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le 26 novembre 2001

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N° 3414

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3142) DE M. GÉRARD FUCHS, RAPPORTEUR DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques [COM [2000] 392 final/E 1551] et visant à instaurer une directive-cadre fixant les règles générales applicables aux services d'intérêt général,

PAR M. CHRISTIAN BATAILLE,

Député.

--

1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Télécommunications.

La Commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; M. Jean-Paul Charié, M. Jean-Pierre Defontaine, M. Pierre Ducout, M. Jean Proriol, vice-présidents ; M. Christian Jacob, M. Pierre Micaux, M. Daniel Paul, M. Patrick Rimbert, secrétaires ; M. Jean-Pierre Abelin, M. Yvon Abiven, M. Jean-Claude Abrioux, M. Stéphane Alaize, M. Damien Alary, M. François Asensi, M. Jean-Marie Aubron, M. Pierre Aubry, M. Jean Auclair, M. Jean-Pierre Balduyck, M. Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Bataille, M. Jean Besson, M. Gilbert Biessy, M. Claude Billard, M. Claude Birraux, M. Jean-Marie Bockel, M. Jean-Claude Bois, M. Daniel Boisserie, M. Maxime Bono, M. Franck Borotra, M. Christian Bourquin, M. Patrick Braouezec, M. François Brottes, M. Vincent Burroni, M. Alain Cacheux, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Charroppin, M. Philippe Chaulet, M. Jean-Claude Chazal, M. Daniel Chevallier, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Yves Coussain, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Claude Daniel, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, M. Léonce Deprez, M. Jacques Desallangre, M. François Dosé, M. Marc Dumoulin, M. Dominique Dupilet, M. Philippe Duron, M. Alain Fabre-Pujol, M. Albert Facon, M. Alain Ferry, M. Jean-Jacques Filleul, M. Jacques Fleury, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Louis Fousseret, M. Roland Francisci, M. Claude Gaillard, M. Robert Galley, M. Claude Gatignol, M. André Godin, M. Alain Gouriou, M. Hubert Grimault, M. Lucien Guichon, M. Gérard Hamel, M. Patrick Herr, M. Francis Hillmeyer, M. Claude Hoarau, M. Robert Honde, M. Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, M. Aimé Kergueris, M. Jean Launay, Mme Jacqueline Lazard, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Lemoine, M. Jacques Le Nay, M. Jean-Claude Lenoir, M. Arnaud Lepercq, M. René Leroux, M. Jean-Claude Leroy, M. Roger Lestas, M. Félix Leyzour, M. Guy Malandain, M. Jean-Michel Marchand, M. Daniel Marcovitch, M. Didier Marie, M. Alain Marleix, M. Daniel Marsin, M. Philippe Martin, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Roger Meï, M. Roland Metzinger, M. Yvon Montané, M. Gabriel Montcharmont, M. Jean-Marie Morisset, M. Bernard Nayral, M. Jean-Marc Nudant, M. Jean-Paul Nunzi, M. Patrick Ollier, M. Joseph Parrenin, M. Paul Patriarche, M. Germinal Peiro, M. Jacques Pélissard, M. Jean-Pierre Pernot, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, M. François Perrot, Mme Annette Peulvast-Bergeal, M. Serge Poignant, M. Bernard Pons, M. Jean Pontier, M. Jean-Luc Reitzer, M. Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, M. Jean-Claude Robert, M. Joseph Rossignol, M. Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, M. François Sauvadet, M. Jean-Claude Thomas, M. Léon Vachet, M. Daniel Vachez, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Gérard Voisin, M. Roland Vuillaume.

INTRODUCTION 5

I.- PRÉSENTATION DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES SOUMISE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE 7

II.- BILAN CRITIQUE DE LA LIBÉRALISATION PARTIELLE DES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL (SIG) DANS L'UNION EUROPEENNE 9

A.- LES SERVICES POSTAUX 9

B.- LES TRANSPORTS COLLECTIFS 10

C.- LE GAZ ET L'ELECTRICITE 11

D.- LES TÉLÉCOMMUNICATIONS 12

III.- L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ DES SIG PAR LES PROPOSITIONS SECTORIELLES DE LIBÉRALISATION ACCRUE 13

A.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU 30 MAI 2000 RELATIVE AUX SERVICES POSTAUX 13

B.- LA PROPOSITION DE REGLEMENT DU 26 JUILLET 2000 RELATIVE AUX TRANSPORTS PUBLICS 14

C.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU 13 MARS 2001 RELATIVE AU MARCHÉ INTERIEUR DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ 16

D.- LE RAPPORT SUR LES SERVICES D'INTÉRET GÉNÉRAL PRÉSENTÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LE CONSEIL EUROPÉEN DE LAEKEN N'INFLÉCHIT PAS CETTE ÉVOLUTION 17

IV.- NÉCESSITÉ D'UNE DIRECTIVE CADRE POUR METTRE EN _UVRE LES PRINCIPES CONSACRÉS PAR LE TRAITÉ D'AMSTERDAM 18

A.- LES INCERTITUDES JURISPRUDENTIELLES SUR L'APPLICATION DES RÈGLES DE CONCURRENCE AUX SIG DÉCOULENT DE L'ABSENCE DE NORME EUROPÉENNE CLAIRE ET PRÉCISE 18

B.- L'EXIGENCE D'UNE SÉCURITE JURIDIQUE ACCRUE FORMULÉE LORS DU CONSEIL EUROPÉEN DE NICE DOIT CONDUIRE À DONNER UNE PORTÉE PRATIQUE AU NOUVEL ARTICLE 16 DU TRAITÉ CE 19

C.- UNE DIRECTIVE CADRE PRÉCISANT LE RÉGIME JURIDIQUE DE L'ENSEMBLE DES SIG DOIT ÊTRE PRÉFERÉE AUX PROJETS DE DIRECTIVES SECTORIELLES OU DE SIMPLE CHARTE 20

EXAMEN EN COMMISSION 23

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION 27

MESDAMES, MESSIEURS,

La proposition de résolution n° 3142 adoptée par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne en juin dernier, sur laquelle la Commission de la production et des échanges doit se prononcer, porte en principe sur la proposition de directive COM (2000) 3925 final / E 1551 du Parlement européen et du Conseil. Cette proposition de directive concerne le service universel et les droits des utilisateurs en matière de communications électroniques, et vise en particulier à garantir que ces services soient partout disponibles à un prix abordable et à un niveau de qualité satisfaisant.

La représentation nationale ne saurait limiter ses travaux à un secteur aussi ciblé, et se doit, plus généralement, d'être particulièrement attentive à l'évolution de la conception communautaire des services d'intérêt général. En effet, les services publics français, auxquels les citoyens sont légitimement attachés, ont connu depuis une quinzaine d'années des bouleversements considérables, du fait notamment des choix de libéralisation effectués à l'échelon européen.

Le rapport de la Délégation pour l'Union européenne, ainsi que la proposition de résolution qu'il a préparé, sont d'ailleurs exclusivement consacrés aux services d'intérêt général ; votre rapporteur s'efforcera malgré tout, pour sa part, de présenter une analyse critique des principaux éléments contenus dans la proposition de directive sur laquelle la Commission de la production et des échanges est saisie.

La notion française de « service public » peine à trouver une traduction européenne : les exigences du « service universel » ne recoupent qu'imparfaitement les missions propres au service public, tandis que les « services d'intérêt général » désignent les organismes produisant ces services publics. Cette difficulté trouve certainement son origine dans une différence de conception de ces services, perçus en France comme des instruments de justice sociale au service d'usagers-citoyens, et compris au niveau communautaire comme des moyens d'offrir des prestations marchandes efficaces à des clients-consommateurs.

La préférence accordée à cette dernière approche explique la soumission croissante des services publics à des obligations concurrentielles qui ne reflètent pas leur fonction singulière. La libéralisation partielle a surtout concerné jusqu'à présent les grands services publics économiques, dans les secteurs de l'énergie, des transports, de la poste ou des télécommunications, puisque les règles communautaires de concurrence, en vertu de l'article 86 du traité CE, s'appliquent en principe aux « services d'intérêt économique général ». Ces derniers ne constituent qu'une catégorie particulière au sein des « services d'intérêt général », qui comprennent aussi des services non économiques (système éducatif, protection sociale) et des fonctions régaliennes (sécurité, justice, diplomatie), pour lesquels une libéralisation partielle n'est malheureusement pas exclue à l'avenir compte tenu des débats en cours à l'OMC.

Les propositions communautaires actuelles de libéralisation accrue des services d'intérêt économique général, par des textes sectoriels, constituent une menace pour les services publics économiques français, dans la mesure où leur rôle social spécifique n'est pas suffisamment pris en compte. Alors que les dérogations aux règles de concurrence restent rares et très précisément encadrées, aucun texte n'indique clairement et de manière détaillée les exigences propres à l'ensemble des services d'intérêt général. Le rapport de la Commission européenne pour le prochain Conseil européen de Laeken (décembre 2001) n'envisage pas véritablement de répondre à cette attente.

La conception traditionnelle française et l'approche communautaire ne sont pourtant pas inconciliables. Il est possible d'ouvrir à la concurrence les services publics économiques - et eux seuls - tout en imposant aux entreprises, privées comme publiques, chargées de leur gestion, des obligations particulières, pour s'assurer du respect de l'esprit même du service public « à la française » : continuité, mutabilité, et surtout égalité de traitement des usagers (qui suppose des mécanismes destinés à compenser les disparités territoriales).

L'introduction en 1997 par le traité d'Amsterdam d'un nouvel article 16 dans le traité CE, mentionnant, parmi les « valeurs communes » de l'Union européenne, le rôle joué par les services d'intérêt économique général en matière de « cohésion sociale et territoriale », a ouvert une perspective encourageante. Toutefois, cet article est encore dépourvu de portée pratique, et les dérogations aux règles de concurrence restent soumises à la jurisprudence fluctuante de la Cour de justice des Communautés européennes, faute de norme précise à appliquer. L'exigence d'une plus grande sécurité juridique en la matière a d'ailleurs été explicitement formulée lors du Conseil européen de Nice (7-9 décembre 2000).

Votre rapporteur, en accord sur ce point avec le rapport de la délégation pour l'Union européenne, estime que le seul moyen efficace de garantir le respect des principes fondateurs du service public par les entreprises chargées de gérer des services d'intérêt économique général est l'adoption d'une directive précise s'appliquant aux services d'intérêt général dans leur ensemble. Une telle démarche est préférable à l'adoption de directives sectorielles, qui n'est pas justifiée pour des principes communs à tous les secteurs (universalité, égalité, continuité...), et à la rédaction d'une simple Charte, qui n'aurait pas de valeur contraignante.

Une action déterminée des autorités françaises en faveur de l'élaboration de cette directive-cadre transversale permettrait, dans les services publics, d'encadrer le jeu de la concurrence, en fixant des règles claires et respectées pour leur fonctionnement et leur financement. Cette approche a l'avantage de prendre en compte à la fois les prescriptions du traité CE et les souhaits des citoyens français, favorables au maintien des garanties propres au service public.

I.- PRÉSENTATION DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE SUR LES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES SOUMISE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil n° E 1551, relative au service universel et aux droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, comporte essentiellement des dispositions relatives au règlement des litiges (article 30) et des dispositions relatives aux obligations de service universel (articles 3 à 15).

· Concernant le règlement des litiges, elle précise que les procédures devront être "transparentes, simples et peu onéreuses", afin de permettre un "règlement efficace et rapide des litiges". Ces apports, qui vont dans le sens d'une amélioration du fonctionnement des juridictions, ne soulèvent pas d'objections de la part de votre rapporteur.

· Concernant les obligations de service universel, l'article 3-1 de la directive proposée rend obligatoire la mise à la disposition des services à l'ensemble des citoyens "indépendamment de leur position géographique", à un prix abordable et à un niveau de qualité déterminé. Votre rapporteur se réjouit de cette mention, qui permet d'intégrer aux exigences du service universel l'aspect territorial du principe français d'égalité devant le service public.

En revanche, les formules contenues à l'article 3-2 et à l'article 4, selon lesquelles les Etats-membres doivent "s'efforcer de minimiser les distorsions sur le marché (...) tout en sauvegardant l'intérêt public" et "veiller à ce que toutes les demandes raisonnables de raccordement au réseau téléphonique public (...) soient satisfaites par un opérateur au moins" restent beaucoup trop vagues et laissent, en conséquence, aux juridictions une marge d'appréciation excessive. A partir de quel moment, par exemple, une demande de raccordement cesse-t-elle d'être raisonnable ? Cette terminologie contestable figure également à l'article 6, à propos de l'obligation pour les entreprises de mettre à disposition des cabines téléphoniques pour répondre aux besoins des utilisateurs en termes de couverture géographique. La nécessité d'accroître la sécurité juridique dans le droit communautaire devrait conduire à des formulations plus précises et plus rigoureuses.

La proposition de directive prévoit des mesures spécifiques pour aider les consommateurs les plus fragiles à accéder aux services téléphoniques de base, ce qui s'inscrit dans la logique traditionnelle du service universel, et peut constituer une limite utile, bien qu'insuffisante, aux excès des mécanismes du marché.

L'article 8-3 de la directive proposée exige des Etats-membres qu'ils choisissent les entreprises chargées d'assurer le service universel de façon efficace, impartiale et transparente, tandis que l'article 9-4 étend ces mêmes exigences à la passation des contrats de vente entre les opérateurs et les consommateurs. Ces obligations, traditionnelles en droit communautaire, ne devraient pas engendrer de difficultés particulières. En revanche l'obligation, contenue à l'article 8-3, que la fourniture du service universel réponde au "critère de rentabilité", semble déplacée pour des services qui sont imposés précisément parce qu'ils ne sont pas rentables.

L'article 9 permet par ailleurs aux Etats-membres d'encadrer les tarifs pratiqués par les opérateurs de façon à ne pas exclure de fait les individus les plus fragiles, et à ne pas aggraver les disparités territoriales par des prix géographiquement différenciés. Votre rapporteur voit dans cette disposition une première traduction juridique, ciblée sur les seules communications téléphoniques, des objectifs de "cohésion sociale et territoriale" formulés par le nouvel article 16 du traité CE. Ces prescriptions restent bien sûr trop restreintes, mais constituent déjà une avancée par rapport à la situation actuelle.

Il est en revanche possible de s'interroger sur le sens à donner à la formule de l'article 11 selon laquelle les opérateurs assurant le service universel devront être soumis à des "objectifs de performance", puisque le respect des obligations de service public ne contribue pas toujours à la stricte efficacité économique.

Les articles 12 et 13 confient à un organisme indépendant la vérification du calcul des coûts nets des obligations de service universel, ainsi que la gestion du mécanisme de répartition de ces coûts - lorsque cette dernière solution a été préférée à une indemnisation par l'Etat de l'entreprise supportant, du fait du service universel, une "charge injustifiée". Si l'Etat opte pour un mécanisme de répartition des coûts appuyé sur un fonds, le système doit être transparent et non discriminatoire, mais aussi respecter les principes de proportionnalité et de "distorsion minimale du marché".

Votre rapporteur s'interroge sur la signification de cette référence à une proportionnalité (à quoi se rapporte-telle ?), et s'étonne que l'on puisse exiger une neutralité concurrentielle maximale d'un mécanisme justement destiné à corriger le jeu spontané du marché. En outre, l'obligation de confier, une fois de plus, les fonctions de régulation et de surveillance à une autorité administrative indépendante, coupée du suffrage universel, n'est pas satisfaisante en elle-même ; préciser que cette autorité serait placée sous le contrôle du Parlement, auquel elle devrait rendre compte chaque année, permettrait peut-être de rétablir une légitimité démocratique indirecte.

Globalement, la directive proposée porte sur un secteur limité, comporte des avancées indéniables, notamment en termes de protection des publics fragiles ou de financement des obligations de service universel, mais reste perfectible, en raison, d'une part de l'ambiguité juridique de certaines formules, d'autre part de l'inspiration libérale de certaines exigences de performance, de rentabilité ou de neutralité concurrentielle.

II.- BILAN CRITIQUE DE LA LIBÉRALISATION PARTIELLE DES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL (SIG) DANS L'UNION EUROPÉENNE

A.- LES SERVICES POSTAUX

La directive n°97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997, entrée en vigueur le 10 février 1998, a posé des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et impose une libéralisation du secteur.

L'article 7 de cette directive précise que les services susceptibles d'être réservés à l'opérateur prestataire de service universel concernent le traitement des correspondances intérieures « dont le prix est inférieur à cinq fois le tarif public applicable à un envoi de correspondance du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide (...) pour autant que leur poids soit inférieur à 350 grammes ». Elle autorise des dérogations à ces limites de prix et de poids pour les aveugles et les malvoyants, et permet le maintien de services réservés, sous certaines limites de prix et de poids, pour le courrier transfrontière et le publipostage, lorsque le maintien du service universel l'exige. Enfin, elle n'impose pas la création d'une autorité indépendante de régulation du marché postal.

Cette directive a été partiellement transposée en droit français par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire du 25 juin 1999, qui a retenu, dans sa définition du service universel et des services réservés, la totalité des possibilités offertes par la directive. Le choix de la majorité a donc été de se conformer aux obligations communautaires en préservant dans toute la mesure du possible les acquis de notre service public. L'existence d'un important périmètre réservé est en effet essentielle pour financer les prestations de service universel, particulièrement coûteuses en France du fait de la dispersion de l'habitat sur un vaste territoire et de la difficulté d'accès de nombreuses habitations.

La concurrence constatée depuis quatre ans en France dans le secteur postal est toutefois déjà conséquente. Elle s'est installée sur les segments du marché les plus rentables, tels que le courrier express, les colis, le publipostage ou les expéditions transfrontalières notamment.

En revanche certains Etats-membres ont déjà, de leur propre initiative, exploré la voie d'une vaste mise en concurrence des services postaux, accompagnée parfois d'une privatisation de l'opérateur historique. Le bilan de ces mesures de libéralisation du marché postal montre, en particulier en Suède, une augmentation du prix du timbre, la suppression d'emplois et la fermeture de bureaux de poste. Il s'agit donc d'un échec complet.

En Suède, un rapport récent du régulateur P&TS a fait apparaître plusieurs éléments inquiétants : plus de 1 200 foyers exclus du service quotidien, 10 % des foyers touchés par la fermeture des bureaux de poste, 15 % des foyers obligés de parcourir plus de 5 kilomètres pour atteindre le bureau de poste le plus proche, diminution des heures d'ouverture de ces bureaux.

La Grande-Bretagne vient quant à elle, par une loi du 28 juillet 2000, de transformer en société anonyme le Post Office, qui perd son monopole sur le courrier léger, le secteur étant désormais régulé par une autorité indépendante. Ce choix constitue un revirement important, compte tenu de la position prudente défendue auparavant par ce pays aux côtés de la France, sans qu'il soit encore possible d'en évaluer les conséquences pratiques pour la population britannique.

Ces éléments d'appréciation doivent donc conduire les autorités françaises à conserver une attitude vigilante, afin d'éviter l'adoption précipitée de dispositions communautaires qui impliqueraient, dans tous les Etats-membres de l'Union européenne, une libéralisation accrue des services postaux.

B.- LES TRANSPORTS COLLECTIFS

· L'ouverture progressive à la concurrence du marché du transport aérien, désormais achevée dans l'ensemble des Etats-membres, ne semble pas avoir remis en cause les obligations essentielles du service public. En effet, les Etats peuvent toujours imposer aux entreprises, dans un souci d'aménagement du territoire, la desserte aérienne de zones reculées, l'insuffisante rentabilité pouvant alors être compensée par des fonds spécifiques, tels que le Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien (FIATA) en France.

Les conventions passées par l'autorité publique avec les opérateurs aériens peuvent mentionner des exigences de service public précises, en termes de tarifs comme de régularité. La Commission exerce un contrôle de proportionnalité sur les compensations financières accordées aux entreprises en contrepartie de leurs obligations de service public.

· En revanche, la libéralisation qui a affecté les transports terrestres dans certains Etats-membres, de leur propre initiative, a plus fortement mis en danger les garanties du service public. A ce jour, onze des quinze Etats-membres ont partiellement ouvert à la concurrence l'organisation de leurs transports collectifs.

En Grande Bretagne, le démantèlement complet, sous le Gouvernement de M. John Major, de l'ancien monopole ferroviaire n'a pas permis de remédier à l'état déplorable des chemins de fer, héritage de cinquante années de sous-investissement public. Le métro londonien, privé, reste nettement plus onéreux et moins efficace que son équivalent parisien, monopole public, ce qui permet une fois encore de douter des bienfaits de la mise en concurrence pour ce type de services publics.

En Allemagne, la récente transformation de la Deutsche Bahn en société par actions à capitaux publics fractionnée en cinq entités distinctes n'a pas débouché sur une amélioration de la santé financière de l'entreprise, qui devrait continuer à perdre 4 milliards de francs (610 millions d'euros) par an jusqu'en 2005. Pourtant, au cours de la seconde moitié des années 1990, 50 milliards de marks (25 milliards d'euros) ont été affectés à cette entreprise, tandis que le trafic ferroviaire progressait de 7 % - désormais les parts de marché du rail au sein de l'ensemble des transports diminuent.

La France a été relativement épargnée par le mouvement de libéralisation jusqu'à présent, puisque l'ensemble du transport ferroviaire de voyageurs est encore assuré par la SNCF. La seule modification, intervenue en 1997, a été la création de Réseau ferré de France (RFF), établissement public chargé de la gestion des infrastructures ferroviaires auparavant détenues par la SNCF, mais aussi de la régulation du trafic - la SNCF, unique opérateur, conservant essentiellement les rames. Cette séparation entre opérateur et régulateur, caractéristique de la conception anglo-saxonne et communautaire de la gestion des services publics, ouvre la voie à une future mise en concurrence de la SNCF.

C.- LE GAZ ET L'ELECTRICITE

· En ce qui concerne le gaz, la directive 98/30/CE du 22 juin impose une ouverture progressive des marchés nationaux à la concurrence. Cette directive n'a pas encore été transposée en droit français, bien qu'elle soit désormais pour partie directement applicable. Les exemples étrangers, et en particulier le cas anglais, incite à veiller à une transposition prudente.

En Grande-Bretagne en effet, sur une période de dix ans, le monopole de British Gas a cédé la place à une ouverture complète du secteur gazier à la concurrence, quinze opérateurs différents étant désormais présents sur le marché, où les nombre d'emplois a été divisé par deux. Il semble que le petit consommateur ne retire pas de bénéfice important de cette libéralisation, puisqu'en dix ans le prix du gaz domestique a baissé deux fois moins vite que le prix du gaz industriel.

· Pour l'électricité, le bilan des politiques d'ouverture à la concurrence conduites chez nos partenaires est plus lourd.

Certes, la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 fait explicitement référence au service public et permet aux Etats-membres d'imposer aux opérateurs des obligations particulières à ce titre (sécurité, régularité, qualité, prix, environnement), sans pourtant renoncer à la « perspective d'un marché de l'électricité qui soit concurrentiel et compétitif ».

Toutefois, malgré la souplesse et la prudence de ce texte, certains Etats-membres, comme la Grande-Bretagne depuis 1989 et la Suède depuis 1996, ont choisi de libéraliser presque totalement leur secteur électrique.

En Grande-Bretagne, ce changement a certes permis de réduire d'un quart les prix industriels sur dix ans (la réduction étant moindre pour les particuliers), mais ces prix restent élevés et cette évolution a conduit à diviser par trois le nombre d'emplois dans le secteur électrique. L'absence d'autorité de régulation jusqu'en 1995, et la dissimulation d'informations à cette dernière après 1995, ont certainement contribué à enrichir les distributeurs et à amoindrir les avantages tarifaires que les consommateurs auraient pu retirer de la libéralisation. Comme on l'a par ailleurs constaté en Californie, il semblerait qu'une fois encore la concurrence ait surtout servie à enrichir ceux qui sont capables de la manipuler.

De même, en Suède, le secteur électrique, où la concurrence n'est régulée que pour le transport d'électricité (la production et la vente étant entièrement libres), connaît désormais de nombreux dysfonctionnements. Alors que seuls 10 % des ménages se fournissent auprès d'un nouvel opérateur, d'importantes coupures d'électricité, dues à un entretien défaillant du réseau, ont récemment fait leur apparition, notamment à Stockholm. En outre, des ententes sont suspectées entre les opérateurs pour éviter une baisse trop sensible des tarifs, tandis que les sociétés tardent à enregistrer les résiliations de contrats demandées par leurs clients. Enfin, l'indépendance énergétique du pays, obligé d'importer de l'électricité en fonction des conditions météorologiques, n'est pas assurée.

D.- LES TÉLÉCOMMUNICATIONS

Les directives 97/33/CE du 30 juin 1997 et 98/10/CE du 26 février 1998 ont imposé l'ouverture à la concurrence de ce secteur, tout en précisant, sur demande de la France notamment, qu'un service universel devait néanmoins être assuré. Le service universel exige que soit garanti partout l'accès de tous à certaines prestations essentielles, de qualité et à un prix abordable : il s'agit donc d'une sorte de service minimum destiné à protéger les zones et populations fragiles des excès du marché (obligation par exemple de prendre en compte les difficultés financières et handicaps des abonnés, ou encore fourniture d'un service restreint en cas de défaut de paiement). Répétons-le, ce service universel n'est pas notre service public.

Le périmètre du service universel, dans le secteur des télécommunications, est d'ailleurs limité à la téléphonie vocale fixe. Si la Commission européenne accepte la création de fonds destinés à compenser le coût des obligations du service universel en matière de desserte de zones non rentables (assurée en France par France-Télécom), elle manifeste toutefois des réticences lorsqu'il s'agit de faire contribuer financièrement les opérateurs privés à ce fonds. L'Autorité de régulation des télécommunications (ART), autorité administrative indépendante créée en France pour répondre aux exigences communautaires, a d'ailleurs réduit du tiers, entre 1998 et 2000, les sommes allouées à ce fonds.

Les expériences de libéralisation conduites en Allemagne, en Suède et en Grande-Bretagne montrent un développement effectif de la concurrence (les opérateurs historiques restant dominants, avec une part de marché comprise entre 60 et 80 %), qui s'est le plus souvent accompagné d'une réduction des effectifs. La présence des nouveaux opérateurs est plus marquée pour les communications internationales et, surtout, la téléphonie mobile, que pour les communications locales à partir de téléphones fixes.

Les tarifs pratiqués ont sensiblement baissé dans leur ensemble, mais l'évolution est très contrastée : les longues distances ont été favorisées au détriment des communications locales (dont le prix a parfois fortement augmenté), les grandes et moyennes entreprises ont bénéficié de réductions beaucoup plus importantes que les particuliers ou les petites entreprises, et enfin les clients fragiles (ménages à faible revenu, personnes avec enfants, retraités, handicapés) ont, de fait, été pénalisés. Il faut en outre, dans ce secteur, faire la part du progrès technologique et veiller à ne pas mettre au crédit de la concurrence des évolutions techniques, souvent issues d'ailleurs de la recherche publique.

Le jeu spontané du marché tend, comme toujours, à marginaliser plus encore les individus les plus pauvres s'ils sont isolés socialement et géographiquement. Ces expériences témoignent bien de la nécessité d'introduire des correctifs qui tiennent compte d'impératifs de justice sociale et pas seulement d'efficacité économique.

III.- L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DE LA SPÉCIFICITÉ
DES SIG PAR LES PROPOSITIONS SECTORIELLES
DE LIBÉRALISATION ACCRUE

A.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU 30 MAI 2000 RELATIVE AUX SERVICES POSTAUX

La directive proposée par la Commission européenne pour modifier les obligations juridiques pesant sur les services postaux dans l'Union européenne, qui devrait être transposée en droit interne avant la fin de l'année 2002, étend les obligations de mise en concurrence contenues dans la directive 97/67/CE.

Ainsi, en vertu du premier alinéa du nouvel article 7 de la directive, les services postaux que les Etats-membres pourront continuer à réserver au prestataire du service universel (en France, la Poste) devront s'inscrire, pour les envois de correspondance ordinaires et le publipostage, dans des limites de poids et de prix plus étroites qu'auparavant : 50 grammes (contre 350 grammes aujourd'hui) maximum pour le poids, deux fois et demi le tarif de base (contre cinq fois actuellement) maximum pour le prix - c'est-à-dire 7,50 FF au lieu de 15 FF au prix actuel du timbre.

Pour les envois de correspondance transfrontière sortants et l'ensemble des services de courrier express, la proposition de directive envisage une suppression pure et simple de ces limites, la mise en concurrence étant alors totale pour ces services.

La proposition de directive ajoute un cinquième alinéa à l'article 12, qui interdit aux opérateurs de financer leurs services universels non réservés avec des recettes tirées de l'exploitation de services universels réservés, « sauf dans la mesure où une telle subvention croisée s'avère absolument indispensable à l'accomplissement des obligations de service universel ». La Commission vérifiera que ces subventions ne dépassent pas la stricte couverture des surcoûts liés à la prestation du service universel.

Pour préserver le service universel, la Commission rappelle que la mise en _uvre d'un service réservé n'est pas la seule solution : il est possible de subordonner l'octroi d'autorisations aux opérateurs postaux à des obligations de service universel, ou de créer un fonds de compensation alimenté par des contributions d'autres opérateurs sous licence.

La directive proposée impose par ailleurs aux prestataires du service universel de respecter les principes de transparence et de non-discrimination.

L'alinéa 3 de l'article 7 demande enfin au Parlement européen et au Conseil de décider avant la fin 2005 de la poursuite de l'ouverture à la concurrence du marché postal « en vue de l'achèvement du marché intérieur des services postaux ». Une modification de l'article 27 de la directive repousse du 31 décembre 2004 au 31 décembre 2006 la caducité des directives organisant le régime transitoire.

Pour convaincre de la pertinence et de la modération de sa proposition, la Commission précise que les mesures proposées ne représentent, en termes de recettes, qu'une libéralisation supplémentaire d'environ 20 % par rapport à la directive de 1997. Par ailleurs, elle estime les surcoûts liés aux obligations de service universel (par exemple maintien des services dans les zones non rentables) à seulement 5 % en moyenne des recettes postales des prestataires du service universel.

Toutefois, cette proposition de directive ne peut recueillir l'assentiment de votre rapporteur, qui y voit une étape supplémentaire vers la libéralisation pure et simple du marché postal, sans que les obligations du service universel en matière postale et les moyens financiers de les assurer soient suffisamment précisés. La directive proposée témoigne d'une vision presque exclusivement marchande du secteur, qui constitue une menace pour les principes mêmes du service public postal, dont les citoyens français sont satisfaits, et risque de conduire à d'importantes réductions d'effectifs, en particulier chez l'opérateur historique.

En définitive, la Commission européenne manifeste une fois encore une confiance dogmatique dans les mécanismes du marché, alors que ces derniers n'offrent que peu de garanties pour les individus et les zones les plus fragiles. On peut en particulier se demander sur quelle fondement repose l'affirmation de la Commission selon laquelle, en l'absence d'un accroissement de l'ouverture du marché postal à la concurrence, « il y aurait un risque sérieux de déclin soudain, substantiel et irréversible de la demande-client pour les services de la poste aux lettres traditionnels ».

B.- LA PROPOSITION DE REGLEMENT DU 26 JUILLET 2000 RELATIVE AUX TRANSPORTS PUBLICS

L'une des caractéristiques positives de la proposition de règlement 2000/0212 (COD) de la Commission européenne sur le transport collectif des voyageurs réside dans la référence explicite à la notion de « service public », un chapitre entier étant consacré aux « contrats de service public », c'est-à-dire en droit français aux délégations de service public régies par la loi du 29 janvier 1993.

Pour autant, la Commission ne sort pas d'une logique marchande dans laquelle les critères d'appréciation du service restent peu précis, le règlement proposé indiquant, dans son article 4, la nécessité d'assurer des services « suffisants et d'un niveau de qualité et de disponibilité élevé ».

Le règlement proposé impose, dans son article 5, la conclusion d'un « contrat de service public » pour l'octroi de tous les droits exclusifs, ainsi que pour la mise en _uvre d'une compensation financière couvrant les surcoûts liés aux « exigences de service public ». En vertu de son article 6, ces contrats sont attribués par voie d'appels d'offres, selon une procédure « équitable, ouverte et non discriminatoire » (article 12), pour une durée maximale de cinq ans, mais une attribution directe reste possible ponctuellement dans les cas suivants (article 7) :

- dans les transports ferroviaires, lorsque cette solution est la seule permettant de respecter les normes de sécurité ;

- lorsque cette solution est la moins coûteuse pour maintenir la coordination entre l'opérateur et le gestionnaire d'infrastructure ;

- lorsque la valeur annuelle moyenne du contrat est estimée à moins de 400 000 euros (2,62 millions de francs) ;

- lorsqu'un opérateur propose de fournir, sans indemnisation, un service public là où il n'en existait pas auparavant.

Dans une logique concurrentielle traditionnelle, l'article 9 de la proposition de règlement s'attaque aux éventuelles positions dominantes, en permettant de refuser l'attribution d'un contrat à un opérateur qui détiendrait alors plus de 25 % du marché.

L'ensemble de ces dispositions ne soulève pas d'objection majeure de votre rapporteur, qui se réjouit de l'adoption par la Commission de la notion française de « service public ».

En revanche, l'article 10 de cette proposition de règlement, qui traite des « règles générales ou critères généraux » dont le respect peut être imposé aux opérateurs, semble excessivement restrictif. Il impose en effet que la compensation des surcoûts liés à ces obligations de service public puisse, certes, être accordée à tous les opérateurs sans discrimination, mais surtout soit inférieure à 20 % de la valeur des services fournis par l'opérateur. Or, on ne peut écarter a priori l'hypothèse où la desserte ferroviaire de zones reculées et très peu rentables (dans certaines régions du Massif central par exemple) engendrerait des surcoûts représentant plus de 20 % des recettes de l'opérateur.

En outre, en vertu du même article, toute règle limitant les tarifs pratiqués par l'opérateur ne pourrait le faire « que pour une certaine catégorie de passagers ». Cette restriction ouvre la voie à des discriminations contraires au principe d'égalité devant le service public, fondamental dans notre droit public, selon lequel le service doit être fourni dans des conditions égales aux usagers placés dans une situation identique.

C.- LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU 13 MARS 2001 RELATIVE AU MARCHÉ INTERIEUR DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ

L'article premier de la directive proposée par le Commission européenne modifie la directive 96/92/CE relative au secteur électrique, tandis que l'article 2 modifie la directive 98/30CE relative au secteur gazier.

* S'agissant du gaz, la Commission propose de modifier notamment les article 7 et 10 de la directive de 1998, pour imposer, au 1er janvier 2004, l'indépendance du gestionnaire du réseau de transport, ainsi que celle du gestionnaire du réseau de distribution.

Le nouvel article 7 précise par ailleurs que les règles élaborées par ces gestionnaires devront être transparentes et non discriminatoires, ce qui est habituel en droit communautaire.

Surtout, les Etats-membres devront faire en sorte, avant la fin 2004, que tous les clients puissent choisir librement leur fournisseur en gaz. Cela signifie qu'au 1er janvier 2005 le secteur gazier devra avoir été entièrement ouvert à la concurrence, perspective à laquelle votre rapporteur ne peut adhérer.

* Toutefois, l'inquiétude de votre rapporteur est bien plus grande en ce qui concerne le secteur électrique, car il s'agit d'une énergie stratégique pour notre pays, énergie que les avancées technologiques (électronique, téléphonie, informatique) ont rendue plus indispensable encore à tous les citoyens.

La Commission propose de modifier notamment les article 7 et 10 de la directive de 1996 sur l'électricité, pour imposer, au 1er janvier 2004, l'indépendance du gestionnaire du réseau de transport, ainsi que celle du gestionnaire du réseau de distribution.

De manière classique en matière de concurrence, il serait demandé (article 22, alinéa 2) aux Etats-membres de prendre des mesures de régulation et de contrôle permettant d'éviter tout abus de position dominante et tout comportement prédateur de la part d'un opérateur.

Comme le secteur gazier, le secteur électrique serait entièrement ouvert à la concurrence au 1er janvier 2005, puisque le nouvel article 19 proposé dispose qu'à cette date tous les clients devront être en mesure de choisir leur fournisseur d'électricité (pour les clients non résidentiels, le libre choix devrait être assuré dès le 1er janvier 2003).

Votre rapporteur regrette vivement que les possibilités de dérogations aux règles de concurrence édictées à l'article 86 du traité CE ne soient pas précisées par cette proposition de directive, dont l'article 3, alinéa 5, se contente de reprendre la formule traditionnelle. Ainsi, la proposition de directive prévoit qu'il est possible de déroger aux règles de concurrence « si leur application risque d'entraver l'accomplissement, en droit ou en fait, des obligations imposées (...) dans l'intérêt économique général, et pour autant que le développement des échanges n'en soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté ».

* Seul point positif, dans les deux propositions de directives, l'alinéa 4 de l'article 3 ouvre théoriquement aux Etats-membres le droit de prendre « les mesures qui s'imposent pour atteindre les objectifs en matière de cohésion économique et sociale, de protection de l'environnement et de sécurité d'approvisionnement », en agissant notamment sur les infrastructures. Pour l'électricité, le nouvel article 3, alinéa 2, permet également d'imposer aux opérateurs des obligations de service public en matière de régularité, de qualité et de prix, dans le respect des obligations concurrentielles édictées à l'article 86 du traité CE.

Ces dispositions ne sont toutefois pas assez précises pour dissiper le brouillard qui entoure les moyens concrets dont disposeront à l'avenir les Etats pour conduire une politique énergétique efficace et faire respecter par les opérateurs certains principes cardinaux du service public, qui ne sont pas toujours compatibles avec les règles communautaires de concurrence. Force est de constater que ces dernières, en revanche, ne manquent pas de précision, ce qui traduit l'attachement toujours primordial de la Commission à une libéralisation croissante, dans ce secteur comme dans les autres.

D.- LE RAPPORT SUR LES SERVICES D'INTÉRET GÉNÉRAL PRÉSENTÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR LE CONSEIL EUROPÉEN DE LAEKEN N'INFLÉCHIT PAS CETTE ÉVOLUTION

La Commission européenne a présenté, le 17 octobre 2001, un rapport à l'attention du Conseil européen de Laeken, consacré aux services d'intérêt général (SIG), qui entend répondre aux diverses objections soulevées par sa communication sur le même thème en septembre 2000. Ce rapport ne permet toutefois pas d'envisager avec plus de sérénité l'évolution des obligations juridiques auxquelles sont soumis les services publics français en vertu du droit communautaire.

En effet, afin d'améliorer la sécurité juridique, la Commission européenne affiche l'intention d'établir en 2002 un « cadre communautaire » pour les aides d'Etat accordées à titre de compensation pour les obligations de service public, qui préciserait les conditions dans lesquelles la Commission européenne autorise ces aides. Puis, à la lumière de cette expérience d'encadrement, elle pourrait envisager l'adoption d'un règlement exemptant, par catégorie, certaines de ces aides de l'obligation de notification préalable.

Ainsi, ne seraient considérées comme conformes au traité CE que les aides à des prestations de SIG attribuées par le biais d'une procédure d'appel d'offres équitable, transparente, non-discriminatoire et concurrentielle. Cette dernière référence montre bien qu'aucune évolution majeure de la position de la Commission européenne sur la question de l'ouverture des services publics à la concurrence ne peut être espérée.

Par ailleurs, la Commission européenne affirme dans ce rapport qu'il ne lui est « pas possible d'établir a priori une liste définitive de tous les services d'intérêt général devant être considérés comme « non économiques » ». Cette question est pourtant cruciale, puisque l'article 86 du traité CE ne soumet à l'obligation de mise en concurrence que les services d'intérêt économique général, ce qui signifie que les SIG non économiques y échappent en principe. Toutefois, s'il n'est pas possible de dire quels sont précisément ces services, le champ de l'obligation concurrentielle de l'article 86 du traité CE est mal borné, ce qui laisse la porte ouverte à une éventuelle mise en concurrence des services publics régaliens (par exemple la police) ou sociaux (par exemple l'éducation), perspective totalement inacceptable au regard des principes sur lesquels repose en France le pacte social.

En outre, la Commission européenne propose de consacrer à l'avenir une partie spécifique de son rapport annuel sur la politique de la concurrence aux SIG (sans renoncer pour autant à ses rapports sectoriels), et insiste sur l'amélioration des modalités d'évaluation de cette politique. La multiplication prochaine de ces commentaires, aussi pertinents soient-ils, ne pourra pourtant avoir l'impact concret d'une directive garantissant le respect des principes du service public et autorisant, pour l'ensemble des SIG, de plus larges dérogations aux règles de concurrence.

La perspective d'une telle directive est précisément rendue improbable par ce rapport, qui affirme que la Commission européenne « étudie actuellement cette proposition », mais qu'une telle directive cadre « ne serait pas suffisamment spécifique (et) ne pourrait pas se substituer à une réglementation propre à chaque secteur ».

Plus généralement, le rapport de la Commission européenne inscrit toujours ses travaux sur les SIG dans une logique marchande, comme en témoigne son vocabulaire : le titre de la troisième partie du rapport fixe l'objectif de « garantir un niveau élevé de performance » des SIG, tandis que le rapport qualité/prix semble être le principal critère d'évaluation des SIG (il s'agit d'assurer « les conditions les plus favorables du marché » pour être certain que « le consommateur bénéficiera de services de grande qualité aux meilleurs prix du marché »). Ce simple constat permet de nourrir de nombreuses inquiétudes pour l'évolution de la réglementation applicable aux services publics, dont la spécificité n'est toujours pas vraiment comprise.

IV.- NÉCESSITÉ D'UNE DIRECTIVE CADRE POUR METTRE EN _UVRE LES PRINCIPES CONSACRÉS PAR LE TRAITÉ D'AMSTERDAM

A.- LES INCERTITUDES JURISPRUDENTIELLES SUR L'APPLICATION DES RÈGLES DE CONCURRENCE AUX SIG DÉCOULENT DE L'ABSENCE DE NORME EUROPÉENNE CLAIRE ET PRÉCISE

La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a connu, au début des années 1990, une évolution plutôt favorable aux services publics, mais reste fluctuante.

Ainsi, alors que la CJCE tendait auparavant à exiger des services d'intérêt économique général (SIEG) le respect systématique des règles communautaires de concurrence, des dérogations ponctuelles ont été autorisées, en application de l'article 86-2 du traité CE, successivement pour les services postaux belges (arrêt Corbeau du 19 mai 1993) et pour les services de distribution d'électricité aux Pays-Bas (arrêt Commune d'Almelo du 27 avril 1994).

En outre, alors qu'il revenait jusque là à l'Etat-membre de prouver l'impossibilité pour l'opérateur d'accomplir sa mission spécifique d'intérêt économique général s'il était mis en concurrence, les quatre arrêts du 23 octobre 1997, opposant, sur l'organisation du secteur électrique, la Commission européenne aux Pays-Bas, à l'Italie, à la France et à l'Espagne, ont renversé la charge de la preuve. Ainsi, la Commission européenne ne peut plus se contenter d'une position de principe, mais doit désormais montrer qu'il serait possible à l'opérateur d'assurer sa mission dans un cadre concurrentiel. Ces avancées ont semblé se confirmer et même s'élargir récemment, avec l'arrêt Deutsche Post du 11 février 2000, où la CJCE a admis que l'« intérêt général » pouvait justifier des dérogations aux règles communautaires de concurrence, ce qui ouvre de vastes perspectives.

La jurisprudence de la CJCE n'est pourtant pas marquée uniquement par des évolutions positives, puisque les arrêts GT-Link A/S du 17 juillet 1997 et Raso du 12 février 1998 ont estimé que l'article 86 du traité CE s'opposait à ce qu'une même entreprise, à la fois opérateur et propriétaire des infrastructures portuaires, perçoive des taxes portuaires « d'un montant inéquitable », et à ce qu'une entreprise dispose d'un monopole sur la mise à disposition de main-d'_uvre temporaire dans un port où elle est par ailleurs opérateur. Même si, dans ces deux affaires, la confusion en une même société des fonctions d'opérateur et de régulateur explique probablement la sanction du juge, il ne semble pas que cette jurisprudence traduise un assouplissement des exigences de la CJCE en matière de respect, par les entreprises chargées de SIEG, des exigences communautaires de concurrence.

Ces hésitations jurisprudentielles proviennent certainement du caractère flou voire énigmatique des textes européens, en l'absence de directive générale traitant des SIEG. L'article 86 du traité CE, auquel la CJCE fait toujours référence, se contente en effet de disposer que « les entreprises chargées de la gestion d'un SIEG (...) sont soumises aux règles de la concurrence, dans la limite où leur application ne fait pas échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur est impartie », tandis que les articles 81 et 82 prohibent respectivement les ententes et les abus de position dominante.

En conséquence, votre rapporteur appelle de ses v_ux une clarification des textes européens, afin de déterminer précisément quelles sont les conditions permettant aux Etats-membres de déroger, pour les SIEG, aux règles de concurrence fixées par le traité CE. Cet effort permettrait d'éviter que la CJCE ne se livre à des interprétations évolutives, qui reviennent de fait à lui confier un rôle d'élaboration de la norme, alors que sa mission se borne au contrôle du respect de cette dernière.

B.- L'EXIGENCE D'UNE SÉCURITE JURIDIQUE ACCRUE FORMULÉE LORS DU CONSEIL EUROPÉEN DE NICE DOIT CONDUIRE À DONNER UNE PORTÉE PRATIQUE AU NOUVEL ARTICLE 16 DU TRAITÉ CE

Le nouvel article 16 introduit en 1997 dans le traité CE par le traité d'Amsterdam fait référence à « la place qu'occupent les SIEG parmi les valeurs communes » de l'Union européenne et au « rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union ». Toutefois, ce même article précise que ses dispositions s'entendent « sans préjudice » des règles de concurrence contenues par ailleurs dans le traité CE, et n'est pas directement applicable, alors que les règles relatives aux entreprises publiques et aux aides d'Etat le sont.

Ces restrictions ôtent toute portée pratique à cet article, tant qu'il n'est pas complété et précisé par un autre texte communautaire. L'élaboration d'un tel texte serait d'autant plus nécessaire et opportune que le Conseil européen avait formulé, les 7-9 décembre 2000, à Nice, le souhait que la Commission prenne, « en coopération étroite avec les Etats-membres », les mesures nécessaires pour « assurer une plus grande prévisibilité et une sécurité juridique accrue dans l'application du droit de la concurrence relatif aux services d'intérêt général ».

Le nouvel article 16 du traité CE ayant été introduit, à la demande de la France notamment, pour équilibrer, à son sommet, le droit communautaire, qui donne la priorité aux règles de concurrence, il est inconcevable qu'aucune norme communautaire de rang inférieur ne traduise ce rééquilibrage tant attendu. Il serait donc logique qu'un texte communautaire assure un contrepoids aux nombreuses directives organisant la libéralisation des SIEG, catégorie économique des SIG.

Ce texte gagnerait à concerner les SIG dans leur ensemble, car on ne peut malheureusement pas exclure que des projets de libéralisation de SIG non économiques (en matière de santé ou d'éducation par exemple) soient élaborés dans les prochaines années ou décennies, en raison des négociations programmées ou en cours à l'Organisation mondiale du commerce.

L'urgence d'un tel texte, qui permettrait de défendre efficacement la conception française du service public, est d'autant plus manifeste que la volonté de libéraliser toujours davantage les SIEG reste ferme dans les instances communautaires, comme en attestent les conclusions du Conseil européen de Lisbonne (23-24 mars 2000) appelant à « accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz, l'électricité, les services postaux et les transports », ainsi que les propositions d'actes communautaires décrites dans le présent rapport.

C.- UNE DIRECTIVE CADRE PRÉCISANT LE RÉGIME JURIDIQUE DE L'ENSEMBLE DES SIG DOIT ÊTRE PRÉFERÉE AUX PROJETS DE DIRECTIVES SECTORIELLES OU DE SIMPLE CHARTE

Différentes formes de textes ont été envisagées pour traduire, au niveau communautaire, les principes du service public applicables à l'ensemble des SIG, et préciser les conditions permettant aux SIEG de déroger aux règles européennes de concurrence.

Les projets de charte présentés par les autorités françaises dans le cadre de la conférence intergouvernementale de 1992, comme par la Confédération européenne des syndicats ou le Centre européen des entreprises à participation publique, ont le mérite de traiter le problème en souplesse, ce qui constitue un atout pour convaincre les Etats-membres d'Europe du Nord - traditionnellement plus favorables au simple jeu de la concurrence - d'y souscrire. Toutefois, une telle « Charte des SIG » risquerait fort, comme le précise très justement le rapport de la Délégation pour l'Union européenne, de n'être revêtue, pendant longtemps, que d'une simple portée politique déclarative, comme la Charte des droits fondamentaux, ce qui signifie qu'elle ne serait pas juridiquement contraignante.

L'adoption de directives sectorielles, comme le propose toujours la Commission européenne, n'est pourtant pas satisfaisante. En effet, cette approche ne garantie pas la cohérence globale des directives entre elles, et ne permet pas d'affirmer des principes généraux, communs à tous les secteurs ; l'expérience passée, comme les propositions actuelles de la Commission européennes, montrent que ces directives sectorielles sont bien davantage des instruments de libéralisation, progressive mais non tempérée, de ces secteurs.

En conséquence, votre rapporteur, conformément au rapport n° 3141 adopté par la Délégation pour l'Union européenne sur les SIG, préconise plutôt l'adoption par le Conseil d'une directive-cadre traitant de l'ensemble des SIG.

Cette directive pourrait certes rappeler, comme le préconise la Délégation pour l'Union européenne, que les SIG sont un « principe fondateur de l'Union européenne et un pilier de la citoyenneté européenne », mais devrait surtout se concentrer sur la définition des SIG et de leurs obligations. Il s'agirait de rapprocher le plus possible la définition des SIG de celle des services publics, et de mentionner de façon détaillée les exigences spécifiques de service public que les opérateurs seraient juridiquement contraints de respecter, au même titre que les règles communautaires de concurrence.

Enfin, la directive devrait préciser, de façon rigoureuse, les conditions à réunir pour qu'un Etat-membre soit autorisé à déroger, pour des motifs d'intérêt général, aux règles communautaires de concurrence.

La définition des SIG que devrait comporter la directive pourrait être la suivante : « Tout service assuré, sous le contrôle d'une personne publique, par une personne morale de droit public ou privé, dans le respect des principes d'égalité, de continuité et de mutabilité, afin d'assurer à tous les citoyens la jouissance de droits sociaux et économiques fondamentaux, tout en contribuant au renforcement de la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne ».

Cette définition diffère de celle qu'a proposé la Délégation pour l'Union européenne, en ce qu'elle fait explicitement référence aux principes fondamentaux du service public, mentionne le contrôle exercé par la puissance publique sur les conditions dans lesquelles le service est assuré par l'opérateur, et évoque les droits économiques et sociaux des usagers là où la définition de la Délégation ne voyait que des besoins. Votre rapporteur a par ailleurs choisi, dans un souci de simplification et de clarté, de supprimer les références aux droits de l'homme et aux « objectifs de développement économique, de l'emploi, de la qualité de vie et de développement durable », car ces références, bien que positives, n'apportent rien sur le plan pratique tant elles sont générales ou évidentes, et peuvent en revanche générer des confusions juridiques.

Les principes que devrait impérativement mentionner cette directive-cadre seraient les suivants : égalité de tous les usagers devant les SIG (supposant l'absence de discrimination sociale ou territoriale dans les tarifs), continuité (supposant la fourniture d'un service régulier et ininterrompu, sauf force majeure), mutabilité (c'est-à-dire adaptation du service aux évolutions techniques).

Par ailleurs, d'autres principes, d'origine moins française, tels que l'universalité (accès de tous les usagers au SIG à un prix abordable et transparent) ou la participation et l'information des usagers, pourraient être consacrés par cette directive. La directive pourrait aussi fixer des normes qualitatives et quantitatives minimales, des normes environnementales, des règles déterminant les procédures de réclamation et de recours, et mentionner la recherche parmi les missions d'intérêt général. Il conviendrait toutefois d'éviter que la directive ne devienne un catalogue d'exigences diverses, leur multiplication pouvant ouvrir la voie à des interprétations jurisprudentielles fondées sur la nécessité de les concilier, et du même coup réduire la portée pratique des principes fondamentaux du service public.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 21 novembre2001, la commission de la production et des échanges a examiné, sur le rapport de M. Christian Bataille, la proposition de résolution de M. Gérard Fuchs, rapporteur de la Délégation pour l'Union européenne, (n° 3142) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (COM [2000] 392 final/E 1551) et visant à instaurer une directive-cadre fixant les règles générales applicables aux services d'intérêt général.

Après que M. Christian Bataille, rapporteur, eut présenté les grandes lignes de son rapport, la commission est passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

· Article unique

Au septième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur visant à supprimer la référence à une économie concurrentielle.

Après le huitième alinéa, la commission a examiné puis adopté un amendement du rapporteur visant à établir un lien entre, d'une part, la directive cadre demandée par l'Assemblée nationale et traitant des services d'intérêt général dans leur ensemble et, d'autre part, l'avis qu'elle doit rendre sur la proposition de directive relative aux communications électroniques.

Au dixième alinéa, M. Christian Bataille, rapporteur, a présenté un amendement ayant pour objet de clarifier la définition des services d'intérêt général. Il a souligné que la définition proposée par la Délégation pour l'Union européenne contenait en effet des éléments dont la portée juridique est problématique et s'abstenait, par ailleurs, de faire référence, tant aux principes fondamentaux du service public, qu'au contrôle exercé par une personne publique sur leurs conditions de fonctionnement. Il a donc notamment proposé d'ajouter à cette définition la référence aux principes d'égalité, de continuité et de mutabilité.

M. Claude Gaillard a toutefois observé que la notion d'égalité revêtait souvent un caractère purement formel et s'est interrogé sur la nature de l'égalité mentionnée.

Après que M. François Brottes eut déploré qu'on abandonne la référence aux besoins fondamentaux et que le rapporteur eut indiqué que la notion d'égalité devait être comprise comme une égalité d'accès au service public, la commission a adopté cet amendement.

Au onzième alinéa, le rapporteur a présenté un amendement visant à unifier la terminologie employée dans la résolution, conformément aux usages communautaires en la matière.

Après que MM. François Brottes et Claude Billard eurent fait part de leur souhait de voir les termes « service public » demeurer inscrits dans le texte de la résolution, M. Christian Bataille a retiré cet amendement.

Au douzième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur permettant de préciser la notion d'universalité, en distinguant celle-ci de la notion d'égalité.

Après le douzième alinéa, M. Christian Bataille, rapporteur, a présenté un amendement visant à définir précisément le principe d'égalité auquel faisait référence la proposition de résolution.

M. Claude Gaillard a estimé que ce principe d'égalité n'était pas respecté aujourd'hui et ne le serait jamais et qu'on pouvait donc s'interroger sur l'utilité d'affirmer un principe bafoué dans les faits.

Après que M. François Brottes eut présenté deux sous-amendements de précision et que la commission les eut adoptés, celle-ci a adopté cet amendement ainsi modifié.

Au treizième alinéa, le rapporteur a proposé à la commission un amendement définissant le principe de continuité auquel faisait référence la proposition de résolution, ainsi que les conditions de suspension de ce principe.

M. François Brottes, après avoir fait part de ses craintes que la rédaction proposée ne limite l'exercice du droit de grève dans les services publics, a proposé un sous-amendement supprimant le rôle exercé par l'autorité de régulation dans la constatation de la force majeure. La commission a adopté ce sous-amendement, puis l'amendement ainsi sous-amendé.

Au quatorzième alinéa, M. Christian Bataille, rapporteur, a présenté un amendement précisant le contenu du principe de mutabilité du service public.

M. Claude Gaillard s'est dit en accord avec la philosophie générale de cet amendement, mais a affirmé, d'une part, que la définition proposée ouvrait la voie à une inégalité chronologique devant le service public et, d'autre part, que la concurrence était toujours à la source des progrès techniques.

M. François Brottes s'est félicité de l'esprit de cet amendement, qui permet d'éviter que la qualité du service ne soit figée dans le temps, et a proposé une modification rédactionnelle permettant de ne pas ouvrir la voie à d'éventuelles dérogations au principe de mutabilité.

La commission a adopté le sous-amendement proposé par M. François Brottes, puis l'amendement ainsi sous-amendé.

Au quinzième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur précisant le contenu de l'obligation d'information à laquelle les opérateurs sont soumis.

Après le quinzième alinéa, M. Christian Bataille, rapporteur, a présenté un amendement définissant la notion de participation mentionnée dans la proposition de résolution.

Après que M. François Brottes eut fait part de son inquiétude pour les salariés des opérateurs, qui pourraient se sentir concurrencés dans leur activité professionnelle, le rapporteur a retiré son amendement.

Au dix-septième alinéa, la commission a adopté un amendement de rapporteur améliorant la rédaction de cet alinéa et précisant la nature de l'éventuelle participation des opérateurs aux objectifs de recherche et d'environnement.

Au dix-huitième alinéa, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur concernant les nouvelles technologies de l'information et de la communication, modifié par un sous-amendement de M. François Brottes faisant explicitement référence, à titre d'exemple, à Internet et à la téléphonie mobile.

Au dix-neuvième alinéa, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur.

Au vingtième alinéa, compte tenu des observations de plusieurs membres de la commission, favorables au maintien des termes « service public » dans le texte de la résolution, le rapporteur a retiré un amendement substituant les termes « services d'intérêt général » à ceux de « service public ».

Après le vingt et unième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que la directive cadre devra préciser les conditions devant être réunies par les Etats membres pour pourvoir déroger aux règles de concurrence.

Au vingt-sixième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur subordonnant l'application des règles de concurrence au respect des obligations de service public.

Au vingt-septième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que le contrôle politique évoqué dans cet alinéa relève des parlements nationaux.

Au vingt-neuvième alinéa, compte tenu des observations précitées au sujet des termes « service public », M. Christian Bataille, rapporteur, a retiré un amendement rédactionnel.

Au trente-deuxième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur indiquant que le membre de la Commission européenne chargé du suivi des services d'intérêt général doit se consacrer exclusivement à cette tâche.

Au trente-troisième alinéa, M. Christian Bataille, rapporteur, a présenté à la commission un amendement mentionnant à titre d'exemple, parmi les services non marchands évoqués dans cet alinéa, l'éducation, la protection sociale et la sécurité publique.

M. Pierre Cohen a estimé que les nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont la nature marchande est particulièrement prononcée, posaient un problème spécifique en matière d'éducation comme de santé, et s'est dit satisfait à ce titre des précisions apportées par l'amendement proposé par le rapporteur ; il a proposé un sous-amendement tendant à ce que la santé soit explicitement mentionnée, que la commission a adopté.

Conformément au souhait exprimé par M. François Brottes, la commission a ensuite adopté un sous-amendement invitant l'Union européenne à veiller au maintien de certains services marchands, de fait non marchands, dans les territoires où leur rentabilité ne peut être assurée. La commission a ensuite adopté l'amendement ainsi sous-amendé.

Après le trente-quatrième alinéa, la commission a adopté un amendement du rapporteur intégrant à la résolution les modifications qu'il conviendrait d'apporter à la proposition de directive sur les communications électroniques soumise à l'Assemblée nationale.

Puis la commission a adopté la proposition de résolution de M. Gérard Fuchs, (n° 3142) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (COM [2000] 392 final/E 1551) et visant à instaurer une directive-cadre fixant les règles générales applicables aux services d'intérêt général, ainsi modifiée.

·

· ·

En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux
et services de communications électroniques (COM
[2000] 392 final/E 1551)
et visant à instaurer une directive-cadre fixant les règles générales applicables aux services d'intérêt général

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (COM [2000] 392 final/E 1551),

Vu la communication de la Commission sur les services d'intérêt général en Europe (COM [2000] 580 final/E 1560),

Vu la déclaration du Conseil européen de Nice des 7, 8 et 9 décembre 2000 sur les services d'intérêt général,

Considérant que l'existence des services d'intérêt général doit constituer l'un des piliers du modèle social européen ;

Considérant que, par la résolution du 20 décembre 2000 sur la communication susvisée de la Commission, l'Assemblée nationale a souhaité l'élaboration, sur la base de l'article 16 du traité CE, d'un projet de directive fixant des règles générales applicables à l'ensemble des services d'intérêt général et servant de base à l'établissement des directives sectorielles ;

Considérant que la proposition de directive soumise à l'Assemblée nationale devrait, en ce qui concerne le service universel des communications électroniques et les droits des utilisateurs de ces technologies, prévoir des dispositions s'inscrivant dans le même esprit que les règles générales que la représentation nationale appelle de ses v_ux pour l'ensemble des services d'intérêt général ;

1. Estime indispensable qu'une directive-cadre précisant l'article 16 du traité soit élaborée et qu'elle comporte les dispositions suivantes :

a) Définition des services d'intérêt général : « Tout service assuré, sous le contrôle d'une personne publique, par une personne morale de droit public ou privé, dans le respect des principes d'égalité, de continuité et de mutabilité, afin d'assurer à tous les citoyens la jouissance de droits sociaux et économiques fondamentaux, tout en contribuant au renforcement de la cohésion sociale et territoriale de l'Union européenne ».

b) Définition des obligations et des missions de service public incombant aux services d'intérêt général :

- universalité : les services d'intérêt général doivent proposer leurs prestations à tous les citoyens, dans des conditions transparentes et à un prix abordable ;

- égalité : tous les citoyens étant égaux devant l'accès aux services d'intérêt général, l'opérateur doit pouvoir proposer ses prestations dans des conditions identiques à l'ensemble des usagers et ne peut, par conséquent, appliquer des tarifs instituant des discriminations sociales ou territoriales, sous quelque forme et pour quelque motif que ce soit ;

- continuité : les services d'intérêt général doivent fournir leurs prestations de façon régulière et ininterrompue, sauf cas de force majeure ;

- mutabilité : de façon à offrir aux usagers des prestations de qualité, les services d'intérêt général doivent intégrer les innovations techniques ;

- information : lorsque les conditions dans lesquelles le service d'intérêt général est assuré risquent d'être modifiées, l'opérateur doit en avertir les usagers, dans les plus brefs délais, en fournissant une explication sommaire leur permettant de comprendre la cause de modification ;

- procédures de réclamation et de recours : celles-ci doivent être simples, transparentes et rapides et prévoir, le cas échéant, l'octroi de réparations ;

- recherche et environnement : les autorités réglementaires nationales peuvent exiger des opérateurs chargés des services d'intérêt général qu'ils respectent des normes environnementales particulières, et qu'ils contribuent financièrement et matériellement à l'effort de recherche dans leur secteur d'activité ;

c) Le champ des services d'intérêt général peut être complété et pourra inclure des services nouveaux, notamment dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, comme Internet et la téléphonie mobile.

d) Conformément au principe de subsidiarité, il incombe aux autorités politiques du niveau concerné - Union, Etats membres, autorités locales - de décider du statut des prestataires des services d'intérêt général et de compléter le contenu de leurs obligations et missions de service public.

e) Les obligations et missions de service public doivent faire l'objet d'un financement transparent qui garantisse leur pérennité.

Au-delà de la contribution des usagers, les formes de financement autorisées peuvent être notamment : la subvention budgétaire ; l'ouverture d'un droit à compensation ; des subventions croisées ; la péréquation tarifaire ; l'octroi de droits exclusifs.

Les conditions que les Etats membres doivent réunir pour être autorisés à déroger aux règles de concurrence, afin de permettre aux services d'intérêt général de remplir leur mission spécifique, doivent être prévues de façon claire et précise par la directive-cadre.

f) Les droits des salariés doivent respecter les dispositions suivantes :

- les prestataires des services d'intérêt général doivent se conformer à la législation sociale de l'Etat membre dans lequel ils exercent leurs activités et, en tout état de cause, à celle prévue par le droit communautaire ;

- ils doivent procéder à un bilan social annuel, qui doit faire l'objet d'une consultation avec les salariés et leurs représentants et qui est transmis à l'autorité publique responsable.

g) La régulation :

Les autorités régulatrices sont chargées : de contrôler l'activité des opérateurs ; d'assurer le respect des obligations et des missions de service public précitées et, lorsqu'elles sont compatibles avec ces obligations, des règles de concurrence ; de contrôler les tarifs et la qualité du service ; d'assurer la protection des usagers et de veiller à la transparence des éventuels financements publics, en conformité avec les dispositions communautaires.

Leur statut est défini par les Etats membres ou, en cas de création d'autorités régulatrices européennes, par l'Union européenne. Sont fixées également les conditions dans lesquelles les décisions prises par les autorités régulatrices peuvent être contestées devant les tribunaux et celles selon lesquelles les autorités régulatrices sont soumises à un contrôle régulier des parlements nationaux.

h) L'évaluation des résultats :

Doivent être mis en place au niveau pertinent des organes indépendants chargés d'évaluer le respect des obligations de service public et d'effectuer les études et analyses pouvant servir de base à une évolution de la réglementation ou de l'organisation des services d'intérêt général.

Ces organes doivent prévoir une participation des représentants des acteurs et des usagers des services d'intérêt général.

Leurs travaux sont publiés.

2. Considère souhaitable qu'un membre de la Commission européenne soit exclusivement chargé du suivi des services d'intérêt général.

3. Juge nécessaire que, dans le cadre des négociations à l'OMC, l'Union s'attache à promouvoir l'existence des services d'intérêt général, obtienne que ces services fassent l'objet d'un accord particulier et qu'en tout état de cause les services non marchands, notamment l'éducation, la santé ou la sécurité publique soient exclus du champ de l'accord général sur le commerce des services, et veille au maintien de certains services marchands, de fait non marchands, dans des territoires où leur rentabilité ne peut être assurée.

4. Demande aux autorités françaises de relayer la proposition d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général et de saisir la Commission européenne des propositions retenues par l'Assemblée nationale concernant le contenu de ce texte.

5. Appelle les autorités françaises à demander la modification de la proposition de directive (COM [2000] 392 final/E 1551) soumise à l'examen de l'Assemblée nationale sur les points suivants :

- insérer, à l'article 3-2 de cette proposition de directive, après les mots « ils s'efforcent », les mots « sans préjudice des obligations de service universel » ;

- supprimer, aux articles 4-1 et 6-1 de cette proposition de directive, le terme « raisonnable », ou au moins d'expliciter dans le texte ce qui est précisément entendu par ce terme ;

- supprimer, à l'article 8-3 de cette proposition de directive, les mots « en vue de garantir que la fourniture du service universel répond au critère de rentabilité et » ;

- remplacer, à l'article 11-3 de cette proposition de directive, les mots « objectifs de performance » par les mots « objectifs de service universel »  et les mots « données relatives aux performances » par les mots « données relatives au respect du service universel »;

- préciser, dans le texte des articles 12-2 et 13-2 de cette proposition de directive, que les organismes indépendants mentionnés font l'objet d'un « contrôle régulier par les parlements nationaux » ;

- supprimer, à l'article 13-3 de cette proposition de directive, la référence à des principes de « distorsion minimale du marché » et de « proportionnalité ».

3414 - Rapport de M. G. FUCHS : Proposition de résolution (délégation à l'Union européenne) service universel et droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (E 1551) (Comm. production)


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