

Par ailleurs, les protocoles de mesures dans l’environnement devraient être d’une part affinés en fonction des dernières connaissances en biologie et d’autre part partagés par l’ensemble des opérateurs et des contrôleurs.

1. La dosimétrie

La domaine d’application privilégiée des techniques de mesure des rayonnements ionisants dans le domaine de la santé est la dosimétrie externe.

On peut considérer comme satisfaisantes les techniques actuellement utilisées pour la dosimétrie en matière de rayonnements gamma.

La dosimétrie passive photographique est la base de la surveillance des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants. Cette tâche, effectuée par l’OPRI pour 135 000 personnes appartenant à 16 000 établissements, conduit à l’analyse d’un million six cent mille dosimètres, avec un degré de fiabilité satisfaisant.

Il reste toutefois des progrès à effectuer dans de nombreux domaines.

1.1. L’imprécision de la dosimétrie externe

On estime à l’heure actuelle que l’imprécision de la mesure du débit de dose est de l’ordre de 20 nGy/h. Traduit sur une année et en intégrant l’imprécision sur la mesure de l’exposition naturelle, ceci veut dire que l’imprécision sur la mesure est de 0,4 mSv/an.

Alors que les limites de doses sont destinées à diminuer, avec la transposition de la directive européenne n° 96/29, il paraît indispensable d’améliorer la précision des mesures dans ce domaine.

1.2. La dosimétrie électronique

La dosimétrie électronique permet un contrôle immédiat mais manque de fiabilité, du fait de phénomènes de saturation. Il convient de l’améliorer dans la perspective du traitement automatisé de l’information.

Depuis décembre 1998, la dosimétrie électronique est devenue réglementaire pour les travailleurs des installations nucléaires de base et le sera à partir de décembre 1999 pour tous les travailleurs opérant en zone contrôlée.

La Direction des relations du travail a lancé récemment la réalisation d’un système d’informations dosimétriques dont les premiers éléments seront opérationnels début 2000 et qui permettra la récupération, l’analyse et la centralisation des données enregistrées. Les applications d’un tel système seront d’un grand intérêt : il permettra en effet à terme la reconstitution des " carrières " dosimétriques et contribuera d’une manière décisive aux études épidémiologiques.

La fiabilité ainsi que la gamme des mesures sont en conséquence des conditions particulièrement importantes pour le succès du système. Or, la gamme des mesures des dosimètres est généralement trop faible. Ainsi, lors de l’incident survenu le 11 mars 1999 à Tricastin-1, le dosimètre électronique de l’agent d’EDF irradié faisait état d’une dose de 87 mSv, alors que la dosimétrie " film " une fois développé indiqua plus tard une dose de 300 mSv. De même la précision des mesures doit être particulièrement grande pour que les conclusions sur plusieurs années aient un sens.

Il semble en conséquence nécessaire qu’un programme de recherche ait comme objectif l’amélioration de la dosimétrie électronique.

1.3. La dosimétrie neutronique

S’agissant de la dosimétrie externe, le principal problème reste la dosimétrie neutronique, en ce sens que les dangers des neutrons sont reconsidérés alors que la dosimétrie reste imparfaite.

En effet, en 1996, la CIPR a réévalué d'un facteur 2 la dose efficace pour les neutrons thermiques et d'un facteur 5 pour les neutrons d'énergie moyenne. Mais la dosimétrie neutronique se heurte à deux difficultés principales. La gamme d'énergie des neutrons est en effet très étendue – de 10-2 eV pour les neutrons thermiques jusqu'à 10+8 eV pour les neutrons rapides. Il faut connaître pour chaque gamme de neutrons, leur nombre pour calculer les facteurs de qualité. Une moyenne ne suffit pas à trouver la valeur de l’irradiation neutronique. Par ailleurs, les photons associés aux neutrons dans des champs de rayonnement mixte perturbent les mesures.

1.4. La mesure de l’exposition interne

Le contrôle de l’exposition interne est quant à lui principalement effectué par anthropogammamétrie. Cette technique permet la mesure directe de la radioactivité corporelle d’un individu. En l’état actuel des choses, la localisation des organes ou des tissus contaminés est insuffisamment précise. La mise en évidence de contaminations par des émetteurs alpha et bêta ne peut se faire que des analyses radiotoxicologiques, en particulier des urines ou de prélèvements. De plus, le suivi des effets cliniques directs liés à ce type de contamination est le plus souvent insuffisant.

Il convient que cette situation soit améliorée par la mise au point de nouvelles méthodes de mesure et de suivi.

2. Les mesures dans l’environnement

Les mesures dans l’environnement doivent avoir deux objectifs. Le premier est l’exhaustivité, c’est-à-dire la prise en compte et la mesure du plus grand nombre possible de radioéléments. Le deuxième objectif est de procéder à des relevés permettant non seulement de détecter d’éventuelles anomalies de fonctionnement des installations nucléaires mais aussi de surveiller efficacement l’environnement des populations exposées.

L’extension du domaine des mesures est une exigence des populations, dont la seule limite doit être l’état des techniques. A cet égard, les travaux du groupe radioécologie Nord-Cotentin ont montré qu’il était possible d’étendre l’éventail des radioéléments mesurés et de détailler certains types d’émetteurs.

Ainsi que le rappelle le rapport du groupe de travail n°1 du groupe radioécologie Nord-Cotentin, les autorités de sûreté nucléaire définissent des contrôles qui ne visent pas à rechercher l’exhaustivité de la liste des radionucléides mesurés, ni la valeur précise de l’activité rejetée quand celle-ci est inférieure à la limite de mesure ou au seuil de détection. Le groupe a toutefois démontré que par une bonne connaissance du fonctionnement des installations et des procédés, il était possible de reconstituer, de compléter voire de corriger le terme source.

Au total, à la suite des travaux du groupe, s’agissant des rejets de La Hague, les produits de fission pris en compte sont passés de 25 à 42, les isotopes de l’uranium et des transuraniens de 7 à 14 et les produits d’activation de 8 à 12. D’autres exemples vont dans le même, ainsi l’affinement de ses mesures par Cogema à La Hague, notamment pour l’individualisation des gaz rares.

Ainsi, il a été démontré que si la mesure directe de chaque radioélément n’est pas toujours réalisable, en revanche la surveillance directe ou indirecte de chacun d’entre eux est possible.

S’agissant des mesures dans l’environnement, une difficulté essentielle provient du fait que l’abondance de mesures ne signifie pas qualité de ces mesures. Toujours dans le cas du Nord-Cotentin, le groupe radioécologie a mis en évidence que 500 000 mesures de radioactivité ont été effectuées et stockées depuis 1978 pour cette seule zone géographique. Les protocoles expérimentaux n’étaient évidemment pas semblables entre tous les organismes ayant effectué des mesures, reflétant des préoccupations spécifiques à chacun de ceux-ci. La comparabilité des mesures était également affectée par des limites de sensibilité divergentes.

En réalité, une bonne cohérence des mesures est particulièrement nécessaire pour les mesures dans l’environnement, en particulier pour le choix des bioindicateurs, dont les performances de fixation et d’accumulation des radionucléides peuvent varier considérablement d’un végétal à un autre, d’un coquillage ou d’un poisson à un autre.

III – Les cofacteurs et la toxicité chimique

1. Les cofacteurs

Pour tenter d’expliquer la surincidence de cancers autour des installations nucléaires britanniques, certains experts ont été tentés d’invoquer le rôle encore non démontré de virus au demeurant inconnus. Cette hypothèse est souvent décrite comme l’hypothèse de Kinlen.

Selon Kinlen, la leucémie de l’enfant serait la conséquence d’une infection virale commune qui n’a pas été identifiée. La transmission de cette infection virale serait facilitée par les afflux et les brassages de population tels que ceux survenant lors de la construction et la mise en service des usines de retraitement des déchets nucléaires, une thèse corroborée par la présence fréquente d’agrégats de leucémie dans des zones rurales où ont lieu des afflux importants de populations.

Que les leucémies puissent avoir des étiologies diverses et être multi-factorielles rejoint les connaissances acquises en cancérogénèse. Cette thèse, si elle était démontrée, compliquerait encore l’étude de l’impact des installations nucléaires puisqu’elle rendrait nécessaire un approfondissement du suivi des maladies infectieuses rares.

En tout cas, l’implication de cofacteurs dans certaines affections occasionnées par les rayonnements ionisants ne pourrait signifier qu’on puisse relâcher les contraintes sanitaires, puisque aussi bien d’autres affections ont une source directe dans les rayonnements ionisants.

2. La toxicité chimique et radiologique des radionucléides

La connaissance des effets sur la santé des radionucléides ne peut être considérée comme définitivement acquise. Au contraire elle s’approfondit d’année en année. De plus en plus larges sont les effets pris en compte.

2.1. Les propriétés radiotoxiques des éléments

La radiotoxicité de chaque radioélément pris isolément a pu être révisée au cours du temps en fonction de l’acquisition de nouvelles connaissances.

Ainsi, le strontium 90 était considéré comme ayant une radiotoxicité forte (groupe II) en 1966. Certains experts considèrent aujourd’hui qu’il faudrait en réévaluer la radiotoxicité et le classer en groupe I. Cet émetteur bêta fort peut en effet se substituer au calcium et se fixer sur les cartilages et les os, en raison d’une similitude de structure électronique externe, ce qui le rend particulièrement dangereux pour les enfants.

De la même façon, le carbone 14 était classé en 1966 dans le groupe III dit de radiotoxicité modérée. Le tritium, quant à lui, était considéré comme ayant une radiotoxicité faible (groupe IV). Il semble acquis aujourd’hui que ces deux émetteurs bêta purs sont plus radiotoxiques qu’on ne le pensait, en raison de leur recyclage dans l’organisme au travers de l’inhalation d’air et de l’ingestion d’aliments dans l’organisme : chaque molécule constitutive du corps humain comprend des atomes de carbone et d’hydrogène qui peuvent être déplacés par les isotopes carbone 14 et tritium.

Il faut signaler à cet égard que l’étude des radioéléments est particulièrement complexe lorsque ceux-ci sont par exemple des génotoxiques répartis uniformément dans l’organisme. Ainsi des radioéléments comme le béryllium 10, le carbone 14, le chlore 35, l’iode 129 ou le césium 135 peuvent se fixer dans les gonadeset ainsi faire courir le danger de lésions génétiques.

La caractérisation des effets à long terme des radioéléments est ainsi particulièrement complexe. Il est regrettable à cet égard qu’aucun laboratoire de toxicologie industrielle n’ait été maintenu au CNRS ou à l’INSERM.

Au total, les appréciations actuelles pourraient manquer de pertinence, en raison d’une connaissance insuffisante des mécanismes d’action et d’une durée d’observation trop courte. Il est donc important de consacrer un effort de recherche important à la radiotoxicologie.

2.2. La radiotoxicité et la toxicité chimique

L’impact des rejets et des déchets des installations nucléaires est étudié principalement depuis l’origine sous l’angle de la radiotoxicité.

Or chaque radioélément peut aussi avoir une action pathologique non cancéreuse sur les organes qu’il irradie. Autrement dit, un élément radiotoxique peut aussi avoir une toxicité chimique. A cet égard, on peut considérer que, selon la Commission nationale d’évaluation, pour l’uranium naturel, le samarium 147, le rubidium 87 et le béryllium 10, par exemple, la toxicité chimique l’emporte dans certains cas sur la radiotoxicité.

Par ailleurs, les rejets et les déchets ne comprennent pas seulement des radioéléments. Ils comprennent aussi d’une part des composés organiques et minéraux et d’autre part des isotopes stables coexistant avec les radionucléides. Ces autres constituants des rejets et des déchets peuvent aussi avoir une toxicité chimique.

Or, ainsi que l’indique le Professeur Lafuma, " les radiations peuvent polariser l’action chimique ".

La prise en compte simultanée de la radiotoxicité et de la toxicité chimique des rejets est indispensable. Elle pose toutefois des problèmes méthodologiques qui ne sont pas encore résolus.

Parmi ces problèmes, figurent des méthodes d’approche réglementaires distinctes.

Ainsi, les limites fixées en matière chimique sont des concentrations maximales dans l’eau et dans l’air, exprimées en grammes par litre ou par m3. La teneur limite de l’eau potable en uranium par exemple est fixée à 2 µg/l par les recommandations de l’OMS de 1998.

En revanche, les limites fixées en radiologie sont exprimées en doses efficaces engagées. Ceci veut dire que ces limites sont calculées pour des cas d’incorporation par inhalation ou par ingestion du radioélément et en tenant compte des effets pondérés des rayonnements sur les différents tissus. On est donc loin de limites de concentrations dans un liquide.

En conséquence, il est nécessaire de faire un calcul inverse, de partir de limites de doses et de remonter aux concentrations. A cet égard, la Commission nationale d’évaluation propose, plutôt que l’approche pathologique ci-dessus, impraticable tant elle est complexe, de recourir à une approche physiologique de façon à calculer des nombres équivalents d’ingestion annuelles, comparables à des limites annuelles d’incorporation.

En fait, de nombreux travaux méthodologiques restent à conduire pour déboucher sur des recommandations pratiques permettant de se prémunir à la fois contre les risques radiologiques et chimiques.

Selon le Professeur Lafuma de la CNE, " dans quelques années, le vrai problème sera la toxicité chimique ". En effet, pour reprendre le cas de l’uranium, son ancienne limite radiologique de concentration dans l’eau, correspondant à une dose de 1mSv, était fixée à 1 mg/l. Du point de vue de sa toxicité chimique, sa limite de concentration maximale dans l’eau potable, recommandée par l’OMS, est beaucoup plus faible : elle est de 2 µg/l. On voit donc que les questions de toxicité chimique pourraient prendre une importance croissante à l’avenir.

Chapitre 2 : les autres questions scientifiques

I – Les modèles

L’une des évolutions actuelles les plus importantes de la recherche est d’une part la modélisation mathématique des phénomènes pour affiner l’analyse et d’autre part la simulation numérique, en amont et en aval des expériences, pour accroître l’utilité de ces dernières.

Le domaine de la radioprotection offre une illustration parfaite de cette tendance lourde.

1. La modélisation pour les études de sûreté relatives à la loi de 1991

La Commission nationale d’évaluation a récemment pointé la difficulté des travaux de modélisation et de simulation numérique qu’il sera nécessaire de conduire pour évaluer la sûreté du stockage géologique et de l’entreposage de longue durée.

En effet, le recours à de tels outils est indispensable du fait de l’impossibilité d’utiliser la seule expérimentation, en raison de contraintes financières, techniques et temporelles. Or, dans l’élaboration des modèles informatisés, de nombreuses spécialités devront intervenir pour représenter les phénomènes de migration dans les milieux environnants. Au-delà de la complexité de la modélisation de chacune des briques de base, le couplage entre celles-ci sera vraisemblablement très ardu. C’est pourquoi la Commission recommande d’établir un plan à long terme clair, de susciter des coopérations internationales et de coordonner les travaux grâce à la nomination d’un responsable scientifique de haut niveau.

Au cours de son audition par l’Office parlementaire, le Président de la Commission nationale d’évaluation, M. Bernard Tissot, en réponse à une question de votre Rapporteur, a confirmé l’insuffisance actuelle des modèles d’évaluation de l’impact des radioéléments artificiels sur l’environnement.

Cette insuffisance de la modélisation ne s’applique que partiellement à la diffusion des radioéléments à partir de la matrice, à travers l’enveloppe d’acier inoxydable entourant la matrice de verre, à travers la première barrière d’acier noir et la deuxième barrière d’argile remplissant le conteneur, car on commence à maîtriser la représentation mathématique de ces milieux et des migrations de radioéléments en leur sein.

L’insuffisance des modèles dont on peut disposer actuellement est en revanche patente pour les transferts dans le champ lointain, c’est-à-dire au-delà du conteneur, après sortie dans l’environnement. Quant à la modélisation des transferts dans la biosphère, elle est, elle aussi, tout à fait insuffisante.

2. Les modèles pour les études d’impact des installations nucléaires

La modélisation et la simulation appliquées à la recherche en matière de sûreté du stockage géologique et de l’entreposage de longue durée ne sauraient être séparées des études générales qu’il est nécessaire de mener en matière de radioprotection.

Des techniques de même nature sont en effet indispensables pour l’étude générale de l’impact des installations nucléaires en général sur la santé publique et l’environnement.

On a vu plus haut combien sont mal connues les limites des modèles actuellement utilisés pour estimer l’exposition des populations aux rejets des installations nucléaires. L’amplification des recherches correspondantes apparaît tout à fait indispensable.

Au-delà, les outils de la recherche que sont la modélisation mathématique et la simulation informatique doivent aussi être développés afin de permettre une optimisation des études entreprises. A cet égard, il faut remarquer que ces outils ne peuvent fonctionner que dans la mesure où ils sont alimentés par des données résultant de mesures fiables et complètes. Il faut donc disposer de points de mesure, de systèmes de collecte, de traitement et d’archivage informatiques performants.

Au demeurant, l’étude de l’impact d’une installation industrielle sur la santé publique et l’environnement est d’une manière générale une tâche difficile.

Etant donné la multiplicité des voies par lesquelles une installation peut influer sur la santé publique et l’environnement, la première étape correspond à l’identification des risques encourus. L’épidémiologie propose deux méthodes à cet égard : la méthode cas-témoin et la méthode des cohortes.

La méthode cas-témoin consiste, schématiquement, à établir, de façon rétrospective, si des personnes malades et des non-malades (les témoins), ont été exposés dans des proportions différentes à certains facteurs de risque considérés comme les plus importants.

La méthode des cohortes consiste à suivre, le plus souvent de façon prospective, un échantillon de la population et à calculer le risque de survenue de maladie parmi les personnes suivies, selon qu’elles ont été exposées ou non à un ou plusieurs facteurs de risque.

Le deuxième étape de l’étude correspond à l’estimation de l’exposition des populations au facteur de risque.

La troisième étape correspond à l’introduction d’une relation entre l’exposition et l’effet de celle-ci, à savoir une pathologie particulière et débouche sur l’établissement d’une probabilité de survenue de la maladie.

Figure 1 : Organigramme de la méthode d’estimation de la probabilité de survenue d’une pathologie parmi une population exposée à un risque sanitaire






 

 

 

 

La question des modèles de dispersion et de transmission des radionucléides est une question difficile.

M. Claude Birraux écrivait ainsi, pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans son rapport de décembre 1994 sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires  : " la modélisation est un point particulièrement sensible. En effet rien ne sert de mesurer des activités dans différents milieux si on ne sait pas traduire ces activités en doses reçues par le public. La mesure directe des transferts de radioactivité entre les différents compartiments de l’écosystème est évidemment impossible. On doit se reposer sur des modèles simplifiés représentant ces différentes voies de transfert. "

Le rapporteur de l’Office notait encore qu’il " conviendrait de réfléchir à mettre au point un modèle standard national pour la détermination des transferts dans l’environnement des effluents radioactifs. Aujourd’hui chacun calcule dans son coin, sans que les modèles en question ne soient véritablement accessibles ou tout au moins présentables ".

En 1994, l’OPRI calculait les doses reçues par la population en fonction des données fournies par l’exploitant au moment du dépôt de l’étude préliminaire. EDF de son côté avait mis au point un modèle de transfert d’effluents liquides et un autre modèle de transfert d’effluents gazeux. Enfin, l’IPSN avait adopté la séquence suivante a) définition du groupe critique b) évaluation des transferts atmosphériques et des dépôts c) évaluation des transferts en milieu marin ou en rivière d) transferts à la chaîne alimentaire d) évaluation des doses.

Depuis la date du rapport, la situation a-t-elle évolué dans son appréciation et sa réalité et quels sont les progrès restant à faire ?

2.1. Le rôle des modèles

Dans le domaine de la radioprotection, les modèles ont une fonction essentielle : celle d’estimer l’exposition des groupes critiques.

A partir de la connaissance des rejets des installations nucléaires et de la connaissance que l’on a des mécanismes de dilution, de transport et de concentration des radionucléides, il est possible d’établir un modèle mathématique des mécanismes de transfert physiques et biologiques des radionucléides.

Ces modèles peuvent être validés en comparant leurs résultats intermédiaires avec ceux de mesures faites dans l’environnement sur des variables communes. Une fois leur pertinence démontrée, les modèles peuvent servir à calculer les expositions de groupes de population dits de référence. Le principe de la démarche d’ensemble est indiqué dans la figure ci-après.

Figure 2 : Schéma d’utilisation des modèles en radioprotection





 

 

Au final, il s’agit d’estimer l’exposition externe et interne du public et d’en déduire les doses, puis, en faisant intervenir une relation dose-effet, de conclure en terme de risques.

On voit bien sur la base du diagramme précédent quels sont les points clés de la démarche.

Si les mesures dans l’environnement sont de qualité insuffisante, ce sont tout à la fois les théories sur les transferts qui peuvent erronées et les modèles validés indûment. Par ailleurs, l’identification des groupes critiques peut également être fausse. Enfin on voit aussi que l’ensemble de la démarche est tributaire également du choix des scénarios de style de vie.

2.2. Les difficultés de spécification

Le transfert des radioéléments rejetés en mer ou dans des cours d’eau fait intervenir en premier lieu des facteurs de dilution. Dans le cas des rejets en mer, par exemple, il est fréquent de considérer des valeurs moyennes pour l’intensité des courants, en s’affranchissant des marées. Les facteurs de dilution peuvent d’ailleurs donner lieu à des choix très différents selon les modèles, ainsi dans le cas des rejets de La Hague.

Les sédiments représentent une autre cause d’imprécision. Ils sont en effet considérés comme immobiles mais ce n’est qu’une première approximation. Par ailleurs, la fixation et le relargage des radioéléments sont des mécanismes mal connus, ce qui obère la vraisemblance des résultats à long terme.

Au-delà de la dilution, interviennent des mécanismes de concentration des radionucléides dans les espèces vivantes, qui opèrent cette accumulation selon des ordres de grandeur fondamentalement différents.

La modélisation de l’impact des rejets atmosphériques n’est pas moins délicate. Leur impact sur la santé de l’homme dépend de nombreux paramètres : météorologie, nature du sol, types de cultures, périodes de récolte, transformations agroalimentaires, etc. La détermination des coefficients de transfert atmosphériques est donc particulièrement complexe.

Par ailleurs, il convient de souligner l’étonnant retard dans la mesure des effets de certains radioéléments comme le tritium ou le carbone 14, pourtant responsables de la majeure partie des doses efficaces engagées du fait, respectivement, des effluents liquides et des rejets gazeux.

Cette impasse fut autrefois justifiée par des considérations de priorité dans l’étude des effets des radioéléments dont certains étaient considérés comme beaucoup plus radiotoxiques. En fait, après que les rejets ont considérablement diminué, en valeur absolue et en valeur relative (proportionnellement à la production), il apparaît indispensable aujourd’hui de s’attaquer à l’étude précise des conséquences de ces radioéléments sur la santé publique et l’environnement. L’incorporation de ces radioéléments par les organismes vivants est en effet particulièrement aisée.

2.3. Les impasses méthodologiques

Les modèles souffrent pour le moment de deux limitations essentielles : une finesse d’analyse temporelle insuffisante et une absence de marges d’incertitude.

2.3.1. La finesse d’analyse temporelle

Les termes sources des installations nucléaires pris comme bases des modèles sont les rejets annuels. En conséquence, les estimations des impacts sanitaires sont exprimées en doses efficaces engagées annuelles. Deux difficultés sont entraînées par cet état de fait.

La première provient du fait que les mesures faites dans l’environnement sont des mesures ponctuelles. Il est donc nécessaire d’intégrer les fluctuations pouvant intervenir tout au long de l’année pour obtenir une mesure représentative de l’année considérée. Ces opérations compliquent donc à la fois le calibrage des modèles mais aussi leur vérification par comparaison avec les mesures réelles dans l’environnement.

La deuxième difficulté résulte que par hypothèse, les modèles ne permettent pas de rendre compte des effets des pics de rejets ou des bouffées de radioactivité qui peuvent se produire si la dispersion des rejets gazeux ou des effluents liquides n’est pas réalisée au point de mesure ou de contamination.

Bien que la politique des rejets soit explicitement fondée sur la dispersion la plus forte et la plus rapide possible de ceux-ci, il semble nécessaire qu’à l’avenir, les analyses et les modèles puissent être infra annuels, de manière à améliorer leur précision et à prendre en compte, en particulier, les situations incidentelles voire les accidents eux-mêmes.

2.3.2. Les marges d’incertitude

La deuxième limitation fondamentale des modèles actuels est qu’ils ne s’accompagnent pas, pour la plupart d’entre eux, de calculs d’incertitude. Autrement dit, ils délivrent une valeur moyenne dont on ne connaît pas les marges d’erreur.

Or, les mécanismes décrits sont à la fois nombreux et complexes. On ne peut exclure qu’une erreur relative importante dans la modélisation d’un phénomène ne produise pas d’effet significatif sur les autres compartiments du modèle.

A tout le moins, il semble indispensable que des études de sensibilité soient présentées pour tous les modèles utilisés afin de cerner les ordres de grandeur des dérives qui peuvent se produire dans la représentation de la réalité. Mais ceci ne saurait dispenser de perfectionner les modèles en assortissant leurs résultats, même si c’est une tâche difficile, d’intervalles de confiance.

L’importance de cette question ne saurait être sous-estimée. Il s’agit d’une exigence commune à tous les processus de mesure et de représentation mathématique de la réalité, que l’Office a déjà soulignée. Au demeurant, les scientifiques ne peuvent accorder un quelconque crédit à des résultats non assortis de marges d’incertitude.

Ceci a récemment été souligné par Mme Sené, au nom du GSIEN, dans le rapport du groupe radioécologie Nord-Cotentin, où elle indiquait que " si les cas de leucémies ne peuvent pas être expliqués par une exposition calculée sur la base de rejets eux-mêmes calculés, les grandes incertitudes mises en évidence ne permettent pas de conclure à l’innocuité des rejets réels. Au contraire, ces incertitudes doivent inciter à la plus grande prudence et obliger à limiter les rejets et à continuer les études ".

En tout état de cause, et ne serait-ce que pour cette seule raison, force est de constater que des travaux aussi approfondis et rigoureux que ceux réalisés par un groupe pluraliste d’experts comme le groupe radioécologie Nord-Cotentin, voient leur caractère conclusif sérieusement amoindri par l’actuelle insuffisance technique des modèles.

3. La recherche générale sur les modèles et le soutien aux équipes de recherche

La première conclusion que l’on peut tirer de l’examen des performances et des limites des modèles de radioprotection, est qu’il convient de donner une nouvelle impulsion à la recherche en ce domaine.

3.1. L’approfondissement de la recherche fondamentale

Comme on l’a vu précédemment, chaque opérateur, ou presque, a développé ses propres modèles de transfert dans l’environnement. La confrontation de ces modèles effectuée à propos des rejets dans le département de la Manche par le groupe radioécologie Nord-Cotentin a mis en lumière des divergences sérieuses dans la représentation des mécanismes à l’œuvre dans les sédiments et les organismes marins.

Il ne saurait s’agir d’unifier des approches divergentes mais de faire en sorte que chaque opérateur perfectionne ses propres outils, sur la base de résultats de recherche fondamentale approfondis.

Par ailleurs, il faut aussi admettre qu’au plan théorique, l’un des handicaps les plus forts des modèles, quels que soient leurs domaines d’application, est la difficulté d’assortir leurs résultats de marges d’incertitudes. Certes il est possible, dans la plupart des cas, de définir des intervalles de confiance pour chacun des compartiments du modèle, chacun d’entre eux étant lié à la représentation d’un phénomène physique ou biologique particulier. En revanche, il est plus malaisé de combiner ces erreurs partielles pour aboutir à l’erreur globale du modèle.

Cette limitation est généralement contournée par des études de sensibilité. Celles-ci correspondent au calcul des conséquences sur le résultat final de variations de tel ou tel paramètre. Une telle méthode ne permet généralement pas, cependant, d’aboutir à une appréciation d’ensemble sur la fiabilité du modèle. Il semble en conséquence nécessaire de renforcer les études théoriques et pratiques sur les marges d’incertitude.

Au-delà de l’approfondissement des techniques proprement dites, se pose enfin la question de la diffusion de leur utilisation dans les équipes de recherche, seule gage au demeurant de la progression de leur qualité.

3.2. La diffusion des techniques de modélisation

Au plan général, les techniques de modélisation irriguent, grâce au recours à des ordinateurs personnels toujours plus puissants, un nombre croissant de disciplines scientifiques.

Il n’en demeure pas moins que la charge de l’apprentissage des techniques de la modélisation est souvent reportée sur les étudiants eux-mêmes, en raison d’un nombre croissant de logiciels qui sont disponibles sur le marché et qui offrent des fonctionnalités de base dans ce domaine. Il paraît souhaitable, à cet égard, de renforcer la part donnée à ces disciplines dans l’enseignement supérieur technique et scientifique.

S’agissant du recours aux techniques de modélisation dans les organismes de recherche, plutôt que de proposer la création d’un département spécialisé de modélisation dans des organismes de recherche engagés dans le nucléaire, il paraît préférable d’inciter ceux-ci à mettre en place une unité de formateurs et de les disséminer au sein de chacune des unités de recherche de manière à systématiser l’usage de ces techniques, quelle que soit la discipline concernée. On ne peut en effet parier sur une diffusion spontanée de ces techniques à la manière de l’informatique personnelle car leur mise en œuvre est beaucoup plus complexe que la maîtrise de logiciels de traitement de texte ou de tableurs.

II – L’importance des scénarios

La définition des groupes critiques ou de référence dans l’étude de l’impact des installations nucléaires sur la santé publique et l’environnement, revêt une importance déterminante. Il s’agit en effet de décider, sur la base de critères scientifiques, quelles sont les populations les plus exposées aux rejets et de mesurer leur exposition en fonction de leurs styles de vie.

Pour autant, il ne semble pas exister de méthode de conception de scénarios extrêmes, en réalité les seuls intéressants pour être sûr de borner l’éventail des expositions possibles.

Les travaux du groupe radioécologie ont bien montré que des écarts considérables, d’un facteur 5, peuvent être générés par des choix différents de groupes critiques.

Selon la formule de Mme Sené, les mesures faites dans l’environnement ont été faites pour la surveillance des installations et non pas pour celle des populations.

Il est donc logique que l’on se trouve donc en présence de méthodologies très rudimentaires pour le choix de scénarios. Au demeurant, la principale controverse porte sur le choix de scénarios réalistes ou au contraire de scénarios pessimistes pour le calcul de l’exposition des groupes critiques.

En fait, seul le choix de scénarios pessimistes est compatible avec l’impératif de radioprotection et ne dispense pas de l’approche la plus rigoureuse possible de l’exposition réelle des groupes critiques.

Chapitre 3 : Les questions techniques

I – La réduction des rejets dans l’environnement

La réduction des rejets dans l’environnement constitue le principal défi de l’industrie nucléaire. On ne saurait être moins exigeant avec les installations nucléaires qu’avec les décharges de type I appartenant à la catégorie des installations classées pour la protection de l’environnement où les effluents sont systématiquement récupérés et réintroduits dans la décharge sous forme solide.

L’ensemble des installations nucléaires de base doivent ambitionner de réduire drastiquement leurs rejets et même de tendre vers les rejets " zéro ".

Or les programmes de recherche relatifs à la réduction des rejets sont peu nombreux et insuffisamment dotés en moyens financiers et humains. Cette politique doit être renversée.

A cet égard, les techniques de piégeage du tritium et du carbone 14 ne sont pas encore utilisables à l’échelle industrielle, à des coûts acceptables. Il est donc indispensable que le CEA et Cogema, intéressés au premier chef par la réduction des rejets, définissent et cofinancent un programme de recherche ambitieux, portant à la fois sur les procédés générateurs de tritium et de carbone 14 pour essayer d’en diminuer les inconvénients et sur les techniques de piégeage de ces deux éléments.

L’activité en tritium produite chaque année par un réacteur nucléaire atteint le niveau considérable de 37 000 GBq par an. On estime que le parc électronucléaire français rejette chaque année 0,4 g de tritium dans l’atmosphère et 4 g dans des effluents liquides.

Or, les procédés de détritiation sont coûteux (6 millions de francs) pour une capacité de traitement réduite (300 m3 par heure). Un tel procédé est utilisé à Valduc pour la détritiation d’eaux dont l’activité est comprise entre 74 000 et 7 400 000 GBq. Sa transposition à l’échelle industrielle semble impossible. D’autres voies doivent donc être explorées.

II – Les déchets miniers

Les questions techniques restant à résoudre pour les déchets miniers ne sont pas négligeables.

Ainsi, selon la Direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR) du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, il convient non seulement de renforcer certains sites de stockage mais aussi de mettre en place des techniques pérennes à fonctionnement passif.

1. La nécessité de renforcer certains sites de stockage

Les déchets miniers représentent sans aucun doute un des problèmes les plus importants à traiter dans le domaine des déchets nucléaires.

Les quantités de stériles sont en cause, avec plus 50 millions de tonnes pour lesquels il faut des aménagements de stockage durables.

La durée du problème est également en cause, puisque les périodes des radioéléments présents dans les stériles des minerais d’uranium sont très longues. " Ces déchets sont caractérisés par une durée de vie très longue, gouvernée par la période de 75 000 ans du thorium 230 (...) ".

Le principal risque radiologique est dû à la formation de radon (Rn 222) dans les stériles et à sa migration dans l’air. Un autre risque est celui du transport de radium par l’eau.

Le renforcement des digues des bassins à stériles miniers doit être étudié, par exemple pour les sites de Saint Priest et de Montmassacrot. Des instructions dans ce sens ont heureusement été adressées aux Préfets concernés.

2. La nécessité d’aménagements performants et durables

La composante eau de la pollution entraînée par les résidus de traitement de minerais, est, on l’a vu en première partie, minoritaire par rapport à la composante air. Il n’en demeure pas moins qu’elle doit faire l’objet d’une grande attention, en raison de la diffusion possible de radioéléments dans l’environnement proche et lointain.

Compte tenu des volumes des sites, il paraît difficile de rectifier des aménagements déjà réalisés par des travaux de grande ampleur. En revanche, grâce à une meilleure connaissance des écoulements, le drainage et sa pérennité pourraient être optimisés.

Par ailleurs, le comportement dans le temps des couvertures doit faire l’objet d’une surveillance attentive. L’accroissement de l’imperméabilité des couvertures et la lutte contre la lixiviation sont deux axes de recherche qui s’imposent aux exploitants.

Enfin, il paraît indispensable d’augmenter les performances du traitement des eaux collectée.

Il faut surtout dans tous les cas mettre en place des dispositifs à fonctionnement passif pour toutes les fonctions d’assainissement des éventuels rejets en provenance des sites. Ainsi, le traitement des eaux d’un site comme celui de Bessines doit être automatisé avec des dispositifs passifs et prévu pour être pérenne sur une période de plusieurs centaines d’années.

Comme votre Rapporteur l’a constaté sur place (voir première partie), il reste à imaginer des dispositifs techniques de ce type.

III – Le stockage des déchets de très faible activité

La construction d’un centre de stockage des déchets de très faible activité est une urgence dans notre pays. Néanmoins, de nombreuses incertitudes existent encore, tant en ce qui concerne les volumes que les spécifications d’un tel centre. Les premières ébauches doivent en tout état de cause être confirmées le plus rapidement possible.

1. Les incertitudes sur les spécifications

Les évaluations concernant les volumes de déchets provenant du démantèlement sont naturellement sujettes à des incertitudes très importantes. Les options du démantèlement sont en effet très ouvertes, tant en ce qui concerne le nombre d’installations et en particulier de réacteurs démantelés que pour la date et le degré du démantèlement.

Une deuxième cause d’incertitude est que l’on ignore pour le moment quelles pourraient être les techniques de compactage des déchets TFA. Une part importante de ces déchets sera en effet constituée de gravats, de ferrailles et de calorifuges.

Il paraît d’ailleurs difficile que l’objectif de protection affiché par l’Andra de 0,25 mSv/an soit à portée de main, alors qu’il n’est pas atteint pour le centre de stockage de l’Aube, dont les spécifications techniques (monolithes de béton contenant les fûts de déchets, avec remplissage par du béton) assurent un confinement à plusieurs barrières.

Un autre aspect extrêmement délicat est celui des principes de gestion. Compte tenu des volumes en cause, le colisage qui permet une identification facile ne sera pas possible. Le passage dans les décharges classiques des déchets issus du démantèlement sera relativement aisé. En dehors des conséquences sur la santé publique et l’environnement de tels dérapages, il se produirait une diminution des volumes de déchets de démantèlement dont le résultat serait d’ôter toute perspective de rentabilité aux centres de stockage dédiés. Des méthodes efficaces de traçabilité doivent donc être mises au point.

2. Les améliorations nécessaires du projet

Le projet actuel développé par l’Andra, tel qu’il a été communiqué à votre Rapporteur, pose différentes questions auxquelles des réponses satisfaisantes ne sont pas encore apportées. Parmi les principales interrogations, figure la nature des déchets à entreposés.

Le centre de stockage de déchets TFA prévu devrait recevoir des déchets d’une activité massique faible, comprise entre 1 et 100 Bq/g. La moyenne des activités massiques devrait être de 10 Bq/g. Toutefois, une exception devrait être accordée pour les éléments peu radiotoxiques pour qui la limite de 1000 Bq/g serait appliquée.

En l’occurrence, on ne voit pas ni ce que recouvre la notion de radiotoxicité faible ni quel pourrait être l’intérêt de brouiller un peu plus les frontières entre les différents types de stockage. Les déchets de faible activité à vie courte sont en effet pour l’instant typiquement destinés au centre de stockage de l’Aube.

Par ailleurs, le projet actuel de l’Andra stipule que le centre devrait recevoir des déchets mixtes TFA+chimiques. Cette question doit être étudiée plus avant. Les connaissances actuelles concernant le renforcement mutuel de la radiotoxicité et de la toxicité chimique sont en effet insuffisantes.

Enfin, seraient déposés des déchets industriels banals (DIB) et des déchets industriels spéciaux (DIS), à hauteur de 15 % du total. On peut se demander si une telle tolérance ne banaliserait pas les déchets TFA. En effet, comment interdire par la suite, si on l’accepte une fois pour le projet Andra, que les déchets TFA soient également admis ailleurs dans des décharges de classe 1 ?

Quoi qu’il en soit, le concept de stockage retenu par l’Andra repose sur un confinement à deux barrières. Une géomembrane constituant la première barrière, recouvrirait le fonds, les parois de l’excavation creusée ainsi que la surface du stockage. L’argile du milieu géologique et de la couverture représenterait la deuxième barrière de confinement.

Le centre d’une superficie de 25 ha et d’une capacité de 750 000 tonnes, pourrait être exploité sur une durée de 30 ans. La période de surveillance ne dépasserait pas 30 années supplémentaires. Le centre relèverait de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Selon les prévisions actuelles de l’Andra, le coût total de l’installation serait de 113 millions de francs. Le coût de stockage pour les producteurs de déchets serait de 1 000 F/tonne. En réalité, ce coût devra être recalculé en tenant compte de l’allongement de la durée de surveillance et des servitudes d’Etat attachées au terrain.

Comme pour les installations de stockage des résidus miniers, la banalisation ne semble envisageable que dans la mesure où des dispositifs pérennes seraient mis au point, pour le drainage et la surveillance des eaux.

Mais un autre aspect doit être traité, celui de l’établissement de servitudes au profit de l’Etat.

En premier lieu, il ne semble pas que la durée de 30 années de surveillance soit acceptable, d’autant que le centre prévu devrait se trouver à proximité de l’actuel centre de stockage de l’Aube, qui, lui, fera l’objet d’une surveillance de 300 ans. Il paraît donc important qu’une surveillance prolongée soit rendue obligatoire d’entrée.

Par ailleurs, la loi sur les installations classées pour la protection de l’environnement permet l’instauration de servitudes au profit de l’Etat. De fait, il est indispensable que, dès l’autorisation, soient édictées des restrictions de l’utilisation du sol et des obligations d’entretien des ouvrages de protection et de surveillance.

IV – Les déchets de graphite

Les déchets graphite proviennent d’une part du retraitement des combustibles des centrales UNGG de Chinon, Saint Laurent, Bugey, d’autre part du retraitement du combustible provenant de Vandellos-1 (Espagne) et enfin des empilements de graphite des réacteurs G1, G2 et G3, et des réacteurs de la filière UNGG (Chinon A1-A3, Chinon A2, Saint Laurent A1 et A2, Bugey 1).

Le tableau suivant indique quels sont les tonnages entreposés à Marcoule et les solutions envisagées pour leur stockage.

Tableau 1 : Les déchets graphite du CEA à Marcoule

origine

tonnage

destination

retraitement du combustible des réacteurs UNGG de Chinon, Saint Laurent et Vandellos-1

986,5 tonnes

Centre de stockage de l’Aube (Soulaines-Andra)

démantèlement des piles G1, G2 et G3

3 600 tonnes

nouveau concept de l’Andra pour Soulaines

A ces quantités, il convient de rajouter les quantités de graphite existant dans les centrales UNGG arrêtées.

Tableau 2 : Empilements de graphite des réacteurs UNGG arrêtés

réacteur

masse

activité totale

remarque

Chinon

4 276 éléments graphite

- Atelier des matériaux irradiés

- chemises et poubelles réacteurs

Chinon A1

1 100 tonnes (empilement)

32 000 GBq

Co 60, C14, H3

réacteur UNGG de 80 MWe arrêté en 1973 ; démantelé partiellement au niveau 1 et confiné depuis 1984

Chinon A3

2 500 tonnes

(empilement)

7 800 000 GBq

Co 56, C14, Fe55, H3, Ni63

réacteur UNGG de 500 MWe arrêté en 1990 ; premières opérations de démantèlement engagées en 1997

Chinon A2

1 800 tonnes

(empilement)

130 000 GBq

Co60, C14, H3

réacteur UNGG de 230 MWe arrêté en 1985 ; coeur confiné avec le graphite

Saint Laurent A1

3 400 tonnes

(empilement)

22 000 000 GBq

Co60, C14, Fe55, H3, Ni63

réacteur UNGG de 500 MWe arrêté en 1990 ; démantèlement partiel commencé en 1999

Saint Laurent A2

3 400 tonnes

(empilement)

27 000 000 GBq

Co60, C14, Fe55, H3, Ni63

1930 tonnes

Co60, C14, H3

réacteur UNGG de 435 MWe arrêté en 1992 ; démantèlement partiel au niveau 2 commencé en 1999

Silo de chemises de graphite

Bugey 1

2 600 tonnes

(empilement)

activité non communiquée

réacteur UNGG de 555 MWe, arrêté en 1994 ; en attente de démantèlement

Les empilements de graphite sont considérés comme faisant partie du réacteur. Leur stockage ne devra intervenir que pour le démantèlement complet (niveau 3).

Le stockage des empilements de graphite nécessite de prendre en compte à la fois des volumes importants, des activités massiques très différentes et des radioéléments très différents en termes de durée de vie.

La masse des empilements des réacteurs UNGG électrogènes représente environ 15 000 tonnes. Les activités massiques sont de 29 000 Bq/g pour Chinon A1, 72 222 Bq/g pour Chinon A2, 628 600 Bq/g pour Saint Laurent A1, 3,2 millions de Bq/g pour Chinon A3 et 7,9 millions de Bq/g pour Saint Laurent A2.

En réalité, le confinement de ces matériaux pendant une longue période aplanira une grande partie des difficultés. En effet, les radioéléments que l’on trouve dans ces empilements de graphite sont le cobalt 56 (période : 77 jours), le fer 55 (période : 2,7 années), le cobalt 60 (période : 5,3 années), le tritium (période : 12,3 années), le nickel 63 (période : 100 années), le carbone 14 (période : 5730 années), ainsi que le chlore 36 (période : 300 000 années).

A l’issue de la période correspondant au niveau 2 du démantèlement (libération partielle et conditionnelle du site), dont la durée prévue est de 10 à 200 ans, c’est la radioactivité du carbone 14 qui sera prépondérante. Il s’agira alors de disposer d’un stockage adéquat.

Dans la mesure où le problème se pose pour les matériaux issus du démantèlement des piles G1, G2 et G3, il est indispensable de commencer les études pour un centre de stockage des déchets de graphite et de s’assurer que les entreposages actuels n’ont pas un impact sur la santé et l’environnement.

V – Le stockage des déchets tritiés

La réflexion sur le devenir à moyen terme des déchets tritiés est relativement récente dans notre pays. Un groupe de travail a été constitué en 1996 pour analyser la situation actuelle et avancer quelques pistes pour l’avenir.

1. La situation actuelle : volumes et entreposages

Le tritium se forme par activation et par fission dans les gaines de combustible et dans les circuits de refroidissement des réacteurs à eau pressurisée. Le tritium se rencontre dans les empilements de graphite des anciens réacteurs UNGG, ainsi que sur les grappes de commande des REP. On trouve enfin du tritium dans les déchets technologiques et les déchets de procédé du nucléaire militaire.

Le cas des déchets graphite a été traité précédemment. On doit toutefois reprendre en compte les déchets graphite à propos du tritium, dans la mesure où le graphite adsorbe le tritium et l’eau tritiée. Dans les évaluations en volume, il faut toutefois éviter de les compter deux fois.

La question du tritium est particulière pour la gestion de déchets, non seulement en raison des quantités mais aussi en raison des propriétés particulières de ce radioélément.

Le tritium, isotope radioactif de l’hydrogène qui a une période de 12,3 ans, se désintègre en formant de l’hélium 3 et une particule bêta de faible énergie. Il revêt la forme de dihydrogène gazeux ou se substitue à un atome d’hydrogène dans une molécule d’eau ou dans des molécules organiques. L’une des particularités importantes du tritium est d’être très mobile et donc difficile à confiner dans les colis de déchets.

Sur le plan de la gestion des déchets, on doit distinguer généralement les déchets tritiés liquides des déchets tritiés solides et parmi ceux-ci on disjoint les déchets tritiés purs et les déchets tritiés mixtes.

Le tableau suivant indique quels sont les volumes de principaux types de déchets tritiés en France.

Tableau 3 : Inventaire des déchets tritiés en France en 1997

nature du déchet

forme physique

quantité actuelle

(future)

activité actuelle

(future)

GBq

exutoire envisagé

1. Déchets tritiés purs

déchets tritiés purs du CEA civil et militaire

solide

1295 m3

(1850 m3)

5 200 000

(5 000 000)

stockage dédié

lingots

solide

99 lingots

(5000 t)

4 300

(218 000)

CSA

eau lourde du CEA civil et militaire

liquide

104 m3

(140 m3)

4 030 000

(5 180 000)

filière spécifique

effluents liquides divers (huiles, glycols, mercure)

liquide

3 m3

(9,5 m3)

15 850 000

(131 000 000)

filière spécifique

2. Déchets tritiés contenant d’autres radioéléments

empilements et chemises graphite de EDF et du CEA

solide

23 030 t

(0)

8 300 000

(0)

stockage graphite spécifique

coques et embouts

(déchets B)

solide

2400 fûts

(1800 fûts/an)

15 510 000

(+9 000 000/an)

stockage géologique profond

déchets sodium EDF

solide

26 t

(>> 5000 t)

70 000

(0)

CSA ou stockage géologique

déchets activés de EDF (crayons, déchets B)

solide

0

(> 106 600 000)

0

(7 200 000)

stockage géologique

culots de fusion de Cogema

solide

14,7 t

(4,5 t)

149 000

(45 000)

CSA

solvants chlorés et huiles du CEA de Saclay

liquide

12,3 m3

(0)

40

(0)

CSA

Quelle est la localisation actuelle des déchets tritiés ?

Une partie très limitée des déchets tritiés est envoyée au Centre de stockage de l’Aube, qui a la possibilité d’en accueillir sous forme solide, dans la limite de 4 millions de GBq. Actuellement, seuls treize mille GBq sont consommés. C’est Valduc, comme on l’a vu qui accueille les déchets solides tritiés purs. Quant aux déchets solides tritiés mixtes qui ne satisfont pas aux conditions de l’Andra pour le CSA de Soulaines, ils sont entreposés sur les sites de production d’EDF, du CEA et de Cogema

2. Plusieurs options d’intérêt inégal

Différentes solutions ont été dégagées par le groupe de travail constitué par le ministère chargé de l’industrie. L’utilisation des capacités existantes ou à venir pour d’autres catégories de déchets est en concurrence avec la construction d’un centre de stockage dédié, dont les caractéristiques spécifiques restent à déterminer.

2.1. Le recours au Centre de stockage de l’Aube

La première solution envisagée pour les déchets tritiés solides est le recours, jusqu’à ses limites de capacité, au Centre de stockage de l’Aube. Selon le groupe de travail du ministère chargé de l’industrie, " une meilleure connaissance du contenu des colis de déchets en tritium permettrait le stockage de 635 m3, soit 90 000 000 GBq de déchets tritiés supplémentaires ". Une telle solution nécessite au préalable que, d’une part les méthodes d’analyse du tritium soient performantes, et, d’autre part, que l’impact du stockage de ces déchets sur l’environnement soit évalué avec précision. En tout état de cause, cette solution, à mettre en œuvre avec la plus grande prudence, ne suffit pas à résoudre la question.

2.2. La solution centre d’entreposage et centre TFA

La deuxième solution serait celle d’un entreposage des déchets tritiés le temps que leur activité diminue suffisamment du fait de la décroissance radioactive, pour qu’ils deviennent acceptables dans le Centre de stockage pour déchets de très faible activité (TFA) dont il a été question précédemment. Cette solution imposerait tout à la fois des colis étanches, des installations munies de dispositifs de détritiation et enfin des opérations de manutention coûteuses.

Au demeurant, le coût de construction d’un centre s’élèverait à environ 292 millions de francs pour l’entreposage des seuls déchets tritiés solides et à environ 451 millions de francs pour l’entreposage de déchets solides et d’eau lourde.

2.3. La création d’un centre de stockage dédié

En raison des inconvénients des deux solutions précédentes, c’est la troisième solution d’un centre de stockage spécialement conçu pour les déchets tritiés qui semble devoir être retenue. Toutefois, ses spécifications ne sont pas encore suffisamment précises pour que la construction d’un tel centre s’engage dans l’immédiat.

Le concept actuellement étudié repose sur le stockage dans un ouvrage de cent trente mètres sur cent trente mètres au sol, où les colis de déchets seraient enrobés dans un liant hydraulique, les deux barrières artificielles étant le colis lui-même et le liant. L’impact de ce centre sur un groupe critique vivant à proximité serait inférieur à 1 µSv/an. Le coût d’un tel centre serait de 255 millions de francs.

L’inconvénient majeur de ce projet est qu’il ne résoudrait pas le problème des déchets tritiés contenant d’autres radioéléments.

Ceci aurait pour conséquence qu’il faudrait construire un centre de stockage spécifique pour les empilements de graphite et utiliser le centre de l’Aube peut-être au-delà de ses capacités d’accueil en déchets tritiés.

Il semble donc nécessaire de dégager une solution plus globale, susceptible de résoudre non seulement le problème de la totalité des déchets tritiés purs, liquides ou solides, mais aussi d’autres déchets comme les déchets de graphite et les déchets tritiés mixtes.

VI – Les déchets radifères

Les déchets radifères sont ceux qui contiennent des radionucléides des chaînes de l’uranium et du thorium naturel (uranium 235, uranium 238 et thorium 232), éléments qui présentent des teneurs significatives en radium et produisent du radon par filiation. C’est la présence de radon en tant qu’émanation qui disqualifie ce type de déchets pour le centre de stockage TFA.

Le groupe permanent sur les déchets a commencé la définition d’un centre de stockage spécifiquement adapté aux déchets radifères. L’avant-projet de l’Andra, encore sommaire dans sa conception, appelle différentes remarques.

1. Les premières orientations données par le groupe permanent

Un inventaire prévisionnel a été réalisé. La future installation doit être conçue pour recevoir l’essentiel des déchets radifères actuellement répertoriés ou prévus. Il s’agirait d’un centre pouvant recevoir 100 000 tonnes de déchets de faible activité à vie longue, sur une période de 30 ans.

Les déchets radifères sont principalement constitués d’une part de résidus minéraux issus du traitement des minerais et d’autre part de terres contaminées issues de sites pollués. Quelques objets déclassés comme les paratonnerres, les aiguilles de radium pourraient s’y ajouter.

Les activités massiques devraient répondre aux spécifications indiquées au tableau suivant.

Tableau 4 : Activités massiques du futur centre de stockage des déchets radifères

1. Limite moyenne sur l’ensemble du stockage : 3700 Bq/g en activité totale.

2. Limite maximale par colis : 37 000 Bq/g en activité totale.

 

2. L’avant-projet de l’Andra

Les déchets éligibles pour un tel centre proviendront pour un tiers de l’industrie chimique minérale et en particulier de l’industrie des terres rares, avec l’ancienne production de Rhône Poulenc Terres rares à La Rochelle reprise par Rhodia. Le deuxième tiers proviendrait de la réhabilitation de sites contaminés du CEA et serait constitué de terres polluées. Le troisième tiers correspondrait, pour moitié à des déchets provenant des activités de chimie minérale de Cézus Chimie et pour moitié de la reprise de stocks de l’Andra en déchets de réhabilitation de sites et en objets radioactifs déclassés.

Comme pour les déchets TFA, la solution retenue est celle de fosses creusées profondément dans l’argile et recouvertes d’une couverture du même matériau. A préalable à leur stockage, les déchets seraient insolubilisés.

Le centre dédié aux déchets radifères aurait une superficie de 50 ha, le double de la superficie du centre TFA. Il serait exploité pendant 20 à 30 ans, avec une période de surveillance de 100 années, au moins.

Placé sous le régime juridique des installations nucléaires de base (INB), au contraire du centre de déchets TFA soumis à la réglementation des ICPE, et, constitué d’alvéoles en sub-surface à plus grande profondeur que celles aménagées pour les TFA, le centre de stockage pour les déchets radifères aurait un coût de construction d’environ 3 fois supérieur à celui des déchets TFA, le coût de stockage étant d’environ 7 000 F / tonne contre 1 000 F pour ces derniers (non révisé).

VII – Les déchets de faible et moyenne activité à vie longue et les déchets de haute activité

Après avoir largement inspiré la loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs, l’Office parlementaire d’évaluation de choix scientifiques et technologiques a suivi avec attention les recherches conduites dans ce domaine, avec les rapports de M. Claude Birraux sur le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, de M. Jean-Yves Le Déaut sur les déchets de très faible radioactivité, de M. Christian Bataille sur la recherche sur les déchets civils et militaires et de MM. Robert Galley et Christian Bataille sur l’aval du cycle nucléaire.

A ces réflexions, il faut bien sûr ajouter les travaux de la Commission nationale d’évaluation, qui a présenté à l’Office son 5ème rapport le 29 juin 1999.

Le CEA et l’Andra principalement approfondissent actuellement les trois axes de recherche de la loi de 1991.

Tableau 5 : Les trois axes de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs

Axe 1 : " La recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans ces déchets "

Axe 2 : " L’étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes, notamment grâce à la réalisation de laboratoires souterrains "

Axe 3 : " L’étude de procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface de ces déchets "

Les dépenses de recherche relatives aux trois axes de la loi du 30 décembre 1991 ont été estimées à 1,167 milliard de francs par MM. Christian Bataille et Robert Galley, dans leur rapport sur les coûts de production de l’électricité.

Tableau 6 : Dépenses de recherche correspondant aux trois axes de la loi du 30 décembre 1991, en 1998

millions de francs

CEA

EDF

Cogema

Andra

Autres (CNRS)

total

Axe 1

359,0

10,0

6,5

0

43,0

Axe 2

113,0

0

0

320,0

0

,0

Axe 3

298,0

12,5

5,0

0

0

Total

320,0

43,0

,0

 

Les dépenses de R & D pour les trois axes étaient ainsi comparables en 1998. Dans l’esprit de la loi, il n’y a pas lieu d’en remettre en cause la répartition.

Par ailleurs, alors que les différents types d’entreposage ou de stockage sont en cours de définition, il est encore trop tôt pour déterminer l’impact radiologique de chacun d’entre eux. Les questions de méthodes soulevées par la Commission nationale d’évaluation, en particulier pour la modélisation des transferts des radioéléments, revêtent une grande importance.

A cet égard, la question des conditionnements est critique. Les émetteurs alpha présents dans les déchets de moyenne ou haute activité à vie longue peuvent en effet dégrader à la fois les bitumes et les bétons, notamment dans ce dernier cas s’ils sont au voisinage de la paroi des colis.

La vitrification est considérée comme optimale à la fois en ce qui concerne la durée de rétention des radioéléments et la maîtrise du procédé industriel. Son coût risque toutefois de ne pas la qualifier pour les déchets B, qui sont pourtant en attente d’un conditionnement satisfaisant, sans parler d’un exutoire.

Au demeurant, il serait vraisemblablement utile de mettre à l’étude la réalisation d’un entreposage centralisé des déchets de moyenne activité à vie longue. Ceux-ci sont entreposés principalement à La Hague, Marcoule et Cadarache. La multiplication des sites multiplie les coûts d’investissement et d’exploitation. A l’inverse, la configuration actuelle est acceptée localement, alors que la centralisation des déchets poserait la question de l’acceptation d’un nouveau centre d’entreposage.

Quoi qu’il en soit, les différentes solutions que la recherche dégagera à l’avenir devront non seulement être comparées entre elles, au plan économique comme au plan de leur impact sur la santé. Elles devront également l’être par rapport à la situation actuelle, dont on a vu à plusieurs reprises qu’elle ne pouvait être considérée comme optimale.

VIII – Les enseignements de l’approche américaine de la question des déchets

1. Les forces en présence

Le contrôle des activités nucléaires aux Etats-Unis revient nominalement à trois institutions, la " Nuclear Regulatory Commission " (NRC), l’agence de protection de l’environnement " Environmental Protection Agency " (EPA) et le Département de l’énergie " Department of Energy " (DOE). L’équilibre entre ces trois pôles est influencé par le Président et par le Congrès surtout, à travers ses pouvoirs budgétaires.

1.1. Les différents centres de décision

L'EPA qui constitue l'équivalent du ministère de l'environnement dans d'autres pays, a en charge l'établissement des normes nationales de radioprotection. La NRC est, quant à elle, spécifiquement responsable de la radioprotection lors d'utilisations particulières ou bien sur des sites comme les réacteurs, les mines d'uranium ou les laboratoires médicaux.

La NRC fixe les normes destinées à l'industrie et au monde du travail. L'EPA, quant à elle, a en charge la normalisation nationale générale. La plupart du temps, la NRC approuve ou avalise les normes ou directives émanant d'une autre agence fédérale. Le Département de l’énergie, responsable du nucléaire militaire, s’autocontrôle, dans le cadre toutefois des normes générales fixées par l’EPA, mais devrait faire de plus en plus appel aux services de la NRC.

Pour l’année fiscale 2000, le budget du DOE pour le programme des déchets nucléaires civils est porté à 502,5 millions de dollars, dont 360 millions de crédits budgétaires et 242,5 millions apportés par le fonds des déchets nucléaires à quoi il faut ajouter une contribution de 122 millions de dollars du DOE.

Le budget de la NRC pour l’année fiscale 2000 est de 465 millions de dollars.

1.2. La controverse sur les normes

Actuellement, l'EPA et la NRC sont en désaccord sur un problème touchant à la réhabilitation des sites. Le degré ainsi que la méthode de protection à adopter sur ces sites qui ne sont plus couvert par une licence d'exploitation ou qui ont été assainis ou vont l'être fait l’objet de controverses.

Quel est le niveau de protection adéquat pour de tels sites ? Il y a plusieurs années, l'EPA et la NRC s'étaient mises d'accord sur une norme nationale de radioprotection unique fixée à 1 mSv pour le public. Or l'EPA propose maintenant de différencier la norme pour imposer des seuils plus rigoureux, selon une méthodologie avec laquelle la NRC est en désaccord. Ainsi l'EPA propose un seuil de 0,15 mSv, auquel s'ajouterait une norme spécifique pour l'eau potable.

Autre controverse entre la NRC et l’EPA, la question des normes. Ainsi, la NRC est en faveur d’une norme unique de doses, parce qu’une telle norme permet d’affirmer que telle est la limite en matière d’effets nocifs sur les organismes vivants. L’EPA raisonne, elle, sur des concentrations qui n’ont pas de lien direct en rapport avec les doses.

S’agissant des déchets de haute activité, la NRC soutient le principe d’un entreposage centralisé et de sites de stockage profond. La NRC se prépare à étudier la qualification du site de stockage profond de Yucca Mountain, y compris les recommandations spécifiques à y faire en matière de radioprotection. La NRC sera prête à engager le processus d’autorisation du site de Yucca Mountain si la décision de l’ouvrir est prise. La NRC est par ailleurs en train de définir ses prescriptions concernant les emballages d’entreposage à sec et les emballages servant à la fois au transport et à l’entreposage.

Le Gouvernement envisage d’étendre les compétences de la NRC à un certain nombre d’installations existantes du DOE. La NRC a lancé des projets pilotes sur trois de ces installations. La NRC a accepté la responsabilité d’une telle surveillance sur les installations que le DOE aura désignées. Depuis 1997, le Congrès américain impose que toute nouvelle installation nucléaire du DOE soit conforme aux prescriptions de qualification de la NRC, à partir de l’an 2000.

2. L’assainissement et le démantèlement à Hanford

L’assainissement et le démantèlement du site du Département de l’énergie à Hanford dans l’état de Washington, constituent l’un des défis technologiques majeurs du nucléaire américain.

Parallèlement au démantèlement des neuf réacteurs plutonigènes et des six usines de retraitement implantés sur le site, il s’agit de reprendre des quantités très importantes de déchets de haute activité liquides ou solidifiés dans des réservoirs souterrains et d’assainir des terrains contaminés sur des superficies très importantes.

Au demeurant, la rivière Columbia qui borde le site, dessert en aval des zones agricoles et une population nombreuse dans les deux comtés de Benton et Franklin (cent cinquante mille habitants), ce qui introduit une obligation de performance très forte.

2.1. Le démantèlement et la reprise de déchets de haute activité

Avec ses 1450 km2, le site de Hanford, dans le sud-est de l’Etat de Washington, fut choisi en 1943 par le DOE pour son isolement, la présence d’une voie ferrée, le passage de la rivière Columbia et la disposition de matériaux de construction à proximité. Le site de Hanford fut, au plus fort de la guerre froide, le premier centre mondial de fabrication du plutonium, avec un total de 73 tonnes représentant 60 % des besoins du ministère de la défense. Hanford possède ainsi tout un éventail d’installations nucléaires : neuf réacteurs plutonigènes, six usines de traitement dont deux pour le retraitement du combustible irradié, avec leur cortège d’installations de stockage en piscines, en cuves, en aires bétonnées ou de zones contaminées par des déchets enfouis ou des liquides radioactifs déversés à même le sol.

Plus de deux mille tonnes de combustibles irradiés se trouvent dans les deux piscines dites " K Basins " de Hanford. Les piscines présentent des fuites et certains assemblages sont corrodés. A la fin 2003, l’ensemble des combustibles devront être extraits des piscines, conditionnées et entreposées à sec, sur le site, en attendant leur éventuelle évacuation vers Yucca Mountain. En 2007, les piscines devront elles-mêmes être démantelées. Le site de Hanford accueille également 11 réacteurs embarqués provenant de sous-marins nucléaires démantelés.

Des quantités importantes de déchets liquides de haute activité sont accumulées à Hanford, provenant principalement du retraitement des combustibles pratiqué pour extraire le plutonium militaire. Leur volume s’élève à 118 800  m3 de solutions prises en masse et à 88 460 m3 de solutions stockées dans 177 réservoirs souterrains à simple ou double paroi, dont certains sont fuyards. La vitrification de ces déchets programmée sur 20 ans, compte tenu de sa complexité, constitue un marché de 7 milliards de dollars, remporté par l’entreprise britannique BNFL.

Une usine de tri et de conditionnement, le " Waste Receiving and Processing Facility " a été construite sur le site, afin d’identifier les colis de déchets transuraniens suspects, de certifier les colis éligibles pour le WIPP ou les dépôts de surface, et de conditionner les déchets mixtes (radioactifs et chimiques) pouvant être stockés dans des décharges industrielles.

Le site de Hanford comprend un site d’entreposage intitulé " Central Waste Complex " pour les déchets de faible activité et les déchets mixtes (chimiques et transuraniens) générés par les opérations d’assainissement en cours et conditionnés sur le site. Ailleurs, une immense fosse aux parois revêtues de membranes étanches reçoit les terres contaminées et les autres déchets de faible activité issus du démantèlement (" Environmental Restoration Disposal Facility - ERDF").

2.2. Un impact potentiel important sur la santé publique et l’environnement

L’impact radiologique du site et des opérations sur le site est calculé chaque année. En 1997, la dose moyenne ajoutée pour la population la plus exposée était de 0,1 µSv par an. Un tel calcul rend compte du risque dans la configuration momentané des causes d’exposition. En revanche, les menaces d’une aggravation de la pollution et donc de l’exposition obligent à un assainissement en profondeur du site.

La pratique de rejets directs dans le sol a eu cours pendant plus de quarante ans à Hanford. En 1987, les rejets de ce type encore pratiqués à Hanford atteignaient un volume total de 23 millions de m3 répartis en 33 conduites. Dix ans plus tard, le volume rejeté était réduit d’un facteur 10 et depuis peu, près de la moitié des effluents sont traités avant évacuation.

Pour assainir les terrains pollués, plus d’un million de tonnes de terre contaminée ont été raclées, transportées et stockées dans la fosse aménagée dite ERDF. Au minimum, le même travail reste à faire sur d’autres zones du site.

Les rejets dans le sol ont non seulement entraîné la contamination de ceux-ci mais aussi celle de la nappe phréatique.

Tableau 7 : Activités mesurées dans la nappe phréatique de Hanford

 

limite d’activité de l’eau potable

(Bq/l)

limite dérivée

(Bq/l)

observations

(Bq/l)

tritium H3

740

74 000

15 540

iode 129

0,037

18,5

0,67

technétium 99

33,3

 

76,96

uranium

20 µg/l

790 µg/l

2 870 µg/l

strontium 90

0,296

37

925

césium 137

7,4

111

83,25

cobalt 60

3,7

185

6,14

plutonium

0,044

1,11

2,48

La pollution de la nappe risquant de s’étendre à la rivière Columbia, des pompages importants suivis d’un traitement des eaux sont régulièrement effectués, avec pour seul résultat de stabiliser les activités de la nappe phréatique.

2.3. Un effort budgétaire très important

Le programme d’assainissement de l’ensemble des sites nucléaires de la Défense bénéficie, pour l’année fiscale 2000, de crédits budgétaires d’un montant de 4,5 milliards de dollars, en hausse de 241 millions par rapport aux crédits de l’année précédente.

Le site de Hanford absorbe à lui seul 35,6 % du budget total, soit 1,6 milliard de dollars en 1999 consacrés à l’assainissement, une activité qui emploie près de 10 000 personnes.

Les dépenses faites à Hanford, depuis l’arrêt en 1989 de la production de plutonium jusqu’à la remise à disposition du public d’une grande partie du site, devraient totaliser 50 milliards de dollars.

3. Les enseignements du WIPP pour les déchets contenant du plutonium

Le " Waste Isolation Pilot Plant " (WIPP), site de stockage pour les déchets transuraniens, est entré en service en mars 1999. Comme tel, il constitue le premier site géologique profond au monde à accueillir des déchets radioactifs. Ce centre de stockage prend en charge des déchets de faible activité à vie longue, contenant principalement des traces de plutonium.

Situé à 650 m sous terre, dans une couche de sel d’une épaisseur de 1000 m, le WIPP est un exemple de stockage irréversible qui a sa cohérence mais ne peut, semble-t-il, être généralisé à d’autres types de déchets.

3.1. Un processus long de 19 ans mais couronné de succès

En 1955, à la demande du Gouvernement fédéral américain, l’Académie nationale des sciences étudie les conditions de sûreté d’un stockage de déchets radioactifs et recommande en 1957 les formations salines situées dans des couches géologiques profondes. Le Gouvernement fédéral américain commence sa recherche de sites adéquats dans les années soixante, identifie un site favorable dans le Kansas et un autre dans le Nouveau-Mexique. Le site de Carlsbad au sud-est de l’Etat du Nouveau Mexique est finalement retenu.

En 1979, dans une loi relative à la défense nationale, le Congrès des Etats-Unis autorise la construction du WIPP (" Waste Isolation Pilot Plant ") à 26 miles à l’est de Carlsbad, en vue du stockage des seuls déchets technologiques contaminés par des radioéléments transuraniens provenant des programmes militaires.

Une des caractéristiques du processus de construction du WIPP est la coopération étroite, dès le départ, entre l’Etat du Nouveau-Mexique et le Département de l’énergie. Ce dernier, maître d’ouvrage du projet, s’engagea immédiatement à respecter, non seulement les lois fédérales, mais aussi les lois de l’Etat, en particulier dans le domaine de l’environnement.

L’autre caractéristique du projet est le rôle important dévolu à l’agence de protection de l’environnement (EPA). La loi de 1992, transférant la propriété des terrains au DOE, stipule aussi que l’EPA est l’autorité chargée de vérifier la conformité du WIPP avec ses propres normes de sûreté et de protection de l’environnement. En 1997, le DOE soumet sa demande de certification à l’EPA. Le Secrétaire à l’énergie peut notifier au Congrès le démarrage de l’installation en mai 1998. Une fois épuisées les différentes voies de recours formées par différentes associations, le premier chargement de déchets transuraniens arrive finalement en mars 1999.

Le WIPP est un ensemble de galeries, creusées dans le sel, à 650 mètres sous terre pour stocker les conteneurs de déchets. Ces galeries se referment spontanément par fluage, trois à cinq années après leur forage. Les fûts contenant les déchets technologiques contaminés principalement par des traces de plutonium (vêtements, gants, chiffons, outils, etc.) sont ainsi encapsulés dans un milieu où les circulations d’eau sont inexistantes. La capacité du WIPP est de l’ordre de 200 000 m3 de déchets transuraniens purs ou de déchets mixtes (radioactifs et chimiques). La gestion et l’exploitation du WIPP sont sous-traitées par le DOE à une filiale de Westinghouse. Ce centre devrait être opérationnel pendant 35 ans, sous un régime d’autorisations de 5 ans renouvelables.

En définitive, les dépenses d’étude et de construction du WIPP s’élèvent à 2 milliards de dollars. La mise en œuvre industrielle, jusqu’à la surveillance pendant 100 années du site une fois fermé, devrait représenter une dépense additionnelle de 7 milliards de dollars.

Il est prévu que le WIPP accueille les déchets militaires faiblement contaminés provenant de centres du DOE situés dans tout le pays.

3.2. Des limites clairement définies qui empêchent toute extension à d’autres types de déchets

Le WIPP a pour fonction de résoudre le problème des déchets technologiques de faible activité produits dans le cadre du programme nucléaire de défense des Etats-Unis. Jusqu’en 1970, les déchets de ce type étaient enfouis dans le sol, autour des centres de recherche et de fabrication. On estime que les volumes correspondants, en comprenant la terre contaminée, représentent 1 million de m3. Ces déchets ne seront pas repris : il faudrait 5 ou 6 WIPP pour les stocker.

En revanche, depuis 1970, les déchets dits TRU (transuraniens) sont conditionnés et entreposés sur les différents sites du Département de l’énergie. A la fin octobre 1997, ils représentaient environ 140 000 m3 et 650 000 fûts.

Le WIPP a donc tout juste la capacité de stocker les déchets TRU produits dans le passé ou générés dans les 35 années à venir.

Au surplus, sa capacité à reprendre l’importante catégorie des déchets mixtes est encore en suspens.

Les autorisations actuelles ne valent que pour la catégorie des déchets TRU. Il s’agit de déchets dont l’activité en transuraniens, principalement en plutonium, est supérieure à 3700 Bq/g. En dessous de cette limite, les déchets sont en effet considérés comme des déchets LLW (" Low Level Waste ").

Le DOE souhaite par ailleurs pouvoir stocker des déchets dits mixtes, contenant non seulement des radioéléments mais également des toxiques chimiques. Selon la procédure définie par le " Resource Conservation and Recovery Act " (RCRA), c’est l’Etat du Nouveau-Mexique qui doit en autoriser le stockage.

Une loi adoptée par le Congrès et promulguée par le Président Clinton en septembre 1996 avait spécifié que les dispositions du RCRA relatives à la non-migration des éléments toxiques ne s’appliquaient pas aux déchets du WIPP, justiciables d’une réglementation spéciale.

La décision de l’Etat du Nouveau-Mexique sur les déchets mixtes se fait encore attendre, probablement en réponse à ce qui a été considéré comme un acte d’autorité du pouvoir fédéral, contraire à la coopération habituelle entre le DOE et les autorités locales.

Quoi qu’il en soit, le WIPP ne devrait accueillir aucun autre type de déchets que les déchets TRU et les déchets mixtes. Les déchets civils sont explicitement exclus des autorisations actuelles.

La question des déchets de haute activité issus du retraitement des combustibles à des fins militaires demeure sans solution pour le moment. Or, la reprise des solutions de haute activité présentes par exemple à Hanford devrait se traduire par la fabrication de verres du type de ceux produits par Cogema à La Hague. Quel sera leur lieu de stockage ?

Le site de Yucca Mountain leur est en principe ouvert. Si le projet de Yucca Mountain était abandonné, la pression serait alors forte pour que le WIPP reçoive également les verres issus du programme de défense.

4. Yucca Mountain pour la sub-surface ou la difficile preuve de la sûreté à très long terme

Le site de Yucca Mountain est la pièce maîtresse du plan gouvernemental pour la gestion des déchets de haute activité et des combustibles irradiés.

Selon les plans initiaux, le centre devait entrer en fonctionnement en janvier 1998. En réalité, aucune décision d’adoption ou de rejet du projet ne sera prise avant 2001. Si la décision est positive, la mise en service interviendra au plus tôt en 2010.

Le projet de Yucca Mountain, au-delà de ses spécificités américaines, illustre la difficulté, sinon l’impossibilité, de démontrer la sûreté à très long terme d’un dispositif de stockage.

4.1. Un projet dispendieux et interminable

La loi fondamentale relative aux déchets radioactifs de haute activité intitulée " Nuclear Waste Policy Act " date de 1982. Cette loi indique que la responsabilité de la gestion de ces matières radioactives incombe aux exploitants nucléaires mais que le Département de l’Energie (" Department of Energy – DOE ") a la responsabilité de mettre en place pour le 31 janvier 1998 deux centres de stockage définitifs pour les déchets hautement radioactifs et les combustibles irradiés et de contracter à cet effet avec les exploitants nucléaires. Neuf sites sont présélectionnés et trois mis en balance : Deaf Smith County, Texas (sel) ; Hanford, Washington (basalte) et Yucca Mountain, Nevada (tuff).

La loi de 1982 établit en outre une taxe sur les compagnies d’électricité recourant au nucléaire pour financer les études et la construction des centres de stockage.

La loi de 1982 assigne enfin à l’agence de protection de l’environnement (" Environmental Protection Agency ") la tâche d’édicter des normes de rejet relatives au stockage de matières radioactives. La NRC, quant à elle, est responsable de l’élaboration, en accord avec ces normes, de la réglementation technique et des critères de décision pour la construction, l’exploitation et la fermeture des centres de stockage.

En 1987, une loi complémentaire, intitulée " Nuclear Waste Policy Amendments Act ", retint le seul site de Yucca Mountain. Elle crée d’autre part un comité scientifique, le " Nuclear Waste Technical Review Board ", nommé par le Président, pour conseiller le Secrétaire à l’énergie et le Congrès sur les enjeux scientifiques de la question des déchets hautement radioactifs.

En 1992, la loi sur l’énergie (" Energy Policy Act ") fait intervenir l’Académie nationale des Sciences comme source d’information et de recommandation pour l’EPA. Elle permet également à la NRC d’adopter des réglementations techniques pour Yucca Mountain, sans attendre les normes de l’EPA, quitte à les rendre compatibles ultérieurement avec ces dernières.

Le site de Yucca Mountain est situé à 160 km au nord ouest de Las Vegas dans le Nevada, à proximité du site d’essais nucléaires américains " Nevada Test Site ". Le projet consiste à creuser dans un épaulement rocheux de tuff des galeries accessibles par un tunnel horizontal et à y placer des châteaux de stockage de combustibles irradiés militaires ou civils ou de déchets hautement radioactifs sous forme solide. Ces galeries se trouvent à 300 mètres en dessous du sommet de la montagne, et à 300 mètres au-dessus de la nappe phréatique locale. Le centre devrait accueillir 70 000 tonnes de combustibles civils irradiés et de déchets hautement radioactifs militaires.

Le coût total du centre de Yucca Mountain est estimé à plus de 42 milliards de dollars, incluant les études réalisées à la mi-1999 (5,9 milliards de dollars), les études additionnelles (1,1 milliard de dollars), la construction, l’exploitation, le démantèlement et la surveillance sur 100 ans (18,7 milliards de dollars) ainsi que les dépenses annexes notamment de transport (16,8 milliards).

Pour autant, le processus non seulement a accumulé les retards, mais ne semble pas près de voir le jour.

D’ici à la fin 2000, le DOE doit en effet perfectionner la conception du site, améliorer la compréhension des phénomènes de migration des radioéléments et réaliser l’étude d’impact. Avant de faire une recommandation au Président, le Secrétaire à l’énergie doit étudier le dossier, notamment l’étude d’impact sur l’environnement, prendre en compte les positions des tribus indiennes et des Etats concernés ainsi que les recommandations de la NRC.

On s’attend que le Secrétaire à l’énergie ne fasse pas connaître sa recommandation au Président avant la fin 2001. Le Président pourra ensuite décider de recommander à son tour le site au Congrès, celui-ci devant éventuellement lever l’hypothèque d’un refus de l’Etat du Nevada (gouverneur et législature).

La demande d’autorisation de construction ne devrait pas intervenir avant 2002 et le centre devenir opérationnel avant 2010, selon les prévisions mêmes du DOE lui-même.

Or, ce retard d’au moins douze années dans la mise en service du centre entraîne une saturation des piscines de stockage des centrales nucléaires et le recours à une solution d’entreposage imprévue en surface qui ne saurait perdurer.

4.2. Des besoins urgents en capacités d’entreposage

Actuellement, 37 000 tonnes de combustibles irradiés sont entreposées à proximité des quelques 110 réacteurs nucléaires américains. Sur ce total, 1480 tonnes soit 4 % ne sont pas entreposées en piscine mais à sec dans des châteaux en béton posés sur le sol, dans l’enceinte des centrales. C’est en 1986 que la NRC a autorisé cette pratique pour les exploitants ayant atteint la limite de leurs capacités de stockage en piscine.

En réalité, les centrales américaines seront, dans un proche avenir, de plus en plus nombreuses à ne plus pouvoir entreposer sur place la totalité des combustibles en réacteur, ce qu’exige pourtant la réglementation. Elles étaient 4 dans ce cas au début 1999, seront 8 à la fin 1999 et 31 en 2004.

Pour éviter la multiplication des entreposages à sec, de multiples projets ont été présentés, certains sous la forme de propositions de loi.

L’une des principales propositions consiste en la création pure et simple d’un site intérimaire d’entreposage. Une autre proposition consiste à permettre au DOE d’entreposer les combustibles usés à proximité de Yucca Mountain, sur le site d’essais nucléaires du Nevada, pour celles des compagnies d’électricité qui auraient renoncé à poursuivre le DOE pour son incapacité à reprendre les assemblages combustibles à partir de la fin décembre 1998.

Dans une autre proposition de loi de juin 1999 qui élargit audacieusement le champ des solutions, le sénateur Pete Domenici (Républicain-Nouveau-Mexique) soumet la création d’un Office de recherche sur les combustibles usés (" Office of Nuclear Spent Fuel Research "), dont la mission serait d’étudier le retraitement, le recyclage et le stockage des combustibles nucléaires irradiés. Compte tenu de l’impasse actuelle, cette proposition ne craint pas de remettre en cause l’interdiction du retraitement édictée par le Président Carter en 1977 au motif de lutter contre la prolifération.

L’administration Clinton semble en réalité s’accommoder de l’impasse actuelle. En tout état de cause, elle refuse la construction de tout site d’entreposage de combustibles usés, avant que le DOE ait pu faire la preuve de l’intérêt du site de stockage définitif de Yucca Mountain. Le Président mettrait son veto à toute loi adoptée par le Congrès à ce sujet. La raison officielle en est que la mise en chantier d’un site d’entreposage risquerait de diminuer les ressources financières allouées au projet jugé prioritaire de Yucca Mountain.

Deux sénateurs ont proposé en juin 1999, un compromis. Le site de Yucca serait autorisé à accueillir en surface des combustibles irradiés dès que la NRC aurait autorisé la construction du centre de stockage, c’est-à-dire début 2007. A la date de préparation de ce rapport, il est bien entendu trop tôt pour savoir si une solution d’ensemble sera finalement trouvée pour un entreposage intérimaire national et performant au plan de la sûreté.

4.3. La fixation des normes

Le débat sur la fixation des normes en matière de radioprotection pour Yucca Mountain recoupe les réflexions menées en France sur l’organisation du contrôle de la sûreté. Qui doit fixer les normes : l’administration, en l’occurrence l’EPA, ou une autorité administrative indépendante, en l’occurrence la NRC ?

La majorité des parlementaires républicains considère l’EPA comme une agence qui " politise tous les problèmes ". Des parlementaires comme le sénateur Murkowski, considèrent qu’il n’est pas bon de confier la fixation des normes à un organisme dont les dirigeants sont nommés par le pouvoir politique, dans le cadre du " spoil system ". Au contraire, la NRC, en tant qu’organisme " indépendant " et " bipartisan ", apparaît aux Républicains comme plus même de prendre des décisions " impartiales ".

De fait, l’EPA entend faire respecter une norme très rigoureuse pour les eaux souterraines de Yucca Mountain, à savoir que l’équivalent de dose ajoutée ne devrait pas dépasser 4 mRem par an, soit 0,04 mSv par an. Certains experts, dont ceux de la NRC, estiment que la norme devrait être fixée à 0,25 mSv/an pour l’impact total du site.

4.4. Les difficultés de la preuve

Une étude récente conduite par un géologue russe, membre de l’Académie des Sciences de son pays, a soulevé une nouvelle difficulté, propre à disqualifier le site de Yucca Mountain. Des remontées d’eau à haute température se sont produites il y a quelques centaines de milliers d’années. Si elles reprenaient pour une raison ou pour une autre, elles compromettraient la sûreté du site en facilitant la dégradation des conteneurs et la migration subséquente de radioéléments.

D’après cette étude de Yuri Dublyansky, commanditée par un institut indépendant, les anomalies de structure dans des cristaux de calcite trouvés dans les couches supérieures de la montagne proviendraient d’une exposition à des températures élevées. Celles-ci ne pourraient résulter que d’une activité hydrothermale, qu’il s’agit désormais de dater. D’où la nécessité de nouvelles études, qui vont être conduites par l’Université de Las Vegas et par le US Geological Survey.

Cette nouvelle interrogation sur la sûreté du site suscitée par une étude indépendante n’est qu’un exemple des centaines de questions auxquels les responsables du projet doivent répondre. En tout état de cause, elle ne fait que s’ajouter à des critiques plus officielles, qui soulignent elles aussi les incertitudes actuelles.

Selon le NWTRB (" Nuclear Waste Technical Review Board "), il faudrait étudier d’autres organisations pour les galeries et les tunnels, et en particulier un aménagement permettant une température ambiante de 100°C au lieu des 200 à 300 °C prévus actuellement au voisinage des châteaux contenant les combustibles. Les roches de Yucca Mountain constituent en effet un milieu oxydant. Une température élevée provoquerait des phénomènes d’évaporation et de condensation risquant d’altérer la tenue à long terme des revêtements, qui doivent eux aussi être réexaminés.

Enfin, la NRC a également signalé en juin 1999 les insuffisances de l’étude de faisabilité de 1998 du DOE. Globalement, la NRC reproche au DOE de compter trop sur l’efficacité des barrières ouvragées (gainage des combustibles, château de stockage, matériau de comblement des galeries) pour assurer le confinement des radioéléments et de ne pas étudier suffisamment en détail les liens entre les barrières ouvragées et les barrières naturelles.

En outre, l’imprécision des caractéristiques des galeries empêche tout diagnostic sérieux sur la sûreté du stockage, de même que l’absence de prise en compte de l’environnement éloigné (20 km autour de site). Enfin, la NRC estime qu’il est nécessaire de reprendre l’étude des risques d’éruption volcanique dans la zone. La liste suivante présente les points techniques clé sur lesquels la NRC exige des réponses convaincantes :

• la définition complète du projet

• l’intégration totale des sous-systèmes du projet en vue de l’évaluation de sa sûreté

• les risques d’incendie

• la connaissance des écoulements d’eau et de vapeur d’eau

• les effets de la température sur les écoulements

• l’impact du site sur l’environnement proche

• la sismicité et les autres causes de déformation structurelle

• la durée de vie des châteaux et le terme source

• la migration des radionucléides

• l’architecture du centre de stockage et ses conséquences thermo-mécaniques

En définitive, malgré les 5,9 milliards de dollars dépensés pour le projet de Yucca Mountain jusqu’à la mi 1999, les incertitudes demeurent nombreuses. Il est vrai que l’horizon de la preuve est de quelques dizaines de milliers d’années.

4.5. Les difficultés de l’irréversibilité

Si le projet de Yucca Mountain semble séduisant en première approche, il met aussi en évidence les inconvénients majeurs de l’irréversibilité.

Plusieurs solutions existent pour l’entreposage ou le stockage des déchets radioactifs en sub-surface. Le projet de Yucca Mountain avec ses galeries creusées à flanc de colline et accessibles par un ou deux tunnels horizontaux semble présenter de nombreux avantages.

Les techniques de génie civil correspondantes sont à la fois bien connues et relativement peu onéreuses. La tenue des galeries et des châteaux d’entreposage semble durable et ne nécessite pas des investissements importants en équipements de manutention.

Mais dès qu’il s’agit d’irréversibilité, il paraît difficile voire impossible, pour la sub-surface comme pour toute autre solution, d’apporter des garanties définitives.

A cet égard, il faut se demander si les Etats-Unis ne se sont pas placés eux-mêmes dans une situation ingérable.

La loi de 1982 " Nuclear Waste Policy Act " requerrait que les combustibles irradiés placés dans un centre de stockage soient récupérables pour toute raison relative à la santé publique ou à l’environnement ou pour en valoriser le contenu énergétique, et ceci tant que le centre n’aurait pas été fermé définitivement.

Cette souplesse a été perdue lorsque la NRC a spécifié que la réversibilité ne devait être assurée que pendant 50 années. Depuis lors, l’obligation de prouver la sûreté du site à l’échelle de plusieurs dizaines de milliers d’années, semble être directement la cause de l’enlisement du projet.

On peut certes dire que le site de Yucca Mountain n’est probablement pas le meilleur des trois sites envisagés initialement, notamment sur le plan géologique. Mais le choix d’un site doit nécessairement intégrer différents facteurs, géologiques, environnementaux, économiques et politiques, en particulier. Aucun site ne peut probablement être optimal par rapport à chacun de ces paramètres.

Au reste, la preuve des qualités de Yucca Mountain semble impossible à faire à l’horizon de plusieurs dizaines de milliers d’années.

Faute d’envisager la réversibilité au-delà de 50 années, la stratégie retenue multiplie donc les obstacles, au risque de rencontrer un échec définitif.

Au contraire, le site de Yucca Mountain pourrait être mis en service rapidement si seulement le choix de la réversibilité était fait. Ce type de centre de stockage accessible par des tunnels horizontaux se prête facilement à la manutention de colis de grande taille. Sa sûreté à court terme pourrait être démontrée facilement. Le service offert par le centre serait sans conteste supérieur à celui des châteaux de béton où les combustibles irradiés commencent à être stockés à sec dans le périmètre de certaines centrales.

Au vrai, le projet de Yucca Mountain illustre l’impasse dans laquelle risquent de se trouver maints projets de stockage " définitif ".

L’horizon de la preuve est par essence de plusieurs centaines d’années. Aucune démonstration de sûreté ne peut être convaincante à une telle échéance.

La réversibilité avec une sûreté de haut niveau assurée dans l’immédiat et à terme de plusieurs dizaines d’années est sans doute la seule option permettant de dynamiser un système de gestion des déchets insatisfaisant et en voie d’enlisement.

Chapitre 4 : La nécessité d’une R & D nucléaire réorientée vers la réduction des rejets et des déchets ainsi que vers la radioprotection

La dilution ne peut plus constituer la base de la politique des rejets. Les références à la radioactivité naturelle ne sont pas recevables pour juger de leur nocivité. Il n’y a pas de " bruit de fond " dû aux rayonnements cosmiques ou telluriques derrière lequel peuvent se cacher des rejets de radioéléments. En l’espèce, c’est l’activité ajoutée qui doit être prise en compte. Pour une raison fondamentale : cette addition d’activité modifie un équilibre environnemental ou physiologique. Et l’on ne sait pas dire si cet équilibre est fragile ou robuste.

De surcroît, les engagements internationaux de la France rendent obligatoire cette évolution. Ces engagements internationaux sont d’une part la directive européenne n° 96/29 sur la radioprotection qui est étudiée dans la 3ème partie du présent rapport et d’autre part la stratégie de réduction des rejets en mer, décrite dans la suite, avant que les programmes de recherche et développement des exploitants nucléaires dans le domaine de la minimisation des rejets et des déchets radioactifs soient passés en revue.

I – La stratégie de réduction des rejets radioactifs prévue par la convention internationale OSPAR

Le 24 juillet 1998, les ministres de l'Environnement des 15 pays signataires de la convention de Paris pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est (convention OSPAR) signaient, à Sintra, un accord comportant deux volets.

Le premier volet de l’accord de Sintra porte modification de la convention internationale OSPAR initiale, avec le renoncement de la France et du Royaume-Uni à leur possibilité d’immersion de déchets solides radioactifs. Le deuxième volet est relatif à la mise en place d’une stratégie de réduction des rejets en mer, notamment des rejets radioactifs.

1. L’accord de Sintra sur la renonciation au droit d’immersion dans la mer de déchets radioactifs solides

La convention OSPAR pour la protection de l'Atlantique Nord-Est date de 1992 et est entrée en vigueur en mars 1998. Elle résulte de la fusion de la convention pour la Prévention de la pollution marine résultant des déversements effectués par les navires, signée en 1972 à Oslo et de la convention pour la prévention de la pollution marine d'origine tellurique signée à Paris en 1974.

Les signataires de la Convention sont tous les pays de l’Union européenne riverains, auxquels s’ajoute la Commission européenne (voir tableau suivant).

Tableau 8 : Signataires de l’accord de Sintra du 24 juillet 1998

Allemagne

Irlande

Belgique

Islande

Commission européenne

Norvège

Danemark

Pays-Bas

Espagne

Portugal

Finlande

Royaume Uni

France

Suède

Luxembourg

Suisse

La France et le Royaume Uni ayant renoncé à l’exemption dont ils bénéficiaient pour l’immersion en mer de déchets de faible et moyenne activité, l’accord de Sintra entérine officiellement cette renonciation.

Cette partie de l’accord de Sintra a la force d’une convention internationale. Il devra donc y avoir ratification de cette partie de l’accord. Le processus d’examen en conseil des ministres en vue de la ratification par le Parlement était engagé début octobre 1999.

2. La stratégie de réduction des rejets radioactifs

L’accord de Sintra introduit par ailleurs une stratégie de réduction des rejets en mer, Cette stratégie exprime une intention, qui n’a pas une valeur juridique mais une valeur politique.

2.1. Un engagement de parvenir à des rejets " zéro "

S’agissant des rejets radioactifs, cet engagement politique comporte les dispositions suivantes : " nous convenons de plus d'empêcher que la zone maritime ne soit polluée par des radiations ionisantes, ceci par des réductions progressives et substantielles des rejets, émissions et pertes de substances radioactives, le but étant en dernier ressort de parvenir à des teneurs, dans l'environnement, proches des teneurs ambiantes dans le cas de substances radioactives présentes à l'état naturel, et proches de zéro dans le cas de substances radioactives artificielles ".

Le processus à suivre pour atteindre cet objectif prendra en compte " les utilisations légitimes de la mer, la faisabilité technique et l’impact radiologique sur l’homme et le biotope ".

L’accord prévoit en outre une date de réalisation de l’objectif : " nous prendrons toutes dispositions pour que les rejets, les émissions et les pertes de substances radioactives soient réduits aux alentours de 2020 à des niveaux tels que les concentrations ajoutées dans la mer, par rapport aux niveaux historiques, soient proches de zéro ".

2.2. Un engagement contraignant sur le plan politique

Si la stratégie énoncée dans l’accord n’a pas de valeur juridiquement contraignante, sa valeur politique ne doit pas être sous-estimée. En effet, les signataires ne sont pas que des pays d’Europe du Nord traditionnellement en pointe dans les combats écologiques. On trouve également l’Allemagne, le Royaume Uni et l’Espagne. Par ailleurs, le fait que la Commission européenne soit partie prenante à l’accord renforce ses moyens d’action sur le nucléaire, alors que certains exploitants nucléaires estiment que le traité EURATOM limite étroitement son cadre d’action.

Enfin, des groupes de travail internationaux se sont déjà constitués et travaillent à la définition détaillée des différents volets de la stratégie.

Dès lors, l’arbitrage qui peut exister entre déchets et rejets ne peut plus se faire à l’avenir qu’en faveur des déchets solides, dont on sait mieux assurer le confinement.

En conséquence, la recherche et le développement doivent désormais s’attaquer avec force à la réduction des rejets des réacteurs électrogènes, à la réduction des procédés de retraitement, ainsi qu’à la diminution des déchets de tous types produits dans les installations nucléaires. Mais il est également indispensable de mettre au point des procédés de piégeage des radioéléments, pour disposer d’une deuxième ligne de défense.

Or quelles sont les forces consacrées à la recherche dans ces domaines ? Elles sont insuffisantes. Elles sont trop largement inférieures à celles conduites pour l’électronucléaire de l’avenir. Or la recherche sur les réacteurs du futur n’a en réalité de justification que si les performances environnementales des installations actuelles sont significativement améliorées.

II – La recherche au CEA et à l’IPSN

C’est au CEA et à l’institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) qu’est conduite la plus grande part de la recherche française en matière de réduction des rejets et des déchets radioactifs des installations nucléaires.

L’estimation des dépenses afférentes est toutefois difficile, dans la mesure où les comptes du CEA publiés dans son rapport annuel comprennent non seulement ses propres dépenses mais également celles de l’IPSN, puisque aussi bien, cet institut dont la subvention est individualisée au budget de l’Etat, n’a pas encore la personnalité morale.

1. La recherche en matière de radioprotection

Les trois segments " protection de l’homme et radiobiologie ", " organisation et fonction cellulaire " et " études et ingénierie des protéines " ne bénéficiaient en 1998 que de 4,9 % du total des dépenses civiles du CEA, IPSN compris.

Dans la mesure où l’essentiel des recherches faites en France dans ce domaine fondamental pour la radioprotection est, comme on l’a dit conduit au CEA, il semble que l’on soit fondé à rapprocher ces 4,9 % des 42,5 % de dépenses civiles du CEA pour les réacteurs, le cycle du combustible et la sûreté nucléaire.

La question n’est évidemment pas de favoriser la radiobiologie au détriment de la sûreté voire de la préparation de l’avenir de l’industrie nucléaire. Il s’agit seulement de noter que la priorité, dans le domaine de la recherche, continue d’être donnée à la production plutôt qu’à la protection alors que l’insuffisance de la connaissance est manifestement plus forte dans la deuxième sphère que dans la première.

2. La recherche sur les rejets et les déchets

La recherche et le développement sur la minimisation des rejets et des déchets radioactifs relèvent de cinq segments de programme du CEA. Il s’agit des segments " retraitement ", " séparation poussée ", " traitement et conditionnement des déchets ", " réacteurs à eau sous pression " et " technologie du combustible ".

Le tableau suivant résume les données transmises par le CEA sur les dépenses correspondantes.

Tableau 9 : Dépenses de R & D du CEA sur la diminution des rejets et des déchets radioactifs

 

dépenses 1998

(millions de francs)

remarque

diminution des rejets du retraitement

25,5

programme d’intérêt commun Cogema-CEA

diminution des déchets du retraitement

37,1

programme d’intérêt commun Cogema-CEA

conditionnement des déchets anciens

6,9

Cogema-CEA

recherche sur la séparation poussée

241,3

Cogema-EDF-CEA

amélioration des performances des réacteurs

760

(1999)

 

réacteurs du futur

100

 

Ces différents postes de dépenses appellent des précisions et des commentaires.

2.1. La R & D directe

S’agissant de la réduction des rejets d’effluents liquides et gazeux et de leur impact sur l’environnement, les thèmes de recherche comprennent l’élimination des ions gênants, la diminution des rejets liquides ou gazeux et de leur impact. Le CEA précise que les études sur la réduction des rejets d’iode 129 continuent et qu’un programme sur le comportement du carbone 14 dans le procédé de retraitement et son piégeage a été lancé en 1999. Les dépenses afférentes à l’ensemble de ces programmes ont atteint 25,5 millions de francs en 1998. Selon le CEA, " les études se poursuivront sur le moyen et le long terme avec un volume de recherche en décroissance ".

La diminution des volumes des déchets du retraitement est recherchée au travers de différentes actions : la mise au point de procédés de décontamination performants pour les structures et les équipements, le soutien aux opérations de mise à l’arrêt définitif, le traitement des composés organiques, le déclassement des déchets technologiques. Les dépenses correspondantes ont atteint 37,1 millions de francs en 1998, sont en augmentation en 1999 et devraient être pérennisés sur le moyen et long terme.

Le conditionnement de déchets anciens fait également l’objet de recherches. Les principaux thèmes sont les suivants : la vitrification des effluents uranium-molybdène, la caractérisation des déchets, l’incorporation des radioéléments aux matrices utilisées. Ces études représentaient des dépenses de 6,9 millions de francs en 1998 qui devraient augmenter à l’avenir.

Au total, 69,5 millions de francs ont été consacrés par le CEA en 1998 à la recherche et au développement portant sur la diminution directe des rejets et des déchets radioactifs.

2.2. La R & D indirecte

D’autres programmes de recherche du CEA contribuent à la réduction des rejets et des déchets.

On note avec intérêt, à cet égard, la contribution du programme sur la séparation poussée. Ainsi que l’écrit le CEA, " l’objectif général de ces recherches est d’étudier et d’évaluer les moyens de procéder à une séparation poussée des radioéléments à vie longue présents dans les combustibles usés en vue de leur transmutation ou, à défaut, d’un conditionnement particulier, ce qui contribuera sur le moyen et long terme à des réductions significatives des volumes d’effluents et de déchets produits par l’ensemble du cycle du combustible ". Les crédits correspondant à la séparation poussée ont représenté un montant de 241,3 millions de francs en 1998.

Il est satisfaisant de constater ainsi que, même si la transmutation n’était pas possible, les importants crédits consacrés à la séparation poussée permettraient de faire des progrès en matière de diminution des volumes des déchets et des rejets.

Différentes recherches relatives aux réacteurs nucléaires peuvent contribuer indirectement à la réduction des volumes de rejets et de déchets. Le CEA cite les recherches sur la réduction de la contamination du circuit primaire grâce à des matériaux plus résistants à la corrosion pour la cuve et les gaines de combustible. Le CEA indique par ailleurs que " réduire la production de déchets radioactifs à vie longue est l’un des objectifs majeurs des recherches sur les réacteurs menées à plus long terme dans le cadre du segment de programme " innovation réacteurs et cycle ; réacteurs à neutrons rapides ".

3. La recherche à l’IPSN

L’Institut de protection et de sûreté nucléaire conduit un ensemble de recherches qui concourent à la réduction des rejets et des déchets en situation normale ou incidentelle.

La répartition de ses crédits de paiement en 1998 figure au tableau suivant, en millions de francs et en pourcentages.

Tableau 10 : Répartition par activité des dépenses de l’IPSN en 1998

millions de francs

en % du total

sûreté REP

592,7

39,6

installations, matières et transports

278,4

18,6

protection des milieux

133,2

8,9

protection de l'homme et radiobiologie

155,7

10,4

autres réacteurs (y compris INBS)

107,8

7,2

assistances internationales et communication

116,7

7,8

déchets

61,4

4,1

prestations

50,9

3,4

total

1 496,7

100,0

La protection des milieux et de l’homme, ainsi que la radiobiologie, déjà incluses dans les données sur la radioprotection vues plus haut, ont représenté en 1998 19,3 % de ses dépenses totales, soit 288,9 millions de francs. Les recherches sur les déchets ont bénéficié de 61,4 millions de francs de crédits de paiement.

Comme pour le CEA, les études relatives à la sûreté des réacteurs à eau pressurisée contribuent aux mêmes objectifs, dans des proportions qu’il est toutefois malaisé de déterminer.

4. L’avenir du CEA

Il ne saurait être question de regretter l’importance actuelle du CEA dans la recherche et le développement sur l’industrie nucléaire. Au contraire, son rôle est capital pour conduire les études relatives à la réduction de l’impact sur la santé publique et l’environnement, des installations nucléaires et en particulier celles de stockage de déchets.

Pour autant, le CEA ne saurait se contenter de conduire des recherches sur un nucléaire plus performant sur le plan environnemental. C’est au contraire sur l’ensemble des énergies d’avenir qu’il devrait se positionner plus clairement.

4.1. Les énergies nouvelles renouvelables

Pour le moment, le CEA, dont le budget avoisine les 18 milliards de francs de budget annuel, accorde moins de 20 millions de francs, soit 0,1 % de ses crédits à la recherche et au développement sur les énergies renouvelables.

Les enjeux environnementaux et économiques du développement des énergies renouvelables sont énormes. Il s’agit de satisfaire une demande croissante d’électricité propre ou verte dans notre pays et dans les pays industrialisés, une demande doublée d’une aspiration à une production décentralisée, voire à une auto-production de l’électricité. Dans le monde en développement, c’est tout simplement l’accès à l’énergie, qui dépend largement de la croissance des énergies renouvelables. Or que constate-t-on ?

Entre la fin 1995 et la fin 1998, en 3 années, la puissance installée en éoliennes dans le monde s’est accrue de 4 800 MWe – soit plus de 3 centrales nucléaires de type N4 - pour atteindre 9600 MWe. C’est la filière de production d’électricité qui se développe le plus rapidement. Au classement des 10 premiers constructeurs mondiaux, figurent 4 entreprises danoises, 3 entreprises espagnoles, 2 entreprises allemandes, une entreprise américaine et aucune entreprise française, malgré les efforts de Jeumont et de Vergnier.

Par ailleurs, la production mondiale de cellules photovoltaïques croît de 40 % par an. La seule entreprise française présente dans les 20 premiers, Total Energie, peine à suivre les investissements massifs des autres grandes compagnies pétrolières. Pour les chauffe-eau et les toits solaires, la France est en retard.

Il s’agit de technologies jeunes qui, étant pleines d’avenir, méritent une aide déterminée et résolue de la recherche publique, des tarifs bien plus avantageux que les tarifs actuels pour le rachat du courant électrique produit.

Le temps est venu de refonder la mission du CEA.

4.2. Le CEA, Commissariat aux énergies d’avenir

Le 19 mai 1998, M. Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie déclarait : " oui, je suis de ceux qui regrettent qu’on n’ait pas confié au CEA la recherche sur toutes les énergies possibles. Je suis en effet persuadé que si le CEA avait eu à faire des recherches sur les piles à combustible ou sur le photovoltaïque, on aurait aujourd’hui du photovoltaïque et des voitures électriques qui fonctionnent. J’en suis absolument convaincu, car chaque fois qu’on lui a confié une mission, le CEA s’est toujours montré à la hauteur ".

Dans leur rapport sur les coûts de production de l’électricité, Christian Bataille et Robert Galley recommandaient, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation, " d’imprimer une nouvelle dynamique au CEA, en élargissant, avec les moyens budgétaires correspondants, sa mission à l’ensemble des énergies d’avenir préservant l’environnement ".

Le contrat triennal d’objectif du CEA est actuellement au point mort.

Cette situation d’attente n’est tolérable que si elle est mise à profit pour, d’une part, mettre au point une prise en charge pérenne des coûts d’assainissement et de gestion des déchets par les exploitants et par le budget de l’Etat et, d’autre part, fixer au CEA des buts ambitieux dans la recherche et le développement sur toutes les énergies, en particulier les énergies renouvelables.

III – La recherche sur les déchets et les rejets conduites par EDF et Cogema

1. La R & D d’EDF sur les rejets et les déchets

L’étude des dépenses de recherche et développement d’EDF est un exercice difficile. Le rapport d’activité 1998 ne présente en effet que la ventilation en pourcentage des dépenses entre les différents thèmes et non pas les dépenses totales ou spécifiques en valeurs absolues. Par ailleurs, il ne faut confondre les dépenses de recherche et développement avec les dépenses environnement recensées dans le bilan environnement d’EDF. Quoi qu’il en soit, l’évaluation des dépenses de R & D consacrées à la minimisation des rejets des centrales peut être faite.

1.1. Les dépenses de recherche et développement d’EDF

Les dépenses totales d’EDF en 1998 dans le domaine de la recherche et développement ne figurent pas dans le rapport d’activité 1998 où seule est donnée la répartition des dépenses suivant les différents axes d’étude comme indiqué dans le tableau suivant.

Il a été toutefois indiqué à votre Rapporteur que les dépenses totales de R & D d’EDF ont atteint 3 milliards de francs en 1998. Le chiffre d’affaires total d’EDF s’élevant à 185 milliards de francs pour la même année, le ratio R & D / chiffres d’affaires est donc de 1,62 %.

Tableau 11 : Répartition par thème de la R & D à EDF en 1998

thème de recherche

pourcentage

millions de francs

nucléaire hors CEA

34,6

1038

développement

23,6

708

réseaux

21,2

636

appui scientifique

8,2

246

thermique à flamme

4,3

129

technologies de l’information

3,5

105

hydraulique

2,4

72

énergies renouvelables

1,1

33

environnement

1,1

33

total

1.2. Les dépenses " environnement " d’EDF

Les dépenses " environnement " d’EDF ont représenté 5,2 milliards de francs en 1998 contre 5,3 en 1997. Ces dépenses incluent aussi bien le traitement des déchets que la diminution de l’impact du réseau dans le paysage (voir tableau suivant).

Tableau 12 : Dépenses environnement d’EDF par domaine

millions de francs

1997

1998

esthétique

1398

1455

redevances et taxes environnementales

981

1018

eau

925

858

air

736

612

déchets et effluents radioactifs

595

375

management

138

129

déchets non radioactifs

115

181

transports électriques

110

110

dépollution et processus propres

82

66

divers

65

147

maîtrise de la demande

60

66

énergies renouvelables

50

66

milieux naturels faune flore

43

56

bruit

26

30

formation et communication

25

24

total

5349

5193

L’enfouissement des réseaux électriques, qui constitue le premier poste des dépenses environnement d’EDF, continue de progresser. Le domaine " air " est en sensible diminution en ce qui concerne les investissements, avec la fin des travaux de désulfuration de deux centrales thermiques à flamme. Les dépenses annuelles d’EDF dans le domaine des déchets et des effluents radioactifs se sont élevées à 595 millions de francs en 1997 et à 375 millions de francs en 1998. Ces montants incluent la recherche et le développement effectuée en interne comme en externe mais ne comprennent pas le retraitement des combustibles usés, considéré comme une dépense d’exploitation.

1.3. Les dépenses " environnement " dans le domaine nucléaire

Les dépenses " environnement " dans le domaine nucléaire comprennent les études, la construction et l’exploitation des équipements relatifs aux domaines suivants :

1. rejets : traitement et contrôle des effluents liquides et gazeux avant rejet ; mesures prises pour éviter la contamination des nappes phréatiques

2. déchets solides : traitement et stockage spécifique des déchets de très faible activité ; collecte, tri, conditionnement, transport et stockage des déchets solides des installations de traitement des effluents

3. contrôles : études radioécologiques, essais et mesures de la radioactivité dans l’environnement.

4. application de la loi du 30 décembre 1991 : participation aux dépenses relatives aux trois axes

5. démantèlement : études et actions relatives à la phase 3 du démantèlement des centrales, les coûts des deux premières phases étant considérées comme des dépenses d’exploitation ; participation à des démantèlements d’installations de centres civils du CEA et de sites orphelins.

Dans le faits, les dépenses du domaine " déchets et effluents radioactifs " ont diminué de 37 % en 1998 par rapport à 1997.

Peut-on pour autant considérer qu’EDF est à l’optimum dans le domaine des rejets et des déchets ? En réalité, il ne le semble pas.

Les performances pour 1998 de ses réacteurs nucléaires en matière de rejets sont fournies par EDF en pourcentage des autorisations. Cette présentation, au demeurant surannée, est reproduite dans le tableau suivant.

Tableau 13 : Rejets des centrales nucléaires d’EDF en 1998, en pourcentage des limites annuelles autorisées

% des autorisations

palier 900 MWe

palier 1300 MWe

palier 1400 MWe

rejets liquides hors tritium

0,5

0,5

1,87

rejets gazeux

< 1

< 1

7,45

halogènes et aérosols

0,31

0,23

1,38

effluents tritiés

38

38

38

EDF prend soin de préciser que " pour le palier 1400 MWe (N4) les autorisations de rejets hors tritium ont été divisées par 5 par les pouvoirs publics ".

Le fait que les rejets réels ne représentent qu’une part infime des autorisations, est depuis longtemps mis en avant comme le signe de bonnes performances des centrales nucléaires. Dans cette optique, on ne s’explique pas que l’anomalie des effluents tritiés n’ait pas été corrigée.

En réalité, comme le prouve la révision en cours des normes de rejets par la direction de la sûreté des installations nucléaires (voir 3ème partie), ce sont les autorisations de rejets qui sont surdimensionnées par rapport aux possibilités techniques.

L’évolution au cours du temps de ces rejets ne fait pas apparaître de saut qualitatif depuis 1993, alors que de 1990 à 1993, les progrès avaient été importants.

Le rapport environnement de 1997 indique l’évolution des effluents liquides hors tritium pour les trois paliers 900, 1300 et 1400 MWe.

Tableau 14 : Evolution des rejets liquides annuels hors tritium par réacteur nucléaire

GBq

limite

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

palier 900 MWe

375

24

12

5

2,8

2,5

1,8

1,8

1,7

1,9

palier 1300 MWe

550

24

9

4

2,7

2,5

1,8

1,8

1,4

2,75

palier 1400 MWe

110

-

-

-

-

-

-

0,08

0,9

2,06

On peut sans doute imputer au surdimensionnement des autorisations de rejet, l’absence de progrès significatifs depuis 1993 dans la réduction des rejets des centrales nucléaires. L’exploitant n’a pas été incité avec suffisamment de vigueur à améliorer ses performances, sauf dans le cas du palier N4 (Chooz B et Civaux).

1.4. L’insuffisance de la recherche et développement sur la minimisation des rejets et des déchets

La recherche et le développement pour la protection de l’environnement ont entraîné à EDF des dépenses de 408 millions de francs en 1998 et de 393,1 millions en 1997 (voir tableau ci-après).

Tableau 15 : Dépenses annuelles d’EDF dans la recherche et développement pour la protection de l’environnement

1997

1998

millions de francs

nucléaire

non nucléaire

total

nucléaire

non nucléaire

total

air

5,5

61,9

67,4

2,5

82,2

84,7

eau

33

43,6

76,6

34,3

41,4

75,7

bruit

3,2

9,7

12,9

1,8

10,4

12,2

esthétique

49

49

57,1

57,1

déchets non radioactifs

0,8

6,7

7,5

0,6

5,6

6,2

radioactivité

24

0

24

27,6

0,9

28,5

transports électriques

29,3

29,3

16

16

divers

4,2

4,2

12,9

12,9

énergies renouvelables

18

18

27,9

27,9

dépollution

73

73

48

48

MDE

31,2

31,2

39,2

39,2

total

66,5

326,6

393,1

66,8

341,6

408,4

Quelle est la part de la R & D effectuée en interne par EDF en environnement pour le domaine nucléaire ? Ainsi que l’indique EDF à votre Rapporteur, " parmi les 66,8 millions de francs consacrés par EDF à ce sujet, la très grande majorité est réalisée en interne : 80 %, soit 54 millions de francs. Les 20 % restants, soit 13 millions de francs, sont consacrés à des actions réalisées par divers partenaires externes avec lesquels EDF a des liens contractuels sur le sujet. Il s’agit notamment de l’ADEME ou du CEA ".

En 1998, les dépenses de R & D environnement pour le domaine nucléaire ne représentaient que 16,4 % du total de la R & D " environnement ". Autre ratio, les dépenses de R & D environnement pour le domaine nucléaire ne représentaient en 1998 que 2,2 % de l’ensemble de ses dépenses de R & D.

En 1998, EDF produisait 80 % de son électricité avec ses centrales nucléaires. Or le chiffre d’affaires d’EDF a atteint 185 milliards de francs en 1998. En première approximation, on peut donc dire que la R & D environnement du domaine nucléaire représente 0,04 % de son chiffre d’affaires nucléaire.

Au demeurant, cette insuffisance dans le passé des investissements d’EDF dans la recherche et développement sur l’impact du nucléaire dans l’environnement ne semble pas prête de s’inverser.

En effet, dans le bilan 1998 " environnement " d’EDF qui liste les engagements d’entreprise pour l’avenir, si des objectifs de radioprotection sont bien cités, pour les rejets seule est envisagée la recherche de solutions anti-amibes et pour les déchets, seuls sont cités des travaux relatifs aux laboratoires souterrains.

L’absence d’objectifs ambitieux sur la minimisation des rejets ne saurait être tenue pour satisfaisante, eu égard aux progrès qu’il reste à faire pour diminuer les rejets et les déchets.

2. La recherche sur les rejets et les déchets à Cogema

La recherche et le développement à Cogema ont historiquement porté en priorité sur la mise au point des procédés mis en œuvre dans les usines de retraitement. Depuis la mise en service d’UP3 en 1990 et d’UP2-800 en 1994, elles se sont orientées, selon Cogema, " vers l’optimisation du fonctionnement des installations et en particulier vers la minimisation de l’impact des rejets et des quantités de déchets ultimes générés ".

2.1. La recherche et développement à Cogema

Les dépenses de R & D globales de Cogema sont décrites dans le tableau suivant.

Tableau 16 : Dépenses de R & D de Cogema

 

1995

1996

1997

1998

• dépenses totales de R & D de Cogema (en millions de francs)

950

1176

1103

1070

• dépenses totales de R & D de Cogema (en pourcentage du chiffre d’affaires consolidé hors activités minières, ingénierie et services) – chiffre officiel

3,7 %

4 %

4,1 %

4,25 %

• dépenses totales de R & D de Cogema (en pourcentage du chiffre d’affaires consolidé total)

3,1 %

3,4 %

3,4 %

3,4 %

On constate donc que les dépenses totales de R & D de Cogema sont de l’ordre d’un milliard de francs. Dans ses rapports d’activité, Cogema indique que ceci représente environ 4 % de son chiffres d’affaires hors activités minières, ingénierie et services. En recalculant ce ratio, en pourcentage du chiffre d’affaires total, ce qui paraît plus justifié puisque les dépenses citées sont les dépenses totales de R & D, on aboutit à 3,4 %.

Mais quelle est la part de la R & D sur les rejets et les déchets ?

2.2. La R & D sur les rejets et les déchets

Cogema conduit des travaux de recherche et développement pour l’optimisation des procédés et la minimisation des rejets et déchets. Les chiffres correspondants sont indiqués dans le tableau suivant.

Tableau 17 : Dépenses de R & D de Cogema pour les procédés et leurs " outputs ",

 

1995

1996

1997

1998

• dépenses de R & D pour les procédés, les rejets et les déchets

(en millions de francs)

679

612

750

669

dépenses de R & D pour les rejets et les déchets :

• minimisation et traitement des effluents liquides

• réduction du volume des déchets ultimes

• mise au point de procédés optimisés pour les déchets entreposés

(en millions de francs)

115

115

115

115

• dépenses de R & D pour la minimisation des rejets et des déchets (en % du chiffre d’affaires total)

0,38

0,33

0,35

0,37

Les programmes de R & D de Cogema sur ce sujet sont conduits en étroite relation avec le CEA dans le cadre de programmes d’intérêt commun. Selon Cogema, pour ce qui concerne les actions spécifiques dont l’objectif principal est de contribuer à la minimisation des rejets et déchets, " on peut retenir qu’environ 2/3 dont effectués par le CEA dans le cadre de programmes d’intérêt commun et 1/3 par le groupe Cogema. Les actions Cogema sont menées dans les laboratoires de l’usine de La Hague et dans le hall de recherche de Beaumont, installation dédiée à la recherche et développement et exploitée par SGN ".

Les dépenses de Cogema pour la minimisation des rejets et des déchets atteignent donc 115 millions de francs par an, répartis en trois grands chapitres. Le premier concerne le traitement et la minimisation des effluents liquides. Le deuxième est relatif à la réduction de volume des déchets ultimes. Le troisième porte sur la mise au point de " procédés optimisés pour les déchets entreposés ".

Deux remarques doivent être faites à cet égard. Cogema n’indique pas de dépense spécifique pour les rejets gazeux. Par ailleurs, pour évaluer les dépenses relatives aux rejets liquides, on peut en première approximation diviser par trois le montant annuel de 115 millions de francs, ce qui conduit à une dépense annuelle de 38 millions de francs en R & D sur les rejets liquides. Il ne semble pas en conséquence que les techniques de piégeage des radioéléments les plus toxiques ou les plus abondants fassent l’objet de recherches et de développement intensifs.

En tout état de cause, et sur un plan global, les dépenses de Cogema en R & D consacrée à la minimisation des rejets et des déchets semblent avoir représenté en moyenne 0,36 % du chiffre d’affaires de 1995 à 1998.

Conclusion

L’estimation des crédits de recherche et développement est toujours un exercice difficile. Les programmes de recherche ont en effet le plus souvent des conséquences multiples. L’imbrication des contrats des industriels avec les organismes de recherche rend difficile l’identification des parts respectives des différents commanditaires. Enfin, les difficultés de la comptabilité d’organismes publics comme le CEA et l’IPSN compliquent l’analyse.

Il semble toutefois établi que les dépenses concernant la minimisation des rejets et des déchets constituent une faible part des crédits de R & D consacrés à l’énergie nucléaire civile.

Le tableau suivant résume la situation à EDF et à Cogema.

Tableau 18 : Dépenses de R & D et ratios significatifs relatifs aux rejets et déchets

1998 – millions de francs ou %

EDF

Cogema

Chiffre d’affaires (CA)

185 010

31 437

dépenses de R & D

3 000

1 070

ratio R & D / CA

1,6 %

3,4 %

dépenses R & D rejets et déchets

66,5

115

ratio R & D rejets et déchets / R & D totale

2,22 %

10,75 %

ratio R & D rejets et déchets / CA

0,04 %

0,37 %

En tout état de cause, en 1998 EDF a dépensé 0,04 % de son chiffre d’affaires " nucléaire " à des dépenses de R & D relatives au domaine " environnement " du nucléaire.

En 1998, Cogema a dépensé 0,37 % de son chiffre d’affaires à la R & D portant sur la réduction des rejets et des déchets radioactifs.

Cette insuffisance des investissements en recherche et développement sur les rejets et les déchets est en porte à faux avec la demande sociale d’une réduction de l’impact de toutes les industries et en particulier de l’industrie nucléaire, sur la santé publique et l’environnement. Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’acceptation du nucléaire est étroitement fonction, d’une part de la sûreté des installations, et d’autre part de la résolution des problèmes de rejets et de déchets.

En outre, même si les progrès en la matière résulteront probablement davantage d’une multitude d’efforts que d’une innovation unique, les perspectives d’exportation de procédés qui permettraient de piéger les radioéléments dans les effluents liquides ou gazeux, ne semblent pas à négliger pour une industrie qui souffre d’un manque de perspectives d’avenir.

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N°2257.- Rapport de Mme Michèle Rivasi, déposé au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur les conséquences des installations de stockage des déchets nucléaires sur la santé publique et l’environnement.