Accueil > Archives de la XIème législature

— —

Document

mis en distribution

le 30 avril 1998

graphique

N° 856

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 avril 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions (1) (n° 780)

TOME I

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

PAR M. Jean Le Garrec,

Député.

——

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Politique sociale.

La commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions est composée de : M. George Hage, président, M. Patrick Devedjian et Mme Hélène Mignon, vice-présidents, MM. Pierre Cardo et Jean-Michel Marchand, secrétaires ; Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Dominique Baert, M. Gérard Bapt, M. Jacques Barrot, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Bur, M. Alain Cacheux, M. Laurent Cathala, M. Henry Chabert, M. Alain Cousin, Mme Martine David, M. Philippe Decaudin, M. Jean-Pierre Delalande, M. Jean Delobel, M. Laurent Dominati, M. Philippe Duron, Mme Nicole Feidt, M. Alain Ferry, M. Yves Fromion, M. Robert Galley, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, M. Gaëtan Gorce, M. François Goulard, Mme Odette Grzegrzulka, Mme Paulette Guinchard-Kunstler, Mme Muguette Jacquaint, M. Denis Jacquat, Mme Janine Jambu, M. Pierre Lasbordes, M. Jean Le Garrec, M. Pierre Lequiller, Mme Raymonde Le Texier, M. René Mangin, M. Daniel Marcovitch, M. Thierry Mariani, Mme Gilberte Marin-Moskovitz, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Pierre Méhaignerie, Mme Véronique Neiertz, M. Jean Pontier, M. Jean-Luc Préel, M. Alfred Recours, M. Marcel Rogemont, M. André Schneider, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Alain Veyret, M. Alain Vidalies

INTRODUCTION 5

I.- LES EXCLUSIONS : BREF ÉTAT DES LIEUX 6

A. LES PROCESSUS D’EXCLUSION 6

B. UNE APPROCHE EN TERMES DE NIVEAU DE VIE 7

C. LES DIFFÉRENTS VISAGES DE L’EXCLUSION 8

1. La perte du logement 8

2. L’absence d’emploi et la précarisation du travail 9

3. L’isolement et la précarité des situations individuelles 10

4. La dégradation de l’état de santé de la population 11

II.- PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI ET DU PROGRAMME DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS 12

A. ACCÈS A L’EMPLOI 13

1. Accès à l’emploi des jeunes et des adultes 14

2. Insertion par l’activité économique 15

B. ACCÈS AUX SOINS 17

1. Adaptation du système de soins 17

2. Assurance maladie et couverture complémentaire 19

C. MOYENS D’EXISTENCE 20

1. Indexation et revalorisation de l’ASS et de l’AI 20

2. Cumul accru entre les minima et des revenus d’activité 21

D. DROIT A L’ÉGALITÉ DES CHANCES PAR L’ÉDUCATION ET LA CULTURE 22

E. LES INSTITUTIONS SOCIALES 23

1. Les travailleurs sociaux 23

2. L’accueil des personnes en difficulté 23

F. FINANCEMENT DU PROGRAMME DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS 25

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

I.- AUDITION DE LA MINISTRE 27

II.- AUDITION DE M. BERTRAND SCHWARTZ, UNIVERSITAIRE 38

III.- AUDITION DE M. SIMON WUHL, PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE 42

IV.- AUDITION DE M. ALBERT JACQUARD, MEMBRE DU HAUT COMITÉ POUR LE LOGEMENT DES PERSONNES DÉFAVORISÉES 46

V.- AUDITION DE MME GENEVIÈVE DE GAULLE-ANTHONIOZ, PRÉSIDENTE D’ATD QUART MONDE, MEMBRE DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL 50

VI.- AUDITION DES ASSOCIATIONS MEMBRES DE LA COMMISSION “ LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION ” DE L’UNION NATIONALE INTERFÉDÉRALE DES OEUVRES ET ORGANISMES PRIVÉS SANITAIRES ET SOCIAUX (UNIOPSS) 57

VII.- AUDITION DES ASSOCIATIONS MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL ET D’ÉCHANGE INTERASSOCIATIF SUR LE PROJET DE LOI D’ORIENTATION RELATIF À LA LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS 67

LISTE DES PERSONNALITÉS ET ORGANISMES AUDITIONNÉS PAR LE RAPPORTEUR 73

INTRODUCTION

Il y a à peine plus d’un an, le 21 avril 1997, l’Assemblée nationale voyait la discussion du projet de loi d’orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale brutalement interrompue par l’annonce de sa dissolution. Le naufrage inopiné de la loi contre la pauvreté et l’exclusion ne pouvait rester sans lendemain. Reprendre le processus législatif, lui donner plus d’ampleur et de contenu, le mener rapidement à son terme : le Gouvernement de M. Lionel Jospin relève aujourd’hui le défi.

Le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions, présenté par Mme Martine Aubry, répond donc à l’engagement pris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, de faire une priorité de la lutte contre les exclusions

Ce projet s’accompagne d’un programme de prévention et de lutte contre les exclusions, sur trois ans, et devra être complété par deux autres projets, l’un sur l’accès aux droits et l’autre garantissant l’accès des plus démunis aux soins et à la sécurité sociale par la mise en place de la couverture maladie universelle.

La volonté ainsi manifestée répond à une forte attente et à une demande depuis longtemps réitérée des différents intervenants et particulièrement des associations qui mènent une lutte sans trêve contre l’exclusion, pour la mobilisation et la sensibilisation du plus grand nombre à la situation de nos concitoyens les plus en difficultés.

Ce projet et son programme visent donc, dans la continuité des travaux déjà entrepris et des initiatives existantes pour lutter contre l’exclusion, à remédier aux problèmes de ceux qui sont confrontés aux problèmes les plus graves, à réparer et à reconstruire. L’approche retenue se caractérise toutefois par la double volonté d’aborder la lutte contre les exclusions de manière globale afin de tenter d’en saisir les multiples aspects et de mener une action préventive pour intervenir le plus en amont possible avant que l’accumulation des problèmes ne rende encore plus difficile la réinsertion. En effet, il faut insister sur l’importance des processus qui conduisent vers l’exclusion lorsque les handicaps ou les difficultés se cumulent, l’une entraînant l’autre. Pour autant, si la réalité n’en est que trop évidente pour ceux qui s’y trouvent confrontés, ces processus ne se laissent pas cependant aisément appréhender.

I.- LES EXCLUSIONS : BREF ÉTAT DES LIEUX

A. LES PROCESSUS D’EXCLUSION

“ La précarité est l’absence d’une ou plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible. ”

Tel est le constat dressé, en 1987, par Joseph Wresinski dans le rapport du Conseil économique et social : “ Grande pauvreté et précarité économique et sociale. ” Et, si actuellement on parle plus généralement “ d’exclusion ” ou même “ des exclusions ” la réalité évoquée par ces différentes notions est bien la même.

L’accent est, en effet, aujourd’hui mis sur les processus d’exclusions, processus tout au long desquels se cumulent une série de handicaps ou de situations de risque, plus que sur la caractéristique d’un état qui serait celui d’une “ population d’exclus ”, catégorie sociologiquement individualisée et homogène. L’exclusion recouvre, au contraire, des trajectoires qui aboutissent à des situations individuelles chaque fois singulières et en tout cas hétérogènes.

Retraçant l’évolution de cette notion M. Serge Paugam1 indique qu’aujourd’hui quand on fait référence à l’exclusion “ il ne s’agit plus de désigner un ou des groupes sociaux caractérisés par une exclusion de fait, mais de souligner l’existence de processus pouvant conduire à des situations extrêmes. Pour arriver à cette approche, il a fallu faire le détour par l’analyse des situations précaires et y voir l’origine de l’exclusion ou tout au moins une des causes essentielles. Le succès de la notion d’exclusion est, par conséquent, en grande partie lié à la prise de conscience collective d’une menace qui pèse sur des franges de plus en plus nombreuses et mal protégées de la population. ”

Au-delà de la situation de ceux se trouvant dans la grande pauvreté et l’exclusion la plus totale, situation dont la gravité implique la plus grande mobilisation, c’est, en effet, une partie de plus en plus large de la population, la plus socialement vulnérable et celle en situation la plus précaire qui est désormais confrontée à ce risque.

Par différence avec une “ zone d’intégration ” et une “ zone d’exclusion ” M. Robert Castel2 met en évidence l’existence d’une zone qu’il baptise zone de “ vulnérabilité sociale ” et dont la marque est la précarité : “ zone intermédiaire, instable qui conjugue la précarité du travail et la fragilité des rapports de proximité ... Qu’advienne une crise économique, la montée du chômage, la généralisation du sous-emploi : la zone de vulnérabilité se dilate, elle empiète sur celle de l’intégration et elle alimente la désaffiliation3 ... Ouverte et en extension comme cela est apparemment le cas aujourd’hui, la zone de vulnérabilité alimente les turbulences qui fragilisent les situations acquises et défait les statuts assurés. ”

Cette analyse met en évidence qu’au-delà des réponses toujours indispensables en termes d’urgence, de réparation et même de reconstruction de ceux qui ont été les plus blessés, la lutte contre l’exclusion doit nécessairement se fonder sur une approche préventive pour que la précarité conjuguée à d’autres facteurs de fragilité ne conduise à l’exclusion à plus ou moins longue échéance.

B. UNE APPROCHE EN TERMES DE NIVEAU DE VIE

Tenter de mieux cerner l’exclusion, ses réalités et son ampleur renvoie inévitablement aux appréciations de la pauvreté. En effet, même s’il n’y a pas identité entre les deux notions, nul ne niera que pauvreté et exclusion touchent des personnes qui dans leur majorité sont les mêmes et que le risque de précarisation pèse forcément avec plus de poids sur ceux qui ont les ressources les plus faibles.

Selon l’Institut national de la statistique, la pauvreté touche un ménage sur dix en France. Cette évaluation4 repose sur la définition usuelle de la pauvreté et sur les conventions retenues par cet organisme :

- revenu défini comme le revenu disponible monétaire ;

- non-prise en compte des personnes sans domicile ou en hébergement collectif ;

- seuil de pauvreté fixé à la moitié du revenu médian c’est-à-dire à la moitié du revenu divisant la population française en deux groupes numériquement égaux. Ce seuil est aujourd’hui d’environ 3500 Francs par mois et par unité de consommation ;

Ce pourcentage des ménages pauvres est relativement stable depuis dix ans. Cette stabilité dissimule en réalité une profonde modification de la structure de cette population.

En particulier, la pauvreté liée au chômage et au sous-emploi à plus que doublé sur cette période. En 1994, date de la dernière enquête “ Budget des familles ” 500 000 ménages ayant à leur tête un chômeur, soit un quart des personnes pauvres, se situent sous le seuil de pauvreté et le revenu moyen des chômeurs se classe parmi les plus bas. De même, plus de 300 000 ménages dont la personne de référence occupe un emploi précaire ou à temps partiel sont aujourd’hui des ménages pauvres. Relativement jeunes et diplômés, parfois isolés, ces ménages ont un niveau de revenu à peine supérieur à celui du chômeur pauvre et s'il y a succession de périodes de sous-emploi et de chômage, la pauvreté peut devenir récurrente. Or, quand la pauvreté résulte essentiellement du chômage, cela signifie que la précarité monétaire s’accompagne de l’absence d’autonomie économique et de la désinsertion par l’éloignement du monde du travail.

Cette seule approche en termes de niveau de vie est évidemment insuffisante à cerner les phénomènes d’exclusion car ceux-ci n’ont pas pour seule caractéristique l’insuffisance des ressources mais bien de multiples facteurs qui sont autant de témoins d’une rupture du lien social ou de signes de précarité.

C. LES DIFFÉRENTS VISAGES DE L’EXCLUSION

On ne pourra ici que dresser des constats, au travers desquels se dessine néanmoins la réalité de ce que vivent aujourd’hui tous ceux qui n’ont pas de toit, pas d’emploi, ou qui renoncent à se faire soigner faute d’argent, ou qui simplement sont seuls et ne savent plus où “ aller demander ” ni même quoi demander.

Même s’il n’y a pas une cause unique et aisément identifiable qui expliquerait chacune de ces histoires, parmi les facteurs de risque, perdre son logement, ne pas retrouver d’emploi ou vivre dans l’isolement sont autant de ruptures du lien social qui marquent à un degré ou à un autre les phénomènes d’exclusion.

1. La perte du logement

“ Sans logement, il n’y a ni sécurité d’existence, ni domiciliation, ni possibilité de promotion, ni droit de cité. ”5

La perte du logement est un des éléments clef du basculement dans l’exclusion et retrouver une adresse la condition indispensable d’un nouveau départ.

De plus, le logement décent conditionne largement l’accès aux autres droit. Comme l’a rappelé le rapport pour la préparation du XIe plan : “ Le logement représente un enjeu de société fondamental, tant il conditionne l’ensemble des autres aspects de la vie des femmes et des hommes : l’impossibilité d’accéder à un logement ou l’accès à un logement trop médiocre ne permet pas l’accès aux autres droits des habitants ; un vrai logement est indispensable à chacun pour vivre dans la dignité ; assurer le droit au logement est ainsi devenu un devoir social dans une société développée comme la nôtre, qui a inscrit ce droit dans la loi ; ... ”.

Malgré les avancées permises par la loi du 31 mai 1990 et en dépit des efforts budgétaires, le droit au logement n’est toujours pas pleinement assuré. La précarité croissante, la contraction concomitante de l’offre de logement social et son inadaptation, qualitative comme quantitative, aux personnes les plus défavorisées rend difficile aux plus démunis l’accès à un logement de droit commun comme le maintien dans un logement décent.

Il faut d’ailleurs à ce propos insister, comme le fait le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, sur l’absence d’informations fiables sur les personnes sans domicile, sur le nombre de mal logés ainsi que d’une évaluation réelle de la demande non satisfaite de logement social.

Enfin, il est impossible d’aborder la question du droit au logement, sans parler de la mixité sociale dans les quartiers et de la nécessité de mieux répartir le logement social sur l’ensemble du territoire. Il s’agit en effet de questions fondamentales car aucune réinsertion ne sera possible si l’on ajoute à l’exclusion sociale, l’exclusion par le logement.

2. L’absence d’emploi et la précarisation du travail

Les chômeurs de longue durée (inscrits depuis plus d’un an à l’ANPE) représentent 37,4 % des demandeurs d’emploi et l’on constate une augmentation particulièrement forte du nombre de ceux ayant deux à trois ans d’ancienneté de chômage. Or, et c’est malheureusement une évidence, rien n’est plus dégradant et socialement excluant que d’être durablement éloigné de l’emploi.

L’entrée dans la vie active est elle aussi problématique tout particulièrement pour les jeunes sans diplômes qui sont exposés à un chômage massif : dix ans après leur entrée dans la vie active moins de 60 % des non diplômés occupent un emploi et près de la moitié de ces emplois sont non qualifiés.

A ce constat il faut ajouter la vulnérabilisation de tous ceux qui sont en situation de travail précaire : salariés sous contrats à durée déterminés, employés à temps partiel, intérimaires, postes pourvus grâce aux différents emplois aidés ...

Robert Castel souligne à ce propos6 que “ de même que le paupérisme du XIXe siècle était inscrit au cœur de la dynamique de la première industrialisation, de même la précarisation du travail est un processus central, commandé par les nouvelles exigences de l’évolution du capitalisme moderne ”. Une partie des salariés jusqu’ici dotée d’un statut stable est désormais menacée de basculement et l’on assiste à une installation dans la précarité, d’autant plus préoccupante qu’elle concerne les jeunes. Or “ un type d’emploi discontinu et littéralement insignifiant, ne peut servir de socle à la projection d’un avenir maîtrisable. Cette manière d’habiter le monde social impose des stratégies de survie fondées sur le présent. ”

Cette extension de la précarité touche d’abord les moins qualifiés surtout quand ce sont des femmes dont le statut au travail est affecté par ce phénomène. Les inégalités professionnelles subsistent et le temps partiel “ subi ” associé à des salaires réduits les affecte en premier lieu (près d’une femme sur 3 alors qu’il ne concerne que 5,2 % des hommes).

3. L’isolement et la précarité des situations individuelles

L’exclusion touche d’abord ceux qui vivent dans les situations de plus grande vulnérabilité sociale. A ce titre sont particulièrement exposés les mères isolées et les jeunes en rupture avec leur famille.

La fragilisation du lien familial a des répercussions sur le niveau de vie des familles, mais au-delà des conséquences financières, il retentit évidemment sur les liens de solidarité entre ses membres. Il est généralement établi une corrélation – ce qui ne signifie pas un lien de cause à effet – entre les processus d’exclusion et les difficultés, les carences ou les ruptures familiales. Mais du seul point de vue des revenus et de la précarité qui en résulte, les familles monoparentales sont aujourd’hui tout en bas de la hiérarchie des revenus. Alors qu’au milieu des années quatre-vingt la pauvreté des enfants était surtout celle des familles nombreuses, aujourd’hui près d’un enfant pauvre sur cinq vit avec un seul de ses parents alors même que le nombre global de ces familles reste relativement stable7.

De même, rejoignant le constat dressé par le Haut comité de la santé publique, selon lequel les jeunes sont les premières victimes de la progression de la précarité, l’association Médecins du monde dénonce dans la masse des personnes en situation d’exclusion ou de précarité, une aggravation particulière de la situation des jeunes “ plus pauvres, plus seuls et aussi plus malades que leurs aînés alors qu’ils sont dans la force de l’âge ”. Cette aggravation ne se limite pas à la santé, elle se retrouve sur le terrain du chômage ou du logement.

4. La dégradation de l’état de santé de la population

La dégradation de l’état de santé des plus démunis, qui s’est accrue au cours de la dernière décennie, illustre les liens complexes existant entre la santé et la précarité. Ainsi que le démontre le dernier rapport du Haut Comité de la santé publique8 : “ Santé et précarité se conjuguent et contribuent mutuellement à creuser le passif d’un individu qui tente de faire face aux exigences d’une société où s’aggravent les inégalités ”. La santé n’est pas un simple déterminant de la précarité et inversement, la précarité n’est pas seulement un déterminant de la santé. L’absence de soins en temps utile, les carences sanitaires et affectives dans le développement d’un enfant ou encore la précocité de pratiques ou de consommations à risques ont souvent des répercussions tardives sur la santé. En outre, les effets de la déstructuration du rapport d’une personne isolée au temps et aux normes sociales et les perturbations de l’image de son corps et de sa santé peuvent nuire considérablement à son état physique et psychique. L’individu en situation de précarité ou d’exclusion, souvent replié sur lui-même, est ainsi fortement exposé à des souffrances psychiques intenses et à des fragilités sociales fortes dont on commence seulement à mesurer l’importance et les effets.

On pourrait multiplier les exemples des effets néfastes de la précarité sur la santé en raison de logements insalubres, d’une sensibilisation insuffisante à ces questions, d’une histoire familiale difficile à porter ou encore de difficultés à faire reconnaître ses propres droits, dont celui de l’accès aux soins. Il en va de même, des conséquences d’une santé dégradée ou fragile sur la précarisation : un individu ayant une pathologie lourde ou un état psychologique peu assuré est en situation de grande faiblesse pour rechercher un emploi, acquérir un logement, fonder une famille...

Ces quelques constats, même limités, font la preuve que lutter contre l’exclusion ou la précarité suppose que soient mises en oeuvre des mesures globales et préventives ainsi que des mesures spécifiques de réinsertion conciliant une logique d’égalité, fondée sur la reconnaissance des droits des individus, et une logique d’équité permettant, dans un souci de solidarité, de soutenir et d’aider les plus fragiles et de favoriser leur réinsertion en prenant en compte leurs difficultés dans toutes leurs dimensions.

II.- PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI ET DU PROGRAMME DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS

Le contenu du projet de loi doit être analysé en liaison avec le programme de prévention et de lutte contre les exclusions qui a été présenté en Conseil des ministres le 4 mars dernier et dont il constitue la traduction législative.

Il faut préciser que la présentation qui en sera faite ici n’abordera ni les questions du logement, ni celle du surendettement puisque celles-ci font l’objet, au sein de ce rapport, de deux tomes spécifiques (tomes III et IV). En outre, elle a moins l’ambition d’être exhaustive – l’analyse détaillée des articles du projet de loi figurant dans le tome II – que de resituer les mesures proposées dans le cadre du programme et d’attirer l’attention sur les points et les enjeux principaux.

Avant d’en aborder les différents thèmes il faut évoquer la perspective dans laquelle ce projet de loi aborde la lutte contre les exclusions et qui est clairement celle de garantir aux personnes exclues, en leur qualité de citoyens, le droit d’accéder effectivement aux droits fondamentaux de tous. De cette approche en termes de citoyenneté découle la volonté d’éviter toute stigmatisation des personnes en difficultés même si les situations les plus critiques rendent indispensables des actions de discrimination positive et des mesures d’urgence.

Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz soulignait dans l’avis du Conseil économique et social dont elle a été le rapporteur que “ plutôt que d’envisager un traitement particulier des populations pauvres, il convient de prendre en compte leur situation dans les politiques générales et de veiller à rendre cette situation compatible avec l’accès aux droits ouverts à tous. Le Conseil est particulièrement attaché à un tel souci qui lui parait la meilleure garantie de prévention de l’exclusion, de promotion des plus démunis et aussi de conformité au principe d’égalité qui fonde notre République. ”

Il faut ici souligner le rôle joué par les associations d’aide aux personnes en difficulté dans la reconnaissance de cette approche en termes de citoyenneté et non d’assistance.

A cette fin l’article premier du projet de loi réaffirme solennellement que cette loi a pour objet de garantir l’accès de tous aux droits fondamentaux. On retrouve cette inspiration dans les différentes mesures proposées et notamment lorsqu’il s’agit de rendre au plus grand nombre leur autonomie économique par la mobilisation de tous et de tous les outils en faveur de l’emploi.

Elle se manifeste particulièrement dans le chapitre du projet de loi consacré à l’exercice de la citoyenneté. Il y figure en effet un article tout à fait significatif qui vise à permettre aux personnes sans domicile fixe d’accéder au droit de vote en facilitant leur inscription sur les listes électorales. Il s’agit bien là de réaliser la citoyenneté, d’où découle la qualité d’électeur, alors que l’inscription sur les listes électorales n’est qu’une formalité administrative dont la réglementation empêche l’accès effectif aux droits en l’absence de domicile.

A. ACCÈS A L’EMPLOI

Dans un contexte de reprise de l’activité et de croissance plus riche en emplois, le programme de lutte contre les exclusions a pour ambition de renforcer les moyens d’insertion afin que les personnes les plus éloignées du marché du travail ne restent pas les oubliées de l’amélioration durable de la situation économique. En effet, si l’ensemble des mesures mises en œuvre par le Gouvernement, notamment les emplois-jeunes et la réduction du temps de travail, contribueront à accélérer la diminution du chômage, il est nécessaire en parallèle de renforcer et d’amplifier les dispositifs d’accès à l’emploi par la formation ou l’activité.

L’ampleur de l’action programmée en matière de lutte contre l’exclusion de l’emploi trouve sa traduction dans l’importance des financements prévus. Au total, près de 33,5 milliards de francs de crédits supplémentaires seront mobilisés sur les trois ans du programme pour financer les mesures emploi, notamment : 14,9 milliards pour l’Etat (9,1 milliards en année pleine en régime permanent), 7 milliards de cofinancements (collectivités locales, entreprises au titre de la formation professionnelle, Fonds social européen ...), 10 milliards au titre des emplois-jeunes dans les quartiers en difficulté.

L’objectif essentiel affirmé par le programme est d’associer la prévention et le traitement du chômage de longue durée et la lutte contre l’exclusion en développant des actions de suivi personnalisé favorisant un “ nouveau départ ” qui encourage le passage de l’assistance à l’emploi en améliorant la capacité d’insertion et de réinsertion des jeunes et des adultes. A cet effet, tous les demandeurs d’emploi avant qu’ils atteignent douze mois de chômage pour les adultes ou six mois pour les jeunes se verront proposer un “ nouveau départ ” consistant en un diagnostic devant déboucher sur des propositions individualisées et adaptées aux difficultés rencontrées par chaque demandeur d’emploi et un suivi personnalisé. Il serait du reste souhaitable de faire figurer dans la loi ces principes novateurs dont l’application doit permettre d’améliorer la qualité du service rendu par le service public de l’emploi et d’accélérer le retour vers l’emploi des personnes qui en sont exclues.

La personnalisation de l’offre de parcours et d’accompagnement est évidemment particulièrement nécessaire pour les personnes les plus éloignées de l’emploi. Mais il faut sans doute aller plus loin, car c’est bien en agissant le plus en amont possible que l’on peut le mieux éviter le basculement dans la spirale de l’exclusion de l’emploi. Il conviendrait donc d’affirmer et d’inscrire dans la loi un principe général : le droit pour tout demandeur d’emploi rencontrant des difficultés particulières à un parcours d’insertion personnalisé. La loi devrait également préciser le contenu de ce nouveau droit : le traitement personnalisé devrait consister en l’organisation d’actions d’accueil, de diagnostic, d’orientation, d’accompagnement, de suivi, d’évaluation des acquis et la définition de parcours d’insertion personnalisé.

1. Accès à l’emploi des jeunes et des adultes

En ce qui concerne les jeunes, l’institution du trajet d’accès à l’emploi (TRACE) constitue une première application du “ nouveau départ ” et du principe d'individualisation des parcours. TRACE propose en effet aux jeunes sans qualification de bénéficier d’un accompagnement personnalisé renforcé pendant dix-huit mois permettant d’accéder à des actions diversifiées et adaptées d'acquisitions des savoirs de base, de formation, de stages ou d’emploi en vue d’une insertion durable dans l’emploi. Les jeunes bénéficieront d’une rémunération correspondant aux différentes phases du parcours. Ce dispositif devrait concerner 10 000 jeunes dès 1998 et 60 000 jeunes par an au terme du programme.

Trois améliorations de nature à réaliser le droit à l’insertion professionnelle pour les jeunes en difficulté pourraient être apportées au dispositif. En premier lieu, il serait souhaitable que le parcours puisse être prolongé au-delà de dix-huit mois lorsque cela apparaît nécessaire pour réaliser l’objectif de qualification et d’insertion. En deuxième lieu, il semble opportun de prévoir dans la loi que pendant les périodes où les jeunes en parcours TRACE ne bénéficient pas d’une rémunération au titre d’un stage, d’un contrat de travail ou d’une autre mesure, ils bénéficient d’aides financières versées par les fonds départementaux d’aide aux jeunes (FAJ). Enfin, dans le cadre de l’intervention conjointe de l’Etat et des régions pour la mise en œuvre du programme TRACE, il conviendrait d’associer les régions à la conclusion des conventions d’objectifs avec l’ANPE et le réseau d’accueil des jeunes.

En outre, le programme prévoit, d’une part de favoriser l’accès des jeunes en difficulté au contrat de qualification qui sera développé (40 000 places supplémentaires d'ici trois ans) et au contrat d'orientation (17 000 places supplémentaires) en particulier dans le cadre de TRACE, d’autre part de réserver 70 000 emplois-jeunes (20 % des 350 000) aux jeunes des quartiers en difficulté.

En ce qui concerne les adultes, les dispositifs permettant d’accéder directement à l’emploi et de favoriser la création d’entreprise sont également renforcés. C’est d’abord l’objet des dispositions du projet de loi relatives aux contrats emploi-solidarité (CES) et contrats emplois consolidés (CEC). Ces contrats d’insertion dans le secteur non marchand voient leurs caractéristiques précisées. Les CES, recentrés sur les “ publics prioritaires ” que sont les chômeurs de longue durée et les titulaires de minima sociaux, sont destinés à offrir une solution d’insertion relativement courte pour accéder à l’emploi. Les CEC, qui sont désormais ouverts directement aux personnes les plus éloignées de l’emploi et non plus réservés à celles qui bénéficient déjà d’un CES, procurent quant à eux un parcours d’insertion de plus longue durée, puisqu’ils peuvent bénéficier d’une prise en charge financière par l’Etat pendant cinq ans.

On soulignera, dans le souci de garantir l’efficacité de ce dispositif et afin d’éviter un certain nombre de dérives constatées dans le passé, la nécessité de prévoir, dans le cadre des CES et CEC, un volet formation réellement adapté à l’objectif d’insertion. Ainsi, dans le cas des CES, compte tenu de leur courte durée (sept mois en moyenne), c’est sans doute pour leur renouvellement qu’il convient de prévoir un véritable dispositif de qualification. Quant aux CEC, ils doivent faire l’objet d’un mécanisme de formation permettant de préparer dans la durée le retour à l’emploi.

Le programme prévoit un nombre constant d’entrées en CES (environ 500 000 contrats par an) et une augmentation très forte du nombre d’entrées en CEC : 50 000 dès 1998 (contre 30 000 prévues initialement en loi de finances), 60 000 en 1999 et 70 000 en 2000. L’effort budgétaire, sur les trois années du programme, s’élèvera à 8,5 milliards de francs.

2. Insertion par l’activité économique

Le secteur de l’insertion par l’activité économique, qui repose sur un tissu associatif très dynamique dont l’objet est d’accueillir des personnes en grande difficulté et de leur offrir une première solution de retour à l’emploi, est par ailleurs pleinement reconnu par le programme et le projet de loi. Ce dernier procède à une réorganisation des dispositifs juridiques et financiers concernant ce secteur en distinguant entre l’insertion dans le secteur marchand - dans laquelle interviendra l’ANPE - et l’insertion dans le secteur non marchand.

Dans un souci de mise en cohérence de l’ensemble des actions d’insertion à l’échelon départemental, le projet de loi renforce également les conseils départementaux de l’insertion par l’activité économique et institue des fonds départementaux de soutien de l’insertion par l’activité économique permettant de financer l’ingénierie des projets et l’aide au démarrage. Enfin, les plans locaux d’insertion par l’activité économique (PLIE) sont élargis et deviennent des plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, destinés à coordonner l’intervention de tous les acteurs publics autour des communes et de l’Etat.

L’objectif fixé par le programme est de doubler en trois ans la capacité d’accueil des entreprises d’insertion et des entreprises d’intérim d’insertion (+ 9 000 équivalents temps plein) grâce notamment à une nouvelle exonération totale de cotisations sociales patronales. Avec les autres organismes concernés : associations intermédiaires, régies de quartier, centres d’aide à la vie active (CAVA), chantiers-écoles..., le secteur de l’insertion par l’activité économique devrait accueillir, en 2000, 45 000 salariés équivalents temps plein contre 28 000 à l’heure actuelle. La dynamisation de l’insertion par l’activité économique mobilisera, sur trois ans, 1,4 milliards de francs tandis que l’effort budgétaire consacré aux plans locaux pour l’insertion et l’emploi atteindra 1,64 milliards de francs.

On ne peut bien évidemment que souscrire aux ambitions du programme en cette matière, tant l’insertion par l’activité économique - et les travaux du Conseil national présidé par M. Claude Alphandery le montrent amplement - représente un outil adapté aux aspects multiples de la remise en situation de travail de personnes qui sont parmi les plus éloignées de l’emploi. Le projet de loi provoque cependant des inquiétudes légitimes parmi les acteurs essentiels que sont les associations intermédiaires, lesquelles voient leur champ d’intervention singulièrement réduit par les dispositions de l’article 8. Les auteurs du projet de loi ont sans doute souhaité, à juste titre, prévenir des dérives qui conduiraient à développer les mises à disposition de personnes dans des conditions non conformes aux règles de libre exercice de la concurrence. Il n’en reste pas moins que la nouvelle réglementation applicable aux associations intermédiaires apparaît comme inutilement restrictive. La réécriture de cet article proposée par le Gouvernement et les amendements qui seront examinés permettront de corriger cet aspect du texte.

A cela s’ajoute d’ailleurs la question, non abordée par le projet de loi, des conditions d’intervention des associations intermédiaires dans le champ d’activité des services aux personnes nécessitant un “ agrément-qualité ” conformément à la loi du 29 janvier 1996. Or, à compter du 1er janvier 1999, en l’état actuel de la réglementation, les associations intermédiaires seront contraintes de se scinder en différentes entités si elles souhaitent poursuivre cette activité. Ce serait assurément une remise en cause de leur existence pour la plupart d’entre elles, car ces associations trouvent leur équilibre financier dans la diversité de leurs activités.

En outre, en ce qui concerne l’insertion en secteur marchand, on peut noter l’ouverture à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2000, du contrat de qualification aux demandeurs d’emploi adultes. Le financement des primes à l’embauche et des exonérations de charges sociales sera assuré par l’Etat, les coûts de formation devant être pris en charge par les entreprises dans le cadre de leur contribution pour la formation professionnelle. L’expérimentation qui devrait concerner 5 000 personnes dès 1998 et 25 000 personnes en l’an 2000 sera menée en concertation avec les partenaires sociaux. Elle fera l’objet d'une évaluation susceptible d’éclairer une négociation interprofessionnelle qui devrait fixer les conditions de la pérennisation de cette ouverture. Cette extension pragmatique d’un dispositif qui a fait la preuve de son efficacité est de nature à favoriser la réalisation du droit à la qualification pour les adultes et la réinsertion dans l’emploi des plus en difficulté. Il conviendra de veiller à la mise en œuvre en partenariat de cette mesure pour assurer sa réussite.

Enfin, toujours dans la volonté de favoriser le retour à l’activité, le projet de loi prévoit d’encourager les bénéficiaires de minima sociaux (ASS, API, RMI) à la création ou la reprise d’entreprise. A cet effet, ils pourront bénéficier des mêmes avantages que les jeunes : maintien de la couverture sociale et exonération de cotisations sociales pendant un an, bénéfice d’une aide financière dans des conditions fixées par décret et aide au financement d’actions de conseil ou de formation avant la création et d’actions de suivi ou d’accompagnement renforcé et personnalisé pendant les trois années suivant la création. Compte tenu du public concerné, souvent en situation de grande précarité financière, et afin d’obtenir l’effet de levier maximum pour obtenir les crédits permettant d’amorcer ou reprendre l’activité, il paraît opportun de préciser dans la loi que l’aide financière au démarrage versée aux bénéficiaires de minima sociaux peut être une subvention, plutôt qu’une avance remboursable comme cela est prévu pour les jeunes.

B. ACCÈS AUX SOINS

La question de la protection de la santé des personnes démunies, recouvre en réalité deux problèmes : celui de l’adaptation du système de soins aux besoins spécifiques des personnes en situation de précarité ou d’exclusion et celui plus général de l’assurance maladie et de l’égal accès aux soins.

1. Adaptation du système de soins

Le présent projet prévoit la création ou la généralisation d’un certain nombre de dispositifs qui ont pour but d’améliorer la capacité du système sanitaire et social à prendre en charge les personnes les plus en difficultés.

En effet les conditions de vie des personnes les plus démunies, a fortiori celles des sans-abri, sont à l’origine de pathologies graves et spécifiques pour certaines d’entre elles, parmi lesquelles des troubles psychiatriques intenses, la malnutrition ou la dénutrition, les maux résultant d’une exposition prolongée au froid ou au soleil, d’une hygiène insuffisante ou d’une promiscuité excessive, les maladies liées à l’alcoolotabagisme ou encore à la déshydratation. S’y ajoutent des pathologies plus communes détectées trop tard, en l’absence de soins suivis ou d’un dépistage effectué en temps utile. Le manque de structures de soins adaptées à cette population, la méconnaissance de leurs droits ou la réticence qu’ont certains à accomplir une démarche de soins – crainte d’être mal accueillies, honte ou pudeur, extrême – ont pour conséquence d’aggraver les maux dont ils souffrent et pour lesquels l’acte de soins est trop souvent accompli avec retard. L’approche doit, en outre, être médico-sociale et avant tout humaine.

De nombreuses initiatives ont été prises pour organiser un accueil adapté à ces besoins. Certains hôpitaux ont ainsi créé des cellules d’accueil où les personnes sont soignées mais également accompagnées dans leurs démarches sociales.

Le projet de loi permet de généraliser ces dispositifs, tout en reconnaissant explicitement la mission des établissements de santé participant au service public hospitalier dans la lutte contre l’exclusion. Cette mission doit être assurée en concertation avec tous les partenaires intéressés, au premier rang desquels les associations, mais aussi les professionnels de santé et les institutions médico-sociales, dont le rôle est réaffirmé et les moyens renforcés par le présent projet de loi. L’idée maîtresse est en effet d’organiser des réseaux autour de la personne, et non autour d’une activité ou d’un secteur. De même qu’il existe des réseaux de soins, se développent des “ réseaux d’insertion ” qui peuvent offrir à la personne en situation de précarité ou d’exclusion, tant une aide sociale, sanitaire, professionnelle ou financière, que des conseils personnalisés, un réconfort moral et un accompagnement personnalisé jusqu’à l’insertion.

Le programme de prévention et de lutte contre l’exclusion prévoit, un financement de 234 millions de francs, de 1998 à 2000, pour soutenir de telles initiatives tandis que des actions spécifiques de santé publique à destination des personnes démunies disposeront, sur la même période, d’un crédit de 357 millions de francs. Ces deux actions s’inscrivent dans le cadre des programmes d’accès à la prévention et aux soins qui seront définis dans chaque région afin de coordonner l’action de tous les acteurs.

Le dispositif proposé devrait cependant être renforcé en réaffirmant que la lutte contre l’exclusion constitue l’une des priorités des politiques publiques, en soulignant la place des associations qui oeuvrent pour l’insertion ou la lutte contre l’exclusion, en renforçant le concept de réseaux de soins et de réinsertion à qui serait conféré un contenu plus précis, en insistant sur l’éducation sanitaire ainsi que sur la santé des enfants et des jeunes et en précisant le rôle des permanences d’accès aux soins de santé dans les hôpitaux.

Enfin, il sera proposé de renforcer le dispositif de lutte contre l’alcoolisme et la malnutrition en renforçant le statut et les moyens des Centres d’hygiène alimentaire et d’alcoologie (CHAA).

2. Assurance maladie et couverture complémentaire

Sur la question plus générale de l’assurance maladie et la couverture complémentaire les réponses seront apportées par le projet de loi sur la couverture maladie universelle.

En effet on assiste au développement de plusieurs phénomènes qui se cumulent, de manière assez surprenante, voire paradoxale.

L’inégalité dans l’accès aux soins s’est aggravée au cours des années quatre-vingts, alors que la progression du niveau de couverture d’assurance maladie de la population progressait sensiblement sur la même période. Une récente enquête du Centre de recherche, d’étude et de documentation en économie de la santé (CREDES) démontre par ailleurs qu’un quart des Français renoncent régulièrement à des soins de santé pour des motifs financiers.

S’agissant de l’assurance maladie auprès des régimes de base, on estime à 800 000 le nombre de personnes dépourvues de couverture mais qui peuvent bénéficier d’une assurance personnelle et voir leurs cotisations prises en charge par l’Etat ou l’aide sociale des départements. Parmi ces personnes, 100 à 200 000 n’ont aucun droit, par méconnaissance de leurs droits ou en raison de la complexité des procédures.

Le deuxième phénomène, concerne le renoncement croissant d’un certain nombre de personnes à certains soins, en dépit de l’affiliation à un régime d’assurance maladie de base. Celle-ci laisse en effet 30 % des dépenses de santé en moyenne à la charge des ménages. Se pose donc le problème des couvertures complémentaires dont sont dépourvues, pour des raisons évidentes de coût, de nombreuses personnes démunies. Une étude de l’INSEE en juillet 19959 indiquait ainsi que 16,4 % des personnes couvertes par la Sécurité sociale ne sont pas affiliées à un régime complémentaire. En nombre, ce pourcentage semble peu élevé mais il représente près de 2,3 millions de personnes, qui forment une “ minorité résiduelle mais persistante ”, dont plus d’un tiers est constitué de ménages ayant un revenu inférieur à 2 700 F par unité de consommation, ou 5 900 F pour un couple avec enfant. Ce pourcentage, il faut le noter, était égal à 25 % au début des années quatre-vingts, ce qui témoigne de l’aggravation de la situation des personnes les plus démunies. Il en résulte des inégalités croissantes pour les soins les plus chers ou les plus mal couverts, tels que la dentisterie ou la lunetterie, alors que leur carence est une source supplémentaire de difficultés.

C. MOYENS D’EXISTENCE

Dans un but de prévention et de protection, figure dans le projet de loi un certain nombre de mesures visant à apporter des garanties aux familles : encadrement renforcé des saisies sur les prestations familiales garantie du droit à l’ouverture d’un compte de dépôt, garantie du droit à une fourniture minimale d’énergie et d’eau et désormais de téléphone.

Le programme prévoit que sur ce dernier point le fonctionnement des dispositifs existants sera amélioré et leur efficacité accrue par une dotation supplémentaire de 250 millions de francs.

Des garanties sont également apportées en termes de revenus pour les plus modestes par l’indexation et la revalorisation de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et de l’allocation d’insertion (AI) et par la possibilité d’un cumul accru entre les minima et des revenus tirés d’une activité professionnelle.

1. Indexation et revalorisation de l’ASS et de l’AI

L’indexation de l’ASS et de l’AI sur les prix répond à la nécessité d’apporter pour ces deux allocations la garantie existante, directement ou indirectement, pour tous les autres minima sociaux. Le rapport de Mme Marie-Thérèse Join-Lambert met en effet parfaitement en évidence le retard pris par ces deux allocations, puisque l’ASS n’avait pas été revalorisée depuis 1989 et l’AI depuis 1986.

Cet écart vient de donner lieu à un rattrapage. Par un décret du 10 mars 1998, le montant de l’ASS a été majoré de 6 % par rapport au montant applicable depuis la revalorisation de 2 % intervenue le 1er janvier 1998 avec effet rétroactif au 1er juillet 1997. Son montant est donc passé de 2 220 F par mois (hors majoration pour les chômeurs âgés) avant les deux revalorisations mentionnées, à 2 400 F. Ce montant est applicable rétroactivement au 1er janvier 1998. Le même décret a majoré le montant de l’AI de 29 % à compter du 1er janvier 1998. Son montant est désormais de 1 311 F par mois.

Ces deux revalorisations représentent un engagement financier annuel de 1 096 millions de francs pour l’ASS et de 81 millions de francs pour l’AI.

Figure, en outre, dans le programme d’action une disposition de nature réglementaire permettant aux bénéficiaires du RMI de percevoir l’allocation pour jeune enfant (APJE) avant la naissance de celui-ci. L’APJE sera exclue des ressources prises en compte pour le RMI mettant ainsi fin à une situation où les parents bénéficiaires du RMI étaient les seuls à ne pas bénéficier de cette allocation. Le coût de cette mesure est évalué à 133 millions de francs en année pleine.

2. Cumul accru entre les minima et des revenus d’activité

Un point essentiel du chapitre consacré aux moyens d’existence concerne la possibilité accrue de cumul entre le bénéfice d’une allocation tendant à assurer un minimum de revenu et une activité professionnelle.

L’ensemble des dispositions du projet relatives à l’accès à l’emploi met ce dernier au cœur de la lutte contre les exclusions, dans l’objectif de restaurer l’autonomie économique des personnes en difficulté plutôt que de s’en tenir à leur égard à de simples mesures d’assistance.

Il est, en effet, tout à fait essentiel de permettre aux allocataires du RMI, de l’ASS ou de l’API (allocation de parent isolé), qui sont exclus du marché du travail alors qu’ils aspirent à retrouver un emploi, de profiter pleinement de toute occasion qui s’offrirait à eux de retour à une activité professionnelle. Il s’agit de ne pas pénaliser l’acceptation d’un contrat à durée déterminée, d’un temps partiel et évidemment le démarrage dans un emploi plus stable car ceux-ci sont autant de conditions de la transition vers l’emploi et donc de l’insertion.

Comme l’a montré l’observatoire de l’action décentralisée (ODAS) dans son rapport “ RMI et SMIC ” un emploi stable à temps complet rémunéré au SMIC est toujours financièrement plus intéressant que le RMI. Par contre, cela n’est pas nécessairement le cas pour un emploi à temps partiel même en prenant en compte les effets conjugués de l’intéressement et du décalage temporel dans l’appréciation des ressources10. L’alternance de périodes de chômage et de périodes d’activité accroît encore ce problème.

Les règles actuelles du cumul peuvent, en effet, se révéler pénalisantes parce qu’elles retentissent sur le montant des allocations versées et aussi parce que leur complexité rend très difficile à l’allocataire l’anticipation des incidences sur ses ressources à venir d’un revenu professionnel supplémentaire.

Aussi le programme expose les modifications qui seront apportées aux règles du cumul afin d’en accentuer l’effet incitatif. Celui-ci sera possible tant que la durée de la ou des périodes d’activité n’excéderont pas un an, le cumul sera intégral les trois premiers mois (dans la limite d’un demi-SMIC), affecté d’un abattement les six mois suivants, cet abattement étant majoré les trois derniers mois d’activité.

Le projet de loi étend, en outre, aux bénéficiaires de l’API la possibilité d’exercice d’une activité professionnelle qui existe déjà pour les allocataires du RMI et de l’ASS. Au-delà de cette seule disposition, il serait toutefois important que le projet affirme clairement le principe du cumul et le fasse plutôt par une disposition figurant dans le chapitre relatif à l’accès à l’emploi.

D. DROIT A L’ÉGALITÉ DES CHANCES PAR L’ÉDUCATION ET LA CULTURE

Le projet de loi comporte un chapitre relatif à l’égalité des chances par l’éducation et la culture, aspect qui était absent du projet de loi de cohésion sociale déposé par le précédent Gouvernement. En effet, il faut se souvenir de ce qui disait Jules Ferry en 1870 : “ Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle ”. A la lumière de statistiques telles que celle selon laquelle 53 000 jeunes sortent toujours chaque année du système scolaire sans qualification ou qu’un enfant de cadre a trois fois plus de chances d’obtenir le baccalauréat qu’un enfant d’ouvrier, fixer un tel objectif a toute sa place dans ce texte de lutte contre les exclusions.

Le programme d’action du Gouvernement prévoit ainsi une relance des zones d’éducation prioritaire (ZEP). Outre leur consécration par la loi, elles seront dotées de 36 millions de francs supplémentaires d’ici l’an 2000. Il s’agit ainsi de répartir plus équitablement les moyens humains et financiers, en “ donnant plus à ceux qui ont moins ”. Par ailleurs, les aides sociales aux élèves seront redéployées, afin de permettre un déroulement équitable de la scolarité pour tous : les bourses des collèges sont rétablies et un fonds social d’urgence pour les cantines, doté de 290 millions de francs par an, est créé.

La lutte contre l’inégalité des chances ne doit cependant pas s’arrêter à la sortie des portes des écoles. Il faut inciter les jeunes à aller aux spectacles culturels ou à exercer des pratiques artistiques en amateur et permettre l’accès à des activités périscolaires organisées. En l’absence de régulation publique, ce temps d’accès personnel aux savoirs et à la culture risque de continuer à reproduire les inégalités préexistantes. Le volet culturel et sportif du programme d’action du Gouvernement prévoit à cette fin de créer des emplois de médiateurs culturels permanents et de faciliter l’accès aux structures organisant les pratiques artistiques et sportives. C’est ainsi, par une approche à la fois globale et directement pratique de la lutte contre les inégalités culturelles, que l’égalité effective des chances pourra être rétablie.

Lutter contre les exclusions suppose en effet que soient réunis les conditions culturelles qui permettent de s’intégrer dans un environnement en en comprenant ses valeurs de référence, au besoin au moyen de discriminations positives, consacrées dans ce projet de loi, rétablissant l’égalité réelle.

E. LES INSTITUTIONS SOCIALES

1. Les travailleurs sociaux

Au sein du titre du projet de loi consacré aux institutions sociales est abordé, par l’amélioration de leur formation, le rôle essentiel que jouent les travailleurs sociaux dans la lutte contre les exclusions. La loi du 30 juin 1975 qui régit les centres de formation doit en effet être modernisée pour clarifier les relations juridiques et financières entre ces établissements à gestion associative et l’Etat. Les nouveaux moyens qui leur seront accordés (26 millions de francs en 1998 et 52 millions de francs à partir de 1999) devraient leur permettre de former plus de 1 000 professionnels supplémentaires chaque année. L’Etat s’engage ainsi à favoriser le développement de formations reconnues, de qualité et accessibles à tous les étudiants.

Les travailleurs sociaux ayant le rôle de véritables “ médiateurs ” entre les institutions et les personnes en difficulté, la professionnalisation de leur action est devenue une nécessité impérieuse pour faire face à des situations de plus en plus diverses et difficiles. Leur formation doit donc se fonder sur une approche à la fois globale et concrète des situations d’exclusion et des personnes visées par les politiques sociales. Pour cela également, l’encadrement supérieur du travail social, indispensable pour l’organiser et réfléchir sur son évolution, doit être renforcé par le développement de formations permanentes et supérieures reconnues par l’Etat, en coordination notamment avec les filières de l’enseignement supérieur.

2. L’accueil des personnes en difficulté

Devrait être également abordé dans ce titre la question plus générale de l’accueil des personnes en difficulté et de la coordination des acteurs sociaux que celui-ci suppose.

Parmi les personnes reçues par les services sociaux figurent en effet, en nombre croissant, ceux dont le principal problème est d’avoir des ressources instables et insuffisantes. Dès lors qu’un incident de parcours, même minime, ou une dépense imprévue apparaît, ces personnes en situation de précarité ne peuvent plus faire face et relèvent de l’urgence. Or, cette situation peut résulter de dysfonctionnements administratifs évitables.

A cette difficulté s’ajoute le fait que les dispositifs d’aides financières se superposent : aides de l’Etat et du conseil général à travers divers dispositifs, aides des communes (les CCAS sont souvent les premiers financeurs de secours), mais aussi des caisses d’allocation familiales ou de mutualité sociale agricole, caisses primaires d’assurance maladie, ASSEDIC, fonds d’urgence des collèges et lycées, associations caritatives, procédures diverses de remise de dettes. Ces dispositifs sont souvent cloisonnés et le maillage du territoire très inégal. Ils ont chacun leurs critères d’attribution, leurs barèmes, leurs procédures d’instruction, sans garantir pour autant la couverture des besoins pour toutes les catégories de publics, ni éviter, à l’inverse, le recours d’une même personne à plusieurs dispositifs parallèles.

C’est pourquoi il paraît essentiel de pouvoir mettre en place avec les acteurs au plus près du terrain une coordination des politiques sociales et des fonds d’intervention ainsi qu’un accueil personnalisé. Le programme d’action du Gouvernement prévoit dans ce but la création d’un comité interministériel et la réorganisation des services de l’Etat concernés, tant au niveau central qu’au niveau déconcentré, pour assurer la continuité de l’action publique. Il envisage également de prolonger le rôle de la mission d’urgence sociale instituée en janvier 1998 pour gérer le fonds social d’urgence.

Il reste que la mise en place d’un dispositif de coordination générale est absente du projet de loi. Ceci peut s’expliquer par les nécessités de la concertation avec les représentants des différentes institutions concernées. Cette coordination devrait cependant pouvoir s’organiser dans le cadre souple d’un conventionnement entre organismes et collectivités au niveau local. Avec la détermination du territoire le plus pertinent pour cette coordination, ces conventions doivent prioritairement porter sur la recherche de cohérence de l’accompagnement personnalisé, la mise en réseau des différents intervenants pour permettre une orientation des personnes en difficulté vers l’organisme le plus à même de traiter sa demande et la simplification de l’accès aux services concernés. En mettant l’accent sur la nécessaire complémentarité des modes d’intervention et des initiatives, il sera ainsi possible de favoriser le développement social local.

F. FINANCEMENT DU PROGRAMME DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS

Le tableau ci-après récapitule les financements affectés, sur trois ans, par le projet de loi et le programme à la lutte contre les exclusions.

Le financement d’un montant total de 51,4 milliards de francs et réparti de la façon suivante entre les trois années :

- 6 milliards pour 1997

- 16 milliards pour 1998

- 29 milliards pour l’an 2000

Figurent dans ce total les crédits de l’Etat (38,2 milliards) mais également les cofinancements de ses partenaires : le Fonds social européen et les collectivités locales (8,1 milliards). S’y ajoutent également 5 milliards de francs au titre de l’assurance maladie et de la protection complémentaire.

Sur le total des crédits de l’Etat 15,8 milliards sont affectés à des mesures déjà annoncées. Le montant des crédits nouveaux s’élève donc à 22,4 milliards, c’est à dire :

- 2,6 milliards pour 1998

- 7,7 milliards pour 1999

- 12,1 milliards pour l’an 2000

Ce tableau regroupes les crédits selon leur nature. Il faut préciser que la ligne action sociale dont l’intitulé est peu précis recouvre les crédits nouveaux destinés à la formation des travailleurs sociaux, à l’amélioration de l’accueil dans les centres d’hébergement et de réadaptation sociale ainsi qu’aux résidences sociales.

(en millions de francs)

 

1998

1999

2000

Cumul
1998/2000

Total emploi

2637

11472

19421

33531

crédits Etat affectés au programme

1957

8886

15708

26551

dont mesures déjà annoncées

1135

3962

6581

11678

cofinancement des partenaires (dont FSE)

680

2586

3713

6980

Total santé

107

311

5311

5730

dont couvertures maladie universelle
et protection complémentaire

   

5000

5000

Total minima sociaux

1577

1801

1801

5179

Total action sociale

126

377

525

1028

Total logement

1135

1433

1434

4002

dont mesures déjà annoncées

670

670

670

2010

Total éducation nationale

443

465

498

1406

dont mesures déjà annoncées

290

290

290

870

Total justice

22

47

63

132

Total culture

35

45

45

125

Total jeunesse et sports

 

98

168

266

Total tourisme

 

6

8

14

TOTAL GÉNÉRAL

6082

16055

29275

51412

crédits Etat affectés au programme

5108

13030

20123

38261

dont mesures déjà annoncées11

2410

5393

8012

15815

cofinancement des partenaires12

974

3025

4152

8151

couverture maladie universelle
et protection complémentaire

   

5000

5000

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le 5 mars 1998 a été constituée une mission d’information commune à plusieurs commissions sur la prévention et la lutte contre les exclusions, dans le but de préparer l’examen du projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions. M. Georges Hage a été nommé président et M. Claude Bartolone, rapporteur. Cette mission a procédé à plusieurs auditions dont le compte-rendu figure ci-dessous. Le 1er avril, une commission spéciale, créée à la demande du Gouvernement, à la suite du dépôt du projet de loi, a pris le relais de la mission commune, sous la présidence de M. Georges Hage. Trois rapporteurs ont été désignés : M. Jean Le Garrec, M. Alain Cacheux pour les dispositions concernant le logement et Mme Véronique Neiertz pour celles concernant le surendettement.

Auditions de la mission d’information commune

sur la prévention et la lutte contre les exclusions

I.- AUDITION DE LA MINISTRE

La mission d’information a entendu Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, au cours de sa séance du mercredi 25 mars 1998.

M. Georges Hage, président, a observé que le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions de par sa nature se situait au-delà des clivages politiques, sociaux et culturels. Il répond à une profonde attente des citoyens comme le montrent de récentes enquêtes d’opinion  : plus de la moitié de nos concitoyens craignent d’être un jour frappés par l’exclusion ; mais 81 % d’entre eux pensent qu’une loi ne peut suffire à faire reculer l’exclusion et qu’il faut, avant tout, changer de politique économique. Par ailleurs, les Français font montre d’une grande confiance envers les associations caritatives, confiance qui semble toutefois remettre en cause l’efficacité de l’administration.

Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, a rappelé que le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale, en juin 1997, avait fixé comme double objectif au Gouvernement l’emploi et la lutte contre l’exclusion. La loi sur les emplois-jeunes et le projet de loi sur la réduction du temps de travail se sont inscrits dans cette priorité. Même si de premiers résultats positifs sont enregistrés qu’il faut considérer avec une grande prudence et même si la conjoncture économique est plus favorable, on ne peut ignorer qu’en tout état de cause certaines personnes en raison de leur parcours et de leurs difficultés, ne pourront, sans aide, en profiter. En outre, les phénomènes de précarité et d’exclusion touchent un nombre croissant de personnes dans notre pays : 10 % des ménages disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté ; deux millions de personnes ne vivent que grâce au revenu minimum d’insertion (RMI) et six millions dépendent des minima sociaux. La précarité s’accroît et prend de multiples formes : cinquante mille jeunes sortent ainsi chaque année du système éducatif sans qualification ; un quart de la population renonce à se faire soigner pour des raisons financières ; deux cent mille personnes sont sans abri et deux millions sont mal logées.

Le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions s’inscrit dans la continuité des travaux initiés depuis plusieurs années par les associations dont le travail sur le terrain permet de contribuer au maintien du lien social. Le rapport du professeur Péquignot en 1978 sur la grande pauvreté, le rapport du père Wresinski en 1987, puis celui du Conseil économique et social sur l’évaluation des politiques de lutte contre la grande pauvreté ont mis l’accent sur l’ampleur du problème. Un hommage tout particulier doit être rendu à Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d’ATD-Quart monde et membre du Conseil économique et social, pour son travail incessant au service de la lutte contre l’exclusion.

Il faut rappeler que ce projet s’inscrit dans un programme qui s’étendra sur les trois prochaines années. Il s’accompagnera, en outre, de deux autres textes : l’un portera sur l’accès aux droits, l’autre, pour la préparation duquel M. Jean-Claude Boulard a été chargé d’une mission, garantira l’accès aux soins et à la sécurité sociale aux plus démunis.

Le projet de loi se fonde sur la volonté de rendre aux personnes les plus en difficulté autonomie et dignité afin de redonner à chacun sa place dans notre société. Il est en rupture avec les politiques classiques de lutte contre l’exclusion puisqu’il rejette la logique de l’assistanat, dont elles se sont trop longtemps contentées. Le titre premier de la loi consacre donc l’accès aux droits fondamentaux des plus démunis. Il est, en effet, primordial que personne ne soit écarté de l’exercice effectif de ses droits, que ce soit en matière d’emploi, d’accès aux soins, d’éducation ou de culture.

Une dimension essentielle de la lutte contre l’exclusion réside ensuite dans la prévention car attendre l’urgence pour intervenir signifie que l’on renonce à changer les choses. C’est l’objet du titre II du projet de loi. Il y aura toujours des personnes pour lesquelles des réponses d’urgence seront indispensables. Celles-ci devront donc être relayées par des politiques structurelles. Pour autant, il est important de ne pas créer de droits spécifiques stigmatisant la pauvreté mais de permettre l’accès aux droits de tous.

*

L’article premier réaffirme solennellement l’engagement de la Nation dans la lutte contre l’exclusion. Celui-ci s’appuie sur des moyens financiers à la hauteur de l’enjeu : cinquante-et-un milliards de francs sur trois ans, dont trente-huit milliards à la charge de l’Etat.

Le chapitre 1er, titre premier est consacré à l’accès à l’emploi.

Il s’agit de prendre en compte la situation des hommes et les femmes qui sont aujourd’hui durablement éloignés de la qualification et de l’emploi parce qu’ils ont été en situation d’échec scolaire ou parce qu’ils sont sans emploi depuis une longue période. Chacun devra pouvoir être accueilli et accompagné dans la durée par un programme d’insertion. Le service public de l’emploi qui a retrouvé sa crédibilité auprès des entreprises doit être en mesure d’accueillir tous ceux qui ont besoin d’aide. Les dispositifs existants doivent être complétés pour que ces personnes puissent être conduites par étapes dans un parcours qualifiant et vers l’emploi. Les principales dispositions de ce chapitre sont les suivantes :

- Les jeunes les plus en difficulté, 60 000 d’entre eux en année pleine, seront accompagnés pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix-huit mois par le programme TRACE (trajet d’accès à l’emploi) qui permettra de définir les étapes nécessaires et adaptées à chacun. Pendant les périodes non couvertes par un contrat ou une formation, ils pourront bénéficier de l’aide financière du Fonds d’aide aux jeunes. Pour cela un financement est prévu à hauteur de 200 millions de francs et ce programme dans sa globalité mobilisera 5,1 milliards de francs sur trois ans.

- Les adultes non qualifiés pour lesquels une formation classique trop théorique est souvent inadaptée pourront désormais accéder aux contrats de qualification. Cette formation en alternance concernera 25 000 personnes en année pleine pour un coût de 2,2 milliards de francs.

- Les contrats emploi solidarité (CES) seront recentrés sur les personnes les plus en difficulté, l’objectif étant qu’ils représentent 75 % des bénéficiaires. Pour éviter que les personnes en CES qui n’arrivent pas obtenir du fait de leur âge ou de leur formation un emploi soient renvoyées vers le RMI, des contrats emplois consolidés (CEC) d’une durée de cinq ans leur seront proposés. Pris en charge à hauteur de 80 % par l’Etat, ils devraient pouvoir bénéficier à 200 000 personnes d’ici deux ans.

- Il convient également de dynamiser le secteur de l’insertion par l’activité économique et de clarifier les statuts de ces structures. Le nombre de postes sera doublé dans les entreprises intermédiaires qui travailleront en liaison avec l’ANPE pour qu’un bon ciblage des publics soit garanti.

- Une ampleur particulière sera également donnée à la lutte contre l’illettrisme.

Le chapitre 2 du titre premier traite du droit au logement.

L’amélioration du logement social est indissolublement liée à la politique de la ville. Aussi ce texte sera ultérieurement complété par des projets de loi sur la politique du logement social et sur la politique de la ville. Ce chapitre de ce projet a pour objet plus spécifiquement d’améliorer les dispositifs pour les plus défavorisés.

Pour garantir le droit au logement, le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées sera revu. Les moyens du fonds de solidarité logement seront augmentés de 320 millions de francs sur trois ans. Le rôle des associations dans la médiation et la gestion locative sera renforcé. L’offre de logements adaptés pour les personnes défavorisées sera accrue et une taxe sur les logements vacants sera instaurée. Un numéro d’enregistrement départemental permettra une plus grande égalité d’accès au logement social.

La prévention et l’accès aux soins font l’objet du chapitre 3 du titre premier. Malgré les mesures législatives et réglementaires existantes qui interdisent théoriquement cette situation, 100 à 200 000 personnes n’ont pas de droits ouverts à l’assurance maladie. Dans le cadre de la réforme actuellement étudiée par le Gouvernement toute personne âgée de plus de seize ans disposera d’une carte permanente de sécurité sociale et sera affiliée au régime général si elle n’est pas prise en charge par un régime obligatoire. Mais il faut aller plus loin pour garantir l’accès effectif aux soins de ceux qui n’ont pas les moyens de se faire soigner. En effet, l’aide médicale gratuite n’est pas accordée systématiquement ou fait l’objet de certains obstacles de nature administrative, des distorsions existent de plus entre les différents départements qui n’apprécient pas la situation des intéressés suivant les mêmes critères. Une couverture complémentaire sous condition de ressources sera mise en place. Tous ces éléments feront l’objet du projet de loi sur la couverture maladie universelle qui sera discuté à l’automne. Dans le présent projet de loi d’orientation, il est prévu de mettre en place pour les plus démunis des programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins, en liaison avec les départements. La prévention en direction des jeunes, à commencer par la médecine scolaire devra être renforcée. Enfin, l’hôpital doit retrouver la mission sociale qui était la sienne en s’adaptant aux besoins spécifiques des personnes en situation de précarité.

Le chapitre 4 du titre premier a pour objectif d’améliorer les conditions d’exercice de la citoyenneté. Les personnes sans domicile fixe auront accès au droit de vote en étant domiciliées auprès d’associations agréées et verront leur accès à l’aide juridique facilité.

*

Le titre II a pour objet la prévention des exclusions.

Le chapitre premier vise à améliorer le traitement du surendettement en renforçant les droits des débiteurs mais aussi en garantissant le maintien d’un minimum vital aux intéressés par l’étalement du remboursement des dettes sur huit ans au lieu de cinq et par la possibilité de déclarer des moratoires.

Le chapitre 2 du titre II a pour objet de réformer la procédure des saisies immobilières et des ventes judiciaires des logements saisis.

Le chapitre 3 du titre II vise à prévenir les expulsions des personnes de bonne foi. Aucune expulsion en effet n’aura lieu sans que les autorités publiques n’aient été saisies et ceci dès l’engagement de la procédure. Il assure également le droit à un habitat décent, en particulier par la lutte contre le saturnisme mais aussi en apportant des garanties contre les marchands de sommeil, la précarité des meublés et des sous-locations.

Le chapitre 4 du titre II vise à garantir les moyens d’existence des plus démunis.

Les minima sociaux sont une réponse indispensable aux situations les plus difficiles. Pour autant, le bénéfice d’un revenu minimum ne doit pas se traduire par l’enfermement dans l’assistanat. L’objectif est de redonner à chacun une place dans la société et cela est bien plus ambitieux et bien plus difficile que de créer un “ RMI jeunes ”.

Le retard pris dans l’évolution des minima comme l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et l’allocation d’insertion (AI) a été comblé. Leur montant sera désormais garanti par une indexation sur les prix. Inciter les allocataires à la reprise du travail suppose que les minima sociaux ne soient pas trop proches des plus bas salaires et en même temps que le retour à l’emploi ne soit pas pénalisant pour les intéressés. Une personne longtemps attributaire du RMI n’accédera très probablement à l’emploi qu’au travers d’un contrat à durée déterminée ou à temps partiel. Les règles actuelles d’intéressement aboutissant une perte de la moitié des revenus du travail, l’incitation à la reprise d’une activité n’existe pas. S’y ajoute la peur d’échouer dans cette réinsertion et en conséquence de perdre le bénéfice des allocations précédemment servies. Le nouveau dispositif d’intéressement à la reprise du travail permettra que toute personne retrouvant un emploi bénéficie pendant douze mois, en plus du minimum social, d’une partie de la rémunération supplémentaire et même pendant les trois premiers mois de l’intégralité de celle-ci.

Il faut ajouter que l’ensemble des mesures visant à faciliter l’accès aux soins, à la culture, aux loisirs ou au logement sont autant de dépenses supplémentaires financées par la collectivité qui viendront réduire les charges pesant sur les personnes à faible revenu.

Enfin, l’égalité des chances repose aussi sur l’éducation et la culture. Sur ce dernier point le projet prévoit que les actions culturelles bénéficiant de subventions publiques adapteront leurs tarifs aux personnes en difficulté.

*

Le titre III a pour objet d’améliorer et de coordonner l’action des acteurs de la lutte contre l’exclusion.

Cette amélioration passe par une meilleure formation des travailleurs sociaux qui s’inspire des mesures prévues par le projet de loi sur la cohésion sociale et par une consolidation des structures d’urgence. La coordination des acteurs s’appuie sur la mise en place d’un observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Il disposera, en 1999, d’un budget de 5 millions de francs.

Les élections cantonales ayant conduit à suspendre les discussions en cours avec les présidents des conseils généraux, un amendement du Gouvernement sera présenté quand cette concertation aura été achevée, afin de revoir l’organisation départementale de la lutte contre l’exclusion et pour l’insertion pour mieux organiser l’action publique avec l’ensemble des acteurs concernés.

En conclusion, la ministre a rappelé que le projet de loi d’orientation constituait une première étape. L’Etat prend un engagement fort sur trois ans qui devra, bien sûr, se poursuivre au-delà mais les collectivités locales, les conseils régionaux et surtout les conseils généraux ont aussi un rôle majeur à jouer. Les services publics devront également évoluer afin d’être au service de tous et même d’aller au devant des exclus. La lutte contre l’exclusion devrait donc conduire à la mobilisation de tous en associant l’ensemble des partenaires, qu’il s’agisse des collectivités, des entreprises ou des associations.

Après l’exposé de la ministre, M. Claude Bartolone, rapporteur, a observé que le projet de loi actuel avait le mérite de couvrir tous les aspects de l’exclusion et de s’appuyer sur un financement à hauteur de 50 milliards de francs, dont 38,2 milliards par l’Etat, alors que la modicité et la non-pérennité du financement du précédent projet de loi avaient été critiquées. Il faudrait cependant être certain qu’il y aura bien accompagnement du financement de l’Etat par celui des collectivités locales et que les adultes ne se sentent exclus des dispositifs prévus en faveur de l’emploi. En ce qui concerne l’accès aux soins des plus démunis, on peut s’interroger sur les rôles respectifs de l’hôpital et du médecin généraliste. Enfin, l’intention annoncée par le Gouvernement de financer la lutte contre l’exclusion sur plusieurs années, à budget constant, impliquera des choix budgétaires sur lesquels il serait bon d’avoir des éléments.

En réponse, Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, a apporté les précisions suivantes :

- Pour les années 1998, 1999 et 2000, sur un total de 51,4 milliards l’Etat sera engagé pour 38,2 milliards mais il sera également fait appel à un cofinancement de différents partenaires à hauteur de 8,1 milliards. Sur ce total, le Fonds social européen (FSE) contribuera pour 2,2 milliards au financement des mesures relatives à l’emploi, tandis que les collectivités locales financeront à hauteur de 3,5 milliards essentiellement le développement des plans locaux d’insertion par l’économie (PLIE). Les opérateurs publics ou privés d’eau, d’énergie et de téléphone abonderont à hauteur de 900 millions sur trois ans un fonds consolidé qui permettra que les dettes soient étalées et qu’aucune interruption de service n’ait lieu sans contact préalable avec les particuliers concernés. Un financement de 5 milliards sera par ailleurs affecté à la couverture maladie universelle. Sa répartition entre l’Etat et les autres partenaires n’est pas encore connue puisque le texte n’est pas encore voté.

- L’annonce de la création de 350 000 emplois-jeunes a pu faire croire aux adultes qu’ils étaient laissés de côté. Dans le programme contre les exclusions, il y a 11 milliards de crédits nouveaux sur des dispositifs d’aide à l’emploi des adultes, au regard des 3,3 milliards de francs affectés aux dispositifs concernant les jeunes.

- Des études sur la mission sociale de l’hôpital sont en cours. Il serait souhaitable de généraliser le dispositif d’accueil médico-social des hôpitaux - les programmes d’accès aux soins de santé (PASS) - de manière à ce qu’un service soit en mesure d’accueillir à tout moment les personnes en difficulté, de les aider et de les guider.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné qu’il serait présomptueux de penser qu’une loi seule puisse venir à bout de l’exclusion, d’autant que les problèmes ne sont pas seulement financiers. Il y a beaucoup de bonnes choses dans le projet actuel mais il ne comporte pas de chapitres nouveaux par rapport au texte précédent et il serait important de savoir si les mesures annoncées sont bien des mesures nouvelles ou s’il s’agit seulement de redéploiement. Le volet concernant l’éducation nationale et particulièrement la lutte contre l’illettrisme mériterait d’être précisé. L’amendement annoncé sur la réforme du dispositif départemental de lutte contre l’exclusion doit avoir comme objectif de prévoir une structure de décision légère et efficace. Il serait également souhaitable de clarifier les dispositions fiscales qui s’appliquent aux entreprises d’insertion, car elles sont à l’heure actuelle l’objet de redressements importants de la part de l’administration fiscale.

M. Pierre Méhaignerie a considéré que la lutte contre les exclusions devait surmonter deux difficultés essentielles : l’insuffisante mobilisation des acteurs sur le terrain et la trop grande complexité des systèmes mis en place. C’est pourquoi il faudrait demander aux préfets de réaliser une évaluation des efforts réalisés par les acteurs locaux et faire circuler l’information ainsi recueillie. Au titre de la nécessaire simplification, on peut se demander pourquoi le projet de loi ne prévoit pas d’harmonisation des minima sociaux. Il faut enfin souligner le risque que certaines personnes ne s’installent durablement dans une situation de non-travail, si la différence entre minima sociaux et revenus du travail n’est pas assez marquée.

Mme Véronique Neiertz a souligné les différences importantes existant entre ce projet de loi et celui présenté par le précédent Gouvernement : en terme de calendrier puisqu’il intervient rapidement après la mise en place du Gouvernement, en raison aussi de son ampleur sans précédent et de sa logique fondée sur la prévention. Les financements sont assurés, ce qui n’était le cas d’aucune des mesures du projet de loi de cohésion sociale. Enfin, il comprend un dispositif en matière de surendettement même s’il ne va pas jusqu’à la généralisation de la faillite civile.

Mme Janine Jambu, après avoir souligné trois aspects très positifs du texte, un large accord sur la gravité de la situation, la nécessité de sortir de l’assistanat et, enfin, le développement d’un volet axé sur la prévention, a posé des questions sur :

- le coût du dispositif et la nécessité de rechercher des ressources nouvelles notamment en définissant mieux la participation financière des entreprises ;

- l’importance de la mixité sociale, car le regroupement systématique de populations précarisées accroît les problèmes et retentit sur les conditions d’enseignement et d’accueil ;

- les expulsions, qui apparaissent comme une méthode dépassée dès lors que les intéressés sont de bonne foi ;

- l’extension du bénéfice du RMI aux jeunes de moins de vingt-cinq ans.

M. Patrick Devedjian a estimé que la pire inégalité réside actuellement dans la complexité bureaucratique. Les mécanismes d’attribution du RMI, par exemple, sont beaucoup trop éloignés des réalités du terrain et de ce fait générateurs d’inégalités. Il a ensuite posé des questions sur la manière dont seront financées les dépenses, en particulier la première année. Si ces dépenses ne doivent pas provenir de crédits redéployés, seront-elles financées par l’emprunt, par de nouveaux impôts ou par une réduction d’autres dépenses et dans ce cas, des économies seront-elles réalisées sur les crédits du ministère de l’emploi et de la solidarité ? Quel est le coût exact induit par les mesures nouvelles du projet de loi puisque certaines dispositions existent déjà ? Enfin, quelles seront les modalités de financement de l’assurance maladie universelle et quelle participation peut-on attendre des régimes d’assurance maladie et des mutuelles ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a posé des questions sur la mobilisation des entreprises et sur le rôle des travailleurs sociaux pour assurer, au-delà de l’empilage des dispositifs, la qualité de leurs résultats.

Mme Hélène Mignon, après avoir indiqué que dans le département de la Haute-Garonne la mise en place de la carte de santé permettait à chacun d’obtenir une couverture sociale maladie dans un délai de huit jours et que les entreprises étaient satisfaites de l’extension aux adultes des contrats de qualification, a posé des questions sur le rôle dévolu aux missions locales et sur la nécessité de donner aux travailleurs sociaux plus d’initiative, au besoin en revoyant les règles du secret professionnel.

M. Alain Veyret, après avoir souligné l’existence de phénomènes d’exclusion dans les zones rurales et insisté sur la nécessité de mener des actions d’aménagement du territoire pour faire face à ce problème, a dénoncé le caractère précaire des emplois aidés et le risque qui existe de créer des emplois à deux vitesses.

En réponse aux intervenants, Mme Martine Aubry a donné les précisions suivantes :

- La lutte contre l’échec scolaire est un élément du programme d’action complémentaire du projet de loi. Ces mesures ne sont en effet pas toutes de nature législative mais nécessitent une action de terrain dans une logique de prévention. Il en est de même pour le programme d’action culturelle ou les mesures sur l’accès au sport et aux loisirs. Le financement de la lutte contre l’illettrisme, qui était passé de 60 millions de francs en 1995 à 25 millions de francs en 1997, sera porté en trois ans à 72 millions de francs par an. Ainsi 45 000 personnes bénéficieront de l’ensemble du programme contre 5 000 actuellement.

- Le financement du projet de loi est assuré pour 1999 et 2000 par un redéploiement de crédits au niveau de l’ensemble du budget de l’Etat, compte tenu des deux priorités fixées par le Premier ministre qui sont l’emploi et la lutte contre l’exclusion. A la différence du programme de cohésion sociale du précédent gouvernement qui réduisait les crédits destinés à l’ASS, il n’y aura donc pas de redéploiement à l’intérieur des crédits destinés aux plus démunis.

Les moyens financiers affectés au programme de lutte contre l’exclusion pour 1998 s’élèvent à 6 milliards de francs. L’Etat s’engage pour 5,1 milliards de francs, sur lesquels 2,4 milliards de francs sont d’ores et déjà budgétés. 2,5 milliards de francs de mesures nouvelles sont donc dégagés et 974 millions de francs proviendront du cofinancement des partenaires. Pour cette année aucun redéploiement des crédits n’est prévu ni sur les crédits du ministère de l’emploi et de la solidarité ni sur les chapitres budgétaires concernés par le projet. Si de tels redéploiements ont lieu dans les années qui viennent ils affecteront des crédits en diminution en raison des succès obtenus dans la lutte contre l’exclusion.

- Les entreprises d’insertion connaissent des problèmes d’ordre fiscal mais aussi des difficultés dues aux retards de paiement de l’Etat. Sur ce point des instructions ont déjà été données. Le projet de loi clarifie leur statut mais elles doivent viser, dans leur action, un public véritablement en difficulté.

- Il est vrai qu’il faut simplifier les dispositifs multiples existants. L’action de proximité sera facilitée, par exemple, par la création d’espaces jeunes communs aux missions locales et à l’ANPE. De même, les cellules d’urgence ont pour objectif d’orienter les personnes en difficultés lorsqu’elles demandent l’application d’un droit, afin qu’elles n’aient pas à s’adresser à de multiples services.

- La décentralisation de l’action sociale ne doit pas se traduire par des ruptures d’égalité pour les plus faibles.

- L’harmonisation des minima sociaux n’est envisageable que dans un cadre plus large prenant également en compte l’indemnisation du chômage. Si l’ASS n’a pas été revalorisée ces dernières années c’est en raison de l’afflux massif de jeunes chômeurs précédemment pris en charge par l’UNEDIC.

- La quasi-totalité des chômeurs sont à la recherche effective d’un emploi, le problème de la fraude est marginal et les sanctions existent. Depuis 1992, un chômeur ayant refusé deux emplois est radié d’office des listes de l’ANPE.

- Un pays qui se résigne à donner une allocation d’assistance aux jeunes est un pays qui baisse les bras. La solution passera par une réforme de l’indemnisation du chômage.

- La mixité sociale est un facteur essentiel de lutte contre l’exclusion, qui ne peut être appréhendé qu’à travers la politique de la ville.

- L’assurance maladie universelle est susceptible de toucher 500 000 personnes, notamment des personnes qui n’accèdent pas actuellement aux soins alors même qu’elles y ont droit. Le coût de 5 milliards de francs pourra donner lieu à des financements provenant de diverses sources, par exemple une participation des systèmes d’assurance complémentaire, ou encore la mise en place de tarifs différenciés de la part des mutuelles.

- Il est indispensable de redéfinir les mission des travailleurs sociaux afin qu’ils assurent des actions de proximité et de suivi sur le terrain et ne contentent pas de gérer des dossiers dans leurs bureaux.

- Les phénomènes d’isolement des personnes en situation précaire au sein des zones rurales ne doivent pas être négligées. 20 % des emplois-jeunes doivent s’adresser à des personnes provenant de zones défavorisées, de quartiers difficiles mais aussi de zones rurales ou en voie de désertification.

II.- AUDITION DE M. BERTRAND SCHWARTZ, UNIVERSITAIRE

La mission d’information a entendu M. Bertrand Schwartz, universitaire au cours de sa séance du mercredi 18 mars.

M. Georges Hage, président, a indiqué en préambule que cette séance ne consisterait pas à analyser un projet de loi qui n’est pas encore déposé mais permettrait de recueillir l’avis des intervenants sur le programme présenté par le Gouvernement le 4 mars et, au-delà, de se pencher d’une manière globale sur les problèmes d’insertion qui touchent à l’éthique, forme suprême de la politique. Le projet de loi contre l’exclusion a une histoire dont les épisodes sont connus. Lors de la dernière campagne électorale pour l’élection du Président de la République, quatre candidats éminents étaient convenus de l’urgence qu’il y avait à se saisir des problèmes de l’exclusion. Cette préoccupation est aujourd’hui unanimement partagée dans notre pays comme si l’exclusion, voire ses angoisses hantaient la conscience nationale.

Dans ce contexte, l’audition de M. Bertrand Schwartz s’imposait, puisqu’il un spécialiste de la formation professionnelle, qu’il est à l’origine de plusieurs innovations dans le domaine de l’insertion parmi lesquelles la création des missions locales d’insertion et que ses écrits témoignent du refus de la “ fatalité de l’exclusion ”.

M. Bertrand Schwartz a souligné que toute politique destinée à lutter contre le phénomène d’exclusion devait partir de deux éléments essentiels : d’une part, de mesures cohérentes et globales, d’autre part, d’une volonté d’accompagnement et de suivi. Les dispositions à prendre ne peuvent, en effet, l’être isolément et ceci est vrai de l’emploi, de la formation professionnelle ou encore du logement. Quant au suivi, il est une nécessité absolue. Les travaux des missions locales d’insertion font ressortir les spirales dans lesquelles sont entraînés de nombreux jeunes : l’absence de revenu entraîne des difficultés à chercher un emploi, l’absence d’emploi implique la perte du logement, lequel entraîne une dégradation de la santé des intéressés, laquelle à son tour les prive à nouveau de possibilités d’emploi. Le développement des missions locales proposé par le Gouvernement apparaît à cet égard très positif, puisqu’elles sont en mesure d’appréhender la situation des jeunes dans sa totalité.

Le programme présenté par le Gouvernement traduit la nécessité d’une approche globale, il devrait cependant, pour réussir, déboucher sur une réforme de l’Etat et une évolution du comportement des décideurs et des acteurs. Il faut à cet égard souligner que la première carence est celle de l’écoute, sur le terrain. La plupart des personnes en situation de précarité ne trouvent plus d’interlocuteurs. Par ailleurs on ne peut se limiter à l’évaluation seulement quantitative des différents outils mais il faut se préoccuper de la qualité des réinsertions auxquelles on parvient.

Enfin, il est indispensable de relier les divers acteurs au sein de réseaux, ce que les administrations centrales, trop formalistes, ne font pas. Un animateur, par exemple, qui exerce son travail de façon solitaire est inefficace.

Dans le domaine des nouveaux services et nouveaux emplois, les questions qu’il convient de se poser sont les suivantes :

- Quels sont les secteurs où le manque d’emploi engendre des dégâts ?

- Que peut-on attendre du développement d’activités nouvelles ?

- Comment les emplois-jeunes, par exemple, peuvent-ils se répercuter sur les structures de travail déjà existantes ?

L’institution des “ trajectoires d’accès à l’emploi ” (TRACE) apparaît positive puisque cette mesure devrait permettre, sur une durée relativement longue, de remédier aux difficultés parfois dramatiques engendrées par la discontinuité temporelle ou spatiale de certaines mesures.

S’agissant de la formation en alternance, son efficacité suppose qu’une très forte articulation soit opérée entre les périodes de travail et la formation. Le jeune en formation doit se rendre compte que l’enseignement abstrait qu’on lui apporte peut lui être utile dans son travail. Il faut aussi qu’il puisse acquérir un niveau de travail qualifiant. Il convient d’ailleurs préciser que le niveau de qualification en soi n’a pas beaucoup d’importance : si une personne, après avoir atteint un certain niveau s’arrête de travailler pendant plusieurs années, les bénéfices en seront perdus. En sens contraire, l’échec scolaire ne devrait pas être un obstacle car un jeune peut avoir vécu des situations dans lesquelles, pour s’en sortir, il a dû faire preuve de capacités qui peuvent être valorisées.

On doit enfin se réjouir de la mise en place de contrats de qualification pour les adultes ainsi que des actions projetées pour appuyer les projets de création d’activité car il est prouvé que l’intégration de jeunes de faible niveau dans un processus de création culturelle ou sociale permet bien souvent de les sortir de la logique d’exclusion, de les former, voire de créer des emplois.

M. Claude Bartolone, rapporteur, a demandé quels étaient les moyens à mettre en œuvre pour que les différents intervenants prévus dans le projet TRACE travaillent effectivement ensemble et comment éviter une séparation trop forte entre les décisions prises par l’Etat et les actions menées sur le terrain par les collectivités locales, les associations et les travailleurs sociaux.

M. Gaëtan Gorce a rappelé qu’un des problèmes récurrents rencontrés dans l’action sur le terrain résidait dans la difficulté à coordonner l’action des différentes administrations et à mobiliser l’ensemble des moyens disponibles. On pourrait donc se demander si la réforme de l’Etat n’est pas un préalable indispensable à la réussite des mesures proposées par le Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard a observé que, bien souvent, alors qu’il suffirait de peu de choses pour sortir des personnes de l’exclusion, les circuits institutionnels existants sont inefficaces car incapables de s’adapter aux cas concrets. Il convient donc de réfléchir à des modalités d’actions fondées, non pas sur des structures, mais sur la réalité vécue par les individus.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné que l’efficacité des missions locales était en réalité extrêmement variable. Le projet envisage la création de 900 postes supplémentaires dans ces missions locales. Pour éviter tout gaspillage, il serait souhaitable qu’il soit procédé au préalable à une évaluation de leur action.

Il faut rappeler que les emplois-jeunes ne sont pas censés s’adresser aux personnes en situation d’exclusion. Il ne faut donc pas confondre les objectifs du texte “ emplois-jeunes ” et ceux du présent projet.

Enfin, si la situation des jeunes a été très largement évoquée, il ne faudrait pas pour autant oublier le cas encore plus dramatique des personnes plus âgées, sans emploi et arrivées en fin de droits.

M. Pierre Méhaignerie a souligné que les travailleurs sociaux étaient tout autant désespérés par la multiplicité des structures existantes que par la multiplicité des cas dont ils doivent s’occuper. Il n’est pas rare qu’une même famille soit suivie par dix structures différentes. Il est donc essentiel que le projet s’attache à harmoniser et coordonner l’action des différents acteurs sociaux, sinon il ne donnera lieu qu’à un gaspillage de moyens.

En réponse aux intervenants, M. Bertrand Schwartz a apporté les éléments suivants :

- Le programme prévoit une meilleure formation des travailleurs sociaux, ce dont il faut se féliciter car ceux-ci se sentent souvent laissés pour compte. Toutefois, assurer une meilleure formation aux travailleurs sociaux ne sera pas suffisante pour garantir une véritable collaboration entre les différents acteurs : c’est toute l’administration (directions départementales du travail et de l’emploi, ANPE, AFPA, etc.) qui devrait apprendre à “ écouter  ”, afin que tous soient à même de travailler en collaboration sur des cas concrets.

- Faire de la réforme de l’Etat un préalable serait prendre le risque de l’immobilisme. Il est préférable de la mener à travers la mise en œuvre de programmes et d’instances de concertation.

Il faudrait s’assurer que chaque personne en situation d’exclusion soit rencontrée au moins une fois par une personne capable de l’écouter et de la mettre en contact avec d’autres, plus à même, le cas échéant, de la diriger vers l’institution qui lui correspond le mieux.

- On peut en effet considérer qu’il y a un tiers des mission locales qui fonctionnent mal mais la responsabilité en revient souvent aux élus, puisque ce sont eux qui les président et qui en désignent les dirigeants.

– Le risque de gaspillage doit être relativisé si l’on pense aux sommes colossales dépensées par exemple dans l’affaire de la vache folle ou dans d’autre secteurs. En ce qui concerne plus particulièrement la multiplicité des structures et leur absence de coopération, ce n’est pas la loi qui fera changer les choses, mais bien chacun d’entre nous.

III.- AUDITION DE M. SIMON WUHL, PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE

La mission d’information a ensuite entendu M. Simon Wuhl, professeur associé à l’université de Marne-la-Vallée au cours de sa séance du mercredi 18 mars 1998.

M. Georges Hage, président, a rappelé que M. Simon Wuhl, socio-économiste, professeur associé à l’université de Marne-la-Vallée était également conseiller scientifique au Plan urbain, après avoir été rapporteur à la commission nationale d’évaluation du RMI et membre de la mission de M. Jean-Pierre Sueur sur la politique de la ville et qu’il était l’auteur de plusieurs livres : “ Du chômage à l’exclusion ” (1991), “ Les exclus face à l’emploi ” (1992), “ Insertion : les politiques en crise ” (1998), ouvrage dans lequel il s’attache à montrer que le “ chômage d’exclusion ”, celui des personnes en rupture avec le marché du travail, résiste à toute amélioration de la conjoncture économique et se pérennise alors que les politiques d’insertion sont en crise faute d’une vision claire de leurs objectifs.

M. Simon Wuhl a d’abord exposé les principes qui, à ses yeux, devaient guider les politiques d’insertion des chômeurs en difficulté. En premier lieu, doit être établie l’articulation la plus étroite entre la sphère de l’insertion et celle de l’entreprise. Plus globalement, la sphère de l’insertion doit s’articuler avec les politiques suivies en matière d’organisation du travail comme, par exemple, la réduction du temps de travail, afin d’éviter une sorte “ d’enclavement ” de l’insertion. Enfin, il est nécessaire d’éviter, ou du moins de limiter, les solutions qui enferment durablement les intéressés dans un statut périphérique par rapport au cadre général du travail. Il en était ainsi, par exemple, des emplois-ville, assignés à une catégorie bien déterminée, les jeunes de banlieue non qualifiés. Les emplois-jeunes, qui s’adressent à un public plus qualifié et qui s’inscrivent dans un processus transitoire, n’entrent pas dans cette catégorie.

Si on procède à l’analyse critique des conceptions actuelles des politiques d’insertion, trois grands pôles de l’insertion correspondant à trois catégories de mesures peuvent être définis :

- un pôle “ éducatif/adaptatif ”, qui est majoritaire. En marge du système de production, il repose essentiellement sur les stages et soulève deux difficultés. Il faut souligner que, d’une part, dans une conjoncture aléatoire il est difficile d’ajuster la qualification des personnes aux besoins des entreprises, alors même que les emplois les moins qualifiés sont ceux qui connaissent les évolutions les plus rapides et, d’autre part, que de nombreuses compétences ne peuvent s’acquérir qu’en situation de travail. Aussi, même dans les conjonctures les meilleures en matière de création d’emploi, comme ce fut le cas à la fin des années 80, les performances de ce pôle restent faibles ;

- un pôle “ social ou d’utilité sociale ” qui a été illustré par le développement de contrats de type “ emploi-solidarité ” reposant sur l’idée, qu’il peut exister un nouvel espace économique entre la logique marchande du secteur privé et la logique administrative du secteur public. Il semblait donc possible de dégager des emplois pérennes dans ce secteur intermédiaire. La difficulté réside dans le fait que les chômeurs en difficulté ne semblent pas les mieux placés pour explorer ces nouveaux espaces économiques, même si des résultats intéressants ont pu être obtenus. Les conséquences, outre les faibles créations d’emplois durables, en sont le développement d’activités périphériques au monde de l’emploi, renforçant la séparation entre l’insertion et le système de production ;

- un pôle “ économique ” qui consiste à articuler la formation et l’insertion en entreprise, par exemple au moyen de la formation en alternance. Le problème est que les évaluations montrent que les contrats du type “ contrat de qualification ” bénéficient prioritairement à des jeunes déjà qualifiés qui en ont pourtant le moins besoin. Cependant, lorsque les moins qualifiés accèdent à ces contrats, et ils sont au nombre d’environ 20 %, leur probabilité d’insertion professionnelle est très supérieure à celle offerte par les autres modalités d’insertion.

Troisièmement, il faut préciser les raisons de la configuration du chômage français : chômage des jeunes, chômage de longue durée et de précarité. Elle s’explique essentiellement par les rigidités de l’organisation du travail dans les entreprises françaises. L’esprit taylorien perdure et cette rigidité est parfaitement contraire à la souplesse requise par une conjoncture économique aléatoire. Les entreprises, même dans une conjoncture favorable et même lorsqu’elles déclarent avoir besoin de main-d’œuvre peu qualifiée, font montre d’une grande réticence à l’embauche. En outre, elles privilégient une embauche surqualifiée qui marginalise les chômeurs les plus en difficulté tout en créant des difficultés de gestion du personnel. On peut constater que certains pays comme l’Allemagne, la Suède ou le Japon, résistent mieux aux phénomènes d’exclusion en raison d’une organisation qualifiante et intégratrice de leurs entreprises. Lorsque ces méthodes sont pratiquées en France, les résultats sont encourageants.

Enfin, s’agissant des orientations concrètes des politiques de lutte contre l’exclusion, il est essentiel d’associer à la politique d’insertion les experts et consultants en organisation du travail plutôt, comme le prévoit le plan du Gouvernement, que de renforcer la sphère socio-administrative sans mobiliser les entreprises. Les contrats de qualification peuvent avoir un effet positif si des mesures d’accompagnement social et éducatif sont prises en parallèle avec la situation de travail. Il convient de décloisonner l’insertion par rapport à la sphère de la production et tout processus d’insertion doit se traduire par des modifications dans l’organisation du travail, la flexibilité, la sélection des tâches au moment où la reprise de la croissance et la réduction du temps de travail ouvrent des opportunités nouvelles.

M. Claude Bartolone, rapporteur, a souhaité connaître la mesure qui permettrait le mieux de favoriser les passerelles entre les entreprises et les structures actuelles d’insertion et s’est interrogé sur l’impact que pourraient avoir les orientations proposées par M. Simon Wuhl sur les chômeurs âgés qui n’ont pas de réels espoirs de trouver de travail dans une entreprise.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a relevé que les propos de M. Simon Wuhl sous-entendaient une critique sévère des emplois-jeunes puisque ceux-ci se situent hors de la sphère de production.

M. Jean-Pierre Brard a déclaré être en désaccord avec la logique dans laquelle s’inscrit M. Simon Wuhl, car demander aux entreprises de mener à bien des actions d’insertion et renoncer aux actuelles structures protectrices, conduirait à l’abandon des jeunes qui ont besoin de formules adaptées et spécifiques, et en la matière, les rares exemples d’insertion par les entreprises que l’on peut citer restent marginaux. Il convient, au contraire, de prévoir des ressources spécifiques pour des jeunes déscolarisés, pour des personnes qui sont sans domicile fixe ou sur le point de l’être, personnes fragilisées, que les entreprises, en toute hypothèse, n’embaucheront pas.

M. Pierre Cardo a observé qu’il n’était pas si évident que l’entreprise ait pour fonction de mener des actions d’insertion. L’entreprise est destinée à créer des richesses, l’emploi n’étant qu’un moyen de parvenir à cet objectif. Un emploi n’est pas créé parce que cette création s’accompagne d’une prime ; l’aide à l’emploi ne sert qu’à orienter l’embauche. Il convient par contre de modifier les dispositifs actuels d’insertion. Ainsi le système scolaire, qui apprécie la réussite en fonction de critères seulement intellectuels, ne peut être considéré comme pertinent. Il serait bon par exemple de permettre une entrée en apprentissage dès l’âge de quatorze ans car actuellement, nombre d’élèves entre quatorze et seize ans sont déjà, de fait, déscolarisés. Les contrats de qualification peuvent être un moyen d’insertion parmi d’autres, mais la mise en place d’un processus massif en ce sens viderait de leur utilité une partie des entreprises d’insertion alors qu’au contraire, il est important de redynamiser les entreprises à but social, qui s’avèrent être les seules à même de mener une réelle action d’insertion.

M. Jean-Pierre Delalande a préconisé de revoir les filières d’orientation dans lesquelles sont souvent enfermées les jeunes en fin de scolarité et de prévoir pour ceux-ci un bilan d’évaluation permettant une identification de leurs capacités véritables.

En réponse aux intervenants, M. Simon Wuhl a fait les observations suivantes :

- Une stratégie autour du contrat de qualification dans l’entreprise semble la mesure plus intéressante, parce que celui-ci permet de développer des actions d’insertion à long terme. Dans un système comme le TRACE, dès que les intéressés trouvent un travail, fut-il temporaire, ils ont tendance à interrompre le processus. Au contraire, les contrats de qualification se situent dans l’entreprise, ils permettent de valider les acquis et donnent une perspective d’embauche tout en assurant un accompagnement.

- En ce qui concerne les travailleurs âgés dans des zones semi-rurales, il est vrai que des formules se rattachant au pôle social, telles les contrats emplois consolidés, sont utiles. Toutefois, il est possible parfois d’avoir recours à l’insertion par l’entreprise. Ainsi, en Haute-Marne, les artisans du secteur du bois ont développé des contrats emploi-solidarité, permettant des formations de chômeurs et faisant évoluer le contenu même du travail en fonction des qualifications acquises au fur et à mesure.

- Les emplois-jeunes peuvent servir à développer un nouvel espace économique mais pour cela ils doivent, comme cela est prévu, s’adresser à des jeunes qui ont déjà une qualification, et non à ceux en grande exclusion. En effet, nombre de ces emplois impliquent des fonctions relationnelles que peuvent difficilement être assurées par des jeunes en situation psychologiquement précaire. Pour ces derniers, il vaut donc mieux avoir recours aux contrats de qualification.

- Il est vrai qu’on ne peut pas compter uniquement sur l’entreprise pour la réinsertion des personnes en difficultés car cette dernière doit être accompagnée de tout un suivi social et éducatif, mais il est impossible de régler l’ensemble du problème de l’exclusion à la périphérie du monde de l’entreprise. Il y a place pour un secteur de l’économie solidaire situé entre les entreprises et le secteur public a condition qu’il ne soit pas réservé aux chômeurs les plus en difficultés. En outre, les entreprises d’insertion n’auront toujours que des possibilités limitées et doivent donc avoir pour objectif de redéployer leurs effectifs vers les entreprises.

- Il existe déjà des moyens pour reformuler les capacités des jeunes, comme le crédit formation individualisé, mais il serait bon d’évaluer leurs véritables aptitudes lorsqu’ils sont en situation de travail dans une entreprise.

IV.- AUDITION DE M. ALBERT JACQUARD, MEMBRE DU HAUT COMITÉ POUR LE LOGEMENT DES PERSONNES DÉFAVORISÉES

La mission d’information a ensuite entendu M. Albert Jacquard, membre du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées au cours de sa séance du mercredi 18 mars 1998.

M. Georges Hage, président, a rappelé le parcours du professeur Albert Jacquard, généticien, auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment, “ Le souci des pauvres : l’héritage de François d’Assise ”, militant du droit au logement, co-président de l’association “ Droits devant ” et membre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.

M. Albert Jacquard a indiqué que ses prises de position actuelles en matière d’exclusion étaient inspirées par ses réflexions de généticien. En effet, au sein du monde vivant, l’homme a la grande particularité de pouvoir être le lieu d’une métamorphose qui le conduit de la situation d’individu à celle de personne humaine, à la différence de l’animal qui est déterminé par son patrimoine génétique. Il est seul à pouvoir dire “ je ” car il construit son identité par l’échange avec les autres, par l’éducation (dont l’étymologie nous rappelle la signification : “ conduire hors de ”) et par la société.

L’émulation est un facteur positif, mais au contraire la compétition aboutit à la destruction de soi et de l’autre. Il ne faut pas regarder l’autre comme un obstacle et chaque fois que l’on exclut son semblable, on commet un crime car on ne le reconnaît pas comme humain. Notre société ne respecte pas ce principe.

Le plan du Gouvernement prévoit la création d’un Observatoire de la pauvreté. Il devrait être complété par un Observatoire de la richesse ou bien des inégalités. En effet, celles-ci vont en s’accroissant. Au cours des siècles différentes méthodes ont été élaborées pour y remédier alors que notre société n’a pas bien appréhendé ce phénomène d’une richesse qui s’accroît de manière automatique. Le peuple juif, ayant compris que plus on est riche, plus l’on s’enrichit, avait ainsi décrété une année jubilaire, tous les cinquante ans, qui permettait de restituer à l’Etat et donc de redistribuer les richesses accumulées par un particulier pendant cette période. Dans le Coran, il est de même fait mention d’un impôt sur la fortune de 3 % par an.

En ce qui concerne l’avant-projet de loi de lutte contre l’exclusion, on peut regretter le manque d’élan du texte, alors que quelques phrases-clé pourraient lui donner plus de souffle, à l’exemple de celle de Churchill présentant, à ses concitoyens le plan Beveridge pour la sécurité sociale : “ Le besoin de soins médicaux génère le droit aux soins ”.

Notre société est dans une phase de mutation irréversible et non pas seulement de crise, aussi des mesures conjoncturelles se révéleraient insuffisantes. Il faut modifier les structures et faire une révolution, sans violence, pour changer les esprits. L’évolution de la jurisprudence sur les squats grâce à “ Droit au logement ” (DAL) montre qu’une telle révolution est possible. Alors qu’il y a seulement quatre ou cinq ans, ceux-ci étaient considérés comme un viol de la propriété et que l’on procédait donc à des expulsions avec l’aide de CRS, aujourd’hui, dans l’affaire de la rue Marcadet qui oppose le DAL à la Ville de Paris, le tribunal d’instance a estimé que le droit au logement devait être protégé à l’égal du droit de propriété. Cette évolution est en phase avec l’évolution de l’état d’esprit des Français.

Machiavel dit dans “ le Prince ” : “ Si tu veux éviter la révolution, fais la ”. L’adoption de la loi sur l’exclusion pourrait être l’occasion pour les gouvernants de faire la révolution avant qu’elle ne leur soit imposée.

M. Claude Bartolone, rapporteur, a souligné qu’il retiendrait de cette audition le message selon lequel la loi ne devait pas être seulement un catalogue de mesures administratives.

M. Daniel Marcovitch, observant qu’au bout d’une année, la révolution de la terre autour du soleil la ramenait à son point de départ, s’est demandé si celle-ci valait bien la peine et si une simple évolution n’était pas suffisante.

M. Albert Jacquard a estimé que la révolution était bien irréversible et qu’elle ne ramenait en aucune façon au point de départ. Rappelant la théorie des trois corps de Poincaré selon laquelle les trois équations correspondant aux trois attractions de la terre, de la lune et du soleil n’avaient pas de solution à long terme, il a observé qu’il était impossible de prédire l’évolution du monde dans 100 millions d’années. Le temps est donc créateur et la science étant optimiste, on peut espérer que cette création soit source de progrès.

Mme Véronique Carrion-Bastock a rappelé, que grâce à l’action d’un certain nombre d’associations, le droit au logement a été consacré à l’égal du droit de propriété. Cependant, les obligations liées à ce droit au logement ne sont aujourd’hui applicables qu’à l’Etat et aux collectivités locales. Il serait intéressant d’envisager leur extension à l’ensemble de la collectivité.

Mme Janine Jambu a insisté sur l’enchaînement des exclusions qui conduit certaines personnes à se retrouver sans domicile. Pour rompre cet engrenage, la construction de logements au rabais n’est pas une solution car cela ne fait que maintenir les plus pauvres dans une situation d’exclusion.

Le président Georges Hage a évoqué la situation de très nombreuses personnes de sa circonscription qui vivent encore aujourd’hui dans des logements dont l’équipement ne s’est pas amélioré depuis le dix-neuvième siècle.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a relevé qu’en province le problème consistait surtout dans la conservation de son logement, les sans-abri étant relativement peu nombreux.

Mme Hélène Mignon a regretté que les offices HLM n’avertissent les travailleurs sociaux des difficultés de paiement de certaines familles que lorsque les dettes atteignent des sommes impossibles à rembourser. Le mauvais équipement des logements est d’autre part un problème commun à de très nombreuses circonscriptions et ce sont malheureusement le plus souvent ces logements qui sont proposés aux personnes en difficulté, en raison de leur loyer modique. Enfin, il conviendrait de réfléchir au mécanisme qui veut que les banques récupèrent les logements d’accédants à la propriété incapables d’honorer leurs échéances, ces logements demeurant fermés et donc inutiles.

Mme Muguette Jacquaint a rappelé que les logements insalubres, loin de sortir les personnes d’une situation d’exclusion, parce qu’ils génèrent des problèmes d’hygiène et de santé, ne font qu’aggraver leurs problèmes et retentissent sur la famille entière et donc sur les enfants.

En région parisienne il n’existe pas suffisamment de logements sociaux accessibles. Les loyers des HLM sont aujourd’hui trop chers et les ressources demandées pour y accéder trop élevées pour concerner des familles en situation d’exclusion. Cela s’explique par le fait que le logement social est aujourd’hui devenu un enjeu marchand, les collectivités locales étant incitées à se comporter comme des propriétaires privés. La logique de la rentabilité conduit donc, pour pouvoir les louer à un prix modeste, à construire des HLM en économisant sur la qualité.

M. Pierre Méhaignerie a considéré qu’il ne fallait pas généraliser la situation de la région parisienne. Dans de très nombreux départements, des initiatives sont prises en faveur des logements des plus défavorisés comme la création de fonds d’aide aux loyers impayés ou la mise en place de chantiers de réhabilitation de logements anciens par des bénéficiaires du RMI.

M. Jean Delobel a rappelé qu’il existait effectivement des expériences différentes suivants les départements. Si un certain nombre d’entre elles sont positives, elles sont le plus souvent parcellaires voire contraires à ce qui est souhaité. En effet, au lieu de réanimer la ruralité, on a tendance à renvoyer les exclus vers les villes centres. Il est nécessaire qu’une politique de logements sociaux soit mise en place dans les villages où le cadre d’accueil de population fragile est plus adapté car plus solidaire. S’agissant des sociétés d’HLM, il est souhaitable, qu’elles mettent en place un vrai politique de prévention des impayés. En outre, elles devraient pouvoir bénéficier de prêts à faible ou sans intérêt et à longue durée.

M. Alain Veyret a évoqué le problème du droit à l’énergie, en regrettant le peu d’implication d’EDF, pourtant entreprise publique, sur cette question.

M. Jean-Michel Marchand a souligné que se posait également le problème du droit à l’eau, que ceux qui consomment le moins payent le plus cher.

En réponse aux intervenants, M. Albert Jacquard a fait les observations suivantes :

- Lorsque M. Jacques Chirac a reçu le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, la question du droit au logement a été évoquée et le Président de la République a souhaité que les immeubles détenus dans un but de spéculation par de grandes entreprises, puissent faire l’objet d’une obligation de “ collectivisation ”. Il n’est en effet pas acceptable de neutraliser certains biens alors qu’ils sont utiles à la communauté.

- Il conviendrait, en effet, de parler du droit à un logement décent, c’est-à-dire doté d’un niveau de confort minimal. Notre société a, si elle le souhaite, les moyens de garantir un tel droit à tous les citoyens, pour peu que l’on envisage des mesures fiscales et de redistribution suffisamment volontaristes. Il s’agit aujourd’hui de mener la guerre contre l’exclusion avec la même énergie que celle déployée, en leur temps, par Georges Clémenceau ou en 1945 par le général de Gaulle.

-  Sur les questions du logement, le projet présenté par le Gouvernement est cohérent et globalement satisfaisant, même s’il peut apparaître comme un peu trop technocratique. En particulier, l’idée d’une “ taxe d’inhabitation ” est intéressante et permettrait d’agir au niveau de l’exercice même du droit de propriété.

- Aujourd’hui, un certain nombre de “ produits ”, essentiels à la société comme l’enseignement ou les soins médicaux, sont de fait retirés du système d’évaluation marchand. Il faudra bien admettre un jour que le logement décent relève de cette même logique et donc l’exclure de la loi du marché.

- Couper l’eau ou l’électricité revient à expulser de fait des personnes de leur logement. Il est du devoir d’EDF de distribuer gratuitement un minimum d’énergie. Ici aussi, il convient de rappeler aux entreprises de service public qu’une partie de leur activité contient une dimension non marchande.

V.- AUDITION DE MME GENEVIÈVE DE GAULLE-ANTHONIOZ, PRÉSIDENTE D’ATD QUART MONDE, MEMBRE DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

La mission d’information a entendu Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, présidente d’ATD Quart-Monde et membre du Conseil économique et social au cours de sa séance du mercredi 18 mars 1998..

M. Georges Hage, président, après avoir évoqué les combats et les fidélités dont Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz porte témoignage, a rappelé que dans sa présentation, à l’Assemblée nationale, de l’avis du Conseil économique et social sur le projet de loi d’orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale, elle avait affirmé que la lutte contre la grande pauvreté était un combat pour les droits de l’homme et souhaité que la loi portée par le monde associatif marque un engagement solennel de la Nation qui soit le début d’une voie nouvelle pour notre démocratie. On ne peut que partager l’esprit de l’appel lancé par Mme de Gaulle-Anthonioz à l’Assemblée nationale pour que celle-ci procède à un débat contradictoire mais constructif, en ces termes : “ Les personnes et familles en grande pauvreté qui ont inspiré ce projet souhaitent voir les députés se rassembler pour adopter l’orientation de ce texte ”.

Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz a tout d’abord rappelé l’historique de la loi contre les exclusions. Fondée sur l’exigence de l’application des droits de l’homme à la démocratie d’aujourd’hui, celle-ci s’appuie sur l’expérience et la pensée des plus pauvres. Cette inspiration a, en effet, été portée, au départ, par une douzaine de familles vivant dans un bidonville de la région parisienne, dans les années cinquante. Ces familles refusaient l’assistance mais demandaient le respect de leurs droits. L’abbé Joseph Wresinski, lui-même né dans une famille de migrants très pauvres, s’est joint à eux. Ensuite, des volontaires sont venus pour écouter et transmettre ce que disaient les plus démunis. Cette nouvelle forme de lutte était peu connue avant que le père Wresinski n’entrât au Conseil économique et social. Sa rencontre avec “ les forces vives ” de la nation, au conseil, en ont permis le développement. Ce long travail d’information a connu des étapes successives : le rapport présenté au Conseil économique et social en 1978 par le professeur Péquignot sur la grande pauvreté, puis celui de Joseph Wresinski en 1987. Ce dernier a connu un grand retentissement puisqu’il a été traduit en plusieurs langues et a constitué un véritable “ best seller ” des publications du Conseil. Le premier mérite du rapport de 1987 a été de conduire à l’évaluation des politiques publiques contre la grande pauvreté qui a été réalisée en 1995. En effet, jusque là, la connaissance de leur impact était extrêmement imparfaite aussi bien quantitativement que qualitativement.

Il existe une politique en direction de la grande pauvreté, mais, celle-ci, inégale et lacunaire, nécessite une remise en ordre afin que les personnes concernées exercent des droits qui ne leur sont pas déniés mais qui leur sont de fait inaccessibles. Aussi ce rapport adopté par le Conseil économique et social a conclu à la nécessité d’une loi d’orientation prenant en compte l’ensemble des dispositifs examinés pour garantir les droits des populations concernées et les quatre principaux candidats à l’élection présidentielle de 1995 se sont engagés à la faire voter. En 1996, le gouvernement de M. Alain Juppé a soumis un avant-projet de loi au Conseil économique et social. Les remarques formulées par ce dernier ont été partiellement prises en compte, cependant deux reproches pouvaient être adressés au dispositif prévu : d’une part, le programme n’était pas vraiment chiffré, d’autre part, une partie seulement du gouvernement avait participé à son élaboration, les ministères de l’éducation nationale, de la justice, de la culture en étant absents.

Il est essentiel de rendre effectif l’accès aux droits fondamentaux pour tous, sans exception, en application du principe de reconnaissance de la dignité de chaque être humain. Les dispositions législatives doivent être jugées au regard de cette exigence tout en apportant des gages de durée. Un hébergement d’urgence, un stage, un emploi aidé ne peuvent constituer que des passerelles et non des réponses définitives. En outre, la reconquête de leurs droits par les personnes en difficulté suppose que l’on aille au devant d’elles, les plus démunis devant être considérés comme des interlocuteurs à part entière, les acteurs de leur propre vie. Les travailleurs sociaux doivent recevoir une formation particulière mais aussi, plus largement, les partenaires de la vie sociale, politique et culturelle devraient être sensibilisés à cette approche. Enfin, les dynamiques collectives qui permettent à ceux des plus démunis participant à des expériences de réinsertion d’entraîner les autres sont un élément essentiel de tout dispositif.

C’est à la lumière de ces principes que les différents thèmes abordés par le programme de lutte contre les exclusions doivent être examinés.

Abordant la question du dispositif institutionnel de lutte contre l’exclusion, Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz a observé que pour garantir l’engagement définitif du pays vers l’éradication de la pauvreté et de l’exclusion sociale, celui-ci doit répondre à quatre fonctions :

- l’observation : à cet égard, s’il faut se féliciter de la création d’un Observatoire national des phénomènes de pauvreté et d’exclusion, en relation avec un réseau d’observatoires locaux, celui-ci devrait toutefois être placé auprès du Premier ministre. Il convient, en outre, que ces observatoires prennent en compte, au moins au travers d’enquêtes, le point de vue des personnes en situation d’exclusion.

- le conseil : il est indispensable que soit fourni aux responsables l’avis d’instances rassemblant les différents acteurs des politiques concourant à la lutte contre l’exclusion et des représentants des personnes en situation d’exclusion. La composition du Conseil national de la lutte contre l’exclusion (CNLE) devrait être élargie et des conseils départementaux mis en place. La consultation du CNLE par le Gouvernement devrait être obligatoire sur les projets de loi, décrets ou circulaires ayant une forte incidence sur la vie des plus démunis. Il convient, en outre, de lui fournir des moyens de fonctionnement et d’étudier l’opportunité de donner à ses membres un statut.

- le pilotage : il doit être global et mettre en cohérence le niveau national et local. La mise en place d’un comité interministériel est d’autant plus importante que d’autres ministères que les ministères sociaux sont concernés, c’est pourquoi, d’ailleurs, il avait été souhaité qu’un secrétariat général de la lutte contre l’exclusion soit mis en place.

- l’évaluation : une évaluation régulière est indispensable pour que les politiques publiques concourant à la lutte contre l’exclusion soient en constante amélioration afin que personne ne reste hors du droit. Cette évaluation pourrait être confiée à l’Observatoire national relayé par les observatoires locaux et s’appuyer sur le point de vue des personnes en situation d’exclusion.

En ce qui concerne l’accès de tous les plus démunis à l’emploi, il ne pourra se faire que si le contact est établi entre les plus pauvres et les différents dispositifs, ce qui suppose d’aller à leur rencontre, tout en assurant aux personnes concernées un suivi et en leur offrant l’assurance d’une solution durable. Les entreprises devraient être impliquées dans l’accueil de ces personnes en grande difficulté.

Le premier objectif en matière d’emploi est le droit à l’accueil, à l’orientation et à l’accompagnement vers l’emploi. Le programme prévoit de proposer un nouveau départ à tout jeune, avant qu’il ait atteint son sixième mois de chômage, et à tout adulte avant qu’il ait atteint son douzième mois de chômage. Il semble nécessaire que cet objectif soit inscrit dans la loi sous la forme d’un “ droit à l’insertion ” accordé à tous.

Le deuxième objectif est le renforcement des dispositifs pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi. Le dispositif de trajectoire d’accès à l’emploi (TRACE) est une avancée importante. Il devrait cependant être amélioré en prolongeant de dix-huit mois à trois ans la durée maximum prévue pour les TRACE ou même en supprimant totalement cette échéance, le parcours ne devant s’achever que l’objectif une fois atteint. En outre, le programme TRACE doit garantir des ressources régulières et suffisantes pour vivre et donner lieu à une importante mobilisation du service public de l’emploi en direction des entreprises. Les contrats de qualification et d’orientation que le plan prévoit de rendre plus accessible aux jeunes en difficulté, doivent s’accompagner d’une remise à niveau des connaissances de base qui s’appuierait davantage sur les savoirs acquis par l’expérience et en étroite liaison avec le travail.

Le troisième objectif consiste à renforcer les dispositifs en faveur des adultes les plus éloignés de l’emploi. Le programme du Gouvernement prévoit l’extension des contrats de qualification aux adultes, le recentrage des contrats emplois solidarité (CES) et le développement des contrats emploi consolidés (CEC). Ces mesures sont positives. Cependant pour les adultes les plus en difficulté, il faudrait développer des parcours continus et qualifiants du modèle de ceux prévus dans le programme TRACE.

En ce qui concerne la santé, il existe plusieurs obstacles empêchant l’accès aux soins, notamment l’absence ou les difficultés d’établir une couverture sociale et l’absence de couverture complémentaire. L’accès à la couverture sociale par la mise en place d’une couverture maladie universelle (CMU) ayant pour but d’éviter les situations d’interruption de droits, annoncé pour l’automne 1998, serait une avancée considérable. Cette couverture pourrait s’effectuer par une prise en charge des cotisations de mutuelle ce qui permettrait aux personnes concernées de rester dans le dispositif de droit commun. Une progressivité de la prise en charge devrait être parallèlement introduite afin d’éviter les effets de seuil, notamment lorsqu’on passe du RMI à un CES.

Enfin, pour assurer l’effectivité du droit à la CMU, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) devraient aller au devant des personnes sur leurs lieux de vie, à l’instar de la cellule D.E.T.R.E.S. mise en place par la CPAM du Calvados. De façon générale, l’obligation de l’engagement de tous les organismes dans la prospection des ayant droits devrait être posé, comme avait essayé de le faire l’article 3 du projet sur la cohésion sociale.

La précarité doit être prise en compte par le système de santé. Le programme prévoit la mise en place de programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins. Dans ce cadre, des formations multidisciplinaires et adaptées pour le personnel de soins doivent être prévues.

Dans le domaine du logement, il faut souligner les difficultés que rencontrent les personnes les plus démunies pour accéder au logement, mais aussi pour y rester. Le programme prévoit un développement de l’offre de logements à très faible loyer associé à des possibilités d’accompagnement. Une solution particulière doit être trouvée pour accueillir les familles en très grande difficulté, en totalité sans exclure donc les pères, pour une durée d’environ deux ans. Avec ces familles serait menée une action globale de promotion dans les domaines de la vie où elles souhaitent être épaulées.

Le programme prévoit un numéro d’inscription départementale. Pour offrir une garantie réelle celle-ci doit être prise en compte dans l’ordre chronologique. Il prévoit également l’engagement des bailleurs sociaux et une instance de médiation en cas d’attente de logement anormalement longue. Il conviendrait que le préfet dispose d’un pouvoir d’attribution d’office pour les situations exceptionnelles. De même les soutiens des Fonds solidarité logement devraient être attribués sur la base de critères objectifs établis au plan national.

Enfin il est regrettable que la proposition du Conseil économique et social sur la mise en place d’un dispositif de capitalisation de l’allocation logement n’ait pas été reprise. L’allocation serait versée, sur un compte bloqué, et permettrait aux familles concernées de faire face ultérieurement aux frais d’installation et aux dépenses d’acquisition des équipements de base, lors de l’entrée dans un logement.

L’objectif en matière de prévention des expulsions est d’améliorer l’information des occupants et de mieux mobiliser les acteurs susceptibles d’intervenir avant l’expulsion, pour diminuer le nombre de ces procédures. Il serait souhaitable de prévoir qu’aucune expulsion par huissier ne sera possible sans le concours de la force publique et que cette dernière ne pourra intervenir que lorsqu’une offre préalable de relogement, et non pas seulement d’hébergement, aura été faite aux occupants.

Pour ce qui est du volet relatif à la justice, il faut souligner l’intérêt d’une domiciliation auprès des organismes agréés afin de permettre tant l’exercice des droits civiques ou civils tels que l’inscription sur les listes électorales ou l’accès aux bureaux d’aide juridictionnelle que l’accès aux services ou la scolarisation des enfants. De même, l’amélioration du droit à la justice passe par l’élargissement de la composition, la généralisation et l’augmentation des moyens des commissions d’aide juridictionnelle ainsi qu’une meilleure formation des acteurs.

En ce qui concerne l’éducation, il faut déplorer que bien que la loi prévoie déjà que l’école a pour mission de lutter contre l’exclusion, l’échec scolaire frappe trop souvent encore les enfants de milieux défavorisés. On ne pourra se féliciter du programme annoncé de renforcement du partenariat avec la famille et de diminution du nombre des jeunes sortant de la scolarité sans qualification que si les liens entre l’école, le service public de l’emploi et la famille sont renforcés.

S’agissant de la famille, on ne peut que regretter le trop grand nombre de cas de dislocation des familles, lesquelles ne sont pas assurées d’un soutien suffisant et ne peuvent ainsi exercer leurs droits fondamentaux. La non-prise en compte de l’allocation pour jeune enfant versée pendant la grossesse pour le calcul du RMI est une bonne mesure mais le principe de l’insaisissabilité absolue des prestations familiales devrait être absolu. En outre, il faut veiller au maintien de l’intégrité de la famille, fragilisée dès lors qu’elle ne peut être accueillie en totalité en centre d’hébergement social et que le problème du placement des enfants se pose.

Les dispositions relatives à la culture, au sport et au tourisme méritent enfin d’être saluées.

M. Claude Bartolone, rapporteur, a insisté sur l’intérêt de l’audition de Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz, compte tenu de l’importance de la participation d’ATD-Quart monde à l’élaboration du projet de loi dont les dispositions détaillées pourront, quand elles seront connues, justifier une seconde audition.

Mme Muguette Jacquaint a rappelé les résultats positifs de certaines des expériences par lesquelles des mesures de prévention de l’éclatement familial ont été mises en œuvre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a demandé des précisions sur l’hypothèse d’une représentation spécifique des populations en grande pauvreté au sein de certains organismes, notamment du Conseil économique et social, craignant que cette représentation ne conduise à stigmatiser plus encore la spécificité de la grande précarité, alors que le problème de fond est de considérer les populations touchées de la même manière que les autres.

Après avoir rappelé que l’emploi du mot “ spécificité ” ne devait se faire qu’avec prudence, Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz a jugé nécessaire que les organismes tels que le Conseil économique et social permettent aux représentants des populations en grande pauvreté de faire entendre leur voix. La représentation actuelle des associations au sein de Conseil économique et social n’est pas suffisante à cet égard. L’apport que peuvent apporter ces militants du quart-monde est essentiel et leur parole a été fondamentale au moment de la préparation du projet de loi sur la cohésion sociale. Une approche correcte conduit à faire non pas une loi pour les pauvres mais une loi pour la démocratie avec ceux qui sont malheureusement en marge.

M. Jean-Pierre Brard a insisté sur le fait que certaines expériences ne pouvaient se vivre par procuration et qu’une expression directe des populations concernées était nécessaire, au delà du fait que chacun est sensible à la grande détresse. Il est donc nécessaire de procéder à l’audition d’acteurs de terrain, d’autant plus que certaines tendances à l’intellectualisation de l’approche de la grande pauvreté ne laissent pas de créer un sentiment de malaise.

Mme Hélène Mignon a jugé impératif de rendre aux exclus leur citoyenneté, aussi bien en procédant à l’audition de militants d’association qu’en prévoyant leur représentation dans certaines institutions.

M. Jean-Pierre Delalande a observé que si rien ne remplace la fréquentation du quart-monde, on ne peut pour autant réduire la question de l’exclusion à celle de la grande pauvreté. L’important est d’arriver à garantir l’accès de chacun à l’ensemble des droits sans pour autant créer une stigmatisation qui résulterait des techniques juridiques utilisées pour assurer l’effectivité de cet accès.

M. Claude Bartolone, rapporteur, a rappelé que les auditions d’acteurs de terrain et d’associations étaient prévues et qu’elles seraient organisées une fois connu le texte du projet de loi.

Le président Georges Hage tout en relevant l’intérêt de la proposition de M. Jean-Pierre Brard, a souligné que les parlementaires étaient quotidiennement confrontés aux problèmes de l’exclusion et qu’il était superflu de leur recommander d’aller à la rencontre des exclus.

VI.- AUDITION DES ASSOCIATIONS MEMBRES DE LA COMMISSION “ LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET L’EXCLUSION ” DE L’UNION NATIONALE INTERFÉDÉRALE DES OEUVRES ET ORGANISMES PRIVÉS SANITAIRES ET SOCIAUX (UNIOPSS)

La mission a entendu des représentants des associations membres de la commission “ Lutte contre la pauvreté et l’exclusion ” de l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) au cours de sa séance du mardi 31 mars 1998.

M. Georges Hage, président, après avoir rappelé que ce groupe de quarante associations était plus connu sous le nom de collectif Alerte, a souligné le rôle majeur des associations dans le maintien du tissu social et la confiance que leur font une majorité de Français pour lutter contre l’exclusion.

M. Hugues Feltesse, directeur général de l’UNIOPSS, a indiqué en préliminaire que les associations membres de cette commission étaient à l’origine d’un grand nombre de propositions figurant dans le projet de loi et que par conséquent, elles portaient une appréciation positive sur l’essentiel des dispositions présentées au Parlement. Toutefois, il faut insister sur la nécessité de mettre fin à toute approche parcellaire des phénomènes d’exclusion. Trop souvent, ont été mis en place des dispositifs sectoriels sans vision d’ensemble qui ont parfois conduit à des impasses par manque de cohérence.

Il faudrait, en outre, développer des outils statistiques adaptés permettant de disposer de données sur le phénomène de l’exclusion. Si la création d’un Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale est positive, son indépendance devrait être garantie et ses missions mieux précisées. Il est également nécessaire qu’un comité interministériel soit mis en place de manière pérenne. Enfin, la composition du Conseil national de lutte contre la pauvreté devrait être élargie, ses réunions être régulières et sa consultation obligatoire sur tous les projets de textes concernant ce secteur.

Sur le plan de l’organisation locale, une conférence régionale des politiques de lutte contre l’exclusion devrait être instaurée et cette priorité intégrée dans les contrats de plan Etat-régions. Au niveau des bassins d’emplois, des pactes locaux devraient être mis en place. Enfin, il conviendrait de prévoir la création de conseils départementaux de lutte contre l’exclusion chargés d’élaborer des plans globaux.

Mme Jacqueline Saint-Yves, présidente de la coordination des associations d’aide aux chômeurs par l’emploi (COORACE), a tout d’abord dénoncé l’empilement des dispositifs d’aide à l’emploi et les discontinuités qui les affectent. L’objectif étant d’assurer le retour à l’emploi durable pour le plus grand nombre, il serait souhaitable de mieux intégrer les acteurs du secteur associatif dans le dialogue que les pouvoirs publics mènent avec les entreprises et les partenaires sociaux. Si la plupart des dispositifs du projet de loi vont dans le bon sens, notamment en ce qui concerne les populations jeunes et les adultes en difficulté, on peut en revanche être sceptique sur les dispositions relatives à l’insertion par l’activité économique qui consacrent une fracture entre un secteur marchand et un secteur non marchand alors qu’au contraire, le lien entre les deux doit être assuré. Le renforcement des entreprises d’insertion et de travail temporaire d’insertion est positif, en revanche les missions des associations intermédiaires et des Centres d’adaptation à la vie active (CAVA) apparaissent menacées.

M. François Dubin, président de la fédération nationale des PACT-ARIM, a fait part de sa satisfaction devant les avancées que comporte le projet de loi dans la mise en œuvre du droit au logement. Des améliorations au projet de loi sont cependant attendues dans trois domaines :

- L’accès aux aides personnelles au logement et leur continuité devraient être assurée. Pour cela, il faut prévoir l’ouverture des droits aux aides, dès l’entrée dans le logement, pour les ménages hébergés par des tiers, menacés d’expulsion ou logés dans des habitations insalubres. Une meilleure cohérence dans la gestion des aides au niveau départemental doit également être recherchée.

- L’accès au logement ordinaire public ou privé doit être privilégié. A cet égard, il faut mettre en place, en cas d’expulsion, des solutions de relogement adaptées à la situation du ménage, et non des solutions d’hébergement provisoires. Ceux-ci doivent disposer d’un véritable droit de recours auprès du préfet, si la commission de médiation chargée d’émettre une proposition n’aboutit pas à une solution.

- La place des associations et des organismes agréés devrait être consolidé et plus généralement un partenariat d’action développé pour la mise en oeuvre du droit au logement. Cette mesure doit s’accompagner d’une réaffirmation de l’obligation pour toutes les collectivités locales de créer des logements sociaux.

M. Gilbert Lagouanelle, directeur du Secours catholique, s’est tout d’abord félicité que le projet de loi retienne le principe d’un minimum vital par la notion de “ reste à vivre ”. Différents points mériteraient cependant d’être précisés, et tout particulièrement le caractère insaisissable des prestations familiales, l’interdiction des coupures d’eau, de gaz ou d’électricité aux personnes en situation de grande pauvreté ainsi que l’encadrement des prélèvements sur comptes bancaires en cas de dettes. Les minima sociaux devraient par ailleurs être indexés sur le SMIC et non sur l’évolution des prix.

L’existence dans ce projet de loi d’une réforme des procédures de traitement du surendettement est une très bonne chose. Aujourd’hui, 30 % des personnes concernées par les procédures de surendettement sont dépourvues de tout revenu. Pour prendre en compte la spécificité de leur situation, il serait souhaitable que les personnes surendettées disposent dans les commissions de surendettement d’une représentation propre. Le “ reste à vivre ” devra être évalué par ces commissions en fonction de la situation des personnes en difficulté et devra prendre en compte l’intégralité des dettes contractées, quelle qu’en soit la nature. Enfin, pour être totalement efficace, la lutte contre le surendettement devrait être complétée par des mesures de prévention, les offres commerciales des organismes de crédits étant souvent “ irrésistibles ” pour les personnes en difficulté.

Les mesures relatives à la citoyenneté et l’égalité des chances appellent certaines remarques. Le projet prévoit que les personnes sans domicile fixe pourront être inscrites sur les listes électorales de la commune où est situé l’organisme d’accueil agréé auquel ils sont liés depuis au moins un an. Cette disposition crée une discrimination entre les citoyens puisque le délai de résidence de droit commun requis pour l’inscription sur les listes électorales est de six mois. L’obligation faite aux communes d’assurer à toute personne une domiciliation est cependant une avancée certaine, ce droit étant à la base de l’exercice de tous les autres. L’exonération du droit de timbre pour les cartes d’identité devra par ailleurs être posé pour les plus démunis.

M. Claude Moncorgé, vice-président de Médecins du monde, a évoqué le volet santé du projet de loi :

- Si la création de l’assurance maladie universelle doit faire l’objet d’un projet de loi distinct, il convient cependant de réaffirmer son principe de façon solennelle et de garantir que celle-ci sera effective au 1er janvier 1999.

- La mise en place de dispositifs d’accueil médico-social (PASS) en secteur hospitalier est positive mais ceux-ci devraient être généralisés à l’ensemble des structures médico-sociales et rendus obligatoire par la loi. Ils devront comprendre l’ensemble des soins somatiques, y compris dentaires, mais également les soins psychiques.

- La loi doit poser l’obligation de soigner toute personne au moment de la demande de soins, quelle que soit sa situation administrative. Dans la même logique, l’hôpital doit être tenu de garantir la continuité des soins, ce qui revient à s’assurer que le malade bénéficie de conditions de vie lui permettant d’effectuer sa convalescence et à défaut de lui proposer des lits d’hébergement pour soins non hospitaliers.

- La mission de la médecine du travail devrait être étendue à l’ensemble des stagiaires accueillis en entreprises ainsi qu’aux chômeurs inscrits à l’ANPE.

- En ce qui concerne le saturnisme, le projet de loi, en fixant une obligation de relogement, marque une avancée positive qui pourrait cependant être utilement complétée par une interdiction de vente ou de location de tout logement comportant du plomb directement accessible.

- Il est par contre regrettable que la médecine scolaire soit totalement absente du texte, alors que la prévention et la promotion de la santé auprès des enfants et des jeunes est un outil essentiel de la lutte contre l’exclusion. Il conviendrait donc de favoriser le développement de campagnes de dépistage systématique, de proposer, lorsque c’est nécessaire, un accompagnement psychologique aux jeunes exposé à des contextes de violence et d’assurer un véritable suivi médical afin de garantir la continuité des soins. Un minimum de trois visites durant la période de scolarité devrait être obligatoire. Le réseau de la médecine scolaire pourrait d’autre part être exploité pour réaliser des enquêtes de santé publique sur les moins de seize ans.

- Enfin, dans les lieux de rétention et de détention, l’accès aux soins doit être garanti dans les même conditions qu’à l’extérieur, ce qui est loin d’être actuellement le cas.

M. Bruno Dubouloz, membre du bureau national de la FNARS, abordant le sujet des institutions sociales, a souligné que l’action en direction des personnes en situation d’urgence exigeait une réponse immédiate et diversifiée qui nécessite la coordination de nombreux moyens. L’article 81 du projet de loi qui engage la réforme des institutions sociales et médico-sociales montre bien quelle est la fonction fondamentale de la veille sociale, à savoir que toute personne en difficulté doit être repérée, accueillie, informée et orientée. On peut cependant déplorer que cet article traite davantage de l’hébergement que des modalités de coordination des différents moyens et d’une veille véritablement permanente. Par ailleurs, cet article confirme la diversité des fonctions et des champs d’action des Centres d’hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) mais là encore sans création d’un véritable organe de coordination.

M. Jean Le Garrec, après avoir souligné la nécessité de la continuité des politiques et de leur cohérence, a formulé les observations suivantes :

- La question de l’accès aux droits est d’autant plus essentielle que les mutations de la société provoquent de nouveaux types d’isolement.

- Il faut être attentif, en matière d’emploi, au rôle des associations intermédiaires car elles ont pour vocation d’accueillir les personnes les plus en difficulté.

- Concernant le volet santé, il faut se demander si la responsabilité d’assurer la continuité des soins peut effectivement être confiée à l’hôpital. Par ailleurs, comme les efforts du Gouvernement pour rattraper le retard en matière de médecine scolaire prendront nécessairement du temps, il faudrait pouvoir envisager des solutions intermédiaires pour faire face à l’urgence, par exemple en liaison avec la médecine libérale.

M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a souligné que l’accès aux droits est une question centrale qui sera traitée pour partie dans le projet de loi présenté par le Garde des Sceaux. Dans le cadre du projet de loi de lutte contre les exclusions, il faut affirmer l’obligation faite à tous les services sociaux d’aller au devant des personnes en difficulté. Le principe doit être qu’à partir du moment où un besoin d’aide est reconnu, un accompagnement social doit être assuré en prenant en compte l’ensemble des difficultés qu’il convient de traiter. Il faut également rendre les droits les plus effectifs possibles en prévoyant des procédures d’appel et de recours : à cet égard, le droit au logement doit être mieux garanti.

Mme Jacqueline Saint-Yves (COORACE) a indiqué que l’objectif devant être une insertion dans l’emploi de droit commun, même pour les personnes très éloignées de l’emploi, il est nécessaire de mettre en place des secteurs d’intérêt général permettant de réunir les différents financements, tout en évitant de créer une économie parallèle. Les attaques portées contre l’insertion par l’activité économique en raison d’une concurrence qui serait déloyale soulèvent en réalité une question très délicate. Face à des trajectoires très douloureuses, qui ne touchent pas seulement des personnes non qualifiées, et qui mènent à une exclusion souvent psychologique avant d’être matérielle, notre devoir est de respecter la Constitution qui affirme le devoir de travailler et le droit à l’emploi. Au lieu d’opposer les opérateurs de l’insertion, il faut donc faire preuve d’inventivité et trouver des partenariats entre les entrepreneurs de l’économie sociale et les entreprises. Les personnes en difficulté ont besoin d’un accompagnement au travers de parcours d’insertion dont chaque outil de l’insertion par l’activité économique peut être une étape, le but étant d’assurer l’articulation de ces outils afin que les personnes retrouvent une employabilité dans l’emploi de droit commun. Dans ce cadre, les associations intermédiaires constituent souvent la première étape qui conduira de la requalification sociale à la requalification professionnelle. Il s’agit d’un outil bien adapté puisque ces associations recourent à des mises à disposition sous forme de contrats à durée déterminée d’usage qui sont plus souples que les contrats de travail temporaire et permettent ainsi une véritable réponse à l’urgence et le début de construction d’un parcours d’insertion professionnelle.

M. Claude Moncorgé (Médecins du monde) a apporté les éléments de réponse suivants :

- Afin d’éviter l’interruption des traitements médicaux et leurs conséquences, il est de la responsabilité de l’Etat d’assurer la continuité des soins pour les personnes en difficulté. Après les premiers soins qui peuvent être donnés à l’hôpital, l’extension des dispositifs d’accueil médico-social aux centres de soins de proximité et le relais de la médecine libérale de quartier permettraient de garantir cette continuité.

- L’amélioration de la médecine scolaire n’implique pas forcément la création d’emplois de médecins scolaires mais le développement de nouveaux emplois pour assurer l’accès au droit à la santé pour les enfants de familles en difficulté ; la médecine scolaire doit assurer en priorité sa mission de dépistage des affections alors que les traitements peuvent être assurés par le secteur de la médecine libérale.

M. Pierre Cardo a ensuite formulé les observations suivantes :

- Etant rappelé que le département a une compétence de droit commun en matière sociale, on peut s’interroger sur la complexité qui résulterait de l’articulation proposée par le collectif entre le niveau régional et le niveau départemental en matière de lutte contre les exclusions;

- On peut regretter que les dispositions du projet de loi concernant les CES, les CEC et les contrats de qualification soient insuffisantes ou inadaptées pour assurer la pérennisation des emplois destinés aux personnes en difficulté. Les différents travaux qui ont été menés dans ce domaine tant par le Conseil national de la ville que par le Conseil national de la lutte contre l’exclusion montrent pourtant qu’on ne peut pas répondre à des situations précaires par des mesures précaires. On peut dès lors se demander si l’effort important engagé pour l’insertion professionnelle des jeunes, notamment par la mise en place les emplois-jeunes, ne devrait pas être complété par des dispositions pour les adultes en difficulté. Dans cet esprit, il serait souhaitable de revoir les objectifs, le statut et le financement des entreprises d’insertion afin de favoriser le développement d’un secteur intermédiaire et d’y pérenniser les emplois.

En réponse, M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a apporté les éléments suivants :

- Le projet de loi visant à engager une lutte contre les exclusions dans la durée, il convient d’assurer une bonne coordination entre les différents acteurs, non seulement au niveau local ou au niveau du bassin d’emploi dans le cadre des plans locaux d’insertion économique (PLIE), mais également avec le conseil régional car celui-ci est compétent en matière de formation professionnelle et de développement économique. Le niveau régional devrait être le lieu de consolidation des actions conduites dans les bassins d’emploi.

- Le développement du secteur intermédiaire doit permettre d’apporter des réponses à des besoins qui ne sont pas aujourd’hui satisfaits. A cet égard, il serait souhaitable que, comme pour les emplois-jeunes, les CEC soient prévus pour un temps plein, ce qui permettrait d’assurer aux bénéficiaires de ces contrats au minimum un SMIC plein.

Mme Jacqueline Saint-Yves (COORACE) a formulé les observations suivantes :

- Il serait effectivement souhaitable que les CEC puissent être conclus pour un temps plein comme les emplois-jeunes. En outre, l’extension des contrats de qualification aux adultes, sous réserve que les partenaires sociaux soutiennent cette solution, devrait permettre d’apaiser les inquiétudes qui ont pu naître chez les adultes en difficulté au moment de la création des emplois-jeunes.

- Il convient de favoriser la mixité des approches et des financements de l’insertion afin de faire émerger les besoins nouveaux non encore satisfaits et de permettre la solvabilisation des emplois qui pourront être créés pour y répondre.

M. Alain Veyret s’est interrogé sur la politique d’accès aux droits, le comportement des services administratifs n’étant pas adapté au public concerné et a souligné qu’on ne pouvait se contenter d’une simple attribution de moyens de subsistance sans accompagnement social. Il conviendrait, par exemple, de supprimer le délai qui sépare la fin d’un CES de l’attribution du RMI, car cette période de latence peut être extrêmement difficile à traverser par les personnes les plus en difficulté.

En matière de surendettement, on peut regretter que les commissions de surendettement n’examinent pas les dettes de logement et d’énergie, alors que l’attribution d’un minimum d’énergie devrait, aujourd’hui, être garanti à tous.

S’agissant du retour à l’emploi, si l’on souhaite que les entreprises d’insertion puissent jouer un rôle plus large, il convient d’en assumer le coût social et de reconnaître leur caractère social spécifique. D’autre part, les emplois consolidés l’étant souvent à mi-temps, il s’agit, en fait, d’une consolidation dans la précarité qui tend à constituer deux mondes du travail distincts.

Enfin, du fait que bien des personnes n’osent plus s’adresser aux systèmes de soins, les associations et les médecins généralistes ont un rôle capital à jouer car eux seuls, et non l’hôpital, peuvent instaurer une relation de confiance.

M. Claude Moncorgé (Médecins du monde) a observé, qu’en effet, les exclus les plus désocialisés n’osaient pas, le plus souvent, consulter les services médicaux, même si ceux-ci étaient gratuits. C’est pourquoi, effectivement, le rôle de l’hôpital est, sur ce point, moins important que celui des généralistes ou des associations qui ont la confiance des intéressés et sont à même de leur fournir un interlocuteur dans la durée.

M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a fait remarquer que l’accès aux droits passait par la formation des travailleurs sociaux mais aussi par celle de l’ensemble des professionnels et des bénévoles. Celle-ci doit intégrer la formation à la relation avec le public en difficulté afin de limiter, dès l’origine, le phénomène d’exclusion des droits. Il convient également d’accroître le soutien à la vie associative et l’appui au volontariat alors que les crédits du Fonds national au soutien de la vie associative sont très nettement insuffisants.

Mme Jacqueline Saint-Yves (COORACE) a fait remarquer que le développement du travail précaire était favorisé par les règles permettant le cumul des réductions de charges sur les bas salaires avec celles sur les emplois à temps partiel.

M. François Dubin (Pact-Arim), après avoir souligné que des unions d’économie sociale ayant pour objectif la gestion des logements adaptés avaient constitué une solution intéressante aujourd’hui abandonnée, a fait remarquer, qu’aucun dispositif n’était envisagé pour améliorer la situation des accédants à la propriété lorsque ceux-ci sont confrontés à la précarisation.

M. Gilbert Lagouanelle (Secours catholique) a souligné que les délais de réponse des administrations et les délais de mandatement accentuent la précarisation et freinent l’accès aux droits.

Il faudrait obliger la première administration avec laquelle entre en contact la personne en difficulté à communiquer aux autres structures administratives les pièces nécessaires à l’établissement de ses droits. Il est également nécessaire d’améliorer la formation des personnels, y compris ceux de l’éducation nationale, en direction des populations en difficulté.

Enfin, s’agissant du surendettement, il faut rappeler que la moyenne des endettements devant les commission de surendettement s’établit à 7 152 francs et n’est donc pas très élevée. Les commissions de surendettement devraient intégrer les dettes portant sur les minima vitaux et comprendre des représentants des associations de lutte contre la précarité. Enfin, un meilleur partage des risques devrait être établi. L’effort des débiteurs doit être équilibré avec celui des créanciers, comme par exemple en Allemagne où les banques sont présumées assumer une partie des risques au-delà d’un certain seuil d’endettement dont elles ont connaissance grâce à un fichier central.

M. Bruno Dubouloz (FNARS) a insisté sur la formation des intervenants sociaux, les métiers du travail social ayant changé dans le sens d’une complexité croissante due à la fois aux situations individuelles de plus en plus difficiles à apprécier mais aussi à l’environnement social comme à la multiplication des aides et des interventions.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin a soulevé les points suivants :

- Tous les intervenants ont regretté l’absence d’une réforme des institutions de lutte contre l’exclusion. La ministre a indiqué qu’une réponse serait apportée par un amendement gouvernemental au terme de la concertation en cours. Il serait intéressant de savoir quels changements devraient être apportés au dispositif institutionnel existant.

- Il faudrait envisager une meilleure protection des personnes déjà trop endettées contre les offres excessives de crédits mais on peut s’interroger sur les mesures précises à prendre.

- L’accès aux soins des personnes en difficulté relève plus d’un problème d’accompagnement social que d’un problème purement financier. En effet, certains salariés touchant entre une et une fois et demi le SMIC ou certaines familles monoparentales n’ont pas les moyens de faire l’avance des frais ou de payer le ticket modérateur. Par ailleurs, s’il faut réaffirmer le rôle central de l’hôpital dans la lutte contre l’exclusion, pour autant il n’est pas la seule réponse ; les médecins généralistes ont leur rôle à jouer et celui-ci peut être indispensable dans les zones rurales.

M. Hugues Feltesse (UNIOPSS) a estimé que les conseils départementaux de lutte contre l’exclusion devraient être des lieux de proposition et de réflexion présidés par une personnalité qualifiée. Leurs compétences devraient être étendues aux aspects du logement, de la culture, de l’éducation, de la jeunesse et des sports car la lutte contre l’exclusion est globale et ne peut, notamment, se limiter au seul dispositif du RMI.

Enfin, pour éviter la stigmatisation et pour des raisons d’équité, les aides devraient plus être attachées à la notion économique de niveau de ressource plutôt qu’au statut administratif des intéressés.

M. Claude Moncorgé (Médecins du monde) a constaté que près du quart des personnes en difficulté accueillies dans les centres avaient des droits en matière de sécurité sociale, mais qu’elles n’étaient pas en mesure de faire l’avance de frais. La mise en place d’une couverture maladie universelle devrait permettre de faire face à ce genre de situations.

Audition de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions

VII.- AUDITION DES ASSOCIATIONS MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL ET D’ÉCHANGE INTERASSOCIATIF SUR LE PROJET DE LOI D’ORIENTATION RELATIF À LA LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS

La commission spéciale a procédé à l’audition des associations membres du groupe de travail et d’échange interassociatif sur le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions au cours de sa séance du mardi 7 avril 1998.

Le président Georges Hage, après avoir rappelé que le groupe de travail et d’échange interassociatif représentait dix-huit associations, dont certaines se sont manifestées à l’occasion du mouvement des chômeurs ou dans le cadre des opérations d’occupation d’immeubles vacants a indiqué que cette audition venait en complément de celle du “ collectif Alerte ”.

M. Jean-Baptiste Eyraud, président de “ Droit au logement ” (DAL), a précisé en préambule que le groupe de travail jugeait nécessaire que soit introduit dans l’article premier la référence aux principes de valeur constitutionnelle et aux conventions internationales ratifiées par la France, tendant à la garantie des droits afin de donner toute sa dimension au projet de loi. Par exemple, pourrait être mentionné la déclaration issue de la conférence “ Habitat 2 ”, qui s’est tenue à Istanbul en 1996 sur le logement des personnes défavorisées ou bien la convention internationale sur les droits de l’enfant ou la Convention européenne des droits de l’homme.

Mme Annie Pourre, intervenant au nom de l’association “ Droits devant ”, a tout d’abord regretté que la notion d’acteur-citoyen soit absente du projet et qu’il ne soit pas fait référence au rôle des entreprises dans la lutte contre les exclusions. Ceci reflète l’ambiguïté fondamentale de la démarche du Gouvernement, qui entérine le clivage entre l’économique et le social, au lieu d’envisager la responsabilisation des entreprises dans la prise en compte des problèmes sociaux.

Le projet de loi aborde avec une tonalité sensiblement différente de celle qui avait présidé à la rédaction du projet de loi sur la cohésion sociale en 1997 la lutte contre l’exclusion en refusant de s’en tenir à une politique d’assistance et en ayant pour objectif que chacun trouve sa place dans la société. On retrouve donc dans le projet de loi une opposition cardinale entre l’assistance, à éviter, et l’emploi, à promouvoir. Cette orientation qui peut susciter un large consensus ne doit cependant pas dissimuler le risque d’une dualisation sociale. Le programme d’action s’en fait l’écho puisqu’il mentionne l’équilibre à trouver entre la spécificité requise pour mieux traiter les problèmes et la généralité des politiques à mettre en oeuvre pour éviter la stigmatisation qui va à l’encontre de l’objectif d’intégration. L’organisation d’une administration duale représente un déni de droit de même que les inégalités générées par les réponses différentes apportées par les administrations locales.

Dans cette perspective, plutôt que de créer un Observatoire des phénomènes de pauvreté et d’exclusion, il conviendrait de créer un Observatoire de la richesse et des inégalités afin de quitter une logique insistant de manière permanente sur la compensation de la misère, pour adopter une approche d’observation des inégalités permettant de procéder aux redistributions nécessaires.

Abordant la question des “ partenaires-citoyens ”, Mme Annie Pourre a dénoncé le fait qu’aucun moyen d’intervention ni de saisine ne soit prévu pour les projets associatifs et les acteurs de la société civile, alors qu’il est nécessaire de reconnaître un droit d’ingérence et de représentation aux organismes représentant les personnes victimes d’exclusion.

Par contre, permettre aux personnes sans domicile fixe d’exercer leur droit de vote constitue cependant une avancée réelle. Le projet reste en revanche muet sur le droit de vote des immigrés aux élections locales.

De façon plus générale, l’amélioration de l’efficacité des dispositifs de lutte contre l’exclusion supposerait qu’avant toute décision il soit réalisé une étude sociale d’impact. Il serait notamment intéressant de reconstituer le Centre étude des revenus et des coûts (CERC), c’est-à-dire de mettre en place un organe indépendant dont la saisine serait largement ouverte et gérant une banque de données sur les initiatives et les actions des associations. De même, la conclusion de pactes locaux devrait permettre la prise en compte des projets alternatifs des associations de terrains. Parmi ces projets alternatifs, il y a les réseaux d’échanges de savoir destinés à lutter contre l’illettrisme et à permettre la réappropriation du savoir par des jeunes sortis du système scolaire sans connaissances de base, ce qui impose de rouvrir l’école aux intéressés car, sans cela, ils resteront inaccessibles à tous les dispositifs d’insertion sociale.

Enfin, la lutte contre le surendettement, annoncée comme étant un des points forts du projet de loi, débouche sur des dispositions dans l’ensemble décevantes. Ainsi, les critères d’accès sont ambigus et on peut en particulier s’interroger sur le sens exact de l’expression “ biens saisissables ” s’agissant du moratoire, de l’effacement ou de la réduction des dettes. De même, alors que le juge pouvait, jusqu’à présent, consentir des baisses de taux d’intérêt allant jusqu’à un taux nul, s’agissant du moratoire, il sera limité par le taux d’intérêt légal. Par ailleurs, les dettes fiscales et sociales ne sont pas prises en compte alors qu’elles constituent l’un des facteurs essentiels de l’accélération de la précarisation à la suite d’“ accidents de vie ”.

Les charges qui apparaissent dans le calcul du taux de surendettement doivent être les charges réelles du ménage et, s’agissant du “ reste à vivre ”, il serait indispensable de prévoir une normalisation visant à mettre un terme à des inégalités territoriales qui sont aujourd’hui flagrantes, tous les départements n’ayant pas, loin de là, la même attitude. Il conviendrait également d’instituer un moratoire des saisies et des expulsions dès l’ouverture d’un dossier de surendettement.

M. Eric Ducoing, intervenant au nom de “ Agir contre le chômage ” (AC), a souligné la déception des associations devant la décision de ne pas relever le revenu minimum d’insertion (RMI) et devant la revalorisation minime de l’allocation de solidarité spécifique (ASS). De la même manière, le refus d’accorder le droit à un revenu minimal pour les jeunes chômeurs est regrettable, alors même que l’exclusion qui frappe cette partie de la population est un facteur de la violence sociale que l’on voit se développer. A cet égard, le dispositif “ Trajet de retour à l’emploi ” (TRACE) est tout à fait insuffisant puisqu’il ne bénéficie qu’à 60 000 jeunes, alors que les jeunes chômeurs sont au nombre d’au moins 600 000 ; par ailleurs, la durée du parcours est trop courte et aucun revenu n’est garanti pendant celui-ci.

De manière générale, on peut craindre que ce projet ne relève que d’un effet d’annonce. Le détail de son financement laisse apparaître que les crédits de certains programmes tels que les emplois-jeunes étaient déjà engagés et ne sont venus nourrir la présentation de l’effort budgétaire que de manière artificielle. Le montant des crédits consacrés à la lutte contre l’exclusion tels qu’annoncé par le Gouvernement s’élève à 51 milliards de francs. Ce montant est à comparer avec la proposition de relèvement de 1 500 francs de tous les minima sociaux qui avait été chiffrée, sans doute de façon excessive, à 70 milliards de francs. Force est de constater, par ailleurs, que les mesures en faveur de l’emploi ne sont pas nouvelles et ont montré leur incapacité à répondre aux phénomènes d’exclusion, qu’il s’agisse du contrat de qualification, des contrats emploi solidarité (CES) ou des contrats emploi consolidé (CEC), dont il faut noter que la durée du travail sera inférieure à la durée légale et ne permettra donc pas à leurs bénéficiaires de percevoir un salaire au moins égal au SMIC.

Alors que le rapport de l’INSEE sur la pauvreté met en évidence une nouvelle population victime de l’exclusion, les travailleurs pauvres, de nombreuses mesures sont absentes ou incomplètes. Il en est ainsi de la couverture maladie universelle qui ne peut résoudre ni les problèmes liés à la diminution du remboursement des soins ni ceux résultant de l’avance des frais. Au demeurant, l’impasse est faite sur l’ensemble des mesures à prendre pour améliorer la santé des populations exclues ou favoriser leur accès à l’emploi, ce qui nécessite, par exemple, d’être habillé de façon adaptée et de pouvoir emprunter un moyen de transport. Le projet est également silencieux sur des points aussi divers que l’accès à l’information compte tenu du coût de la redevance télévision ou de la presse ou l’accompagnement dans les démarches d’accès aux droits. Ces exemples montrent - a contrario - la nécessité qu’il y aurait à revaloriser les minima sociaux dont l’indexation sur les prix et non sur l’évolution des revenus ou sur le SMIC est critiquable. Il faut également noter qu’il n’est pas prévu de mettre fin au forfait logement imputé sur le RMI et sur l’allocation de parent isolé (API) lorsque le bénéficiaire est logé à titre gratuit. Il faudrait également que les bénéficiaires du RMI puissent percevoir les allocations familiales en sus de leur allocation et aient la possibilité de reprendre des études. Toute décision de suspension d’allocation devrait donner lieu à l’instauration d’une procédure de recours suspensif.

Enfin, le projet de loi ne contient pas le volet démocratique annoncé par la ministre de l’emploi et de la solidarité qui avait envisagé la participation des associations de chômeurs dans des comités d’usagers auprès de l’ANPE et de l’AFPA, ainsi qu’auprès des ASSEDIC. Par ailleurs, les associations rencontrent de réelles difficultés matérielles de fonctionnement et attendent donc non seulement une reconnaissance mais aussi des moyens supplémentaires.

M. Jean-Baptiste Eyraud (Droit au logement) a indiqué que le volet logement du projet de loi, comportait des avancées significatives. Le problème de fond demeure l’insuffisance de l’offre de logements pour les ménages modestes en raison de la précarisation des familles, de la hausse des loyers et de la diminution concomitante de la construction de logements sociaux. Le projet prévoit d’accroître cette offre par la taxation des logements vacants et une nouvelle réglementation des réquisitions. Ces outils doivent cependant être rendus véritablement efficaces, en ne limitant pas les réquisitions aux seules personnes morales et la taxation aux agglomérations de plus de 200 000 habitants. En ce qui concerne les expulsions, il est souhaitable de réintroduire dans le texte l’interdiction de toute expulsion par un huissier non accompagné de représentants de la force publique. Enfin, le dispositif tendant à garantir la mixité sociale dans les HML qui aboutit à loger moins de pauvres en HLM apparaît lourd, peu transparent et au total d’un apport limité.

M. Jean Le Garrec, rapporteur, a formulé les observations suivantes :

- Le texte du Gouvernement est inscrit dans un cadre nécessairement limité et n’a pas la prétention de proposer de solution à tous les problèmes, même si son souci est de combattre les causes mêmes de l’exclusion.

- On ne peut que dresser le constat du chemin à parcourir entre la demande des associations d’une augmentation généralisée des minima sociaux et les orientations retenues par le Gouvernement, soutenues par sa majorité parlementaire.

- La référence aux conventions internationales, particulièrement celles relatives aux droits des enfants, est à prendre en considération dans le cadre de l’article premier du projet de loi.

- L’objectif présidant à la création de l’Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion, est louable mais la définition de ses missions peut apparaître stigmatisante.

M. Alain Cacheux, rapporteur sur les dispositions concernant le logement, a exprimé son accord sur le constat d’une offre insuffisante de logements sociaux, même si 30 000 logements à loyer minoré ou logements d’intégration ont été budgétisés dans la loi de finances pour 1998. De même, on ne peut que souhaiter une répartition géographique et sociale plus équilibrée des logements sociaux. Il a été fait un progrès certain en matière de transparence pour l’attribution de logements sociaux avec la création du numéro d’enregistrement départemental et par l’obligation pour les organismes HLM de passer un contrat. Enfin, il devrait être possible d’aboutir à une solution satisfaisante en matière d’expulsions pour mettre fin à des pratiques souvent excessives.

Mme Hélène Mignon a fait remarquer que si les réquisitions de logements pouvaient conduire à une plus grande mixité des populations, les logements réquisitionnés étaient souvent en mauvais état et que se posait, alors, la question de la charge de leur rénovation. Par ailleurs, on constate que dans les quartiers difficiles une part importante du parc de logements sociaux, pouvant atteindre 20 %, reste inoccupée. Y remédier suppose de modifier l’ensemble des conditions d’accueil d’un quartier afin d’y restaurer le lien social ce qui relève de la politique de la ville.

M. Georges Hage, président, s’est interrogé sur le moyen de faire disparaître les particularismes communaux en matière de logement social et d’impliquer davantage les entreprises dans la lutte contre les exclusions, d’autant que les syndicats sont absents du projet de loi.

Mme Annie Pourre (Droits devant) a constaté que lorsqu’il était fait mention du rôle des entreprises dans le projet de loi, les contours de cette intervention n’étaient jamais précisés, par exemple dans le cadre du programme TRACE qui entérine l’abandon du plein emploi au profit du concept d’activité. Par ailleurs, la distorsion entre l’offre et la demande d’emplois rend peu pertinent le refus d’attribuer le RMI aux jeunes sous prétexte de désincitation au travail. Cette question doit au contraire être abordée en terme de ressources qu’il faut garantir aux jeunes chômeurs en raison de la crise économique.

M. Eric Ducoing (AC) a rappelé que face aux difficultés rencontrées par 7 millions de chômeurs et de précaires qui font vivre 11 millions de personnes, il était nécessaire de faire appliquer les droits reconnus par la Constitution qui garantissent à tous des moyens d’existence décents. La volonté politique des élus sera jugée par une population qui attend beaucoup du projet de loi contre les exclusions.

Il est nécessaire que soient constitués des comités d’usagers comprenant notamment, les associations de chômeurs auprès des organismes déjà cités mais aussi auprès des caisses d’allocations familiales ou des commission locales d’insertion. Enfin, les enquêtes montrant que la grande majorité des bénéficiaires du RMI sont locataires dans le parc de logements privés, il y a lieu de s’interroger sur le rôle et la place du logement social.

M. Jean-Baptiste Eyraud (DAL) a fait remarquer que les associations de défense des mal logés ne trouvaient pas non plus leur place dans les structures prévues par le projet de loi, alors qu’il est nécessaire qu’elles soient associées aux discussions sur les emplacements et les financements des futurs logements ou sur la mise en place des outils intercommunaux disposant du droit de préemption, d’expropriation ou de réquisition, en concertation avec les maires et les préfets.

LISTE DES PERSONNALITÉS ET ORGANISMES AUDITIONNÉS PAR LE RAPPORTEUR

- Mme Marie-Thérèse Join-Lambert

- M. Hervé Serieyx, délégué interministériel à l’insertion professionnelle et sociale des jeunes en difficulté (DIIJ)

- M. Claude Alphandéry, président du Conseil national de l’insertion par l’activité économique

- M. Christian Valadou, secrétaire général du Comité national des entreprises d’insertion (CNEI)

- Mme Jacqueline Saint-Yves, présidente de la coordination des associations d’aide aux chômeurs par l’emploi (COORACE)

- M. Georges Comte, président de l’Organisation nationale des formations au travail social (ONFTS)

- M. Patrick Kanner, président de l’Union nationale des centres d’action sociale (UNCASS)

- M. Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale (FNARS)

- M. Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française

- M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS)

______________

N° 856.– Rapport de M. Jean Le Garrec, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions (n° 780) : Tome I : présentation générale.

1 Serge Paugam, L’exclusion : l’état des savoirs.

2 R. Castel - Les métamorphoses de la question sociale.

3 Notion que R. Castel préfère à celle d’exclusion car elle insiste sur son caractère de processus.

4 Économie et statistique - Mesurer la pauvreté aujourd’hui, N° 308, 309, 310 - 1997

5 Avis du Conseil économique et social.: Évaluation des politiques publiques contre la grande pauvreté.

6 R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale

7 Pauvreté des familles, pauvreté des enfants - N. Herpin, Lollier - INSEE - décembre 1996

8 Rapport sur la progression de la précarité en France et ses effets sur la santé - février 1998.

9 Economie et statistique INSEE - n° 282

10 Le calcul de l’allocation de RMI repose en effet sur les ressources dont a disposé l’allocataire pendant les trois mois précédents.

11 Ces mesures sont : l’allocation spécifique d’attente pour les chômeurs, allocataires du RMI ou de l’ASS ayant validé 40 années de contribution au régime vieillesse, la revalorisation de l’ASS de 2 % au 1er juillet 1997, les “ emplois-jeunes ” pour les jeunes des quartiers en difficulté, le Fonds cantine et les PLA-intégration.

12 Cofinancements attendus de la part du Fonds social européen (FSE) et des différents partenaires qui s’inscriront dans la démarche proposée. Le Fonds social européen sera sollicité notamment pour le programme TRACE, l’insertion par l’économique et les plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE). Les collectivités locales seront également invitées à participer au financement des PLIE et du programme TRACE, notamment s’agissant du renforcement des missions locales et des stages de la formation professionnelle. Enfin, différents opérateurs ont d’ores et déjà accepté de financer les dispositions permettant de prévenir les coupures d’électricité, d’eau et de téléphone.