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le 3 avril 2001

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N° 2956

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mars 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique (ensemble deux annexes),

PAR M. MARC REYMANN,

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir les numéros :

Sénat : 376 (1999-2000) 69 et T.A. 37 (2000-2001)

Assemblée nationale : 2813

Traités et conventions

Commission des affaires étrangères

La Commission des affaires étrangères est composée de : M. François Loncle, président ; M. Gérard Charasse, M. Georges Hage, M. Jean-Bernard Raimond, vice-présidents ; M. Roland Blum, M. Pierre Brana, Mme Monique Collange, secrétaires ; Mme Michèle Alliot-Marie, Mme Nicole Ameline, M. René André, Mme Marie-Hélène Aubert, Mme Martine Aurillac, M. Édouard Balladur, M. Raymond Barre, M. Henri Bertholet, M. Jean-Louis Bianco, M. André Billardon, M. André Borel, M. Bernard Bosson, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Hervé de Charette, M. Yves Dauge, M. Bernard Deflesselles, M. Patrick Delnatte, M. Jean-Marie Demange, M. Xavier Deniau, M. Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, M. Jean-Paul Dupré, M. Charles Ehrmann, M. Jean-Michel Ferrand, M. Raymond Forni, M. Michel Fromet, M. Georges Frêche, M. Jean-Yves Gateaud, M. Jean Gaubert, M. Valéry Giscard d'Estaing, M. Jacques Godfrain, M. Pierre Goldberg, M. François Guillaume, M. Jean-Jacques Guillet, M. Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, M. Didier Julia, M. Alain Juppé, M. André Labarrère, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Le Vern, M. Jean-Claude Lefort, M. Guy Lengagne, M. François Léotard, M. Bernard Madrelle, M. René Mangin, M. Jean-Paul Mariot, M. Gilbert Maurer, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, M. Étienne Pinte, M. Marc Reymann, M. François Rochebloine, M. Gilbert Roseau, Mme Yvette Roudy, M. René Rouquet, M. Gérard Saumade, M. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, M. Michel Terrot, Mme Odette Trupin, M. Joseph Tyrode, M. Michel Vauzelle.

SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LES SPÉCIFICITÉS DU SYSTÈME JUDICIAIRE DES ÉTATS-UNIS RENDENT LA COOPÉRATION JUDICIAIRE AVEC CE PAYS
COMPLEXE MAIS POSSIBLE
6

A - LA COMPLEXITÉ DU SYSTÈME JUDICIAIRE AMÉRICAIN 6

B - LA SUPRÉMATIE DE L'ETAT FÉDÉRAL DANS LA CONDUITE DES
RELATIONS INTERNATIONALES PERMET NÉANMOINS UNE
VÉRITABLE COOPÉRATION JUDICIAIRE
6

II - LE TRAITÉ D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE REPREND DES PRINCIPES CLASSIQUES MAIS COMPORTE DES ORIGINALITÉS 8

A - L'ÉTENDUE DE L'ENTRAIDE 8

B - LA NATURE DE L'ENTRAIDE JUDICIAIRE 8

C - LA PROCÉDURE D'ENTRAIDE 9

CONCLUSION 10

EXAMEN EN COMMISSION 11

Mesdames, Messieurs,

La France et les Etats-Unis ne sont actuellement liés par aucune convention d'entraide judiciaire en matière pénale, contrairement au domaine de l'extradition, où leurs relations sont régies par un traité de 1909 modifié en 1970, et à celui du transfèrement des personnes condamnées, sujet sur lequel il existe entre les deux pays une convention signée en 1983. Or face à un phénomène de véritable mondialisation du droit, l'absence de convention d'entraide judiciaire en matière pénale rend plus difficile la nécessaire coopération judiciaire. Celle-ci n'est certes pas inexistante mais se pratique sur le fondement de la réciprocité et du droit interne de chaque pays (loi du 10 mars 1927 pour la France). La mise en _uvre d'un traité permettrait ainsi de développer la coopération judiciaire entre les deux pays.

Le présent Traité est le résultat d'une négociation qui a eu lieu entre 1993 et 1998, elle a permis la signature d'un texte qui reprend à la fois les principes de la convention européenne du 20 avril 1959, mais tient aussi compte des particularités du système judiciaire américain, fédéral, inspiré de la common law anglo-saxonne et particulièrement complexe dans ces procédures. Ainsi, ce Traité ne reprend pas tout à fait le moule des conventions types signées par la France dans ce domaine avec de nombreux pays : il est souvent beaucoup plus précis dans la description des procédures et il prend souvent en compte les spécificités du système judiciaire américain.

I - LES SPÉCIFICITÉS DU SYSTÈME JUDICIAIRE DES ÉTATS-UNIS RENDENT LA COOPÉRATION JUDICIAIRE AVEC CE PAYS COMPLEXE MAIS POSSIBLE

A - La complexité du système judiciaire américain

La complexité de la mise en _uvre d'une coopération judiciaire, notamment en matière pénale, avec les Etats-Unis tient à la structure fédérale et à la tradition de common law en vigueur dans ce pays.

En effet, la matière pénale est de la compétence des Etats fédérés, il en résulte la coexistence de 52 systèmes pénaux : ceux des 50 Etats, celui du district de Columbia et celui de l'Etat fédéral (uniquement pour les crimes et délits « fédéraux »). Il en résulte que 90 % des infractions pénales sont poursuivies devant les juridictions des Etats. En l'absence de convention internationale, la coopération judiciaire se fait sur la base de la réciprocité, c'est le cas actuellement donc pour l'entraide judiciaire en matière pénale : une telle procédure est donc particulièrement complexe puisque la pratique en la matière peut varier en fonction des interlocuteurs.

Par ailleurs, l'influence de la common law sur la procédure pénale multiplie les possibilités de recours et protège particulièrement bien les droits de la défense. Par là même, elle peut retarder une procédure de coopération judiciaire.

B - La suprématie de l'Etat fédéral dans la conduite des relations internationales permet néanmoins une véritable coopération judiciaire

La Constitution des Etats-Unis et la pratique jurisprudentielle de la Cour suprême affirment le primat de l'Etat fédéral dans la conduite des relations internationales. Ainsi, le Président des Etats-Unis a seul le pouvoir de négocier les traités, sous réserve de l'accord du Sénat. Or, les juges des Etats sont tenus par les stipulations des traités, même si elles sont contraires à des dispositions de la loi de l'Etat, et cela alors même que les traités interviennent généralement dans des matières de la compétence des Etats fédérés. La Constitution des Etats-Unis dispose en effet dans son article VI que : « la présente Constitution, ainsi que les lois des Etats-Unis qui seront faites en conséquence et tous les traités sous l'autorité des Etats-Unis constitueront la loi suprême du pays et seront obligatoires pour tous les juges dans chaque Etat, et cela nonobstant des dispositions contraires insérées dans la constitution ou dans les lois de l'un quelconque des Etats ».

Le droit pénal, qui nous intéresse ici, est une bonne application de ce principe. En effet, la suprématie de l'Etat fédéral en matière de relations internationales permet de mettre en _uvre une véritable coopération judiciaire entre les Etats-Unis et un autre pays, à condition que les stipulations des traités soient assez claires et précises afin de faire obstacle à des interprétations divergentes de la part des juges des Etats fédérés.

II - LE TRAITÉ D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE REPREND DES PRINCIPES CLASSIQUES MAIS COMPORTE DES ORIGINALITÉS

Intervenant dans un domaine où il n'existait pas d'accord bilatéral entre la France et les Etats-Unis, la mise en _uvre du traité d'entraide judiciaire en matière pénale signé le 10 décembre 1998 permettra de rendre plus efficace la coopération judiciaire entre ces deux pays. En effet, en l'absence de convention sur le sujet, l'entraide existe, mais elle se fait sur le fondement de la réciprocité et du droit interne de chaque Etat, la ratification du Traité permettre au contraire de donner une base claire et stable à cette forme importante de coopération judiciaire.

A - L'étendue de l'entraide

Les deux Etats s'engagent à s'accorder mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible dans toute enquête ou procédure visant des infractions dont la répression est de la compétence des autorités judiciaires de la partie requérante (article premier). A la demande des Etats-Unis, il a été précisé que la finalité du Traité est uniquement l'entraide judiciaire, il est donc sans incidence sur les droits reconnus aux personnes privés, ce que la notice explicative annexée au Traité explicite très clairement.

Le principe d'entraide est assorti d'exceptions habituelles. Les exceptions au principe de l'entraide judiciaire concernent l'exécution des demandes d'arrestation provisoire ou d'extradition, l'exécution des décisions d'arrestation et les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.

Les principales possibilités de refus sont classiques (article 6), elles s'inspirent de la convention européenne et se rapportent aux infractions politiques et aux demandes d'entraide de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de l'Etat requis.

B - La nature de l'entraide judiciaire

L'Etat requis fait exécuter, dans les formes prévues par sa législation, les demandes d'entraide (article 8).

Le Traité prévoit dans le détail les différentes formes d'entraide. Les perquisitions et saisies sont encadrées par l'article 10, les transmissions et remises d'acte judiciaire par l'article 15, la comparution des témoins par les articles 16 et 17, le transfèrement ou le transit des personnes détenues par les articles 18 et 19, la transmission des documents officiels par l'article 20.

C - La procédure d'entraide

Les demandes d'entraide sont adressées d'autorité centrale à autorité centrale, c'est à dire entre le ministère de la justice français et l'Attorney general des Etats-Unis (articles 2 et 5). En ce qui concerne les autorités compétentes pour formuler des demandes (article 3), il s'agit pour la France des autorités judiciaires y compris le ministère public. Pour les Etats-Unis, compte tenu de la grande complexité de l'organisation judiciaire de ce pays, de nombreuses autorités sont susceptibles de formuler des demandes, une liste, qui n'est qu'indicative, figure dans la note explicative du Traité, y figurent par exemple le FBI (federal bureau of investigation), la DEA (Drug enforcement administration, chargée de la lutte contre le trafic de drogue) ou la SEC (security and exchange commission, chargée de la lutte contre les délits boursiers).

Le Traité fixe des règles également très précises concernant le contenu de ces demandes (article 4) ainsi que la traduction des demandes et des pièces les accompagnant (article 21).

L'exécution des demandes d'entraide ne donne lieu généralement au remboursement d'aucun frais, exception de ceux résultant d'expertises et de transfèrement des personnes détenues. Or dans ce Traité, les exceptions sont beaucoup plus nombreuses puisqu'elles concernent aussi les frais d'interprétation et de traduction, les frais de voyage et de séjour des témoins...(article 23). De plus en raison des différences dans l'organisation des dépositions par les systèmes pénaux français et américains, la question de la prise en charge financière des dépositions effectuées aux Etats-Unis à l'initiative des autorités judiciaires françaises est précisée par l'annexe explicative.

CONCLUSION

Le Traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis a d'ores et déjà fait l'objet d'une autorisation de ratification par le Sénat américain le 18 octobre 2000. Sa ratification par la France permettrait donc une entrée en vigueur rapide du Traité, utile pour le développement d'une coopération judiciaire entre la France et les Etats-Unis sur des bases juridiques solides et adaptées aux spécificités juridiques du système judiciaire de nos deux pays.

Pour ces raisons, votre Rapporteur recommande l'adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 28 mars 2001, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Marc Reymann, le projet de loi, autorisant la ratification du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d'Amérique et le projet de loi autorisant la ratification du Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique. Un débat portant essentiellement sur le Traité d'extradition a suivi.

Le Président François Loncle a insisté sur les difficultés particulières que posait l'existence de la peine de mort aux Etats-Unis et sur la vigilance que devaient avoir les députés français à ce sujet.

M. Paul Dhaille s'est déclaré très partagé sur cette convention. Certes, il semblerait que ce texte apporte certaines garanties juridiques mais il n'en demeure pas moins que l'application de la peine de mort aux Etats-Unis est une chose scandaleuse et que l'on ne peut se contenter toujours de protestations verbales. Les pays qui appliquent le plus la peine de mort dans le monde sont : la Chine, la Corée du Nord, l'Iran et les Etats-Unis. Que viennent faire les Américains dans une telle liste ? La solution organisée par la convention n'est pas satisfaisante. Certes, si la peine de mort est prononcée, elle ne sera pas appliquée ; mais est-il plus raisonnable d'imaginer enfermer un homme des dizaines d'années dans les couloirs de la mort ? M. Paul Dhaille a donc précisé qu'il ne pouvait voter qu'à l'encontre de la ratification de la convention. Il ne s'agit pas tant d'un problème juridique que de la nécessité d'envoyer un signal politique.

M. Jean-Claude Lefort a rappelé que le nouveau président des Etats-Unis était un farouche partisan de la peine de mort. Le moment de la ratification de cette convention est donc particulièrement peu opportun. Ce n'est pas tant un problème juridique que politique et symbolique. En conséquence, M. Jean-Claude Lefort a déclaré qu'il voterait contre la ratification de la convention.

Le Président François Loncle a souligné que la convention ne prévoyait pas l'interdiction de la peine de mort mais sa non-exécution. Il est vrai, ainsi que l'a rappelé devant la Commission des Affaires étrangères, l'ancien ambassadeur des Etats-Unis M. Félix George Rohatyn, que c'est aux Etats et non à l'Etat fédéral de décider de l'abolition de la peine de mort, selon une décision de la Cour suprême.

M. Gilbert Maurer a souligné que le nombre d'exécutions aux Etats-Unis était en augmentation. Il a fait toutefois remarquer que ce problème d'extradition vers des pays reconnaissant la peine s'était déjà posé par le passé à la Commission et que celle-ci avait cependant approuvé ces conventions.

M. Pierre Brana a considéré que l'entrée en vigueur du Traité d'extradition n'apporterait pas de progrès réel sur la question de la peine de mort. Il a par ailleurs demandé qui appréciait l'état de santé de la personne dont l'extradition est refusée pour des raisons humanitaires.

M. François Rochebloine s'est étonné du calendrier qui fait venir aujourd'hui devant la Commission des Affaires étrangères un texte signé en 1996.

M. Marc Reymann a répondu aux intervenants.

Il a précisé que la clause permettant de refuser une extradition pour des raisons humanitaires était désormais classique dans ce type de convention. C'est alors à l'état requis d'invoquer des considérations relatives à la santé de la personne dont l'extradition est demandée.

En ce qui concerne le délai de ratification du Traité d'extradition, il a été répondu au Rapporteur que la France avait préféré attendre la finalisation du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale qui a été signé en décembre 1998 pour lancer la procédure de ratification. Il n'en demeure pas moins que les Etats-Unis ont ratifié ce texte dès 1998.

Sur la question de la peine de mort, il est incontestable que le nombre d'exécutions capitales aux Etats-Unis a augmenté régulièrement ces dernières années. Pour autant, la situation actuelle sur ce point n'est pas plus favorable pour les personnes extradables vers les Etats-Unis que le système prévu par le Traité signé en 1996. En effet, actuellement le Gouvernement français accorde l'extradition pour des infractions encourant la peine de mort, conformément à l'avis donné par la chambre d'accusation et sous le contrôle du conseil d'Etat qu'à la condition que la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne soit pas prononcée ou ne sera pas exécutée. C'est ce même système qui a été repris dans l'article 7 du Traité. En outre, la ratification du Traité constituerait un progrès sur ce plan là car l'interdiction de prononcer ou d'exécuter la peine de mort à des personnes extradées de France s'imposerait aux tribunaux américains, y compris des Etats fédérés.

Le Président François Loncle a insisté sur la nécessité d'envoyer un signe politique fort. En conséquence, il a proposé d'adopter le projet de loi autorisant la ratification du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale, mais de reporter l'examen du projet de loi sur l'extradition.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2813).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du traité d'entraide judiciaire figure en annexe au projet de loi (n° 2813).


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