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le 15 février 2000

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N° 2141

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 2065), autorisant la ratification de la Convention portant Statut de la Cour pénale internationale,

PAR M. PIERRE BRANA,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Traités et conventions

La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, François Loncle, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Laurent Fabius, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Claude Lefort, Guy Lengagne, François Léotard, Pierre Lequiller, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, MM. René Rouquet, Georges Sarre, Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, MM. Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Philippe de Villiers

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA LENTE ÉMERGENCE D'UNE JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE 7

A - LA JUSTICE ET LA GUERRE - CONSTRUIRE UN DROIT
HUMANITAIRE : UN SIÈCLE DE TERGIVERSATIONS
7

1) Les tentatives d'élaboration d'un droit pénal international
pendant l'entre deux-guerres 7

2) Juger et châtier les coupables des crimes perpétrés
pendant la seconde guerre mondiale 9

B - CRÉER UNE JURIDICTION PÉNALE INTERNATIONALE :
UN PROCESSUS SOUMIS AUX ALÉAS DE LA SITUATION INTERNATIONALE
11

1) L'impossible création d'une justice pénale internationale
pendant la guerre froide 11

2) Des projets de statut marqués par les crimes contre l'humanité
commis en ex Yougoslavie et au Rwanda 12

3) L'impact des tribunaux pénaux internationaux (TPI)
ad hoc sur les négociateurs du Statut de Rome 13

II - LE STATUT DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE :
UN COMPROMIS SAVANT ENTRE SOUVERAINETÉ DES ETATS
ET LUTTE CONTRE L'IMPUNITÉ
16

A - UNE COMPÉTENCE LIMITÉE JUSTIFIANT MAL L'UTILISATION
PAR LA FRANCE DE L'ARTICLE 124
16

1) Une compétence réduite par le principe de complémentarité
sauvegarde la souveraineté des Etats 16

2) Une compétence respectant les prérogatives du Conseil de sécurité 19

3) Une compétence de la Cour pénale internationale limitée aux
crimes graves en rapport étroit avec le maintien de la paix
et la sécurité internationale 20

4) Une compétence largement réduite par le recours possible
à l'article 124 du Statut de Rome 25

B - DES RÈGLES DE FONCTIONNEMENT ET DE PROCÉDURE DÉFINIES 29

1) Des règles de fonctionnement précises 29

2) Une procédure préservant les droits de l'accusé et de la victime 31

C - UNE COOPÉRATION DES ETATS REQUISE 35

1) L'obligation de coopérer 35

2) Les limites à l'obligation de coopérer 36

III. L'IMPACT DE LA CRÉATION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE 39

A - SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE 39

1) Des adversaires importants 39

2) Le rôle des Etats pilotes 41

3) Le rôle spécifique et constructif de la France dans la négociation 42

4) La présence des organisations non-gouvernementales 44

B - UN ENJEU IMPORTANT : LES NÉGOCIATIONS AU SEIN
DE LA COMMISSION PRÉPARATOIRE
45

1) Le Règlement de procédure et de preuve,
enjeu majeur des négociations 45

2) L'importance de la négociation sur les "éléments des crimes" 46

3) La définition du crime d'agression 47

C - LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES LÉGISLATIONS INTERNES
RALENTIT LES PROCESSUS DE RATIFICATION
47

1) L'état des procédures de ratification 47

2) L'adaptation de la législation française au statut
de la Cour pénale internationale 50

CONCLUSION 50

EXAMEN EN COMMISSION 52

ANNEXES 60

Mesdames, Messieurs,

"Il ne peut y avoir de paix sans justice ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données." C'est en ces termes que M. Benjamin Ferencz, ancien Procureur au Tribunal de Nuremberg, exprimait sa foi en la Justice.

La sinistre banalité du mal que constatait Hannah Arendt a rongé le XXème siècle. Le génocide des Arméniens, l'horreur sans égale de la Shoah, les exterminations massives commises par Pol Pot et ses complices, le génocide rwandais, la purification ethnique en ex-Yougoslavie ont marqué ce siècle. Les criminels furent longtemps et sont encore largement épargnés. Si les hécatombes ont mobilisé les consciences, elles n'ont pas suffisamment mobilisé les Etats. Les interventions de la communauté internationale, trop souvent tardives, ne permirent pas de soustraire à temps les victimes à leurs bourreaux. La résurgence de génocides, de crimes contre l'humanité caractérise les conflits de la décennie qui s'achève. Plus que jamais, les populations civiles sont devenues les enjeux de conflits, moins qu'auparavant elles ne sont protégées. L'anéantissement de populations entières est devenu un but avoué de guerre au Rwanda comme dans l'ex-Yougoslavie, comme si l'humanité n'avait pas retenu les leçons de l'Histoire.

Face à cette barbarie, la communauté internationale s'est efforcée, après cinquante années de vicissitudes, de se doter d'un instrument permanent permettant de punir les bourreaux, de prévenir l'oubli, cette seconde mort des disparus, et - il est permis d'espérer - de dissuader les criminels potentiels d'accomplir de tels crimes. La Cour Pénale Internationale (CPI) devra accomplir cette mission difficile. Fruit d'une longue négociation et de compromis subtils, son Statut a été adopté le 17 juillet 1998 à Rome à l'issue d'un vote demandé par les Etats Unis. Cent vingt Etats dont la France et tous les pays membres de l'Union européenne ont voté pour, vingt et un se sont abstenus (les pays arabes pour la plupart) et sept ont voté contre (Etats-Unis, Chine, Inde, Israël, Bahrein, Qatar et Vietnam). A ce jour quatre-vingt treize Etats ont signé le Statut et six l'ont ratifié (Sénégal, Italie, Fidji, Malte, San Marin, Trinité et Tobago et Ghana). Plusieurs ont entamé leur procédure de ratification. Pour certains comme ce fut le cas pour la France, une révision constitutionnelle est nécessaire, pour d'autres une refonte de la législation pénale sera indispensable.

La CPI ne sera créée que lorsque soixante Etats auront ratifié son statut. La bataille pour sa création n'est donc pas terminée. Les négociations continuent afin de définir les éléments constitutifs des crimes qui relèvent de sa compétence (génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression) et de fixer un cadre procédural précis à son action. Les experts auditionnés par votre Rapporteur sont raisonnablement optimistes et estiment que la Cour sera en état de fonctionner d'ici deux ans.

L'approbation par notre Commission du Statut de la CPI constitue donc un acte symbolique important et un appui à cette future institution attendue depuis très longtemps par les défenseurs des droits de l'Homme.

I - LA LENTE ÉMERGENCE D'UNE JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE

La création de la CPI est l'aboutissement d'un long processus engagé dès le XIXème siècle. Un droit de la guerre tentant de concilier nécessités de la guerre et loi de l'humanité avait été codifié par les conventions de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 définissant et réglant les usages la guerre contiennent des dispositions sur le droit des gens applicables en temps de guerre et définissent les crimes de guerre. La clause Martens dans le préambule de la Convention de La Haye de 1907 prévoit : "En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris par les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique." Cependant les violations de ces conventions ne sont pas qualifiées de crimes internationaux et n'engagent que la responsabilité des Etats dont relèvent leurs auteurs.

A - La justice et la guerre - construire un droit humanitaire :
un siècle de tergiversations

La construction du droit humanitaire et la mise en place d'une justice internationale sont liées à l'ampleur des massacres et destructions provoqués par la première guerre mondiale et aux atrocités sans égal commises lors de la deuxième.

1) Les tentatives d'élaboration d'un droit pénal international pendant l'entre deux-guerres

L'idée de créer une justice internationale est avancée dans l'article 227 du Traité de Versailles du 28 juin 1919 qui dispose que Guillaume II doit être déféré à un tribunal spécial pour "offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée du traité". Mais ce procès ne s'est jamais tenu, les Pays-Bas où le chef de l'Etat allemand s'était réfugié ayant refusé de l'extrader car le crime dont il était accusé constituait un délit politique exclu de l'extradition.

Après la première guerre mondiale un vent de pacifisme souffle sur la Société des Nations (SDN) qui, relayée par des associations de juristes, est à l'origine des projets de création d'une juridiction pénale internationale. En 1920 le Conseil de la SDN demande à un comité de juristes d'élaborer le statut d'une cour permanente de justice internationale. Le comité adopte une résolution sur la création d'une haute cour internationale de justice criminelle compétente pour juger "les crimes contre l'ordre public international et le droit des gens universel, qui lui seront déférés par l'Assemblée plénière de la SDN ou par le Conseil de cette Société". Le Conseil de la SDN examine le projet et le repousse le jugeant prématuré.

A la même période, des juristes renommés et plusieurs associations, principalement l'International Law Association de Londres, l'Union interparlementaire et l'Association internationale de droit pénal, engagent une réflexion approfondie sur le problème de la création d'une cour pénale internationale. L'association de droit international, qui se tient en 1922 à Buenos Aires, se prononce en faveur de l'institution d'un tribunal pénal international au sein de la Cour permanente de justice internationale de La Haye. L'Association internationale de droit pénal, fondée à Paris en 1924, mène également une réflexion approfondie sur la question d'une justice pénale internationale qui est à l'ordre du jour de son premier congrès international à Bruxelles, en 1926.

Les Etats membres de la SDN ne donnent pas suite à ces différentes réflexions. Il n'existe pas encore de code définissant de manière précise les incriminations susceptibles de justifier des poursuites. En 1935, le juriste roumain Vespasien Pella publie un plan d'un code répressif mondial. Le français Henri Donnedieu de Vabres, futur Procureur au Tribunal de Nuremberg, retient la compétence des tribunaux nationaux pour le jugement de leurs ressortissants coupables de crimes internationaux, dans ses Principes de droit pénal international, considérant que la difficulté majeure tient à la détermination des niveaux de responsabilité pour la mise en _uvre des sanctions.

A la suite de l'attentat du 9 octobre 1934, qui coûta la vie au roi Alexandre de Yougoslavie et à Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères, le gouvernement français adressa au secrétariat général de la SDN une proposition de création d'une cour pénale internationale, qui aurait eu à juger les individus accusés d'actes de terrorisme. Deux conventions furent conclues le 16 janvier 1937, dont l'une prévoyait la mise en place de cette juridiction, mais elles n'entrèrent jamais en vigueur. Les tensions internationales croissantes empêchèrent la discussion des projets élaborés par les associations.

L'échec de ces projets met en lumière les problèmes juridiques et politiques encore d'actualité auxquels se heurtait la mise en place d'une justice pénale internationale : dogme de la souveraineté des Etats, définition des infractions internationales, procédure et organisation du tribunal, lien avec le Conseil de la SDN, collaboration des Etats Parties. Ces difficultés demeureront longtemps d'actualité.

2) Juger et châtier les coupables des crimes perpétrés pendant la seconde guerre mondiale

L'ampleur et la gravité des crimes perpétrés par les nazis et l'horreur de la Shoah ont conduit au cours même de la seconde guerre les Alliés à affirmer leur volonté de juger et de châtier les coupables.

Les gouvernements de la Norvège, de la Hollande, de la Belgique, du Luxembourg, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie et de la Grèce ainsi que le Comité national français réfugiés à Londres décident de collaborer afin d'assurer le châtiment de tous les coupables : c'est la déclaration de Saint James Palace du 12 janvier 1942. Puis, les Etats-Unis, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne publient à Moscou, le 30 octobre 1943, une déclaration affirmant leur détermination à châtier les criminels de guerre après la victoire.

A la fin de la guerre deux juridictions sont créées : le Tribunal militaire international de Nuremberg par l'accord de Londres du 8 août 1945 et le Tribunal international pour l'extrême Orient (Tribunal de Tokyo) par une déclaration du Commandant suprême des Forces Alliées le 19 janvier 1946. Vingt deux dirigeants nazis ont été déférés au Tribunal de Nuremberg, qui était composé de quatre juges titulaires et de quatre juges suppléants désignés respectivement par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique. Le jugement a été rendu le 1er octobre 1946. Douze accusés ont été condamnés à mort, trois à la prison à vie, deux à vingt ans de prison, un à quinze ans, un à dix ans et deux ont été acquittés. Toutes les peines ont été exécutées. Quant au Tribunal de Tokyo, il a rendu son verdict le 12 novembre 1948 : huit des vingt cinq accusés ont été condamnés à mort, la plupart des autres à la détention à perpétuité. Ces procès ont une valeur exemplaire devant l'histoire, ils sont essentiels dans le combat contre l'oubli et le négationnisme. Bien qu'étant une "justice rétroactive appliquée par les vainqueurs" le Tribunal de Nuremberg a dessiné les fondements du droit pénal international moderne.

L'article 6 sur son Statut cette disposition définit trois catégories d'infractions internationales : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

a) Les crimes contre la paix : c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent.

b) Les crimes de guerre : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires

c) Les crimes contre l'humanité : c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ..."

Le crime contre l'humanité est bien celui qui selon Hannah Arendt est "une attaque contre la diversité humaine en tant que telle ou plutôt contre un aspect du statut "d'être humain" sans lequel le mot même d'humanité n'aurait plus de sens".

La notion de génocide émergera de cette définition, employée pour la première fois le 18 octobre 1945 dans un document de portée internationale, l'acte d'accusation contre les grands criminels de guerre allemands traduits devant le tribunal de Nuremberg. Il dispose que les inculpés "... se livrèrent au génocide délibéré et systématique, c'est-à-dire à l'extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de populations, et de groupes nationaux, raciaux ou religieux...". Le terme est ensuite juridiquement défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée générale des nations Unies le 9 décembre 1948 qui proposait d'ailleurs la création d'une juridiction pénale internationale pour juger ce crime. Le 14 août 1949, sous les auspices du Comité international de la Croix rouge, furent adoptées les quatre conventions de Genève qui établissent un régime de protection des droits des non combattants que complétèrent en 1977 deux protocoles additionnels concernant la protection des victimes respectivement dans les conflits internationaux et dans les conflits non internationaux.

L'importance de ces incriminations et la volonté de la communauté internationale de réprimer les crimes contre l'humanité aboutirent à l'adoption par les Nations Unies, le 26 novembre 1968 de la convention sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, confortant ainsi l'acte d'accusation du procès de Nuremberg, la Convention internationale du 3 novembre 1973 sur l'élimination du crime d'apartheid et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

Parallèlement, le lien entre la répression internationale des crimes les plus graves et l'instauration d'une justice pénale internationale pour en connaître s'impose mais se heurte à des obstacles d'ordre juridique (règle de la territorialité de la loi pénale ou de la personnalité de cette loi qui donne compétence respectivement soit à l'Etat sur le territoire duquel le crime a été commis soit à celui de la nationalité de l'inculpé) ou des obstacles politiques.

B - Créer une juridiction pénale internationale : un processus soumis aux aléas de la situation internationale

Les Nations Unies ont très tôt voulu conférer un prolongement aux juridictions de Nuremberg et de Tokyo mais la guerre froide a gelé toute avancée. Les crimes perpétrés en ex-Yougoslavie et au Rwanda contre des civils ont souligné l'urgence de la création d'une instance permanente pour en connaître

1) L'impossible création d'une justice pénale internationale pendant la guerre froide

Les premières initiatives des Nations Unies en la matière se fondent sur le statut et la juridiction du Tribunal de Nuremberg, approuvés par les résolutions du 11 décembre 1946. Une "commission pour le développement progressif du droit international et sa codification" est alors instituée. Le représentant français, M. Henri Donnedieu de Vabres, Procureur au Tribunal de Nuremberg, soumet en 1947 à cette commission un mémorandum contenant son Projet de création d'une juridiction criminelle internationale, mais sa proposition ne parvient pas à réunir l'accord général parce qu'elle dépasse la compétence de la commission. Une résolution du 21 novembre 1947 confie à une commission du droit international (CDI) le soin d'élaborer un code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ; une résolution du 9 décembre 1948 charge la CDI d'examiner la création d'une cour pénale internationale. Elle est l'aboutissement des débats sur la Convention du même jour (9 décembre 1948) qui prévoit dans son article 6 la possibilité de traduire les personnes accusées d'un tel crime "devant la Cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction".

L'Assemblée générale, dans sa résolution du 12 décembre 1950, décide de demander à une commission spécialement instituée d'élaborer un avant-projet de statut présenté en 1953 qui confère à la Cour une compétence non obligatoire pour juger les personnes physiques accusées d'avoir commis des "crimes de droit international, prévus par les conventions ou compromis conclu entre Etats parties au présent statut". Mais par la résolution du 14 décembre 1954, l'Assemblée générale décide de suspendre la discussion de ce projet jusqu'à la reprise de celle portant sur la définition de l'agression, premier des crimes internationaux, ainsi que sur le projet pour un code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. La définition du crime d'agression en période de guerre froide resta problématique et la procédure s'enlisa jusqu'à la chute du mur de Berlin.

2) Des projets de statut marqués par les crimes contre l'humanité commis en ex Yougoslavie et au Rwanda

Le 4 décembre 1989, l'Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la CDI d'étudier à nouveau la question de l'institution d'une juridiction pénale internationale. Les résolutions du 25 novembre 1992 et du 9 décembre 1993 demandent à la Commission d'établir un projet de statut qui est présenté en 1994. Le projet de la Commission du droit international se montre audacieux sur certains points. Les modalités de fonctionnement de la Cour seraient fixées par un règlement adopté par les juges à la majorité absolue, sans que les Etats interviennent. Le procureur disposerait de pouvoirs d'autosaisine et pourrait ainsi décider seul d'ouvrir une enquête, sa décision n'étant pas soumise au contrôle préalable d'une des chambres de la Cour.

Sur la base de ce texte, les Etats entament des négociations intergouvernementales. En 1995, un premier comité intergouvernenemntal mène une première étude thématique qui relève les problèmes juridiques soulevés par le champ de compétence matérielle de la cour, la complémentarité...

Un comité préparatoire inter-étatique chargé d'élaborer un projet de convention commence ses travaux en 1996. Il est présidé par un néerlandais, M. Adriaan Bos. A ce stade, une coalition d'Etats représentant divers groupes régionaux, auto-baptisée "Etats pilotes", et comprenant la plupart de membres de l'Union européenne ainsi que le Canada, l'Australie, l'Argentine, l'Afrique du Sud se donne pour objectif commun l'aboutissement rapide des travaux. Très vite la France a le sentiment que, pour des raisons de visibilité politique et pour conclure rapidement, cette coalition est prête à adopter une "convention-cadre" d'ordre général et à éluder les questions essentielles : procédure, articulation entre la Cour et l'ordre judiciaire interne, cohérence de l'action internationale en matière de maintien de la paix.

Le 26 février 1996, le Conseil d'Etat, saisi du projet de la CDI, relevait de graves difficultés suscitées par le projet, relatives notamment aux risques d'empiétement du procureur sur les prérogatives de l'ordre judiciaire interne, ce qui conduisit la France à déposer à la session d'août 1996, une série de propositions sous la forme d'un "projet alternatif restrictif" soumettant entre autres la compétence de la Cour à un triple consentement : celui de l'Etat où les faits se sont produits, celui de la nationalité des victimes et celui de la nationalité des auteurs présumés. Dans ses avis des 16 janvier 1997 et 14 mai 1998, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) avait émis des réserves sur ces positions. Parallèlement dans une approche plus constructive, la France exigeait d'une part un statut détaillé et précis, et d'autre part que la compétence matérielle de la Cour soit limitée à un "noyau dur" de crimes internationaux clairement définis, en exigeant l'intentionnalité de l'acte ; par ailleurs elle demandait qu'une instance collégiale, la chambre préliminaire, permette un contrôle juridique des actes du procureur pendant la phase d'instruction et que les victimes se voient reconnaître un droit spécifique. Les propositions françaises ont permis un débat utile et fructueux et ont été intégrées au statut.

En janvier 1997, l'Assemblée générale des Nations Unies appelait à la tenue d'une conférence diplomatique des Nations Unies pour la création d'une Cour pénale internationale. Le 17 juillet 1998 la Conférence des Nations Unies achevait ses travaux à Rome.

L'urgence de la mise en place de cette instance était soulignée par les crimes contre l'humanité perpétrés en ex-Yougoslavie et au Rwanda, En l'absence de juridiction pénale internationale permanente, le Conseil de sécurité se plaçant dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationale, décidait de créer deux tribunaux pénaux internationaux ad hoc.

3) L'impact des tribunaux pénaux internationaux (TPI) ad hoc sur les négociateurs du Statut de Rome

Le Tribunal Pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) est créé par la résolution du 22 mai 1993, tandis que celui pour le Rwanda (TPIR) est institué par la résolution du 8 novembre 1994. La compétence spatiale et temporelle de ces tribunaux est strictement définie. Le TPIY est "habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991" (article 1er du statut). Quant au TPIR, ou Tribunal d'Arusha, il est habilité à juger "les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d'Etats voisin entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994" (article 1er du statut).

La définition des incriminations répond au principe fondamental du droit pénal nullum crimem sine lege. Si elles ont un fondement conventionnel, les infractions retenues font partie du droit international coutumier général, et à ce titre, s'imposent à tous (infractions graves aux conventions de Genève de 1949, génocide, crime contre l'humanité). Les deux TPI disposent d'un pouvoir d'autosaisine et de dessaisissement des autorités judiciaires nationales. Les poursuites sont exercées par un Procureur qui est le même pour les deux juridictions, il "ouvre une information d'office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources" et est habilité à interroger les suspects, les victimes ou les témoins, à réunir les preuves et à procéder sur place à des mesures d'instruction. L'article 9 du TPIY et l'article 8 du TPIR reconnaissent une compétence concurrente aux tribunaux internationaux et aux juridictions nationales, mais précisent que le Tribunal international a la primauté sur les autorités judiciaires nationales.

La création des TPI ad hoc, par le Conseil de sécurité, a servi de catalyse pour la reprise des travaux de la CDI. La France est largement à l'origine de la création de cette juridiction et a notamment contribué à la réflexion à travers la diffusion au Conseil de sécurité du Rapport de la commission de juristes français présidée par M. Pierre Truche.

Comme le déclarait le Président du TPIY, M. Cassese, dans ses observations adressées au comité ad hoc de la Commission de Droit international pour la création d'une cour criminelle internationale : "ces tribunaux servent de tremplin pour la création d'une cour permanente : celle-ci présenterait l'avantage d'être stable et de n'être pas axée sur une région ou une situation déterminée...". Ces tribunaux ont servi de tremplin mais ont également révélé les failles possibles d'une juridiction pénale internationale.

L'efficacité de ces deux tribunaux s'est trouvée réduite, notamment par des problèmes d'ordre politique ; ainsi, l'arrestation des accusés a-t-elle souvent tardé parce que les autorités chargées d'y procéder reculaient devant les conditions politiques et sécuritaires du moment. En outre, les tribunaux ont dû faire face à des problèmes récurrents de fonctionnement, les arrestations s'étant multipliées depuis 1997.

Ayant adopté leur règlement de procédure sans que les Etats n'interviennent, ces tribunaux ont connu des difficultés dues à la lenteur de leur procédure. Le système procédural anglo-saxon dont ils se sont inspirés s'est révélé mal adapté à ce type de justice. Tous ceux qui, comme votre Rapporteur, ont vu fonctionner le Tribunal d'Arusha, sont extrêmement critiques sur les encombrements du greffe, les lenteurs de la procédure orale utilisée et les difficultés d'organiser la défense des inculpés. Progressivement les deux tribunaux ont modifié leur règlement de procédure créant des incertitudes juridiques. Leurs dysfonctionnements et le système d'interrogation inquisitorial des témoins ont grandement influencé les négociateurs du Statut de Rome et particulièrement la délégation française qui a souhaité et obtenu un statut plus détaillé et précis quant à la procédure devant la Cour.

Malgré leurs difficultés de fonctionnement, les TPIY et le TPIR ont rappelé au monde que l'impunité des crimes contre l'humanité était à combattre. Ils ont sans doute réveillé les consciences en inculpant les hauts responsables. Il est permis de se demander si l'intérêt suscité par le mécanisme de la compétence universelle des tribunaux nationaux pour le génocide les crimes contre l'humanité et les actes de torture n'a pas été suscité par l'existence de ces juridictions. Désormais - et l'affaire Pinochet en est l'illustration -, les auteurs de tels crimes savent qu'ils ne sont plus à l'abri et que selon l'expression de M. Pierre Truche, Président de la CNCDH, leur pays constitue "une prison à ciel ouvert". La création de la CPI devrait conférer une dynamique nouvelle à la lutte contre l'impunité des auteurs de crimes contre l'humanité.

II - LE STATUT DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE :
UN COMPROMIS SAVANT ENTRE SOUVERAINETÉ
DES ETATS ET LUTTE CONTRE L'IMPUNITÉ

Le Préambule comme l'article 1er du Statut de Rome rappelle clairement le caractère d'exceptionnelle gravité des crimes ayant une portée internationale dont la répression doit être assurée par la Cour Pénale Internationale, institution complémentaire des juridictions nationales. D'après M. Pierre Truche, son Statut doit être interprété à la lumière de ces principes. A terme, si chaque Etat avait la capacité de juger les crimes visés par le Préambule et l'article premier, la CPI n'aurait pas de raison d'être. Au nom du réalisme et du respect de la souveraineté des Etats, la compétence de la Cour a été limitée, les règles de procédure et de fonctionnement définies, le droit des victimes affirmé et la coopération des Etats requise.

A - Une compétence limitée justifiant mal l'utilisation par la France de l'article 124

Pour éviter certaines saisines polémiques risquant de politiser l'action du juge, la Cour pénale internationale n'exercera sa juridiction qu'à l'égard de faits postérieurs à l'entrée en vigueur du Statut (article 11). On remarquera qu'une application extrêmement stricte du principe de non-rétroactivité de la loi pénale a été retenu, contrairement au statut des tribunaux de Nuremberg, de Tokyo, de La Haye et d'Arusha.

La Cour n'a compétence qu'à l'égard des personnes physiques âgées de plus de 18 ans et non des Etats. Le paragraphe 4 de l'article 23 spécifie en revanche que cette responsabilité pénale individuelle n'affecte en rien la responsabilité des Etats en droit international. Il aurait par contre été souhaitable que, comme l'a toujours fermement soutenu la France, la cour ait compétence pour juger les personnes morales. Elle évoquait à l'appui de sa demande le rôle qu'avait joué la "Radio mille collines" dans le déclenchement du génocide rwandais ; la requête n'a pu aboutir, ce qui est regrettable. Toute forme de responsabilité collective étant exclue, des groupements incitant à la commission de crimes contre l'humanité, voire des entreprises privées finançant et incitant des milices à commettre des crimes visés à l'article 5, ne pourront être mises en cause. Cette exclusion est une régression, par rapport à l'article 9 de l'accord de Londres qui prévoyait que le tribunal pouvait, par une décision distincte, déclarer qu'un groupe ou organisation à laquelle appartenait un accusé était une "organisation criminelle".

1) Une compétence réduite par le principe de complémentarité sauvegarde la souveraineté des Etats

Dès son préambule, la Convention de Rome reconnaît un rôle premier à chaque Etat dans la répression des crimes d'une telle gravité qu'ils menacent la paix, la réussite et le bien être du monde. "Il est du droit de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables des crimes internationaux". Le préambule souligne "que la Cour Pénale Internationale est complémentaire des juridictions nationales".

Est renforcé le principe de la compétence universelle qui impose aux Etats signataires des conventions internationales incriminant ces actes, de poursuivre les auteurs de ces crimes quels que soient leur nationalité, celles des victimes ou le lieu où ils ont été commis. La CPI apparaît comme un recours contre l'Etat qui faillirait en s'abstenant d'agir pénalement à l'encontre des auteurs de crimes d'une particulière gravité.

a) La primauté des juridictions nationales pour juger leurs ressortissants

Les articles 12 et 17 du Statut garantissent la primauté des juridictions nationales pour juger leurs ressortissants. La Cour ne peut exercer sa compétence à l'égard des crimes visés à l'article 5 que dans deux cas : d'une part, si l'Etat sur le territoire duquel le crime a eu lieu est partie au Statut ou accepté la compétence de la Cour par déclaration et d'autre part, si la personne accusée est ressortissante d'un Etat partie. L'Etat de la nationalité des victimes n'est donc pas pris en compte. Contrairement à ce que souhaitaient les Etats-Unis, ces critères sont alternatifs. La Cour est compétente pour juger un ressortissant d'un Etat non-partie, s'il a commis un crime dans un Etat-partie.

L'application du principe de complémentarité découle des dispositions de l'article 17 du Statut qui définit les conditions d'irrecevabilité d'une affaire devant la Cour : l'affaire a déjà été jugée ou fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part de l'Etat ou n'est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. Cette disposition sibylline introduite par les Etats-Unis viserait, selon le ministère des Affaires étrangères, les actes isolés. Ce n'est que si l'Etat compétent n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de poursuivre parce que son système judiciaire est inexistant ou défaillant que la Cour peut se saisir de l'affaire. La notion de manque de volonté d'un Etat doit être appréciée en fonction du paragraphe 2 de l'article 17 qui vise la décision de soustraire la personne concernée à sa responsabilité, le retard injustifié de la procédure, le fait que la procédure n'a pas été menée de manière indépendante.

La France a largement contribué à la mise en place de ce dispositif estimant que l'ordre judiciaire interne a la responsabilité première dans la lutte contre les crimes les plus graves, et qu'il ne faut pas confisquer aux Etats, même émergents ou sortant d'un conflit, la possibilité d'accomplir le travail de justice et de mémoire nécessaire à la réconciliation nationale. Ce n'était pas la position de tous les Etats et des organisations non-gouvernementales. Certains évoquaient une Cour qui serait l'instance d'appel de toutes les juridictions pénales du monde, ou souhaitaient une compétence universelle de la Cour, comme la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) qui l'affirme clairement dans ses avis des 16 janvier 1997 et 14 mai 1998.

Dans le texte final, les Etats ne sont pas déchargés de leur responsabilité ; la Cour ne se saisit que si l'Etat concerné n'est pas en mesure en raison de la défaillance de son système judiciaire de poursuivre les criminels ou s'il cherche manifestement à les soustraire à leur responsabilité pénale. Il revient à la Cour de déterminer, in fine, si elle peut se déclarer compétente.

b) La primauté des lois d'amnistie nationales et ses limites

Les lois d'amnistie nationales peuvent faire échec à la compétence de la Cour. Leur effet doit être examiné au regard du principe de complémentarité (article 17) et de la règle non bis in idem (article 20) qui énoncent les principes applicables en cas de concurrence entre la Cour et les systèmes nationaux de justice pénale.

Si la loi d'amnistie intervient avant condamnation par une juridiction répressive nationale, et met ainsi fin aux poursuites qui ont été engagées au plan interne, c'est l'article 17 du Statut qui s'applique. La CPI doit déclarer irrecevable l'affaire dont elle est saisie si cette affaire fait l'objet, ou a fait l'objet, d'une enquête de la part d'un Etat, sauf si les autorités de cet Etat agissent, ou ont agi, "dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour"; Ainsi, la Cour est tenue de prendre en compte la loi d'amnistie, qui met fin aux poursuites pénales nationales, sauf si elle considère que cette loi a pour but de "soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale".

Si la loi d'amnistie intervient après que la décision d'une juridiction répressive nationale est passée en force de chose jugée, elle efface la condamnation prononcée. Dans cette hypothèse, le statut de la CPI interdit que l'on puisse remettre en cause la décision de la juridiction nationale, sur le fondement de l'article 20 paragraphe 3. Ce texte apporte sans doute une exception à la règle non bis in idem, mais seulement si la procédure suivie devant la juridiction nationale "avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale".

Ainsi, l'exception de la fraude à la loi permet à la Cour de faire échec au principe non bis in idem, et de rejuger une personne déjà jugée au plan interne, mais seulement si cette fraude à la loi est commise au cours de la procédure nationale ayant abouti au jugement. En revanche, la Cour est incompétente pour connaître des décisions nationales prises postérieurement à ce jugement : grâce, libération anticipée, amnistie, etc.

La loi d'amnistie nationale qui efface la condamnation échappe au contrôle de la Cour sauf si celle-ci, dans une interprétation audacieuse, considère que, dans certaines circonstances exceptionnelles, une amnistie peut être de nature à rendre frauduleuse toute la procédure nationale qui l'a précédée, et justifier dès lors que la juridiction internationale intervienne pour mettre fin à l'impunité ainsi organisée par un Etat. Le Conseil Constitutionnel le relevait dans sa décision du 22 janvier 1999 : "il résulte du statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription (...)" et que "(...) la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale."

2) Une compétence respectant les prérogatives du Conseil de sécurité

L'article 13 paragraphe b) permet au Conseil de sécurité agissant dans le cadre du Chapitre VII de déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis. Dans cette hypothèse, la compétence de la Cour est élargie par rapport au Statut car la situation déférée peut concerner des Etats non parties.

L'article 16 du Statut prévoit qu'aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adaptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette demande est renouvelable. Cette disposition, critiquée par nombre d'Etats et d'organisations non-gouvernementales, est le fruit d'un compromis.

A l'origine, tous les Etats membres permanents du Conseil de Sécurité, dont la France, s'étaient prononcés en faveur d'un droit de regard automatique du Conseil de sécurité sur toute situation dont serait saisie la Cour, notamment en matière de maintien de la paix et de sécurité internationale. L'article 16 constitue un compromis puisque le droit de regard du Conseil n'est plus automatique. Il doit demander la suspension des enquêtes et poursuites, ce qui suppose le vote d'une résolution à la majorité des membres du Conseil de sécurité et qu'aucun membre permanent n'exerce son "droit de veto". En l'absence de résolution la Cour continue ses investigations.

Bien que critiquée par de nombreuses organisations non-gouvernementales, qui y voient une limite au pouvoir d'autosaisine du Procureur de la Cour, cette disposition, qui implique un consensus du Conseil de sécurité, évite les incohérences. Le Conseil de sécurité a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Un certain nombre d'Etats, dont la France, ont estimé qu'il n'était pas souhaitable que la nouvelle institution créée intervienne dans des crises d'une façon qui ne serait pas cohérente avec des décisions du Conseil (plan de paix portant création d'une commission vérité...).

Chaque crise nationale et régionale est spécifique. Le travail de mémoire, de justice, indispensable à des processus durables de démocratisation, peut prendre des formes diverses. Les commissions de vérité, les conférences nationales, l'assistance internationale à la justice nationale sont autant d'exemples.

Le travail de réconciliation opéré en Afrique du Sud par la Commission de Vérité et de Réconciliation en est l'exemple. Or, cette démarche s'est inscrite hors de toute procédure judiciaire au sens strict. L'article 16 comme d'ailleurs l'article 53 paragraphe II c), qui donne au Procureur lui-même la faculté de ne pas poursuivre car "cela ne servirait en rien les intérêts de la justice" s'inscrivent dans une logique de préservation du processus naissant de réconciliation.

Ces dispositions posent d'ailleurs le problème éthique que soulevait la Commission nationale consultative des droits de l'Homme dans sa note d'orientation du 15 février 1999 intitulé "Impunité et réconciliation". Comme l'ont souligné M. Pierre Truche, président de cette commission et M. Mario Bettati, vice-président de cette instance et professeur de droit, il ne peut y avoir de réconciliation nationale durable sans justice. Il appartient aux seules victimes de décider du pardon ou de l'oubli. Aussi peut-on regretter que l'article 16 prohibe les enquêtes de la CPI dans de telles circonstances. En effet, le risque de dépérissement des preuves est réel ; comme le faisait remarquer la Fédération Internationale des droits de l'Homme (FIDH), "le temps est l'allié des bourreaux".

3) Une compétence de la Cour pénale internationale limitée aux crimes graves en rapport étroit avec le maintien de la paix et la sécurité internationale

Le domaine de compétence déterminé par l'article 5 du Statut comporte quatre catégories de crimes : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. Le trafic international de drogue que souhaitaient inclure les pays d'Amérique latine et le terrorisme dont le groupe des pays arabes soutenait l'inclusion ont été écartés au motif que ces crimes ne relevaient pas du droit international coutumier.

Les règles d'interprétation et d'exonération applicables suivent les principes généraux du droit et sont déterminées par l'article 33 du Statut. Est justiciable de la Cour celui qui commet le crime, ordonne, sollicite ou encourage la commission du crime ou tente de commettre le crime. La qualité officielle d'un individu qu'il s'agisse d'un chef de gouvernement, d'élus ou d'agents de l'Etat ne l'exonère en rien de sa responsabilité pénale. De même, le fait de commettre un crime en exécution d'un ordre hiérarchique ne constitue pas en soi un motif d'exonération de responsabilité pour les crimes contre l'humanité et le génocide, l'ordre de commettre des crimes d'une telle ampleur étant par définition une violation du droit.

La notion d'ordre manifestement illégal s'appliquera exclusivement dans des conditions restrictives aux crimes de guerre : dans ce cas, l'exonération de la responsabilité pénale suppose la réunion de trois conditions cumulatives : la personne doit avoir eu statutairement l'obligation d'obéir à l'ordre en question, ne pas avoir su qu'il était illégal et que cet ordre n'ait pas été manifestement illégal. Si une de ces conditions n'est pas remplie, l'exonération de la responsabilité pénale est exclue.

a) Le crime d'agression

Aux termes du paragraphe 2 de l'article 5 du Statut, la Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d'agression lorsqu'une disposition définissant ce crime et fixant les conditions d'exercice des compétences de la cour à son égard aura été adoptée selon les procédures d'amendement et de révision. Deux difficultés ont opposé les Etats quant à l'inclusion de ce crime : sa définition et la désignation de l'organe compétent quant à la qualification de l'agression.

Comme il n'existe pas à ce jour d'instrument international normatif à vocation universelle définissant l'agression, les négociateurs du Statut de Rome ont tenté de s'inspirer de trois textes ayant une portée différente :

Le Statut de Nuremberg qui dans son article 6 a) précité définit les éléments constitutifs des crimes contre la Paix, la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 de l'Assemblée Générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974, adoptée par consensus mais n'ayant pas valeur normative et l'article 16 du projet de code des crimes contre l'humanité adopté par la Commission du droit international des Nations Unies et qui est, à ce stade, soumis à l'examen des Etats.

La France et les autres membres permanents du Conseil de sécurité ont exigé que soient pleinement respectés dans le Statut la lettre et l'esprit de la Charte des Nations Unies" qui prévoit dans son chapitre VII, article 39, qu'il appartient au Conseil de sécurité de déterminer l'existence d'un acte d'agression. Cette condition préalable au renvoi d'une situation devant la Cour n'a pas d'effet sur la décision judiciaire de la Cour qui reste libre d'apprécier s'il y a eu, ou non, commission d'un crime d'agression.

Les négociations n'ayant pu aboutir à Rome, il a été décidé de confier à la Commission Préparatoire pour la CPI la mission d'élaborer une définition du crime d'agression "compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, article 5 paragraphe 2. En vertu de cette disposition, la définition élaborée par la Commission sera soumise à l'Assemblée des Etats parties à la Convention de Rome sous la forme d'un amendement au Statut et adoptée à la majorité des deux tiers. Elle n'entrera en vigueur qu'après ratification par sept huitièmes des Etats parties à la Convention de Rome, et uniquement à l'égard des Etats l'ayant ratifiée.

Les travaux de la Commission préparatoire sur cette question sont coordonnés par la Tanzanie. Sous son égide, une compilation de l'ensemble des propositions relatives tant à la définition de l'agression qu'aux mécanismes institutionnels a été établie.

Pour la France comme pour les autres membres permanents du Conseil de Sécurité, il doit être clairement précisé que la Cour ne peut être saisie d'une plainte relative à un crime d'agression que si le Conseil de Sécurité a constaté au préalable, conformément à la Charte, l'existence d'un crime. Le débat sur la définition du crime d'agression a opposé les membres du Conseil de Sécurité aux pays non-alignés.

b) Le crime de génocide : article 6 du Statut

L'article 6 du Statut reprend la définition de ce crime et de ses actes constitutifs contenue dans la Convention des Nations Unies de 1948 relative au crime de génocide

c) Les crimes contre l'humanité

L'article 7 du Statut définissant les crimes contre l'humanité diffère sensiblement des définitions contenues dans les statuts des deux tribunaux ad hoc de l'ONU et de l'article 6 c) de la Charte de Nuremberg. L'alinéa 1 de l'article 7 définit les crimes contre l'humanité comme "un certain nombre d'actes perpétrés dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile et en connaissance de l'attaque". Cette qualification est conditionnée par la preuve de la connaissance de l'attaque par le suspect, élément particulièrement difficile à établir.

Il dispose que le crime contre l'humanité doit s'inscrire dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique. Ces critères de généralité et de systématisation sont alternatifs et non cumulatifs. En outre, constituent un crime contre l'humanité le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée et les autres formes de violence sexuelle de gravité comparable. En ex-Yougoslavie comme au Rwanda le viol et autres crimes contre les femmes avaient été utilisés comme méthode de guerre à part entière aux fins d'extermination d'une communauté dans son ensemble.

d) Les crimes de guerre et la déclaration interprétative de la France

La définition des crimes de guerre a posé problème notamment quant à l'extension de la notion de crime de guerre, aux violations du droit humanitaire commises pendant les conflits armés non internationaux qui actuellement sont les plus nombreux et l'emploi d'armes de destruction massive. L'intentionnalité dans la commission de ces crimes a été exigée. Aussi toute responsabilité pénale pour omission, négligence coupable ou non-assistance à personne en danger est-elle écartée du Statut.

Aux termes de l'article 8 du Statut, on entend par crimes de guerre les infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949, les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux, ainsi que les violations graves commises dans le cadre des conflits ne présentant pas de caractère international.

L'alinéa b du paragraphe 2 de l'article 8 énumère un certain nombre d'actes prohibés constitutifs des crimes de guerre. Sont notamment inclus dans cette liste les attaques délibérées contre la population civile et les biens civils, les attaques en connaissance du fait qu'elles causeront, à long terme, des dommages à l'environnement, le transfert de population, le fait d'affamer délibérément la population, les mutilations et expériences médicales ou scientifiques, ainsi que les atteintes à la dignité de la personne, le fait d'enrôler ou de faire participer des enfants de moins de quinze ans aux hostilités, ce qui est nouveau. Sont considérés également comme crimes de guerre le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, les grossesses forcées, et la stérilisation forcée, comme pour les crimes contre l'humanité.

L'inclusion de l'utilisation de l'arme nucléaire et des mines antipersonnel comme crime de guerre fut l'un des enjeux des négociations. Seuls vingt-sept Etats étaient en faveur de cette inclusion et cinquante-sept s'y opposaient fermement. Le statut final de la Cour prévoit que l'emploi d'armes de nature à causer des souffrances inutiles ou agissant par nature sans discrimination en violation du droit international des conflits armés constitue un crime de guerre à condition qu'il fasse l'objet d'une interdiction générale. Cette clause constitue une victoire des pays détenteurs de l'arme nucléaire, qui perdrait son caractère dissuasif si son utilisation était interdite.

Conformément aux alinéas c) et d) du paragraphe 2 de l'article 8, les conflits armés non-internationaux relèvent de la compétence de la Cour, malgré l'opposition de plusieurs délégations, notamment l'Inde, la Chine et le groupe des Etats arabes qui voulaient exclure toute compétence de la Cour en la matière. Or, ces dernières années ont été marquées par la perpétration de crimes internationaux commis dans le cadre de conflits armés de caractère interne. La chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Tadic, les récentes résolutions du Conseil de sécurité, ainsi que le statut du TPR posent le principe de la responsabilité pénale individuelle des auteurs de crimes internationaux commis lors de conflits internes. A l'issue de négociations difficiles, les Etats ont accepté que la Cour ait compétence pour les crimes de guerre commis dans le cadre de conflits armés internes sur le territoire d'un Etat non partie au Statut, ainsi que pour les crimes commis lors des conflits entre groupes armés organisés.

Bien que la France ait déclaré vouloir utiliser l'article 124 permettant de décliner la compétence de la Cour sur les crimes de guerre pendant sept ans (cf. infra), elle s'apprête à déposer une déclaration interprétative sur la valeur juridique de laquelle votre Rapporteur s'interroge. La Cour peut-elle être liée par cette déclaration ? Si cet instrument est une réserve déguisée, il est clairement inopérant, le statut de CPI prohibant dans son article 120 toute réserve. Néanmoins, cette déclaration interprétative qui, d'après le ministère des Affaires étrangères, n'est pas en contradiction avec l'article 8, rappelle les positions traditionnelles de la France. L'article 8 fait expressément référence au Protocole additionnel numéro 1 aux Conventions de Genève, auxquelles la France n'a pas encore adhéré, bien qu'elle s'y prépare - ce dont votre Rapporteur se félicite.

Les sept paragraphes de la déclaration portent sur l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense sur la définition de certains concepts ("avantage militaire", "objectif militaire") et rappellent entre autres que les dispositions de l'article 8 du Statut, comme cela a été agréé à Rome, ne pourront être interprétées comme interdisant l'usage de l'arme nucléaire. Tout en reconnaissant le bien-fondé de l'interprétation française, on peut s'interroger sur la méthode employée, d'autant que la France s'apprête à décliner la compétence de la CPI sur les crimes ce guerre.

4) Une compétence largement réduite par le recours possible à l'article 124 du Statut de Rome

L'article 124 de la Convention introduit à l'initiative de la France, à la fin de la négociation de Rome permet à un Etat qui devient partie au Statut, de décliner pendant sept ans la compétence de la Cour pour les crimes de guerre lorsqu'il est allégué qu'un tel crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Cette déclaration peut être retirée à tout moment.

Dès la signature du Statut, la France a annoncé qu'elle utiliserait cette faculté et, à ce jour, elle est le seul signataire à avoir manifesté une telle intention. La note d'orientation de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme du 15 février 1999 condamne le recours à l'article 124. Regrettée lors des débats de révision constitutionnelle par presque tous les intervenants, contestée par des juristes aussi éminents que M. Robert Badinter, M. Mario Bettati, M. Alain Pellet, M. Pierre Truche, cette démarche est sévèrement critiquée par nombre d'organisations non-gouvernementales, de syndicats, d'associations professionnelles. Ils se sont regroupés au sein de la coalition pour une CPI dont les représentants comme ceux des ministères concernés (Affaires étrangères, Défense nationale et Justice) ont été entendus à ce sujet par votre Rapporteur.

a) Un recours transitoire à l'article 124 selon les ministères concernés

Selon les Ministères des Affaires étrangères et de la Justice, contrairement au génocide et aux crimes contre l'humanité, les crimes de guerre relevant de la compétence de la Cour peuvent être des actes isolés. La distinction est lourde de conséquences, car tout acte isolé constituant une violation des lois et coutumes applicables aux conflits armés pourrait faire l'objet d'une plainte. La France, fortement engagée sur des théâtres extérieurs, notamment dans le cadre d'opérations humanitaires ou de maintien de la paix, souhaite éviter que les dispositions relatives aux crimes de guerre puissent aisément faire l'objet de plaintes abusives, sans fondement, teintées d'arrière-pensées politiques. La Cour serait alors engorgée et rendue inefficace par le dépôt de multiples plaintes à caractère politique. De telles plaintes auraient sans doute peu de chances d'aboutir à une condamnation, mais auraient pour effet de ternir pendant quelques semaines l'image des interventions de l'ONU et donc leur efficacité.

Les pays qui, comme la France, déploient à l'étranger des personnels civils et militaires au service du développement et de la paix - et qui paient un lourd tribut humain à de telles opérations - sont particulièrement exposés. Le Statut de Rome contribuerait alors à décourager la participation aux actions multinationales sous l'égide des Nations Unies.

D'après le ministère de la Défense, certaines garanties juridiques offertes par le statut ne prémuniraient pas contre un harcèlement juridique dont pourraient être victimes des militaires français, car on ne peut préjuger des garanties procédurales offertes par une nouvelle institution. La Chambre préliminaire supervisant l'action du Procureur pendant la phase d'instruction et dont le rôle consiste à écarter avant le procès les charges non fondées pourrait se révéler moins efficace que prévu. L'expérience des tribunaux pénaux internationaux a, semble-t-il, marqué ce ministère. Force est de reconnaître que, devant les deux TPI, le système d'interrogation des témoins cités était inacceptable au regard des principes procéduraux français.

Selon le ministère de la Défense, le système de complémentarité pourrait se révéler insuffisamment protecteur en cas de plaintes non fondées. Ainsi, une décision de classement sans suite du Parquet français pourrait, au regard des dispositions vagues de l'article 17 du Statut fondant l'irrecevabilité d'une affaire, être insuffisante et assimilée à un manque de volonté de poursuivre de la part d'un Etat. De même, la notion de "retard injustifié dans la procédure" qui permet à la CPI de connaître l'affaire est peu clair. Les condamnations récentes de la France devant la Cour européenne des droits de l'Homme pour la longueur de ses procédures le démontrent. M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères a exprimé la même inquiétude.

Selon lui, l'expérience et le recul permettront de déterminer si les garanties insérées au Statut sont efficaces et le délai de sept ans sera utilisé pour trouver des solutions à d'éventuels dysfonctionnements. Chaque nouvelle institution s'efforce de manière générale d'étendre sa compétence, la CPI risque de ne pas échapper à cette pente naturelle.

Par ailleurs, tous les ministères concernés ont rappelé que, si des Français civils ou militaires se rendaient coupables de crimes de guerre, ils seraient traduits devant les tribunaux nationaux français.

b) Les effets néfastes et pervers de l'utilisation de l'article 124

Si l'existence de l'article 124 a permis, selon le Ministère des Affaires étrangères, de réduire l'hostilité de certains Etats au Statut de Rome, elle pourrait, si de nombreux pays suivaient l'exemple français, limiter considérablement la compétence de la CPI pour les crimes de guerre qui sont les plus fréquents et les plus meurtriers. Les conséquences seraient néfastes au plan juridique, politique et diplomatique.

Comme l'a démontré Mme Françoise Saulnier, responsable du droit humanitaire à Médecins sans frontières, l'article 8.2.b)iii) stipulant que : "constitue un crime de guerre entrant dans la compétence de la Cour le fait de lancer une attaque délibérée contre le personnel, les installations, le matériel, les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies, pour autant qu'ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil représente une des rares protections générales contre l'impunité dont jouissent les coupables de tels agissements. En effet, les dispositions de la convention sur la sécurité du personnel des Nations Unies et associés, adoptée le 9 décembre 1994, en cours de ratification, présente des garanties insuffisantes pour ces personnels. Les enquêtes comme le jugement dépendent du bon vouloir des Etats. Ce n'est que l'article 8 du Statut qui offre la possibilité de sanctions judiciaires contre les coupables d'attaques contre ces personnels.

Selon elle, l'histoire des opérations de maintien de la paix a montré que la principale menace qui pèse sur le personnel et la mission de maintien de la paix est plus militaire que judiciaire. Ces personnels font l'objet de violence et de harcèlement de la part des groupes armés qui cherchent à leur faire perdre sur le terrain ce que les Nations Unies ont imposé sur le plan des principes. Si l'on se reporte à un exemple concret et douloureux comme celui de Srebrenica, la chute de cette enclave censée être protégée par les Nations Unies a été rendue possible par les attaques et les intimidations qui ont été infligées aux Casques bleus par les forces armées serbes de Bosnie.

D'après MM. Pierre Truche, Mario Bettati et Me William Bourdon, Secrétaire Général de la FIDH, le risque que la CPI enquête sur des plaintes abusives et infondées classées sans suite par les juridictions françaises est infinitésimal. La CPI aura dans les premières années de son fonctionnement le souci d'asseoir sa crédibilité et de ne pas empiéter sur la compétence des Etats en enquêtant sur des plaintes non fondées. Comme l'a montré M. Pierre Truche lors de son audition, le préambule, les articles 1er, 5, 8, 12 et 17 du Statut doivent être interpréter les uns par rapport aux autres. La gravité, le caractère massif et intentionnel des crimes comme les règles de complémentarité qu'ils édictent, réduisent très fortement le risque que la Cour se fourvoie dans la poursuite de plaintes non fondées concernant des actes isolés. Le filtre de la Chambre préliminaire, sorte de chambre d'accusation à la française dont sont dépourvus les TPI sera opérant (voir infra).

Comme l'ont fait observer M. Patrick Baudoin, Président de la FIDH et Mme Françoise Saulnier, l'attitude de la France semble ne pas du tout prendre en considération le régime actuel de répression des crimes de guerre dans l'ordre international, qui est le régime prévu par les Conventions de Genève dit de compétence universelle. Ce principe de compétence universelle lie la France, d'ores et déjà depuis 1949. Il sera à l'avenir la principale source de pressions diplomatiques dans le cas de plaintes abusives. Le système mis en place par la Cour est susceptible de faire échec aux dérapages éventuels de l'application de la juridiction universelle qui est laissée à l'appréciation de chaque Etat. Le fait d'exclure la compétence de la Cour pour les crimes de guerre ne met pas à l'abri le personnel français de plaintes pour crime de guerre qui pourraient être déposées sur la base du principe de juridiction universelle devant n'importe quel tribunal de n'importe quel Etat qui reconnaît ce principe. Les mécanismes de complémentarité de la CPI sont nettement plus protecteurs.

Le retentissement médiatique de l'utilisation par la France de l'article 124 de la Convention de Rome jetterait un soupçon sur l'action des militaires français dans les opérations de maintien de la paix, alors que leur respect scrupuleux de la légalité dans l'accomplissement de missions difficiles et dangereuses a été unanimement salué par les personnalités entendues. M. Pierre Truche a loué leur souci d'appliquer strictement des normes juridiques internationales qu'ils connaissent parfaitement. Mme Sylvie Bukari de Pontual, membre de la Fédération internationale des Chrétiens pour l'abolition de la torture et M. Jean Follana, président de la coalition des organisations non-gouvernementales pour une Cour pénale internationale, membre d'Amnesty International ont fait part de l'inquiétude de certains militaires français quant au discrédit que pourrait jeter sur leur action la protection inutile que leur conférerait l'article 124.

Comme l'a rappelé M. Jean Follana, l'acharnement politico-médiatique que susciterait une plainte abusive pour crime de guerre contre des personnels français serait d'autant plus fort que la France aurait décliné la compétence de la Cour. Elle sera soupçonnée de vouloir soustraire ses ressortissants à la justice internationale, d'autant que, comme l'a souligné le Syndicat de la magistrature, le système judiciaire français ne présenterait pas assez de garanties par rapport aux crimes de guerre.

L'utilisation de l'article 124 par la France serait néfaste, elle conférerait une fausse protection aux militaires français, protection qui pourrait se retourner contre eux et heurter leur sens de l'honneur. Cette démarche isolerait la France au sein de l'Union européenne ; aucun de ses partenaires européens, tous signataires du Statut n'a manifesté l'intention de se prévaloir de l'article 124. Au moment où se met en place une politique européenne de défense, il est malsain que s'installent des différences de traitement des crimes de guerre.

La France, étant parmi les premiers Etats à ratifier la Convention de Rome, adresserait un très mauvais signal. Si elle est la seule à utiliser la déclaration de l'article 124, elle sera isolée. Si elle suscite quelques vocations, elle sera critiquée. Selon les membres de la coalition pour la CPI, dans la négociation du règlement de procédure et de preuve et des éléments des crimes, la voix de la délégation française risquerait d'être peu entendue car l'ambiguïté de sa démarche sur l'article 124 l'isolerait au sein des Etats parties. Or, comme l'a fait observer Mme Jeanne Sulzer, chargée de programme à la FIDH, elle est la seule à défendre la tradition juridique romano-germanique "offrant de meilleurs garanties procédurales".

Sans mésestimer le risque que des plaintes abusives et infondées ne soient déposées, voire même que, contrairement à toute règle de complémentarité, la Cour en soit saisie, votre Rapporteur souhaite que la France reconsidère sa position sur la déclaration de l'article 124.

Décliner la compétence de la CPI pour les crimes de guerre pendant sept ans ferait naître doute et suspicion sur la manière dont la France, pays des droits de l'Homme, s'acquitte de son rôle de soldat de la paix, alors que cette action positive est reconnue sur la scène internationale et soutenue par les Français.

B - Des règles de fonctionnement et de procédure définies

Si la Commission de droit international des Nations Unies avait opté, contrairement aux v_ux de la France, pour un document bref qui n'était pas destiné à contenir toutes les règles matérielles et de procédure relatives à l'activité de la Cour, les difficultés des deux tribunaux pénaux ad hoc ont conduit les négociateurs, et notamment la France, à élaborer un statut détaillé quant au fonctionnement et à la procédure devant la Cour.

1) Des règles de fonctionnement précises

La cour aura son siège à La Haye, rejoignant ainsi la Cour internationale de Justice et le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie.

Composée de la présidence, des sections du bureau du procureur et du greffe, la cour compte dix-huit juges, élus par l'Assemblée des Etats-parties pour un mandat de neuf ans non renouvelable. Hautement qualifiés dans les domaines du droit pénal et du droit international, ils exercent leurs fonctions en toute indépendance. La composition de la cour doit être représentative des différents systèmes juridiques, assurer une représentation géographique équilibrée, ainsi qu'une représentation équitable entre les hommes et les femmes.

a) Les organes de la Cour pénale internationale

- La présidence et les sections

Chargés de la bonne administration de la Cour, le président et les deux vice-présidents sont élu à la majorité des juges pour trois ans.

Les juges sont répartis dans trois sections : la section préliminaire, la section de première instance et la sections des appels. La section des appels est composée du Président et de quatre autres juges ; la section de première instance et la section préliminaire sont composées chacune de six juges au moins. Les sections définissent l'affectation des juges dans les trois chambres de la CPI : chambre préliminaire, chambre de première instance et chambre des appels.

- Le procureur et son bureau

Le procureur est élu au scrutin secret par l'Assemblée des Etats-parties à la majorité absolue des membres de celle-ci. Il est secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints, habilités à accomplir tous les actes que le Statut requiert du procureur.

Le Bureau du procureur agit indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la Cour. Il est chargé de recevoir les communications et tout renseignement dûment étayé concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner, de conduire les enquêtes et de soutenir l'accusation devant la Cour. Ses membres ne sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune source extérieure.

- Le greffe

Le greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour. Le greffier est élu par les juges pour cinq ans et rééligible une fois. Il est chargé de créer une division d'aide aux victimes et aux témoins, chargée de les conseiller et de les aider lorsqu'ils comparaissent devant la Cour. C'est à cette division qu'il reviendra de prévoir les mesures et les dispositions nécessaires pour assurer leur protection et leur sécurité.

b) Le financement de la Cour pénale internationale

Aux termes de l'article 115 du Statut, les dépenses de la Cour et de l'Assemblée des Etats-parties sont financées par les contributions des Etats parties et par les Nations Unies en cas de saisine par le Conseil de Sécurité. Au mode de financement habituel, peuvent s'ajouter des contributions volontaires comme c'est le cas pour les Nations Unies.

D'après l'article 116, les contributions volontaires peuvent émaner de gouvernements, d'organisations internationales, de particuliers, d'entreprises et d'autres entités, selon les critères fixés par l'Assemblée des Etats-parties. M. Mario Bettati, vice-président de la CNCDH, s'est étonné de la possibilité pour des particuliers ou des entreprises de financer une juridiction internationale. Selon lui, la Cour pénale internationale sera la seule dans ce cas. Une telle disposition est gênante et pourrait jeter la suspicion sur son indépendance.

Il est souhaitable que la France, au sein de l'Assemblée des Etats-parties, soit particulièrement vigilante sur l'application de cette disposition. Ce financement privé peut jeter le discrédit sur la Cour s'il apparaît qu'elle a accepté des contributions de personnalités ou d'entreprises privées contestables au regard des principes défendus par elle.

2) Une procédure préservant les droits de l'accusé et de la victime

Les articles 15, 16 et 53 à 86 détaillent les règles de procédure privant ainsi la Cour pénale internationale du pouvoir d'auto-organisation détenu par les Tribunaux pénaux internationaux de La Haye et d'Arusha. Le règlement des procédures et preuves qui procédera des articles précités du Statut sera adopté par la Conférence des Etats-parties. Confrontés aux lacunes voire aux contradictions d'un statut sommaire rédigé à la hâte, ces deux tribunaux ont disposé d'une marge d'appréciation trop large ; leur fonctionnement s'en trouve affecté. C'est pourquoi les dispositions détaillées du Statut comme le futur règlement de procédure et de preuves visent à conférer à la Cour des règles stables et solennelles de procédure. Une synthèse intéressante a été opérée par les négociateurs entre les traditions juridiques anglo-saxonne et romano-germanique. L'équilibre de la convention entre ces deux traditions doit beaucoup à la délégation française qui, souvent isolée, a su faire prévaloir ses vues.

a) Les phases de la procédure

- La saisine de la Cour pénale internationale

Trois modes de saisine de la Cour sont prévus par la Convention de Rome. Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut déférer au procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis. Tout Etat partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis. Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements des organisations internationales et d'ONG concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour et dans ce cas, il doit obtenir une autorisation de la chambre préliminaire pour ouvrir une enquête. Le pouvoir d'autosaisine du procureur a été longuement débattu à Rome.

Comme l'a proposé la France, l'activité du procureur de la Cour est contrôlée par une chambre préliminaire composée d'un ou plusieurs juges, qui est appelée à prendre les principales décisions pendant l'enquête. A la demande du procureur, la chambre préliminaire peut délivrer les mandats nécessaires aux fins d'enquête, autoriser le procureur à prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat partie sans s'être assuré la coopération de cet Etat lorsque celui-ci est incapable de donner suite à une demande de coopération. A tout moment, après l'ouverture d'une enquête, la chambre préliminaire peut délivrer sur requête du procureur, un mandat d'arrêt contre une personne. La Chambre préliminaire peut ainsi filtrer en amont les plaintes abusives ou infondées pour éviter que la CPI ne soit débordée.

- L'enquête

La décision d'ouvrir une enquête est prise, sous le contrôle de la chambre préliminaire, ou par le procureur, qui peut également conclure qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour engager des poursuites. Le procureur "enquête tant à charge qu'à décharge". Il peut notamment recueillir et examiner des éléments de preuve, convoquer et interroger des personnes faisant l'objet d'une enquête, ainsi que des victimes et des témoins, demander la coopération de tout Etat ou organisation ou dispositif gouvernemental.

L'article 61 du Statut prévoit que "dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour ou sa comparution volontaire, la chambre préliminaire tient une audience pour confirmer les charges sur lesquelles le procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement". Cette audience peut se tenir en l'absence de l'intéressé, notamment lorsqu'il a pris la fuite.

A l'issue de l'audience, la chambre préliminaire peut confirmer les charges et renvoyer la personne devant une chambre de première instance pour y être jugée, ne pas confirmer les charges, enfin ajourner l'audience en demandant au procureur d'apporter des éléments de preuve supplémentaire ou de modifier une charge.

- Le procès

Le procès se déroule publiquement devant une chambre de première instance en présence de l'accusé (article 63). La présence de l'accusé a fait l'objet de longs débats. La France et les pays de tradition romano-germanique voulaient voir inclure dans le statut le principe du procès par contumace, ce qui n'a pas été retenu. Le procès pourra avoir lieu en l'absence de l'accusé si celui-ci trouble de manière persistante son déroulement. Le cas où l'accusé ne se présente pas à son procès de manière délibérée sera probablement problématique pour l'exercice effectif de la justice.

- Les voies de recours

Le procureur et le condamné peuvent interjeter appel des décisions sur la culpabilité ou la peine et sur d'autres décisions devant la chambre d'appel. En principe, l'appel n'est pas suspensif et, sauf décision contraire, la personne reste détenue pendant la procédure d'appel.

Par ailleurs, les décisions définitives sur la culpabilité ou la peine peuvent donner lieu à requête en révision de la part de la personne déclarée coupable ou, en cas de décès, de son conjoint, de ses enfants, de ses parents ou de toute personne mandatée par écrit expressément à cette fin.

b) Le respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence

L'article 64 du Statut prévoit que la chambre de première instance de la cour veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et à ce que l'accusé soit jugé sans retard excessif.

La présomption d'innocence est affirmée par l'article 66 du statut. L'article 67 détaille les droits de l'accusé au cours de l'enquête. Il n'est pas obligé de témoigner contre lui-même, ni de s'avouer coupable. Il ne peut être soumis à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace ni être arrêté arbitrairement. Il bénéficie gratuitement de l'aide d'un interprète compétent, du droit d'être assisté par le défenseur de son choix ou, s'il n'en a pas, par un défenseur commis d'office avant tout interrogatoire.

L'accusé se voit reconnaître le droit d'être informé dans le plus court délai et de façon détaillée des motifs et de la teneur des charges et de pouvoir disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et communiquer librement et confidentiellement avec le conseil de son choix. Il a également le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d'obtenir la comparution et l'interrogation des témoins à décharge.

c) L'individualisation des peines

La Cour peut prononcer une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus ou une peine d'emprisonnement à perpétuité "si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient." La Cour peut, en plus de la peine d'emprisonnement, prononcer une peine d'amende et décider la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime.

d) L'accès des victimes devant la Cour et la reconnaissance de leur droit à réparation

Par rapport aux statuts des Tribunaux pénaux internationaux, la Convention de Rome réalise grâce aux proposition françaises un pas décisif en ce qui concerne la condition des victimes et leur droit à réparation. Si elles ne peuvent pas saisir directement le procureur ou porter plainte avec constitution de partie civile, elles sont associées à toutes les étapes de la procédure y compris dans sa phase préliminaire par le biais d'Organisations non-gouvernementales qui peuvent déclencher des enquêtes en informant le procureur. Le rôle de ces organisations dans la prévention et la répression de crimes internationaux se voit ainsi reconnu.

Les dispositions spécifiques relatives à la protection et à la participation des victimes et des témoins se trouvent contenues dans l'article 68 du statut. Sont notamment prévus la non-divulgation d'éléments de preuves et de renseignements qui risquent de mettre gravement en danger la victime ou des membres de sa famille, ou encore l'ordre d'un huis clos pour une partie quelconque de la procédure afin de protéger victimes, témoins ou accusés.

Un progrès important a été réalisé pour ce qui est de la reconnaissance de la spéficité des victimes de violence à caractère sexuel, de violence à motivation sexiste ou de violence contre les enfants. La Cour tient compte des traumatismes liés à la nature du crime pour prendre des mesures appropriées de protection et s'assurera du bien-être physique et psychologique des victimes, du respect de leur vie privée et de leur dignité. Elle peut ordonner la tenue de séances à huis clos.

Le Statut prévoit la mise en place d'une division d'aide aux victimes et aux témoins, créée au sein du greffe, chargée de conseiller et d'aider victimes et témoins et de s'assurer de leur protection ; elle comprend notamment des personnes spécialisées dans le soutien aux victimes de traumatismes résultant de violences sexuelles (article 43-6).

L'article 75 du Statut donne compétence à la Cour pour rendre à l'encontre d'une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit, sous forme de restitution, indemnisation ou réhabilitation. Le projet de statut prévoyait que ces réparations seraient également accordées par les Etats. Bien que défendue par la France et le Royaume-Uni, cette responsabilité de l'Etat demeurait inacceptable pour beaucoup de délégations et n'a pas pu être incluse dans le statut. L'article 75 représente une régression du droit international en matière de réparation mais ne devrait pas compromettre la responsabilité étatique prévue dans des textes de droit international ainsi que dans certaines législations de droit interne.

C - Une coopération des Etats requise

La Cour peut exercer ses fonctions d'enquête et de poursuite sur le territoire de tout Etat partie au Statut. En revanche elle ne peut agir sur le territoire d'un Etat ou partie qu'en vertu d'une convention prévue à cet effet.

1) L'obligation de coopérer

La Cour ne disposera pas en propre de forces de police lui conférant une totale autonomie dans ses fonctions. Le chapitre IX détaille les modalités de cette coopération.

Comme pour les Tribunaux pénaux internationaux, l'obligation générale de coopérer imposée par l'article 86 du Statut se traduira par une adaptation de la législation nationale des Etats. L'article 88 largement inspiré par la France les oblige à définir les modalités de leur coopération avec la Cour et vise à éviter que les Etats n'adoptent pas de loi et utilisent cet argument pour refuser de coopérer avec elle. La coopération des Etats avec la Cour conditionnera l'effectivité des poursuites et l'exercice de la justice pénale internationale dans son ensemble. Le Statut se devait d'être particulièrement contraignant quant aux obligations incombant aux Etats.

Aux termes de l'article 87 1 a) les demandes de coopération sont adressées par la voie diplomatique ou par toute autre voie appropriée choisie par les Etats au moment de la ratification ou de l'approbation du statut, et peuvent également être transmises aux Etats par Interpol ou toute organisation régionale compétente. D'après le ministère des Affaires étrangères, les demandes de coopération transiteront par la voie diplomatique La France n'entend pas choisir une autre voie lors du dépôt des instruments de ratification. Certains des juristes auditionnés auraient préféré que les demandes de coopération transitent par la voie judiciaire comme le prévoient les lois d'adaptation pour le tribunal de La Haye (article 7) et pour celui d'Arusha (article 2). Toutefois, il semble qu'actuellement en pratique les demandes de coopération émanant de ces juridictions transitent par la voie diplomatique qui les centralisent.

Les demandes de coopération sont variées, elles visent aussi bien l'arrestation et la remise des personnes, que l'interrogatoire d'une personne poursuivie, le rassemblement des preuves. Parallèlement, un Etat partie ou non à la Convention de Rome peut adresser une demande d'assistance à la Cour dans le cadre d'une enquête ou un procès conduit par une juridiction nationale sur un crime relevant de la compétence de la Cour ou sur un crime grave en droit interne.

2) Les limites à l'obligation de coopérer

a) L'absence de pouvoir de contrainte

Le Statut n'apporte pas des garanties suffisantes quant à la coopération des Etats : en effet ces demandes ne sont assorties d'aucun réel pouvoir de contrainte. Dans le cas où un Etat ne satisferait pas aux demandes de la Cour, celle-ci pourrait saisir l'assemblée des Etats parties. Cette dernière, conformément à l'article 112 paragraphe 2 f), examine toute question relative à la non coopération. Cependant, les décisions prises par cette Assemblée sont de toute façon dépourvues de force contraignante. Toutefois, en cas de non-coopération des Etats, la Cour peut en aviser le Conseil de sécurité si c'est lui qui l'a saisie. On sait que le seul organe international à même d'obliger les Etats à coopérer reste le Conseil de sécurité.

La non-coopération des Etats est un problème récurrent pour les TPI. Les procureurs successifs s'en sont amèrement plaint. Le nouveau procureur Mme Carla Da Ponte semble optimiste quant à cette coopération mais déplore que les principaux dirigeants et responsables des crimes en ex Yougoslavie ne soient pas encore arrêtés. La passivité des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France quant à l'arrestation des grands criminels en ex Yougoslavie a été maintes fois dénoncées. Après une période d'hésitation, ces pays ont toutefois participé à plusieurs arrestations.

b) La protection des données relatives à la défense nationale

L'article 93 paragraphe 4 dispose qu'un Etat partie ne peut rejeter totalement ou partiellement une demande d'assistance de la cour que si cette demande a pour objet la production de documents ou la divulgation d'éléments de preuve qui touchent à ce domaine. L'article 72 traite de la protection d'informations touchant ce domaine. Il s'applique dans tous les cas où la divulgation de renseignements, y compris lors d'une audition d'un témoin, porterait atteinte, de l'avis de l'Etat, aux intérêts de sa sécurité nationale. Négociée par la France et les Etats-Unis, cette dispositon prévoit que toutes "les mesures raisonnablement possibles" doivent être prises pour tenter de trouver des conditions de transmission de l'information qui pourraient satisfaire aux exigences de protection réclamées par l'Etat.

Néanmoins, si après concertation avec la Cour, l'Etat estime qu'il n'existe "ni moyens ni conditions qui lui permettraient de communiquer ou de divulguer les renseignements sans porter atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale", il peut opposer le secret défense en indiquant les raisons précises qui l'ont conduit à cette conclusion, à moins que l'exposé même de ses raisons ne porte nécessairement en soi atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale.

Les dispositions de l'article 72 sont conformes à la loi et à la pratique française, dans l'hypothèse où la Cour estimerait ces informations indispensables à la poursuite de procès, elle ne pourrait prendre aucune décision obligeant l'Etat à les fournir. Si elle considère que le refus de transmettre des informations confidentielles relève d'un défaut de coopération de l'Etat concerné, il lui faut en référer en vertu de l'article 87 du Statut, à "l'organe exécutif", soit le Conseil de sécurité (dans l'hypothèse d'une saisine du Conseil), soit l'Assemblée de Etats parties.

c) La tradition juridique des Etats

L'article 93 paragraphe 3 "autorise les Etats à ne pas répondre à une demande de la cour si l'exécution d'une mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique fondamental d'application générale". Ces termes flous laissent aux Etats une marge d'appréciation étendue et peut contraindre la Cour à modifier sa requête initiale. En effet, après consultation entre l'Etat et la Cour, celle-ci devra éventuellement modifier sa demande.

Lorsqu'un Etat reçoit à la fois une demande de la Cour de remise d'un suspect et une demande d'extradition pour la même personne et pour le même crime, les obligations de cet Etat diffèrent selon qu'il est ou non partie au statut. S'il s'agit d'un Etat partie, la demande de la Cour aura priorité. Par contre le problème de la poursuite des criminels internationaux devant la Cour se posera lorsque l'Etat requis n'est pas partie au Statut. Celui-ci pourra en effet faire droit à la demande d'extradition s'il est tenu par une obligation internationale d'extrader.

III. L'IMPACT DE LA CRÉATION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

La négociation comme le vote du Statut de la Cour ont eu et continuent d'avoir un impact considérable au plan international comme au plan interne.

A - Sur la scène internationale

La négociation de Rome a été l'occasion de débats intéressants voire passionnés entre les délégations des cent vingt Etats en présence d'organisations non gouvernementales dont le rôle s'est affirmé sur la scène internationale à cette occasion.

La souveraineté des Etats, leurs relations avec le Conseil de sécurité ou avec les Nations Unies, les systèmes juridiques, les conceptions du droit pénal international de chacun se sont exprimés, des alliances de fortune se sont nouées. La France s'est constamment efforcée de trouver des compromis pour que le plus grand nombre d'Etats signent la Convention de Rome. Elle y a partiellement réussi, mais de grands pays ont refusé de voter le Statut de Rome.

1) Des adversaires importants

Parmi les Etats opposés au Statut de Rome on compte deux membres du Conseil de sécurité, les Etats-Unis et la Chine et les deux pays les plus peuplés de la planète la Chine et l'Inde. Ces refus sont donc préoccupants car ils relativisent le caractère universel de la compétence de la Cour, peuvent atteindre sa crédibilité et fragiliser le processus mis en place à Rome.

a) un refus prévisible et décevant des Etats-Unis soucieux de la souveraineté de leur justice

La réticence du Congrès à l'égard de la ratification de conventions internationales portant, de son point de vue, atteinte à la souveraineté de l'Etat ou risquant de limiter la compétence de la justice américaine est constante. Ce n'est qu'en 1997 que les Etats-Unis se sont intéressés à la négociation du Statut de la Cour s'inquiétant des risques que pouvait représenter ce texte pour des personnels, notamment militaires, déployés hors du territoire américain. Pour des raisons d'image auprès des organisations non gouvernementales, la délégation américaine s'est peu exprimée, mais il était inenvisageable pour elle qu'un citoyen américain soit traduit en justice devant une juridiction pénale internationale.

Quelques jours avant la fin de la conférence de Rome, le chef de la délégation américaine a énoncé une longue liste de conditions (non remise des nationaux à la Cour, refus de l'autosaisine du procureur, compétence de la Cour limitée aux seuls Etats parties et sur la seule base de la nationalité des auteurs des crimes), annonçant ainsi clairement que son pays ne signerait pas. Les déclarations de M. Jessie Helms, Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat ne laissaient aucun doute. Il les a réitérées récemment devant les Nations Unies.

L'article 12 du Statut conférant à la Cour compétence pour juger un citoyen américain ayant par exemple commis un crime de guerre sur le territoire d'un Etat partie était inacceptable pour les Etats-Unis. Pourtant les tribunaux américains appliquent à l'égard de ressortissants étrangers ayant commis des crimes contre les droits des gens, des mécanismes de compétence universelle...

Les Etats-Unis ont engagé après l'adoption du Statut une campagne pour la réouverture des négociations sur l'article 12 (projet de Protocole additionnel). Faute de progresser dans cette démarche, ils se concentrent depuis sur des dispositions susceptibles d'offrir une protection et poursuivent des efforts pour rapprocher le système de complémentarité de la Cour d'un système de subsidiarité, le Procureur se dessaisissant dès qu'un tribunal national est saisi. Ces efforts montrent peut-être qu'à terme ils finiront peut être par signer et ratifier le Statut de la Cour à la faveur d'un changement de majorité au Congrès et sous la pression extrêmement forte des organisations non gouvernementales américaines et de leur société civile qui fustigent cette position.

b) Un refus attendu de la Chine et de l'Inde, préoccupées par les conflits internes

Préoccupée par la question du Tibet, la Chine souhaitait exclure de la compétence de la Cour les conflits armés internes, préoccupation relayée par les pays non alignés. Elle a obtenu satisfaction : les conflits internes sont certes inclus dans le Statut, mais avec des garanties supérieures à celles contenues dans le Protocole II aux Conventions de Genève. L'article 8, paragraphe 3 du Statut, sur les crimes de guerre, stipule en effet que rien "n'affecte la responsabilité d'un gouvernement de maintenir ou rétablir l'ordre public dans l'Etat ou de défendre l'unité et l'intégrité territoriale de l'Etat par tous les moyens légitimes". Cette disposition particulièrement large n'a pas empêché la Chine de voter contre le texte en invoquant diverses raisons (l'article 12, le droit d'autosaisine...). Elle participe aux discussions relatives au Règlement de procédure et de preuve, en s'opposant à toute disposition créant des obligations pour les Etats non parties, ce qui traduit son intention de rester à l'écart.

L'Inde qui partageait les préoccupations de la Chine sur les conflits internes acceptait en outre difficilement que le système de complémentarité entre la Cour et les tribunaux internes donne la décision finale en cas de conflit à la Cour. Il s'agit là d'un empiétement jugé fondamental sur sa souveraineté. Par ailleurs, hostile par principe aux prérogatives du Conseil de sécurité, elle était opposée à la faculté donnée à ce dernier de saisir la Cour sur la base du Chapitre VII. A l'écart des négociations actuelles sur le Règlement de procédure et les "Eléments des crimes", il semble qu'elle souhaite rester en retrait.

c) L'attitude antagoniste d'Israël et des pays arabes

Bien qu'Israël ait participé activement aux négociations de Rome, l'article 8-2 b) viii) sur les crimes de guerre qui stipule : "le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d'une partie de sa population civile, dans le territoire qu'elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l'intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d'une partie de la population de ce territoire" fait obstacle à sa signature. Cette disposition peut viser des colons israéliens dans les Territoires occupés. Or, cet article acceptable par les Etats pilotes et la France conditionnait sinon l'adhésion du Groupe arabe au Statut, du moins de sa passivité lors du vote. L'article 12 du Statut met aussi Israël dans une position difficile. Un agent civil ou militaire israélien se déplaçant sur le territoire d'un Etat partie à la Convention peut faire l'objet d'une plainte ; l'Etat partie aurait l'obligation de remettre ce citoyen israélien à la Cour.

Comme l'a indiqué M. Omar Azziman, ministre de la Justice du Maroc, lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères, le 2 février dernier, des nuances existent dans les positions des Etats arabes. Le Maroc, convaincu à terme de l'utilité de cette juridiction, s'est efforcé de tempérer l'hostilité de principe des pays arabes à toute ingérence de puissances hégémoniques dans leurs affaires. Il s'est toutefois abstenu de signer la Convention de Rome par solidarité avec les autres Etats arabes.

2) Le rôle des Etats pilotes

Tout au long des négociations un groupe d'Etats dit Etats pilotes et comprenant la plupart des membres de l'Union européenne au premier rang desquels l'Allemagne ainsi que le Canada, l'Australie, l'Argentine, l'Afrique du Sud, etc. se sont donné pour objectif commun l'aboutissement rapide des travaux : cette coalition forte souhaitait conférer à la Cour une large compétence juridictionnelle, la doter d'un procureur indépendant jouissant de pouvoir important, limiter le rôle du Conseil de sécurité. Le groupe des Etats pilotes préconisait l'adoption d'une convention cadre laissant une grande autonomie à la cour quant à son règlement de procédure et une grande marge d'interprétation. Le groupe des Etats pilotes s'est inspiré dans ces propositions de l'exemple des tribunaux d'Arusha et de La Haye et du système procédural anglo-saxon et a utilisé le relais des organisations non gouvernementales pour faire valoir ses vues.

Le rôle des Etats pilotes a été dans une certaine mesure positive car ils ont conféré à la négociation l'impulsion nécessaire. Ils ont également contribué à apaiser les réticences voire l'hostilité des pays voisins des leurs. A cet égard l'Afrique du Sud a joué un rôle extrêmement positif en ralliant les pays du groupe de coopération d'Afrique australe et certains autres Etats africains limitant ainsi l'hostilité des pays non alignés à la création de la Cour. L'Argentine a contribué a apaiser les inquiétudes des pays latino-américains. Ouvert aux propositions françaises en matière de procédure, ce pays fut un Etat clef dans la négociation.

Le Japon, la Corée du Sud et Singapour se sont fortement investis dans la négociation. Singapour a émis des propositions constructives sur les rôles respectifs du Conseil de sécurité et de la Cour. A son initiative le Conseil peut demander à la Cour de ne pas enquêter pendant douze mois sur une affaire relevant du chapitre VII. Cette proposition a entraîné le ralliement de nombreux pays dont la France.

3) Le rôle spécifique et constructif de la France dans la négociation

Bien qu'ayant toujours appuyé le principe de la création d'une juridiction pénale internationale permanente la France s'est montrée très réservée au début des négociations, position qui fut mal comprise tant elle s'était impliquée dans la mise en place des deux tribunaux pénaux internationaux.

Dans la première phase de la négociation la France adopta une position extrêmement restrictive suscitant des critiques en France et à l'étranger et les avis motivés de la CNCDH des 16 janvier 1997 et 14 mai 1998. Elle exigeait, comme les Etats-Unis que la compétence de la Cour soit soumise au triple consentement cumulatif de l'Etat où les faits se sont produits, de celui de la nationalité des victimes et de celui des auteurs présumés vidant ainsi la Cour de presque toute possibilité d'action.

Cette attitude était guidée par le souci d'éviter que la Cour ne devienne une nouvelle enceinte politique où les Etats viendraient poursuivre leurs différends politico-militaires et qu'elle soit en mesure d'intervenir négativement sur des processus de maintien de la paix et de la sécurité internationale conduit par le Conseil de sécurité. Instruite par l'expérience parfois malencontreuse des tribunaux pénaux internationaux de La Haye et d'Arusha, la France demandait que le Statut de la future Cour soit détaillé et précis, et qu'une synthèse soit opérée entre les systèmes juridiques anglo-saxon et romano-germanique.

La France voulait en outre parvenir à l'adoption d'un statut suffisamment consensuel pour ne pas susciter l'hostilité des membres du Conseil de sécurité et notamment des Etats-Unis. Pendant toute la négociation et parfois au prix d'un certain isolement, elle s'est efforcée d'obtenir des garanties acceptables par les Etats-Unis afin qu'ils signent le Statut. Elle a échoué devant leur intransigeance. En revanche grâce à son action déterminée la délégation française a fait adopter des propositions très constructives qui permettront à la Cour de fonctionner de manière satisfaisante et incontestable. Ainsi comme le demandait la France le Statut de Rome est précis et détaillé. Les juges seront chargés de l'interprétation du droit et non de sa création. Tous les éléments clefs de la procédure et des modalités de coopération font l'objet de dispositions détaillées intégrées à la Convention.

De même la compétence matérielle de la Cour est limitée à un "noyau dur" : génocide, crimes contre l'humanité (commis de manière massive et systématique), crimes de guerre et violations graves du droit humanitaire, crime d'agression. La France a toujours estimé que l'inclusion d'autres crimes, de nature différente, comme le terrorisme ou le trafic de drogue, nuirait à la crédibilité et à l'efficacité de la Cour. Pour obtenir le ralliement des pays d'Amérique latine et des Caraïbes ainsi que celui des pays arabes, il a été prévu que cette question soit réexaminée lors d'une Conférence de révision, sept ans après l'entrée en vigueur du Statut.

Les infractions pénales sont définies. L'intention de commettre un crime est au centre de la définition des comportements coupables : il n'est pas de complicité possible, notamment par la fourniture de moyens, sans intention préalable de commettre le crime. La responsabilité pénale pour "omission", "négligence coupable" ou "non-assistance à personne en danger" est écartée du Statut. Dans le texte final et conformément aux v_ux de la France, les Etats ne sont pas déchargés de leur responsabilité ; la complémentarité de la compétence de la Cour est affirmée.

Le Statut porte création d'une institution sui generis, qui constitue le plus remarquable exemple d'une synthèse entre traditions juridiques : la chambre préliminaire imaginée par la France. Cette formation de juges assure le contrôle juridique des actes du procureur pendant la phase d'instruction, et l'égalité des armes entre la défense et l'accusation. Avant le renvoi devant une chambre d'instance, c'est devant la chambre préliminaire que les Etats pourront contester la compétence de la Cour ou la recevabilité d'une affaire. Les pays anglo-saxons, Etats-Unis, Australie et Royaume-Uni en tête, se sont longtemps efforcés de limiter les pouvoirs de cette Chambre, avant de reconnaître qu'elle contribuerait à pallier les principaux défauts de la procédure devant les Tribunaux d'Arusha et de La Haye (longueur des procès, cloisonnement entre les juges et le Procureur...).

C'est surtout sur les droits des victimes que la France a joué un rôle majeur. Elle a obtenu des dispositions instaurant d'une part un droit de participation des victimes à la procédure (articles 15, 19 et 68) et d'autre part un véritable régime de protection des témoins menacés ou traumatisés (articles 43, 54, 57) ainsi qu'un mécanisme de compensation en faveur des victimes, de leurs successeurs et ayants droit (article 75).

Des compromis se sont faits autour des propositions françaises : notamment sur la collégialité de l'autosaisine du procureur qui suppose l'accord de la chambre préliminaire, sur le respect des prérogatives du Conseil de sécurité et sur la proposition plus discutable de l'article 124 permettant de décliner la compétence de la Cour pendant sept ans pour les crimes de guerre.

En revanche, des propositions françaises judicieuses ont été rejetées : le procès par contumace comme la responsabilité des personnes morales sont exclus du Statut.

4) La présence des organisations non-gouvernementales

L'émergence des organisations non-gouvernementales sur la scène internationale comme interlocuteur incontournable a été largement confirmée lors des négociations de Rome. Plus que les parlementaires, les coordinations d'organisations non-gouvernementales structurées ont été associées à tous les débats et ont pesé de manière positive sur leur issue. Présentes sur le terrain depuis de nombreuses années, ces organisations ont été en première ligne des tragédies vécues par les populations civiles dans les conflits qui ont marqué notre époque. Témoins centraux des dysfonctionnements de la société internationale et de l'incapacité ou de la violence des Etats, informées en temps réel elles sont désormais partie prenante du dialogue entre les Etats et les organisations internationales par des campagnes d'opinion. Efficaces, elles savent mobiliser la société civile et réagir plus rapidement aux événements que les institutions internationales ou les Etats.

Parties prenantes de la négociation de la Convention de Rome, elles se voient reconnaître un rôle non négligeable dans le fonctionnement de la Cour. L'alinéa 2 de l'article 15 du Statut stipule que le procureur de la Cour peut ouvrir proprio motu une enquête au vu de renseignements émanant d'organisations non-gouvernementales. Il est fort possible qu'elles soient largement impliquées dans l'aide et la protection des victimes comme dans leurs représentations autres de la Cour.

Les positions prises par ces différents acteurs ont un impact sur les négociations en cours au sein de la commission préparatoire.

B - Un enjeu important : les négociations au sein de la commission préparatoire

Des textes d'application étant nécessaires pour faciliter le travail quotidien des futurs personnels de la Cour et la coopération des Etats, la conférence de Rome a créé, conformément à la résolution F paragraphe 5 de l'acte final, une commission préparatoire pour la Cour pénale internationale ouverte à tous les Etats, même non signataires, l'objectif étant d'encourager les Etats à signer et non à les exclure du processus.

Organe subsidiaire de l'Assemblée Générale des Nations Unies à laquelle elle rend compte, la commission préparatoire a déjà tenu trois sessions en 1999 et tiendra à nouveau trois sessions en 2000. Elle est présidée par M. Philippe Kirsch (Canada) qui avait déjà présidé la conférence de Rome. La Commission a un mandat lourd et diversifié : elle doit achever le 30 juin 2000 l'élaboration du Règlement de procédure et de preuve de la Cour et des "éléments des crimes".

Elle doit en outre procéder à l'élaboration du règlement financier de la Cour, d'un accord avec les Nations Unies, d'un accord de siège, d'un accord sur les privilèges et immunités, d'un projet de règlement intérieur de l'Assemblée des Etats-parties et d'une définition de l'agression en vertu de l'article 5 du Statut, qui est déterminante pour nombre de pays, notamment les non-alignés.

1) Le Règlement de procédure et de preuve, enjeu majeur des négociations

Pour la France, le règlement de procédure et de preuve est un enjeu majeur puisqu'il confirmera ou infirmera les orientations prises en matière de procédure. De ce règlement dépendra l'équilibre fragile instauré dans le Statut de Rome entre les systèmes juridiques anglo-saxon et romano-germanique.

L'article 51 du Statut prévoit explicitement que ce règlement est "conforme aux dispositions du Statut de Rome".

La première tâche des négociateurs consistera à faciliter l'application pratique du Statut, en harmonisant des dispositions qui, examinées à Rome en groupes de travail parallèles, contiennent parfois certaines incohérences. La France, très impliquée dans la négociation, s'est particulièrement investie, et c'est judicieux, dans les modalités de la participation des victimes et souhaite que leurs droits de participation autonome aux débats, à la protection, à des réparations, soient clairement affirmés et facilités par le Règlement. La France a d'ailleurs organisé un colloque international à Paris au mois d'avril 1999 sur "l'accès des victimes à la Cour pénale internationale". Sur cette question, l'opposition est encore forte dans les négociations entre la France et les pays de tradition anglo-saxonne qui tentent de limiter la portée des dispositions pertinentes du Statut. Tous les interlocuteurs entendus par votre Rapporteur soutiennent les positions prises par la France sur le droit des victimes. Leur accès à la justice pénale internationale, essentiel à la lutte contre l'impunité, est nécessaire aux victimes. La reconnaissance des faits et la punition des auteurs réduit leur souffrance et les aide à surmonter leur traumatisme.

La France s'est également impliquée dans la négociation sur la place des conseils de la défense car les règles qui leur sont appliquées, notamment en matière de commissions d'office, font l'objet de difficultés devant les tribunaux pénaux internationaux. La France a introduit des dispositions encourageant la création d'une délégation des conseils de la défense auprès de la Cour pénale internationale, qui servira d'interlocuteur aux organes de la Cour pour toutes les questions d'intérêt commun. MWilliam Bourdon a insisté sur l'enjeu de cette négociation qui est capital pour faciliter les débats devant la Cour et par là même l'accès des victimes.

2) L'importance de la négociation sur les "éléments des crimes"

L'article 9 du Statut prévoit que les éléments des crimes "aident la Cour à interpréter et appliquer les articles 6, 7 et 8" du Statut.

Les Etats-Unis se sont investis dans l'élaboration de ce document et ont présenté un projet décrivant toutes les preuves à apporter pour établir la culpabilité d'un accusé, de manière autonome par rapport à la Convention de Rome, anticipant ainsi sur l'_uvre jurisprudentielle de la Cour. Des consultations franco-américaines tenues à Paris en janvier 1999 ont permis de retrouver un équilibre. Les liens structurels entre le Statut et les "éléments" sont réaffirmés.

Pour les juristes français, ces "éléments" doivent garder un caractère indicatif, car ils ne sont ni adoptés, ni amendés de manière aussi rigoureuse que les définitions des crimes contenues dans le statut. Ils ne doivent pas modifier indirectement le Statut en introduisant des dispositions récentes comme l'omission, mais viser à préciser certaines définitions, à ajouter des points de nature jurisprudentielle ou des commentaires destinés à guider les juges, et non à les lier. De même, la France cherche par des références jurisprudentielles à préserver aux "éléments des crimes" leur caractère indicatif.

3) La définition du crime d'agression

Les négociations n'ayant pu aboutir à Rome, c'est à la commission préparatoire pour la Cour pénale internationale qu'il revient d'élaborer une définition du crime d'agression compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. Les travaux de la commission préparatoire sur cette question sont coordonnés avec la Tanzanie. (voir infra)

C - La nécessaire adaptation des législations internes ralentit les processus de ratification

1) L'état des procédures de ratification

A ce jour, six pays sur quatre-vingt treize signataires ont ratifié la Convention de Rome (Fidji, Ghana, Italie, San Marin, Sénégal et Trinité et Tobago).

Au niveau de l'Union européenne, presque tous les pays ont entamé leur procédure de ratification. Certains, comme l'Irlande, doivent réviser leur constitution car le Statut porte atteinte à la souveraineté de la justice, d'autres, tels l'Espagne et les pays scandinaves sont tenus d'harmoniser leur législation avant de voter une loi de ratification. Des dispositions contenues dans la Convention de Rome concernant la remise des nationaux à la Cour heurtent des principes et traditions juridiques ; c'est le cas pour l'Allemagne. Le Royaume-Uni doit dans un même temps modifier sa législation interne et élaborer une loi de coopération.

S'agissant des pays voisins, la Suisse doit réformer une grande partie de son Code pénal avant de ratifier. La République tchèque ne semble pas en mesure de s'engager dans un processus de ratification complexe et peu populaire - le jugement de ressortissants tchèques par une juridiction étrangère reste un sujet sensible - et dont l'importance est jugée bien moindre que celle du processus d'intégration à l'Union européenne. La Slovénie rencontre d'importantes difficultés pour ratifier, malgré sa volonté politique affirmée. Le ministère de la justice a de faibles moyens, absorbés par l'adaptation aux règles européennes. La Pologne se heurte elle aussi au principe constitutionnel de la non-extradition des nationaux.

La Russie a signé le Statut mais la ratification sera problématique. L'interdiction des réserves édictée par la Convention de Rome pourrait constituer un obstacle car la Douma n'admet pas ce type d'interdit.

En Amérique latine, l'Argentine, signataire, reste prudente dans son processus interne de ratification et le Brésil n'a toujours pas signé. Aucun pays asiatique, à l'exception du Bangladesh, n'a signé la Convention de Rome, même si le Japon, la Corée du Sud et Singapour se sont montrés actifs dans la négociation. Le Japon semble attendre l'issue des négociations sur le règlement de procédure pour faire le point des vastes réformes législatives qui seront nécessaires pour lui permettre de signer la Convention. L'Afrique du Sud, signataire, active dans les négociations, se pose dans son processus de ratification des questions relatives à l'articulation entre le politique et le judiciaire et qui touchent à l'amnistie.

2) L'adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale

La France a successivement adopté deux lois d'adaptation pour les Tribunaux pénaux internationaux, pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda : la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 et la loi n° 96-432 du 22 mai 1996. Si le Conseil de sécurité devait créer un nouveau tribunal, une nouvelle adaptation législative serait nécessaire.

a) Les modalités de coopération avec la Cour pénale internationale

En vertu du Statut, elles sont déterminées par la loi nationale. L'architecture générale de la loi précitée du 2 janvier 1995 pourrait servir à la réflexion. Il a d'ores et déjà été décidé que les communications entre la Cour et la France transiteraient par la voie diplomatique. La loi devra prévoir notamment les modalités de la remise à la Cour des inculpés, y compris d'éventuels inculpés de nationalité française.

b) Prévoir de nouvelles incriminations

Des dispositions ajoutant certaines incriminations qui ne figureraient pas en droit pénal français ou complétant éventuellement celles qui existent déjà devront être élaborées : l'article 7 de la convention portant définition des crimes contre l'humanité contient des références explicites aux grossesses forcées, à la stérilisation forcée, à l'apartheid qui ne sont pas spécifiquement incriminées dans les dispositions correspondantes du code français.

c) Définir les mesures d'exécution sur le territoire français des décisions de la Cour

Il conviendra de prendre des mesures permettant l'exécution sur le territoire français de décisions de la Cour pénale internationale allouant des réparations en faveur des victimes (article 75 du Statut) ; l'exécution de peines d'amende contre une personne condamnée résidant en France et sur l'exécution de mesures conservatoires.

d) La question de l'imprescriptibilité de tous les crimes relevant de la compétence de la Cour

Si le crime de génocide et les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles en droit français, il n'en est pas de même pour les crimes de guerre. Cette question est évoquée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 janvier 1999 : la Cour aura en effet la possibilité d'engager des poursuites à raison de faits relevant de la juridiction française mais couverts en droit interne par les règles de prescription.

Pour la France le problème de la modification de sa législation interne concernant la prescription des crimes de guerre se posera donc. M. Pierre Truche s'est interrogé sur la méthode qui sera employée pour conduire cette réforme souhaitable d'autant que la France s'apprête à ratifier le protocole additionnel numéro 1 aux conventions de Genève qui contient des dispositions concernant cette catégorie de crimes.

CONCLUSION

Face aux crimes abominables perpétrés au cours du XXème siècle. Face à l'impunité odieuse de leurs auteurs, la création de la Cour pénale internationale était devenue urgente à l'égard des victimes et urgente aux yeux de tous ceux qui mènent un combat pour le respect des droits de l'Homme et pour la promotion d'un droit humanitaire international efficace et réellement protecteur. Il est permis d'espérer que la création de cette juridiction décourage les criminels et signifie aux bourreaux que les temps de la tranquille impunité sont révolus.

La France a joué et continue de jouer un rôle important dans la naissance de cette institution. Elle est l'un des premiers pays à avoir révisé sa constitution pour la mettre en conformité avec la Convention de Rome et elle sera parmi les premiers Etats à la ratifier.

Mais elle envisage, et c'est regrettable, d'être le premier pays à exprimer une certaine défiance en déclinant la compétence de la Cour sur les crimes de guerre. Le message qu'elle délivrerait alors au monde risquerait d'être brouillé et notre Commission se doit de prendre position sur ce point.

Votre Rapporteur propose que, tout en ratifiant la Convention de Rome, la Commission demande solennellement un réexamen par la France de son intention d'utiliser la déclaration de l'article 124. Elle montrerait ainsi son attachement et sa confiance en une institution que des générations de juristes français ont appelée de leur v_ux.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 8 février 2000.

Après l'exposé du Rapporteur, Le Président Jack Lang a remercié le Rapporteur pour son exposé et a regretté l'intention annoncée par le Gouvernement d'utiliser la faculté ouverte par l'article 124.

M. Roland Blum a demandé pour quelles raisons la Chine et les Etats-Unis n'avaient pas signé la Convention et si un particulier pouvait saisir directement la Cour. Il a également souhaité des détails supplémentaires sur la procédure de nomination du Procureur.

M. Pierre Brana a précisé que les Etats-Unis avaient voté contre la Convention de Rome car ils ne souhaitaient pas voir leurs nationaux traduits devant d'autres juridictions que les juridictions américaines. La Chine avait accompli la même démarche pour cette raison et parce qu'elle n'était pas favorable à l'extension aux conflits internes des crimes de guerre en raison de la situation au Tibet.

La Cour pénale peut être saisie par le Procureur, les Etats Parties et le Conseil de sécurité qui lui défèrent une situation dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. C'est par leur intermédiaire que les particuliers peuvent agir et notamment les victimes. A cet égard, l'alinéa 2 de l'article 15 du Statut permet au Procureur d'ouvrir une enquête au vu de renseignements émanant de sources dignes de foi, et notamment d'organisations non-gouvernementales.

Le Président Jack Lang a ajouté que le Procureur avait la possibilité de s'autosaisir mais que le droit de saisine appartenait également aux Etats Parties et au Conseil de sécurité.

M. Pierre Lequiller a voulu connaître le nombre d'Etats ayant ratifié la Convention et savoir si le nombre minimum de 60 pays, nécessaire à son entrée en vigueur, avait des chances d'être atteint. Il a précisé que le texte ne s'appliquera pas erga omnes mais aux seuls pays signataires, ce qui restreint son champ d'application. Rappelant la déclaration de M. Alain Madelin, il a toutefois estimé que ce texte constituait un progrès incontestable.

M. Pierre Brana a indiqué que la France serait le septième pays à ratifier la Convention de Rome et que selon certains experts le chiffre de 60 pourrait être atteint à la fin de l'année prochaine car de nombreux Etats ont déjà entamé leur procédure de ratification. Dans certains pays, ce processus est long, car une réforme de la législation pénale est un préalable obligatoire à la ratification.

M. Jacques Myard a déclaré qu'il partageait les objectifs éthiques qui sous-tendent cette convention : "punir les méchants". Mais il a jugé que ce texte pouvait à l'usage se révéler dangereux car il reposait sur le présupposé que les justes gagnent toujours. Il existe un risque que cette Convention mette en place, non pas une justice fondée sur le respect des droits de l'Homme, mais sur le droit des vainqueurs. L'histoire montre que les dictateurs eux aussi savent utiliser des tribunaux. Lors de la seconde guerre mondiale une victoire nazie aurait signifié le jugement et la condamnation d'un Churchill et d'un de Gaulle.

Selon lui, il est naïf de vouloir organiser une Cour pénale internationale sur un modèle démocratique. La procédure de nomination des juges et du Procureur par les Etats n'apporte aucune garantie de véritable justice. Les rédacteurs du Statut en sont conscients puisqu'ils ont prévu grâce à l'article 127 une possibilité de retrait des Parties.

La définition du crime de guerre peut faire l'objet de beaucoup d'interprétations et par exemple s'appliquer à certains chefs d'Etat et de gouvernement ayant décidé le bombardement d'un Etat souverain sans l'accord du Conseil de sécurité. L'emploi de la force de frappe est-il même compatible avec ce texte ? C'est ce problème qui a incité les Etats-Unis à refuser cette Convention.

D'après M. Jacques Myard, la Convention de Rome comporte de nombreux dangers et c'est la raison pour laquelle il a déclaré y être hostile.

Répondant à M. Jacques Myard, le Président Jack Lang a considéré que l'argument de l'existence d'un droit de retrait est inopérant, ce type de clause figurant très souvent dans les traités internationaux. Dans le cas présent, le retrait ne peut intervenir qu'après un délai d'un an suite à sa notification. C'est grâce à une disposition semblable que la France avait malheureusement pu retirer son acceptation de la clause de juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice de La Haye en 1974. L'article 8 du Statut définit clairement la notion de crimes de guerres, toute frappe militaire ne peut y être assimilée.

Certes, le Statut de la Cour est imparfait, c'est un texte de transition, le principe de réalisme impliquant de prendre en compte un minimum de droits souverains.

M. Pierre Brana a précisé que les dispositions de l'article 8 du Statut n'interdisaient pas le recours à l'arme nucléaire. Cette question avait été débattue à Rome. Le paragraphe 2 b)xx de cette disposition stipule qu'est qualifiée de crime de guerre l'utilisation d'armes ayant déjà fait l'objet d'une interdiction générale, ce qui n'est pas le cas de l'arme nucléaire.

M. Jacques Myard a rappelé que certains traités internationaux ne prévoyaient pas de possibilité de retrait, comme le pacte Briand-Kellogg de 1928 ou certains traités d'amitié. De même, l'existence de la notion de jus cogens montre qu'en droit international, il est envisageable pour des Etats de lier leur volonté pour le futur. Le Statut de la Cour prévoit pourtant explicitement la possibilité d'un retrait, ce qui démontre que les négociateurs ont admis le caractère prématuré de ce texte au regard de la situation internationale.

Le Président Jack Lang a fait valoir que la comparaison avec le pacte Briand-Kellogg est impossible car ce texte était fondé sur le principe général de l'abolition de la guerre. Or la convention examinée ce jour est un texte d'organisation et de procédure, et non de fond.

Mme Marie-Hélène Aubert a souligné que la Convention de Rome constituait un progrès considérable, même si elle est encore perfectible, sur la question des frappes nucléaires dont elle a regretté l'absence d'interdiction. Le fonctionnement des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a montré qu'une justice internationale était possible et utile. Pour autant, prévenir les conflits reste nécessaire, car il n'y a pas de fatalité aux génocides et aux crimes de guerre.

S'agissant de la déclaration de l'article 124, elle a approuvé totalement la position du Rapporteur. L'impact d'une telle déclaration serait détestable sur l'opinion. La France donnerait un très mauvais exemple aux autres Etats dans la mesure où le processus de ratification ne fait que commencer. Les craintes de plaintes abusives sont largement exagérées, comme l'a bien montré le Rapporteur. S'il y a des plaintes infondées, elles seront rejetées. Certains militaires eux-mêmes craignent qu'une telle déclaration ne fasse naître des soupçons injustifiés. Ils estiment n'avoir rien à dissimuler.

Mme Martine Aurillac a souscrit à la présentation du Rapporteur selon laquelle la convention doit être envisagée comme un instrument de progrès, la Cour étant dotée d'un Statut prudent. La réserve de l'article 124 peut être utile pour voir quel sera le fonctionnement concret de la Cour. La Convention crée un système de complémentarité entre la Cour et les tribunaux nationaux, dont on peut se demander s'il n'équivaut pas à une subsidiarité. Des incertitudes demeurent cependant. Ainsi, la Convention fait obligation aux Etats de poursuivre un criminel de guerre mais que se passera-t-il si une telle personne se place sous la protection d'un autre Etat ? D'autre part, de quelle façon les juges seront-ils élus ? Enfin, la procédure prévue implique une très large coopération internationale. L'indépendance des magistrats et le financement du fonctionnement de la Cour seront à surveiller.

M. Pierre Brana a apporté les réponses suivantes : la Cour n'est pas une instance subsidiaire des juridictions nationales ; elle leur est complémentaire. La Cour peut se saisir d'une affaire, d'une part, en cas de défaillance de ces juridictions impossibilité matérielle de fonctionnement et, d'autre part, en cas de mauvaise volonté d'un Etat. L'article 17 paragraphe 2 du Statut précise cette notion : absence d'acte d'instruction, retard injustifié de la procédure, volonté de soustraire la personne à sa responsabilité pénale, etc.

Les juges comme le Procureur sont élus au scrutin secret par l'Assemblée des Etats Parties et, aux termes de l'article 36 du Statut, doivent avoir une expérience et des compétences reconnues dans les domaines du droit pénal et du droit international humanitaire et représenter de façon équitable les différentes traditions juridiques des Etats, ce qui confère un certain nombre de garanties quant à leur compétence.

La coopération avec la Cour pénale est obligatoire pour les Etats Parties ou pour ceux qui pour une affaire déterminée ont accepté sa compétence.

M. Jean-Claude Lefort a apporté son soutien à la Convention, même si le progrès qu'elle apporte est limité. Il s'est étonné du ralliement exceptionnel de M. Jacques Myard à la position des Etats-Unis et a cependant regretté que deux pays membres permanents du Conseil de sécurité aient voté contre le Statut, car cela jette le doute sur la possibilité d'une saisine de la Cour par le Conseil de sécurité. Toutefois, l'universalité visée par la Convention paraît atteinte.

M. Jean-Claude Lefort a approuvé les observations du Rapporteur sur la volonté manifestée par la France d'utiliser l'article 124, jugeant regrettable que l'on donne à croire que notre pays n'est pas pleinement Partie à la nouvelle procédure. Cette déclaration ayant un caractère politique, on peut penser qu'elle pourrait ne pas être faite.

M. François Loncle a estimé que le Gouvernement devra, lors du débat en séance publique, présenter plus précisément les raisons de sa volonté d'utiliser la déclaration de l'article 124, afin de convaincre les parlementaires.

Le Président Jack Lang a observé qu'il était surprenant de la part du ministère des Affaires étrangères d'assortir systématiquement les différentes conventions signées de réserves ou de déclarations restrictives. Il a rappelé que la France n'acceptait toujours pas la juridiction de la Cour internationale de justice de La Haye pour des raisons peu compréhensibles et que la notion de jus cogens est toujours redoutée par les chancelleries. L'absence de ratification par la France de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités le démontre. Ces réticences ont un caractère tout à fait surréaliste.

Comme le Gouvernement souhaite la ratification du Statut de la Cour, le Président a proposé que la Commission, qui est limitée juridiquement dans son expression, approuve les réserves faites par le Rapporteur.

M. Jacques Myard a mis en garde contre une idéalisation de la communauté internationale et du fonctionnement des juridictions internationales. Il a rappelé que l'arbitrage, considéré à un certain moment comme la panacée, a ensuite été discrédité à cause de cas de corruption. Comment être convaincu de l'indépendance des juges de la future Cour ?

Le Président Jack Lang a souligné qu'ayant rencontré de nombreux magistrats, membres de juridictions internationales, il n'a pas eu le sentiment que de telles personnalités, choisies à l'issue d'un parcours sans faute dans leur pays, puissent être perméables à des arguments corrupteurs.

En conclusion, il a proposé que la Commission adopte le projet de loi et qu'elle accompagne son adoption d'observations sur l'utilisation de l'article 124.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2065).

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la Convention figure en annexe au projet de loi (n° 2065).

Liste des annexes

Annexe 1 - Liste des personnes entendues par M. Pierre Brana, Rapporteur

Annexe 2 - Liste des Etats signataires de la Convention de Rome et liste des Etats ayant ratifié

Annexe 3 - Déclaration interprétative de la France sur l'article 8

Annexe 4 - Comparaison entre la Cour pénale internationale et les Tribunaux pénaux internationaux

Annexe 5 - Tableau comparatif des dispositions du statut de la CPI et des dispositions d'autres textes internationaux préexistants

Annexe 6 - Extrait de la résolution des Nations Unies du 14 décembre 1974 sur la définition du crime d'agression

Annexe 7 - Avis de la Commission Nationale Consultative des droits de l'Homme du 16 janvier 1997 et du 14 mai 1998

Annexe 8 - Conclusions de la note d'orientation de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme du 15 février 1999

ANNEXE I

Liste des personnes entendues par M. Pierre Brana, Rapporteur

- Audition des représentants de la Coalition française pour une Cour pénale internationale du 25 janvier 2000 : M. Jean Follana, Président de la Coalition, (membre d'Amnesty International), M. Patrick Baudoin, Président de la Fédération Internationale des droits de l'Homme, Mme Françoise Saulnier, Directeur de recherche, membre de la Fondation Médecins sans frontières, Mme Sylvie Bukhari de Pontual, (membre de la Fédération internationale de l'Action des Chrétiens pour l'abolition de la torture), Mme Carole Dubrulle, (membre d'Action contre la faim), M. Frédéric Paris, (Syndicat de la magistrature), Mme Graziela Robert, Déléguée aux droits de l'Homme de Médecins du Monde, Mme Jeanne Sultzer, Chargée de programme à la Fédération internationale des droits de l'Homme ;

- Audition des représentants du Ministère des Affaires étrangères le 25 janvier 2000 : M. Harold Valentin, Conseiller technique, M. Bertrand Fort, Conseiller technique, chargé des relations avec le Parlement, M. Jean-Luc Florent, Délégué dans les fonctions de sous-directeur du droit international public général, Mme  Béatrice Le Fraper du Hellen, chargée de mission à la Direction des affaires juridiques ;

- Audition des représentants du Ministère de la Justice le 26 janvier 2000 : M. Jean-Baptiste Avel, adjoint du Chef de service des Affaires européennes et internationales, M. Antoine Buchet, Chef du Bureau des droits de l'Homme de ce service ;

- Audition des représentants du Ministère de la Défense le 26 janvier 2000 : M. Jacques Audibert, Conseiller diplomatique, M. Christian Lechervy, Conseiller technique chargé des affaires internationales, M. Eric Perraudeau, Conseiller technique, chargé des relations avec le Parlement, chef adjoint du Cabinet ;

- Audition de Me William Bourdon, Secrétaire général de la Fédération internationale des droits de l'Homme le 27 janvier 2000 ;

- Audition de M. Pierre Truche, Président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et M. Mario Bettati, Vice-président de cette Commission, Professeur de droit international, le 31 janvier 2000 ;

- Audition de M. Rony Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères le 1er février 2000.

ANNEXE 2

POUR DES RAISONS TECHNIQUES,
L'ANNEXE 2 N'A PU ETRE REPRODUITE

ANNEXE 3

DECLARATION INTERPRETATIVE DE LA FRANCE

(1) Les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale ne font pas obstacle à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense, et ce conformément à l'article 51 de la Charte.

(2) Les dispositions de l'article 8 du Statut, en particulier celles du paragraphe 2 p), concernent exclusivement les armements, classiques et ne sauraient ni réglementer ni interdire l'emploi éventuel de l'arme nucléaire ni porter préjudice aux autres règles du droit international applicables à d'autres armes, nécessaires à l'exercice par la France de son droit naturel de légitime défense, à moins que l'arme nucléaire où' ces autres armes ne fassent l'objet dans l'avenir d'une interdiction générale et ne soient inscrites dans une annexe, au Statut, par voie d'amendement adopté selon les dispositions des articles 121 et 123.

(3) Le Gouvernement de la République française considère que l'expression « conflit armé » dans l'article 8, paragraphes 2 b) et c), d'elle-même et dans son contexte, indique une situation d'un genre qui ne comprend pas la commission de crimes ordinaires, y compris les actes de terrorisme, qu'ils soient collectifs ou isolés.

(4) La situation à laquelle les dispositions de l'article 8, paragraphe 2 b) (xxiii) du Statut font référence ne fait pas obstacle au lancement par la France d'attaques contre des objectifs considérés' comme des objectifs militaires en vertu du droit international humanitaire..

(5) Le Gouvernement de la République française déclare que l'expression « avantage militaire » à l'article 8 paragraphe 2 b) (iv) désigne l'avantage attendu de l'ensemble de l'attaque et non de parties isolées ou particulières de l'attaque.

(6) Le Gouvernement de la République française déclare qu'un zone spécifique peut être considérée comme un « objectif militaire », tel qu'évoqué dans l'ensemble du paragraphe 2 b) de l'article 8, si, à cause de sa situation ou de sa nature, de son utilisation ou de son emplacement, sa destruction totale ou partielle, sa capture ou sa neutralisation, compte-tenu des circonstances du moment, offre un avantage militaire décisif.

(7) Le Gouvernement de la République française considère que le risque de dommages à l'environnement naturel résultant de l'utilisation des méthodes et moyens de guerre, tel qu'il découle des dispositions de l'article 8 paragraphe 2 b) (iv), doit être analysé objectivement sur la base de l'information disponible au moment où il est apprécié.

Le Gouvernement de la République française considère que les dispositions de l'article 8 paragraphe 2 b) (ii) et (v) ne visent pas les éventuels dommages collatéraux résultant des attaques dirigées contre des objectifs militaires.

POUR DES RAISONS TECHNIQUES,
LES ANNEXES 4, 5 ET 6 N'ONT PU ETRE REPRODUITES

ANNEXE7

AVIS
portant sur la création d'une Cour criminelle internationale

(Adopté le 16 janvier 1997)

La Commission nationale consultative des droits de l'homme

- Rappelant son avis du 4 juillet 1991 concernant la création d'une Cour pénale internationale, ainsi que ses avis du 29 octobre 1992, du 7 juillet 1994 et du 19 décembre 1995 relatifs aux tribunaux ad hoc mis en place par le Conseil de Sécurité ;

- Rappelant. l'échange de correspondance du 17 octobre et du 23 octobre 1996 entre le Président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et le Premier ministre

- Soulignant l'importance du précédent que constituent le Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda pour l'avenir de la justice internationale, et saluant la contribution importante de la France à la création puis 'au bon fonctionnement du Tribunal, notamment grâce aux témoignages apportés par les "casques bleus" français

- Prenant acte des difficultés rencontrées par le Comité préparatoire mis en place par l'Assemblée générale des Nations Unies à la suite des travaux de la Commission du droit international (CDI) tendant à la création, sur une base permanente, d'une "Cour criminelle internationale"

- Ayant pris connaissance des propositions présentées par la délégation française à la 2ême session du Comité préparatoire réuni à New-York en août 1996 ainsi que des autres propositions recensées dans le rapport du Comité préparatoire (A/51/22).

- Particulièrement inquiète sur le risque de voir - les discussions en cours au sein du Comité préparatoire s'enliser, sans permettre de créer une véritable Cour pénale internationale, efficace et universelle, au service -de la paix et de la justice internationales

- Prenant acte de la résolution de la 6ème Commission de l'Assemblée générale d es Nations Unies, adoptée avec le soutien du Gouvernement français, prévoyant la convocation d'une conférence internationale de plénipotentiaires en juin 1998.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme :

1 - Exprime au Gouvernement de la République son attachement au projet de création d'une Cour criminelle internationale.

2 - Réaffirme son adhésion au principe d'une compétence universelle et obligatoire de la Cour pour tous les Etats membres des Nations Unies.

Elle rappelle à cet égard sa préférence pour la voie d'u ne double résolution de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité, et souhaite que le gouvernement français conserve à l'esprit l'intérêt de cette procédure.

Dans la perspective de la voie conventionnelle envisagée par la résolution précitée, elle demande en tout cas que la Convention puisse entrer en vigueur intégralement avec un nombre restreint de ratifications de manière à ce qu'elle puisse s' appliquer dans les meilleurs délais.

3- Rappelle les principes sur lesquels doit se fonder la création d'une telle instance internationale :

a) La Cour, dans l'attente de la définition éventuelle d'un véritable code pénal international, devra être saisie à l'exclusion de tous autres, des crimes suivants

- crime de génocide,

- crimes contre l'humanité,

- crime d'agression,

- crimes de guerre.

b) La ratification de la Convention tiendra lieu de pleine acceptation de la compétence de la Cour à l'égard de tous les crimes visés ci-dessus, sans aucune réserve. La compétence

de la Cour s'exercera sans déclarations facultatives d'acceptation ou conditions préalables de la part des Etats.

c) La Cour pourra être saisie par tout Etat partie ou à l'initiative du Procureur général.

d) La Cour sera composée de juges élus par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale selon les mêmes critères d'indépendance et de compétence qui prévalent pour l'élection des juges de la Cour internationale de justice.

e) Le Parquet aura à sa tête un Procureur général indépendant élu selon les mêmes modalités que les juges, sur proposition du Secrétaire général des Nations Unies.

f) Les Etats parties devront coopérer et prendre les dispositions internes nécessaires pour permettre la recherche et l'arrestation des personnes faisant l'objet de poursuites. Cette obligation devrait être étendue à tous les Etats membres des Nations Unies. Tout Etat devra assurer l'exécution des décisions du Procureur général et l'arrestation des personnes ayant fait l'objet de poursuites, ou d'une condamnation de la Cour.

g) La Cour aura la possibilité, dans le respect des droits de la défense, de prononcer des jugements par défaut à l'encontre d'accusés qui se soustrairaient volontairement à sa juridiction.

h) Le Statut de la Cour devra prévoir, comme cela a été le cas pour le Tribunal international de Nuremberg, la responsabilité pénale des personnes morales.

i) Les arrêts de la Cour seront susceptibles de recours ou de révision devant une Chambre d'appel, à l'instar des procédures en. vigueur auprès du Tribunal pénal international de La Haye.

j) La Cour et le Parquet devront disposer des moyens humains et matériels nécessaires au plein exercice de leurs fonctions, et notamment d'un corps d'enquêteurs internationaux, le budget ordinaire des Nations Unies devant contribuer à titre principal au financement de ces moyens.

AVIS
SUR LA CRÉATION D'UNE COUR CRIMINELLE
INTERNATIONALE

(Adopté par l'Assemblée plénière du 14 mai 1998)

-Rappelant son action continue en faveur dé la création d'une Cour criminelle internationale, depuis. son avis du 4 juillet 1991 qui préconisait l'institution d'une Cour pénale dont la compétence serait « universelle et obligatoire » pour juger les grandes infractions définies par le Statut du Tribunal international de Nuremberg;

-Rappelant ses avis successifs sur la justice internationale pénale et notamment l'avis du 16 janvier 1997- réaffirmant ses positions de principe et souhaitant que la France joue un rôle plus constructif que par le passé au sein du Comité préparatoire mis en place par les Nations Unies pour rédiger un projet de Statut de la Cour criminelle internationale;

-Saluant la convocation d'une conférence diplomatique à Rome du 15 juin au 17 juillet 1998 et prenant note des progrès accomplis lors de la dernière réunion du Comité préparatoire (mars-avril 1998), notamment à la suite des initiatives françaises concernant la complémentarité des compétences de la Cour avec celles des juridictions nationales, la création d'une chambre préliminaire au sein de la Cour, ainsi que la prise en compte d'un droit à réparation des victimes;

-Regrettant toutefois qu'encore trop souvent la France semble adopter une attitude réticent-, qui non seulement contribue à lui donner une image négative contraire à ses principes, mais surtout qui risque de compromettre l'objectif souvent réaffirmé - en particulier par le Premier ministre, le 17 mars 1998 devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies de voir mettre en place, le plus rapidement possible, une juridiction indépendante et efficace;

-Consciente des difficultés d'une négociation multilatérale aussi complexe et de la nécessité de rechercher des compromis acceptables par le plus grand nombre d'Etats, mais soucieuse que ne soient pas remis en cause les principes qui doivent fonder une juridiction pénale internationale digne de ce nom en servant de caution aux Etats les plus réfractaires à la création d'une telle Cour;

-Soulignant l'importance fondamentale, plus de cinquante ans après la création du Tribunal international de Nuremberg et après l'expérience récente des deux Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie (TPI) et pour le Rwanda (TPR), de voir couronner de succès les travaux de la conférence de. Rome;

La Commission nationale consultative des droits de l'homme:

1- Appelle solennellement les plus hautes autorités françaises à prendre clairement et fermement les positions de principe que le droit et l'histoire nous imposent, en sortant de l'attentisme longtemps observé lors de la négociation préparatoire, pour adopter une attitude constructive qui sera décisive pour donner pleinement forme à la négociation finale.

2 - Souhaite que la France développe une concertation étroite au sein des Quinze afin que l'Union européenne puisse contribuer en tant que telle, avec tous ses autres partenaires, à cette nouvelle dynamique en faveur de la justice internationale, au service de la paix et de la lutte contre l'impunité.

3 - Recommande que les autorités françaises défendent les positions suivantes

a - la compétence de base de la future Cour doit viser le « noyau dur » des crimes, constitué par les infractions définies à l'occasion du procès de Nuremberg : le génocide, les crimes contre l'humanité, le crime d'agression et les crimes de guerre.

b -s'agissant de la définition des crimes de guerre, doivent être visées les violations graves du droit international humanitaire commises dans les conflits tant qu'internes, tels que définis par les Conventions de Genève et leurs deux Protocoles additionnels.

c - cette compétence de la Cour doit tout aussi logiquement être inhérente et universelle en écartant toute forme de consentement spécifique de la part des Etats, dans la mesure même où ces crimes qui heurtent la conscience de l'humanité sont internationaux par nature.

d -- la saisine du Conseil de sécurité, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ne doit pas faire obstacle à la compétence de la Cour.

e - la création d'une chambre préliminaire ne doit pas remettre en cause tout pouvoir d'initiative du procureur, mais bien au contraire instituer une complémentarité des rôles, permettant au procureur d'engager et de mener en pleine indépendance des enquêtes préliminaires et laissant à la Chambre son rôle entier de contrôle.

f - la Cour doit bénéficier de la coopération la plus large des Etats parties qui veilleront à donner plein effet à leurs obligations internationales dans leur droit interne.

g- conformément aux précédents du TPI et du TPR, l'échelle des peines applicables doit exclure toute possibilité d'imposer la peine de mort.

h - la Cour doit faire partie intégrante du système des Nations Unies et dès lors elle devrait être financée principalement sur le budget de l'ONU.

4 - Recommande à la France de manifester sans ambiguïté que sa participation aux opérations de maintien de la paix ne saurait, en aucune circonstance, faire obstacle à sa contribution au bon fonctionnement de la Cour criminelle internationale.

Préconise une réflexion d'ensemble sur le rôle de la France comme « soldat de la paix » qui ne doit en aucune manière remettre en cause sa tradition de « soldat du droit » et constituer un obstacle à la création d'une Cour criminelle internationale, mais bien au contraire devrait l'inciter à contribuer à la pleine efficacité de cette Cour sur le terrain, notamment dans ses tâches d'enquête et de poursuite.

ANNEXE 8

Conclusions de la note d'orientation de la Commission nationale
consultative des droits de l'Homme du 15 février 1999

En conclusion, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme suggère de retenir notamment les propositions suivantes :

1) approfondir en son sein, à travers toutes ses composantes, la réflexion philosophique sur les notions de pardon et de réconciliation.

2) recommander aux pouvoirs publics :

a) de contribuer activement à la pleine consécration par l'Assemblée générale des Nations Unies de l'Ensemble de principes sur l'impunité.

b) de développer la réflexion internationale sur l'impunité en matière de violation des droits économiques et sociaux et notamment sur la corruption.

c) de poursuivre la réflexion sur les formes collectives de réparation, dans la ligne des travaux de Théo van Boven.

d) de ratifier le statut de la Cour pénale internationale, sans faire jouer la clause transitoire de l'article 124.

e) de ratifier dans les meilleurs délais le Protocole 1 aux conventions de Genève de 1949 sans retarder plus avant l'indispensable adaptation du code de procédure pénale pour permettre une pleine application des conventions de Genève et de leurs protocoles dans l'ordre interne.

f) de favoriser de la part de la Chancellerie une interprétation innovante des règles de procédure en matière de prescription.

g) de renforcer les modalités juridiques et les moyens matériels de la coopération pénale internationale en matière d'obtention de preuves et de témoignages à l'étranger.

h) d'encourager l'action des ONG, à travers l'aide aux victimes, dans le domaine des poursuites internationales.

2141. - Rapport de M. Pierre Brana sur le projet de loi autorisant la ratification de la Convention portant statut de la Cour pénale internationale (affaires étrangères)


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