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N° 1602

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 mai 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1557) de MM. JEAN-PIERRE DELALANDE, BERNARD PONS, JEAN-LOUIS DEBRÉ et les membres du groupe RPR et apparentés tendant à éviter la double imposition des bailleurs pour l’exercice 1999,

PAR M. Jean-Pierre DELALANDE,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Impôts et taxes.

La commission des finances, de l’économie générale et du plan est composée de :

M. Augustin Bonrepaux, président ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Jean-Pierre Brard, Arthur Dehaine, Yves Tavernier, vice-présidents, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jegou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Christian Bergelin, Eric Besson, Alain Bocquet, Jean-Michel Boucheron, Michel Bouvard, Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Yves Cochet, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Jean Rigal, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Patrick Sève, Jean-Pierre Soisson, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

I.- LA RÉFORME DU DROIT DE BAIL ET DE LA TAXE ADDITIONNELLE : UNE PROPOSITION INTÉRESSANTE QUANT À SON OBJECTIF SE TROUVE DISCRÉDITÉE PAR UNE MISE EN ŒUVRE TROP DÉFAVORABLE AUX CONTRIBUABLES 7

A.- UN LOUABLE OBJECTIF DE SIMPLIFICATION 7

B.- UNE MISE EN ŒUVRE TROP DÉFAVORABLE AUX CONTRIBUABLES 8

II.- L’INCOMPRÉHENSIBLE NÉGATION D’UNE DOUBLE IMPOSITION 11

A.- UNE DOUBLE IMPOSITION QUI N’A RIEN D’IMAGINAIRE 11

B.- LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE SAURAIT CLORE LE DÉBAT 14

C.- LA NÉCESSITÉ DE CORRIGER UN DISPOSITIF QUI ENTRETIENT LE MÉCONTENTEMENT 16

III.- LE CHOIX FAIT PAR LE GOUVERNEMENT PORTE ATTEINTE À LA CRÉDIBILITÉ DE L’ÉTAT 19

A.- UNE APPROCHE BUREAUCRATIQUE JUSQU’À LA CARICATURE 19

B.- LE SENTIMENT QUE L’ON NE PEUT DÉCIDÉMENT PAS FAIRE CONFIANCE À L’ÉTAT 19

C.- UNE PRATIQUE ÉTATIQUE DÉSUÈTE 20

EXAMEN EN COMMISSION 23

TABLEAU COMPARATIF 27

Mesdames, Messieurs,

L’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 a supprimé le droit de bail et sa taxe additionnelle. Il les a remplacés par deux contributions représentatives de ce droit et de cette taxe, recouvrées comme l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés, selon le régime fiscal dont relève le bailleur. De même assiette, de même taux, les contributions nouvelles sont identiques aux taxes supprimées. Si juridiquement il y a novation, en fait seule la date d’imputation change.

Or, les conditions dans lesquelles cette substitution a été organisée aboutissent à ce que les loyers du 1er janvier au 30 septembre 1998 servent d’assiette à la fois à l’ancien droit de bail et à sa taxe additionnelle et à la nouvelle contribution représentative du droit de bail et à sa contribution additionnelle. Toute la « querelle du droit de bail » est née des conséquences qu’on prétend tirer de cette superposition de bases d’imposition.

Entre le 18 janvier et le 17 mai 1999, des députés de tous les groupes ont posé 156 questions écrites sur les conséquences, pour les bailleurs relevant de l’impôt sur le revenu, des modalités de passage des anciennes taxes aux nouvelles contributions. Leurs appréciations sont concordantes. Il n’est question que d’anomalies à corriger, de dysfonctionnements, de majoration artificielle d’assiette, de trop-perçus, de double versement de taxes, de situations inéquitables, d’injustices, de nécessité d’améliorer la transition entre les deux dispositifs, de situations qui pénalisent injustement les bailleurs.

Il est vrai que le choix fait pour organiser la transition entre le droit de bail et sa taxe additionnelle et les contributions qui les remplacent est sidérant. La surprise, puis l’émotion, enfin l’incompréhension qu’il a suscitées chez les bailleurs imposables à l’impôt sur le revenu, appellent une autre réponse que celles faites par le Gouvernement aux trois questions d’actualité, des 9,10 et 30 mars dernier, dans lesquelles il a prétendu maintenir inchangé le dispositif initialement prévu à l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998.

Pourquoi faut-il corriger l’erreur d’appréciation qui a été commise ?

Pour le comprendre, il faut d’abord rappeler comment l’adhésion prévisible à une réforme intéressante dans son objectif se trouve discréditée par des modalités d’application excessivement déséquilibrées au détriment des contribuables (I).

Il faut ensuite examiner comment l’obstination à nier l’évidence d’une double imposition a accentué le sentiment d’incompréhension des contribuables (II).

Enfin, on ne peut ignorer l’inévitable atteinte à la crédibilité de l’Etat qui en résulte et en résultera pour longtemps, on va le montrer (III).

I.- LA RÉFORME DU DROIT DE BAIL ET DE SA TAXE ADDITIONNELLE : UNE PROPOSITION INTÉRÉSSANTE QUANT À SON OBJECTIF SE TROUVE DISCRÉDITÉE PAR UNE MISE EN ŒUVRE TROP DÉFAVORABLE AUX CONTRIBUABLES

A.- UN LOUABLE OBJECTIF DE SIMPLIFICATION

L’idée d’origine est une bonne idée.

Il s’agit de simplifier les obligations déclaratives des bailleurs, c’est-à-dire de supprimer de la paperasserie à remplir pour le contribuable, à instruire et archiver pour les services fiscaux, quand bien même ce dernier aspect, interne à l’administration, aurait été l’élément déterminant de la décision de réforme.

Hormis quelques exonérations prévues par la loi, le droit de bail frappait toutes les mutations de jouissance d’immeubles. Il était normalement calculé sur le prix du loyer augmenté des charges imposées au locataire, le loyer pris en considération étant le loyer couru au cours de chaque période du 1er octobre au 30 septembre, et non de loyer effectivement payé. Son taux était de 2,50 %. Sauf convention contraire, la charge du droit de bail incombait au locataire.

La taxe additionnelle au droit de bail était due sur les loyers des locaux situés dans les immeubles achevés depuis quinze ans au moins au 1er octobre de chaque année, lorsque le droit de bail était lui-même exigible. Son taux était de 2,50 %. Elle était normalement mise à la charge du propriétaire.

Comme l’ont rappelé les rapporteurs généraux des commissions de finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant la réforme, la déclaration du droit de bail :

– obéissait au calendrier particulier précité (période du 1er octobre au 30 septembre) ;

– concernait une imposition établie sur la base de créances acquises (et non de loyers effectivement encaissés) ;

– était lourde à mettre en œuvre, puisqu’elle consistait en une déclaration en deux exemplaires par immeuble, adressée à la recette des impôts du lieu de situation de celui-ci, sauf autorisation expresse accordée aux bailleurs importants de souscrire une déclaration unique à la recette des impôts dont ils dépendaient.

L’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 a supprimé la déclaration spécifique en vue de l’établissement du droit de bail, ce qui se traduit par cinq millions de déclarations et autant de moyens de paiement en moins.

L’utilisation des déclarations relatives aux revenus fonciers pour les particuliers et aux résultats pour les entreprises, c’est-à-dire la prise en compte des loyers effectivement encaissés pendant l’année civile ou l’exercice s’il diffère de l’année civile, a conduit à remplacer le droit de bail par une contribution représentative et la taxe additionnelle au droit de bail par une contribution additionnelle.

En pratique, cette substitution s’est faite à assiette, taux, et principales caractéristiques inchangés, l’Etat ne cherchant pas d’autre gain qu’une amélioration de la productivité du recouvrement de l’impôt, et, pour le contribuable, un allégement de ses obligations déclaratives.

En clair, la déclaration et le paiement des nouvelles contributions s’effectuent en même temps que la déclaration et le paiement de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés.

A cela, personne ne trouve à redire, et notamment pas les bailleurs.

B.- UNE MISE EN ŒUVRE TROP DÉFAVORABLE AUX CONTRIBUABLES

Le désaccord provient du choix qui a été fait pour organiser la transition entre l’ancien et le nouveau système. Clairement, la démarche retenue a consisté à garantir le plus possible le produit perçu par l’Etat en 1999, ce qui conduit à retenir une solution manifestement trop déséquilibrée au détriment des bailleurs redevables de l’impôt sur le revenu. Au bout du compte, ce sont eux qui supportent en effet la charge de trésorerie résultant d’une réforme de simplification administrative et non l’Etat qui la propose.

Le passage de l’ancien au nouveau système a buté sur le décalage entre l’année de perception du revenu et celle du paiement de l’impôt qui est propre à l’impôt sur le revenu en l’absence de retenue à la source. L’impôt sur le revenu est dû sur les revenus de l’année précédente (n-1). Or, le droit de bail et sa taxe additionnelle ont été acquittés par les bailleurs, en 1998, sur les loyers courus des mois de janvier à septembre 1998. Si l’on choisit d’asseoir les nouvelles contributions sur les loyers perçus en 1998, il serait logique d’admettre la possibilité de déduire de l’assiette de la nouvelle contribution représentative du droit de bail et de sa contribution additionnelle, le montant des loyers soumis au droit de bail et à sa taxe additionnelle de janvier à septembre 1998. Un tel choix n’aurait encouru aucune critique de la part des bailleurs.

Le droit de bail représentait 6,5 milliards de francs en 1997 et la taxe additionnelle au droit de bail 3,4 milliards de francs, soit au total près de 10 milliards de francs de recettes. Si l’on avait admis la déduction généralisée de ce qui a été acquitté, en 1998, au titre de la période du 1er janvier au 30 septembre 1998, la perte de recettes aurait été des trois-quarts du produit annuel, soit de l’ordre de 7 milliards de francs.

Le Gouvernement, suivi par sa majorité à l’Assemblée nationale, a choisi un dispositif qui réduit cette perte en établissant une distinction entre les bailleurs imposables à l’impôt sur le revenu et ceux imposables à l’impôt sur les sociétés. Pour ces derniers, il a admis de neutraliser les effets de la superposition d’assiette, dès 1999. Mais il a refusé aux premiers le bénéfice de cette neutralisation.

NEUTRALISATION DES EFFETS DE LA SUPERPOSITION D’ASSIETTES IMPOSABLES POUR LES BAILLEURS SOUMIS À L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

(paragraphe G de l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998)

Cas d’un exercice clos à la fin d’avril :

– Exercice clos le 30 avril 1998 : aucune base imposable.

– Exercice clos le 30 avril 1999 : base imposable = recettes nettes perçues du 1er octobre 1998 au 30 avril 1999.

Cas d’un exercice clos fin août :

– Exercice clos le 31 août 1998 : aucune base imposable.

– Exercice clos le 31 août 1999 : base imposable = recettes perçues du 1er octobre 1998 au 31 août 1999.

Cas d’un exercice clos à la fin de décembre :

– Exercice clos le 31 décembre 1998 : base imposable = recettes nettes perçues du 1er octobre 1998 au 31 décembre 1998.

– Exercice clos le 31 décembre 1999 : base imposable = recettes perçues au cours de l’exercice de douze mois.

Comment, dès lors, être surpris de l’étonnement des bailleurs ?

A défaut, sans doute, d’une réelle négociation, en amont, avec la profession, le Gouvernement a choisi de recourir à de subtiles distinctions pour tenter de convaincre les bailleurs qu’ils n’étaient pas victimes d’une discrimination :

– d’abord, entre le redevable de l’impôt et le contribuable effectif. La réforme est neutre pour le locataire, contribuable effectif, le seul changement consistant, pour lui, à acquitter une contribution représentative du droit de bail depuis le 1er janvier 1999, au lieu de l’ancien droit de bail. L’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 interdit expressément que les effets de la superposition de bases puissent être répercutés sur le locataire ;

– ensuite, pour le bailleur, entre l’assujettissement à l’impôt et le décaissement effectué pour le payer. En raison du décalage existant entre les dates de versement des provisions à la charge du locataire, au titre de la contribution représentative du droit de bail, et la date de leur versement au Trésor, par le bailleur, ce dernier n’aura pas à décaisser à nouveau le montant de la contribution déjà acquittée en octobre 1998, pour la période de location courant du 1er janvier au 30 septembre 1998. Il le fera au moyen des provisions versées par son locataire en octobre, novembre et décembre 1998 et de janvier à septembre 1999. Ce décalage continuera à produire ses effets tant que le bailleur continuera de louer. Cela peut ainsi durer dix ans, vingt ans, trente ans… ;

– en prenant, enfin, en compte chaque année de paiement effectif, de septembre à septembre, pour la contribution additionnelle à la contribution représentative du droit de bail, à la charge effective du propriétaire. Au dernier trimestre de 1998, le bailleur a acquitté une taxe additionnelle pour la période du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998. Au dernier trimestre de 1999, le bailleur acquittera une taxe additionnelle pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1998. Au dernier trimestre 2000, il acquittera une taxe additionnelle pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 1999, et ainsi de suite.

Les exigences simplificatrices de la communication gouvernementale sont venues corriger l’extrême subtilité de ces distinctions. Elles ont abouti, de la part du Gouvernement, à une négation pure et simple, et persistante, de la double imposition, négation qui n’a pu que rencontrer l’incrédulité des bailleurs.

II.- L’INCOMPRÉHENSIBLE NÉGATION D’UNE DOUBLE IMPOSITION

Puisqu’il y a superposition d’assiette, il y a nécessairement double imposition. La preuve en est que l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 prévoit, selon la qualité du bailleur, soit la possibilité de déduire les recettes soumises au droit de bail de l’assiette de la nouvelle contribution, soit le bénéfice d’un dégrèvement lorsque cette déduction a été refusée.

Le débat ne peut donc porter que sur les modalités de neutralisation des effets de cette double imposition. Comme la possibilité d’imputer le montant du droit de bail acquitté en 1998 sur la contribution représentative due au titre de la même année n’est pas reconnue aux bailleurs redevables de l’impôt sur le revenu, il ne peut être question que d’une neutralisation imparfaite. Nier cette évidence, c’est s’entêter à voir les choses telles qu’elles ne sont pas.

A.- UNE DOUBLE IMPOSITION QUI N’A RIEN D’IMAGINAIRE

Le raisonnement implicitement suivi par l’administration elle-même se fonde sur l’existence d’une double imposition, sinon pour quelles raisons prévoir un dégrèvement, dans un cas, et, dans l’autre cas, la déduction des recettes soumises au droit de bail de l’assiette de la nouvelle contribution ?

Le raisonnement suivi par les bailleurs est également simple : les loyers ont donné lieu au paiement du droit de bail du 1er janvier au 30 septembre 1998 ; les mêmes loyers déclarés au titre de l’impôt sur les revenus de 1998 sont assujettis au paiement d’une contribution représentative du droit de bail ; en l’absence de possibilité de déduire le montant du droit de bail déjà versé, il y a une double imposition des mêmes loyers.

C’est un raisonnement de bon sens.

1.- Le dispositif adopté ne supprime pas la double imposition, contrairement à ce qu’affirment le Gouvernement et sa majorité de l’Assemblée nationale, il ne cherche qu’à en neutraliser les effets :

– et encore, uniquement lorsque certaines conditions sont réunies ;

– et d’autant moins bien que le fait générateur de cette neutralisation interviendra tardivement.

La neutralisation des effets de la superposition de bases n’intervient que lorsque le bailleur cesse de louer c’est-à-dire :

– soit décède ;

– soit reprend le local loué pour son usage personnel ;

– soit vend ;

– soit interrompt la location pendant neuf mois consécutifs.

a) Supposons qu’un bailleur interrompe sa location de mars à août 1999. Il sera redevable de la contribution représentative du droit de bail au titre de 1998, pour un montant égal à douze fois 2,5% du loyer. Il recevra de ses locataires une somme égale à six fois 2,5% du loyer (droit de bail versé, d’octobre à décembre 1998, par son locataire partant et contribution représentative du droit de bail versée, par ce même locataire, en janvier et février 1999, et par son successeur, en septembre 1999). Le bailleur devra donc acquitter six mois de droit de bail qu’il n’aurait pas eu à verser en l’absence de réforme.

b) En outre, les modalités de dégrèvement retenues permettront une neutralisation des effets de la superposition des bases dont la valeur, en termes réels, sera d’autant plus faible que le délai courant jusqu’à la fin de la location sera long. Si l’on prend l’exemple d’un délai de quinze ans, et une hypothèse d’évolution moyenne annuelle des prix de 1,5%, 100 francs de 1999 donneront lieu au remboursement de l’équivalent en euro de 73 francs en 2015. En francs ou euros courants, il y a bien neutralisation des effets de la superposition de bases. En francs ou euros constants, c’est loin d’être le cas et ce le sera d’autant moins que l’on s’éloignera de 1998. A la limite plus la location aura été stable, plus le dégrèvement se rapprochera de la dérision du « franc symbolique » devenu « euro symbolique ».

MODALITÉS DU DÉGRÈVEMENT EN VUE DE NEUTRALISER LA DOUBLE IMPOSITION

(article 234 decies du code général des impôts)

Champ d’application :

Biens dont les revenus de la location ont été soumis au droit de bail de janvier à septembre 1998.

Fait générateur :

– soit cessation de la location des biens précités (décès du bailleur, reprise du bien pour l’usage personnel du bailleur, vente du bien) ;

– soit interruption de la location des biens pendant neuf mois consécutifs.

Montant :

Droit de bail acquitté à raison de cette location de janvier à septembre 1998.

Conditions d’attribution :

– Aucune limitation dans le temps.

– Sur demande du contribuable, l’année qui suit la cession ou l’interruption d’au moins neuf mois consécutifs.

– Après réception de l’avis d’imposition à la contribution relative à la dernière année de location.

c) Il s’agit non seulement d’un dispositif très insatisfaisant, car il ne peut que susciter le mécontentement du contribuable, mais encore parce qu’il présente l’inconvénient d’entretenir ce mécontentement sur une longue période. A défaut d’être équitables, des conditions de dégrèvement permettant de « purger » le mécontentement, par exemple au bout de trois ans, auraient au moins permis de « tourner la page ». A l’inverse, on pourrait dire que si l’on avait voulu entretenir ce mécontentement, on aurait choisi les modalités du dégrèvement qui ont été retenues, comme son absence de caractère automatique ou la charge de la preuve renvoyée au contribuable.

2.- Pensant sans doute atténuer cette prévisible irritation, le Gouvernement a cru pouvoir avancer des arguments pour le moins surprenants, lorsqu’il a été interrogé, au Sénat, le 9 mars dernier (1).

a) Le premier argument tient à l’avantage que procure le nouveau dispositif dans les cas de loyers impayés. En effet, ils ne seront plus inclus dans l’assiette de la contribution représentative et de la contribution additionnelle, alors que tel était le cas pour les taxes assises sur les loyers courus. En fait, ce changement souligne à quel point le système du droit de bail et de sa taxe additionnelle était archaïque, au point d’assujettir à l’impôt des revenus inexistants. Pour les bailleurs, le remplacement d’un système bancal par un système moins bancal est certes un progrès, mais qui justifie difficilement d’être obtenu au prix d’une double imposition.

b) Le deuxième argument tient à l’avantage procuré aux bailleurs dont la location débute après le 1er janvier 1999. Ils ne seront redevables de la contribution représentative du droit de bail et de sa contribution additionnelle qu’en septembre 2000, compte tenu du décalage entre l’année de perception des revenus et celle du paiement de l’impôt sur le revenu. Loin de constituer un avantage particulier consenti au contribuable, il ne s’agit que des conséquences mécaniques du choix de la déclaration d’impôt sur le revenu comme support de la déclaration de contribution représentative du droit de bail. Il n’y a là aucun « cadeau fiscal » réel. En revanche, l’interdiction de déduire de l’assiette de la contribution représentative celle du droit de bail acquitté en 1998 constitue bien, elle, un choix délibéré et non une conséquence logique du changement de support de déclaration.

B.- LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE SAURAIT CLORE LE DÉBAT

Interrogé, dans notre Assemblée, au cours de la séance des questions au Gouvernement, M. Christian Sautter, secrétaire d’État au budget a, le 9 mars dernier, répondu que « Ce texte a été soumis par l’opposition au Conseil constitutionnel, qui a décidé que le dispositif institué par l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 ne conduisait pas le redevable à acquitter au cours de la même année les anciennes contributions et les nouvelles, et qu’il n’instituait donc pas une double imposition. Je crois que cela clôt le débat » (2).

En effet, dans sa décision (n° 98-406 DC) du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a considéré :

– qu’il n’y avait pas de double imposition parce que « le dispositif institué ne conduit pas le redevable à acquitter au cours de la même année les anciennes contributions et les nouvelles » et que, de plus, il « instaure un dégrèvement au bénéfice des redevables (…) d’un montant égal aux droits acquittés au titre de la période courant du 1er janvier au 30 septembre 1998, en cas de cessation ou d’interruption pour une durée d’au moins neuf mois consécutifs de la location  » ;

– qu’il n’y avait pas d’atteinte au principe d’égalité car la différence de situation faite entre les redevables des contributions relevant du régime de l’impôt sur le revenu et les redevables des contributions soumises au régime de l’impôt sur les sociétés découle de l’application de modalités de liquidation et de règles de recouvrement différentes.

On pourrait se demander pourquoi le Conseil constitutionnel a tant voulu motiver sa décision. A trop vouloir prouver… Dans la première partie de son raisonnement, il a ainsi eu recours à des arguments tirés d’une appréciation pratique, à la limite de l’opportunité, alors qu’il a procédé à une appréciation abstraite dans la deuxième partie de son raisonnement.

Le Conseil constitutionnel retient d’abord une démarche toute pratique : il n’y a pas de double imposition si l’on se place au cours de la même année et puisqu’un dégrèvement a été prévu. Il aurait pu se borner à constater qu’il ne peut y avoir de double imposition s’agissant de deux contributions juridiquement distinctes, en droit strict (l’ancien droit de bail et la nouvelle contribution). Sans doute a-t-il craint le caractère spécieux d’un tel raisonnement, puisqu’en fait le droit de bail et la contribution qui le remplace ont exactement les mêmes caractéristiques.

Mais, le Conseil constitutionnel revient, ensuite, à une démarche «  abstraite » fondée sur la différence de nature entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, alors que la question de l’égalité de traitement entre les bailleurs portait sur les modalités pratiques du « dégrèvement » institué : « dégrèvement » intégral et immédiat dans un cas, car résultant de la possibilité d’imputation de la contribution déjà acquittée, et dégrèvement restrictif soumis à une condition de cessation ou d’interruption de location, dans l’autre cas. Ces différences de traitement n’ont aucun lien logique avec la nature de l’impôt en cause.

Il sera intéressant de lire les explications juridiques des spécialistes et les commentaires des professeurs de droit sur cette décision. Mais, enfin, s’il est vrai que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics, cela ne saurait retirer au Parlement son propre pouvoir d’appréciation, ni au Gouvernement d’envisager des solutions plus compréhensibles par l’opinion. Le débat n’est donc pas clos !

Ainsi, dans sa décision du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel n’a pas dit qu’il n’y avait plus de possibilité de modifier l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998. Le Conseil constitutionnel a simplement accepté « l’astuce » consistant à raisonner en termes de paiement effectif. Il a considéré que le recours à cette « astuce » n’était pas contraire à la Constitution. Il n’en résulte pas que cette « astuce » se transforme, de ce seul fait, en la meilleure solution possible, ni qu’il soit désormais impossible de la corriger.

Si le choix des modalités de passage de l’ancienne à la nouvelle contribution, qui a été fait, ne peut plus être discuté en termes de constitutionnalité ou d’inconstitutionnalité, il peut toujours l’être en termes d’opportunité et de bilan coût-avantages.

C.- LA NÉCÉSSITÉ DE CORRIGER UN DISPOSITIF QUI ENTRETIENT LE MÉCONTENTEMENT

Comment réparer l’erreur d’appréciation commise par le Gouvernement dans la mise en œuvre de cette réforme qu’il a voulue et proposée ?

Plusieurs solutions sont envisageables.

1.- Une première solution aurait pu consister à distinguer le cas des redevables de l’impôt sur les sociétés de celui des redevables de l’impôt sur le revenu. Et le Gouvernement aurait déjà pu proposer la rectification de son dispositif sur la base de la décision du Conseil constitutionnel qui estime qu’il y a, entre les deux impôts, une différence de nature… La suppression des déclarations spécifiques au droit de bail aurait pu être réalisée en deux étapes : une, pour les bailleurs redevables de l’impôt sur les sociétés, et une autre, pour ceux redevables de l’impôt sur le revenu, l’année suivante, ou inversement. L’effort budgétaire de l’Etat aurait été moins élevé, et aurait permis d’éviter le recours à la double imposition. Certes, la simplification aurait été moins rapidement généralisée, mais, à tout prendre, un sentiment d’impatience devant une réforme annoncée semble moins dommageable que le sentiment d’amertume engendré par l’application de l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998, tel qu’il a été adopté.

2.- Une deuxième solution aurait pu résulter de l’observation que le système choisi est tellement mauvais dans ses conséquences psychologiques qu’il en est difficilement améliorable. Les conditions mises à l’obtention du dégrèvement sont inéquitables et ressenties comme telles. Raccourcir le délai d’interruption de la location, soit en le ramenant, par exemple, à six mois consécutifs, soit en permettant d’additionner des périodes d’interruption non consécutives, bute sur le fait qu’on aura reconnu l’injustice du dispositif, mais qu’on ne l’aura corrigée que pour certains bailleurs seulement. Hormis des considérations budgétaires, aucune logique ne permettrait de considérer qu’une interruption de location de six mois conduit à une situation moins injuste qu’une interruption de neuf mois. En tout cas, le bailleur n’ayant interrompu sa location que quatre mois n’en sera pas, lui, convaincu.

3.- Une autre solution pourrait consister à accorder le bénéfice du dégrèvement dès le premier renouvellement du bail en cours. Cette solution aurait l’avantage d’étaler l’effort financier de l’Etat, compte tenu du fait que la pratique est largement répandue de conclure des baux de trois ans. Mais une telle approche, si elle améliore le dispositif, ne l’exonère toujours pas de critiques.

4.- Aussi la présente proposition de loi s’en tient-elle à la solution la plus équitable, la plus simple à mettre en œuvre et la plus cohérente avec le souci d’une démarche véritablement simplificatrice, c’est-à-dire qu’elle vise à reconnaître aux bailleurs imposables à l’impôt sur le revenu, le même droit à déduction que celui reconnu aux bailleurs redevables de l’impôt sur les sociétés. Puisque le gouvernement a fait le choix d’une suppression uniforme de la déclaration spécifique du droit de bail, il est logique que cette simplification bénéficie dans les mêmes conditions à tous les bailleurs, particuliers ou sociétés.

Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas dans le dispositif ici proposé perte de recettes fiscales de l’Etat, mais seulement alourdissement à hauteur de 7 milliards de francs de sa charge de trésorerie. En effet, le dispositif proposé substitue à un dégrèvement dont l’attribution est soumise à des conditions très restrictives et dont la mise en œuvre est très étalée dans le temps, une déduction qui fait supporter immédiatement au Trésor la charge résultant du passage d’une base d’imposition assise sur des loyers courus de l’année en cours (droit de bail) à une base d’imposition assise sur les loyers encaissés au cours de l’année précédente (contribution représentative du droit de bail).

C’est la raison pour laquelle une telle charge de trésorerie nécessite un gage pour que la proposition soit financièrement recevable par notre Assemblée au regard de l’article 40 de la Constitution.

Un tel choix se justifie politiquement, car les bailleurs n’ont pas réclamé la réforme des modalités déclaratives du droit de bail. La décision a été prise par le Gouvernement en tant qu’élément de la réforme du service public chargé de l’assiette et du recouvrement de l’impôt. Les redevables de la nouvelle contribution assujettis à l’impôt sur le revenu n’ont pas à prendre à leur charge le financement de cette réforme.

III.- LE CHOIX FAIT PAR LE GOUVERNEMENT PORTE ATTEINTE À LA CRÉDIBILITÉ DE L’ÉTAT

A.- UNE APPROCHE BUREAUCRATIQUE JUSQU’À LA CARICATURE

Il est clair que le dispositif retenu à l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 ne constitue pas le seul dispositif envisageable, ni même celui qui viendrait d’abord à l’esprit. C’est en réalité le résultat d’une démarche à courte vue. Pour le Gouvernement, l’essentiel était de permettre le maximum d’effet d’annonce au moindre coût budgétaire. Tel a sans doute été le « cahier des charges ». Mais pris entre ces postulations contradictoires, les spécialistes du ministère de l’économie et des finances ont proposé une réforme habile aux yeux d’un technicien, car permettant, en apparence, de concilier l’inconciliable. La validation politique de cette approche a abouti au paradoxe de ruiner non seulement l’effet d’annonce, mais même la perception des aspects positifs de la réforme. Bref, les bailleurs redevables de l’impôt sur le revenu ont, à juste titre, le sentiment d’avoir été floués.

Cela ne serait qu’anecdotique, s’il ne s’agissait pas d’un choix fait délibérément par le Gouvernement tendant à faire payer sa réforme par les seuls contribuables. En réalité, il faut craindre que les dommages soient beaucoup plus durables, car même s’il devait être corrigé, l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 aura, d’ores et déjà, fait naître le sentiment qu’on ne peut faire complètement confiance à l’Etat collecteur d’impôt ou qu’on doit, à tout le moins, rester en permanence sur ses gardes vis-à-vis de lui. Désagréable !

B.- LE SENTIMENT QU’ON NE PEUT DÉCIDÉMENT PAS FAIRE CONFIANCE À L’ÉTAT

De ce point de vue, le mal est fait.

Comment le sentiment de la simple équité ne serait-il d’ailleurs pas atteint ? Les bailleurs ne peuvent pas admettre que des subtilités juridiques soient utilisées pour distinguer entre les contribuables qui échapperont à la double imposition et ceux qui, soumis à l’impôt sur le revenu, devront consentir une avance forcée au Trésor, dont les conditions extrêmement restrictives de remboursement font qu’elle ne sera, en fait, pas complètement récupérée dans de nombreux cas. Bien plus, le système adopté sera d’autant plus défavorable aux bailleurs que ceux-ci auront conservé un patrimoine stable et que leurs locataires seront restés en place.

Comment, au surplus, ne pas s’interroger ensuite sur les contradictions dont témoigne l’attitude de l’Etat ? Dans le temps même où il institue une taxation des logements vacants et cherche à encourager l’offre de loyers intermédiaires des bailleurs privés, au travers d’engagements de longue durée, sévèrement sanctionnés s’ils ne sont pas tenus, l’Etat adopte un dispositif qui lui permet de faire payer aux bailleurs une réforme qu’il est seul à avoir décidée, sans qu’une urgence particulière soit apparue, jusqu’à présent, ce qui ne peut que rendre plus difficiles les relations existant entre eux et lui.

Comment s’étonner, dès lors, qu’un tel comportement suscite un fort sentiment d’amertume chez ces bailleurs ? On ne s’y prendrait pas autrement, si l’on voulait donner le sentiment que l’Etat collecteur d’impôt n’est qu’habileté et que la question des scrupules n’est pas de son domaine. Rien ne sert de s’abriter derrière le paravent de l’inévitable complexité des dispositions transitoires qu’entraînerait toute réforme. Les contribuables commencent à avoir l’habitude des facilités que l’Etat s’octroie, sans s’être encore aperçu qu’elles deviennent de moins en moins supportables, à mesure de l’évolution des mentalités individuelles et collectives. Le recours excessif aux dispositions rétroactives est clairement perçu, désormais, comme totalement décalé par rapport au sentiment qu’ont les contribuables du respect qu’on leur doit dans un Etat moderne. L’exemple récent, de la réforme de l’assurance vie, dans le projet de loi de finances pour 1999, montre qu’il a fallu une correction in extremis, par l’Assemblée nationale.

L’usage immodéré des prérogatives exorbitantes contribue plus à éroder l’autorité de l’Etat qu’il ne la renforce.

C.- UNE PRATIQUE ÉTATIQUE DÉSUÈTE

Le sentiment d’un fossé s’élargissant entre les pouvoirs publics et les citoyens ne peut que s’aviver avec des choix tels que celui fait par le Gouvernement à l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998.

La modernité ne se résume pas à l’ouverture d’un site ministériel Internet. Il y faut aussi des comportements plus respectueux des contribuables.

Le 13 avril 1999, un communiqué de presse issu de la direction de la communication du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, a d’ailleurs fait état d’une réforme de ce ministère dans les termes suivants : « Réforme du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie : les ministres annoncent une nouvelle étape centrée sur « le service aux usagers ». Parmi les objectifs affichés, figurait celui de « donner la priorité aux usagers du service public en leur simplifiant la vie et en leur apportant un meilleur service ».

Le 30 avril 1999, la même direction de la communication du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie a rendu compte de l’intervention de M. Christian Sauter, secrétaire d’Etat au Budget, lors de sa visite à l’Ecole nationale des impôts. Selon cette source, M. Christian Sautter y indiquait  en substance : « Quel diagnostic faisons-nous ? Les usagers attendent un service public plus proche et plus efficace. Quelles réformes allons-nous faire ? Le sens général de la réforme, c’est d’abord de donner la priorité aux usagers. Comment cette réforme sera-t-elle mise en œuvre ? Les gains d’efficacité seront partagés entre les usagers, les agents et les autres services publics. Dans leur immense majorité nos concitoyens souhaitent une administration fiscale compétente, à leur écoute et réactive ».

En tant qu’usagers du service public des impôts, les bailleurs soumis à l’impôt sur le revenu peuvent légitimement se demander si le traitement que leur a réservé l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 s’explique parce qu’ils furent les derniers contribuables à « bénéficier » de la sollicitude des services fiscaux d’avant le « New Deal » promis par le secrétaire d’Etat ou bien, ce qui serait plus inquiétant, s’ils sont entrés par anticipation dans le temps des réformes …

Toutes les promesses de réforme administrative ne valent que ce que sont leurs résultats. Il est probable que, pendant des générations, les promotions des écoles des impôts entendront désigner sous la dénomination de « coup du droit de bail », l’exploit rare d’une administration qui a réussi à « vendre » au cabinet d’un ministre, au ministre, au Gouvernement, à sa majorité à l’Assemblée nationale et au Conseil constitutionnel, une simplification administrative non demandée, facturée au prix d’une double imposition, prétendument neutralisée à des conditions tellement irréalistes que seul un bailleur amnésique n’aurait pas le sentiment d’avoir été floué. Bref, qu’il est encore possible d’arriver à ce que ce soit le contribuable qui supporte le financement des « simplifications administratives » qu’il n’a pas sollicitées.

Des dispositifs bancals, comme un tel pari budgétaire sur la capacité d’oubli du contribuable, ont pu, à une autre époque, être acceptés. Ces temps sont révolus. L’acceptation du « fait du prince » s’efface sous nos yeux. Il serait temps que le Gouvernement le comprenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances, de l’économie générale et du plan a examiné la proposition de loi tendant à éviter la double imposition des bailleurs pour l’exercice 1999 lors de sa séance du 18 mai 1999

Souhaitant éviter tout développement trop technique ou trop polémique, votre Rapporteur a rappelé que l’article 12 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1998 avait réformé le droit de bail et sa taxe additionnelle en les remplaçant par deux contributions représentatives de ce droit et de cette taxe, recouvrées selon les modalités de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, selon le régime fiscal dont relève le bailleur. Il a indiqué que les conditions d’introduction de ces deux contributions soulevaient un problème, dont l’acuité pouvait être mesurée à l’aune des 156 questions écrites posées par des députés appartenant à l’ensemble des groupes politiques. Il a jugé que le législateur devait ajuster le dispositif afin de supprimer toute incompréhension entre les bailleurs et l’Etat.

Votre Rapporteur a estimé que la double imposition des revenus perçus sur les neuf premiers mois de l’année 1998 ne pouvait être niée. Il a ainsi relevé que l’article 12 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1998 avait, d’une part, introduit un mécanisme – imparfait – de dégrèvement au profit des bailleurs redevables de l’impôt sur le revenu et, d’autre part, autorisé les bailleurs redevables de l’impôt sur les sociétés à déduire de l’assiette des nouvelles contributions dues au titre de 1998 les recettes déjà soumises aux droits et taxes définis par le régime fiscal antérieur au 1er octobre 1998. Il a affirmé que la solution préconisée dans la proposition de loi – à savoir asseoir les contributions pour 1999 sur les recettes nettes du quatrième trimestre de 1998 – n’entraînerait pas de pertes de recettes pour l’Etat, mais un simple décalage de trésorerie d’environ 7 milliards de francs. Il a considéré que l’adoption de la proposition de loi permettrait de rétablir l’équité fiscale.

Votre Rapporteur a ensuite dénoncé un certain mode de gestion publique, selon lequel l’Etat décide d’une réforme, dont les objectifs – simplification des démarches, réduction de la paperasserie, amélioration de la productivité des administrations – sont louables, mais dont la réalisation génère un coût supporté par les contribuables, ceux-là même qui sont censés bénéficier de la réforme. Il a, notamment, contesté le caractère restrictif du mécanisme de dégrèvement défini à l’article 234 decies du code général des impôts, en estimant que la restitution après la cessation ou l’interruption prolongée de la location des sommes indûment perçues au titre de 1998 soumettait ce remboursement à l’érosion monétaire et installerait ainsi le mécontentement dans la durée. Il s’est dit attaché à une conception du service public qui soit un service du public et non de l’administration. Il a regretté que le prétendu « bon sens administratif » soit, finalement, si éloigné du bon sens populaire.

Plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a souhaité rappeler quelques faits qu’il a estimés incontestables : l’objectif simplificateur du dispositif incriminé, l’effet purement optique de la superposition partielle des périodes d’imposition, l’indifférence de la situation des locataires au changement de régime fiscal, le fait, enfin, qu’aucun bailleur ne sera amené à payer deux fois l’impôt au cours d’une même année. Il a également souligné que, dans sa décision du 29 décembre 1998, le Conseil constitutionnel avait considéré que l’article 12 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1998 n’avait pas instauré de double imposition.

Il a rappelé que certaines difficultés d’application du dispositif avaient déjà été évoquées dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 1998, notamment s’agissant des dispositions relatives à l’interruption d’une location ou sous-location. Il a estimé qu’une réflexion restait indispensable, menée conjointement avec le Gouvernement et les professionnels concernés, en vue de définir des solutions appropriées aux problèmes techniques posés par ce dispositif, dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Evoquant l’article 94 du Règlement, il a invité la Commission à ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi.

Citant l’adage « errare humanum est, perseverare diabolicum », votre Rapporteur a estimé qu’il était difficile de venir en aide au Gouvernement si celui-ci ne le souhaitait pas. Il s’est dit convaincu que le statu quo conduirait à renforcer le sentiment de défiance des contribuables envers l’Etat. Il a indiqué que son rapport écrit apporterait des réponses aux arguments présentés par le Rapporteur général, notamment quant à la décision du Conseil constitutionnel, qui, d’ailleurs, ne juge pas que le dispositif n’est pas perfectible. Il a déclaré regretter l’attitude de M. Christian Sautter, secrétaire d’Etat au budget, qui, lors d’une récente séance de questions à l’Assemblée nationale, a considéré que le débat était clos. Il a insisté sur le caractère équitable de la proposition de loi et a dénoncé un mode de gouvernement selon lui dépassé : la mise en place d’un dispositif astucieux – voire habile – élaboré sans concertation avec les intéressés, qui débouche sur une réforme bénéficiant à l’administration et payée par les contribuables.

M. Pierre Forgues a fait part de sa perplexité face aux problèmes soulevés par l’introduction des contributions remplaçant le droit de bail et la taxe additionnelle sur ce droit de bail. Il s’est étonné des avis totalement contradictoires sur l’existence ou la non-existence d’une double imposition sur les revenus des neuf premiers mois de 1998. Il a souhaité que les travaux de la Commission des finances clarifient rapidement cette question.

M. Hervé Gaymard s’est dit sensible à l’argumentation développée par votre Rapporteur sur la perte de confiance des citoyens envers leur État. Il a indiqué avoir constaté beaucoup d’incompréhension, voire de colère, parmi les contribuables. Il a reconnu que les objectifs de la réforme étaient louables et que la suppression de cinq millions de formulaires annuels ainsi que l’harmonisation des périodes de référence pour la perception des impôts concernés représentaient une avancée certaine. Estimant que le texte actuel conduisait incontestablement à une double imposition des revenus encaissés pendant les neuf premiers mois de 1998, il s’est interrogé sur la possibilité d’instaurer un mécanisme permettant de déduire des impositions dues en 1999 le montant des droits et taxes acquittés en 1998 et relatifs à ces trois trimestres.

M. Jean-Jacques Jégou a estimé qu’il fallait prendre très au sérieux la proposition de loi soumise à l’examen de la Commission. Il a affirmé que, s’il était toujours possible de disserter sur le niveau des prélèvements obligatoires, il était en revanche incontestable que la transition entre le droit de bail et la taxe additionnelle au droit de bail d’une part, les contributions représentatives de ces droits et taxes d’autre part, instaurait une double imposition à laquelle il convenait de remédier. Il a suggéré que, si le dispositif proposé était jugé imparfait, le Gouvernement, à l’initiative du Rapporteur général, amende le texte de la proposition de loi, plutôt que de repousser à une date indéterminée la solution d’une difficulté patente.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a indiqué qu’il ne jugeait pas la proposition de loi techniquement imparfaite, mais inopportune pour des raisons financières, relevant, en outre, que, parmi l’abondant courrier reçu par les parlementaires, on pouvait trouver une part non négligeable de courriers standardisés. Compte tenu des observations déjà formulées par l’Assemblée nationale lors de la discussion de l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998, il a réaffirmé la nécessité d’attendre les propositions du Gouvernement à l’occasion du prochain débat budgétaire, tout en n’excluant pas la possibilité, pour la Commission, d’en présenter elle-même si nécessaire. Il a à nouveau appelé la Commission à ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi, en application de l’article 94 du Règlement.

En réponse aux différents intervenants, votre Rapporteur a tout d’abord réaffirmé que l’article 12 de la loi de finances rectificative pour 1998 avait bien instauré une double imposition à l’encontre des bailleurs. Il a expliqué que les loyers perçus entre le 1er janvier et le 30 septembre 1998 servaient d’assiette à la fois au droit de bail et à la contribution représentative qui l’a remplacé, sans que le montant du premier soit imputable sur celui de la seconde. Il a ajouté que le Gouvernement avait d’ailleurs prévu de neutraliser les effets de cette double imposition lorsque cesse la location, c’est-à-dire en cas de décès du bailleur, de reprise ou de vente du local, ou d’interruption de la location pour une durée d’au moins neuf mois consécutifs. Il a observé que, dans certains cas, le dégrèvement ne sera donc possible que des années plus tard, ce qui fera supporter au bailleur, en tout état de cause, une perte de trésorerie parfois conséquente.

Votre Rapporteur a précisé que la solution retenue dans sa proposition de loi aboutissait à un résultat comparable à la déductibilité de l’impôt sur le revenu du droit de bail déjà versé préconisée par certains. Il a ensuite considéré que le droit de bail était une contribution spécifiquement française qui nuisait à la bonne santé du marché immobilier, mais il a rappelé que son produit était de l’ordre de 10 milliards de francs par an et qu’il était difficile à l’Etat d’y renoncer. Il a finalement déclaré comprendre la propension de la majorité parlementaire à soutenir le Gouvernement en place, mais a considéré que le Parlement avait aussi pour mission, en dehors de tout esprit politique ou polémique, de corriger les erreurs de l’administration.

Le Président Augustin Bonrepaux a objecté qu’il ne serait pas raisonnable de renoncer aux trois-quarts du produit du droit de bail, ce qui entraînerait une perte de l’ordre de 7 milliards de francs pour l’Etat.

Votre Rapporteur a observé qu’il ne s’agissait que d’un coût de trésorerie et que l’Etat retrouverait ce produit l’année suivante, alors qu’actuellement, il fait supporter ce coût aux contribuables.

Le Président Augustin Bonrepaux a fait valoir que des propositions seraient présentées dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de finances et a mis aux voix la proposition de M. Didier Migaud de ne pas formuler de conclusions.

A l’issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l’examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Code général des impôts
Article 234 bis

I.- Il est institué une contribution annuelle représentative du droit de bail sur les revenus retirés de la location ou sous-location d’immeubles, de fonds de commerce, de clientèle, de droits de pêche ou de droits de chasse, acquittée par les bailleurs.

Article 1er

Le I de l’article 234 bis du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :




………………………………………………………………..

« A titre transitoire, cette contribution sera, pour l’exercice 1999, assise sur les recettes nettes perçues au cours des mois d’octobre, novembre et décembre 1998. »

Code général des impôts
Article 234 nonies

I.- Il est institué une contribution additionnelle à la contribution annuelle représentative du droit de bail prévue à l’article 234 bis.

Article 2

Le I de l’article 234 nonies du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :

Cette contribution additionnelle est applicable aux revenus tirés de la location de locaux situés dans des immeubles achevés depuis quinze ans au moins au 1er janvier de l’année d’imposition.

 




………………………………………………………………..

« A titre transitoire, cette contribution sera, pour l’exercice 1999, assise sur les recettes nettes perçues au cours des mois d’octobre, novembre et décembre 1998. »

Code général des impôts
Article 234 decies

Les redevables de la contribution au titre des revenus mentionnés à l’article 234 ter peuvent demander, l’année qui suit la cessation ou l’interruption pour une durée d’au moins neuf mois consécutifs de la location par eux d’un bien dont les revenus ont été soumis aux droits d’enregistrement prévus aux articles 736 à 741 bis et 745, un dégrèvement d’un montant égal au montant des droits précités acquittés à raison de cette location au titre de la période courant du 1er janvier au 30 septembre 1998. Cette demande doit être présentée après réception de l’avis d’imposition afférent à la contribution de l’année précédente. Cette disposition ne s’applique pas aux titulaires de baux écrits de biens ruraux en cours à la date de publication de la loi de finances rectificative pour 1998 (n° 98-1267 du 30 décembre 1998).

Article 3

L’article 234 decies du code général des impôts est supprimé.

   
 

Article 4

Les pertes subies par l’Etat découlant de l’application de la présente proposition de loi sont compensées, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

1602. – RAPPORT de M. Jean-Pierre DELALANDE (au nom de la commission des finances) sur la proposition de loi (n° 1557) de MM. Jean-Pierre DELALANDE, Bernard PONS et Jean-Louis DEBRÉ tendant à éviter la double imposition des bailleurs pour l’exercice 1999

() J.O. Débats Sénat, 10 mars 1999, pages 1349 à 1351.

() J.O. Débats Assemblée nationale, 10 mars 1999, pages 2138 et 2139.