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le 2 mai 2001

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N° 3022

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 avril 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 2876) DE MME FRANÇOISE DE PANAFIEU ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à créer une commission d'enquête chargée de faire le point sur le développement et l'organisation de la prostitution en France, et de proposer une politique globale de lutte contre ce fléau,

PAR MME NICOLE FEIDT,

Députée.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Droit pénal.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léo Andy, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Jean-Claude Decagny, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roland Francisci, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

Mesdames, Messieurs,

D'après les chiffres publiés par l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), la prostitution reste relativement stable en France : en 1999, cet organisme évalue à près de 12 000 le nombre de personnes se prostituant dans la rue et à 3 000 celui des professionnelles exerçant dans les bars à hôtesses ou les salons de massage.

Mais cette relative stabilité ne doit pas masquer les évolutions très marquées enregistrées ces dernières années.

Les prostituées étrangères représentent aujourd'hui plus de la moitié du nombre total de prostituées, alors que leur proportion était inférieure à 30 % il y a quelques années. Cette augmentation s'explique, en partie, par l'arrivée massive de femmes originaires des pays de l'Est, notamment de Tchécoslovaquie, d'Albanie, d'Ukraine et de Russie. Les chiffres du proxénétisme illustre bien cette évolution, puisque 33 % des procédures judiciaires engagées en 1999 concernaient des prostituées des pays de l'Est, le proxénétisme africain, en progression, représentant 5,5 % du total.

L'autre évolution significative concerne la structure même de la prostitution, marquée par la multiplication des réseaux de proxénétisme. Cette évolution est liée au développement de la prostitution étrangère, beaucoup plus organisée que la prostitution française. Ces réseaux, qui ont souvent une organisation de type mafieux, utilisent fréquemment la violence pour assurer une obéissance sans faille des prostituées (viols, menaces sur leur famille, confiscation des papiers d'identité). Certaines femmes sont même achetées et vendues plusieurs fois, avant leur arrivée sur le « marché » français, alimentant ainsi de véritables filières de traite d'êtres humains.

L'argent généré par la prostitution en France est évalué entre 15 et 20 milliards de francs, dont 70 % reviendraient aux proxénètes. D'après l'OCRTEH, chaque prostituée travaillant au sein d'un réseau est supposée rapporter entre 3 000 et 5 000 F par jour, somme dont elle ne garderait environ que 300 F pour subvenir à ses besoins ; le proxénète, lui, en fonction du nombre de femmes « contrôlées », pourrait gagner jusqu'à 60 000 F par jour...

C'est dans ce contexte que Mme Françoise de Panafieu a déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « chargée de faire le point sur la situation de la prostitution en France et de proposer des moyens de lutte efficaces pour éradiquer ce fléau ».

Comme toute les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, l'initiative de Mme de Panafieu doit être examinée sous le double point de vue de sa recevabilité et de son opportunité.

La recevabilité de la proposition de résolution n'est pas à l'abri de critiques.

Celle-ci, en effet, ne détermine pas « avec précision » les faits donnant lieu à enquête, comme le demande pourtant l'article 140 du Règlement de notre Assemblée.

L'exigence d'absence de poursuites judiciaires, posée par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'est également que partiellement satisfaite. Dans une lettre du 15 février dernier adressée au Président de l'Assemblée Nationale, la garde des Sceaux a fait savoir « que diverses procédures d'informations judiciaires sont actuellement suivies, notamment auprès des tribunaux de grande instance de Paris, Toulouse, Montpellier ou Strasbourg, des chefs de proxénétisme aggravé, relatives à des réseaux de prostitution. ».

Il convient toutefois de reconnaître que l'interprétation de ces deux critères de recevabilité a toujours été relativement souple. En outre, le champ d'investigation proposé pour la commission d'enquête, la situation de la prostitution en France et les moyens pour lutter contre ce phénomène, dépasse le simple cadre judiciaire ;

Plus que sa recevabilité, c'est l'opportunité de la proposition de résolution qui paraît contestable.

Certes, l'évolution actuelle de la prostitution est préoccupante. Mais ce constat, largement partagé, a déjà suscité de nombreuses études.

Ainsi, le rapport d'activité pour 2000 de Mme Dinah Derycke au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a déjà fait « le point sur la situation de la prostitution en France » et proposé « des moyens de lutte » contre ce fléau. A la suite de ce rapport, Mme Derycke a été chargée par le Gouvernement d'une mission sur cette question. Il serait souhaitable que sa démission récente, pour raisons personnelles, ne mette pas un terme à une mission qui prolonge utilement le travail déjà réalisé par les parlementaires.

S'agissant plus particulièrement de la traite des êtres humains et de l'exploitation sexuelle, qui ne sont pas expressément citées dans le dispositif de la proposition de résolution mais sont évoquées dans son exposé des motifs, de nombreuses études ont été publiées ou sont en cours.

Le 12 décembre 2000 a été signé, à Palerme, un protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier celle des femmes et des enfants.

L'Union européenne s'est également penchée sur cette question à travers une communication du 22 janvier 2001 de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen relative à la traite des êtres humains et à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie. Quant au Conseil de l'Europe, il envisage d'adopter une recommandation sur ces questions au mois de juin prochain.

Enfin, l'Assemblée Nationale vient de décider la création d'une mission d'information commune aux commissions des affaires étrangères, des affaires sociales et des lois sur les diverses formes de l'esclavage moderne. Considérant que la prostitution, en tant que telle, avait déjà fait l'objet d'études approfondies, la mission d'information a choisi de centrer ses travaux sur l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, sur l'esclavage domestique et la servilité pour dettes.

Dans ces conditions, la constitution d'une commission d'enquête n'apparaît pas justifiée. Votre rapporteure ne peut donc que vous inviter à rejeter la proposition de résolution qui vous est soumise.

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Intervenant à la suite de la rapporteure, M. Claude Goasguen a contesté les chiffres cités, considérant au contraire que la prostitution se développait de manière importante en France et en Europe. Tout en reconnaissant que la création d'une commission d'enquête n'était sans doute pas la bonne réponse, en raison de son mode de fonctionnement relativement lent, et donc peu compatible avec la proximité des échéances électorales, il a souhaité que le Gouvernement réagisse rapidement à la dégradation de la situation actuelle, en alourdissant notamment les sanctions appliquées au proxénétisme, comme il l'a lui-même suggéré dans une proposition de loi. Observant que la géographie de la prostitution avait changé, celle-ci n'étant plus marginalisée, mais s'exerçant désormais en centre ville, et constatant l'utilisation de plus en plus fréquente de la violence, il a souligné que ces évolutions mettaient la police en difficulté, les peines d'amendes prévues en cas de racolage n'étant pas suffisamment dissuasives. Reconnaissant que c'est le proxénétisme qu'il convenait de combattre, mais observant que celui-ci ne pouvait exister que par la prostitution, il a considéré que l'aggravation des peines applicables au racolage était le seul moyen efficace pour lutter contre le proxénétisme.

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Conformément aux conclusions de la rapporteure, la Commission a rejeté la proposition de résolution.

3022 - Rapport de Mme Nicole Feidt : commission d'enquête chargée de faire le point sur le développement et l'organisation de la prostitution en France, et de proposer une politique globale de lutte contre ce fléau (commission des lois)