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le 13 décembre 2001

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N° 3462

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 décembre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR LES PROPOSITIONS DE LOI :

- de M. Jean-François MATTEI (n° 3431), relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux,

- de M. Bernard ACCOYER (n° 2844), instituant un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de la vie,

- de M. Jean-François CHOSSY (n° 2805), tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance,

PAR M. Jean-François MATTEI,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Droit civil.

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales est composée de : M. Jean Le Garrec, président ; M. Jean-Michel Dubernard, M. Jean-Paul Durieux, M. Maxime Gremetz, M. Édouard Landrain, vice-présidents ; Mme Odette Grzegrzulka, M. Denis Jacquat, M. Patrice Martin-Lalande, secrétaires ; M. Bernard Accoyer, Mme Sylvie Andrieux-Bacquet, M. Léo Andy, M. Didier Arnal, M. André Aschieri, M. Gautier Audinot, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Pierre Baeumler, M. Pierre-Christophe Baguet, M. Jean Bardet, M. Jean-Claude Bateux, M. Jean-Claude Beauchaud, Mme Huguette Bello, Mme Yvette Benayoun-Nakache, M. Serge Blisko, M. Patrick Bloche, M. Alain Bocquet, Mme Marie-Thérèse Boisseau, M. Jean-Claude Boulard, M. Bruno Bourg-Broc, Mme Christine Boutin, M. Jean-Paul Bret, M. Victor Brial, M. Yves Bur, M. Alain Calmat, M. Pierre Carassus, M. Pierre Cardo, Mme Odette Casanova, M. Laurent Cathala, M. Jean-Charles Cavaillé, M. Bernard Charles, M. Michel Charzat, M. Jean-Marc Chavanne, M. Jean-François Chossy, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Georges Colombier, M. René Couanau, Mme Martine David, M. Bernard Davoine, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Marcel Dehoux, M. Jean Delobel, M. Jean-Jacques Denis, M. Dominique Dord, Mme Brigitte Douay, M. Guy Drut, M. Jean Dufour, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Yves Durand, M. Christian Estrosi, M. Michel Etiévant, M. Claude Evin, M. Jean Falala, M. Jean-Pierre Foucher, M. Michel Françaix, Mme Jacqueline Fraysse, M. Germain Gengenwin, Mme Catherine Génisson, M. Jean-Marie Geveaux, M. Jean-Pierre Giran, M. Michel Giraud, M. Gaétan Gorce, M. François Goulard, M. Gérard Grignon, M. Jean-Claude Guibal, M. Francis Hammel, M. Pierre Hellier, M. Michel Herbillon, Mme Françoise Imbert, Mme Muguette Jacquaint, M. Serge Janquin, M. Jacky Jaulneau, M. Patrick Jeanne, M. Armand Jung, M. Bertrand Kern, M. Christian Kert, M. Jacques Kossowski, Mme Conchita Lacuey, M. Jacques Lafleur, M. Robert Lamy, M. Pierre Lasbordes, M. André Lebrun, M. Michel Lefait, M. Maurice Leroy, M. Patrick Leroy, M. Michel Liebgott, M. Gérard Lindeperg, M. Lionnel Luca, M. Patrick Malavieille, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Marius Masse, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, M. Didier Mathus, M. Jean-François Mattei, M. Pierre Menjucq, Mme Hélène Mignon, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Renaud Muselier, M. Philippe Nauche, M. Henri Nayrou, M. Alain Néri, M. Yves Nicolin, M. Bernard Outin, M. Dominique Paillé, M. Michel Pajon, M. Vincent Peillon, M. Bernard Perrut, M. Pierre Petit, M. Jean-Luc Préel, M. Jacques Rebillard, M. Alfred Recours, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont, M. Yves Rome, M. Jean Rouger, M. Rudy Salles, M. André Schneider, M. Bernard Schreiner, M. Patrick Sève, M. Michel Tamaya, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, Mme Marisol Touraine, M. Anicet Turinay, M. Jean Ueberschlag, M. Jean Valleix, M. Alain Veyret, M. Philippe de Villiers, M. Philippe Vuilque, Mme Marie-Jo Zimmermann.

INTRODUCTION 7

I.- UNE JURISPRUDENCE INACCEPTABLE 9

A. LA CONFIRMATION D'UNE JURISPRUDENCE INQUIÉTANTE 9

1. La rupture causée par l'arrêt Perruche 9

2. Des anomalies juridiques 10

B. LES EFFETS PERVERS DE CETTE JURISPRUDENCE 11

1. L'inégalité de traitement 11

2. Une menace pour l'échographie f_tale 12

3. Le risque d'eugénisme 12

II.- L'INDISPENSABLE INTERVENTION DU LÉGISLATEUR 13

A. DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES CONTRARIÉES 13

1. Des propositions de loi provenant de différents groupes politiques 13

2. Les tentatives infructueuses 14

B. LES PRÉSENTES PROPOSITIONS DE LOI 14

1. La proposition de loi du rapporteur 14

a) L'interdiction de toute demande d'indemnisation du fait de sa naissance 14

b) L'accueil des personnes handicapées dans notre société 15

2. La proposition de loi de M. Bernard Accoyer 18

TRAVAUX DE LA COMMISSION 19

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 29

INTRODUCTION

Après avoir créé, il y a un an, un véritable trouble dans l'opinion publique, en jugeant dans « l'arrêt Perruche » le 17 novembre 2000, qu'un enfant atteint d'un handicap congénital pouvait être indemnisé dès lors qu'à la suite d'une faute d'un diagnostic prénatal, sa mère n'avait pu recourir à l'interruption de la grossesse, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a, malgré l'hostilité de la majorité de la doctrine et l'avis contraire du Comité consultatif national d'éthique, confirmé sa jurisprudence par trois arrêts du 13 juillet 2001 et un arrêt du 28 novembre 2001. Cet arrêt précise en outre que l'indemnisation du préjudice ne peut se limiter au seul préjudice matériel et que le praticien doit réparer intégralement le préjudice de l'enfant.

Cette évolution de la jurisprudence a suscité l'émotion des familles de handicapés, des juristes, des médecins, des responsables politiques au-delà des clivages partisans. Elle soulève de nombreuses interrogations à la fois juridiques et éthiques : ce sont tout à la fois le rôle des médecins, l'accueil des personnes handicapées dans notre société et la reconnaissance par le juge que la vie peut être un préjudice, qui sont en jeu.

La position actuelle de la Cour de cassation est inacceptable et l'intervention du législateur devient indispensable.

Aussi, le groupe Démocratie libérale a-t-il décidé de faire inscrire à l'ordre du jour de la matinée qui lui est réservée une proposition de loi relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux (n° 3431). A cette proposition de loi présentée par le rapporteur et qui est le texte de base pour la discussion en commission, la commission a décidé, à la demande de leurs auteurs, de joindre les deux propositions suivantes :

- celle de M. Bernard Accoyer, proposant l'institution d'un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de le vie (n° 2844) ;

- celle de M. Jean-François Chossy tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance (n° 2805).

I.- UNE JURISPRUDENCE INACCEPTABLE

A. LA CONFIRMATION D'UNE JURISPRUDENCE INQUIÉTANTE

Un an après l'arrêt Perruche rendu le 17 novembre 2000 la Cour de cassation a réaffirmé mercredi 28 novembre 2001 le principe d'une indemnisation pour les enfants nés avec un handicap dès lors qu'en raison d'une faute médicale leur mère a été privée de la possibilité d'avorter. L'assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi accordé le bénéfice d'une indemnisation à Lionel un enfant de six ans atteint d'une trisomie 21. Cette affaire opposait un gynécologue à la mère de Lionel, Mme X, agissant en son nom et au nom de son enfant, le gynécologue ayant omis de communiquer à la patiente les résultats alarmants d'un examen qui auraient pu conduire à une amiocentèse puis à une interruption de grossesse.

La Cour de cassation est même allée plus loin en innovant par rapport à l'arrêt Perruche. Le préjudice n'est pas constitué par « une perte de chance » indique-t-elle en substance mais par le handicap lui-même lié à l'absence de diagnostic de la malformation f_tale associée à une faute. En d'autres termes puisqu'on ne peut pas imaginer le comportement de la mère de Lionel si elle avait eu connaissance de la malformation f_tale et puisque l'information de toute façon n'a pas été communiquée c'est la totalité du préjudice (matériel et moral) qui doit être réparée intégralement. Les magistrats jugeant, en outre, que « l'indemnité due au titre de l'assistance de tierces personnes à domicile pour les gestes de la vie quotidienne ne saurait être réduite en cas d'assistance familiale » ont cassé la décision de la Cour d'appel de Rennes du 11 janvier 2000 qui limitait à 50 % le montant de la réparation du préjudice subi.

1. La rupture causée par l'arrêt Perruche

Cet arrêt récent précise donc l'arrêt Perruche qui a fait franchir un pas à la jurisprudence. Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation a accordé une indemnisation financière personnelle à Nicolas Perruche, un adolescent né gravement handicapé des suites d'une rubéole qui n'avait pas été diagnostiquée pendant la grossesse de sa mère.

Jusqu'alors les juges administratifs et civils ne reconnaissaient, en cas de faute d'un médecin ayant privé la mère de la possibilité d'avorter, que le préjudice des parents. Les magistrats établissaient un lien entre la faute du praticien - une erreur de diagnostic ou une omission d'informations - et le préjudice - la privation de la possibilité d'avorter. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a accordé à des parents en février 1997 une indemnité en capital ainsi qu'une rente mensuelle jusqu'au décès de leur enfant, né handicapé (arrêt Quarez).Le Conseil d'Etat a donc indemnisé les parents d'un montant égal à la prise en charge du handicap jusqu'au terme de la vie de l'enfant handicapé.

Désormais avec l'arrêt Perruche ce ne sont plus seulement les parents qui sont indemnisés mais aussi l'enfant. La Cour a en effet estimé que l'enfant est un tiers au contrat formé entre les parents et le médecin, lequel contrat est fondé sur la possibilité pour la mère d'exercer son droit à l'avortement. Or, selon une norme constante du droit de la responsabilité, le tiers qui subit un préjudice du fait de l'exécution défectueuse du contrat peut en demander la réparation. Les magistrats ont ainsi posé comme principe que : « dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme P. avait empêché celle-ci d'effectuer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. »

Avant l'arrêt du 28 novembre 2001, la Cour de Cassation a précisé son arrêt de principe à la faveur de trois autres affaires. Le 13 juillet 2001, elle a refusé le bénéfice d'une indemnisation à trois enfants nés handicapés (l'un avec une malformation de la moelle épinière, le deuxième sans bras droit et le troisième avec un bras atrophié) en considérant que les conditions légales d'une interruption de grossesse pour motif thérapeutique prévues à l'article L. 2213-1 du code de la santé publique n'étaient pas réunies. Les demandes des familles concernées ont été rejetées mais cet arrêt a confirmé, sur le plan des principes, la position adoptée par la Cour dans l'arrêt Perruche, à savoir que « l'enfant né handicapé peut demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe avec les fautes commises par le médecin dans l'exécution du contrat avec sa mère et qui ont empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse ».

L'avocat général avait, quant à lui, souligné dans ses conclusions qu'il appartenait à la Cour « afin d'éviter l'intrusion ( !) du pouvoir législatif justifiée par les considérations évoquées se rapportant à l'éthique, au respect de l'être humain et à l'évolution de la santé publique, de ne pas confirmer une décision dont on a pu dire qu'elle soulevait davantage de problèmes qu'elle n'en résolvait ».

2. Des anomalies juridiques

La jurisprudence Perruche présente en réalité deux anomalies de droit : d'une part en considérant un lien entre la faute et le handicap, lien qui n'existe pas et d'autre part en réparant un préjudice qui n'est pas indemnisable : la naissance.

L'arrêt Perruche a remis en question la notion de causalité en reconnaissant une « causalité indirecte ». On comprend mal comment on pourrait affirmer qu'un handicap incurable a été causé par une faute consistant précisément à ne pas déceler ce handicap.

De quelque manière qu'on la considère, la faute qui a consisté à ne pas déceler le handicap in utero n'a pu être la cause de celui-ci qui est le fait de la nature et préexistait à l'intervention du médecin. Le lien de causalité exigé par l'article 13 82 du code civil entre la faute du médecin et le handicap de l'enfant qui justifie le déclenchement de la responsabilité du médecin pour faute est donc absent. Soutenir le contraire est une contre-vérité. Ce n'est donc pas ici la faute du médecin qui est à l'origine du handicap contrairement à d'autres affaires dans lesquelles les médecins sont à l'origine directe du handicap par une mauvaise intervention chirurgicale (par exemple, grave infirmité à la suite de l'échec d'une interruption de grossesse).

Ainsi dans les affaires de novembre 2000 et 2001, le handicap ne provient pas directement d'une erreur médicale, il est lié dans l'affaire Perruche à la survenue chez la mère pendant sa grossesse d'une rubéole qui est directement à l'origine des malformations chez l'enfant et dans l'affaire X jugée le 28 novembre 2001 à une cause génétique survenue lors de la constitution des gamètes entraînant dès la fécondation la présence de trois chromosomes 21 à l'origine de la trisomie 21 chez l'enfant. Ce n'est donc pas le médecin qui est responsable du handicap de l'enfant.

La seconde anomalie juridique est dans la définition du préjudice. Selon la jurisprudence Perruche, c'est l'enfant qui souffre du préjudice lié à l'impossibilité pour la mère d'avoir mis fin à sa grossesse, ignorant par la faute du médecin que l'enfant qu'elle porte est atteint d'une malformation. Ce qui revient à reconnaître que l'enfant handicapé souffre du préjudice de vivre puisque faute d'information sa mère n'a pu interrompre sa grossesse.

Quel droit subjectif lèse sa naissance handicapée ? On pourrait songer, d'abord à affirmer le droit pour toute personne de naître sans handicap. Ce serait une affirmation sans portée, car le processus biologique qui détermine l'état d'un nouveau-né échappe, dans une large mesure, au pouvoir de l'homme. La société n'a pas les moyens d'assurer l'accomplissement d'un tel droit. Tout au plus peut-elle procurer l'accueil du handicapé et lui donner les moyens d'une vie digne.

Se présente alors un autre droit subjectif, sous-jacent dans cette affaire : celui de ne pas naître, si le handicap ne peut être évité. Une personne a-t-elle le droit de ne pas naître ? Peut-elle réclamer, compte tenu des conditions de sa vie, le respect d'un tel droit ? La réponse est évidemment négative. S'il est bien une circonstance qui échappe par nature aux prérogatives de l'individu, c'est sa vie même, qui pour chacun est un don. Elle n'est pas nécessairement un bienfait : c'est affaire de conviction personnelle, mais elle est donnée, reçue. Si l'individu a le pouvoir de la supprimer, il n'a pas celui de la nier originairement : exiger que tout se passe comme si la vie qui est la sienne ne lui avait pas été donnée. Cette observation élémentaire - peut-être un truisme - n'est pas sans portée : elle interdit de faire du droit à la naissance, ou du droit à la non-naissance, ou à une autre naissance, un droit subjectif de la personne. Pour s'en convaincre, il suffit d'ailleurs d'observer que l'ensemble des droits subjectifs présupposent l'existence de la personne.

B. LES EFFETS PERVERS DE CETTE JURISPRUDENCE

1. L'inégalité de traitement

Cette jurisprudence provoque des discriminations entre des personnes qui ont objectivement les mêmes besoins.

Premièrement, l'action dite de vie dommageable (« wrongful life »), n'est pas ouverte aux enfants dont la mère aura fait suivre sa grossesse dans le cadre de l'hôpital et non par un gynécologue libéral - le Conseil d'Etat se refusant à accueillir ce type d'action (cf arrêt Quarez).

Deuxièmement les handicapés accueillis dans la vie n'auraient droit à aucune indemnisation tandis que ceux qui reprochent à leurs parents de ne pas avoir avorté pourraient prétendre à une réparation intégrale de leur préjudice de vivre à la charge du médecin et non de la collectivité nationale. Certains ne bénéficieront d'une indemnisation que lorsqu'ils pourront invoquer une faute médicale et dont les parents auront exprimé le regret qu'ils soient venus au monde...

2. Une menace pour l'échographie f_tale

La jurisprudence Perruche met à la charge des médecins l'indemnisation des enfants handicapés dont l'état n'a pas été révélé avant leur naissance. L'exercice de la médecine et en particulier celui de l'échographie f_tale en est ébranlé.

Le conseil national de l'Ordre des médecins a ainsi déclaré le 13 novembre 2001 que « l'attribution de responsabilité abusive exercerait sur les médecins des pressions insupportables ». A cette pression morale s'ajoute une contrainte financière. A la suite de cette jurisprudence et de la multiplication des procédures judiciaires, les primes d'assurance des échographistes vont augmenter de manière spectaculaire. Le Sou médical, qui assure, avec la mutuelle d'assurance du corps sanitaire français, les deux tiers des médecins libéraux affirme que les tarifs pour un radiologue pratiquant l'échographie f_tale, qui étaient d'environ 3 000 francs par an, devraient multipliés par huit ou dix.

Ces médecins seront, pour tous ceux exerçant en secteur I, dans l'incapacité d'assurer les surcoûts considérables des cotisations. Ainsi seuls les praticiens exerçant en secteur honoraires libres pourront éventuellement poursuivre leurs activités en augmentant d'autant leurs tarifs, ce qui conduirait inexorablement à une médecine à deux vitesses. Ainsi, selon le docteur Roger Bessis, président du Collège français d'échographie f_tale, bon nombre de femmes enceintes ne trouveront plus de praticiens pour effectuer les trois échographies prévues et celles qui en trouveront seront celles qui pourront se le payer.

Le risque est également d'un désengagement des médecins. Ces derniers pourraient, afin de dégager leur responsabilité, développer la notion de doute après tout examen chez une femme enceinte.

3. Le risque d'eugénisme

La Cour de cassation ne s'est toujours par exprimée sur le caractère réparable du préjudice de l'enfant qui est supposé avoir perdu quelque chose. Il ne peut s'agir que du droit de ne pas naître. On comprend la blessure personnelle subie par les parents d'enfants handicapés qui se battent pour le respect de la dignité de leurs enfants.

Quant à l'évaluation du préjudice, elle est tout aussi problématique puisque l'avantage pour l'enfant aurait d'être avorté. Les juges devront donc comparer la vie handicapée à la non-existence qui par définition n'est pas évaluable ou les juges devront définir juridiquement la normalité. Il serait alors nécessaire de se demander ce qu'est une vie qui mérite de l'être : définition qui ne peut être donnée sans tomber dans des considérations eugénistes. A partir de quand un handicap est considéré comme réellement préjudiciable ? Aujourd'hui il s'agit d'un handicap lourd (trisomie 21) demain, cela pourrait être un pied bot, un membre manquant, un bec de lièvre, un sexe qui ne correspond pas à l'état psychologique des parents.

II.- L'INDISPENSABLE INTERVENTION DU LÉGISLATEUR

A. DES INITIATIVES PARLEMENTAIRES CONTRARIÉES

1. Des propositions de loi provenant de différents groupes politiques

Sur ce sujet ont été déposées de nombreuses propositions à partir de janvier 2001 par des parlementaires de différents groupes politiques. Aucune n'a été inscrite à l'ordre du jour du Parlement par le Gouvernement.

Ainsi, le rapporteur a déposé le 13 décembre 2000 une proposition de loi relative à « l'interdiction de poursuivre une action en indemnisation du fait d'un handicap naturellement transmis » (n° 2806) née de l'émotion provoquée par l'arrêt Perruche du 17 novembre 2000. Le rapporteur posait alors la question suivante au législateur : « un enfant atteint d'un handicap congénital ou d'ordre génétique peut-il se plaindre d'être né infirme au lieu de n'être pas né ? ».

Le 13 décembre 2000 également, M. Jean-François Chossy (UDF) a déposé une proposition de loi « tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance » (n° 2805) afin de contrer une décision de justice qui « reconnaît (...) que la vie handicapée peut ne pas être une valeur préférable à la mort et constituer un préjudice ».

Le 9 janvier 2001 c'était au tour de M. Bernard Accoyer (RPR) de déposer une proposition de loi proposant « l'institution d'un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de la vie » (n° 2844). M. Bernard Accoyer affirmait dans l'exposé des motifs que « le lieu d'un tel débat ne se trouve pas dans une enceinte judiciaire, aussi prestigieuse soit-elle mais bien au c_ur même de la Nation c'est-à-dire au Parlement » dans le cadre de la révision des lois bioéthiques de 1994.

Le 21 septembre 2001, M. Claude Huriet a déposé au Sénat une proposition de loi visant à « interdire l'indemnisation du préjudice d'être né » (n° 442) et réaffirmant qu'un lien de causalité directe doit exister entre l'acte médical et le handicap pour déclencher un processus d'indemnisation de l'enfant.

Enfin, le 26 septembre 2001, MM. Georges Sarre et Jean-Pierre Chevènement ont déposé une proposition de loi visant à « garantir l'égale dignité de toute vie humaine » (n° 3268) et prévoyant à cet effet de compléter l'article 16 du code civil par la phrase suivante : « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du fait d'être né ». Ces députés affirment que « décider qu'il eût mieux valu pour un enfant qu'il ne naquit pas, c'est établir une hiérarchie entre les vies humaines, qui peut cautionner les pires dérives et c'est revenir sur un des principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».

2. Les tentatives infructueuses

Le contenu des présentes propositions de loi a été examiné par l'Assemblée nationale sous forme d'amendements à cinq reprises. Ces amendements ont été combattus par le Gouvernement.

Lors de l'examen en première lecture du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, un amendement présenté par le rapporteur tendant à établir la règle que « nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance » a été voté par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Cependant, lors de la discussion en séance, le Gouvernement s'est opposé à son adoption et à son inscription dans le texte de loi. Lors de la lecture au Sénat du texte relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, les sénateurs ont souhaité réintroduire cet amendement dans le texte. L'Assemblée nationale s'y est à nouveau opposé, estimant nécessaire une réflexion préalable à la fois sur le plan juridique, médical et social et notamment l'avis du Comité consultatif national d'éthique.

Lors de la deuxième lecture du projet de loi de modernisation sociale le 10 janvier 2001, le rapporteur a de nouveau déposé son amendement sur le sujet et M. Bernard Accoyer a déposé un amendement proposant un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ; et la réponse du Gouvernement a été similaire, la consultation ayant été élargie au Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Lors de la première lecture du projet de loi portant rénovation de l'action sociale et médico-sociale le 31 janvier 2001, ces deux amendements de nouveau présentés ont connu le même sort que précédemment. Il en a été de même lors du débat sur le projet relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé en octobre 2001.

Il en a été aussi de même à l'occasion de la troisième et dernière lecture du projet de loi de modernisation sociale le 6 décembre 2001. M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, a indiqué qu'il fallait poursuivre la réflexion sur ce sujet et non « légiférer à la hâte » même si l'émotion provoquée par cette jurisprudence est « légitime »... 

B. LES PRÉSENTES PROPOSITIONS DE LOI

1. La proposition de loi du rapporteur

a) L'interdiction de toute demande d'indemnisation du fait de sa naissance

● « Nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance » : article 1er (premier alinéa)

Le rapporteur propose dans l'article 1er de la présente proposition de loi de compléter l'article 16 du code civil par la phrase suivante « Nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance ». L'article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ».

L'ajout proposé ici permet d'éviter toute demande de réparation du fait d'être né avec un handicap et ainsi de faire obstacle à la jurisprudence Perruche

Par cette jurisprudence, c'est la vie qui est considérée comme préjudice réparable. En effet, le handicap est consubstantiel à la personne de l'enfant qui n'a d'autre alternative que de naître handicapé ou de ne pas naître. La référence constante de la Cour de cassation à la loi sur l'interruption de grossesse est éclairante à cet égard : il s'agit de préciser une sorte de pronostic médical rétroactif afin de déterminer si l'enfant aurait ou n'aurait pas pu « bénéficier » d'une interruption de la grossesse. Ainsi la Cour de Cassation laisse-t-elle entendre que l'inexistence est préférable à la vie handicapée, ce qui est « ni logique ni pertinent » comme l'énonce un récent arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 22 octobre 2001, lequel, à la suite de celle d'Aix-en-Provence, s'oppose à la jurisprudence de l'assemblée plénière. Le rapporteur estime que nul n'est fondé à juger, en droit, de la légitimité des vies humaines.

Ce raisonnement s'applique au préjudice du fait de la naissance handicapée mais aussi du préjudice du fait des conditions de la naissance. Comme pour la jurisprudence Perruche, la Cour de cassation indemnise l'enfant lui-même en cas de viol incestueux, le préjudice moral étant l'impossibilité pour l'enfant d'établir sa filiation paternelle (Cour de cassation, chambre criminelle, 4 février 1998).

●  Les exemples étrangers

La quasi-totalité des décisions de la justice américaine ont rejeté les revendications formées au nom de l'enfant, les juges refusant que l'on puisse se plaindre d'être né ou toute comparaison entre la vie diminuée et l'inexistence, les incohérences de l'action étant également fustigées. Plusieurs états des Etats-Unis prohibent l'action de l'enfant.

La jurisprudence québécoise témoigne, elle aussi, de cette réserve en affirmant qu' « il est impossible de comparer la situation de l'enfant après la naissance avec la situation dans laquelle il serait trouvé s'il n'était pas né : le seul énoncé du problème montre l'illogisme qui l'habite. »

Dans un arrêt de Mac Kay de 1977, la cour d'appel d'Angleterre a jugé que le procès pour « vie non désirée » est contraire à l'ordre public et constitue une violation de la règle de la primauté de la vie humaine. La loi anglaise assure désormais l'impossibilité d'exercer des procédures de cette nature. L'importance du sujet a conduit les Anglais, pourtant peu soucieux de droit écrit, à inscrire dans le Congenital disabilities (civil liability) act de 1976 l'interdiction formelle de demander une indemnisation pour sa naissance.

b) L'accueil des personnes handicapées dans notre société

● La solidarité nationale et non la responsabilité civile : article 1er (deuxième alinéa)

Cet arrêt de la Cour de cassation, outre les interrogations qu'il suscite en matière de regard porté sur le handicap et son acceptation sociale, oblige à s'interroger sur la prise en charge du handicap dans notre société aujourd'hui. Il n'est pas logique que l'institution judiciaire cherche à pallier les carences d'un système qui relève de la responsabilité des pouvoirs publics. En effet, la prise en charge et l'intégration des personnes handicapées relèvent de la solidarité nationale.

Comme le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis du 29 mai 2001, le rapporteur appelle à une mise en _uvre « du devoir impérieux de solidarité de la société, en particulier en faveur des plus malheureux de ses membres... Ce devoir social doit s'appliquer sans distinction à ceux qui en ont besoin, sans préjudice des circonstances à l'origine du handicap ».

Ce sort de la personne handicapée ne doit pas dépendre d'une éventuelle responsabilité humaine, quitte à ce que celle-ci soit en parallèle recherchée, mais il doit être assuré indépendamment d'elle, comme la manifestation de la responsabilité collective de la société envers ses membres fragilisés, conformément au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui considère que « tout être humain (...) a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

L'indemnisation de l'enfant a été le souci de la Cour de Cassation. Dans son rapport annuel 2000, la haute juridiction affirme qu' « il lui est apparu que le respect effectif, et pas seulement théorique, de la personne passait par la reconnaissance de l'enfant handicapé en tant que sujet de droit autonome et que devait être reconnu son droit propre à bénéficier d'une réparation du préjudice résultant de son handicap - et exclusivement de celui-ci - de façon à lui permettre de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine malgré son handicap ». La Cour a ainsi considéré que l'indemnisation des parents seuls est soumise à des aléas (séparation ou décès des parents par exemple), « qui ne permettent pas d'être certain que l'enfant en sera le réel bénéficiaire sa vie durant » et que « la défense de son intérêt, comme la présentation de la dignité de ses conditions de vie future paraissent mieux assurés par l'attribution d'une indemnisation qui lui soit propre ».

La jurisprudence Perruche prétend donc mettre la personne handicapée, sa vie durant, à l'abri des difficultés matérielles, en particulier en cas de disparition de ses parents. Mais cette mise à l'abri ne peut se limiter à des cas exceptionnels : elle doit être généralisée à toutes les personnes handicapées, en recherchant des solutions concrètes et humaines aux difficultés des handicapés, confrontés non seulement à leur handicap, mais aussi souvent à l'isolement et à la souffrance. Doivent être ainsi dénoncés le déficit en places d'accueil dans des structures spécialisées, et notamment pour des personnes handicapées vieillissantes, l'absence de structure d'accompagnement pour les familles qui choisissent de garder leur enfant handicapé à domicile et le montant de l'allocation offerte à la famille atteinte d'un handicap profond équivalent à peine à un salaire, largement insuffisant pour couvrir à la fois l'investissement en temps d'une personne aidante et les frais engagés.

Cette situation des personnes est d'autant plus insupportable que l'on sait aujourd'hui, en France, qu'il est des pays européens où les enfants handicapés sont admis de droit dans les écoles de leur quartier ; où les feux rouges sont sonorisés ; où les quais de gare ou de métro sont accessibles ; où les centres commerciaux, les musées sont accueillants, où les places d'accueil sont nombreuses et bénéficient de subventions publiques conséquentes. On sait que dans ces pays si proches, des possibilités importantes de recours sont données aux personnes lorsqu'elles se considèrent comme victimes d'une quelconque discrimination abusive en terme d'école, d'emploi, d'accès aux moyens de communication...

L'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI) estime que la jurisprudence Perruche (communiqué du 29 novembre 2001) « développe un processus lourd de conséquence car privilégiant la notion de réparation à celle de solidarité » et que « cet arrêt risque d'aboutir à l'émergence de l'idée d'un droit à naître ou à ne pas naître ».

Il apparaît, en définitive, que les règles du droit de la responsabilité civile qui n'est pas un droit de générosité ne sont pas adaptées aux besoins des personnes handicapées. La justice ne peut apporter de réponse qu'à des situations particulières.

A cet effet le rapporteur réaffirme dans la présente proposition de loi les principes de la responsabilité civile en cas de faute médicale qui devront seuls s'appliquer pour l'indemnisation des enfants nés handicapés (article 1er deuxième alinéa ajouté à l'article 16 du code civil) : « Lorsqu'un handicap est la conséquence directe d'une faute, il est ouvert droit à réparation dans les termes de l'article 1382 du code civil ».

Le rapporteur réaffirme donc les principes et la jurisprudence sur la demande d'indemnisation formée par les parents d'enfants handicapés prévalant en matière de responsabilité civile. L'article 1382 du code civil pose les conditions générales de la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle (fait générateur de responsabilité, préjudice, action en responsabilité, réparation du dommage) : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

La jurisprudence civile sur le sujet est constante : la naissance d'un enfant peut constituer pour ses parents un préjudice juridiquement réparable en cas de faute médicale lors de la grossesse qui a retiré à la mère la possibilité d'avorter.

C'est à bon droit qu'est accueillie la demande d'indemnisation formée par les parents tant à titre personnel qu'au nom de leur enfant handicapé contre le médecin qui, lors d'une consultation génétique, avait donné un avis erroné excluant le risque de transmission dans sa descendance des troubles dont le mari était atteint (Cour de cassation, 26 mars 1996). De la même façon, la demande d'indemnisation de parents a été acceptée dans le cas d'une naissance d'un enfant atteint de séquelles neurologiques consécutives à la rubéole contractée pendant la vie intra-utérine, non décelée par un laboratoire, les parents ayant marqué leur volonté, en cas de rubéole, de pratiquer une interruption de grossesse.

● La création d'un Observatoire de l'accueil et de l'intégration des personnes handicapées : article 2

Un effort conséquent de la part des pouvoirs publics en vertu de la solidarité nationale doit donc être mené. Mais en vertu de l'article 40 de la Constitution, il n'est pas possible de proposer à la Représentation nationale une amélioration des prestations versées aux personnes handicapées. La présente proposition de loi propose donc de constituer un Observatoire de l'accueil des personnes handicapées en France, chargé de présenter des propositions, visant à améliorer la prise en charge des personnes handicapées.

Le rapporteur a déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur la situation des personnes handicapées en France. Comme il l'avait fait à l'appui de cette proposition de résolution, le rapporteur propose que cet Observatoire soit chargé :

- d'inventorier les différents types d'établissements d'accueil, correspondant aux différents âges de la vie, pour en apprécier les taux d'occupation et voir s'ils correspondent aux besoins tant en nombre qu'en type de thérapie ou de soins délivrés ;

- de vérifier en conséquence les listes d'attente et les délais d'admission ;

- d'inventorier les aides reçues afin de mesurer ce que pèse l'accueil des personnes handicapées dans notre politique sanitaire et sociale, à la fois en établissement et en milieu familial ;

- de tenter enfin de faire le point sur la place accordée aux adultes handicapés dans notre société quelles que soient leur capacité d'intégration et compte tenu de leur longévité accrue.

Le rapport Fardeau a dénoncé la connaissance par trop insuffisante des données concrètes concernant les populations concernées. Les raisons en sont multiples : absence de critères consensuels pour identifier les personnes, diversité des sources, des milieux, ordinaire ou institutionnel, difficultés méthodologiques et ampleur de la tâche. Les estimations faites, par extrapolation, à partir des personnes reconnues comme handicapées et indemnisées comme telles, montrent l'étendue de la population concernée. En tout état de cause, on manque cruellement de données précises, actualisées, sur les différents « ensembles » de personnes aux capacités réduites ou différentes aussi bien dans la vie quotidienne que professionnelle.

2. La proposition de loi de M. Bernard Accoyer

M. Bernard Accoyer demande un « moratoire » immédiat dans l'application de cette jurisprudence controversée. Il propose donc de décider que « jusqu'à la révision des lois bioéthiques de 1994, les demandes en responsabilité liées au préjudice éventuel d'une personne du fait de sa naissance sont irrecevables ».

La notion de moratoire est impraticable en matière judiciaire. En effet, il n'est pas possible de « bloquer » les demande en indemnisation de familles d'handicapés. Cependant, les motivations de M. Bernard Accoyer sont identiques à celles du rapporteur et ce dernier devrait facilement se ranger à la rédaction proposée par le rapporteur, interdisant toute demande d'indemnisation du fait de sa naissance. En effet, M. Bernard Accoyer a fait la même analyse que le rapporteur, à savoir l'inadaptation et le caractère dangereux de l'application des règles de la responsabilité civile en matière d'aide aux parents d'enfants handicapés.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-François Mattei, la présente proposition de loi à laquelle à laquelle elle a décidé de joindre les propositions de loi de M. Bernard Accoyer instituant un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance ou du maintien de la vie (n° 2844) et de M. Jean-François Chossy tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de sa naissance (n° 2805) au cours de sa séance du 12 décembre 2001.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean-François Chossy a rappelé que le groupe UDF avait déposé, le 11 janvier 2001, une proposition de loi tendant à rendre irrecevable toute demande d'indemnisation du seul fait de la naissance, très proche de celle de M. Jean-François Mattei à laquelle il se ralliait.

Il a fait ensuite les observations suivantes :

- Quand la faute médicale est avérée elle doit être sanctionnée. On peut toutefois s'interroger sur les cas où le handicap n'apparaît que postérieurement à la naissance comme par exemple dans le cas de l'autisme. La jurisprudence actuelle crée une situation d'inégalité : certains handicaps dont le diagnostic peut être fait avant la naissance seront indemnisés et les autres ne le seront pas.

- La reconnaissance par la Cour de cassation d'un préjudice esthétique ouvre la voie à la définition d'une normalité et, par là même, à l'eugénisme. Ne serait-ce que pour cette raison, il est indispensable de légiférer.

- Devant la crainte d'une recherche systématique de responsabilité, les échographistes et les praticiens du diagnostic prénatal risquent de ne plus être en mesure d'exercer leur métier. Ils menacent d'ailleurs de ne plus effectuer ces actes à partir du 1er janvier 2002. Il ne peut en résulter qu'un nombre plus élevé de naissances d'enfants handicapés.

- On ne peut attendre la réforme de la loi de 1975 relative aux personnes handicapées. Il est urgent de légiférer.

M. Bernard Accoyer a indiqué qu'il avait déposé un amendement lors de la troisième lecture sur le projet de loi de modernisation sociale et une proposition de loi visant l'un comme l'autre à demander un moratoire sur les demandes en recherche de responsabilité du fait de la naissance, initiatives animées par les mêmes préoccupations que celles de M. Jean-François Mattei. Il a ensuite fait les remarques suivantes :

- L'arrêt Perruche accrédite l'idée qu'il y aurait des vies dommageables. On peut comprendre l'indignation et l'émotion des parents d'enfants handicapés. Le fait de poser le principe qu'une vie ne vaut pas la peine d'être vécue lorsque l'on est né handicapé apparaît en effet profondément choquant.

- Plus généralement, se pose le problème de l'accueil des personnes handicapées dans notre société. La loi de 1975 mérite d'être repensée car elle ne permet plus de prendre en compte les évolutions apparues dans les modes de vie et les difficultés actuelles des personnes handicapées pour s'insérer dans la vie sociale et le monde du travail. Lorsqu'elle a rendu l'arrêt Perruche, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a d'ailleurs, semble-t-il, surtout cherché à accorder un supplément d'indemnisation aux parents du jeune Nicolas. La grande question à laquelle la Cour de cassation a en réalité été confrontée est la déficience de l'accueil des personnes handicapées dans notre société.

- Il faut absolument éviter les dérives qui pourraient résulter de cette jurisprudence en termes d'eugénisme. Le juge ne peut déterminer des critères de normalité, définir les caractéristiques de ce que l'on pourrait nommer l'enfant parfait. Le juge ne peut pas davantage mettre en _uvre un droit de ne pas naître. Une telle démarche serait aussi absurde que dangereuse. Il ne serait pas acceptable en effet qu'au nom d'une sorte d'eugénisme de précaution, certaines femmes décident d'avorter suite aux discours pessimistes ou alarmistes d'échographistes n'hésitant pas à faire part de leurs moindres doutes sur une possible infirmité de l'enfant à naître pour mieux se couvrir en cas de contentieux futur.

- La jurisprudence Perruche porte les germes d'une régression tant sociale que médicale : une régression sociale car n'est pas traité correctement le problème de l'insuffisante prise en charge du handicap dans notre société et une régression médicale car le diagnostic prénatal risque d'être de fait réservé aux couples dotés de moyens financiers importants. En définitive, cette jurisprudence pourrait aboutir à ce que le nombre d'enfants nés handicapés augmente.

M. Jean-Pierre Foucher, après s'être prononcé en faveur de l'adoption de la proposition de loi de M. Jean-François Mattei, a fait les observations suivantes :

- Il serait faux de prétendre que le législateur se saisissant de ce grave problème interviendrait dans la précipitation. Depuis un an, divers députés ont déposé soit des amendements au projet de loi de modernisation sociale ou à d'autres textes soit des propositions de loi visant à faire obstacle à la jurisprudence Perruche. Ainsi peut-on être surpris d'apprendre que le Gouvernement, lors du débat en séance publique, se prononcera contre la présente proposition de loi et demandera aux parlementaires de mener une réflexion sur le sujet associant des juristes, des associations de personnes handicapées et des médecins. Il serait évidemment plus opportun d'adopter la proposition de loi de M. Mattei qui a la mérite de mettre fin à une jurisprudence que la majorité des observateurs s'accordent à qualifier d'inacceptable. Il est temps pour le législateur de faire entendre sa voix car il n'appartient pas au juge de définir les contours d'un droit à ne pas naître.

- Il est paradoxal, d'un côté, de dire qu'il faut améliorer les structures d'accueil et les conditions de vie des personnes handicapées et, d'un autre côté, d'admettre l'idée que certaines vies ne méritent pas d'être vécues et constituent un préjudice juridiquement réparable.

- Il paraît inadmissible de prétendre faire porter aux médecins la responsabilité d'un handicap alors que ce handicap ne résulte pas d'une faute médicale mais est le fait de la nature. Le médecin ne saurait être considéré comme directement responsable de l'existence du handicap, comme cela a été jugé dans l'affaire du jeune Nicolas Perruche. C'est le fait que sa mère ait malheureusement contracté la rubéole durant sa grossesse qui a été à l'origine du handicap et non pas une quelconque intervention du médecin.

- Le risque est grand de mettre en place un système de médecine à deux vitesses : certaines familles disposant de revenus confortables pourront continuer à consulter un échographiste tandis que d'autres n'en auront plus les moyens.

- Il convient de lutter en général contre la tendance à la judiciarisation de notre système de santé : si le législateur tolère de fait la jurisprudence Perruche en n'y revenant pas de façon ferme et définitive, cela signifie que le juge est reconnu compétent pour définir ce qu'est la normalité en matière de vie humaine. On peut ainsi imaginer un recours de toute personne estimant qu'elle aurait pu naître autre si un professionnel de santé avait au moment de sa naissance opéré tel ou tel acte. Les dérives eugénistes sont donc bien présentes.

- Le dispositif prévu dans l'article 2 de la proposition de loi de M. Mattei est excellent. Il apparaît en effet très utile de mettre en place un observatoire de l'accueil et de l'intégration des personnes handicapées chargé d'observer la situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France.

Mme Nicole Catala a déclaré comprendre le malaise ressenti par des familles d'enfants handicapés vis-à-vis de la jurisprudence Perruche. Cependant la solution proposée par la proposition de loi présentée par M. Jean-François Mattei n'apparaît pas totalement satisfaisante, en particulier le dernier alinéa de l'article premier. Il serait opportun en effet de faire un traitement à part du cas de handicaps ayant une origine génétique et n'ayant pas été décelés au moment de la grossesse en raison d'une faute médicale lourde. Dans ce cas précis, il serait utile de prévoir dans la loi, outre la réparation du préjudice propre des parents, de leur fournir les moyens d'assurer dans les meilleures conditions possibles l'avenir de leur enfant handicapé, compte tenu du fait que l'article 213 du code civil leur donne l'obligation de pourvoir à l'éducation de leur enfant et de préparer son avenir.

L'accent doit donc être mis sur l'aide devant être apportée aux parents des enfants nés dans de telles conditions, la solution à ce problème grave ne pouvant passer par la reconnaissance d'un préjudice lié au fait de la naissance.

M. Jean-Marie Le Guen a fait les observations suivantes :

- Le débat ne porte pas sur les difficultés de certaines professions médicales, si sérieuses soient-elles. Il ne s'agit pas non plus seulement d'apporter une réponse à l'angoisse légitime des parents d'enfants handicapés que la jurisprudence Perruche a suscitée. Ce qui est en jeu à travers le débat sur cette jurisprudence c'est une question d'ordre éthique qui est celle du rapport à la vie.

- On ne peut qu'être sensible aux arguments avancés par M. Jean-François Mattei s'agissant des risques d'inégalité dans l'accès aux diagnostics prénataux entre les couples plus ou moins aisés. Par ailleurs, il est certain que les jurisprudences contraires du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation sur ce sujet démontrent la nécessité de remettre de l'ordre dans cet imbroglio juridique.

- En revanche, ne faut pas accréditer l'idée que le débat sur l'arrêt Perruche est lié à celui sur l'interruption volontaire de grossesse. Il n'est nullement question d'admettre les notions d'IVG obligatoire ou d'eugénisme privé.

- Etant donné que « l'impact » de la proposition de loi sur d'autres dispositions du code civil n'a pas été étudié, elle n'est pas susceptible d'être adoptée en l'état même si la nécessité de légiférer semble évidente sur le sujet. Un temps de réflexion supplémentaire est nécessaire.

M. Bernard Perrut a estimé que l'arrêt Perruche soulevait deux objections. Premièrement, le lien de causalité entre le handicap et la faute médicale n'existe pas ; le handicap congénital n'est pas directement lié à une faute médicale. Il est le fait de la nature. Deuxièmement, il est inadmissible d'affirmer que la vie constitue un dommage réparable.

La jurisprudence Perruche est de surcroît en contradiction directe avec la jurisprudence administrative de 1997 qui ne prévoit que l'indemnisation des parents. Elle a été critiquée par le Comité consultatif national d'éthique.

En outre, l'arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2001 a accepté une indemnisation du préjudice esthétique ce qui est inadmissible.

Alors que d'autres pays n'ont pas accepté une évolution jurisprudentielle comparable à celle de la Cour de cassation, il est impensable que celle-ci, dépourvue de surcroît de réel fondement juridique, perdure en France.

M. Daniel Paul a souligné que l'arrêt Perruche pouvait s'expliquer par la nécessité de combler un vide entre le droit et l'évolution rapide des pratiques médicales ainsi que par l'intervention croissante du pouvoir de l'argent dans le domaine de la santé notamment, par exemple, en ce qui concerne le don du sang et le don d'organes qui fait que le corps humain est devenu une marchandise. On peut se demander si la Cour de cassation, en décidant que le handicap était susceptible de donner lieu à une indemnisation de l'enfant, ne s'inscrit pas dans cette évolution.

Cette jurisprudence est contestable. Dans la mesure où la relation entre le patient et le médecin est contractuelle, il n'est bien évidemment pas question de revenir sur la responsabilité et la sanction du médecin en cas de faute médicale.

Mais, au-delà des aspects juridiques, il ne faut pas négliger le volet social relatif à l'accueil des enfants handicapés. La question de l'indemnisation ne règle pas en effet celle de l'intégration des handicapés. Il apparaît que la société témoignait autrefois davantage de tolérance envers ses « fous » ; le fou du village était accepté. Il est sans doute nécessaire de développer les équipements collectifs et les capacités d'accueil des établissements spécialisés moyennant une augmentation des crédits de la solidarité nationale. Mais au-delà de l'indispensable solidarité matérielle, l'acceptation sociale du handicap doit être plus grande.

Le groupe communiste se prononcera favorablement sur un texte, qui, au-delà des clivages politiques, fait également appel à des choix d'ordre personnel. Il convient de ne pas laisser la Cour de cassation intervenir dans une telle matière à la place du législateur.

Pour autant il est souhaitable que la loi de 1975 relative aux personnes handicapées fasse l'objet d'une réforme par le Parlement, que la révision des lois sur la bioéthique soit l'occasion pour le législateur de régler un certain nombre de problèmes en suspens, et que, d'une manière générale, ce dernier examine l'ensemble des questions liées aux progrès fantastiques de la médecine afin de ne pas en perdre toute maîtrise.

M. Alfred Recours a fait observer que si la Cour de cassation n'avait pas mis en jeu la responsabilité des parents vis à vis de l'enfant, les notions dégagées laissent néanmoins penser qu'il pourrait y être fait appel ultérieurement. Des enfants élevés avec amour et éduqués par leurs parents pourraient ainsi se retourner contre ces derniers du fait d'être nés handicapés. Cette perspective est parfaitement insupportable, de même qu'il est insupportable de pouvoir désormais trancher sur la laideur de l'individu dans les attendus d'un jugement. C'est la raison pour laquelle il appartient au législateur de mettre un terme à une telle évolution jurisprudentielle en se donnant le cas échéant le temps et les moyens de réfléchir sur un certain nombre de points juridiques et moraux délicats.

Cela signifie qu'il convient naturellement d'exonérer la responsabilité des médecins échographes en matière d'aléa thérapeutique et de ne rendre responsable, à la suite d'une erreur de diagnostic, le médecin qu'en cas de faute grave. On peut ainsi qualifier de faute grave le fait, pour un médecin, de ne pas donner les informations nécessaires à la famille en raison de son opposition de principe à l'IVG. Mais, même dans un tel cas, on peut se demander s'il reviendrait réellement à l'enfant plutôt qu'à sa famille de porter plainte du fait du préjudice subi. Il semble en effet difficile d'admettre un tel droit pour l'enfant.

Par ailleurs, un enfant handicapé doit non seulement être chéri par ses parents mais également bénéficier d'un soutien adapté de la société. Une intervention au titre de la solidarité nationale est ainsi préférable à celle d'une assurance même si au bout du compte l'assurance souscrite par le corps médical s'impute globalement sur le budget de la protection sociale. En outre, l'indemnisation au titre du préjudice serait une véritable injustice puisque seules seraient indemnisées les personnes en mesure de porter plainte.

En conclusion, le présent débat qui soulève des questions d'ordre éthique, mais aussi politique au sens noble du terme et personnel traverse tous les groupes de l'Assemblée nationale, y compris le groupe socialiste. Pour autant il n'est pas certain que le législateur soit prêt à se prononcer dès demain sur un sujet aussi grave.

Il convient néanmoins d'ouvrir le débat et de ne pas donner l'impression que le législateur cherche à se désengager à ce propos. Dans l'hypothèse où le Parlement s'orienterait vers un délai de réflexion supplémentaire, ce délai devra être clairement fixé afin que les parlementaires puissent se prononcer en leur âme et conscience dans les deux prochains mois.

Mme Catherine Génisson a indiqué qu'elle était totalement solidaire des propos tenus par M. Alfred Recours.

M. Maxime Gremetz a rappelé que ce débat très sérieux pose des problèmes éthiques et sociétaux majeurs qui dépassent les clivages politiques. Il n'est pas nouveau car il a déjà été abordé par la commission immédiatement après l'arrêt Perruche qui a suscité beaucoup de troubles dans les familles et associations de familles d'enfants handicapés ainsi que chez les médecins. A l'occasion de la première lecture du projet de loi de modernisation sociale, un amendement similaire de M. Jean-François Mattei avait ainsi déjà été voté par le groupe communiste. Le Gouvernement avait alors répondu qu'il fallait attendre le débat sur la révision des lois bioéthiques. Il y a pourtant urgence à légiférer car de nouveaux arrêts de la Cour de cassation, aux mois de juillet et novembre 2001, ont confirmé l'arrêt Perruche et cette jurisprudence risque de s'imposer à défaut de loi.

S'agissant d'un débat qui concerne la place des handicapés dans la société, l'ensemble du groupe communiste a décidé après un large débat interne, de voter pour la présente proposition de loi.

M. Claude Evin a souhaité aborder ce débat difficile avec une certaine humilité compte tenu de l'émotion qu'il suscite et de son caractère complexe. Les différents arrêts rendus par la Cour de cassation en novembre 2000, juillet 2001 et novembre 2001 n'ont pas été appréhendés à leur juste valeur par le rapporteur. Contrairement à ce qui a été souvent dit, leur but premier est bien de reconnaître la dignité des personnes handicapées. Il s'agit, dans le cas d'une responsabilité médicale pour faute, d'indemniser un enfant né handicapé lorsqu'il existe une relation directe entre la faute du médecin et la décision prise par la mère de ne pas avorter.

On peut considérer a contrario que le Conseil d'Etat ne reconnaît pas pleinement la dignité de la personne handicapée en ne prévoyant d'indemnisation que pendant la durée de vie de ses parents. En tout état de cause, la proposition de loi ne répond pas à l'objectif qu'elle affiche parce que la Cour de cassation n'a nullement admis le principe de vie préjudiciable. Il s'agit d'un strict problème de responsabilité médicale pour faute. Il faut du reste insister sur la nécessité d'une faute qui ne saurait consister dans l'absence de détection d'une anomalie non évidente.

Par ailleurs la proposition risque au contraire de revenir sur le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) explicitement prévu dans ce cas en 1975. Le législateur avait alors offert à la mère la possibilité d'interrompre sa grossesse pour raison médicale, lorsqu'une affection incurable d'une particulière gravité a été diagnostiquée sur l'enfant. Cette possibilité consiste bien à reconnaître que dans certaines circonstances, la vie ne vaut pas d'être vécue. Mme Simone Veil, ministre de la santé, déclarait ainsi le 13 décembre 1974 qu'il est effectivement particulièrement douloureux et pénible pour les parents d'enfants destinés à naître handicapés de devoir envisager de telles décisions.

De faux problèmes ont été soulevés dans le débat. Il n'y a pas d'eugénisme délibéré car il s'agit seulement pour la mère de faire le choix, avec l'habilitation du législateur, lorsqu'un enfant est susceptible de présenter des malformations graves, de ne pas le laisser naître ; cela justifie en conséquence un droit à indemnisation lorsque cette décision libre n'a pas pu être prise par la faute d'un médecin. Il n'y a pas non plus de risque qu'un enfant handicapé exerce un recours contre ses parents du fait de son handicap car il n'est pas possible de considérer que les parents auraient commis une faute en ne pratiquant pas d'IVG, le Conseil constitutionnel ayant consacré le droit de la mère d'avoir recours à une IVG.

Il peut en revanche y avoir un débat sur la notion de lien de causalité. La maladie avec laquelle naît l'enfant est certes indépendante de la faute du médecin car elle résulte de causes naturelles, mais la mère peut poursuivre le médecin et demander réparation car celui-ci ne lui a pas permis d'empêcher la réalisation de la maladie, en raison d'un mauvais diagnostic. Il s'agit d'un problème classique du droit de la responsabilité dont on peut prendre un exemple dans un autre domaine : lorsqu'une coulée de boue détruit un camping, la cause du dommage est naturelle mais il est possible d'attaquer en responsabilité le gestionnaire du camping s'il n'a pas pris les précautions nécessaires. Il en est de même lorsqu'en l'absence de thérapeutique, une faute médicale au moment du diagnostic a été à l'origine d'une naissance qui n'eut pas été désirée en toute connaissance de cause. Il y a peut-être une différence sur l'objet de la réparation mais non sur le lien de causalité juridique.

Il y a effectivement une différence de traitement entre le handicap selon qu'il est d'origine accidentelle non médicale ou qu'il est la conséquence d'une erreur de diagnostic médical. Il faut toutefois accepter toutes les conséquences du droit à réparation qui découle d'une responsabilité médicale pour faute. Ce problème de responsabilité médicale est par ailleurs traité dans le cadre du titre III du projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il n'est donc pas nécessaire de légiférer sur ce point ici.

Pour conclure, la proposition de loi non seulement ne résoudrait pas le problème qu'elle entend traiter ni n'empêcherait la Cour de cassation de maintenir sa jurisprudence, mais elle risquerait aussi d'encourir la censure du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l'homme car elle aboutirait à dénier dans certains cas un droit à réparation du préjudice en cas de faute d'un tiers. Ce texte posant plus de problèmes qu'il n'en résoudrait, il ne faut donc pas poursuivre le débat et le rejeter.

M. Jean-Michel Dubernard a interrogé le rapporteur sur le cas où un médecin condamné se retournerait contre les parents de l'enfant handicapé.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a d'abord exprimé sa reconnaissance pour la qualité du débat, qui a vu s'exprimer des prises de position parfois divergentes au sein d'un même groupe et a indiqué partager certaines positions exprimées par M. Alfred Recours et M. Jean-Marie Le Guen.

Il a rappelé qu'il y a trois semaines, il avait évoqué avec le Président de l'Assemblée nationale la possibilité de la création d'une commission d'enquête relative à la situation des handicapés. M. Raymond Forni lui avait alors répondu que la législature prenant fin dans moins de six mois, l'initiative n'avait guère de sens et pouvait être considérée comme une man_uvre. Dès lors, la proposition de créer maintenant une mission d'information parlementaire sur la question de savoir s'il faut légiférer sur l'indemnisation des handicaps congénitaux devient incompréhensible. En effet, si la mission est créée avant le 21 décembre 2001, elle ne pourra commencer ses travaux qu'au début janvier au moment où débutera l'examen du projet de loi révisant les lois bioéthiques qui mobilisera les députés concernés par ces questions. Elle ne pourra vraiment travailler qu'après l'adoption de ce texte, le 19 janvier 2002. Elle ne pourra donc conclure avant la fin de la législature. En revanche, si la proposition de loi est adoptée aujourd'hui et si le Gouvernement déclare l'urgence, le texte, le cas échéant amendé, sera bien adopté avant la fin de la législature. Le Parlement doit donc se prononcer maintenant sur la question, en évitant des man_uvres dilatoires.

Le rapporteur a indiqué que dans son service de diagnostic prénatal, après des diagnostics de maladie grave ou de malformation grave, les praticiens respectent la décision d'interruption volontaire de grossesse prise par le couple. Cependant, l'interruption volontaire de grossesse doit rester une liberté sans devenir une obligation. Si certains peuvent considérer que la cause de handicap réside dans la faute du médecin, il faut leur rappeler que la pathologie trouve malheureusement son origine ailleurs.

Le président Jean Le Garrec a relevé que le problème était posé de manière binaire, certains souhaitant légiférer, d'autres pas. Il s'agit en fait d'une double question : faut-il légiférer et comment légiférer ?

Chacun s'accorde à reconnaître que la vraie question est celle de la place des handicapés dans la société française, ce qui appelle une refonte de la loi de 1975. Il ne s'agit pas uniquement de l'effort financier consenti par la Nation mais d'une attitude sociale quand on voit qu'aujourd'hui, les entreprises préfèrent payer des amendes plutôt que d'employer des handicapés et les administrations ne satisfont pas aux obligations d'emplois des handicapés prévues par la loi.

Le débat sur l'arrêt Perruche a un arrière-plan métaphysique puisqu'il met en balance la vie et la mort. A cet égard, les conceptions judéo-chrétiennes peuvent être confrontées à d'autres approches comme celle de la philosophie grecque. Cet arrière-plan philosophique n'a pas à être évoqué aujourd'hui.

La question est plus concrète : un enfant handicapé peut-il mettre en cause la responsabilité du médecin qui a commis une faute dans la surveillance de la grossesse de la mère, privant celle-ci de la possibilité d'avorter ? Cette question est d'une grande complexité juridique notamment parce qu'elle met en jeu plusieurs conceptions de la causalité en matière de responsabilité. Ainsi, dire que la rubéole de Nicolas Perruche, non détectée par le médecin, est la seule cause de son handicap fait litière d'un principe selon lequel lorsqu'un dommage trouve à la fois sa source dans un événement naturel et dans une faute, l'auteur de la faute est responsable du dommage. A en croire « Le Monde », certaines personnalités de l'opposition semblent d'ailleurs s'interroger sur le risque de remettre en cause le principe de causalité ou de priver l'enfant handicapé de la réparation. Un autre risque est d'aller à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière.

Compte tenu de la complexité des questions ainsi posées par une intervention du législateur, il paraît nécessaire de mettre en place rapidement une mission d'information commune à la commission des affaires culturelles et à la commission des lois, d'une durée réduite, comprenant quinze députés, qui se prononcerait sur deux questions : faut-il légiférer ? Si oui, comment ? La création d'une telle mission a été suggérée par le Président de l'Assemblée nationale, M. Raymond Forni, et a recueilli l'appui du président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Cette mission devra impérativement rendre ses conclusions avant que ne s'engage l'examen en séance publique de la loi relative à la révision des lois dites de « bioéthique » à l'Assemblée nationale et de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé au Sénat.

En conclusion, le président Jean Le Garrec a proposé à la commission de ne pas engager l'examen des articles de la proposition de loi et de décider la création d'une mission d'information commune avec la commission des lois.

Le rapporteur a précisé que la proposition de loi était amendable et que son adoption par la commission marquerait la volonté des parlementaires de légiférer sur la question. La commission a déjà tenu une table ronde sur le sujet qui a rassemblé juristes, médecins et associations en mars 2001. On voit mal ce que, dans un délai aussi court, une mission d'information pourrait apporter de plus. Sa création serait donc aussi déraisonnable qu'incompréhensible.

M. Alfred Recours s'est déclaré favorable à la proposition du président en la jugeant toutefois pas nécessairement contradictoire avec l'examen du texte proposé par le rapporteur. Les déclarations de personnalités différentes parues dans la presse montrent la difficulté de parvenir immédiatement à un accord et justifient la création d'une mission d'information.

Le président Jean Le Garrec a précisé que l'adoption de sa proposition de création d'une mission d'information commune excluait l'examen du texte de la proposition de loi.

M. Maxime Gremetz a rappelé que ce texte de loi était une initiative parlementaire prise dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes. Afin de souligner le rôle du Parlement, il est indispensable de ne pas bloquer ce type d'initiative.

La commission a rejeté la proposition de M. Jean Le Garrec de ne pas examiner les articles de la proposition de loi et de créer une mission d'information commune.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles de la proposition de loi de M. Jean-François Mattei.

La commission a adopté les articles 1er et 2 sans modification, puis l'ensemble de la proposition de loi.

En conséquence, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l'Assemblée nationale d'adopter la proposition de loi dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA SOLIDARITÉ NATIONALE
ET À L'INDEMNISATION DES HANDICAPS CONGÉNITAUX.

Article 1er

L'article 16 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance.

« Lorsqu'un handicap est la conséquence directe d'une faute, il est ouvert droit à réparation dans les termes de l'article 1382 du présent code. »

Article 2

Il est créé, dans des conditions définies par décret, un Observatoire de l'accueil et de l'intégration des personnes handicapées, chargé d'observer la situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France et de présenter toutes les propositions jugées nécessaires au Parlement et au Gouvernement visant à améliorer la prise en charge de ces personnes.

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