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le 10 décembre 1999

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N° 2009

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 décembre 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1880) DE M. JACQUES BRUNHES ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à recueillir des éléments d'information sur la manifestation du 7 mars 1994 au Port à la Réunion, en liaison avec la réforme des activités portuaires, et pour déterminer la responsabilité des autorités des services de l'Etat dans les violences commises,

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Ordre public.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gérin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

Le 7 mars 1994, au port de la pointe des Galets, dans le département de la Réunion, un docker âgé de 26 ans, dénommé Théo Hilarion, était grièvement blessé au cours d'une manifestation opposant les membres de la section Ports et Docks de la CGTR et les forces de l'ordre. Le jour même la CGTR portait plainte auprès du doyen des juges d'instruction de l'île. A la suite du tir dont il a été victime, le jeune docker a en effet perdu un _il et souffre d'une altération permanente des fonctions sensorielles.

Les plaignants insistent sur le caractère délibéré du tir qui aurait été effectué par un gendarme au moyen d'un fusil à pompe, arme dont l'usage est prohibé dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre. Les autorités ont, pour leur part, défendu dans un premier temps, la thèse d'un accident dû à un éclat de grenade lacrymogène. Une information judiciaire a été ouverte au tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion et le juge d'instruction chargé du dossier a saisi la gendarmerie nationale de l'enquête.

Jusqu'en 1998 la thèse de l'accident sera maintenue avant d'être invalidée par les déclarations du gendarme accusé d'avoir tiré sur le manifestant. Ce militaire de la gendarmerie met, par ailleurs, en cause sa hiérarchie en déclarant au juge qu'elle était informée de ses agissements au cours de la manifestation du 7 mars 1994.

Cette affaire grave pose donc la question du fonctionnement des forces de l'ordre dans l'île de la Réunion. Elle a motivé le dépôt par M. Jacques Bruhnes et l'ensemble des membres du groupe communiste et apparentés d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « visant à recueillir des éléments d'information sur la manifestation du 7 mars 1994 au Port à la Réunion » et à déterminer la « responsabilité des autorités des services de l'Etat dans les violences commises. »

Avant de se prononcer sur l'opportunité de cette proposition de résolution, notre Commission doit statuer sur la recevabilité de cette proposition en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale.

La recevabilité de la proposition de résolution doit être appréciée à l'aune de deux critères : premièrement les faits ou les services publics devant donner lieu à enquête doivent être précisément définis ; deuxièmement, les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas donner lieu à des poursuites judiciaires.

Sur le premier point les faits visés apparaissent suffisamment précis. En effet, les auteurs de la proposition de résolution mentionnent de manière détaillée l'existence de dysfonctionnements intervenus tant dans le déroulement des opérations de maintien de l'ordre, que dans la conduite de l'enquête judiciaire :

- la manifestation devant donner lieu à enquête est précisément située et datée ;

- l'enquête judiciaire, confiée à la gendarmerie nationale, a effectivement progressé lentement puisque les premières mises en examen prononcées dans cette affaire l'ont été plus de 4 ans après les faits ;

- des preuves détenues par les forces de l'ordre auraient en outre été détruites ou dissimulées, « ni le fusil, ni le registre de sortie des armes » n'ayant été retrouvés par les enquêteurs ;

- enfin, le Journal de l'île de la Réunion en date du 16 septembre 1999, s'appuyant sur des déclarations du colonel de gendarmerie commandant le groupement de la Réunion à l'époque des faits, a affirmé que les plus hautes autorités administratives et judiciaires de l'île avaient été informées au moment des faits de l'implication d'éléments des forces de l'ordre dans cette affaire et qu'elles auraient par la suite freiné l'enquête judiciaire pour éviter l'établissement de la vérité dans ce dossier sensible.

En revanche, sur le second point, la recevabilité de la proposition de résolution soulève d'importantes difficultés. Interrogée par le Président de l'Assemblée nationale, en application de l'article 141 de notre règlement, la garde des Sceaux a indiqué par une lettre en date du 7 décembre 1999 « qu'à la suite des blessures dont a été victime M. Hilarion, le 7 mars 1994 lors d'une manifestation sur le port de la Réunion, une information judiciaire a été ouverte au tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion, procédure dans le cadre de laquelle sont intervenues deux mises en examen et non clôturée à ce jour ».

La garde des Sceaux a par ailleurs considéré que « des poursuites judiciaires sont donc en cours concernant les faits qui ont motivé le dépôt de la proposition de résolution » et que « dans ces conditions », elle laisse à l'Assemblée « le soin d'apprécier si ces éléments sont de nature à faire obstacle à la création d'une telle commission d'enquête parlementaire ».

Si le principe de séparation des pouvoirs peut justifier que l'on s'oppose à la création de commissions d'enquête, il revient aux assemblées parlementaires d'apprécier au cas par cas s'il y a incompatibilité entre le champ d'investigation d'une commission d'enquête et le déroulement d'éventuelles procédures judiciaires. Il est, en effet, relativement rare qu'il y ait concordance parfaite entre l'objet d'une commission d'enquête parlementaire et celui d'une information judiciaire, ce qui justifie pleinement l'existence d'un pouvoir d'appréciation des assemblées dans ce domaine.

Dans le cas de la présente proposition de résolution, force est de constater que la concordance est très forte. L'intitulé de la proposition de résolution renvoie en effet expressément à la recherche « d'éléments d'information sur la manifestation du 7 mars 1994 au Port à la réunion » en vue de « déterminer la responsabilité des autorités des services de l'Etat dans les violences commises ». Plutôt qu'à une analyse des dysfonctionnements des services publics en cause, les auteurs de la proposition de résolution renvoient donc aux faits mêmes qui donnent lieu à enquête judiciaire.

Les risques d'interférence entre les travaux de la commission d'enquête qui serait créée en cas d'adoption de la proposition de résolution et l'information judiciaire en cours sont donc réels. Ce risque justifie donc que l'on se prononce pour l'irrecevabilité de la proposition de résolution qui vous est soumise.

L'examen de l'opportunité de la proposition de résolution n'a dès lors qu'un caractère subsidiaire. Les éléments d'information cités par les auteurs de la proposition dans leur exposé des motifs soulignent en l'espèce l'existence d'indices graves et concordants de dysfonctionnements des services de l'Etat, qu'ils relèvent des autorités administratives ou judiciaires. La proposition de résolution déposée par M. Jacques Brunhes et les membres du groupe communiste a donc le mérite d'appeler l'attention de notre Commission et de l'ensemble de la représentation nationale sur cette affaire dramatique. Il revient toutefois à la justice d'établir les responsabilités des différents protagonistes et de prononcer, le cas échéant, des sanctions pénales. Malgré la lenteur de l'information judiciaire, les récentes mises en examen intervenues dans ce dossier devraient permettre un règlement relativement rapide de l'affaire et son renvoi devant la juridiction répressive. Pour cette raison, la création d'une commission d'enquête n'apparaît pas à ce jour comme une démarche opportune.

Intervenant dans la discussion générale, M. Jacques Floch a indiqué qu'au cours de son déplacement dans l'Ile de la Réunion, la délégation de la commission des Lois avait pris conscience de l'importance de l'affaire Hilarion pour la population réunionnaise. Il a, en outre, fait remarquer que des éléments nouveaux étaient récemment apparus, mettant en cause la responsabilité des autorités de l'Etat dans l'île. Jugeant que la démarche de M. Jacques Brunhes et de ses collègues du groupe communiste traduisait avant tout le souci manifesté par la population de l'île de ne pas voir cette affaire sensible enterrée, il a estimé qu'il était nécessaire de laisser la justice travailler normalement sur ce dossier. Considérant que la tournure prise par la procédure du fait des récentes mises en examen ordonnées par le juge d'instruction devait contribuer à rassurer les auteurs de la proposition de résolution, il a souhaité que celle-ci soit rejetée.

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Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution.