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le 20 avril 2001

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N° 2991

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 avril 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LA
PROPOSITION DE
LOI (n° 2767), tendant à inscrire dans la loi le principe de la gratuité des formules de chèques.

PAR M. Georges SARRE

Député

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 2767 

Banques et établissements financiers

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan est composée de : M. Henri Emmanuelli, président ; M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Tavernier, vice-présidents ; M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Jacques Jégou, M. Michel Suchod, secrétaires ; M. Didier Migaud, Rapporteur Général ; M. Maurice Adevah-Poeuf, M. Philippe Auberger, M. François d'Aubert, M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. François Baroin, M. Alain Barrau, M. Jacques Barrot, M. Christian Bergelin, M. Éric Besson, M. Alain Bocquet, M. Augustin Bonrepaux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, M. Christian Cabal, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, M. Henry Chabert, M. Didier Chouat, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Christian Cuvilliez, M. Arthur Dehaine, M. Jean-Pierre Delalande, M. Francis Delattre, M. Yves Deniaud, M. Michel Destot, M. Patrick Devedjian, M. Laurent Dominati, M. Julien Dray, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Louis Dumont, M. Daniel Feurtet, M. Pierre Forgues, M. Gérard Fuchs, M. Gilbert Gantier, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Guyard, M. Pierre Hériaud, M. Edmond Hervé, M. Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, M. Michel Inchauspé, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Maurice Ligot, M. François Loos, M. Alain Madelin, M. Jean-Michel Marchand, Mme Béatrice Marre, M. Pierre Méhaignerie, M. Louis Mexandeau, M. Gilbert Mitterrand, M. Jean Rigal, M. Alain Rodet, M. José Rossi, M. Nicolas Sarkozy, M. Georges Sarre, M. Philippe Séguin, M. Georges Tron, M. Jean Vila.

INTRODUCTION 5

1. La proposition de loi entend mettre un point final à un débat récurrent qui n'a que trop duré 5

2. La tarification des chèques n'est ni justifiée ni inéluctable 8

3. La gratuité des chèques n'est qu'un des éléments d'une indispensable amélioration des relations entre les banques et leurs clients 11

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE 14

EXAMEN EN COMMISSION 17

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 21

TABLEAU COMPARATIF 23

Mesdames, Messieurs,

En déposant et en demandant la discussion en séance publique de la présente proposition inscrivant dans la loi le principe de la gratuité de l'utilisation des chèques, les députés du Mouvement des citoyens, rejoint par l'ensemble du groupe Radical, Citoyen, Vert, entendent contribuer à la mise en _uvre de mesures concrètes, de nature à faciliter la vie quotidienne de la grande majorité de nos compatriotes.

Se faisant, cette proposition vise à mettre un terme à un débat récurrent qui a repris, au cours des derniers mois dans le contexte de la mise en place de l'euro, une vigueur inquiétante. Naturellement, il s'agit d'y mettre en terme dans un sens favorable aux consommateurs, les arguments avancés pour revenir sur une situation datant de plus d'un demi-siècle restant peu convaincants. Cependant, il est clair que le dossier de la gratuité des chèques n'épuise pas celui de la nécessaire amélioration des relations entre les banques et leurs clients.

1. La proposition de loi entend mettre un point final à un débat récurrent qui n'a que trop duré

Si la question de la gratuité des chèques revient périodiquement au devant de l'actualité, c'est en raison de la place importante que ce moyen de paiement occupe dans notre pays, place sans commune mesure avec celle que l'on relève à l'étranger.

Conjuguée à l'interdiction de la rémunération des dépôts à vue, instituée par une décision générale du Conseil national du crédit de mai 1969, la gratuité de fait des chèques constitue l'un des éléments du « ni-ni », dont le sort a fait l'objet d'un large débat public depuis quelques mois.

Institué sous sa forme actuelle par une loi du 14 juin 1865, le chèque est resté d'un usage peu répandu jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Cependant, son utilisation dans la plupart des pays et dans le commerce international a conduit à l'élaboration, dès 1931, des conventions de Genève qui ont été introduites en droit français par le décret-loi du 30 octobre 1935, modifié à plusieurs reprises par la suite.

C'est une loi du 1er février 1943 qui a prévu la remise gratuite des formules de chèques au titulaire d'un compte, cette disposition étant ensuite intégrée dans le décret-loi de 1935 par une loi du 3 janvier 1975. Dans la pratique, la gratuité a été, de fait, étendue à l'émission et à l'utilisation des chèques eux-mêmes. Certes, certaines organisations de consommateurs, telle que la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV), mettent régulièrement en évidence les pratiques de certaines banques, souvent d'ailleurs de petites banques mutualistes, faisant payer les chèques au-delà d'un volant d'opérations gratuites, mais cette pratique reste heureusement marginale.

L'objectif de cette gratuité était de favoriser la diffusion de ce mode de paiement et d'accompagner la montée de la « bancarisation » dans notre pays. Il convient d'observer également que de nombreuses dispositions législatives ont rendu obligatoire le versement des salaires (surtout depuis la généralisation de la mensualisation) et de nombreuses prestations sociales sur des comptes bancaires. De même, pour des raisons fiscales, l'interdiction du paiement en espèces des dépenses les plus importantes a été progressivement étendue, dernièrement dans le cadre de la loi de finances pour 2000.

Cette évolution fait donc des banques, dont on peut certes estimer qu'elles n'assurent pas un service public au sens strict, des intermédiaires incontournables pour la quasi-totalité de nos concitoyens.

De fait, malgré la légère baisse constatée depuis quelques années, notamment en raison du développement de l'utilisation des cartes bancaires, le chèque demeure l'instrument de paiement le plus utilisé dans notre pays. En 1999, il s'en est échangé près de 3,7 milliards dans les systèmes d'échanges interbancaires (ce qui représente 41 % des opérations en volume, mais seulement 2,4 % en valeur). Compte tenu des volumes relevant des autres circuits, c'est près de 5 milliards de chèques qui ont été émis en 1999.

D'après des statistiques internationales, les Français sont les plus importants utilisateurs de chèques de la zone euro. En 1998, ils ont réalisé 82,7 règlements par chèque en moyenne, loin devant les Irlandais (54,2), les Portugais (28,6) et les Italiens (11,3). S'agissant des autres grands pays industriels, seuls les Américains sont de plus gros émetteurs de chèques (244,8), en raison notamment du paiement fréquent des salaires par ce moyen.

Le débat actuel sur la tarification des chèques n'est donc pas nouveau. Une première tentative de mettre fin à cette situation a d'ailleurs échoué en 1986.

L'Association française des établissements de crédit (AFEC) annonçait alors la mise en place d'une tarification des chèques. Dans un premier temps, ceux-ci auraient fait l'objet d'une taxe forfaitaire (de l'ordre de 10 francs par mois), qui aurait laissé la place, dans une deuxième étape, à une solution plus individualisée en fonction de solde moyen du compte de chaque client et du nombre de chèques qu'il émet. Devant le tollé provoqué par cette initiative au sein des associations de consommateurs et de l'opinion, les banques ont définitivement renoncé à cette initiative à la demande du Gouvernement de l'époque.

Après cette première tentative avortée, la mise en place de la monnaie unique européenne a été l'occasion de relancer le débat. Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont décidé de l'inscrire dans le cadre plus général de l'amélioration des relations entre les banques et leurs clients et ont pris une double initiative : d'une part, demander à M. Yves Ullmo, conseiller-maître à la Cour des comptes, de remettre un rapport sur la rémunération des dépôts à vue et la tarification des services de paiement, d'autre part, constituer sous la présidence de M. Benoît Jolivet, Président du Conseil consultatif du Conseil national du crédit et du titre (CNCT), un groupe de réflexion composé des représentants des consommateurs (particuliers, commerçants, artisans et entreprises) et des établissements bancaires, dont la mission était de réfléchir « à toute évolution de la relation bancaire » afin d'aboutir, après concertation, « à des solutions négociées et acceptables par tous ». Commencées en 1998, les discussions au sein de ce groupe ont échoué au cours de l'année 2000, en raison des désaccords intervenus entre la profession bancaire et un certain nombre d'associations de consommateurs.

Devant l'échec de la concertation, votre Rapporteur est arrivé à la conclusion que le législateur se devait de prendre ses responsabilités. Il le doit d'autant plus que, régulièrement, la presse se fait l'écho des préparatifs de certains établissements en vue de la mise en place de la tarification des chèques. Certes, on observe que ces préparatifs sont niés aussitôt qu'ils sont dévoilés, tant les banques ont parfaitement conscience de l'impopularité qu'aurait une telle initiative de leur part. Mais, tout cela milite pour que la loi mette un point final à ce débat.

Ce faisant, le législateur ne ferait que concrétiser la position que le Gouvernement a exposée à plusieurs reprises au cours des derniers mois.

Ainsi, lors de la séance du 4 octobre dernier, M. Laurent Fabius, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a, en réponse à une question d'actualité de notre collègue Jacques Desallangre, réaffirmé que « le Gouvernement n'est pas favorable à la facturation des chèques, il est favorable à leur gratuité ».

De même, M. François Patriat, Secrétaire d'État aux PME, au commerce, à l'artisanat, déclarait lors d'un entretien accordé, le 5 mars dernier, au journal économique La Tribune : « Les pouvoirs publics ne sont pas favorables au chèque payant. Ils entendent le dire et le répéter. Nous ne souhaitons pas qu'une banque ou une autre en vienne à le mettre en place. »

2. La tarification des chèques n'est ni justifiée ni inéluctable

L'importance du chèque dans la vie quotidienne explique la sensibilité de nos concitoyens à une éventuelle tarification de leur utilisation. L'on comprend mieux dès lors leur hostilité à une telle mesure, d'autant plus que les justifications avancées ne sont pas convaincantes.

Les banques mettent d'abord en avant le coût que représente pour elles le traitement des chèques. Déjà en 1985, dans un rapport remis au directeur du Trésor1, M. Olivier Pastré évoquait le coût économique de l'utilisation du chèque, estimant que ce point était « vital » pour l'avenir des banques et que « le problème de la tarification des moyens de paiement (était) incontournable ». On observera que, seize ans plus tard, les banques françaises, qui devraient pourtant être lourdement pénalisées par ce coût, ne paraissent pas à plaindre. Après une année 1999 particulièrement faste (les bénéfices des huit plus grandes banques françaises avaient atteint 65 milliards de francs, en progression de 50 % par rapport à l'année précédente), les résultats de 2000 atteignent également des niveaux historiques.

S'agissant de ce coût de traitement, il convient de rappeler que le rapport Pastré évoquait un coût unitaire de 3 francs environ. Treize ans plus tard, le rapport Ullmo indiquait que les banques évaluaient le coût du traitement entre 3 et 5 francs par chèque, estimation d'ailleurs contestée par certaines associations de consommateurs qui évoquent un chiffre largement inférieur (moins de 1 franc par chèque). Une telle divergence témoigne, pour le moins, de la faible transparence manifestée par les banques sur ce point. Mais, c'est surtout sa constance qui étonne. Est-il possible que le traitement du chèque soit la seule opération bancaire qui n'ait connu aucun gain de productivité et pour laquelle le simple amortissement des équipements utilisés n'ait conduit à aucune réduction du coût ?

Il est vrai que les opérations liées aux chèques sont aujourd'hui les seules qui ne sont pas traitées sous forme dématérialisée. Les chèques sont encore physiquement échangés dans les 104 chambres de compensation et, pour environ 7 % d'entre eux, dans les 9 centres régionaux d'échange d'images chèques. Cette situation devrait changer d'ici l'année prochaine avec la mise en place de l'échange d'images chèques (EIC) qui, via le système interbancaire de télécompensation, supprimera l'essentiel des échanges physiques de chèques dans les chambres de compensation grâce à l'acheminement électronique, de la banque remettante vers la banque tirée, de toutes les informations nécessaires à l'imputation des chèques aux comptes des clients. Certes, cette évolution nécessite des investissements importants. Elle devrait néanmoins réduire sensiblement le coût du traitement des chèques.

La tarification des chèques n'est pas seulement présentée comme un moyen de financer le coût de leur traitement. En raison du caractère plus coûteux de celui-ci, par rapport aux autres modes de paiement, la tarification est présentée comme le meilleur moyen d'aboutir à une plus grande rationalité économique. Il s'agirait d'inciter les clients des banques à réduire leur utilisation des chèques, au profit d'autres moyens de paiement (cartes bancaires, virements, TIP,...)2 moins onéreux. Cependant, le fait que certains de ces moyens alternatifs soient payants peut apparaître quelque peu contradictoire. De plus, cet argument serait plus audible si la tarification était destinée à s'appliquer à tous les clients sans distinction. Or, on sait bien que, comme en 1986, les banques envisagent un traitement différencié de ceux-ci. En fonction du solde de leurs comptes, ils bénéficieraient d'un volant de chèques gratuits plus ou moins important. Cette dégressivité de fait apparaît d'autant plus contradictoire avec l'objectif poursuivi, que les études montrent que ce sont les titulaires des comptes enregistrant les flux financiers les plus importants qui émettent le plus de chèques3.

C'est d'ailleurs cette tendance des banques à discriminer selon leurs clients qui heurtent le plus dans cette question de la tarification des chèques. Ce seront les ménages les plus modestes qui supporteront le plus une telle mesure, soit parce qu'ils bénéficieront d'un volant de chèques gratuits plus faible, soit parce qu'ils ne pourront utiliser d'autres moyens de paiement, notamment pour certaines dépenses obligatoires (loyers, cantines, ...). On connaît la propension, somme toute naturelle selon la logique libérale, des banques à rechercher en priorité les « bons » clients et à ne rien faire pour retenir ceux qu'elles jugent « mauvais » ou tout au moins « peu intéressants », parce que les flux, et donc le solde, transitant sur leur compte sont faibles et qu'ils sont les principaux émetteurs de chèques d'un faible montant. Cela n'est pas acceptable. Les banques ont, comme tous les acteurs économiques, une responsabilité sociale et on ne peut concevoir un système financier où c'est le secteur public, au travers de la Poste, qui aurait vocation à accueillir cette frange de la population. Or, la tarification des chèques, et au-delà la liberté de tarification des services bancaires sans garde-fous, constituerait le premier pas vers une telle segmentation du marché.

Les arguments économiques manquant de consistance et les considérations sociales pesant lourd, la mise en place de l'euro a été présentée comme conduisant inéluctablement à la remise en cause des spécificités bancaires françaises. La disparition du franc au profit de l'euro rendrait obsolète une réglementation uniquement applicable au franc. Certains ont pu soutenir que le « ni-ni » n'était plus opposable dès le 1er janvier 1999 et l'apparition de l'euro. Cependant, cette question controversée n'a plus aujourd'hui qu'un caractère anecdotique, dans la mesure où il se n'est rien passé au cours de la période transitoire qui s'achève dans quelques mois.

Cependant, force est de reconnaître que l'interdiction de la rémunération des dépôts à vue est condamnée à brêve échéance à compter du 1er janvier prochain. Sa remise en cause par la Commission de Bruxelles et la Banque centrale européenne ne pourra, en effet, que gagner en vigueur à partir de cette date.

Cela étant, la levée de l'interdiction de rémunération des dépôts à vue ne signifie pas obligation de les rémunérer. De plus, elle n'entraîne pas ipso facto la tarification des chèques, qui ne constituent qu'un des éléments des services offerts par les banques à leurs clients.

Contrairement à ce que certains affirment, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que notre pays maintienne la gratuité des chèques et impose une telle règle aux banques étrangères qui y travaillent. Il est vrai que le 16ème considérant de la deuxième directive bancaire du 15 décembre 1989 rappelle « que les activités bénéficiant de la reconnaissance mutuelle doivent pouvoir être exercées de la même manière que dans l'État membre d'origine. » Cependant des dérogations restent possibles. Des limites à la liberté d'exercer peuvent être imposées à l'établissement étranger, installé en France ou exerçant en libre prestation, si elles sont fondées sur des « dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans l'État membre d'accueil ». Certes, ces mesures doivent répondre à la logique du droit communautaire qui exige que soient démontrés leur caractère non discriminatoire, légitime et proportionné à l'objectif poursuivi. Mais, jusqu'à présent, la Cour de justice des communautés européennes a parfaitement admis des justifications tirées de la protection des consommateurs.

Rien donc ne s'opposerait à ce que la France édicte, même seule, la gratuité des chèques et à ce que cette disposition s'applique à toutes les banques qui y exercent, françaises ou non. Pour le moins, la victoire de ceux qui contesterait une telle disposition devant la justice est loin d'être assurée.

Le lien entre disparition de l'interdiction de rémunération des dépôts et tarification des chèques n'obéit donc à aucune fatalité juridique. Il n'y a pas non plus de fatalité économique. En effet, il est difficile de présager des réactions des banques et de leurs clients à cette nouvelle situation.

Les consommateurs seront-ils vraiment demandeurs d'une telle rémunération, surtout si celle-ci doit s'accompagner en contrepartie de la tarification ? Les taux de rémunération qui seraient offerts, vraisemblablement entre 0,5 et 1 % comme on l'observe chez nos voisins, sont trop faibles pour que cette rémunération dépasse quelques dizaines de francs chaque année pour la plupart des titulaires de compte. De plus, pour les clients plus fortunés, le développement des nouveaux livrets d'épargne, notamment offerts sur Internet à des taux beaucoup plus rémunérateurs, constitue une alternative beaucoup plus attirante.

Les banques sont-elles vraiment prêtes à prendre le risque de mécontenter leur clientèle ? Sans évoquer l'offre commerciale d'une grande banque britannique4, on observera que le Crédit mutuel de Bretagne a récemment présenté son Eurocompte, produit qu'elle destine à l'essentiel de sa clientèle et qui est fondé sur la gratuité totale de sa gestion et sur l'absence de rémunération.

3. La gratuité des chèques n'est qu'un des éléments d'une indispensable amélioration des relations entre les banques et leurs clients

L'échec des discussions au sein du groupe de travail présidé par M. Benoît Jolivet témoigne de la mauvaise qualité des relations entre les banques et les organisations de consommateurs, relations teintées d'une forte méfiance.

La mise en place de la monnaie unique constitue l'aboutissement du mouvement d'unification des marchés financiers en Europe. Cette dérégulation de fait bouleverse le contexte dans lequel évoluent les relations entre les banques et leurs clients. L'enjeu dépasse largement la seule question de la sortie du « ni-ni », tant la soumission des services bancaires au droit de la consommation et la prévention de l'exclusion bancaire constituent autant de chantiers essentiels.

La réflexion sur la lutte contre l'exclusion bancaire est ancienne. La première étape est intervenue en 1984 avec l'affirmation du droit au compte. Figurant désormais à l'article L. 312-1 du code monétaire et financier, cette disposition prévoit que « toute personne physique ou morale domiciliée en France (...) a droit à l'ouverture d'un compte dans l'établissement de crédit de son choix (...) ». En cas de refus de cet établissement de crédit, la personne a un droit de recours auprès de la Banque de France qui procède à la désignation de l'établissement devant l'accueillir. D'après le rapport de M. Yves Ullmo, « cette procédure est peu utilisée : 2 000 cas par an pour environ 50 millions de comptes à vue de particuliers. Cependant, il est probable que des personnes sont orientées ou s'orientent d'elles-mêmes vers la Poste, sans s'adresser au guichet de la Banque de France. Lorsqu'elle est saisie, la Banque de France oblige le plus souvent l'établissement qui a clos le compte à le rouvrir, ce qui est un moyen de dissuader les établissements. Mais c'est aussi pousser les établissements à ne pas faire de publicité pour le droit au compte ».

A partir de la reconnaissance de ce droit au compte, la réflexion s'est rapidement orientée vers la définition d'un droit à un minimum de services bancaires permettant de faire fonctionner ce compte. Cette réflexion a abouti, dans un premier temps, à l'adoption de la charte des services bancaires de base, établie dans le cadre du Comité consultatif du CNCT en juin 1992. Ce concept a enfin reçu une consécration législative avec la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions, qui a lié définition des services bancaires de base, renvoyée à un décret, et application de la procédure du droit au compte. La mise en _uvre de cette disposition n'est intervenue que récemment avec le décret du 17 janvier 2001, qui définit les contours d'un service bancaire de base gratuit ouvert aux personnes qui ont ouvert un compte dans un établissement désigné par la Banque de France.

Cependant, il est clair que cette limitation du champ d'application du service bancaire de base en limite singulièrement la portée. La question n'était sans doute pas parvenue à maturité en 1997-1998 lorsque la loi de lutte contre les exclusions était en discussion. Aujourd'hui, les choses ont évolué dans un sens plus favorable à l'efficacité sociale du dispositif. Au Sénat, des propositions ont été faites pour mettre en place un service plus large. Surtout, dans le cadre des travaux du groupe de travail présidé par M. Benoît Jolivet, l'Association française des banques (AFB) a fait des propositions qui constituent une base de négociation intéressante. Le dispositif qu'elle proposait aurait bénéficié à l'ensemble des titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI), répondant ainsi davantage à l'objectif social d'un service de base. Le service bancaire aurait couvert un champ de services conséquent (en ce qui concerne la tenue de compte, l'information sur les opérations effectuées, les opérations courantes, l'accès aux liquidités, la possibilité d'effectuer des paiements à distance). S'il n'aurait pas été gratuit, contrairement à ce que prévoit le décret du 17 janvier 2001, il aurait été tarifé à un niveau modeste (2 euros par mois environ).

Il est donc clair que la définition d'un service bancaire de base réellement efficace comme moyen de lutte contre l'exclusion bancaire n'a pas été close par la publication du décret de janvier dernier et qu'on ne saurait rester dans un cadre qui ne bénéficie, de l'avis de tous, qu'à quelques milliers de personnes chaque année.

Par ailleurs, les griefs formulés par les clients à l'encontre des pratiques commerciales de leurs banques sont particulièrement nombreux. De la vente de « packages » - ensemble de services tarifés au forfait et imposés malgré la faible utilité de certains d'entre eux - jusqu'aux pratiques condamnables de certains réseaux régulièrement épinglées par les organisations de consommateurs (facturation des comptes inactifs, frais élevés perçus à l'occasion du rejet de chèques sans provision), la liste est longue de comportements pesant sur la qualité leurs relations.

Le projet de soumission de celles-ci au droit de la consommation constitue une réponse bienvenue à une situation devenue intolérable. A cet égard, les dispositions contenues dans l'article 6 du projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier marque des progrès appréciables, qu'il s'agisse de la contractualisation systématique des services bancaires et du renforcement de la transparence de leur tarification (notamment par l'interdiction de la « vente de produits ou de prestations de services groupés sauf lorsque les produits ou prestations inclus dans l'offre groupée peuvent être achetés individuellement ou qu'ils sont indissociables ») ou du plafonnement des frais perçus par les banques à l'occasion de l'émission de chèques sans provision.

Votre Rapporteur ne peut que souhaiter que ces mesures soient adoptées avant la fin de la présente législature.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

L'article unique de la présente proposition de loi complète l'article 58 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, concernant le droit au compte. Il convient de préciser que cet article est devenu l'article L. 312-1 du code monétaire et financier.

La modification proposée a un triple objet.

D'une part, elle affirme le droit pour tout titulaire d'un compte de dépôt de se faire délivrer des formules de chèques. Cette disposition rompt avec le droit actuel, puisque l'article L. 131-71 du code (ancien article 65-1 du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux cartes de paiement) permet à tout banquier de refuser de délivrer un chéquier à son client ; depuis la loi du 30 décembre 1991, le banquier ne dispose plus d'un pouvoir discrétionnaire mais doit motiver sa décision de refus.

La reconnaissance d'un tel droit est vivement contestée par les banques. Celles-ci considèrent, en effet, que le chèque n'est pas un moyen de paiement neutre, en ce sens qu'il ouvre sur une certaine forme de droit à crédit, d'autant plus que l'article L. 131-82 du code garantit le paiement par la banque tirée de tout chèque d'un montant égal ou inférieur à 100 francs (ancien article 73-1 du décret-loi de 1935). Elles soulignent également le caractère personnel de la relation entre la banque et son client, caractère qui justifierait que la remise d'un chéquier ne soit pas toujours adaptée à la situation de chaque client.

Cette attitude, pour le moins paternaliste, n'est pas acceptable et votre Rapporteur est convaincu que la relation entre le client et sa banque doit d'abord être fondée sur la confiance : aucun client ne saurait être jugé a priori indigne de la possession d'un chéquier et la banque ne saurait préjuger de son comportement ultérieurement à l'ouverture du compte.

C'est pourquoi la proposition de loi n'entend pas remettre en cause la procédure mise en place en 1991 en cas d'émission de chèque sans provision. Le nouveau droit à la délivrance d'un chéquier ne sera naturellement pas reconnu à la personne qui est interdite bancaire, c'est-à-dire qui a fait l'objet d'une injonction de ne plus émettre de chèques, tant que cette injonction n'a pas été levée soit par régularisation ou à l'issue d'un délai de dix ans (cf. article L. 131-78 du code monétaire et financier).

D'autre part, la proposition de loi réaffirme le principe de la gratuité de la délivrance des chéquiers, principe figurant déjà au deuxième alinéa de l'article L. 131-71 du même code.

Enfin, elle pose le principe de la gratuité du « traitement des chèques ».

Votre Rapporteur présentera un amendement proposant une nouvelle rédaction globale de l'article unique de la proposition de loi. Cette nouvelle rédaction :

- tient compte de la codification dans le nouveau code monétaire et financier de l'essentiel des dispositions du décret-loi du 30 octobre 1935 et de la loi bancaire du 24 janvier 1984 ;

- insère ces nouvelles dispositions non pas à l'article L. 312-1 du code relatif au droit au compte, mais à l'article L. 131-71 qui comporte les dispositions actuelles en matière de délivrance des chéquiers ;

- lève une ambiguïté rédactionnelle en précisant que la gratuité porte, non seulement sur le « traitement » des chèques par l'établissement bancaire, mais aussi par l'« émission » par le titulaire du compte ; la seule référence au traitement des chèques pourrait, en effet, être interprétée de manière restrictive et limiter la portée du principe de gratuité posé par la proposition de loi, qui doit concerner toutes les étapes de l'utilisation d'un chèque.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s'est réunie le 18 avril 2001 pour examiner la la proposition de loi de M. Georges Sarre tendant à inscrire dans la loi le principe de la gratuité des formules de chèques (n° 2767).

Après que votre rapporteur eût présenté les grandes lignes de son rapport, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Jean-Louis Idiart a rappelé que les banques ne se sont pas pour l'instant aventurées à faire payer les chèques. Cependant, elles présentent l'arrivée des chèques payants comme une échéance inéluctable. Après l'échec de la mission de concertation sur la tarification bancaire, conduite par M. Benoît Jolivet, le décret du 17 janvier 2001 a défini la consistance du service bancaire de base, pour les personnes bénéficiant de la procédure du droit au compte. Par ailleurs, la politique commerciale des banques sera soumise au droit commun de la consommation. Le dépôt d'un amendement en ce sens, envisagé en nouvelle lecture du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, n'a finalement pas été possible pour des raisons de recevabilité. Un nouveau dispositif est intégré au projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.

La volonté commune du Gouvernement et du groupe socialiste consiste à maintenir la gratuité des chèques. Le lancement de l'euro va inévitablement accroître la concurrence entre les banques européennes, ce qui pourrait entraîner la rémunération des comptes courants ; rendre, en contrepartie, les chèques payants pourrait constituer pour les banques une compensation. Or, la rémunération des comptes courants ne s'effectuera qu'au profit des clients aisés, alors que ce sont les personnes aux revenus modestes qui ont le plus recours aux chèques. Celles-ci se retrouveraient en quelque sorte « piégées » par la tarification des chèques, puisque certaines transactions, tel le paiement du loyer, se font par ce moyen. Il semble donc assez probable que les ménages aisés sauront, beaucoup plus facilement que les ménages modestes, s'accommoder de la tarification des chèques ceci d'autant plus que les banques, soucieuses de conserver cette clientèle, sauront lui proposer des offres commerciales avantageuses. C'est pourquoi le groupe socialiste souhaite faire le choix de la prudence en maintenant, par le vote de cette proposition de loi, la gratuité des chèques actuellement pratiquée, rejoignant ainsi la volonté du Gouvernement.

M. Pierre Hériaud s'est interrogé sur l'absence de toute référence à la Banque de France dans la proposition et sur la signification exacte de la notion de « traitement » des chèques. Par ailleurs, il s'est étonné de voir cette discussion s'engager sur une proposition de loi alors que le Gouvernement vient de déposer un projet de loi abordant les mêmes thèmes.

M. Alain Rodet a approuvé le principe la proposition de loi. Il a souhaité obtenir des éclaircissements sur l'évolution de l'utilisation des chèques depuis 1986. Il s'est également interrogé sur la pertinence de dissocier les règles respectivement applicables au chèque et à la carte bancaire.

M. Michel Bouvard a indiqué que le groupe RPR était favorable à l'objet de la proposition, soulignant que le chèque demeurait le mode de règlement principal pour les familles à revenus modestes et que les autres prestations bancaires étaient déjà payantes. Cependant, il a estimé que l'insertion de cette disposition dans le projet de loi portant diverses mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier serait de meilleure méthode législative.

Sans entrer dans des considérations juridiques quant à la compatibilité de la proposition de loi avec le droit communautaire, M. Jean-Jacques Jégou a estimé que ce texte était assez démagogique ; pourquoi rendre le chèque gratuit, alors que les ménages aux revenus les plus modestes paient l'abonnement au téléphone, à l'eau et à l'électricité, certes à un taux réduit ? Affirmer la gratuité des chèques pourrait comporter des risques de déresponsabilisation de certains usagers, les aider à gérer leur budget serait une tâche plus vaste et plus ambitieuse. Les services proposés par les banques sont aujourd'hui, dans la plus stricte légalité, l'objet d'une tarification globale, le coût global étant accepté par le client. Cela n'a guère de sens d'insister sur la gratuité du chèque alors que, par exemple, un chèque sans provision peut entraîner le paiement de pénalités à hauteur de 250 francs, même si son montant est inférieur à cette somme. La proposition ne règle pas de tels cas et ne donne pas à certains ménages des moyens de maîtriser leur budget, ce qui serait nécessaire.

M. Jean-Pierre Brard a observé que l'échec de la mission dirigée par M. Benoît Jolivet incombait aux banques et que, si les chèques représentent un coût pour elles, ils ne les empêchent pas de dégager des profits non négligeables, comme l'attestent les excellents résultats qu'elles ont récemment affichés.

En réponse aux intervenants, votre rapporteur a précisé que l'amendement de rédaction globale qu'il propose répond aux observations de M. Pierre Hériaud. Le nombre de chèques utilisés reste relativement stable depuis 1986 et n'enregistre qu'une légère diminution. L'adoption de la proposition de loi n'est en rien contradictoire avec l'examen des dispositions relatives aux relations entre les banques et leur clientèle, inclues dans le projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier. Ce projet de loi comporte également la réduction des pénalités et des frais imposés par les banques en cas de chèque sans provision.

M. Jean-Jacques Jégou a demandé, compte tenu de l'existence de conventions de tarification globale, ce qu'il adviendrait des contrats en cours incluant à la fois le prix des chèques et le coût de la gestion globale du compte-client.

Le Président Henri Emmanuelli a répondu que, dès l'entrée en vigueur de la loi, toute clause contractuelle contraire à celle-ci serait nulle.

La Commission a ensuite abordé l'examen de l'article unique.

Article unique : Principe de gratuité des chèques

Votre rapporteur a présenté son amendement tenant compte de la publication du nouveau code monétaire et financier, insérant ces nouvelles dispositions à l'article L. 131-71 de ce code et levant une ambiguïté rédactionnelle.

La commission a adopté cet amendement, rédigeant ainsi l'article unique.

Elle a ensuite rejeté un amendement de M. Michel Inschauspé soutenu par M. Arthur Dehaine, portant alinéa additionnel visant à aligner le taux de rémunération des comptes sur livrets d'épargne non défiscalisés sur celui des livrets A défiscalisés.

La commission a ensuite adopté la proposition de loi, ainsi modifiée et vous demande d'émettre un vote favorable à l'adoption du texte figurant ci-après.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

Les deux premiers alinéas de l'article L. 131-71 du code monétaire et financier sont ainsi rédigés :

« Le banquier met, gratuitement et sans limitation de nombre, des formules de chèques à la disposition de tout titulaire d'un compte, sauf si celui-ci n'a pas recouvré, après injonction, la faculté d'émettre des chèques en application des dispositions de l'article L. 131-78. Les formules de chèques non utilisées sont restituées lors de la fermeture du compte.

« L'émission de chèques et leur traitement par le banquier sont également gratuits pour le titulaire du compte. »

__________

N° 2991.- Rapport de M. Georges Sarre, au nom de la commission des finances, sur la proposition de loi (n° 2767) tendant à inscrire dans la loi le principe de la gratuité des formules de chèques.

1 « La modernisation des banques françaises » (La Documentation française, novembre 1985)

2 L'exemple hollandais est parfois mis en avant : la tarification des chèques y a entraîné un tel recul de leur utilisation que les banques ont pu ensuite rétablir leur gratuité !

3 Dans son rapport annuel 1999-2000, le comité consultatif du Conseil national du crédit et du titre livre les conclusions d'une enquête réalisée sur les comptes détenus par des personnes agées de 25 à 50 ans dans quatre établissements. Il apparaît que les titulaires de comptes à faibles flux (70 000 à 80 000 francs annuels) émettent en moyenne trois chèques par mois. Cette moyenne monte à 5 chèques mensuels pour les comptes à flux moyens (de 80 000 à 180 000 francs) et à 15 pour les comptes à flux élevés (plus de 180 000 francs).

4 La banque Barclays vante actuellement les mérites de son « compte chèque dynamique » au moyen du slogan « chèque payant NON, chèque gagnant OUI »


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