N° 3528

RAPPORT

FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE SUR
LE PROJET DE LOI RELATIF À LA BIOÉTHIQUE (n° 3166)

Président
M. Bernard CHARLES,

Rapporteur
M. Alain CLAEYS

AUDITIONS
Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la commission spéciale
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

Table ronde sur le clonage thérapeutique, avec la participation de M. Henri ATLAN, ancien chef de service de biophysique à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Paris, M. Alain BACQUET, président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, M. Etienne-Emile BEAULIEU, directeur de l'Institut fédératif de recherche de l'hôpital de Bicêtre : hormones et génétique, M. Jean-Pierre CHANGEUX, professeur au collège de France et à l'Institut Pasteur, M. François GROS, secrétaire perpétuel à l'Académie des sciences, M. Pierre SAVATIER, chercheur à l'Ecole normale supérieure de Lyon, et de M. Didier SICARD, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (avec la participation de MM. Alain POMPIDOU et Jacques BRUNSCHWIG) (mercredi 7 novembre 2001)

Table ronde sur les greffes d'organes ou de cellules à partir de donneurs vivants, avec la participation de M. le Professeur Gérard BENOÎT, secrétaire général de la Société française de transplantation, M. le Professeur Marc-Olivier BITKER, Unité de transplantation rénale et pancréatique, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), M. le Professeur Olivier BOILLOT, Unité de transplantation hépatique, Hôpital Edouard-Herriot (Lyon), M. le Professeur Jean-Paul COUETIL, Service de chirurgie cardiaque, Hôpital Bichat (Paris), M. le Professeur Didier HOUSSIN, directeur général de l'Etablissement français des greffes, M. le Professeur Henri KREIS, Unité de transplantation rénale, Hôpital Necker-Enfants malades (Paris), M. le Professeur Jean-Paul SOULILLOU, président du Conseil scientifique de l'Etablissement français des greffes, M. le Professeur Jean-Paul VERNANT, Service d'hématologie clinique, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), et de M. Régis VOLLE, Président de la Fédération nationale d'aide aux insuffisants rénaux (FNAIR) (mercredi 19 décembre 2001)

Audition de Mme Elisabeth GUIGOU, ministre de l'Emploi et de la Solidarité et M. Roger Gérard SCHWARTZENBERG, ministre de la Recherche (jeudi 20 décembre 2001)

Audition de Mme Marylise LEBRANCHU, Garde des Sceaux, ministre de la Justice (mardi 8 janvier 2002)

Table ronde sur la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, avec la participation de M. Nicolas BEST, secrétaire général de la Délégation à la recherche publique de l'assistance publique des hôpitaux de Paris, M. le Docteur François CHAPUIS, président de la conférence nationale des CCPPRB, Mme Odile CORBIN, représentante du SNITEM, M. Claude HURIET, membre du Conseil économique et social, M. le Professeur François LEMAIRE, M. Yannick PLETAN, représentant de l'APAMED (mercredi 9 janvier 2002)

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Table ronde sur le clonage thérapeutique,
avec la participation de :
M. Henri ATLAN, ancien chef de service de biophysique à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Paris,
M. Alain BACQUET, président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme,
M. Etienne-Emile BEAULIEU, directeur de l'Institut fédératif
de recherche de l'hôpital de Bicêtre : hormones et génétique,
M. Jean-Pierre CHANGEUX, professeur au collège de France
et à l'Institut Pasteur,
M. François GROS, secrétaire perpétuel à l'Académie des sciences,
M. Pierre SAVATIER, chercheur à l'Ecole normale supérieure de Lyon,
M. Didier SICARD, président du Comité consultatif national d'éthique
pour les sciences de la vie et de la santé

Avec la participation de M. Alain POMPIDOU et

de M. Jacques BRUNSCHWIG

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 7 novembre 2001)

Présidence de M. Bernard CHARLES, président

M. Bernard Charles, président. - Mesdames, messieurs, notre Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique commence ses travaux aujourd'hui. Le Gouvernement n'a pas repris dans le projet de loi, que nous examinerons à la fin de la première quinzaine de janvier, le principe d'une autorisation des recherches sur ce que l'on nomme communément le « clonage thérapeutique ». Après la publication des travaux de la Mission d'information, nous nous étions engagés à débuter les travaux de notre Commission spéciale par un débat, ouvert à la presse, sur le « clonage thérapeutique ». Je remercie nos collègues et nos invités de participer à cet échange de vue ainsi que les représentants de la presse. Permettez-moi, d'abord, de présenter nos intervenants.

M. Henri Atlan est ancien chef de service de biophysique à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu de Paris, et ancien membre du comité consultatif national d'éthique. Dans l'ensemble de ses travaux et de ses fonctions, il s'est appliqué à rechercher la dimension éthique et philosophique des avancées de la science, des nouvelles perspectives qu'elle peut ouvrir dans le domaine des biotechnologies, en particulier dans celui de la génétique. Il nous présentera les réflexions que lui inspire le débat sur le « clonage thérapeutique », en soulignant combien est trompeuse cette appellation erronée qui entretient la confusion avec le débat sur le clonage reproductif. Son intervention nous permettra de délimiter clairement les enjeux du débat d'aujourd'hui.

M. François Gros, secrétaire perpétuel à l'Académie des sciences, professeur honoraire au Collège de France et à l'Institut Pasteur, est l'auteur d'un rapport collectif, remis en novembre 2000 au ministre de la recherche, dans lequel il compare les potentialités des cellules souches adultes avec celles des cellules souches embryonnaires. En nous en présentant les principales conclusions et recommandations, M. François Gros nous permettra d'appréhender les différentes pistes de recherche qui s'offrent aujourd'hui en évaluant les avantages et les inconvénients de chacune d'entre elles.

M. Jean-Pierre Changeux est professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur où il occupe la chaire des communications cellulaires. Il est également directeur du laboratoire de neurobiologie moléculaire. C'est dire combien le débat sur la technique dite du « clonage thérapeutique » l'intéresse directement dans la lutte contre les maladies neuro-dégénératives. De 1992 à 1998, le professeur Changeux a présidé le Comité consultatif national d'éthique dont il reste membre en tant que président d'honneur. Il nous exposera les raisons qui motivent son engagement en faveur de l'autorisation de la recherche utilisant la technique du « clonage thérapeutique ».

M. Pierre Savatier, chercheur à l'Ecole normale supérieure de Lyon, dirige un laboratoire de biologie moléculaire et cellulaire. Il forme, en collaboration avec le laboratoire « cerveau et vision » de l'INSERM, une des rares équipes mondiale qui travaille sur les cellules souches embryonnaires des primates. Il nous présentera ses travaux et les buts de cette recherche, en soulignant l'importance que revêt, selon lui, l'expérimentation préalable sur les primates des techniques qui sont utilisées dans la méthode dite du « clonage thérapeutique ». Cette expérimentation est nécessaire pour valider les résultats des recherches réalisées sur le modèle murin avant de passer à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.

M. Etienne-Emile Beaulieu, professeur au Collège de France, occupe la chaire des fondements et principes de la reproduction humaine. Il est également directeur de l'Institut fédératif de recherche de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, « hormones et génétique ». Chacun connaît le résultat de ses travaux sur la pilule dite du lendemain. Il est également membre du Comité consultatif national d'éthique. Il nous expliquera pourquoi il est favorable à l'autorisation de la recherche utilisant la technique du « clonage thérapeutique ».

M. Alain Bacquet, président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, nous présentera l'avis que la Commission a rendu le 25 janvier 2001 sur l'avant-projet de loi de révision des lois bioéthiques de 1994 en ce qui concerne la recherche sur l'embryon. La Commission s'est alors prononcée sur un avant-projet de loi où figuraient les dispositions qui ne font plus partie du projet de loi soumis au Parlement concernant la possibilité dans le cadre de l'autorisation à la recherche sur l'embryon, de constituer des lignées de cellules souches embryonnaires, y compris en utilisant la méthode dite du « clonage thérapeutique ». Selon la majorité des membres de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, cette ouverture de la recherche n'est pas absolument nécessaire, et elle lui est apparue prématurée, compte tenu du risque de banalisation de l'utilisation des embryons qui en découlerait, des risques de pression pouvant s'exercer sur les femmes et de la possibilité de conduire des recherches à partir des embryons surnuméraires et des cellules souches adultes. Sans porter atteinte à la confidentialité des débats internes à la Commission, il sera intéressant que M. Bacquet nous indique les arguments décisifs qui ont conduit la Commission à adopter un avis négatif sur cette question.

M. Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique, nous présentera l'avis que le Comité a rendu le 18 janvier 2001 sur l'avant-projet de loi de révision des lois bioéthiques de juillet 1994 en ce qui concerne la recherche sur l'embryon et la possibilité de constituer des lignées de cellules souches embryonnaires en utilisant éventuellement la méthode dite du « clonage thérapeutique ». L'avis du Comité fait état de forts débats internes entre les membres sur cette question, qui, de l'aveu même des rédacteurs de l'avis, aurait été la plus discutée au sein du Comité. Une majorité s'est prononcée finalement en faveur de l'autorisation encadrée du « clonage thérapeutique » en demandant que soit comblé le vide juridique qui entourait, dans l'avant-projet de loi, la question du don des ovocytes ou du tissu ovarien. Sans porter atteinte à la confidentialité des débats, il sera intéressant de connaître les principales lignes de clivage qui ont séparé les tenants et les opposants de l'utilisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires issues du transfert de noyaux de cellules somatiques.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Je voudrais, à mon tour, remercier nos collègues présents et les personnalités qui ont bien voulu accepter de participer à cette table ronde. Pour notre Commission spéciale, il s'agit d'un premier temps fort particulièrement attendu. La question du « clonage thérapeutique » fait l'objet d'un large débat en France, en Europe et aussi aux Etats-Unis. Comme l'a rappelé le Président Bernard Charles, il faut être attentif aux questions terminologiques lorsqu'on parle de clonage. L'utilisation du mot clonage prête à confusion. Il ne s'agit pas, il faut y insister, de parvenir au développement d'un être humain, mais d'obtenir à partir des cellules somatiques d'un patient, des cellules souches dont la différenciation contrôlée permettrait de traiter l'affection dont il est porteur sans provoquer de phénomène de rejet. Que l'on soit convaincu de l'opportunité d'ouvrir ce domaine de recherche ou non, on ne pouvait pas accepter - et je crois que tous nos collègues sont d'accord là-dessus - que le Parlement soit exclu du débat, alors que le Comité consultatif national d'éthique et la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le Conseil d'Etat, le Premier Ministre et le Président de la République ont exprimé leur position.

J'avais insisté, sur ce point, avec le Président Bernard Charles, lors de la conclusion des travaux de notre Mission d'information : il fallait que le Parlement, à un moment ou à un autre, puisse se saisir du débat et je pense que notre Commission spéciale était l'instance appropriée à cet égard.

Il appartiendra au Parlement de se prononcer sur le sujet et, dans l'hypothèse d'une réponse positive, à notre Commission spéciale de préciser dans quelles conditions ces recherches pourraient être entreprises. C'est dans ce cadre que nous avons jugé utile de procéder à des auditions.

Avant de donner la parole à M. Henri Atlan, je voudrais lui poser quelques questions. On a souvent entendu exprimer au sein de la communauté scientifique le regret que l'expression de « clonage thérapeutique » ait été consacrée par l'usage courant, en particulier dans la communication à l'intention du public. Que recouvre exactement le terme de clonage ? En quoi est-ce une appellation erronée en ce qui concerne les recherches relatives au transfert de noyau de cellules somatiques ? Quels seraient les meilleurs critères permettant de distinguer ou rapprocher le clonage reproductif de ce qu'on appelle le « clonage thérapeutique » ? Pour définir le clonage, le Conseil d'Etat fait référence à l'identité génétique, puisqu'il s'agit de « reproduire des organismes vivants génétiquement identiques ». Pour le Conseil de l'Europe, également, il s'agit d'une « intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort ». Le projet de loi bioéthique ne retient pas cette rédaction et parle de fécondation et de développement ; il s'agit de « faire naître un enfant ou laisser se développer un embryon qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme ou d'une femme ». Que pensez-vous de ces différentes définitions ?

Comment éviter que ne se développent des malentendus avec le public et quel rôle pédagogique les scientifiques peuvent-ils avoir dans ce domaine ?

M. Henri Atlan. - Il me paraît très important de situer le problème au niveau des mots. Je vais essayer, en quelques minutes, de montrer que le débat n'est pas sémantique, au mauvais sens du terme, mais que l'utilisation correcte du langage peut l'éclairer et le faciliter.

La façon la plus simple de distinguer les deux types de techniques qui portent le même nom de clonage - l'un reproductif, l'autre non-reproductif ou thérapeutique -, est d'observer leurs résultats. Dans le premier cas, il s'agit de faire naître des bébés ; dans le second, de ne pas faire naître des bébés. Cette distinction est extrêmement simple et tout le monde peut la comprendre. Elle comporte une implication technique très importante. Dans le premier cas, il est indispensable d'implanter une cellule obtenue par énucléation d'un ovule puis transfert d'un noyau somatique dans un utérus féminin, tandis que dans le second cas, il n'est pas question d'utiliser ou d'implanter cette cellule dans un utérus féminin : toute l'opération s'effectue in vitro, au laboratoire. Il s'agit donc d'une différence de taille, au niveau strictement de la procédure.

Je voudrais, plus généralement, m'attacher à une question à mes yeux assez importante : elle concerne la façon d'envisager la question de l'utilisation éventuelle de cellules produites par transfert de noyaux somatiques dans un but non reproductif. Très souvent, on présente le débat en opposant deux thèses. La première consiste à faire valoir les avantages scientifiques et médicaux attendus de la technique - essentiellement comme moyen de préparer des cellules souches embryonnaires ; la seconde met en valeur le respect de la dignité humaine appliqué à l'embryon lui-même. Ce cadre-là, et je vais m'employer à le montrer, me paraît erroné. Il ne s'agit pas d'opposer à l'intérêt scientifique, médical, et même économique, le respect de la dignité humaine appliqué à l'embryon. Même les personnes qui sont convaincues qu'un embryon humain est une personne humaine dès la fécondation ne devraient pas poser le problème du transfert du noyau somatique dans ces termes. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il n'y a pas de fécondation. Par conséquent, parler d'embryon humain quand on a affaire à ce type de cellule est une erreur. Il ne s'agit que d'un artefact de laboratoire qui n'existe nulle part dans la nature et qu'on appelle un embryon humain du seul fait du « succès » des techniques de transfert de noyaux. Ce succès est d'ailleurs tout à fait relatif puisqu'il est chargé d'anomalies, d'échecs de toutes sortes. Avant la naissance de la brebis Dolly, il ne serait venu à l'idée de personne de considérer qu'un ovule énucléé dans lequel on a transféré un noyau somatique, constitue un embryon. Aujourd'hui, une telle cellule peut donner naissance à un bébé moyennant un pourcentage d'échecs extrêmement importants. Cette cellule, encore une fois, est un artefact de laboratoire. Elle peut, sous certaines conditions, présenter certaines des propriétés d'un embryon humain. Pour autant, ce n'est pas une raison suffisante pour la considérer d'emblée comme un embryon humain. Il ne s'agit en aucune façon d'essayer d'en faire un bébé.

Le débat n'est pas sémantique au mauvais sens du terme ; au contraire, je crois que l'ambiguïté, ou la mauvaise utilisation du langage, dans ce domaine provient du souci de « s'accrocher » à des définitions essentialistes. Nous voulons définir de façon figée et une fois pour toutes l'essence de toute chose, l'essence d'une personne, l'essence d'un être humain, l'essence d'un embryon. Or, la plasticité et l'unité du monde vivant, telles qu'elles nous apparaissent dans les avancées actuelles de la biologie, montrent que de telles définitions ne sont pas toujours possibles dès lors que nous avons affaire à des processus évolutifs. Il est possible que quelque chose qui n'est pas un embryon devienne un embryon, que quelque chose qui n'est pas une personne humaine devienne une personne humaine, et il faut tenir compte de ce processus et ne pas absolument chercher à projeter des définitions essentialistes sur l'essence des choses. Par exemple, demain, la possibilité, dans certaines conditions, de réussir une parthénogenèse sur un mammifère, signifierait-t-elle que n'importe quel ovule sera considéré comme un embryon, sous prétexte que, dans certaines conditions, un ovule pourrait être stimulé et se développer et donner naissance à un bébé, à un être humain ? Bien évidemment, non ! Un certain nombre de laboratoires - à mon sens pas assez nombreux - ont essayé et continuent d'essayer de mettre au point des cellules modifiées en utilisant, non pas des ovules humains, mais des ovules animaux. Jusqu'à présent, ces techniques se sont soldées par des échecs mais rien ne dit qu'elles ne puissent pas réussir, au moins en ce qui concerne les premiers stades ressemblant à un développement embryonnaire susceptible de produire des cellules souches embryonnaires. Parlera-t-on alors d'embryon humain ? Non, puisqu'on aura affaire de nouveau à des artefacts, encore plus artefactuels, qui n'auront aucune chance de donner naissance à des bébés.

Autrement dit, nous sommes piégés par les mots quand nous entendons donner des définitions de l'essence de chaque chose. Ce souci est mis en échec par ce que nous découvrons de la plasticité, de la continuité et de l'unité du monde vivant qui rendent parfois les mots usuels impropres. Il vaut donc mieux faire porter le débat sur les pratiques elles-mêmes plutôt que sur les mots.

Une seule question éthique resterait posée par l'utilisation de ces « ovules modifiés » - je ne vois pas très bien comment désigner ces cellules autrement. Je veux parler des dons d'ovules par les femmes chez qui il faudrait les prélever. Cette question devrait pouvoir être traitée de différentes façons, d'une part, en la replaçant dans l'ensemble des questions de solidarité. Elle est alors similaire à toutes celles que posent les dons d'organes ou de tissus, sans qu'il soit nécessaire de l'inclure à l'ensemble des problèmes posés par l'utilisation des embryons. En outre, il est tout à fait possible que les techniques évoluent et que d'autres cellules énucléées que des ovules féminins puissent être utilisées. Je pense notamment à des cellules de lignées de cellules souches déjà existantes. Autrement dit, je suggère d'extraire la question du transfert de noyaux somatiques utilisé comme moyen en vue de produire des cellules souches embryonnaires de la question, plus générale, de l'utilisation des embryons humains utilisés à des fins de recherches et pour la médecine.

M. Pierre Hellier. - Que l'embryon soit issu d'un transfert de noyau de cellules somatiques ou pas, reste que l'essentiel, pour nous, est qu'il y ait un être humain en bout de chaîne. Je ne comprends pas votre vision des choses. Vous mettez en avant l'absence de fécondation, mais l'argument n'exclut pas la possibilité de faire naître un être vivant.

M. Henri Atlan. - N'importe quelle cellule est déjà un être vivant ! Une cellule de foie, une cellule de peau, bref, n'importe quelle cellule vivante est un être vivant. Sans doute assimilez-vous être vivant à être humain, mais rappelez-vous mon propos de départ. Dès lors que toutes les manipulations s'effectuent in vitro, dans un laboratoire, il n'est pas question d'implanter une cellule mise au point dans un tube à essai, dans l'utérus d'un animal, a fortiori dans l'utérus d'une femme. Dans ces conditions, comment imaginer qu'on ait affaire à un être humain, à une personne humaine ? Certes, pour une grande partie de l'opinion publique, un embryon humain est considéré comme une personne réelle dès la fécondation. Mais dans cette affaire, il ne s'agit même pas de fécondation, mais d'un artefact de laboratoire. Pour le considérer comme une personne humaine, il faudrait le penser comme une potentialité de potentialité. C'est pour cette raison que j'ai également pris l'exemple d'un ovule dans l'éventualité où une parthénogenèse serait possible sur des mammifères. Est-ce qu'on considérerait n'importe quel ovule comme une personne humaine ?

M. Pierre Hellier. - Je vous comprends bien, mais il s'agit d'un artefact de laboratoire qui peut aboutir à un être humain.

M. Henri Atlan. - Pour qu'il puisse donner naissance à un être humain, il faudrait imaginer quelque chose qui pour le moment est très largement de l'ordre de la science fiction : un utérus artificiel.

Mme Christine Boutin. - Je vous remercie beaucoup pour la clarté de votre propos. Mais vous ne serez pas surpris quand je vous dirai que je ne suis pas convaincue par votre analyse. Je vous remercie également d'avoir posé d'entrée de jeu la question de fond. Vous nous assurez qu'un artefact de laboratoire ne saurait être une personne humaine dans la mesure où il reste dans une éprouvette et qu'il ne sera jamais implanté. En réalité, c'est du pouvoir de l'homme sur l'homme dont il s'agit. Qui décidera que cet artefact restera dans une éprouvette et qu'il ne sera pas implanté ? On parle beaucoup du principe de précaution, mais s'agissant de l'humanité, pourquoi ne pas appliquer un principe de protection ? Car imaginer un instant qu'un chercheur décide d'implanter votre artefact. Que deviendra-t-il sinon une personne humaine ?

M. Alain Calmat. - Je voudrais qu'on dépasse le débat purement éthique. La loi que nous aurons à examiner doit servir les citoyens. Certes, il peut y avoir un risque, même s'il est minime, d'obtenir un bébé à partir du produit d'un ovule énucléé et d'un noyau, d'un nucléotide. Pour autant, refuser le « clonage thérapeutique », c'est se priver d'une technique utile. Quel est donc l'impact réel du « clonage thérapeutique » ?

M. Bernard Charles, Président. - Tout l'objet de notre débat consiste justement à montrer les avantages et les inconvénients du « clonage thérapeutique ».

M. Jacques Brunschwig. - J'ai particulièrement apprécié les commentaires et les explications de M. Henri Atlan. Il aurait pu néanmoins apporter une petite précision pour éclairer le débat. A quel stade du développement des cellules peut-on envisager un clonage ? Dès l'instant où l'on utilise les cellules au stade blastocyste - moins de six jours -  il n'existe aucun moyen de faire une nidation pour un clonage humain. C'est seulement à partir du septième-huitième jour qu'un clivage se produit dans la cellule. Or, toute l'opération s'effectue in vitro, et les cellules utilisées sont choisies avant qu'elles n'aient atteint le stade où elles pourraient se lier au placenta.

M. Henri Atlan. - La distinction entre les deux finalités est très claire. Comme Mme Christine Boutin l'a dit, la technique pose une question liée à celle, plus générale, du pouvoir de l'homme sur l'homme. Mais de quel homme s'agit-il ? Il s'agit, en effet, d'utiliser une technique qui ouvre des possibilités intéressantes pour la recherche et la thérapeutique. Elle augmente, en effet, le pouvoir « médical » ou le pouvoir « biologique ». Dans quelle mesure ce pouvoir accru heurte-t-il une certaine conception que l'on se fait de la personne humaine ? Selon moi, il n'y a aucune raison pour qu'il heurte quelque conception de la personne humaine que l'on se fasse.

La question de Mme Boutin me paraît rejoindre une autre question, celle de la « pente glissante ». Une technique qui a priori ne pose aucun problème peut induire, par son développement même, une autre technique qui posera des problèmes. A cela, on peut répondre très facilement en invoquant votre autorité : c'est la loi qui doit interdire de façon absolument catégorique toute utilisation d'une telle cellule dans un but reproductif. Le critère d'application ou de non-application de la loi est « massif », puisque dans un cas, il s'agirait d'implanter cette cellule dans un utérus de femme, dans l'autre cas, non. Et même dans l'hypothèse complètement farfelue d'un utérus artificiel, il sera toujours possible à la loi d'interdire d'y implanter une cellule. Autrement dit, la finalité de reproduction ou de non-reproduction n'est pas une petite nuance dans la technique. C'est une différence fondamentale dans l'application de la technique. C'est en réalité une autre technique.

Mme Christine Boutin. - Je comprends ce que vous dites, mais je n'y adhère pas du tout. Vous vous arrêtez à un certain niveau, et moi, je vais plus loin, je me place sur le plan des principes. Que cela soit le fait de la loi ou du chercheur, il s'agit tout de même bien d'accepter le principe que certains clones auront une destination humaine, d'autres une destination scientifique.

M. Henri Atlan. - Mais non !

Mme Christine Boutin. - Si ! Car en affirmant que c'est à la loi d'interdire le clonage reproductif, vous affirmez que tous les clonages auront un usage exclusivement thérapeutique.

M. Henri Atlan. - Tant qu'il n'est pas question d'implanter cette cellule dans un utérus féminin, il n'y aucune raison de parler d'embryon, encore moins de clonage humain. On a affaire à des questions qui ne concernent pas la personne humaine, non seulement parce qu'il n'y aura pas d'implantation, mais aussi parce qu'il s'agit d'artefacts produits sans fécondation.

Mme Christine Boutin. - Et alors ! Une technique artificielle peut donner naissance à une personne humaine !

M. Henri Atlan. - Mais tout peut donner une personne humaine dans ce sens-là, y compris un ovule tout seul, y compris un spermatozoïde tout seul.

Mme Christine Boutin. - Non !

M. Henri Atlan. - Si !

Mme Christine Boutin. - Non ! On en revient toujours à la même question.

M. Henri Atlan. - Non, ce n'est pas toujours la même question, parce qu'il n'y a pas fécondation. C'est un point fondamental.

M. Jean-Paul Bacquet. - Si je comprends bien, le but de la loi n'est pas d'interdire le clonage reproductif et d'autoriser le « clonage thérapeutique », mais de définir l'utilisation d'une cellule avant le sixième jour pour que le clonage reproductif ne puisse pas être possible. Car dans ces conditions, il est totalement impossible.

M. Jacques Brunchwig. - Je voudrais faire part d'une réflexion du comité international de bioéthique. Lorsque Mme Noëlle Lenoir en était la présidente, trois années d'échanges ont permis de faire du génome humain un patrimoine universel de l'humanité. Cette disposition a été votée à l'ONU en 1998. Cela signifie que le clonage humain reproductif est absolument interdit sur le plan international.

M. Alain Claeys, rapporteur. - L'intervention d'Henri Atlan et le débat qui l'a suivie constitueront le fil conducteur des discussions de notre Commission spéciale. Avant de donner la parole au Professeur François Gros, je veux rappeler notre triple exigence : ouvre-t-on un périmètre de recherches - et lequel - à des fins thérapeutiques ? Dans l'affirmative, quel encadrement  et quels interdits mettre en place ? Ces trois questions sont indissociables.

Monsieur le professeur François Gros, vous avez publié, à la demande du ministre de la recherche, un rapport qui s'intitule : Les cellules souches adultes et leurs potentialités d'utilisation en recherche et en thérapeutique. Comparaison avec les cellules souches embryonnaires. Lorsque nous avons débuté nos travaux, nous nous sommes demandés, avec mon ami Claude Huriet, pourquoi s'acharner à faire de la recherche sur les cellules souches embryonnaires compte tenu des problèmes éthiques qu'elle pose, alors que les chercheurs pourraient consacrer leur énergie à la recherche sur les cellules souches adultes.

Selon vous, quels sont les éléments décisifs qui doivent être pris en compte pour retenir ou exclure l'une ou l'autre piste de recherche ? Les données scientifiques actuelles sont-elles suffisamment précises pour affirmer que le choix d'une piste de recherche est exclusif d'une autre voie ? A l'inverse, les données scientifiques permettent-elles de penser que les différentes pistes de recherche pourraient être complémentaires ? L'une exclut-elle l'autre, ou faut-il mener de front les deux types de recherche ? Quels sont les enjeux économiques des différentes pistes de recherche ?

M. Bernard Charles, président. - Autre question : les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne permettraient-elles pas aussi d'accélérer les recherches sur les cellules souches adultes ?

M. François Gros. - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, vous avez déjà pratiquement couvert le propos d'ensemble que je voulais tenter de développer. Notre rapport est parti de points de vue qui sont un peu différents de ceux qui ont fait l'objet du débat sur l'intervention d'Henri Atlan. La question n'a pas été posée d'entrée de jeu sur l'opportunité du « clonage thérapeutique », mais sur l'idée que les cellules souches adultes, aux capacités de régénération très intéressantes et importantes, pourraient régler les problèmes éthiques dans la mesure où elles pourraient directement être utilisables sur un plan thérapeutique.

Notre rapport peut paraître un peu dépassé dans la mesure où il a été remis au ministre de la recherche en novembre 2000. Vous savez tous à quelle vitesse les travaux de recherches sont menés, notamment aux Etats-Unis. Pour le mettre au point, j'ai coordonné au sein de l'Académie des sciences, un groupe d'une trentaine de personnes composé d'experts, de biologistes, de chercheurs en biologie du développement, de médecins-praticiens et de pédiatres, notamment.

Je résumerai très brièvement les données concernant les cellules souches adultes et les recommandations qui ont été formulées. Puis, je traiterai des cellules souches embryonnaires.

On sait que les organes ou les tissus sont évidemment nombreux au sein desquels les cellules souches adultes ont été sinon isolées et caractérisées, du moins, dont la présence a pu être inférée à partir de leur capacité de réparer un tissu lésé ou de régénérer un tissu atteint par le vieillissement. On les connaît d'ailleurs presque tous. Il s'agit du tissu sanguin, du tissu épidermique, du tissu de la muqueuse intestinale, et, par des approches indirectes, du tissu osseux, du tissu pancréatique, hépato-biliaire, du tissu musculaire lisse et du tissu musculaire squelettique.

Les cellules de trois organes se renouvellent en permanence pendant la vie : le tissu sanguin, l'épiderme et l'intestin.

Ces cellules sont présentes dans pratiquement tous les tissus. Malheureusement, elles sont très difficiles à cultiver, à l'exception des cellules du mésenchyme, c'est-à-dire de cette portion de la moelle osseuse, sous-jacente à la partie de l'os, par opposition à la partie interne qui, elle, conduit aux cellules hématopoïétiques, formatrices de tous les éléments du sang. Les cellules mésenchymateuses, assez faciles à cultiver, donnent de l'os, du cartilage, et des adipocytes. En revanche, les autres sont très difficiles à cultiver, y compris les fameuses cellules souches sanguines dont on pense qu'elles pourraient n'exister qu'à l'état de l'unité, mais dont l'isolement s'est toujours heurté à de grandes difficultés. Pour autant, elles sont là et nous le savons. Elles renouvellent le sang. Elles sont capables de former tous les éléments figurés du sang, aussi bien les lymphocytes, que les plaquettes et des globules rouges. Elles sont enfouies dans les tissus, et c'est encore beaucoup plus vrai de tissus ou d'organes comme le cerveau, le pancréas ou le foie. Il serait plus judicieux de parler de cellules progénitrices que de cellules souches, car les cellules progénitrices sont des cellules qui ont déjà un tout petit peu franchi la direction de la différenciation vers le tissu final.

Il y a quelques années encore, on pensait que les cellules souches adultes ne servaient qu'à réparer le tissu dont elles sont originaires. Or il s'est produit une révolution dans les recherches fondamentales, même s'il convient de rester prudent : sur des souris, on s'est aperçu que le point de vue, érigé à l'état de principe, selon lequel telle cellule souche isolée de tel organe ou tel tissu pouvait redonner, après une greffe, le même tissu et tous ses éléments, n'était pas tout à fait exact. On a découvert - du moins chez l'animal - que les cellules souches adultes possédaient la capacité de régénérer des tissus très différents parfois de ceux dont elles étaient originaires. Les biologistes ont qualifié le phénomène de plasticité physiologique, d'autres ont parlé de saut ontogénétique.

Les recherches ont montré qu'il y avait là des capacités insoupçonnées. L'attention s'est alors portée sur la possibilité selon laquelle les cellules de la moelle, les plus accessibles, puisque ce sont celles à partir desquelles on pratique depuis de nombreuses années des greffes de toute nature, pourraient receler des éléments à l'origine de différents tissus. Il a ainsi été montré qu'elles reformaient non seulement de l'os et des tissus adipeux, mais également des cellules musculaires, des cellules nerveuses et même des cellules de l'hépatocyte. Ces observations ont été étendues à bien d'autres tissus que les cellules de la moelle et il a été notamment montré que les cellules musculaires prélevées dans un état divisionnel chez une souris étaient capables de restaurer, de protéger des cellules contre la perte de fabrication de leur système hématopoïétique après irradiation. Et la chose a été étendue aux cellules nerveuses qui peuvent donner du muscle, aux cellules du muscle qui peut donner des hépatocytes, etc.

J'en viens aux recommandations du rapport qui s'est surtout attaché à faire état des nouvelles découvertes relatives à la plasticité. Première recommandation : encourager les recherches de base sur les cellules souches adultes, notamment pour mieux comprendre les phénomènes de plasticité. Les perspectives de recherche sont très importantes pour la régénération tissulaire, non seulement au plan médical, mais aussi pour la biologie du développement. Pour autant, les mécanismes demeurent encore mystérieux et curieux. Il y a deux options. Ou bien une cellule souche, sanguine, par exemple, placée dans un environnement différent et implantée dans le cerveau, sera capable de donner du tissu nerveux. Ou bien, au contraire, il préexiste dans chacun des tissus adultes un « mélange » de cellules plus ou moins différenciées qui peuvent, sous l'influence de signaux différents, s'orienter différemment. Le mécanisme doit donc être précisé. Deuxième recommandation : mieux caractériser les cellules souches adultes dans des tissus où leur mise en évidence est très difficile, en particulier, le foie, le pancréas et le cerveau pour suivre les études relatives à leur mise en culture, à la nature des signaux qui leur permettent de se développer.

J'en viens aux cellules embryonnaires et aux cellules f_tales humaines. En 1998, deux chercheurs, l'un de Madison, l'autre de l'université de John Hopkins, ont réussi à isoler des cellules - le premier à partir des blastocystes humains, c'est-à-dire des formations qui sont âgées de cinq jours après la fécondation, le second à partir des éminences germinatives de f_tus provenant d'IVG qu'ils ont pu, une fois mises en culture, propager pendant très longtemps. Or, il y a deux mois, des études, regroupées dans le rapport du NIH, ont mis en évidence que ces cellules ont pu produire 400 à 500 doublements sans perdre leur potentialité de se diviser et de se différencier sous l'influence d'environnements appropriés, c'est-à-dire de facteurs de croissance ajoutés au milieu. Elles peuvent donc donner potentiellement les 200 types de tissus du corps humain. Jusqu'à maintenant, vingt types de tissus ont été obtenus in vitro. Il s'agit d'un résultat tout à fait important, encourageant et remarquable : des cellules souches embryonnaires humaines ont pu être orientées vers la formation de tissus potentiellement implantables.

Autre remarque très importante. Aucune anomalie chromosomique n'a été observée au cours de ces très nombreux doublements. Certes, il n'est pas exclu - il faut être honnête - que certaines mutations puissent apparaître après de très nombreux doublements. Mais ces cellules présentent un double avantage. Au plan fondamental, d'abord. Grâce à ces cellules souches embryonnaires humaines, on pourrait étudier avec beaucoup plus de précision les mécanismes du début de l'embryogenèse humaine, relativement mal comprise aujourd'hui étant donné que la recherche sur l'embryon humain est interdite. Ensuite, il serait possible, à partir de ces systèmes cellulaires cultivés in vitro, d'analyser les facteurs qui interviennent dans les processus de cancérogenèse, dans l'apparition du développement d'anomalies génétiques, d'étudier l'effet bénéfique ou tératogène de certains médicaments. Au plan thérapeutique, il serait possible de greffer ces cellules directement ou, de manière plus vraisemblable, les débuts de tissus formés par ces cellules chez des patients qui sont atteints de différents types de maladies qui ne sont pas guérissables par la pharmacothérapie actuelle. Les perspectives thérapeutiques sont très grandes, notamment dans le cas des maladies neuro-dégénératives.

Le groupe a également formulé quelques recommandations sur ces cellules, aussi bien des cellules ES que des cellules EG, aux potentialités de division moins grandes que les précédentes. La recommandation la plus générale du rapport est qu'il serait hautement souhaitable d'autoriser, dans le cadre du respect de la réglementation et de l'éthique, des travaux de recherches fondamentales portant sur l'analyse cellulaire et moléculaire du développement somatique des cellules embryonnaires issues de blastocystes humains. C'est un des éléments clés du rapport. Sans minimiser le risque toujours possible de voir apparaître certaines mutations dont nous ne connaissons pas encore tout à fait les conséquences, ou le risque de rejet immunitaire, il conviendrait, d'après le groupe, d'encourager, premièrement, la définition des conditions de mise en culture, car jusqu'ici, vingt types de tissus ont pu être obtenus, et il y a encore beaucoup de travail à faire si l'on veut définir des signaux qui interviennent pour les produire ; deuxièmement, la nature des facteurs de croissance et des signaux génétiques qui interviennent au moment de leur différenciation.

Dernier point : le développement des techniques de transfert nucléaire, de noyau somatique à l'intérieur des ovocytes, va s'avérer nécessaire lorsqu'il conviendra d'envisager l'utilisation thérapeutique des lignées de cellules embryonnaires afin d'éviter les phénomènes de rejet immunitaire. En effet, il y a là deux moyens potentiels de fabriquer un nombre considérable de lignées : l'un, à partir des cellules embryonnaires, de manière à trouver celles qui seraient immunocompatibles, l'autre, en partant du noyau somatique du patient et en essayant de reconstituer une sorte de blastocyste dont les cellules seraient ensuite implantables chez le même patient.

Pour conclure et pour répondre à la question de M. Alain Claeys, le groupe pense qu'il y a une complémentarité d'approche dans l'étude des cellules souches. Il serait à notre avis stupide d'abandonner complètement l'étude des cellules souches adultes pour celles des cellules souches embryonnaires. Sauf à prendre des retards importants, nous pensons que la recherche biologique française doit pouvoir utiliser, dès à présent, des cellules souches embryonnaires, humaines, de façon non seulement à étudier les meilleures conditions de fabrication de tissus, mais aussi, et pourquoi pas, évaluer les potentialités de risque. Ces recherches déboucheront - et c'est un point capital - sur des possibilités de reproduire des cellules immunocompatibles. Il y a évidemment le problème des immunosupresseurs, mais on sait à quel point ce traitement est lourd, difficile et dangereux. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il y a une logique de complémentarité entre la recherche sur les cellules souches-cellules embryonnaires et le passage des cellules embryonnaires vers le transfert nucléaire somatique.

M. Alain Pompidou. - Le professeur François Gros a parfaitement présenté ce rapport auquel j'ai d'ailleurs participé. Il a insisté sur deux points primordiaux. D'abord, la nécessité de l'expérimentation. Il est très important de ne pas se couper des possibilités d'expérimentation, notamment sur des cellules souches adultes. Ensuite, s'agissant des cellules souches adultes, il faut pouvoir non seulement suivre leur évolution in vivo, comme cela a été fait aux Etats-Unis sur 400 ou 500 divisions successives, mais également passer in vivo chez l'animal, autrement dit faire en sorte que des travaux de recherche vérifient les conséquences à long terme de l'utilisation in vivo des cellules souches. C'est un point très important qui devra être pris en compte par la loi. Du point de vue législatif, il faut donc bien s'assurer que l'expérimentation se poursuit à partir des cellules souches adultes, les deux objectifs étant de vérifier l'absence de facteurs mutagènes ou de mutations chez les cellules que l'on va greffer in vivo, c'est-à-dire l'absence de transformation tumorale de ces cellules, et l'absence d'apparition de prions au cours du transfert chez des animaux d'expérience.

Il est donc important de maintenir une capacité d'expérimentation et de mettre en place une surveillance qui permettra d'encadrer les expérimentations.

M. François Gros. - J'aurai dû donner, et je m'en excuse, la liste de toutes les personnes qui ont contribué à la publication de ce rapport. Pour votre part, M. Alain Pompidou, vous avez traité le point de vue éthique. J'ai omis d'indiquer dans mon exposé un élément très important qui figure dans le rapport. Si l'on veut mesurer le destin in vivo qui résulte de l'implantation potentielle des tissus issus de la culture des cellules souches - vous avez parlé de 400 à 500 doublements, il s'agissait là de cellules embryonnaires, les cellules adultes ne pouvant malheureusement pas se reproduire autant - il est capital de passer de la petite souris au primate, c'est-à-dire d'expérimenter sur des animaux de grande taille, aussi proches que possible de l'homme, tel le singe rhésus. Comme les laboratoires rencontrent de grandes difficultés à utiliser des singes pour les expérimentations, on pourrait vérifier les étapes que vous avez annoncées sur d'autres gros animaux.

M. Alain Calmat. - Le professeur François Gros nous a renseignés sur la différence d'efficacité thérapeutique entre les cellules souches adultes et les cellules embryonnaires. Or, le débat politique ou la presse oppose au « clonage thérapeutique » des cellules embryonnaires le fait qu'il peut être remplacé par les cellules souches adultes. Pourriez-vous nous indiquer la différence de niveau, sur le plan de l'expérimentation et sur le plan thérapeutique, de ces deux techniques ? Jusqu'à quel point les cellules souches adultes peuvent-elles être dédifférenciées ? Peuvent-elles atteindre le potentiel d'une cellule embryonnaire ?

M. Jean-Michel Dubernard. - Pour la communauté scientifique, il existe une complémentarité entre la recherche sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires. C'est le message qu'il faut faire passer auprès du grand public. Je remarque d'ailleurs qu'il passe très bien, puisque récemment, j'ai eu l'occasion de lire un texte publié par le Vatican qui indiquait que la recherche sur les cellules souches embryonnaires était quasiment indispensable pour mieux comprendre le fonctionnement des cellules souches adultes. Nous devons, nous, législateur, mettre en évidence les complémentarités et souligner que nous faisons une recherche sur l'embryon afin de développer celle sur les cellules souches adultes.

M. François Gros. - On peut utiliser les cellules souches adultes dans deux cas importants. Premièrement, les greffes de moelle. Pour autant, on n'a pas isolé la cellule souche adulte du sang, même si on sait qu'elle est là et qu'on s'en rapproche. C'est un cas de figure très important. Deuxièmement, les greffes de peau pour les brûlés. Mais lorsqu'il s'agit de disposer d'organes comme le foie, le pancréas ou même le muscle - et j'en parle en connaissance de cause comme ancien président du conseil scientifique de l'AFM - c'est une « toute autre paire de manches ». Il est pour l'heure impossible, même avec des myoblastes monoénuclés que l'on peut cultiver in vitro, de réparer ou de guérir des myopathies graves et dégénératives. On ne pourra y arriver qu'après de très nombreux travaux.

L'idée d'injecter dans la moelle des cellules qui lui permettront de retrouver dans le tissu cérébral, le tissu pancréatique, les signaux lui permettant de se différencier est très lointaine. Tout ce travail a été réalisé chez la souris, mais nous ne savons pas encore si l'on retrouvera les mêmes conditions chez l'homme. Que va-t-on injecter ? Des broyats de tissus. Encore une fois, on ne peut pas cultiver les cellules souches adultes. Par contre, elles ont un intérêt considérable pour comprendre les mécanismes de maintien en division et le passage à la différenciation, en d'autres termes, l'étude des signaux. A partir du moment où on les comprend sur ces modèles de cellules adultes, on peut espérer les extrapoler plus facilement au niveau des cellules embryonnaires.

M. Alain Calmat. - Il s'agit de la grande différence entre les deux techniques. L'une est opérationnelle - le clonage - l'autre ne l'est pas encore. C'est cette idée qu'il faut faire passer.

M. François Gros. - Un scientifique n'a pas le droit, cependant, de dire que tout est blanc ou tout est noir.

M. Alain Pompidou. - Un point de sémantique me paraît très important par rapport à l'opinion publique. Lorsqu'on parle de cellules souches adultes, on imagine toujours des enfants nés. C'est pourquoi le texte de loi devra définir précisément ce qu'on entend par cellules souches adules. Il ne s'agit pas de cellules embryonnaires. Elles donnent accès à des recherches qui se feront après IVG sur des fragments de f_tus. Cela va jusqu'au f_tus, et on est après le stade embryonnaire. C'est un point à préciser pour l'opinion publique.

M. François Gros. - J'ai oublié de mentionner, et je pense que c'est un cas important au plan moral et médical, le cas de la transplantation des neurones f_taux issus d'IVG. Chacun sait que l'on a réussi, malgré tout, à transplanter des neurones pour compenser la dégénérescence des cellules dopaminergiques. Là encore, c'est très délicat puisqu'il faut beaucoup de f_tus pour arriver à trouver la quantité nécessaire pour la compensation. Mais il serait infiniment préférable d'avoir recours à des cultures de cellules embryonnaires.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Comme l'a bien dit Alain Pompidou, nous aurons un travail pédagogique important à mener. Avant de donner la parole au professeur Jean-Pierre Changeux et au professeur Etienne-Emile Beaulieu, je voudrais poser plusieurs questions.

Il existe, nous dites-vous, deux moyens potentiels d'obtenir des cellules souches embryonnaires : soit à partir des embryons surnuméraires, soit à partir de transfert nucléaire somatique. Ma première série de question concerne la priorité. Au regard des besoins de la recherche, quel périmètre le législateur doit-il ouvrir ? Serait-il suffisant pour les besoins de recherches d'en rester, dans le cadre d'une loi, révisable dans cinq ans, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir d'embryons surnuméraires ? Ou alors, est-il nécessaire d'aller au-delà et d'incorporer dans ce périmètre de recherches le « clonage thérapeutique », non pour des questions de concurrence entre pays, mais parce que la recherche l'exige ? Nous souhaitons être éclairés, car au-delà des enjeux internationaux, il faut mettre en lumière les enjeux de recherche.

Deuxième série de questions. Si l'on retient le transfert nucléaire somatique, se pose un problème éthique central : la nécessité d'obtenir un grand nombre d'ovocytes. Est-il bien exact qu'un grand nombre d'ovocytes serait nécessaire pour cette technique ? Pourrait-on disposer d'ovocytes sans recourir aux dons directs ?

Troisième série de questions. Comment concilier la liberté de la recherche avec la fixation de limites par notre société et la garantie du respect effectif de ces limites ?

Dernier point : la notion de réversibilité. S'agit-il d'une notion que le législateur met en avant pour avoir bonne conscience ? Ou s'agit-il d'une notion qui a un sens ? Si au bout de cinq ans, les potentialités des cellules souches adultes sont au rendez-vous, pensez-vous concevable qu'on puisse revenir en arrière sur des autorisations que l'on aurait données ?

M. Jean-Pierre Changeux. - Je tiens d'abord à dire que je m'associe entièrement au rapport de l'Académie. Il expose le problème, sur le plan scientifique, avec une grande clarté. Je tiens également à indiquer que je me place dans la même ligne de pensée qu'Alain Pompidou lorsqu'il met en avant les risques posés par les diverses technologies - risques thérapeutiques, mais aussi détournement des recherches à des fins qui ne sont pas celles des thérapies humaines.

Je voudrais présenter des arguments éthiques et répondre spontanément aux questions de M. le rapporteur.

Je suis tout à fait favorable à l'avis du 27 février 2001 du Comité consultatif national d'éthique qui a été rendu avec une majorité. Cet avis est globalement favorable à l'ouverture de la recherche non seulement aux cellules embryonnaires, mais aussi au clonage dit « thérapeutique ».

Je voudrais développer trois arguments : la clarté du discours ; le devoir de recherche et de compassion ; la raison économique et la nécessité d'une régulation éthique au niveau mondial.

Premièrement, la clarté du discours. Wittgenstein nous dit dans le Tractatus que « le but de la philosophie est la clarification logique de la pensée ». Eliminer malentendu et ambiguïté est le préalable nécessaire à tout débat éthique. Or pour le grand public, rien n'est moins clair. Dans les journaux du mois d'avril 2001, l'expression de « clonage humain » revient à six reprises, sans autre clarification et entretient donc une confusion grave entre clonage reproductif d'êtres humains qui vise à reproduire des bébés génétiquement identiques à un adulte et clonage cellulaire qui porte sur l'isolement de lignées cellulaires à des fins thérapeutiques.

Les recommandations successives du Comité consultatif national d'éthique, lorsque j'en étais président, sont fort claires. L'avis 54 de 1997, en réponse au Président de la République, recommande « l'interdiction formelle du clonage reproductif d'êtres humains » ; l'avis 53 de 1997, complémentaire du précédent recommande, la « levée d'interdiction, sous conditions, de l'établissement de lignées de cellules souches à partir de blastocystes humains obtenus par fécondation in vitro ». Quant à l'avis 67, du 7 février 2001, il a donné lieu à un débat certes vif, mais je tiens à indiquer que nous avons eu des débats aussi vifs sur la toxicomanie. Au final, une majorité s'est prononcée pour lever l'interdiction, toujours sous conditions, du clonage dit « thérapeutique ».

De mon point de vue, toutes les formes de clonage de cellules embryonnaires - thérapeutique inclus - se distinguent du clonage reproductif pour les raisons suivantes. A ce jour, il n'est pas possible d'obtenir un enfant viable à partir des seules cellules embryonnaires clonées in vitro. Le blastocyste obtenu par fécondation in vitro ne possède aucune autonomie et ne peut conduire à un enfant en dehors de l'utérus maternel. C'est un point important sur lequel nous serons scientifiquement tous d'accord.

Par contre, l'opération requise pour faire naître ou non un enfant à partir d'un blastocyste est l'implantation. C'est un geste qui ne peut être réalisé que par un médecin et qui constitue un événement ponctuel décisif. Il est légitime que cette intervention soit soumise à une régulation éthique d'une grande sévérité. La situation est claire : clonage reproductif avec réimplantation : interdit ; « clonage thérapeutique » sans réimplantation : autorisé. L'implantation créée une barrière essentielle entre « clonage thérapeutique » et clonage reproductif, et c'est au médecin concerné de respecter l'interdit de la réimplantation. Le débat philosophico-métaphysique sur la définition immatérielle de l'embryon comme personne humaine potentielle cède la place à une problématique éthique, bien concrète, qui encadre une technique médicale simple et indispensable pour faire naître un enfant.

Certes, toute confusion n'est pas éliminée. Jean-François Mattéi a souligné que l'embryon est « le lieu de l'interdit et du sacré ». Il faut toutefois se rappeler à ce propos que la plupart des religions révélées et leurs systèmes symboliques sont apparus historiquement à une époque où les mécanismes de la reproduction, comme celles des animaux, étaient mystérieux, voire parfois jugés d'intervention divine. Je tiens à souligner aussi que certaines traditions religieuses ne sont pas en opposition avec la recherche sur le « clonage thérapeutique ». Henri Atlan était au Comité consultatif national d'éthique une personnalité appartenant à la famille de pensée relevant du judaïsme, et je tiens aussi à souligner qu'en Israël, le « clonage thérapeutique » est autorisé, mais pas le clonage reproductif.

La biologie nous enseigne que ce qui singularise la reproduction sexuée chez les êtres vivants supérieurs, c'est d'abord la ségrégation de la lignée germinale et sa perpétuation à travers des générations, « la continuité du plasma germinatif », comme l'écrit August Weismann. La fécondation est certes un moment singulier, mais les gamètes, ovocytes et spermatozoïdes, sont bien des cellules vivantes. Nombreux sont les exemples dans le règne animal d'individus parfaitement viables issus de parthénogenèse, mais les mammifères et l'homme sont vivipares. Et une partie importante du développement de l'_uf est dévolue aux annexes embryonnaires qui servent à l'arrimage et à la nutrition du petit organisme en développement dans l'organisme maternel. L'embryon proprement dit avec ses axes de symétrie cartésiens ne se différencie qu'après l'implantation, plus de sept jours après la fécondation. Il est remarquable que la biologie s'accorde avec l'éthique sur l'importance de l'implantation.

Le débat sur la « réification de l'embryon » perd de sa signification éthique puisqu'il porte sur une structure en développement qui anticipe la formation de l'embryon proprement dit, mais n'est pas elle-même un embryon.

Deuxième partie : le devoir de recherche et de compassion, une exigence éthique prioritaire.

Anne Fagot-Largeau, professeur au Collège de France et ancien membre du Comité consultatif national d'éthique, a analysé dans sa leçon inaugurale au collège de France l'obligation de recherche, le devoir d'essai pour le médecin et le biologiste. La médecine naît, selon elle, d'une demande de soins. Pour Hans Jonas, le nouveau né qui crie, adresse un on doit irréfutable à son entourage, tout comme la plainte du grand brûlé. Répondre à la demande de soins par une médecine responsable est, d'après elle, une position philosophique, et je dirais moi-même une position éthique pour notre société. D'abord, la souffrance existe dans le monde, elle fait partie de la physiologie des êtres humains. Deuxièmement, il faut remédier aux maux dont les humains sont affligés, et la santé est un élément essentiel du bien vivre. Il existe une morale de la recherche du bien et du mieux, une morale de la solidarité avec ceux qui souffrent et qu'il faut secourir par tous les moyens dont on dispose et tout particulièrement la recherche scientifique. Troisièmement, la distance entre ce qu'on sait faire et ce qu'on voudrait pouvoir faire est immense. Anne Fagot-Largeau insiste : « ce n'est pas en étant moins scientifique que nous serons plus humains, c'est en étant plus et autrement scientifique ». Et Bernard Debré, en conclusion d'un article publié en juillet 2001 en faveur du « clonage thérapeutique » mentionne que « ce n'est certainement pas en interdisant les recherches, en interdisant la connaissance que l'on va préserver une certaine idée de l'homme ».

René Cassin, dans un texte de 1972, soulignait déjà « la part immense de la science dans la conception, le contenu, le développement et le respect pratique des droits de l'homme ». Droit à la vie, et tout particulièrement à la santé et à la reproduction, à l'information, à la communication des idées. Dans cet esprit, la déclaration de l'UNESCO sur le génome de 1997, affirme que « la liberté de la recherche qui est nécessaire aux progrès de la connaissance procède de la liberté de pensée ». J'ajoute que l'obscurantisme, selon moi, n'a jamais fait partie de la déclaration des droits de l'homme. On cite souvent l'opinion des Français. Dans un sondage publié dans le Figaro le 15 février 2001, les Français, pour 71% d'entre eux sont pour le clonage des cellules humaines pour fabriquer des organes utilisables pour des greffes.

Les recherches sur le « clonage thérapeutique » relèvent directement de la liberté d'une recherche dont la finalité est de guérir de nombreuses maladies dégénératives : Alzheimer, Parkinson, diabète. Mais soyons clairs : autoriser n'est pas exclure, au contraire. Il faut mener en parallèle et avec vigueur toute recherche qui permet de faire l'économie de l'étape ovocytaire du « clonage thérapeutique », par exemple avec les cellules souches adultes ou avec transfert nucléaire entre cellules adultes et cellules souches embryonnaires. Toutefois, je m'oppose avec véhémence à ceux qui suggèrent publiquement que, sur le plan scientifique, « rien ne justifie le clonage thérapeutique », ou que l'entreprise est irraisonnable. La pratique quotidienne de la recherche montre que nul ne peut prévoir l'étape décisive qui conduira à la découverte et au succès, et il faut se donner le maximum de chances pour réussir, par exemple, identifier les facteurs qui sont nécessaires aux cellules souches pour se différencier en lignées utilisables en recherche thérapeutique. Le prix symbolique à payer est bien modeste devant les connaissances à acquérir et les souffrances à soulager.

Troisième partie : raison économique, mondialisation et éthique universelle.

Deux questions restent en suspens : la raison économique et le don d'ovocytes. Ma première réponse porte sur l'anathème porté contre l'exploitation économique du progrès technologique, la libre entreprise et l'économie de marché. Le Comité consultatif national d'éthique s'est toujours opposé, par principe, à la marchandisation de l'homme, de son corps, de ses organes ou de ses tissus. Mais la difficulté surgit lorsqu'il s'agit de dérivés de cellules, de molécules qui nécessitent une intervention technique originale et adaptée, souvent très difficile et fort onéreuse. C'est le cas du clonage de cellules, qu'il soit utilisable dans la réparation de tissus, sans craindre des rejets, comme cela a été mentionné par François Gros, dus à une éventuelle incompatibilité génétique. Il n'est plus légitime d'exclure, de manière délibérée, dans ces conditions, toute logique économique. Mener avec succès, celle-ci contribue même à la validation de la découverte biotechnologique et à la démonstration de son efficacité thérapeutique chez l'homme. De plus, qu'on le veuille ou non, la libre compétition pour le meilleur produit aura lieu de toute manière à l'échelle mondiale.

Avec un impact de l'ordre de 5% des publications mondiales, notre pays est un très modeste concurrent dans le domaine de la recherche embryonnaire. Sa sortie de la compétition mondiale par des lois qui interdiraient ces recherches ne nuira certainement pas au progrès des connaissances au niveau mondial. Par contre, elle amènera tôt ou tard à utiliser - bien entendu sous brevet - les progrès biotechnologiques réalisés en dehors de nos frontières. Les lois de bioéthique de 1994 ont bloqué et bloquent toujours les recherches majeures sur les cellules souches embryonnaires humaines, alors que ces recherches ont lieu très activement en dehors de notre pays. La France n'a plus qualité pour donner des leçons de morale au reste du monde, en particulier dans un domaine où elle est absente de la recherche.

Enfin, j'aimerais revenir sur une difficulté éthique importante posée par la mise à la disposition des chercheurs d'ovocytes en nombre suffisants pour faire aboutir leurs travaux. D'abord, une recherche proprement cognitive sur le « clonage thérapeutique » - une recherche fondamentale - ne requiert pas nécessairement un nombre élevé d'ovocytes, ne serait que pour créer une référence à d'autres modes de clonage cellulaire. Je pense que ce point est très important : ne pas fermer la porte d'un moyen d'investigation nouveau, ne serait-ce que sur le plan théorique et sur un petit nombre d'expériences. Il ne faut pas confondre, à ce niveau, comme cela a été fait dans certains discours, acquisition des connaissances et exploitation thérapeutique à grande échelle. Et puis il y a la crainte exprimée par d'éminentes personnalités, le plus souvent de sexe masculin, de « l'instrumentalisation des femmes considérées comme productrices d'ovules », comme si celles-ci ne possédaient ni l'autonomie ni les qualités morales qui leur permettent de consentir généreusement à l'utilisation de leur ovocyte pour une recherche vouée à alléger la souffrance de leur proche, et pourquoi pas la survie de leur enfant, ou bien, tout simplement, si elles ne participent pas de ce point de vue, refuser fermement ce geste pour des raisons personnelles, tant physiologiques, qu'idéologiques ou religieuses.

Il n'en reste pas moins vrai que toutes sortes d'abus criminels peuvent détourner l'application des projets biotechnologiques de leurs visées premières qui est « de tendre à l'allégement de la souffrance et à l'amélioration de la santé de l'individu et de l'humanité tout entière » conformément à l'article 12b de la déclaration sur le génome de l'UNESCO de 1997. Je ne ferai pas la liste de ces crimes qui nous répugnent, de l'exploitation à des fins de recherche d'êtres humains - femmes, hommes - vivants dans des pays en voie de développement, jusqu'au financement à des fins personnelles de travaux interdits de clonage reproductif. Il faut s'en protéger, et je le dis très fermement. Et je dois dire que je suis satisfait de la proposition gouvernementale de la création d'une agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines qui examinerait chaque projet de recherche au cas par cas. C'est une excellente mesure. Mais de mon point de vue, ce dispositif proprement national me paraît insuffisant face aux menaces de la mondialisation et de travaux interdits à l'extérieur des barrières nationales. Il me paraît donc nécessaire de réfléchir à une éventuelle mise en place d'une instance internationale - il en existe déjà -, d'un comité éthique mondial, placé auprès des Nations-Unies, qui soit le lieu d'élaboration d'un nouveau contrat social, désormais universel, sur l'éthique des sciences de la vie, de la santé et de leurs applications technologiques et médicales.

Mme Christine Boutin. - Votre première partie consacrée à la clarté du discours est un élément important et la réunion d'aujourd'hui pourra y contribuer. Pour autant, la discussion ne m'a pas encore apporté d'éléments nouveaux. Vous avez indiqué qu'il n'était pas possible de faire naître un enfant à partir d'un clonage en dehors de l'utérus maternel. Or, lorsque nous avons mis au point les lois de bioéthique entre 1992 et 1994, tout le monde nous assurait qu'il n'était pas question de clonage. Et j'ai été la seule à déposer un amendement interdisant le clonage, alors que toute la classe politique trouvait que Christine Boutin avait une attitude complètement folle parce qu'elle parlait d'une question qui ne se posait pas. Il faut donc rester d'autant plus prudent que les recherches vont vite, comme l'a souligné le professeur François Gros. Ce n'est pas parce qu'une pratique ne se fait pas aujourd'hui qu'elle ne le fera pas demain. Votre argument de départ ne m'a donc pas convaincue.

A l'époque, il avait été également dit que l'on interdirait toute recherche sur l'embryon. C'est d'ailleurs cette interdiction qui avait emporté la conviction et l'adhésion de deux majorités parlementaires différentes. Or aujourd'hui, la situation est complètement changée.

S'agissant du devoir de recherche et de compassion, je ne voudrais pas trop m'étendre, mais cher M. Changeux, tout le monde sait très bien que nous ne partageons les mêmes choix fondamentaux.

M. Jean-Pierre Changeux. - Pas nécessairement !

Mme Christine Boutin. - Pour ma part, ma position est différente de la vôtre, et je pourrais avec le même vocabulaire - compassion, obscurantisme - développer des arguments absolument contraires.

J'en viens à la troisième partie de votre argumentation consacrée aux raisons économiques. Lorsque nous avons travaillé en 1992 et 1994, nous avons été un certain nombre à être émus du trafic d'organes des pays pauvres vers les pays riches. Personnellement, je suis inquiète de l'exploitation que l'on pourrait faire des femmes des pays pauvres. Vous avez donné quelques pistes. Elles sont intéressantes. Mais je ne vois pas comment éviter l'exploitation des femmes des pays en voie de développement.

Mme Martine Lignières-Cassou. - Une partie du débat rapporté dans la presse porte sur un possible trafic d'ovocytes, à l'instar de ce que nous avons constaté pour d'autres organes du corps humain. Vous nous avez indiqué qu'au stade de la recherche, le nombre d'ovocytes n'était pas important. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Par ailleurs, est-il bel et bien nécessaire et suffisant de travailler sur les embryons surnuméraires ?

M. Jean-Pierre Changeux. - Je voudrais rassurer Mme Christine Boutin : on peut avoir des positions idéologiques différentes et néanmoins arriver à s'entendre.

Mme Christine Boutin. - Bien sûr !

M. Jean-Pierre Changeux. - D'ailleurs, c'est pour moi une sorte d'idéal que de chercher à savoir s'il n'existe pas des fonctions de notre cerveau qui nous permettraient d'arriver à nous accorder sur un certain nombre de principes de base.

Votre idée initiale d'une interdiction du clonage reproductif est une idée que nous partageons tous, et il n'y a pas de raison de revenir sur cette question. Il y a unanimité, quelle que soit d'ailleurs la famille de pensée politique ou religieuse, sur ce point, mis à part quelques exceptions.

Vous avez souligné un point très important à propos du changement éventuel de position du Parlement : l'évolution de la science. Ce changement de position n'est pas nouveau sur des questions d'éthique. Le Comité consultatif national d'éthique, lui-même, a changé de positions sur les greffes de cellules nerveuses. C'est pourquoi je suis, pour ma part, favorable à la mise en place d'une instance au sein du Parlement qui chaque année examinerait les problèmes nouvellement soulevés. Je suis navré que, depuis tant d'années, la recherche sur les cellules souches embryonnaires soit bloquée du fait que les lois actuelles n'ont pas été réexaminées en temps voulu. Et d'ailleurs, même si elles l'avaient été en temps voulu, elles auraient été en retard. Nous sommes dramatiquement en retard dans ce domaine à cause du dispositif législatif actuel. C'est pourquoi je suis favorable à l'idée que le Parlement soit saisi sur des questions ponctuelles liées au développement de la recherche. Au cours de séances brèves, il pourrait ainsi prendre position.

Vous avez parlé des pays pauvres et des pays riches. C'est, pour moi, presque le problème éthique numéro un. C'est un problème grave. Nous sommes encore loin, nous, sociétés occidentales, de la situation où nous serions capables de résoudre tous ces problèmes à l'échelle mondiale. On peut toujours craindre une exploitation des femmes et un trafic d'ovocytes, comme il peut y avoir des trafics d'organes pour les greffes.

Selon moi, il n'y a qu'une seule réponse à ce phénomène : une régulation au niveau mondial. Je ne vois pas d'autres solutions. Nous avons d'abord à donner l'exemple au plan national, certes, mais il est indispensable d'avoir une régulation mondiale au plan de l'organisation des Nations-Unis.

J'en viens à la question des embryons congelés. Il va de soi que le transfert nucléaire donne aux cellules souches embryonnaires la capacité d'être génétiquement identiques au donneur de noyau. La technique est donc irremplaçable. Si le don d'ovocytes est nécessaire pour une recherche cognitive, par contre, généraliser la méthode pour une exploitation thérapeutique à très large échelle fait question. Selon moi, la recherche est nécessaire sur l'embryon humain pour arriver à trouver des moyens qui nous permettent d'échapper à cette technologie très lourde. Elle est donc nécessaire pour normaliser les méthodes, servir de contrôle et peut-être faire des découvertes qui nous permettront le moment venu d'y échapper. Arrêter la recherche dans un domaine comme celui-là est pour moi dramatique. Je constate d'ailleurs qu'elle est déjà arrêtée dans notre pays.

M. Jean-Michel Dubernard. - La loi est théoriquement révisable à tout moment. Une durée de cinq ans est l'échelon ultime. Pourquoi n'a-t-elle par été revisitée avant sur un sujet aussi important que celui-là ?

M. Jean-Pierre Changeux. - Je vous remercie de poser cette question, parce que le Comité consultatif national d'éthique suggère depuis de nombreuses années un certain nombre de pistes.

M. Bernard Charles, président. - En effet, le Comité consultatif national d'éthique a publié des avis. Nous pensons également qu'un organe régulateur, s'il était mis en place, devrait pouvoir être saisi largement. Il faut trouver la bonne rédaction pour ne pas être obligé de réviser la loi tous les cinq ans. Il faut mettre au point une procédure permettant d'apporter une réponse législative sur des sujets spécifiques.

M. Pierre Hellier. - Il n'est pas question d'interdire les recherches, en effet. C'est pourquoi l'idée de mettre en place un comité d'éthique international et aussi cette instance parlementaire est intéressante. Il faut que le Parlement puisse délibérer plus rapidement sur des sujets spécifiques.

M. Etienne-Emile Baulieu. - Les exposés de MM. Henri Atlan, François Gros et Jean-Pierre Changeux satisfont pour l'essentiel les remarques que je pourrais faire comme chercheur ou comme médecin qui a toujours à l'esprit de faire une place très particulière à la question de l'aide à ceux qui, dans le malheur, se tournent vers nous.

L'essentiel ayant été dit par mes collègues, je me contenterai de développer quelques points.

La première chose qui frappe, c'est la violence des mots. Elle est implicite dans la manière dont les médias rapportent les questions. Les confusions sont grandes et le mot « clonage » vit sous la terreur proclamée du clonage reproductif, alors que le sujet est au fond grandement différent. Bien sûr, il s'agit de multiplications cellulaires à l'identique, mais comme l'a bien expliqué Henri Atlan, la constitution de personnes humaines n'en est pas la finalité.

Le problème même de la définition de ce qui est humain dans le matériel chimique que nous traitons et que nous essayons d'utiliser pour la meilleure santé des gens est évidemment extraordinairement difficile. En témoignent les discussions sur la définition de l'embryon et la suggestion anglaise du « préembryon », différencié de la suite embryonnaire par la temporalité qu'on lui attribue, essentiellement à deux niveaux. D'une part, au plan de l'implantation ; d'autre part, de la division cellulaire, donc de l'individuation du produit de conception lorsqu'il s'agit de fécondation.

Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous sous la domination de l'éclat du mot embryon qui nous fait penser - pour ne pas dire, rêver - à notre descendance, aux responsabilités que nous avons vis-à-vis de ceux à qui nous donnons jour, alors qu'il ne s'agit pas de cela, même s'il est également question d'aider ceux qui souffrent.

Il faut faire très attention à la terminologie, en particulier lorsqu'on parle de « réification » ou de « chosification » des produits humains utilisés. Ces expressions violentes sont volontairement utilisées pour impressionner, mais elles ne sont pas justes dans la mesure où, heureusement, nous considérons comme des choses des produits qui peuvent être structurellement modelés par l'évolution de la vie sur terre pour constituer les êtres humains. Ou alors, il faudrait répudier la transfusion et les greffes.

Deux autres questions s'accrochent à la définition de qui est humain. D'abord, la question de la personnalité humaine. Aujourd'hui même, j'ai observé qu'on parlait de personne humaine au même titre que d'essence humaine. La différenciation entre l'embryon ou les cellules initiales fécondées obtenues après l'acte de conjonction d'un homme et d'une femme est fondamentalement différente d'un artefact de laboratoire, pour reprendre l'expression d'Henri Atlan, même s'il s'agit d'une expression un peu brutale qui diminue le contenu mental de l'objet traité. Il ne faut pas se laisser aller à des facilités trop grandes, comme un de nos éminents collègues indiquant, après s'être référé à Kant, que la question de la personne humaine désigne aussi bien un être humain au sens purement biologique du terme.

Nous n'avons pas à discuter ici de la notion sur le fond, et chacun est totalement libre et responsable - d'abord devant lui-même - de l'idéologie, de la façon de concevoir le destin de la terre sur laquelle nous sommes nés et qui constitue l'essentiel de notre environnement. Chacun est libre mais chacun à le devoir et l'obligation de vivre en société, donc de concevoir, à côté des idéologies, notre fond commun, c'est-à-dire le devoir de compassion.

Toutes ces questions méritent d'être discutées, mais ne sont pas nécessairement faciles à expliquer lorsqu'on complique la discussion par des éléments trop théoriques.

Je voudrais ajouter deux points particuliers relatifs aux études à mener dans le domaine dont nous discutons. D'abord, ceux qui s'intéressent à la biologie et à la physiologie de la reproduction savent bien que la biologie humaine, au plan le plus anatomique et moléculaire, est particulière. Et si les études sur les animaux sont évidemment indispensables et doivent être menées avec humanité, elles ne sont pas suffisantes pour être transposées à des questions qui intéressent la reproduction humaine. Par conséquent, toute une série de questions ne peuvent se traiter qu'en complémentarité des recherches chez l'animal et chez l'homme. Je pense qu'il est difficile d'aller contre cet argument. Il n'y a pas d'exclusion, mais complémentarité et retour alternatif d'un domaine à l'autre. Les mêmes scientifiques, de plus en plus, peuvent être compétents dans les deux types de schémas expérimentaux. Ensuite, les études qui doivent être menées compte tenu de ce qu'on appelle encore le « clonage thérapeutique » impliquent nécessairement que des progrès seront réalisés dans le domaine de la connaissance de l'implantation de l'_uf fécondé, autrement dit de la partie seconde du processus. Tout le monde, faut-il le rappeler, sait que près de 50% des _ufs fécondés sont perdus et que de grands progrès restent à faire dans ce domaine. Faut-il rappeler que ce respect de la finalité qui est celle des hommes et des femmes ayant un projet parental s'impose et que l'un des devoirs de la recherche, dans le domaine de la reproduction, est d'aider à ce qu'il y ait moins de pertes de produits de fécondation ? Ce domaine est pourtant extrêmement négligé jusqu'à présent. Tout au contraire, et comme Henri Atlan l'a bien expliqué, les ovocytes sont, après tout, comme les spermatozoïdes, des structures humaines qui sont loin, dans la pratique, d'avoir un destin pour prétendre à la définition d'une personne humaine. Par conséquent, dès lors que l'on interdit la commercialisation des ovocytes et le transfert utérin, l'encadrement que M. le rapporteur demandait de définir peut être résumé aux deux points que je viens d'indiquer. Il est également important d'insister, tout particulièrement, sur le fait que le don d'ovocytes doit être également conçu, par celles qui le permettraient, comme une contribution au développement d'une société où l'on se tend la main.

Pour conclure, je crois qu'il est essentiel de montrer que nous sommes conscients des difficultés actuelles sur le plan éthique. Il n'y a pas d'illusions à se faire. Le « clonage thérapeutique », dans sa réalité pratique, n'est pas pour demain. Les difficultés sont très grandes. Ce sont des tours de force que sous-entendent les publications qu'on lit. Nous n'en sommes qu'au début, et il sera très difficile d'avancer. D'une certaine manière, définir l'objet d'une loi par le terme de « clonage thérapeutique » est trop précoce. Mais en même temps, il est également trop tard. On a bien souligné qu'en France, tout particulièrement, les difficultés créées par la loi en cours de révision ont entraîné des retards dans la recherche, par conséquent notre absence dans le développement mondial, et pas seulement d'un point de vue économique et de technique médical, mais bien dans le but d'utiliser la science pour maîtriser les difficultés de la nature et les dommages causés par la maladie. C'est pourquoi j'ai beaucoup apprécié la référence à la compassion. Cette valeur est un devoir pour les scientifiques. Les observations, voire les recherches, sont jusqu'à un certain point neutres du point de vue de la finalité, mais dans certains cas, on a le droit de montrer quelles sont les limites, les bornes, et en même temps les espérances, le chemin et l'horizon.

M. Pierre Savatier. - L'équipe de recherche Cellules souches embryonnaires et totipotence  que je dirige à l'Ecole normale supérieure de Lyon s'intéresse à deux axes de recherche. Le premier concerne l'étude des mécanismes moléculaires et cellulaires qui président à l'état des cellules souches. Il s'agit de comprendre pourquoi une cellule souche embryonnaire est une cellule souche et pourquoi elle a des propriétés aussi particulières. Le deuxième axe de recherche concerne le développement de méthodes permettant de programmer la différenciation des cellules souches embryonnaires en cellules pancréatiques béta, productrices d'insuline.

Tous nos travaux sont réalisés chez la souris. Il s'agit d'un modèle assez classique, utilisé depuis vingt ans pour l'étude des cellules souches. J'ai commencé à travailler sur la cellule souche à la fin des années quatre-vingt, à une époque où la cellule souche embryonnaire était peu connue et n'était étudiée que dans quelques laboratoires un peu obscurs. Mais depuis, les recherches se sont beaucoup développées.

Nous venons de démarrer un programme de recherche assez ambitieux dont l'objectif est de mettre au point des technologies de cellules souches embryonnaires et de thérapies cellulaires en utilisant le modèle du singe macaque.

Pourquoi développer ce type de recherches ? D'abord pour une raison très simple : nous ne disposons toujours pas de cellules souches embryonnaires chez l'homme. Notre programme constitue donc un moyen pour travailler sur une espèce proche de l'homme. La réponse est un peu courte, je vous l'accorde, et il existe des motivations scientifiques beaucoup plus sérieuses. Premièrement, les connaissances dont nous disposons grâce à la littérature sur la physiologie des cellules souches embryonnaires de l'homme montrent qu'il s'agit de cellules très différentes des cellules de souris. C'est pourquoi il est absolument nécessaire de développer une recherche sur ces cellules pour comprendre les mécanismes qui président à leur prolifération et à leur différentiation. Le peu de chose que l'on sait démontre que ces mécanismes sont très différents de ceux qui sont en jeu chez la souris. Il en est de même également pour les procédés de différenciation que l'on peut développer au laboratoire pour induire leur différenciation en cellules spécialisées. Je vous ai parlé de cellules pancréatiques béta ; le même raisonnement vaut pour les cellules neuronales. Les très nombreux travaux qui ont été réalisés chez la souris au cours de la dernière décennie montrent que l'on a beaucoup de mal à obtenir les mêmes résultats avec les cellules ES humaines en transposant des protocoles expérimentaux d'une espèce à l'autre. Il est donc, là encore, nécessaire de travailler et de développer une recherche très fondamentale sur un modèle de primates.

La deuxième motivation tient à l'intérêt du modèle primate, car à terme, il est nécessaire d'essayer de valider le potentiel thérapeutique des cellules souches embryonnaires sur un modèle significatif d'un point de vue biologique. Je ne suis pas médecin de formation, mais toute l'histoire de la médecine démontre que le modèle souris a ses limites et qu'il est absolument nécessaire de travailler sur d'autres modèles. Dans le cas particulier des cellules souches embryonnaires, utiliser le singe présente plusieurs intérêts. D'abord, la taille du modèle. Comme on a affaire à un animal de taille supérieure à la souris, il devient possible d'aborder la question des greffes sur un modèle biologique pertinent, ainsi que deux pathologies qui intéressent notre équipe : le diabète de type 1 et la maladie de Parkinson. Le modèle souris étant extrêmement peu intéressant, travailler sur le singe permettrait de disposer d'un modèle très performant pour l'étude de ces pathologies. Pour exemple, il existe une espèce de macaque chez lequel on connaît une forme de diabète de type 1, génétique, qui mime parfaitement le diabète humain. Donc, là aussi un intérêt extrêmement important.

Autre intérêt à utiliser le modèle singe : la durée de vie de l'animal. Dès lors qu'il est question de thérapies régénératrices avec les cellules souches embryonnaires, il s'agit bien sûr de thérapies destinées à durer, non pas quelques semaines, comme chez la souris, mais quelques mois ou quelques années, voire quelques décennies. Il est important de pouvoir valider les technologies sur des espèces qui ont une durée de vie très longue, chose évidemment qui n'est pas possible avec la souris dont l'espérance de vie dépasse rarement deux ans. Telles sont les motivations scientifiques. En France, nous avons la chance de vivre dans un pays où l'acceptation sociale du travail sur l'animal et sur le primate non humain est relativement grande par rapport à un pays comme l'Angleterre. C'est pourquoi il faut saisir l'opportunité de travailler sur le singe et développer une recherche de qualité sur ce modèle.

Lorsque je développe les arguments que je viens de mettre en avant, on me demande toujours s'il est réellement utile de travailler sur les cellules ES humaines. Pourquoi ne pas développer cette technologie uniquement chez le singe, puis la transférer chez l'homme une fois que l'on est assuré qu'elle marche bien ? Plusieurs éléments de réponse me permettent d'affirmer qu'il faut également travailler sur la cellule ES humaine. D'abord, les embryons humains sont plus faciles à obtenir que les embryons de singe. Notre travail doit prendre en compte un facteur limitant considérable : fabriquer et obtenir des embryons de singe est extrêmement difficile et n'est donc pas à la portée de n'importe quel laboratoire. Les chercheurs considèrent qu'il s'agit d'un frein aux recherches. C'est la raison pour laquelle nous voulons développer ces lignées de cellules souches embryonnaires chez le singe afin de mettre à la disposition de la communauté scientifique française et mondiale des lignées de cellules souches embryonnaires de primates qui permettraient de faire avancer les recherches.

Ensuite, et il faut vraiment y insister, les technologies sont extrêmement lourdes et coûteuses. C'est pourquoi il me paraît nécessaire de développer les technologies chez les deux espèces, en parallèle, en gardant à l'esprit que le modèle singe est un complément indispensable.

Enfin, il ne faut pas oublier l'impact scientifique. L'histoire ne retiendra que l'application qui vaut pour l'homme. Quel intérêt pour un laboratoire de développer cette technologie chez le singe s'il n'a pas la possibilité de la transférer à l'espèce humaine ? Par ailleurs, le laboratoire d'origine qui aura mis au point les protocoles chez le singe peut se voir déposséder de son travail par une société privée qui récoltera toutes les bénéfices des recherches.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Le rapporteur que je suis ne peut proposer l'argument qui consiste à justifier la recherche sur l'embryon par le fait que les embryons sont plus faciles à obtenir chez l'homme que chez le singe... Cela dit, votre intervention nous sera très utile. On parle de recherche thérapeutique, y compris dans le projet de loi du Gouvernement. Mais utiliser cette expression ne constitue-t-il pas une facilité pour atténuer les aspérités du débat éthique ? Aujourd'hui, n'a-t-on pas affaire à des recherches fondamentales ? Pourquoi ne pas présenter le débat dans ces termes ?

D'autre part, est-il vraiment nécessaire, avant de passer aux cellules souches embryonnaires humaines, de valider sur les primates les expériences menées sur les souris ? Nous sommes tous attachés au principe de précaution. En tant que chercheurs, quels sont, en l'état actuel des connaissances scientifiques et des recherches, les risques d'un développement éventuel du « clonage thérapeutique » ?

M. Pierre Savatier. - Nos recherches sont-elles finalisées ou fondamentales ? A mon sens, elles sont très fondamentales. Nous sommes encore tout à fait incapables de produire un type de cellules différenciées fonctionnelles pures à partir de cellules souches embryonnaires. Certes, nous sommes capables de produire des mélanges de cellules, mais leur fonctionnalité est encore loin d'être démontrée. Un travail de recherche strictement fondamentale doit être poursuivi. Il donnera d'ailleurs son sens à l'utilisation du singe, car selon moi, il n'existe aucune raison scientifique de développer tout de suite ces technologies sur la cellule ES humaine. Comme je l'ai indiqué, il est probablement nécessaire de travailler en parallèle et de transférer les technologies progressivement. Beaucoup de travail peut être réalisé chez le singe. S'il n'a pu être effectué jusqu'à présent, c'est parce que les lignées de cellules ES de singe ne sont pas disponibles. Il en existe très peu dans le monde. Cette situation constitue un obstacle matériel au développement de ces recherches. A ma connaissance, un seul laboratoire au monde développe une recherche intensive sur les cellules ES de singe : le laboratoire de Jérémy Thomson qui a travaillé, voilà trois ans, sur les cellules ES humaines.

M. Pierre Hellier. - Le professeur François Gros a émis quelques réserves sur la possibilité d'utiliser des primates. Pourquoi ?

M. François Gros. - De fait, l'Académie des sciences a été saisie de cette question. Ce n'est pas un hasard. Depuis bientôt dix ans, aux Etats-Unis et en Europe, on assiste à un mouvement important de l'opinion contre l'utilisation des primates comme animaux de laboratoire. C'est pourquoi des méthodes alternatives telles l'utilisation des cultures de cellules sont encouragées. Vous savez à quel point le problème a pris de l'ampleur en dermatologie et cosmétologie.

On évite donc, dans la mesure du possible, d'utiliser des grands primates dans les travaux expérimentaux d'approche, mais dans le cas de la recherche de vaccins contre le sida, vous savez très bien que c'est parfois extrêmement difficile. Par ailleurs, il est devenu extrêmement difficile de se procurer des singes, parce qu'on n'a pratiquement plus le droit de les importer des pays dans lesquels ils se trouvent à l'état sauvage. Les élevages de primate qu'il faut donc développer se heurtent également à des refus locaux très importants.

Je n'entends par prendre position, surtout lorsque l'on sait que l'on est obligé à un certain stade de passer par cette étape, mais je veux simplement indiquer qu'il faudra être précis, car les règles européennes qui ne vont pas tarder à être publiées limiteront selon toute vraisemblance l'utilisation des singes, à tel enseigne qu'on risque de protéger plus l'animal que l'homme.

M. Alain Pompidou. - Comme l'a bien dit Henri Atlan, on se situe dans un système artéfactuel dans lequel les cellules souches embryonnaires n'ont aucune chance d'être implantées et sont obtenues par un système qui ne fait pas appel à la procréation sexuée.

M. Pierre Savatier vient d'indiquer que les cellules humaines étaient plus faciles à obtenir que les cellules de primates. Dans la plupart des pays de l'Union européenne, l'hybridation de cellules humaines et animales est interdite. S'il s'avérait que la mise au point d'hybrides de cellules humaines et animales était potentiellement prometteuse, quels seraient vos arguments, Monsieur Savatier, pour convaincre l'opinion publique et le législateur d'engager cette transgression.

M. Alain Calmat. - M. François Gros a indiqué que l'on protégeait plus les primates que l'homme, mais un prélèvement d'ovule apparaît tout de même moins contraignant que de garder un singe dans une cage pendant plusieurs mois.

M. Pierre Savatier. - J'ai beaucoup de difficulté à répondre à la question de M. Alain Pompidou. Je travaille sur les cellules souches embryonnaires, non sur le clonage. Le clonage n'est pas une activité scientifique de mon équipe et dans notre stratégie de recherches futures, nous n'avons absolument pas pris en compte la possibilité ou la non-possibilité du « clonage thérapeutique », non seulement pour des raisons scientifiques - dans le consortium que nous avons mis en place, aucun chercheur n'est compétent dans ce domaine - mais aussi pour des raisons personnelles : autant j'ai une opinion fondée pour les cellules souches embryonnaires, autant je n'ai pas d'opinion fondée sur le problème du « clonage thérapeutique ». Je préfère donc ne pas répondre à votre question.

M. Henri Atlan. - La question d'Alain Pompidou est volontairement provocatrice. Il a utilisé un terme très souvent repris par les médias et qu'il me paraît important de relever pour le récuser immédiatement. Je veux parler de la notion de transgression. Les quelques tentatives pour transférer un noyau de cellules humaines dans un ovule énucléé d'animal ont échoué, même s'il y a eu quand même quelques divisions. Mais dans l'éventualité où la technique « marcherait », l'argument de l'embryon ne tient plus puisque personne ne peut soutenir que l'on est en présence d'un embryon.

Certains mettent également en avant l'argument de la transgression de la barrière d'espèces. Là encore, on retombe dans une espèce de logomachie extraordinaire. On nous parle d'humanisation de l'animal ou d'animalisation de l'humain sous prétexte qu'on a bel et bien mélangé du matériel biologique d'origine humaine et animale. Mais encore une fois, il s'agit de structures biologiques qui ne sont pas plus hommes ou animales que ne le sont des protéines qui sont, elles aussi, des structures biologiques en provenance d'un homme ou d'un animal. A ma connaissance, on ne considère pas animaliser un homme lorsqu'on utilise des prothèses d'origine animale ou lorsqu'on utilise des médicaments d'origine animale pour traiter certaines maladies humaines. Autrement dit, le fantasme de la transgression de la barrière des espèces consiste à projeter des idées issues des traditions anciennes au niveau chimique ou cellulaire. Il est donc important de cesser d'utiliser de type d'argument au plan moléculaire et cellulaire.

M. Alain Pompidou. - Pour résumer, vous êtes pour l'hybridation cellulaire et contre la chimérisation.

M. Henri Atlan. - La chimérisation est une tout autre affaire, qui n'a rien à voir avec l'hybridation cellulaire. La chimérisation consiste à reproduire entre des primates et des hommes des organismes adultes du même type que les chimères chèvre-mouton obtenues par fusion d'embryons à un stade très précoce. La chimérisation pose des problèmes théoriques tout à fait passionnant, mais encore une fois, il s'agit d'obtenir quelque chose qui serait ni homme, ni singe, tandis que l'hybridation cellulaire consiste seulement à manipuler des cellules.

M. François Gros. - Je voudrais revenir un instant sur le propos de M. Pierre Savatier et indiquer que l'utilisation des primates se justifie, à mon avis, au moins pour deux raisons. La première a déjà été évoquée. Il s'agit de la question de la plasticité des cellules souches adultes dont la phénoménologie est très importante à établir en vue d'applications potentielles en thérapeutique. Elle n'a été établie à ce jour pratiquement que chez la souris. On a cependant déjà essayé de lutter contre l'infarctus du myocarde chez l'homme en implantant des cellules musculaires squelettiques. Pouvoir reproduire chez le gros animal ce qui a été observé chez la souris nous ferait donc gagner énormément de temps et nous mettrait beaucoup plus à l'aise sur la question de savoir ce qu'on peut faire en thérapie cellulaire avec les cellules souches adultes.

Mais l'utilisation des primates se justifie pour une autre raison. Comme vous l'avez indiqué, les modèles de maladies importantes qu'on aimerait traiter par le biais des cellules souches embryonnaires et des tissus qui en dérivent sont beaucoup plus clairs et beaucoup plus proches que ceux qu'on observe chez l'homme, notamment, dans le cas de la maladie de Parkinson.

M. Jacques Brunschwig. - La décision d'engager, dans un premier temps, des travaux sur la souris puis sur le macaque n'est-elle pas liée à la proximité plus ou moins grande du génome de ces différentes espèces avec le génome humain ?

M. Pierre Savatier. - Non. Il ne faut pas oublier que jusqu'en 1998, la souris était la seule espèce chez qui on disposait de cellules souches embryonnaires. Nous n'avions pas d'autre choix que de travailler sur la souris. Puis sont arrivées les cellules ES, d'abord de primates, puis humaines. Aujourd'hui, il n'y a que deux espèces chez qui l'on dispose de cellules souches embryonnaires au sens strict du terme : les primates en général - macaque et homme - et la souris. Chez toutes les autres espèces, on dispose au mieux de cellules qui sont apparentées, mais qui n'ont pas toutes les caractéristiques des cellules souches embryonnaires, au pire des lignées que l'on a baptisé cellules souches embryonnaires, mais qui, en réalité, ne le sont pas.

Mme Christine Boutin. - Monsieur Pierre Savatier, vous nous avez dit que vous faisiez des recherches sur les cellules embryonnaires.

M. Pierre Savatier. - Oui, sur des cellules embryonnaires de souris et bientôt de macaque.

Mme Christine Boutin. - J'ai la réponse !

M. Pierre Hellier. - Animaliser l'homme, le « métaliser », le « minéraliser », est une réalité qui n'est pas choquante. Les prothèses que l'on utilise sont fabriquées à base de carbone ou de valvule de porc. Par contre, modifier son capital génétique en introduisant un gène d'origine animal me paraît un risque inquiétant.

M. Pierre Savatier. - Le développement des technologies qu'on regroupe sous le terme de médecine régénératrice ou de thérapie cellulaire passera forcément, à un moment ou un autre, par une modification génétique des cellules souches embryonnaires. Je ne pense pas qu'on puisse arriver à l'obtention de cellules spécialisées pures sans modification du génome, que ce soit pour orienter ces cellules dans la voie choisie, ou pour éliminer celles qui n'ont pas obéi à l'ordre qu'on leur a donné au départ. Les deux problèmes sont donc associés.

M. Henri Atlan. - Les thérapies géniques qui impliquent de remplacer un gène par un autre qui peut être d'origine animale constituent un autre débat. Là encore, il faut faire une distinction très importante entre les thérapies géniques sur cellules somatiques qui ne sont pas susceptibles d'être transmises dans la descendance, donc qui ne vont pas modifier les gènes de futurs enfants, et les thérapies géniques germinales qui sont bel et bien susceptibles de modifier les gènes de descendants. Guérir une maladie en introduisant un fragment d'ADN d'origine animale dans des cellules somatiques humaines ne me pose pas problème.

M. Pierre Hellier. - A condition qu'elles ne soient pas transmissibles.

M. Henri Atlan. - Bien sûr !

M. Alain Claeys, rapporteur. - J'ai deux questions à poser à nos deux prochains intervenants, Alain Bacquet et Didier Sicard. Qu'est-ce qui a fait pencher la décision de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et du Comité consultatif national d'éthique ? Quel a été l'élément décisif qui vous a permis de prendre position ?

Ma deuxième question concerne un sujet central dans l'hypothèse où nous autoriserions le « clonage thérapeutique ». Je veux parler du don d'ovocytes. Nous avons déjà évoqué le risque de pression excessive sur les femmes en faveur du don d'ovocytes, le risque d'importation d'ovocytes. Quels sont les dispositifs à prendre pour encadrer le don d'ovocytes à des fins de recherche ? Vous paraît-il souhaitable de mettre en place des filières de don d'ovocytes, l'une pour la recherche, l'autre pour l'assistance médicale à la procréation qui reste structurellement déficitaire ?

M. Alain Bacquet. - Je vous remercie de m'avoir invité à cette très intéressante table ronde pour présenter le point de vue de la Commission nationale consultative des droits de l'homme qui a rendu fin janvier un avis sur l'ensemble de l'avant-projet de loi bioéthique que lui avait soumis, un mois plus tôt, le Gouvernement. Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour délibérer, mais la Commission avait déjà eu l'occasion au cours de l'année 2000, d'aborder un certain nombre de questions relatives à la bioéthique.

L'avis de la Commission, assez complexe et assez long, a été rendu public et peut être consulté sur son site Internet.

Nous avons délibéré en quelques semaines, alors que je n'avais pris mes fonctions que depuis un mois. Nous n'avons pas procédé à des auditions, mais plusieurs des membres de notre Commission sont des scientifiques et le débat public, les prises de position d'hommes éclairés reproduites dans les journaux permettent de délibérer avec une connaissance suffisante des données de la question.

La Commission a pour habitude de se prononcer par un consensus. Il n'est pas toujours aisé à réaliser, compte tenu du pluralisme des tendances, des idées et des courants d'opinion. Le consensus sur la question du « clonage thérapeutique » n'a pas été possible compte tenu des oppositions. L'avis a donc été adopté avec la majorité des voix.

Plusieurs intervenants, avec fort juste raison, ont mis en avant la question du langage, du vocabulaire, des concepts et des réalités en cause. Si le sujet n'est pas facile d'un point de vue scientifique, il ne l'est pas non plus d'un point de vue juridique. La Commission a d'ailleurs formulé une critique sur ce point. Certes, elle ne touche pas le fond du débat d'aujourd'hui, mais je profite de ma présence au sein de l'Assemblée nationale pour l'indiquer. Cette critique avait déjà été formulée par le Conseil d'Etat au moment de la mise au point des lois bioéthiques de 1994. Elle avait trait à la dispersion des données fondamentales de la question dans nos codes, entre le code civil et le code de la santé publique, et au sein même du code de la santé publique, entre plusieurs de ses parties. Cette dispersion ne rend vraiment pas facile la reconstitution en termes juridiques de ce qu'est la loi, de ce qu'elle permet ou de ce qu'elle interdit. D'une certaine manière, cette présentation ne correspond pas du tout à celle du débat public qui, pour vulgarisé qu'il soit, constitue le vrai débat.

Nous avons souligné la même difficulté dans le texte qui nous a été présenté. Le code civil n'est plus en cause et le code de la santé n'est plus tout à fait le même puisqu'il a été remanié entre temps, mais les données de fond du code de la santé publique sont encore éparpillées. Il serait souhaitable que le texte législatif puisse présenter clairement les données juridiques des solutions qui seront apportées.

Je ne veux pas dire que le projet du Gouvernement a du mal à expliquer clairement les choses, mais l'expression de « clonage thérapeutique » ne pourra probablement pas être retenue par le législateur. Par ailleurs, l'introduction de la question est extrêmement difficile à déceler. Elle était en fait réglée de manière implicite au détour d'une phrase qui évoquait les conditions dans lesquelles la constitution d'une lignée de cellules souches aurait pu être constituée.

Il faut espérer que les questions seront présentées d'une manière plus claire, tout en respectant les inévitables divisions du code de la santé publique.

J'en viens à l'avis de la Commission dont je lirai les derniers paragraphes. Ils indiquent que : « La CNCDH a été en revanche très partagée sur la réponse à faire au sujet de la constitution de lignées de cellules souches embryonnaires. L'importance du pas à franchir en ce qui concerne les principes est reconnue par tous, de même, en sens contraire, qu'il n'est pas fait d'objections à la constitution de lignées à partir de cellules issues du sang f_tal, du cordon ou de cellules adultes. Pour une partie des membres de la Commission [ils seront finalement minoritaires], les garanties dont il a été question plus haut [notamment l'agence, la surveillance extrême du protocole] valent également pour la voie de recherches concernant la constitution de lignées de cellules souches embryonnaires. Ils ont noté que le développement envisagé ne pourrait en aucun cas se poursuivre au-delà du stade de la différenciation tissulaire. Il leur est apparu que, dès à présent, les perspectives attendues de ces recherches, et notamment les réponses apportées aux problèmes d'incompatibilité, conduisaient à ne pas les différer au profit d'autres voies. Il leur a même semblé qu'une telle attitude aboutirait, si l'intérêt thérapeutique était confirmé par les recherches poursuivies à l'étranger, à en utiliser les résultats en France sans s'être impliqué dans les responsabilités éthiques. C'est en effet au cas par cas et au vu de l'examen de protocoles précis que se décèleront les véritables enjeux scientifiques et éthiques. Or le mode d'examen prévu par l'avant-projet permet de n'autoriser les recherches qu'au moment où leur sérieux sera établi.

Pour les autres membres de la CNCDH, [qui ont formé une majorité lors de son assemblée plénière], la Commission devait mûrement peser le risque que l'utilisation des embryons soit banalisée. La décision qu'ils avaient à prendre est de celles qui ne peuvent intervenir dans la précipitation et au nom seulement d'un intérêt scientifique, si légitime soit-il. Ils se préoccupent aussi du risque que des pressions s'exercent sur les femmes pour qu'elles apportent leurs ovocytes. Ils se sont donc rangés à ce que le Groupe européen d'éthique décrit comme une approche de précaution. Il ne leur apparaît pas qu'il soit absolument nécessaire, dès à présent, d'ouvrir ces perspectives, alors que les possibilités reconnues à partir des embryons surnuméraires et des cellules adultes permettent d'avancer dans la voie des connaissances. Il appartiendra au Parlement, lorsque le dilemme scientifique se sera éclairci, de se prononcer sur une ouverture qui est aujourd'hui, [selon la CNCDH], prématurée. »

La Commission a voulu mettre en garde contre trois risques qui ont été évoqués au cours du débat de ce matin, mais qui ont été examinés par la Commission avec une pesée différente.

Le premier risque concerne la transgression de l'interdit législatif, voire, selon certains, d'un interdit d'une autre nature. Selon le rapport du Comité consultatif national d'éthique, il s'agit du principe sur lequel repose notre législation et selon lequel la création d'embryons humains à toute autre fin que leur propre développement est interdite, fût-ce pour la recherche. C'est en effet toute la question. Pourquoi ? Parce qu'il est question de la personne humaine. Certes, de nombreux interdits ont été levés au fur et à mesure de l'avancée de la science. Mais avec la révision des lois bioéthiques, c'est la dignité humaine qui est en question. Au-delà de cette notion empruntée au vocabulaire des droits de l'homme et d'autres expressions ayant une portée juridique, la question est celle de la maîtrise des mutations dont l'homme est capable lui-même et sur lui-même. Cette question est indépendante des considérations religieuses, et d'ailleurs, celles-ci ne sont pas intervenues dans le débat, même si elles ont été exprimées. Le vertige devant cette question est d'autant plus grand que les données et les clés du problème sont entre les mains de très peu de personnes. Cette situation est incontestablement la source d'une très grande inquiétude.

L'avis de la Commission fait état de la discussion sur l'existence ou non d'un embryon humain dans les premiers éléments de cette démarche dite de clonage qui consiste à transférer un noyau somatique dans un ovocyte auparavant énucléé. J'ai bien entendu qu'on peut discuter sur le fait qu'il y a ou non, à ce stade, embryon humain avant toute implantation et que l'implantation n'aura pas lieu dans la démarche en question. Tout le monde en est conscient, mais voit bien que la démarche est commune aux deux techniques, celle qu'on ne veut pas, le clonage reproductif et celle qui est en question, le « clonage thérapeutique ». C'est un premier pas, par conséquent, une première raison d'hésitation d'ordre philosophique et symbolique. Elle reconnaît que l'on touche à quelque chose d'essentiel qui jusqu'à maintenant, n'a jamais été touché même si beaucoup d'interdits ont pu être levés à la faveur de l'avancée scientifique et même des progrès de la raison.

Le deuxième risque constitue un problème capital. Je veux parler de la solidité des barrières. C'est évidemment un élément absolument fondamental. La première barrière qu'il ne faut pas lever, c'est celle de l'interdiction de l'implantation. A partir du moment où le premier pas d'une démarche qui peut conduire au clonage reproductif est effectué, ne favorise-t-on pas le pas supplémentaire pour ceux qui le voudraient ? La loi pourra-t-elle être transgressée ou non ? D'autres barrières sont évoquées dans la loi et seront aux mains de l'agence à mettre en place. Toutes sortes de précaution doivent être prises pour les protocoles de recherche. En bref, la solidité des barrières est-elle suffisante ?

Troisième risque : la question des besoins d'ovocytes et du don d'ovocytes. Elle a été évoquée dans l'avis et dans la discussion de ce matin, notamment par Mme Christine Boutin. Le rapporteur s'est demandé quel élément avait fait pencher la balance dans la position de la Commission. En réalité, c'est l'addition de plusieurs éléments. Quel dispositif spécifique faut-il retenir ? Je suis très embarrassé pour répondre à cette question. On connaissait le dispositif très élaboré mis en place dans les lois actuelles pour encadrer très soigneusement tous les dons d'organes ou de tissus. Que faudrait-il en plus ? J'avoue que je n'ai pas de réponses. J'indiquerai seulement que nous sommes toujours attentifs au fait que les précautions que l'on peut prendre en France pour empêcher certaines pratiques n'auront malheureusement aucun impact sur la situation dans d'autres pays.

J'en viens à la question de la nécessité développée dans l'avis. Le débat s'inscrit dans le cadre d'une problématique de la précaution où il s'agit de faire une pesée, où il n'y a pas de refus absolu d'une solution, mais où il s'agit de mettre en balance les risques et les besoins, les nécessités de la solution en question.

Bien entendu, la Commission n'a été insensible ni aux questions de santé publique, ni à l'argument de la compassion. Tout est dans l'exécution et le détail, car dans notre pays, comme dans les autres pays développés, jamais la santé publique ou le devoir de compassion ne sauraient justifier de franchir toutes les limites. On ne peut pas tout justifier par ces objectifs en eux-mêmes excellents.

Il s'agit donc de comparer et de peser les mérites respectifs, les complémentarités nécessaires entre les recherches sur les cellules embryonnaires et les cellules souches non embryonnaires. C'est là un élément capital pour la décision finale à prendre à la suite d'une interrogation problématique traditionnelle en termes de principe de précaution. La Commission n'a pas eu à approfondir cette question, mais elle l'a bien mise en lumière.

Pour terminer, la réflexion de la Commission s'inscrit dans une problématique de précaution. Nous avons pesé le pour et le contre, et lorsque la Commission s'est prononcée au mois de janvier, les risques ont pesé plus lourd que la nécessité. Finalement, notre avis témoigne d'une réflexion très humaine et extraordinairement actuelle sur les questions du sens des limites que l'homme ne cesse de franchir. A certain moment, il tremble peut-être lui-même devant le fait que la limite en question est plus importante que d'autres.

M. Didier Sicard. - L'avis du Comité consultatif national d'éthique a été majoritairement favorable au clonage. Comme Jean-Pierre Changeux, Henri Atlan et Etienne-Emile Baulieu ont développé les arguments essentiels, je ne reprendrai pas de manière précise l'avis du Comité.

J'indiquerai brièvement quelques réflexions. D'abord, pardonnez-moi de l'exprimer à titre personnel, je n'ai pas réussi à convaincre le Comité de ma positon personnelle. Je suis convaincu que le débat sémantique n'est pas un débat futile et que les mots sont porteurs d'une violence symbolique. Que l'on parle de personne humaine potentielle ou d'artefact, la violence des deux mots s'oppose. Et j'ai été frappé de constater que les mots ont fait l'objet au sein du Comité d'un affrontement tout à fait violent. Donc, on peut très bien comprendre que la société reprenne à son compte cette violence symbolique en se servant des mots.

Ce qui apparaît consensuel dans le Comité et dans la société, c'est que la recherche sur l'embryon a sa légitimité. Il n'y a pas de raisons d'exclure l'embryon de la recherche dans la mesure où l'assistance médicale à la procréation est fondée sur la recherche sur l'embryon, et que, en dehors de l'Italie, de l'Allemagne et d'autres pays minoritaires, il est évident que s'interdire de façon presque sacrée de toucher à l'embryon pour faire de la recherche apparaît actuellement un peu décalé par rapport à l'ensemble de notre société.

Ce n'est pas en utilisant de façon dévoyée les termes de dignité humaine ou de sacré que l'on progressera. En revanche, pour moi, la question centrale est la mise en route d'un processus embryonnaire, d'une structure embryonnaire pour soi. Autrement dit, le « clonage thérapeutique », c'est le clonage pour soi puisqu'il va falloir donner ses cellules, utiliser un ovocyte qu'il faudra prendre chez une femme.

Cette situation pose des problèmes en amont et en aval. En amont, d'abord. Sans revenir sur le problème du don d'ovocyte, il est évident que des gynécologues, à l'occasion d'une célioscopie, doivent se dire que ces ovocytes bien inutiles pourraient servir à autre chose qu'à une disparition lors d'une règle traditionnelle et mensuelle. Le capital ovocytaire d'une femme est limité dans une vie. Quelles que soient les précautions que l'on prendra, la congélation des ovocytes aboutira à des transferts et à des passages d'ovocytes du monde entier. L'Allemagne, d'ailleurs, est déjà confrontée au problème majeur de l'interdiction de la recherche sur l'embryon dans son pays et à l'importation de cellules embryonnaires. Ne peut-on pas, à cette occasion, parler de « blanchiment » de cellules embryonnaires ? On ne veut pas savoir d'où ils viennent, mais on les utilise en censurant toute question sur leur origine.

En aval, ensuite, trois arguments ont emporté la majorité du Comité : la compassion, défendue par Jean-Pierre Changeux ; l'intérêt thérapeutique majeur pour des maladies neurodégénératives, l'infarctus, les maladies musculaires ; le caractère inéluctable d'une recherche scientifique qui ne peut que progresser, donc ne pas se retrouver dans une situation qui placerait désavantageusement la recherche française, déjà bridée dans ce domaine par le législateur.

Deux questions m'embarrassent plus particulièrement. Autant la recherche scientifique peut travailler pour plusieurs années sur des cellules souches embryonnaires de souris, de primate ou d'être humain, autant lever cet interdit du « clonage thérapeutique » peut rendre la situation irréversible. Ensuite, la régulation mondiale dans le domaine du clonage est certes souhaitable, mais on ne pourra pas empêcher que les ovocytes fassent partie d'un marché. A partir du moment où ils feront l'objet d'un prélèvement, je ne vois pas pourquoi les femmes s'y opposeraient.

Pour conclure, l'inquiétude réside dans le franchissement d'une limite qui ne pourra plus jamais être refermée, alors que l'argument thérapeutique me paraît trop précoce. Le problème est aussi celui de l'opportunisme des mots. Toute science se fonde sur des ruptures et des violences. Paradoxalement, plus la science est confrontée à des obstacles, plus elle progresse.

M. Bernard Charles, président. - Nous arrivons au terme de notre réunion. Je tiens à remercier tous nos intervenants d'avoir consacré une longue matinée à ce débat, ainsi que mes collègues, les collaborateurs des cabinets et la presse.


Audition de Mme Elisabeth GUIGOU,
ministre de l'Emploi et de la Solidarité,
et M. Roger Gérard SCHWARTZENBERG,
ministre de la Recherche

(Extrait du procès-verbal de la séance du 20 décembre 2001)

Présidence de M. Bernard CHARLES, Président

M. Bernard Charles, président. - Nous recevons Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité et M. Roger Gérard Schwartzenberg, ministre de la Recherche, pour présenter à notre Commission le projet de loi relatif à la bioéthique. Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, ne pouvant être parmi nous, aujourd'hui sera auditionnée par notre Commission le 8 janvier 2002. Nous n'entrerons pas aujourd'hui dans le détail des amendements qui feront l'objet des prochaines réunions de la Commission.

Je remercie le Rapporteur Alain Claeys pour le travail réalisé, ainsi que l'ensemble de nos collègues qui y ont participé.

Mme Elisabeth Guigou. - Il est une bonne chose que nous puissions avoir ce débat, en amont de l'examen du projet de loi, tant il est vrai que le sujet nécessite d'être abordé avec une très grande humilité. Je ne crois pas que ce soit des sujets sur lesquels nous puissions avoir des positions catégoriques. J'attends donc beaucoup du débat pour progresser dans la réflexion.

Vous avez beaucoup auditionné, beaucoup travaillé. D'éminents spécialistes sont présents aujourd'hui au sein de votre Commission.

La question posée est : comment réviser la loi bioéthique de 1994 qui prévoyait elle-même sa révision ?

La loi de 1994 s'est appuyée sur une réflexion éthique dans le domaine des sciences de la vie ; elle a eu pour objectif la compréhension, sans préjugé, des enjeux et des questions posées à l'époque, de leurs conséquences, avant de décider de l'opportunité d'agir ou non. C'est une grande loi qui reflète la philosophie de Kant pour qui l'homme doit toujours être traité comme une fin et non comme un moyen. C'est bien ce principe philosophique que nous devons avoir constamment présent à l'esprit, lorsque nous réfléchissons aux questions de bioéthique.

La singularité de chaque être en tant que personne humaine doit être affirmée, respectée et protégée et son consentement et sa liberté doivent être préservés.

Cette réflexion éthique permet à la loi de définir le champ des pratiques pour les progrès scientifiques qui ont ouvert la voie de traitements nouveaux, sans remettre en cause les valeurs sur lesquelles notre société est fondée. Le principe est que la technique précède l'éthique, l'éthique précède le droit. Nous devons donc étudier comment articuler ces différents éléments.

L'augmentation rapide des connaissances scientifiques se traduit par l'apparition de nouvelles techniques considérées comme des progrès. Elles susciteront à la fois des espoirs et des craintes. C'est bien dans cet équilibre que nous devons essayer de respecter ; il était nécessaire que le législateur définisse le nouveau cadre pour répondre aux aspirations de la société. Quelles sont-elles ?

Il me semble d'abord que transparaît un refus de plus en plus marqué de la fatalité. On veut rechercher la cause de la maladie, des erreurs médicales. On accepte moins l'incertitude des techniques, les accidents iatrogènes. En réalité, toute la société est imprégnée de la recherche du risque zéro et du refus de la fatalité et des événements non maîtrisés. C'est dans ce contexte que se situe notre réflexion. Voilà pourquoi, pour répondre à la fois aux craintes et aux espoirs, nous sommes conduits à réviser la loi traitant des questions liées aux innovations médicales et à nous pencher sur l'utilisation des produits provenant du corps humain, ce que les médecins appellent "la manipulation du vivant".

Le délai qui s'est écoulé depuis 1994 a permis de faire la part des dispositions qui restent appropriées de celles qui nécessitent des modifications ou des adaptations. Cette actualisation est nécessaire, car elle est liée à l'évolution de la société, mais elle implique que nous maîtrisions l'ouverture de la recherche, justement pour garantir le respect de la personne. Autre principe très important : nous devons préserver la possibilité pour le législateur de revenir sur des décisions qui doivent être adaptables et même, si nécessaire, réversibles, en raison des incertitudes de la science.

A côté des modifications liées à la demande sociale à la suite des avancées de la science, d'autres sont liées à des soucis plus pratiques d'harmonisation et de simplification, par exemple sur les règles relatives au consentement au prélèvement sur personnes décédées ou le régime juridique des cellules.

Quand une loi traite de l'expérimentation sur l'homme, de greffes d'organes, de l'utilisation de parties du corps humain, elle doit évidemment améliorer et renforcer les garanties nécessaires à l'information aux personnes, au respect de leur volonté et au droit des malades. C'est pourquoi un grand nombre de modifications apportées sont liées au besoin de mieux affirmer le droit des personnes. Ces nouvelles garanties, inscrites dans la loi, sont indispensables pour répondre à l'objectif premier de la loi : la reconnaissance de l'ambition éthique pour la qualité même du système de soin.

La révision des textes s'est attachée à favoriser la mise au point de nouveaux traitements, à aider la recherche thérapeutique dans le domaine des maladies dégénératives incurables, à ne pas barrer la route à l'utilisation de nouvelles techniques prometteuses, tout en renforçant la protection de la personne. C'est cet équilibre qu'il nous faut ensemble trouver lorsque nous réviserons la loi, car tel est bien l'esprit de la loi : faire progresser la qualité et l'efficacité des soins parallèlement au respect de la vie, à l'intégrité du corps et au respect des morts.

Cet esprit conduit également à rejeter tout ce qui, en soi, porte atteinte au genre humain, comme le clonage reproductif. L'esprit du projet de loi a intégré tout au long des travaux liés à sa révision le souci de répondre à la solidarité. Ce sont par exemple les propositions visant à élargir le cercle des donneurs vivants qui, en répondant à la pénurie d'organes, permettra l'expression de nouvelles solidarités, correspondant notamment à l'évolution de la vie familiale. C'est également le sens à donner aux ouvertures nouvelles qui concernent la recherche en embryologie où la motivation essentielle est de permettre la mise au point de traitements de maladies actuellement incurables.

Voilà les principes qui nous ont guidés.

J'en viens aux dispositions de la loi.

Les principales modifications apportées à la loi de 1994 tiennent compte des avis des nombreuses instances consultées, notamment des rapports du Conseil d'Etat de novembre 1999, de celui de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et du Comité national consultatif d'éthique des sciences de la vie et de la santé (CCNE).

Nous sommes sur un champ qui mêle éthique, droit à la santé et droits civils.

Le titre premier traite des caractéristiques génétiques. Il pose un principe d'interdiction des discriminations à raison des caractéristiques génétiques. Ce principe a été repris depuis dans le projet de loi sur le droit des malades, à la suite d'observations du Conseil d'Etat que nous avons à l'unanimité jugées utile de retenir. Reste dans ce projet de loi la disposition sur les conditions d'identification post mortem des empreintes génétiques, prévues par l'article 16-11 du code civil.

Dans le titre II, relatif aux dons et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, l'une des principales modifications a pour but l'adoption d'un régime unique du consentement présumé qui s'applique quelle que soit la nature du prélèvement, qu'il soit à visée thérapeutique ou scientifique. Il s'applique également aux autopsies médicales. Il est proposé de ne permettre de déroger au refus de consentement qu'à titre exceptionnel en cas d'absolue nécessité de santé publique. Par exemple, la surveillance de l'évolution épidémiologique des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles.

Figurent également au titre II des dispositions sur le collège des donneurs vivants. Il était jusque-là limité au père, à la mère, aux fils, filles, frères, s_urs et enfants en cas d'urgence. La condition d'urgence pour le conjoint est levée. Le donneur peut être toute personne majeure et capable ayant, avec le receveur, des liens étroits et stables, à la condition que la recevabilité du don relative au libre consentement, à la gratuité et à la non-patrimonialisation du corps humain ait été vérifiée. Figurent également des dispositions particulières concernant les mineurs et les majeurs sous tutelle.

Troisième série de dispositions : les différents régimes juridiques applicables aux cellules sont actuellement très nombreux. Le projet de loi prévoit une simplification et une harmonisation, puisqu'un seul régime juridique serait dorénavant applicable aux cellules, y compris celles de la moelle osseuse, qui résulte, non plus d'un don d'organe, mais d'un don de cellules.

Au titre III, relatif aux produits de santé, il est prévu que les produits de thérapie génique, qui n'utilisent pas de cellules humaines comme vecteur, soient transférés de la loi bioéthique à la partie du code de la santé publique relatif aux produits de santé, uniquement pour les produits qui n'utilisent pas de cellules humaines comme vecteur.

Le titre IV fait l'objet de nombreuses modifications qui traitent de la procréation et de l'embryologie. Elles traduisent la volonté du législateur de répondre aux espoirs thérapeutiques, à la demande de soins, par une médecine responsable, et d'éviter les dérives qui constitueraient une atteinte dégradante aux droits et à la dignité de la personne humaine. C'est évidemment la question du clonage qui suscite les plus nombreux débats. Ils sont nés en 1997 de la naissance par clonage de la brebis « Dolly ». Cet événement a cristallisé les interrogations sur la possibilité du clonage humain. Cette technique utilisée pour « Dolly » a sollicité des fantasmes, des craintes, mais aussi des espoirs. Les questions posées par cette découverte ont entraîné des poussées d'inquiétude collective bien compréhensibles, car le clonage d'un mammifère a été perçu comme un premier pas vers la faculté pour l'homme de créer son double partir d'un élément de son propre corps. Elle a suscité aussi des espoirs, car elle a soulevé la question des thérapeutiques qu'il serait possible de mettre au point grâce à cette nouvelle technique.

Face à toutes ces interrogations, que préconise le projet de loi ?

Il interdit en premier lieu le clonage reproductif, puisqu'il interdit toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de voir se développer un embryon humain qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme et d'une femme. C'est une interdiction absolue. Seule la reproduction sexuée est autorisée. C'est celle qui assure la création d'un être, aux caractéristiques imprévisibles, qui échappent au déterminisme et contribue à la reconnaissance de sa singularité et de son autonomie, deux éléments essentiels de la condition humaine.

L'interdiction du clonage reproductif s'inscrit d'ailleurs dans la continuité d'un grand nombre de positions adoptées depuis quelques années. Je veux citer la déclaration universelle sur les génomes humains et les droits de l'homme de l'UNESCO de novembre 1997, qui affirment que les pratiques contraires à la dignité humaine, tel que le clonage reproductif, ne doivent pas être utilisées.

Il faut aussi citer le Conseil de l'Europe qui a adopté en 1998 la convention d'Oviedo, qui interdit toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain.

Le 8 août dernier, la France et l'Allemagne ont saisi conjointement le Secrétaire général de l'organisation des Nations Unies pour que soit étudiée l'élaboration d'une convention universelle interdisant le clonage humain à visée reproductive.

Je veux également citer la législation adoptée par le Royaume-Uni qui a autorisé l'utilisation de la technique du transfert nucléaire au printemps 2001. Mais le Royaume-Uni vient de légiférer à nouveau pour interdire explicitement le clonage reproductif. C'est dire que ce pays n'autorise que la production de cellules par transfert nucléaire, uniquement dans un but de recherche biomédicale.

La question de la recherche sur l'embryon est la question fondamentale aujourd'hui posée au législateur, dans la mesure où la loi de 1994 a interdit toute recherche sur l'embryon. Il nous semble - et c'est le choix retenu par le projet qui vous est présenté - qu'il faut autoriser cette recherche, mais que, dans le même temps, il faut définir le périmètre des recherches autorisées et l'encadrement auquel elles doivent être soumises.

Les progrès scientifiques liés à la découverte des cellules souches embryonnaires et adultes et le potentiel thérapeutique des cellules totipotentes suscitent de réels espoirs thérapeutiques à l'égard de maladies actuellement incurables comme la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer ou l'insuffisance hépatique. Il faut évidemment tenir compte des enjeux très forts, scientifiques et éthiques pour concilier la recherche sur l'embryon avec les exigences éthiques.

Dans cette optique, le projet de loi introduit la recherche sur l'embryon dans ses diverses finalités, notamment pour l'obtention de cellules totipotentes en vue de recherches visant à mettre au point de nouveaux traitements. Le projet de loi précise que les « cellules de l'espoir », pour reprendre une expression du Premier ministre, ne peuvent provenir que d'embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, excluant ainsi l'obtention de cellules embryonnaires issues d'un clonage par transfert nucléaire en l'absence des garanties nécessaires pour autoriser cette technique.

Pourquoi avons-nous fait le choix de ne pas autoriser la technique du transfert nucléaire et uniquement de limiter la recherche sur l'embryon aux embryons surnuméraires ?

En l'état actuel, la garantie de l'absence de dérives de cette technique vers le clonage reproductif n'est pas assurée. Elle nécessite, non seulement que la loi l'interdise dans notre pays, mais aussi au niveau européen et mondial, d'où l'intérêt de l'initiative franco-allemande. Si on peut considérer qu'une législation nationale pourrait être suffisamment protectrice, il faut aussi qu'il y ait des progrès concomitants des législations européennes et internationales. Nous avons absolument besoin notamment - mais ce n'est pas l'unique problème - de garantir la protection des femmes qui envisageraient de donner des ovocytes à la recherche pour autoriser ces techniques de transfert nucléaire. Nous savons en effet qu'il faut beaucoup d'ovocytes pour réussir un transfert nucléaire. Nous imaginons bien à quelles pressions certaines femmes, plus démunies que d'autres, pourraient être soumises devant l'existence de risques de commercialisation et de trafic. Voilà une première raison pour laquelle le projet de loi ne propose pas d'autoriser, encore une fois en l'état, la technique de transfert nucléaire.

Autre raison : nous avons eu connaissance, tout récemment, de données scientifiques qui confèrent des potentialités supplémentaires aux cellules souches issues d'embryon qui permettraient d'envisager les espoirs thérapeutiques que l'on pensait jusque-là réservés à la technique du transfert nucléaire. En revanche, ces dernières données scientifiques semblent douter de certaines qualités attribuées aux cellules souches issues d'un transfert nucléaire. C'est un élément qui a compté avec les autres dans la décision prise de ne pas autoriser dans ce projet de loi la technique du transfert nucléaire. Bien entendu, si les données scientifiques évoluent, si les garanties, notamment au niveau européen et international, se renforcent, rien n'interdira de reconsidérer la question ultérieurement. Le propre des lois bioéthiques, comme je l'ai souligné, est de prévoir leur révision.

Il reste que le projet de loi autorise la recherche sur les embryons surnuméraires, en encadrant rigoureusement cette recherche, qui sera contrôlée par une nouvelle agence, l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine (APEGH), qui aura pour premier rôle le renforcement de l'encadrement des activités de soins relatives à l'assistance médicale à la procréation (AMP), au diagnostic prénatal et au diagnostic préimplantatoire. Le deuxième rôle de l'agence est lié à la nécessité d'encadrer les nouveaux champs de la recherche sur l'embryon in vitro. Nous souhaitons vivement ce rôle d'encadrement et de veille de l'agence, qui sera garante du respect de la loi dans l'application des ouvertures que nous proposons. Pour cela, l'agence sera dotée d'un haut conseil multidisciplinaire, dont les membres seront désignés de façon à lui conférer l'autorité, la compétence et l'indépendance nécessaires à ses missions. Ces différents points suivent de près les recommandations du rapport du Conseil d'Etat.

Voilà pour introduire notre débat afin de rappeler les principales modifications apportées par le projet de loi aux lois de bioéthiques de 1994, avec toujours ce fil directeur de simplification, d'harmonisation, d'adaptation et d'ouverture, dans le respect de la dignité humaine et de la solidarité.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. - Il me paraît très opportun que l'Assemblée nationale ait formé une commission spéciale pour se livrer à un examen très approfondi et détaillé du projet de loi. Je m'en réjouis d'autant que, parmi les membres de la commission, figurent d'éminents spécialistes de ces questions ; déjà, nous avons pu nous rendre compte de la très grande qualité des travaux réalisés sur ce sujet par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Je suis très heureux que ce texte, adopté par le Conseil des ministres le 20 juin, vienne maintenant devant l'Assemblée nationale, car je crois fondamentalement que le Parlement, parce qu'il est issu du suffrage universel, est l'instance la plus légitime, et même la seule, pour débattre des grands choix de société et décider des règles, à la différence de comités d'experts composés de spécialistes de l'éthique ou de juristes dont les avis, qui peuvent nous éclairer dans le processus décisionnel, ne sont que des éléments que le législateur peut prendre en compte.

Mes propos, après l'intervention d'Elisabeth Guigou, porteront essentiellement sur les dispositifs relatifs à la recherche, notamment aux cellules souches. Un large débat porte sur ce sujet qui touche à la fois à des problèmes éthiques et à des problèmes scientifiques. Je sais que le désir est profond de voir se développer les recherches sur les cellules souches adultes. J'ai demandé voilà déjà plus d'un an au professeur François Gros de constituer un groupe de travail sur la potentialité des cellules souches adultes. Il a remis son rapport en septembre 2000 où il indique qu'en l'état actuel des connaissances, les cellules souches adultes ne présentent pas les mêmes capacités de multiplication et surtout de différenciation que celles présentées par les cellules souches embryonnaires. Un appel d'offres conjoint de l'INSERM et de l'AFM, a été lancé sur la recherche des cellules souches adultes, car nous savons qu'elles présentent des potentialités, dont on peut penser pour l'heure, qu'elles sont moindres que celles des cellules souches embryonnaires, mais il semble nécessaire de procéder à des travaux de recherche sur les cellules souches embryonnaires et par conséquent de modifier sur ce point le texte de 1994, adopté dans un contexte scientifique différent lié à l'état des connaissances à cette époque.

Il existe actuellement dans notre pays, comme dans d'autres, un grand nombre d'embryons devenus sans projet parental, conservés par congélation, après avoir été conçus par fécondation in vitro. La perspective de ces embryons surnuméraires, dont on ignore le nombre exact - on peut l'estimer à 40000 ou 50 000 ; d'aucuns parlent de 100000 - est soit la destruction, soit l'autorisation, pour certains, de donner lieu à des travaux de recherche. Avec les recherches sur les cellules souches embryonnaires comme sur les cellules souches adultes, c'est la médecine régénératrice qui est en jeu. Beaucoup d'affections graves et souvent incurables résultent de la perte de cellules ou de la dégénérescence cellulaire. L'équivalent de greffes de cellules peut apporter des solutions à plusieurs grands types d'affections : les affections d'ordre cardiaque, en repeuplant des parties du muscle cardiaque, frappé par un infarctus ; des affections d'ordre hépatique, d'ordre diabétique, pour les diabètes de type 1 insulinodépendants ; des affections neurodégénératives, comme les maladies d'Alzheimer qui concernent 300.000 à 400.000 personnes en France, la maladie de Parkinson, la sclérose latérale abiotrophique, la sclérose en plaques, les lésions de la moelle épinière. Bref, beaucoup de maladies qui ne peuvent être traitées efficacement pourraient l'être à la suite d'une recherche qui porterait sur des cellules souches embryonnaires.

Le projet de loi propose par conséquent que la recherche puisse porter de manière très encadrée sur des cellules souches embryonnaires. Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a rappelé à l'instant le dispositif d'encadrement.

Ces recherches ne pourraient porter que sur des embryons surnuméraires, c'est-à-dire sur des embryons de moins de six ou sept jours, avant le stade de la différenciation tissulaire.

Il ne s'agirait que de recherches ayant une finalité thérapeutique, impossible à atteindre par une méthode alternative, dans le cadre de protocoles de recherches autorisés par les ministres chargés de la Santé et de la Recherche, après avis rendu public d'un haut conseil composé de personnalités parlementaires, scientifiques, et issues du monde judiciaire.

Le texte de loi n'a pas retenu ce que l'on appelle « le transfert nucléaire », c'est-à-dire le transfert de noyaux de cellules somatiques, pour les deux raisons explicitées par Mme Guigou précédemment. Tout d'abord, nous souhaitons déposer un texte de consensus devant l'Assemblée nationale et les avis émis au stade de la préparation du texte sur ce sujet étaient divers. Le Comité national consultatif d'éthique (CCNE) avait émis un avis positif, y compris sur le transfert nucléaire ; en revanche, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, d'une part, le Conseil d'Etat, d'autre part, ont émis sur ce point particulier un avis négatif. Il a été jugé souhaitable, s'agissant d'un texte qui porte sur le devenir de la personne humaine, de tenir compte des convictions éthiques, religieuses ou philosophiques pour déposer un texte susceptible de rassembler un large consensus. La seconde raison tient en ce que le transfert nucléaire, dont on pensait qu'il présentait de grands avantages par l'absence de rejets immunologiques par rapport à la recherche sur les embryons surnuméraires, semble présenter des avantages plus restreints. Un colloque qui a eu lieu récemment à Londres au siège de l'Académie royale de médecine, a tendu à montrer que, même en cas de transfert nucléaire, un risque de rejet immunologique est possible pour ces cellules autologues. Par conséquent, pour des raisons scientifiques, dont la connaissance n'existait pas à ce degré au moment où le texte fut initialement rédigé et pour des raisons tenant à la recherche nécessaire d'un consensus, ce projet de loi ne retient que la recherche sur les embryons surnuméraires. Ce point a fait l'objet d'un avis positif de l'ensemble des instances consultées, qu'il s'agisse du CCNE, qui s'était prononcé en la matière positivement dès 1997, du Conseil d'Etat qui avait rendu un rapport sur la question en 1999, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou de toutes les autres instances consultées.

Je précise, à la suite de Mme Guigou, que, sur les questions scientifiques susceptibles d'évolutions très rapides, nous avons prévu, dans le projet de loi, un dispositif de veille scientifique, c'est-à-dire que le haut conseil remettra un rapport annuel scientifique au Parlement et aux ministres concernés ; par ailleurs, ce haut conseil exercera une mission de veille scientifique et sera susceptible de proposer, ainsi que le précise le projet de loi, des évolutions aux pouvoirs publics en fonction de l'évolution des connaissances. La solution retenue est celle-ci : si les connaissances devaient évoluer à l'avenir, le haut conseil nous en ferait part et des évolutions pourraient intervenir.

L'enjeu du texte réside dans la prise en compte du progrès scientifique pour le mettre au service des finalités éthiques. Deux considérations éthiques sont à prendre en considération : la première est l'attention à prêter à l'embryon qui ne doit pas être réifié, c'est-à-dire considéré comme un instrument. Le texte ne traite que des embryons qui existent déjà, qui n'ont pas été conçus pour des finalités de recherche ; le second élément est le droit des malades à être soignés, à voir la recherche progresser pour proposer des solutions thérapeutiques qui n'existent pas aujourd'hui ou des solutions capables de faire reculer la souffrance et parfois la mort. Voilà le point d'équilibre arrêté par ce projet de loi. Mais il est essentiel pour nous de connaître le point de vue, le sentiment, la position des parlementaires, car je considère profondément que le Parlement, parce qu'il est issu du suffrage universel, est le lieu naturel des grands débats de société et qu'il a, beaucoup plus que les comités d'experts, vocation à exprimer le sentiment du pays sur des sujets aussi difficiles.

M. Alain Claeys, rapporteur. - Les auditions de ce jour sont pour nous essentielles. Madame la ministre, monsieur le ministre, je voudrais témoigner devant vous du travail accompli à la fois par la Mission d'information et par la Commission spéciale qui s'est déjà réunie à deux reprises.

Madame la ministre, vous avez utilisé en début de votre exposé le terme d'humilité. Je pense que ce fut aussi l'état d'esprit qui a animé l'ensemble des membres de la Commission sur ce sujet. Je veux témoigner avec le Président que nos travaux, depuis maintenant plus d'un an et demi, se sont déroulés dans un esprit d'écoute, constructif, à l'honneur de la représentation nationale.

Le projet de loi dont nous allons débattre dans les semaines qui viennent concerne fondamentalement les droits de l'homme. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, c'est le droit des malades d'être mieux soignés et éventuellement demain d'être guéris de maladies aujourd'hui incurables. C'est aussi le droit du chercheur de se voir reconnaître une liberté de pensée, de chercher, de faire avancer ces travaux. C'est, enfin, le respect de la dignité humaine et c'est un droit aussi fondamental. Le législateur doit concilier l'ensemble de ces droits et c'est l'exercice auquel nous devons nous livrer dans les semaines qui viennent.

Les membres de la Commission spéciale, ce qui est naturel, vont entreprendre un travail d'étude, d'examen du projet de loi à travers un certain nombre d'amendements. Il nous revient de répondre à trois questions : quels sont les interdits que nous fixons ? Autorisons-nous la recherche sur l'embryon et, si oui, dans quel périmètre ? Quelles structures d'évaluation et de contrôle mettons-nous en place ? A ces trois questions nous devons répondre. J'en dirai quelques mots par rapport aux sujets qui seront en débat au sein de notre Commission. Préalablement, j'indique que ces interrogations interviennent dans un contexte international précis, qui ne fait pas l'objet de ce projet de loi, mais que nous devons garder en mémoire. Certains des membres de la Commission ont exprimé sur le sujet des positions assez fortes. On ne peut négliger le contexte.

Il est d'abord d'ordre économique. Je ne pense pas que l'on puisse traiter le projet de loi sans avoir en tête le sujet, important, de la brevetabilité du vivant. L'exécutif français, le Gouvernement, comme le Président de la République, ont pris une position conservatoire : un projet de loi intégrant, dans le droit interne, la directive européenne, a été présenté en Conseil des ministres, sans l'article V de cette directive qui pose problème, notamment dans son alinéa 2. C'est un bon point de départ pour ouvrir le débat, mais je crois que, derrière la position du Gouvernement, qui est juste, nous devons réfléchir sur l'exception du vivant en matière de brevetabilité. Nous ne remettons pas en cause la notion de brevet, mais, sur le vivant, nous devons adopter une conception spécifique sur la brevetabilité. Nous devrons tenir ce débat dans les mois qui viennent.

Deuxièmement - ce que vous avez indiqué sur le sujet, madame la ministre, est utile - tout effort que nous pourrons consentir au niveau national doit être prolongé au plan international. Sur le thème des interdits, l'initiative franco-allemande à l'ONU est extrêmement positive.

Troisième sujet, qui est d'actualité, puisqu'il a fait l'objet d'une pétition de chercheurs renommés, l'importation des cellules souches embryonnaires. Je rappelle ce contexte, car je pense que ce sera un peu le fil conducteur de nos travaux, du moins devrons-nous l'avoir en mémoire, comme nous devrons garder à l'esprit les conventions que la France doit encore ratifier pour leur introduction dans notre droit national. Je pense en particulier à la convention d'Oviedo. Nous aurions souhaité - mais cela sera-t-il possible ? - introduire dans notre droit la convention d'Oviedo au moment de la révision des lois de bioéthique. Des difficultés existent. Il sera utile entre l'exécutif et la représentation nationale de prolonger la réflexion.

Je reviens aux trois questions.

Sur l'interdit du clonage reproductif humain, madame la ministre, monsieur le ministre, vous avez dit ce qu'il convenait. Il est utile d'inscrire cet interdit dans notre droit comme il est utile de prolonger le débat au niveau international.

Les deux autres questions relatives à la recherche et à son encadrement sont extrêmement liées. Nos concitoyens expriment une double volonté : que tout ce qui est possible demain pour mieux soigner ou guérir, soit mis en place, mais que l'exécutif se donne les moyens d'évaluer, de contrôler et d'encadrer la recherche.

Je commencerai, non par le périmètre de la recherche, mais par la mise en place de la structure d'évaluation, de contrôle et de suivi de la recherche.

Madame la ministre, je vous ai écouté attentivement. Je souscris aux propos que vous avez tenus sur l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine (APEGH). Toutefois, je ne suis pas totalement convaincu que ces propos se traduisent aussi explicitement dans l'actuelle rédaction du projet. Je ne crois pas trahir les travaux de la Commission en indiquant que l'agence fait l'objet de deux ou trois sujets de débat.

Premier sujet de discussion : quelles responsabilités voulons-nous donner à cette agence ? S'agit-il d'une responsabilité consultative ou s'agira-t-il d'une agence indépendante, sachant qu'aux deux bouts de la chaîne, le politique a le dernier mot ? A un bout, il détermine le périmètre de la recherche ; à l'autre, les ministres compétents ont moyen de refuser certaines applications.

Deuxième sujet : qu'englobe l'agence ?

On ne peut laisser à côté de l'agence tout ce qui concerne l'AMP, qui doit faire partie des compétences de cette agence.

Troisième sujet, le plus compliqué, tant il est vrai qu'au-delà des déclarations d'intention, il faut trouver le mode opératoire : la composition de l'agence.

Ensemble, je souhaite que l'exécutif et le législateur puissent mener une réflexion sur la représentativité de l'agence. Il ne suffit pas de procéder à des affichages, il faut voir concrètement et en se référant peut-être à des expériences étrangères comment on peut faire vivre, à travers cette agence, ce que demande la société française.

Voilà pour ce premier thème qui fera l'objet de nos débats.

J'en viens au second : le périmètre de la recherche. Dans le cadre de nos travaux, à la demande du Président, nous n'avons rien voulu exclure, par honnêteté. Je ne vois pas pour quelle raison, a priori, nos travaux auraient, avant tout débat, exclu telle ou telle piste de recherche. C'est pourquoi, y compris sur le transfert nucléaire, ce que l'on appelle communément « le clonage thérapeutique », nous avons mené un débat, que le président avait souhaité, extrêmement intéressant. A ce titre, nous avons organisé une table ronde de chercheurs, dont les débats ont été très fructueux.

A ce sujet, vous avez évoqué trois raisons pour lesquelles le transfert nucléaire ne figure pas aujourd'hui dans le projet de loi, trois raisons qui sont aussi importantes l'une que l'autre.

La première raison tient à l'absence de garanties suffisantes entourant le don d'ovocytes, nécessaires en grand nombre pour l'application de cette technique.

La deuxième raison tient à l'état de la recherche. Ce qui pouvait paraître utile il y a encore quelques mois serait aujourd'hui remis en cause par les chercheurs mêmes.

Troisième raison que je ne néglige pas : le consensus. Il faut que nous soyons d'accord sur ce terme. Il ne s'agit pas de rechercher l'unanimité pour l'unanimité, mais de nous interroger sur les besoins de notre société en matière de recherche, cette recherche devant concilier les impératifs éthiques.

Le projet de loi autorise la recherche sur l'embryon, élément extrêmement important par rapport aux lois de 1994. La Commission devra étudier très précisément dans quelles conditions cette recherche peut s'appliquer sur les embryons surnuméraires. Les conditions posées sont-elles suffisantes? Vous avez expliqué que l'ensemble des organismes saisis a émis un avis favorable, le Gouvernement également, de même, je crois, le Président de la République. Notre Commission devra examiner attentivement l'ensemble des modalités envisagées.

Sur l'importation des cellules souches embryonnaires, je me suis exprimé un peu brutalement en tant que Rapporteur, mais je ne le regrette pas, lorsque la pétition précitée a été rendue publique. Pour quelles raisons ? Le décret permet aujourd'hui, c'est vrai, l'importation des cellules souches embryonnaires. Je pense que le Gouvernement a adopté une attitude sage. Si cela avait été autorisé sans que notre loi eût été modifiée, c'eût été « une mesure détestable » pour reprendre l'expression que j'ai utilisée, car je ne souhaite pas que l'on importe nos problèmes éthiques et que l'on exporte les résultats. C'est un vrai sujet. Il doit être traité lorsque nous-mêmes aurons répondu à la question de savoir si nous ouvrons ou non le périmètre de la recherche. A partir de là, je pense qu'il doit être traité. En tout cas, s'il est traité, il sera nécessaire d'amender le texte et de débattre du contenu des amendements dans le cadre de la Commission, car si nous décidons d'autoriser l'importation de cellules souches embryonnaires, nous devrons recevoir la garantie que ces cellules ont été conçues selon des façons éthiques acceptables par nous.

Un autre sujet porte sur l'assistance médicale à la procréation. L'application de la loi de 1994 nous a enseigné que la procréation médicalement assistée est peu encadrée. C'était en quelque sorte le paradoxe de la loi de 1994 : un interdit sur la recherche sur l'embryon, mais assure peu d'encadrement sur la procréation médicalement assistée. La nécessité d'un encadrement doit donc également faire l'objet de réflexions.

Enfin, le transfert post mortem des embryons figurait dans l'avant-projet de loi. Vous l'en avez retiré suite à l'avis du Conseil d'Etat. La raison invoquée des droits de succession - je m'exprime à titre personnel - n'est pas acceptable. Le problème doit se poser de façon différente. Je souhaite que notre Commission puisse, à nouveau, en débattre.

Telles sont les quelques pistes sur lesquelles nous allons travailler dans les semaines qui viennent. Nous avons abordé d'autres sujets. En particulier à l'initiative de notre collègue Jean-Michel Dubernard, une table ronde s'est tenue hier sur les donneurs vivants d'organes, qui a permis d'éclairer la Commission. C'était une initiative utile.

Nous n'avons pas à débattre uniquement des techniques et des procédés scientifiques ; ces questions concernent avant tout des hommes et des femmes dans la souffrance, en l'attente d'un traitement ; cela concerne des couples qui s'inscrivent dans une démarche d'AMP parfois douloureuse physiquement et psychologiquement. Tout au long de nos débats, nous devrons garder cela à l'esprit.

M. Bernard Charles, président. - Je vous informe qu'en application de l'article 6 septies de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes m'a demandé d'être saisie du projet de loi relatif à la bioéthique. Je pense que cette demande rencontre l'accord de tous. (Approbation.) La délégation émettra donc un avis sur ce sujet, notamment sur l'AMP.

Je résume les thèmes des travaux : le périmètre de la recherche sur l'embryon et le transfert nucléaire et son encadrement ; l'étendue des pouvoirs de la future APEGH et sa composition. C'est un des points essentiels de notre projet de loi. En ce domaine, nous formulerons des propositions qui reprendront l'opinion assez générale qui s'est dégagée de la Mission d'information.

L'opportunité de permettre le transfert post mortem d'embryons ; la nécessité de prévoir un régime spécifique pour l'importation des cellules souches embryonnaires ; la nécessité de mettre en place un système d'évaluation préalable à toute technique d'AMP.

L'extension du champ des donneurs vivants. Une table ronde très intéressante à ce sujet s'est tenue hier.

Pour ma part, je souhaite quelques modifications de la loi de 1988 pour les personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale, dite "Huriet-Sérusclat". Notre collègue Claude Huriet, dans un rapport d'information du Sénat, avait formulé des propositions intéressantes de « balayage » de la loi. Nous aurons, je crois, la capacité d'apporter quelques aménagements pour permettre de réadapter aux problèmes d'aujourd'hui cette loi qui fut très positive ; elle a en effet introduit pour la première fois dans le droit français le consentement libre et éclairé, mais cela pose certains problèmes, en particulier dans le domaine du développement des technologies médicales et dispositifs médicaux.

On ne nous empêchera pas de débattre de la jurisprudence Perruche. L'assemblée plénière l'évoquera quasiment dans le même temps ; nous essayerons de cadrer les choses. Nous évoquerons également la brevetabilité du vivant, même si la question n'entre pas nécessairement dans le projet de loi.

Mme Yvette Roudy. - Je rappelle, ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le Président, que la Délégation aux droits des femmes travaille depuis près d'un an sur ces questions, qu'elle a procédé à un certain nombre d'auditions, a organisé un colloque qui s'est tenu au mois d'avril ici même et dont les actes sont à votre disposition. Je pense que l'on peut verser ses conclusions dans la somme de réflexions déjà abondantes dont nous disposons.

Je suis satisfaite de constater que nous allons aborder cette discussion ; je regrette qu'il s'agisse simplement d'une première lecture. C'est dommage. C'est ce qui s'est passé lors de l'adoption des premières lois bioéthiques. J'avais pu participer à la première lecture en 1993, mais je n'avais pas participé à la seconde en 1994.

J'en viens aux questions.

Je regrette que l'on ne parle pas du « clonage thérapeutique » ; nous avons compris que nous avons affaire à des domaines qui évoluent rapidement, sur lesquels s'exercent des pressions internationales et qui nécessitent que cette loi soit revue, corrigée, adaptée, modernisée en fonction des progrès qui se font jour à une vitesse fantastique, si vite d'ailleurs que l'esprit a du mal à suivre. C'est ce que déplorait le professeur Jean-Michel Dubernard qui se demandait si on pouvait vraiment suivre tout ce qui se passait, considérant le décalage entre la rapidité des travaux scientifiques et notre capacité à nous, profanes, de les suivre. C'est dommage, car j'avais cru comprendre que, grâce au clonage thérapeutique, nous pourrions soigner des maladies incurables. Mais peut-être pourra-t-on en reparler.

L'autre question qui se pose est celle du don d'ovocytes. J'ai été stupéfaite d'apprendre que le don d'ovocytes se pratiquait en France. Un groupe d'études pour le don d'ovocytes a publié un bilan d'activité pour l'année 1999. Il existerait dix-huit centres. A l'heure actuelle, on peut accueillir une femme stérile qui se présenterait avec une donneuse, alors que les dons doivent être gratuits et anonymes. Mais ce n'est pas l'ovocyte de la personne qui accompagne la receveuse qui est inséminé puis transplanté, mais celui d'une autre. Est-ce à dire qu'on les stockerait ? Existe-t-il des banques ? Les congèle-t-on ? On m'a répondu que non. La question n'est pas posée dans le texte qui nous occupe, mais on pourrait cependant l'évoquer.

J'en viens à la question de la propriété de l'embryon, dont il conviendrait sans doute de débattre, même si nous ne la posons pas dans le texte de loi. On ne sait pas à qui appartient l'embryon. Dans la mesure où la procréation médicalement assistée n'est pas tout à fait au point, chaque fois que l'on utilise ces techniques, un accroc se produit. On stocke donc les embryons surnuméraires, on les congèle ; on commence à savoir ce que l'on va pouvoir en faire. A qui appartiennent-ils ? On n'a jamais vraiment posé la question ? On se l'est posée au moment du post mortem. La position du législateur fut très dure et manquait quelque peu d'humanité. Le Comité national d'éthique qui s'était saisi de la question avait répondu avec plus d'humanité. C'est pourquoi je reprends le terme utilisé par Mme la ministre : il faut vraiment aborder ces questions avec humilité et humanité.

Evoquera-t-on l'ICSI dans le texte ? Celui de 1994 n'en parlait pas, puisque cette technique de fécondation in vitro n'existait pas encore. Le CCNE, où j'ai siégé pendant trois ans, a longuement réfléchi à cette question et s'était prononcé contre. Or, je crois savoir que cette technique est très répandue en France.

La question des statistiques relatives aux résultats de la procréation médicale assistée doit être éclaircie ; les statistiques fournies par les centres qui procèdent à la procréation médicale assistée font l'objet d'une concurrence. On a l'impression qu'il est interdit de parler d'argent ; j'aimerais savoir combien cela coûte ! Ce n'est pas neutre. Je sais que c'est remboursé par la sécurité sociale, mais tout de même !

Des centres affichent des chiffres prometteurs de 35% de réussites, mais il existe une autre manière de calculer. Aux Etats-Unis, les statistiques ne prennent en compte les résultats qu'à partir du moment où l'on rentre à la maison avec le bébé. En France, les statistiques se fondent sur les grossesses constatées ; or, elles ne sont pas toutes menées jusqu'à terme, à l'instar de ce qui se produit de manière naturelle. Peut-être faudrait-il demander que les statistiques soient plus précises.

On n'évoque pas non plus le rôle pourtant central des laboratoires, notamment pour le financement. Il serait intéressant de s'y attacher. Nous savons que la recherche continue, même si on ne nous dit pas tout. Une législation internationale s'impose. Le trafic d'ovocytes est un phénomène très courant dans les pays de l'Est, où des femmes sont recrutées par des hommes qui les accompagnent en Turquie, où les ovocytes de ces femmes sont achetés. Un don d'ovocytes n'est pas un don de sperme ; la femme subit un traitement lourd, qui suppose des arrêts de travail. On ne peut dire que le processus soit identique au don du sperme. Il est difficile de croire que tout cela puisse se réaliser sans contrepartie monétaire.

Sur la question du post mortem, à mon avis, il ne faut pas légiférer sur un cas particulier, mais laisser cela au bon sens. L'agence pourrait peut-être répondre à cette question, si jamais elle se pose. Un cas comme celui de Toulouse s'est présenté une fois en vingt ans !

Se pose aussi la question des personnes qui ont droit à recourir à l'AMP. On s'en tient aux couples qui peuvent faire la preuve d'une vie commune depuis au moins deux ans. Depuis, il y a eu le Pacs. Que feront les homosexuels ? Ils iront en Belgique. Cela leur coûtera un peu plus cher. C'est très hypocrite. Il y a beaucoup d'hypocrisie dans tout cela.

Telles sont les quelques questions que je me pose.

M. Yves Bur. - Nous engageons ce débat législatif avec beaucoup de modestie. On mesure bien la difficulté de légiférer dans un domaine où la liberté individuelle, le droit comme les espoirs des malades sont en jeu. On mesure tout autant que les progrès scientifiques avancent parfois de manière fulgurante, sans pour autant qu'ils se révèlent aussi utiles qu'on veut bien nous le faire croire au départ.

Le processus législatif sera forcément très long, cela pour diverses raisons. Je ne pense pas qu'il puisse être question d'appliquer l'urgence dans un tel débat. Nous n'aboutirons certainement pas avant au moins deux ans. Dès lors, ne devrons-nous pas revoir certaines des orientations prises aujourd'hui ? Par exemple, le transfert nucléaire. Je soumets cette question à débat.

Quelques questions portent sur l'extension des possibilités de dons par des donneurs vivants. Des auditions d'hier, il ressort que ce n'est pas si simple et que cela pose de nombreux problèmes. En effet, comment définir les liens durables ? Comment les limiter à certaines personnes, comment ne pas les étendre à d'autres ? Comment les définir lorsque l'on connaît la fragilité des relations humaines ? Je voudrais également interroger le Gouvernement sur ses intentions au sujet de la promotion des dons par donneurs décédés. En ce domaine, la France est très en retard comparée aux pratiques d'autres pays. Comment promouvoir davantage les dons ? Comment rattraper ce retard ? Cela apporterait certainement une réponse, quoi qu'en disent les transplanteurs, à la pénurie d'organes. Dès lors, peut-on imaginer d'être plus incitatifs ou plus contraignants pour le don quand n'est pas exprimée une opposition nette ? Peut-on inscrire la volonté d'être donneur sur une carte santé, comme la carte SESAM-VITALE ?

Deuxième série de questions : un amendement pourrait être proposé autorisant la technique du transfert nucléaire. Quelle serait la position du Gouvernement ? Renverrait-il à la sagesse de l'Assemblée ou celle-ci marquerait-elle son opposition ? Pour renforcer la démarche entamée par rapport à l'interdiction de tout clonage à vocation reproductive, comment renforcer les sanctions pénales pour donner un véritable signe politique fort, notamment dans la démarche internationale engagée? Il ne suffit pas de prévoir des condamnations symboliques, il faut frapper très fort pour que le signal soit compris.

Les importations de cellules sont un vrai souci. Nous allons être soumis à ces pressions d'ici à l'aboutissement de la loi dans deux ans. Pendant ce temps, la recherche se poursuivra ailleurs. Si l'on peut, à un moment donné, considérer possible l'importation de cellules provenant d'embryons surnuméraires, si nous décidons de ne pas accepter le transfert nucléaire, quelle sera alors la position par rapport à l'importation de cellules souches issues de transfert nucléaire. Il faudra que notre loi soit plus précise, car il serait hypocrite de s'en remettre à cette imprécision.

Enfin, concernant l'APEGH, le Parlement ne doit pas être écarté de cette possibilité de contrôle. Le rôle de l'agence est certes utile, mais je souhaiterais que nous puissions être partie prenante à chaque étape et tout au long du processus. S'il n'y a pas, comme prévu, de révision automatique tous les cinq ans, il faudra prévoir les modalités de présence du Parlement dans le débat sur ce problème ou ces questions éthiques, essentielles pour l'avenir de notre société.

M. Jean-Pierre Foucher. - Mes questions porteront sur trois domaines : la recherche de l'embryon, l'agence et l'élargissement des donneurs vivants.

La recherche sur l'embryon : on dit que la recherche portera sur des embryons surnuméraires. C'est dire que l'on accepte qu'un jour, compte tenu des améliorations des techniques de procréation médicalement assistée, on ait beaucoup moins d'embryons surnuméraires. Je crains donc qu'autoriser les recherches sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires uniquement dans le cadre des embryons surnuméraires ne soit pas tout à fait correct, car, un jour ou l'autre, malgré l'amélioration des techniques d'implantation ou de réimplantation, on continuera à avoir des embryons surnuméraires, que l'on aura conservés pour d'éventuels travaux de recherche.

La recherche sur l'embryon est encadrée, mais l'encadrement porte-t-il sur les cellules embryonnaires ou autorise-t-on une recherche sur les embryons ? On sait aujourd'hui maintenir en vie un embryon pendant quelques années. N'entreprendra-t-on pas ensuite des recherches sur un embryon pour étudier si l'on peut continuer à le faire se développer ? Je voudrais être assuré que l'on engagera des recherches sur les cellules embryonnaires dans un but uniquement thérapeutique pour éventuellement ouvrir la voie de la guérison de maladies actuellement incurables ou bien si les recherches porteront sur le développement de l'embryon, en modifiant par exemple le milieu de culture. C'est un point important.

Je remercie M. le Rapporteur d'avoir précisé que le transfert nucléaire, c'était le clonage ; les deux ministres qui se sont exprimés ont évité ce mot. S'il a peut-être été galvaudé, tout le monde sait que le transfert, c'est le clonage. Il ne faut pas être hypocrite, il faut le dire.

Au sujet de l'agence, Yves Bur vient d'indiquer quelles seront ses relations avec le Parlement. Il est prévu que l'agence remette un rapport annuel aux ministres et au Parlement, lequel doit être, selon moi, plus largement partie prenante. Une autonomie trop grande ne doit pas être donnée à l'agence.

Ma troisième question a trait à l'extension du périmètre des donneurs vivants. Il nous a été expliqué qu'il y avait pénurie de personnes décédées sur lesquelles on pouvait opérer des prélèvements d'organes. C'est une très bonne chose dans un sens ; malgré tout, il faut savoir que l'on risque de créer une inégalité assez grande : en effet, certains receveurs auront la possibilité de recourir au don de personnes de leur famille ou avec lesquelles ils sont liés par des liens stables et étroits. Nous serons confrontés, je crois, à des personnes dont les familles refuseront de donner leurs organes ou à des personnes isolées qui n'auront pas accès aux dons. Je crois qu'il faudrait être beaucoup plus incitatif. La loi, aujourd'hui, n'est pas appliquée. Nous en avons eu la preuve hier. Consultés pour savoir si, oui ou non, ils ont eu connaissance d'une opposition de la personne décédée à un prélèvement des organes, les proches livrent une réponse négative, qui est davantage une réponse du moment, sous le coup de l'émotion. Une information beaucoup plus large s'impose. On pourrait inciter les gens, du temps de leur vivant, à donner leur avis sur d'éventuels prélèvements post mortem. Des questions devraient également être plus fréquemment posées aux familles des personnes décédées

M. Alain Calmat. - Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, nous pouvons nous féliciter que ce texte existe et du fait qu'il sera examiné par l'Assemblée nationale, ce qui n'était pas absolument certain.

Pour autant, des problèmes ne sont pas réglés, en particulier celui lié au transfert nucléaire. Rien de ce que j'entends ne me convainc. Soit il s'agit d'une impasse scientifique ; en ce cas, autant le dire tout de suite. Soit il s'agit de quelque chose de vraiment très prometteur. Il semble que ce le soit. Des parlementaires d'autres pays, et pas des moindres, ont pris une décision inverse. Je crois que nous sommes là un peu hypocrites. Pourquoi accepter de faire des recherches sur un embryon, en fait sur la réunion de deux gamètes, et refuser d'entreprendre des recherches sur une cellule dont on ne sait même pas si elle donnera un jour un enfant. Le clonage des animaux est possible. Pour l'instant, il semble que l'on en soit très loin pour l'homme. Dès lors, pourquoi se priver de moyens thérapeutiques prometteurs ? On déclare qu'ils ne le seraient pas autant qu'on le prétend. J'aimerais avoir confirmation. A ce titre, nous allons prochainement auditionner des spécialistes. Malgré tout, je comprends que, dans l'état actuel de la réflexion, c'est déjà un point que d'autoriser une recherche sur les embryons surnuméraires. Mais ce nucléocyte qui fait couler tant d'encre, il faudrait le mettre entre les mains des chercheurs pour qu'ils puissent effectuer les recherches dont la population a besoin, c'est-à-dire le traitement de maladies qui, pour l'heure, ne sont pas suffisamment bien traitées.

M. Jean-Michel Dubernard. - Je ne suis pas très éloigné de la position de M. Calmat. Certes, nous ne disposons pas de l'ensemble des informations scientifiques. Nous n'avons pas eu les comptes rendus du colloque auquel vous avez fait allusion, Madame la ministre. Je serais étonné que le rejet soit observé à partir de ces cellules obtenues par transfert de noyau ; en revanche, les possibilités de différenciation sont peut-être autres.

Mille choses seraient à dire, mais je me limiterai. La première, pour provoquer un peu le Président et le Rapporteur : nous faut-il légiférer sur ce thème ? Ne sommes-nous pas en train de nous faire plaisir en effectuant un exercice intellectuel très satisfaisant, mais qui n'a qu'une signification limitée dans la marche de la société ? Je provoque, mais les progrès de la recherche sont rapides. Le caractère « révisant » de la loi a beaucoup de sens, mais l'on s'aperçoit que cette « révisabilité » n'est pas appliquée, que l'on perd du temps et que la loi ne sera pas votée avant un ou deux ans. Par ailleurs, il existe un arsenal juridique qui permet d'éviter les dérives comme il existe une série de comités, de commissions : le CCNE, l'AFSSAPS, l'Etablissement français des greffes, le CCPRB, qui sont là, même s'ils ne peuvent émettre qu'un avis consultatif, pour encadrer la recherche. Je pose la question, car des chercheurs considèrent qu'ils sont les victimes d'une certaine forme d'ostracisme. Ces personnes ont une morale, morale et éthique n'étant pas des notions très éloignées. L'éthique est probablement la science de la morale - c'est du moins la définition que j'en donne. Les chercheurs sont le fer de lance de notre société. Ils prévoient ce qui se passera demain. La recherche en biologie n'est pas la seule ; en tous les domaines, la recherche est importante. Or, les chercheurs ont l'impression d'être menacés par une certaine forme d'obscurantisme. Bien sûr, je force le trait, mais prenons garde à ne pas paralyser la recherche. L'encadrer oui, la paralyser, non. Tous ceux qui innovent se heurtent à des obstacles majeurs qui, très souvent, les empêchent d'aller plus loin. A trois reprises, j'ai été confronté, à titre personnel, à des cas très difficiles à vivre alors que nous savions que nous avions raison, en tout cas en partie.

Je reviens à la table ronde d'hier, organisée par de la Commission spéciale grâce au Président et au Rapporteur. Les propos étaient un peu exagérés, car les personnes réunies étaient des médecins qui souhaitent soigner leurs malades, qu'ils voient parfois mourir, faute de pouvoir prélever des organes sur des cadavres pour les greffer. Ils voient la qualité de vie de leurs malades se dégrader, faute de reins, de poumons ou de pancréas à greffer.

La loi donne la possibilité de prélever sur des donneurs vivants, mais dans le cadre strict de la famille, exceptionnellement sur le conjoint. La greffe à partir de donneurs vivants, apparentés ou non, présente des avantages et des inconvénients. Parmi les avantages, citons l'attente réduite. Actuellement, elle est insupportable et totalement inégale. Un malade inscrit à Clermont-Ferrand attend un an. A Lyon, il attend cinq ou six ans. C'est une inégalité inacceptable et notre devoir est de corriger de telles inégalités. Pour la corriger, il conviendrait d'établir une liste d'attente nationale. Or, personne ne veut franchir ce pas.

Deuxièmement, les résultats sont meilleurs. En phase de pénurie, on prélève souvent des organes de sujets âgés, de mauvaise qualité. C'est un vrai problème. Il ne faut pas non plus aller trop loin dans le dénigrement de ces organes, si je puis utiliser le terme, car dans certains pays, en Hollande notamment, on prélève des organes post mortem, sur des sujets qui ne sont même pas maintenus en survie artificielle, avec des résultats globalement satisfaisants.

Les aspects négatifs résident dans le risque encouru par le donneur. Le risque de mortalité est de 1% pour les donneurs de foie. Rares sont les interventions médicales où on accepte une mortalité de 1%. Dans la chirurgie du cancer du rein, par exemple, la mortalité est inférieure à 1%. Et il y a 17% de risques de complications pour les greffes de foie. La greffe de foie à partir d'un donneur vivant est une intervention particulièrement difficile qui présente des complications. Il en va de même pour les greffes de pancréas et des poumons à partir de donneurs vivants, qui entraînent des complications sérieuses.

Pour les greffes de rein, on signale un décès sur 3000 cas. Ce sont là les conclusions de travaux anciens. A l'heure actuelle, nous ne disposons d'aucune information précise, solide et fiable dans ce domaine. Un gros point d'interrogation subsiste, sachant que les complications sont nombreuses, comme des phlébites, sans compter des suicides et d'autres complications chez le donneur. Le risque médical existe.

Il en est un autre, que je qualifie de « dérive commerciale ». Des personnes sont prêtes à tout pour se faire transplanter. Il y a trois semaines, dans le cadre de ma consultation, une personne m'a proposé 500.000 francs pour faire passer son nom en haut sur la liste. Et il ne s'agissait pas d'un riche industriel, mais d'un petit commerçant. Les gens sont prêts à tout. La dérive commerciale est présente dans le monde. Elle existe au Moyen-Orient, en Inde, dans les Pays de l'Est et aux Etats-Unis. C'est pourquoi nous devons être extrêmement vigilants. On sait par ailleurs que de multiples pressions s'exercent avant la transplantation sur les donneurs au sein d'une famille ou parmi les amis, de même après la transplantation. C'est la dette de la vie qu'il faut, un moment ou à un autre, compenser.

En se plaçant un peu au-dessus de toutes ces choses, on donne à la partie du corps humain une valeur commerciale, on la « chosifie ». En réifiant les parties du corps, je me demande si la dignité humaine n'est pas atteinte, puisque le corps est considéré comme le véhicule de la dignité humaine.

C'est pourquoi je pense, ainsi que l'a très bien dit M. Yves Bur, que la première chose à faire consiste à appliquer la loi réglementant les prélèvements sur des personnes en coma dépassé. La loi n'est pas appliquée : la famille n'est pas informée du prélèvement qui va avoir lieu. On pose la question de savoir si elle autorise le prélèvement. On pourrait aussi faire en sorte d'augmenter l'efficacité de l'Etablissement français des greffes, mais aussi regarder ce qui se passe en Espagne, où il y a un intéressement pour les assistants qui réalisent les prélèvements, mais surtout pour les équipes des centres où les prélèvements se réalisent. L'intéressement ne prend pas une forme financière, mais une forme matérielle - en matériel, en formation - pour des petits hôpitaux. A Toulouse, on a assisté cette année à un grand bond en avant lié à une politique de ce type. Beaucoup reste à faire pour améliorer la loi.

Quant à la solution représentée par les donneurs vivants, je pense en effet qu'il faut la conserver. Moi-même, qui suis hostile aux prélèvements, j'en pratique, puisque les donneurs restent en nombre insuffisant. Nous avons un moyen d'encadrer les choses, en mettant en place une commission composée de sages, de psychiatres, de juges, qui essayeraient de juger de la qualité de la relation durable et stable entre le receveur et le donneur. C'est un point important. Je soumettrai par ailleurs un amendement demandant la mise en place d'un registre de suivi des donneurs qui nous permettra, à chaque révision de la loi, de décider de poursuivre ou d'arrêter.

M. Bernard Charles, président. - Hier, des éléments nous ont frappés. On nous a expliqué qu'un don entre deux personnes très proches leur avait été refusé. Elles sont parties en Inde, d'où elles ont appelé en catastrophe. La personne qui devait recevoir l'organe n'est pas revenue. Nous avons donc reçu des témoignages très forts. C'est un domaine qui n'est pas très facile à régler sur le plan législatif. Il faudra toutefois s'y attacher, mais sur quoi fonder le lien étroit et stable défini législativement ?

M. Jean-Marie Le Guen. - Madame la ministre, monsieur le ministre, ce texte nous passionne au regard des sujets qu'il traite. En outre, je pense qu'il peut être l'objet, ce qu'il est d'ailleurs depuis son origine, d'une réforme profonde de la manière de légiférer. Nous devons fortement réfléchir, à la fois sur le contenu et sur la méthode.

Première remarque : je ne vois pas pourquoi nous abandonnerions l'obligation de revoir le texte tous les cinq ans, qui deviendrait en l'occurrence une obligation d'y revenir tous les sept ans. C'est une contrainte assez légitime.

Deuxièmement, nous ne ferons pas l'impasse d'un débat d'ordre philosophique. Il faut que nous nous interrogions réellement sur le pourquoi légiférer, voire sur la légitimité à légiférer et à agir dans ces domaines. Ce sont des questions fondamentales posées aux parlementaires.

Comment légiférer ? Nous allons, les uns et les autres, être soumis à des pressions contradictoires. Au fur et à mesure que nous progresserons, nous aurons tous tendance à proposer des amendements de plus en plus techniques et de nature réglementaire. La pire des choses serait d'obéir à une manie, voire un défaut de notre Parlement : une hyper-écriture législative. Je ne dis pas que je ne tomberai pas dans ce travers, mais il faudrait que nous nous engagions collectivement à retenir nos plumes et à écrire des textes les plus généraux possible, d'autant que, pour l'essentiel, nous sommes d'accord pour reconnaître la nécessité d'agences, qui auront une certaine latitude pour apporter un éclairage, elles-mêmes ayant été éclairées, y compris par les débats législatifs. De ce fait, je pense que nous devons écrire un texte général et qui encadre en même temps, ce qui est certainement beaucoup plus difficile que de rédiger des lignes et des lignes d'amendements qui prétendent répondre à toutes les questions.

Troisième point d'interrogation sur la méthodologie de notre travail : nous ne devons pas tomber dans le travers, qui est souvent le nôtre, de légiférer « franco-français ». Nous ne devons pas oublier que nous sommes, et que nous serons de plus en plus, dans un contexte européen et international, à la fois en termes de gestion de la demande mais aussi en termes économiques. Il faudra qu'une partie de notre législation et de notre travail le soit aussi. Je ne dis pas cela par souci de s'aligner. Je crois, au contraire, que nous pouvons peser sur le contexte international, c'est-à-dire prendre des résolutions, y compris dans l'écriture de notre loi, afin qu'elle donne des signes et montre que notre législation à vocation à s'adresser au-delà de nos frontières. Nous ne pouvons pas penser que nous allons vivre dans un monde clos. Toute problématique internationale mérite d'être prise en compte.

Il conviendra que nous réfléchissions à ces premières remarques de méthodologie. Il faudra travailler dans cet état d'esprit.

Dernier point : nous ne pouvons pas légiférer dans le rapport classique de la Vème République entre le Gouvernement et le Parlement. Il appartient aux parlementaires - d'un certain point de vue en concertation avec le Gouvernement, mais ils ont déjà beaucoup fait à travers les travaux de la Mission - de prendre pleinement en compte la responsabilité du Parlement. Pour ma part, je serais assez ouvert. Lorsque nous désignerons les membres des agences, il ne conviendra pas que nous reproduisions forcément la solution élaborée d'autres structures. Pourquoi le Parlement n'aurait-il pas un droit de regard ? Non pas une intervention directe, mais un droit de regard beaucoup plus fort, allant dans le sens de ce que nous souhaitons, c'est-à-dire un renforcement des droits du Parlement. Quelle que soit la difficulté de ces sujets, une demande d'intervention du politique extrêmement forte s'exprime. Au-delà des mesures que nous allons prendre, il faut redonner du sens politique et de l'arbitrage politique. C'est sans doute aussi ainsi que le politique, dans la démocratie aujourd'hui, reprendra une crédibilité renforcée.

Je voudrais traiter du problème du clonage reproductif. Nous indiquons dans le texte que nous nous prononçons contre. Je crois que cela ne fait pas débat. Il est également prévu des dispositifs pénaux, sérieux et répressifs. Est-il trop tôt pour évoquer d'autres points, abordés ici ou là ? Premièrement, pourra-t-on avoir des interventions fortes sur la scène internationale, en promouvant un certain nombre de propositions, mais peut-être aussi en les reprenant dans la loi ? Deuxièmement, ne faut-il pas réfléchir au statut de la personne qui serait née à la suite d'un clonage reproductif ? Les médecins, les savants, les chercheurs britanniques, ont pris position il y a quelques mois dans le Lancet. Lorsque nous nous déclarons contre le clonage reproductif, nous sommes à la fois contre la reproduction d'une personne, mais aussi et peut-être surtout, contre l'utilisation du clonage reproductif à des fins de médecine régénératrice ou de médecine substitutrice.

Ces questions ne devraient-elles pas être tranchées, au-delà de la répression aujourd'hui prononcée par le texte ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau. - Je reviens sur le don d'ovocytes. Pourquoi refuser le don d'ovocyte alors que l'on permet, voire que l'on encourage le don d'organes - foie, rein, etc ? On nous répond que le don d'ovocyte n'est pas anodin. Certes, mais le reste encore moins. On nous oppose le trafic d'ovocytes, en France et ailleurs. Oui, mais il existe tout autant que le trafic d'organes qui sévit malheureusement dans le monde. Je ne comprends donc pas.

Mme la ministre a indiqué que les cellules souches embryonnaires étaient plus performantes que les cellules souches après transfert nucléaire. Certes, des travaux sont engagés sur la question, mais le recul dont nous disposons reste insuffisant pour juger lesquelles sont les plus performantes. Le définir réclame des travaux complémentaires ; vous n'empêcherez pas les chercheurs de les entreprendre.

Enfin, si vous interdisez le don d'ovocytes, vous avez toutes les chances que des médecins français récupèrent le matériel après transfert nucléaire. Je rejoins là des observations exprimées par diverses personnalités. Nous ne sommes pas une planète isolée. Heureusement d'ailleurs !

Mme Yvette Benayoun-Nakache. - Madame la ministre, monsieur le ministre, ce texte majeur de cette législature, ainsi que vous l'avez indiqué l'une et l'autre, doit déterminer rien moins que l'avenir de l'humanité.

Madame la ministre, monsieur le ministre, nous n'avons pas toutes et tous le même degré d'information. Nos concitoyens ne sont pas ou peu informés.

Ce texte passera en première lecture au cours de la présente législature, et tant mieux ! Mais nous avons pris du retard. M. Dubernard vient de l'exprimer : ne serons-nous pas en retard lorsque nous le voterons, dans un an ou plus, par rapport à la recherche, qui, elle, aura progressé ?

Ne pouvons-nous pas, ainsi que nous en sommes convenus au cours de la table ronde sur les dons d'organes, en profiter pour animer un vrai débat citoyen avec la population et profiter des campagnes qui s'annoncent autour des thèmes de la sécurité, des retraites et autres, pour animer des débats auprès de la population, qui ne bénéficie pas du même degré d'information que les parlementaires étudiant le texte ?

Je vous soumets l'idée d'animer des tables rondes en direction de la population, bien évidemment avec les parlementaires, les chercheurs et les associations. C'est nécessaire, car on entend souvent en ce moment les termes de clonage et d'euthanasie, sans, en parallèle, développer l'information.

Mon souci est donc de promouvoir le débat citoyen et de définir le degré d'information à apporter. Je vous soumets donc l'idée de débats, de tables rondes, profitant des campagnes que nous allons mener les uns et les autres pour informer la population sur ces sujets, tant il est vrai que le devenir de l'humanité est en jeu.

M. Claude Evin. - J'aurais souhaité revenir sur les éléments de débat relatifs à la convention d'Oviedo.

Par ailleurs, nous allons légiférer et, du moins en l'état actuel du débat, nous allons interdire la production de cellules par transfert nucléaire. Dans le même temps, la législation d'un certain nombre de pays l'autorise. Qu'allons-nous faire concernant l'importation de cellules issues de transfert nucléaire produites dans d'autres pays ? Nous limitons-nous à envisager que cette affaire soit traitée par voie réglementaire, ou considérons-nous que, par cohérence avec l'interdiction, il faut, y compris dans la loi, interdire toute importation de cellules qui seraient produites de cette manière dans d'autres pays ?

M. Bernard Charles, président. - La parole est à Mme la ministre.

Mme Elisabeth Guigou. -  Nous engageons une réflexion commune. La position du Gouvernement est connue, puisqu'elle figure dans le projet de loi. Bien sûr, on ne peut exclure que le débat parlementaire fasse évoluer la position du Gouvernement. C'est le propre de tous les débats parlementaires.

Les réflexions que vous avez développées m'ont beaucoup intéressée. Elles dessinent parfaitement les interrogations fondamentales qu'il faudra trancher dans le projet de loi.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon, le Gouvernement a retenu un choix : oui à la recherche sur les embryons surnuméraires qui ne font plus l'objet de projet parental, et non à l'utilisation de la technique du transfert nucléaire. Je veux souligner l'interdiction explicite - et il fallait la poser - du clonage reproductif, assortie de sanctions pénales extrêmement lourdes, comme c'est normal. A ce titre, j'approuve la sanction pénale de vingt ans de réclusion criminelle, inscrite à l'article 511 du code pénal, qui vise le clonage reproductif.

D'aucuns ne souhaitent pas se contenter de notre propre législation ; je les approuve. Il est très important que nous l'exprimions explicitement dans notre législation. Il faudra que nous soyons plus actifs encore au plan international pour que la proposition franco-allemande que nous avons formulée soit assortie de sanctions. Je souhaite que nous prenions des initiatives pour poser la question du lieu de ces sanctions. Au plan international, une interdiction du clonage reproductif qui ne serait pas assortie de sanctions ou d'une juridiction pour les prononcer, c'est-à-dire la désignation de la Cour pénale internationale compétente, aurait toute chance de rester une recommandation semblable à beaucoup de conventions de l'ONU.

Sur le clonage reproductif, il nous revient de faire avancer cette idée.

Pour le reste, j'ai bien entendu vos remarques : chacun exprime sa conviction. La position du Gouvernement sera répétée. Elle le sera à l'occasion d'amendements qui pourraient être déposés sur l'autorisation de la technique de transfert nucléaire. Au terme d'un processus de réflexion, le Gouvernement n'a pas choisi d'introduire dans la loi la possibilité de recourir à cette technique. Cette position sera tenue. Cela dit, c'est le Parlement qui vote. Mais la position du Gouvernement sera clairement exprimée en ce sens, pour les raisons que nous avons exposées.

Sur l'agence, M. Alain Claeys a posé beaucoup de questions, tant sur son degré d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif que sur la place des parlementaires. Le Gouvernement considère que l'agence doit être dotée de toutes les garanties pour fonctionner sans subir de pressions, mais c'est au législateur de décider.

Je vous livre une réflexion, car, là encore, le débat aura lieu : indépendance par rapport à quoi et par rapport à qui ? A un moment donné, la responsabilité du politique s'exerce, sur ces questions comme sur d'autres. Chacun est indépendant et exerce son autonomie de réflexion : les parlementaires, le Gouvernement, les scientifiques. Mais, à un moment donné, la responsabilité s'exerce sur les responsables politiques, excepté dans le cas des actes répréhensibles. Les décisions sont entourées d'une telle difficulté que le dispositif que nous avons proposé est bon.

Sur l'activité d'AMP, je ne crois pas raisonnable d'avoir une agence décisionnaire à part, car je ne crois pas que l'on puisse séparer l'AMP du reste de l'activité hospitalière, en particulier de l'obstétrique, de la périnatalité, du plateau technique d'imagerie et de biologie moléculaire. Je ne pense pas que la comparaison avec l'AFSSAPS soit bonne. L'AFSSAPS délivre des autorisations de produits, non des autorisations d'activités de soins qui concernent des patientes et des hôpitaux. Vous comprendrez que je sois plus nette sur l'AMP que sur la première question, sur laquelle nous allons certainement débattre à nouveau. Je crois que, sur cette question, revenir sur la position gouvernementale serait une profonde erreur.

En ce qui concerne la brevetabilité du vivant, alors que j'étais Garde des Sceaux, je m'étais exprimée sur ce sujet en indiquant qu'il fallait distinguer entre ce qui résultait de la recherche et ce qui relevait du vivant, du génome, qui appartient à tous. La position prise par le Gouvernement a été exprimée par M. Roger-Gérard Schwartzenberg qui a présenté la transposition de la directive européenne en conseil des ministres. La loi de transposition transpose toute la directive, sauf l'article V, celui qui posait problème. Nous n'avons pas obtenu de la Commission européenne les éclaircissements que nous demandions.

M. Jean-Marie Le Guen posait la question de savoir comment on légifère. Au niveau européen, ce texte a pu passer dans le conseil « marché intérieur », sans avis préalable ni du ministre de la Santé, ni celui de la Justice, ce qui me semble regrettable. Lorsque j'ai posé ces questions à Bruxelles, on m'a répondu que le Conseil était unique. Rien n'empêche que ce soit un Conseil désigné pour voter et prendre des décisions, mais, on peut, sur de tels sujets, demander l'avis d'autres membres du Conseil. Je n'en dis pas plus.

Sur l'assistance médicale à la procréation, sur les questions posées par Yvette Roudy, notamment les techniques de stimulation ovarienne, il faut en effet les régir par des règles de bonne pratique pour éviter les inconvénients d'une stimulation mal maîtrisée pour la femme. On définit les conditions de conservation et d'arrêt de la conservation des embryons, puisque les deux membres du couple sont interrogés chaque année sur la question de savoir s'ils maintiennent leur projet parental. Si non, ils peuvent choisir l'accueil de l'embryon par un autre couple, le don de l'embryon pour la recherche ou encore l'arrêt de la conservation. Quel que soit le choix du couple, la procédure de consentement est rigoureusement encadrée. En cas de désaccord des deux membres du couple, le texte prévoit que la conservation est arrêtée au bout de cinq ans, sans autre possibilité d'utilisation.

Si nous étendons le collège des donneurs vivants, c'est parce que nous sommes en situation de pénurie. Le professeur Dubernard a très bien décrit les situations auxquelles les médecins sont confrontés. Evidemment, il faut essayer de privilégier le don après la mort. N'aurions-nous pas intérêt, à partir de la loi, à mettre en place une réflexion sur la collecte en général ?

Je rappelle les règles relatives aux prélèvements et le régime du consentement retenu. Pour les vivants, c'est le consentement éclairé ; pour les morts, il existe des règles précises, et un registre national des greffes qui enregistre le refus du vivant de la personne sur laquelle on ne pourra procéder au prélèvement après son décès. Le dispositif doit permettre d'éviter les abus. Un même système existe pour les autopsies médicales. J'ai rappelé que l'on pouvait passer outre, y compris pour les autopsies, en cas de nécessité de santé publique absolue, par exemple pour le diagnostic de l'ESB.

Alain Calmat demande pourquoi on accepte la recherche sur les embryons surnuméraires issus de gamètes, alors que l'on refuse la recherche sur les cellules par transfert nucléaire. Je crois avoir donné les raisons pour lesquelles le Gouvernement avait retenu ce choix. La technique du transfert nucléaire, en l'état actuel des choses, risque de conduire à des dérives. En l'absence de règles internationales, on assisterait à des utilisations excessives d'ovocytes et à des risques de commercialisation et de trafic. Dès lors que la technique est utilisée, des dérives terribles de clonage reproductif sont possibles. Je dis bien « en l'état actuel des choses ». C'est la vraie question. Il faut donc légiférer sur le clonage reproductif, ce que nous faisons, et sur le transfert nucléaire. Le Gouvernement a choisi de ne pas l'autoriser, mais les lois pourront être révisées. S'il apparaît un jour que les raisons pour lesquelles nous n'autorisons pas aujourd'hui le clonage reproductif évoluent, rien n'interdira au législateur de se poser ces questions.

M. Dubernard a eu raison d'insister sur le fait que l'on ne mentionne qu'insuffisamment les risques encourus par les donneurs vivants.

Des observations ont porté sur la façon de légiférer. Si le projet de loi supprime la révision automatique au bout de cinq ans, c'est parce que nous avons considéré que la création de l'agence permettra d'alerter le Parlement et le Gouvernement sur l'opportunité ou la nécessité de légiférer en raison de l'évolution des techniques. Il nous semble opportun de ne pas figer le temps de la révision. Le législateur peut d'ailleurs se saisir chaque fois qu'il le décide ; il pourra ainsi intervenir de façon plus souple.

M. Bernard Charles, président. - Il faudrait le préciser dans le texte, car cette idée n'apparaît pas clairement.

Mme Elisabeth Guigou. - Peut-être.

J'en viens à la question de la généralité du texte par rapport aux précisions : l'équilibre est, en ce domaine, toujours très difficile à trouver. Bien sûr, sur la bioéthique, il est nécessaire de définir des principes, mais cela dépend aussi des sujets. S'agissant notamment de ceux qui touchent aux droits civils, si on n'est pas suffisamment précis, les tribunaux tranchent. On l'a vu avec l'arrêt Perruche.

J'ai dit ce que je pensais sur l'environnement international.

Les trafics d'organes existent, mais ils sont interdits. Je ne comprends pas pourquoi, parce que des trafics existent, nous devrions ouvrir une nouvelle possibilité de trafic avec le don d'ovocytes. Il convient de contenir les possibilités de trafic ; c'est l'idée qui préside à la rédaction des dispositions relatives aux dons d'ovocytes. Vous avez raison, Madame Boisseau : les trafics d'organes d'êtres humains sont tout aussi choquants. C'est précisément pourquoi il convient de prendre des précautions.

S'agissant des tables rondes, le débat sera là.

Je crois avoir répondu aux questions de M. Claude Evin. Elles sont centrales dans notre débat.

Le Gouvernement a retenu ses choix après réflexion. Le texte transmis à l'Assemblée n'est pas, en particulier sur la question du transfert nucléaire, celui qui avait été envisagé à l'origine. Je vous ai indiqué pourquoi. Dans ces débats sur la bioéthique, il faut accepter l'idée de prendre le temps nécessaire et de revenir sur des positions exprimées à un moment donné. Surtout, il faut laisser ouverte la possibilité de réviser et de revenir, le cas échéant, pour faire plus ou pour faire moins d'ailleurs.

M. Bernard Charles, président. - La parole est à M. le ministre de la Recherche.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. - Madame Guigou a largement répondu aux questions posées par les parlementaires. J'apporterai simplement quelques compléments.

D'abord, par rapport aux propos de M. le Rapporteur, Alain Claeys. Sur le statut de l'agence et sur son rôle, Mme Guigou s'est largement prononcée.

L'importation, sujet important, a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Une pétition a été signée par plusieurs scientifiques, dont quatre Prix Nobel, qui, non seulement sont des hommes de science, mais aussi des hommes de conscience, comme MM. Jean Nossé, Jean-François Jacob, Georges Charpark. Cette pétition reposait sur le fait, qu'à leurs yeux, cette question tardait à être réglée par voie législative. Par conséquent, désireux de ne pas voir les chercheurs rester dans l'impossibilité de réaliser les travaux autorisés dans d'autres pays, ils souhaitaient qu'en l'absence de processus législatif, il puisse y avoir importation. Dans la mesure où il n'y a pas blocage ou arrêt du processus législatif, la question de l'importation n'est pas, selon eux, posée de la même manière. Cela dit, je suis très attentif au fait exposé par plusieurs parlementaires : le projet de loi connaîtra, en raison des différentes lectures, un examen qui durera plusieurs mois ou davantage. On peut donc s'interroger sur le point de savoir, comme le suggérait à l'instant M. le Rapporteur, si, une fois qu'aura eu lieu un débat en première lecture à l'Assemblée nationale, on ne pourrait envisager d'autoriser les importations, dans la mesure où l'Assemblée nationale, peut-être le Sénat, se seraient déjà exprimés positivement sur le principe de recherche sur les cellules souches embryonnaires. C'est un point qui pourrait être ouvert à la réflexion.

Le second : je comprends le point de vue de M. le Rapporteur, qui considère que, si les importations sont envisagées, celles-ci doivent porter sur des cellules issues des mêmes procédés que ceux autorisés par la loi en France. En quelque sorte, il faudrait imposer un parallélisme entre la « production » de cellules souches embryonnaires en France et l'importation de cellules souches embryonnaires produites exclusivement à partir des mêmes processus.

Mme Roudy a évoqué le don d'ovocytes. Actuellement, on sait congeler les ovaires quand les femmes ont subi une ablation suite à un problème grave de santé, mais on ne sait pas encore appliquer cette technique aux ovocytes.

M. Bur est intervenu de manière très intéressante sur plusieurs points, notamment sur les dons provenant de donneurs décédés et sur la nécessité de promouvoir ces dons par une meilleure information et une meilleure organisation de l'expression de la volonté des donneurs de leur vivant.

La convention internationale, préparée par l'ONU et que nous voulons voir adoptée par les Etats membres, comportera des sanctions pénales. Dans la mesure où il s'agit pour l'heure d'un projet de résolution, déposé conjointement par la France et l'Allemagne, invitons l'ONU à élaborer une convention internationale. C'est dans ce cadre que figureront les sanctions pénales. Le processus lancé conjointement par la France et par l'Allemagne progresse efficacement, car la sixième commission de l'Assemblée générale de l'ONU a déjà adopté ce texte le 19 novembre dernier. Au tour de l'Assemblée générale de l'adopter.

M. Foucher a posé la question du rapport annuel. Comme l'ont également exprimé plusieurs parlementaires, il souhaite, au-delà même du rapport annuel de l'agence transmis au Parlement et au Gouvernement, que des possibilités de veille scientifique interviennent de manière plus fréquente ou plus ponctuelle. Ce souci figure dans le dispositif de veille scientifique ; ainsi l'agence peut, à tout moment, proposer au Gouvernement des évolutions législatives rendues nécessaires ou souhaitables par l'évolution des connaissances scientifiques.

L'intervention de M. Dubernard fut extrêmement intéressante, qui a posé la question de savoir s'il fallait toujours légiférer. Cela reste un problème constant sur ces sujets qui font intervenir des considérations éthiques. Nous sommes dans l'obligation de le faire, parce que la loi actuelle interdit la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Si le Parlement ne légiférait pas pour l'autoriser, nous demeurerions dans le cadre d'un processus où nous ne pourrions mener ces recherches.

Sur le sentiment des chercheurs d'être victimes de restrictions, voire d'ostracisme, je partage assez largement votre avis. Je le disais à propos des Prix Nobel, mais c'est vrai de tous les chercheurs : ce sont des femmes et des hommes de science et de conscience. La vision de certains chercheurs, rare d'ailleurs, transformés en docteurs Frankenstein et se livrant à des recherches insensées n'est pas du tout une vision qui concerne notre pays. Ils sont donc parfois déçus lorsqu'ils voient qu'ils ne peuvent conduire en France des recherches menées par des collègues étrangers de pays très proches, comme les Etats-Unis, où la recherche privée est totalement libre. Parallèlement, la recherche publique peut porter, à la suite d'une décision du Président Clinton, reprise en août dernier par le Président Bush, sur des lignées de souches existantes. Quand les chercheurs français constatent qu'ils ne peuvent conduire, en tout cas actuellement, des recherches autorisées dans d'autres pays de culture identique ou analogue, ils en conçoivent une certaine déception. Il ne faudrait pas que nous assistions à un exode des cerveaux ou des chercheurs spécialisés dans ces disciplines qui iraient effectuer leurs recherches dans des pays ayant légiféré ou réglementé plus rapidement que nous.

A M. Le Guen, je réponds : certes, il ne faut pas simplement légiférer « franco-français ». Je suis très sensible à la perception d'une loi qui aurait vocation à être, non un modèle, car le terme serait excessif, mais un signal destiné à tous. En 1789, ceux qui proclamaient les droits de l'homme et du citoyen le faisaient à destination de l'humanité entière. Il est vrai aussi que chaque Etat a sa compétence en matière d'éthique, mais il est important que la législation, fruit des travaux du Parlement, puisse servir de modèle à d'autres pays qui souhaitent s'en inspirer.

Au sujet du clonage reproductif, Elisabeth Guigou a rappelé avec force qu'il était interdit par le projet de loi et que, de surcroît, il fera l'objet d'une interdiction internationale quand la convention sera adoptée. Cette interdiction internationale est nécessaire, car quelques savants parlent publiquement de clonage reproductif. Bien entendu, ils ne pourront mettre en _uvre cette technique dans les Etats dont les fondements reposent sur une vision lucide de la dignité humaine, mais il existe bien quelques Etats dans le monde qui pourraient accueillir des expériences de ce type. Pour éviter une telle dérive, il y a nécessité d'une convention internationale qui prohibe le clonage reproductif dans tous les Etats du monde qui ratifieront la convention.

Mme Boisseau a également mis l'accent sur le fait que nous n'étions pas une planète isolée. En effet, ces problèmes sont souvent évoqués par les différents comités d'éthique qui tiennent parfois des réunions communes : par exemple, on peut citer le sommet franco-allemand et les Comités d'éthique allemand et français qui siègent ensemble. Ils sont également évoqués dans d'autres enceintes, comme au Parlement européen. Ils pourraient l'être dans le cadre de l'ONU si, comme nous le souhaitons, notre processus de mise au point de la convention aboutit. Ces problèmes sont très largement transnationaux ou internationaux. Toutefois, il est souvent malaisé d'arriver à une position commune, même entre des Etats voisins. On le voit au sein de l'Europe des Quinze, qui offre une variété de positions juridiques, en tout cas d'origine éthique. Par exemple, entre l'Irlande à un bout de la chaîne, et la Grande-Bretagne à l'autre bout, les positions sont extrêmement différentes. Même si l'on veille à construire un consensus entre les différents pays européens, il n'est pas certain que nous puissions y parvenir.

Mme Benayoun-Nakache a souligné que nous avions pris un certain retard. Il est lié au fait que les connaissances scientifiques ont très fortement évolué dans l'intervalle et qu'il fallait s'assurer de bien maîtriser leur apport pour légiférer à bon escient. Enfin, c'est le souci d'aboutir à un texte de consensus qui a fait que, comme nous étions désireux de recueillir tous les avis d'instances consultatives, ce débat a pris un peu plus de temps que prévu.

M. Evin a posé le problème de la ratification de la déclaration d'Oviedo. Elle comporte beaucoup d'éléments positifs. Nous l'avons signée sans la ratifier. A ce jour, seuls trois pays l'ont ratifiée. Le fait de la ratifier signifierait que nous nous interdirions durablement le transfert nucléaire, puisque le clonage thérapeutique figure parmi les interdits de la convention d'Oviedo. C'est envisageable, mais, en ce cas, nous légiférerions, non seulement pour le présent, mais aussi pour l'avenir, sachant qu'il est plus difficile ensuite de dénoncer une convention internationale que de modifier une législation nationale existante. Je comprends néanmoins le souci exprimé par M. Evin.

M. Bernard Charles, président. - Merci, monsieur le ministre.

Madame, Monsieur, merci de votre participation.


Audition de Madame Marylise LEBRANCHU,
Garde des sceaux, ministre de la Justice

(Extrait du procès-verbal de la séance du mardi 8 janvier 2002)

Présidence de M. Bernard CHARLES, président

M. Bernard Charles, président. - Mme la ministre, vous savez que notre Commission spéciale est chargée d'examiner le projet de loi de révision des lois bioéthiques de 1994. C'est un projet qui intéresse plusieurs ministères, dont le vôtre, par toutes sortes de conséquences des choix qu'il implique. Pendant un an, nous avons procédé, au sein de la Mission d'information, à des auditions très larges. Désormais, la Commission spéciale a engagé le travail proprement législatif, ce qui traduit le nombre croissant d'amendements dont nous sommes saisi. Mme la ministre, avant de donner la parole à notre Rapporteur, je vous suggère de présenter les principaux points qui, dans le projet de loi, sont en rapport avec votre action.

Mme Marylise Lebranchu. - L'orientation générale du projet de loi relatif à la bioéthique vous a été présentée lors d'une précédente audition ainsi que les principales novations qu'il comporte. Je vais essayer de centrer mon propos sur les aspects du texte qui intéressent plus directement mon ministère, à savoir les modifications apportées au droit civil, d'une part, et au droit pénal, d'autre part.

Les lois de 1994 ont placé en tête du code civil aux articles 16 et suivants l'énoncé des principes généraux concernant le respect du corps humain, la primauté de la personne, le respect de l'être humain dès le commencement de la vie, l'inviolabilité et l'indisponibilité du corps humain et enfin l'intégrité de l'espèce humaine. Ces principes guident toujours, comme en 1994, la démarche des pouvoirs publics. C'est en puisant à leur source que le projet de loi propose les adaptations législatives induites par les innovations scientifiques intervenues depuis plus de six ans.

A ces principes fondamentaux, il est proposé d'ajouter l'interdiction du clonage des êtres humains. L'état des sciences et techniques témoigne du fait que l'éventualité du clonage d'un être humain ne relève plus de la science fiction. Diverses conventions internationales, dont la convention du Conseil de l'Europe, dite d'Oviedo, ont déjà posé cet interdit fondamental au regard du respect de l'intégrité de l'espèce humaine. La reproduction sexuée, qui seule permet la combinaison aléatoire de deux patrimoines génétiques fonde, en effet, la singularité et l'autonomie de la personne humaine. Vous savez que nous avons été, à l'initiative, avec les autorités allemandes, d'une résolution présentée à l'Organisation des Nations unies pour rendre cet interdit universel et faire réprimer son éventuelle transgression dans tous les pays du monde. Il est impérieux que la législation française reprenne désormais à son compte ces avancées du droit international.

Si le consensus est, en France du moins, absolu sur le principe de l'interdit du clonage reproductif, les termes de sa formulation peuvent être discutés. Je sais que la formulation que le Gouvernement avait retenue - je la rappelle : « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de faire se développer un embryon humain, qui ne seraient pas issus des gamètes d'un homme et d'une femme » - pourrait être lu comme englobant dans l'interdit les interventions médicales ou obstétricales permettant l'accouchement d'une femme ayant subi l'implantation d'un embryon cloné. Telle n'est évidemment pas notre intention. Il faut trouver une formule dénuée d'ambiguïté tout en restant centré sur l'essentiel de l'interdit, à savoir le clonage réalisé dans la perspective de donner naissance à un être humain. Je ne doute pas que votre Commission fera d'utiles propositions en ce sens.

Par ailleurs, le projet de loi déposé par le Gouvernement comportait une série de dispositions sur la prohibition des discriminations opérées en raison des caractéristiques génétiques d'une personne. L'ensemble de ces dispositions a toutefois été transféré dans le projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, lors de sa première lecture à l'Assemblée nationale en octobre dernier. Ce transfert permettra une entrée en vigueur plus rapide de ces dispositions, mais il ne faut pas oublier de faire le lien avec le présent projet.

Les autres modifications apportées au code civil sont moins importantes. Elles portent sur le chapitre III du livre Ier et visent, d'une part, à toiletter l'article 16 bis relatif à l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne et surtout à régler la question de l'identification génétique à des fins civiles des personnes décédées dans le cas de l'établissement ou de la contestation d'une filiation, notamment. Il est ainsi prévu de préciser, explicitement, que l'opposition expressément manifestée de son vivant par une personne à une mesure d'identification par empreintes génétiques fait obstacle à toute mise en _uvre de celle-ci après son décès. Le projet de loi comporte, d'autre part, un certain nombre de dispositions pénales. Il s'agit de l'actualisation des incriminations au regard des nouvelles dispositions de fond posées par le texte. La plus importante vise, bien entendu, la transgression de l'interdiction du clonage des êtres humains. Je préciserai simplement qu'en matière de bioéthique, les dispositions pénales ont essentiellement une dimension symbolique. Depuis l'entrée en vigueur de la législation de 1994, le contentieux pénal est extrêmement marginal. A ma connaissance, quatre condamnations seulement ont été prononcées sur son fondement. Cela témoigne, je crois, de l'efficacité du dispositif administratif et scientifique, qui ne suscite que très peu de dérives ou de dysfonctionnements tombant sous le coup d'une incrimination pénale. Je pense qu'il faut s'en féliciter. Voilà les quelques propos liminaires que je souhaitais présenter.

M. Bernard Charles, président. - Notre Rapporteur, M. Alain Claeys, va nous indiquer les chapitres qu'il souhaite avec nous, mettre à l'ordre du jour de cette discussion, et puis nos collègues pourront échanger avec vous sur les différents aspects que vous avez évoqués.

M. Alain Claeys, Rapporteur. - Mme la ministre, pour ne pas allonger mon intervention, je vais m'en tenir à deux sujets. Le premier concerne l'opportunité d'autoriser le transfert d'embryons post mortem, dès lors que le père y a consenti de son vivant. Je voudrais que vous nous précisiez les raisons qui ont conduit le Gouvernement à retirer cette disposition de son avant-projet de loi et quelle serait l'attitude du Gouvernement si la Commission décidait de reprendre cette disposition en fixant en particulier deux délais, un premier délai, de six mois, afin que la veuve ou la compagne puisse prendre la décision de poursuivre le projet parental et un second de dix-huit mois, au cours duquel pourra être réalisé le transfert des embryons.

La Convention d'Oviedo est le deuxième sujet sur lequel je voudrais attirer votre attention. Selon vous, dans quel délai notre pays sera-t-il en mesure de ratifier cette convention ? Des réserves devront-elles, selon vous, accompagner cette ratification, et lesquelles ? J'y insiste, car nous avions pensé qu'à l'occasion de la révision des lois bioéthiques, on aurait pu imaginer de ratifier en même temps cette convention. Il nous a été répondu qu'existait un certain nombre de difficultés. Même si ce n'est pas possible à l'occasion de cette révision des lois bioéthiques, il me paraît important de donner un signe, au niveau international, à notre réflexion sur les questions bioéthiques. C'est pour cela que je souhaiterais que vous puissiez nous éclairer sur cette convention.

Mme Marylise Lebranchu. - L'opportunité d'autoriser le transfert d'embryons post mortem, comme vous l'avez rappelé, M. le Rapporteur, figurait en effet dans l'avant-projet et c'est le Conseil d'Etat qui a disjoint les dispositions que le Gouvernement avait initialement envisagées au motif - je cite - « que le fondement incertain dans le texte de ce principe nouveau, contraire à celui posé clairement en 1994 par le législateur, conduit à un régime juridique complexe source d'insécurité, lorsqu'il s'agit de recueillir le consentement de l'un et l'autre parent ou de régler la succession ouverte par la mort de l'homme qui a accepté ce transfert ». Les problèmes juridiques posés par le transfert d'embryon post mortem sont effectivement réels - je crois qu'on ne l'a jamais caché d'ailleurs - ils sont néanmoins, me semble-t-il, solubles. En réalité, le Conseil d'Etat semble bien avoir pris une position de principe contraire à celle exprimée en 1999 dans son rapport : « Les lois de bioéthique : cinq ans après ». Face à ce revirement, le Gouvernement a préféré renvoyer cette question à l'appréciation de la représentation nationale. Si vous souhaitez reprendre le dispositif initialement envisagé, le Gouvernement ne peut naturellement qu'y souscrire, puisque c'était sa volonté première. Sur les délais, je vous suis sur l'idée d'instaurer un double délai. Le premier est destiné à permettre à la femme de prendre sa décision dans les conditions les plus sereines possibles. Nous avons souvent rappelé, les uns et les autres, qu'après le choc du décès, il est impossible d'avoir une action raisonnable dans un délai trop court. Le second encadrerait la possibilité effective d'implantation. Je crois que ce choix est pleinement partagé par le Gouvernement et nous vous suivrons dans ce qui vous a conduit à porter ce délai à deux ans. Ensuite sur le consentement du père, vous avez retenu de mon propos introductif qu'effectivement, nous souhaiterions une formulation simple du consentement du père.

S'agissant de la Convention d'Oviedo, les Etats qui l'ont ratifiée, sont à peu près au nombre d'une dizaine. Notre position a été assez simple en ce qui concerne sa ratification. Le Gouvernement a ainsi soumis au Conseil d'Etat, en 1997, un projet de loi autorisant la ratification de la Convention ; celui-ci avait alors émis un avis défavorable en raison - c'est très important - des risques d'incompatibilité de la loi française avec les stipulations de cette convention. En fait, on est en train de modifier cet état de choses, mais il n'est pas souhaitable d'anticiper sur ce que vous allez faire dans le cadre du présent projet de loi par une proposition simultanée de ratification. Je pense qu'il faut respecter la chronologie : il faut que la ratification suive plutôt qu'elle ne précède la révision des lois bioéthiques, mais il va de soi que les principes de cette convention, très largement hérités de la législation française de 1994, ont d'ores et déjà été intégrés dans nos réflexions. Il n'y a apparemment pas de raisons que l'on s'y oppose ; néanmoins - et je pense qu'il faut le rappeler - il y a des difficultés réelles, en particulier concernant le prélèvement de la moelle osseuse sur les mineurs. Vous savez qu'il était interdit d'effectuer ce prélèvement au-delà du frère et de la s_ur, mais on pense aujourd'hui à le réaliser sur les cousins germains. Cette disposition doit être revue. C'était, d'ailleurs, l'une des dispositions du projet initial du Gouvernement censurée par le Conseil d'Etat pour les raisons que je n'ai pas besoin maintenant de développer ici. Ce point précis est extrêmement important. Je crois que toutes les associations concernées vous ont alerté, mais il convient de ne pas anticiper afin de procéder à la ratification après l'adoption de la loi.

Mme Yvette Roudy. - Sur le transfert d'embryons post mortem, j'avais trouvé que la proposition du Gouvernement, qui n'a pas été suivie par le Conseil d'Etat, était globalement satisfaisante sur le fond, mais très compliquée. Je me suis dit, après réflexion : pourquoi faut-il à tout prix légiférer sur ce qui, finalement, concerne un cas dont on a entendu parler une fois en vingt ans ? Parce qu'il y a eu un cas, celui d'un couple qui avait commencé un parcours de procréation médicale assistée, dont le mari meurt pendant ce parcours, il y avait un cas où la femme avait demandé à bénéficier du transfert des embryons, qui lui a été refusé, ce qui pose d'ailleurs, entre nous, mais on n'en parlera pas, la question de savoir à qui appartiennent les embryons. On a donc refusé leur transfert. En 1993, on a décidé de légiférer, d'une manière que j'ai trouvée très brutale, et je vous signale que le Comité consultatif national d'éthique, quelque temps après, avait rendu un avis, me semble-t-il, beaucoup plus humain. Il avait dit : de quel droit pourrions-nous refuser à cette femme, qui a fait un tel parcours, de ne pas l'achever ? Finalement, considérant la rareté des cas, pourquoi faut-il à tout prix légiférer ? Pourquoi ne pas tout simplement abroger la disposition qui empêche le transfert post mortem et dire que si jamais il se pose un cas semblable, l'Agence donnera son avis, et on répondra au cas par cas. C'est ma position.

Mme Marylise Lebranchu. - Je comprends parfaitement le sentiment qu'exprime Mme Yvette Roudy. En revanche, la femme qui va prendre cette décision, si elle conduit une grossesse dix-huit mois après le décès de son mari, n'a pas le droit que la filiation de son enfant, vis-à-vis du père, soit reconnue. Dans le droit actuel, l'enfant né dans ces circonstances n'aurait d'état qu'à l'égard de la mère. En modifiant le droit civil, on peut en revanche assurer par dérogation cette filiation, dès lors que le père a donné son consentement de son vivant. C'est tout simplement l'enfant du couple, c'est pourquoi il faut légiférer, sinon c'est un enfant qui n'a pas de filiation, donc pas non plus de droit de succession.

Il faut donc que ce soit clair et acté dans une loi que l'on peut avoir un enfant plus de « x » mois après le décès d'une personne, sinon cet enfant ne pourra pas être appelé à la succession du défunt.

Mme Nicole Catala. - Je voudrais demander si dans ce cas là, l'accord du père vaut reconnaissance anticipée de l'enfant, comme enfant légitime ou naturel. Est-ce que le texte tranchera la question ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau. - Sur le même sujet, j'abonde dans le sens de ce qu'a dit Mme Yvette Roudy. Dans la mesure où il y a un ou deux cas, un cas à ce jour, est-ce qu'il faut vraiment légiférer à partir d'une situation isolée ? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux laisser cela à la libre appréciation de l'équipe pluridisciplinaire et de l'Agence.

Mme Marylise Lebranchu. - Ça ne va pas. Je suis désolée. Vous avez raison sur la vie ; en droit, vous n'avez pas raison parce que l'enfant doit être conçu au moment du décès du père, c'est-à-dire être né au maximum trois cents jours pour être reconnu « enfant de » et être appelé à la succession. On est donc obligé de modifier notre code pour que... La vie et le droit s'accorderont grâce à ce texte.

Mme Christine Boutin. -  Et puis, il peut y avoir tiers donneur.

Mme Marylise Lebranchu. - De notre volonté, on n'a pas voulu l'exclure, ça reste une démarche du couple. Rien n'oblige effectivement le père dans ce cas à donner l'autorisation d'implantation post mortem...

M. Bernard Charles, président. - Le choix appartient à l'homme qui peut accepter ou refuser de consentir au transfert post mortem dans le cadre d'une AMP avec tiers donneur ; il doit alors assumer sa décision comme il le fait dans la vie normale.

Mme Marylise Lebranchu. - Il assume la filiation comme s'il était vivant et ce que je lui souhaite surtout c'est de rester vivant.

M. Pierre Hellier. - Je n'avais pas pensé au tiers donneur, effectivement. Mais si le couple a recours à un tiers donneur, il va de soi que, à la limite...

Mme Nicole Catala. - Dans ce cas là, y aura-t-il reconnaissance anticipée.

M. Jean-Pierre Foucher. - En cas de décès de la mère, le père ne peut pas demander de réimplantation des embryons du couple chez une autre femme ?

Mme Marylise Lebranchu. - Nous avons, jusqu'à ce jour, refusé les mères porteuses. Ce que vous nous proposez, c'est une mère porteuse. Nous continuons à refuser les mères porteuses.

M. Alain Claeys, Rapporteur. - Je suppose que nous aurons l'occasion, M. le Président, de reparler de cela dans nos travaux de Commission. Je souscris à ce qui disait Mme Yvette Roudy. Malheureusement, pour donner cette liberté à la femme et donner des garanties à l'enfant, il est nécessaire de légiférer.

M. Bernard Charles, président. - Nous avons abordé ce problème de l'autorisation de transfert d'embryon post mortem avec bien sûr, je le rappelle, consentement du père de son vivant. Il faut être clair.

Mme Nicole Catala. - Je pense que la nécessité du consentement de la personne défunte pour un prélèvement post mortem ne devrait pas être requise en cas d'investigations pénales. Il y a des vérifications génétiques liées à des affaires pénales. Le domaine civil est-il seul visé ?

M. Bernard Charles, président. - C'est le domaine civil, on est bien clair. Vous confirmez, Mme la ministre ?

Mme Marylise Lebranchu : -  Oui.

M. Dominique Raimbourg. - Sur cette question, c'est l'interdiction, mais l'interdiction n'emporte pas réponse à la question. Un homme fait savoir qu'il ne veut pas qu'on fasse de recherche de paternité post mortem.

M. Bernard Charles, président. - On aborde ici la question que l'on appelle couramment l'affaire dite « Montand ».

M. Dominique Raimbourg. - Un homme fait savoir avant son décès qu'il ne veut pas faire l'objet de recherche génétique après sa mort, mais cela n'empêche pas le juge chargé de trancher la question de tirer toute conséquence de ce refus, comme il l'aurait fait pour un vivant.

M. Bernard Charles, président. - Il semble, sur ce sujet, que notre Commission soit assez divisée. Si l'on refuse de son vivant qu'il y ait une recherche et que, comme certains le disent, « la génétique s'arrête au cimetière », est-ce que le juge ne considérera pas que le fait d'avoir refusé cette recherche est l'aveu déguisé d'une paternité que l'on refuse ? C'est une question que l'on peut se poser. A l'instar du don d'organes, si on ne dit pas non, c'est que l'on accepte. Mais faire l'inverse poserait aussi d'autres problèmes.

M. Pierre Hellier. - Je ne sais pas si j'ai raison, je crois que si l'on refuse les recherches de paternité de son vivant, on ne peut pas les réaliser après la mort, mais à ce moment-là on assume le diagnostic judiciaire de paternité, cela me paraît évident.

Mme Marylise Lebranchu. - Il s'agit d'un sujet particulier. Il s'agit d'une personne qui refuse expressément toute recherche à partir de ses empreintes génétiques. Elle exprime ce refus exprès de son vivant et ce refus exprès est considéré après sa mort. Cela n'empêche pas une personne d'entamer une action en recherche de paternité. Il existe en effet d'autres indices, d'autres faisceaux d'indices et le juge peut dire, après avoir étudié tout cela s'il pense que.... Mais rien n'empêche une recherche en paternité avec d'autres indices, comme cela se faisait d'ailleurs autrement.

M. Pierre Hellier. - Quel est l'intérêt puisque finalement cette paternité semble acquise, en tout cas légalement dans le principe, si celui qui ne veut pas que soit réalisée une identification génétique, est présumé être le père ? Alors là c'est extrapoler, quand même. Le juge peut extrapoler, ça c'est clair.

Mme Marylise Lebranchu. - Non, il n'y a aucune conséquence automatique. Une personne vivante peut refuser cette recherche à partir de ses empreintes génétiques. On respecte cette volonté après son décès, mais la recherche en paternité s'effectuera de la même façon avec des faisceaux d'indices concluant... C'est au juge de le dire. Voilà, il n'y aura pas de prélèvement post mortem puisque ces prélèvements n'avaient pas été autorisés, enfin à notre avis ante mortem.

M. Bernard Charles, président. - De plus, le juge peut exiger une preuve écrite du consentement.

M. Roger Meï. - Donc, on cherche la paternité ; il y a la réponse, mais si on soupçonne cette personne d'avoir commis un crime et qu'elle décède : est-ce que le juge a le pouvoir de passer outre ?

Mme Marylise Lebranchu. - C'est ce que je disais à Mme Nicole Catala, en lui répondant qu'il s'agit d'intervenir dans le domaine civil. Dans le pénal, le juge pourra demander cela. Cela parce qu'on se trouve dans le cas d'une recherche en culpabilité. La personne concernée doit alors se soumettre à une décision et une demande d'expertise avec obligation de moyens de la part du juge. Post mortem, ce sera la même chose.

Mme Nicole Catala. - Quelle est la position du Gouvernement sur les embryons surnuméraires ? Sont-ils destinés à la recherche exclusivement ?

Mme Yvette Roudy. - Seulement ceux qui ne font plus l'objet d'un projet parental.

M. Bernard Charles, président. - Mme Elisabeth Guigou et M. Roger-Gérard Schwartzenberg ont répondu déjà quelle était la position du Gouvernement à ce sujet. Mais, il est évident que sur un tel sujet, vous vous doutez que nous aurons une discussion très approfondie en Commission, et en séance publique bien entendu.

M. Alain Calmat. - Je reviens juste une toute petite seconde sur le sujet précédent. On n'aurait pas le droit de faire de prélèvement post mortem sur les dépouilles, mais est-ce qu'on aura quand même le droit de rechercher des éléments de matériel génétique ?

Mme Marylise Lebranchu. - Dans le cas d'une recherche de paternité, non. Si la personne interrogée de son vivant refuse, ce refus est considéré comme prééminent. Rien à voir avec le pénal, bien évidemment. Il n'y aura pas de recherche, mais il pourra y avoir des esquilles, des témoignages, des lettres, peu importe, des faisceaux d'indices différents. Mais, rien concernant les empreintes...

M. Alain Calmat. - Et si on le trouve comme ça, par hasard, sur un élément matériel.

Mme Marylise Lebranchu - On ne le cherche pas.

M. Alain Calmat. - On ne peut pas s'en servir et on ne peut pas l'utiliser ?

Mme Marylise Lebranchu. - Non.

M. Alain Calmat. - Voilà.

M Jean-Michel Dubernard. - Je souhaiterais intervenir sur un autre sujet, mais qui concerne la loi également. Mme la ministre pourrait-elle obtenir assez rapidement des informations sur la manière dont les magistrats des tribunaux de grande instance et les présidents de tribunaux de grande instance considèrent le don d'organe à partir de donneurs vivants ? Vous savez que le président ou le magistrat désigné par lui doit s'assurer du fait que le consentement est libre et éclairé. Je voudrais savoir comment les magistrats considèrent cette fonction, et deuxièmement, que pensent-ils d'un élargissement éventuel du cercle des donneurs ? En d'autres termes, pour le moment, cet acte est fait de façon très symbolique, très rapide puisqu'il s'agit de dons intra-familiaux. Quand on va avoir à faire à des amis des amis ou à des amis des amis du cousin, le risque de dérive commerciale est majeur. Or, une telle dérive commerciale signifie qu'un organe humain est considéré comme une marchandise, alors que le corps humain n'est pas un « sac de marchandises » mais le véhicule de la dignité humaine. Il serait donc intéressant de savoir comment les magistrats considèrent ce nouveau rôle élargi qui pourrait leur incomber.

M. Bernard Charles, président. - M. Dubernard soulève une importante discussion que nous avons déjà évoquée en Commission. C'est l'extension du champ des donneurs vivants. Les magistrats doivent vérifier les conditions d'acceptation du don. Il n'est pas facile de définir législativement, d'une manière précise, un lien stable et durable. C'est facile à écrire, mais difficile pour que le juge à interpréter. C'est tout le débat que nous avons. Nous sommes pris entre deux débats. Certains nous disent : on n'utilise pas assez les cadavres pour les prélèvements parce qu'on n'applique pas la loi. Deuxièmement, on nous dit qu'en situation de pénurie de greffons, il faut étendre le périmètre des donneurs vivants et là se pose le problème du risque de passer d'un don, qui est l'expression d'un acte de solidarité, à un acte réalisé sous pression commerciale. On nous a cité certains exemples, comme celui de deux amies très proches dont l'une avait besoin, pour survivre, d'un don d'organe. Devant l'impossibilité en France de permettre ce don entre ces deux amies, ces dernières ont souhaité procéder au prélèvement et à la greffe en Inde où l'une des deux est décédée. Il y a donc là un vrai problème. Le rôle du magistrat est donc très important.

Mme Marylise Lebranchu. - Honnêtement, je ne peux pas dire aujourd'hui ce que les magistrats pensent sur un plan pratique de la situation. Mais un certain nombre d'entre eux ont participé à l'élaboration de ces textes. C'est difficile d'avoir une opinion. Mais il a bien été dit et redit que le rôle du juge civil ne consiste qu'à vérifier le consentement du donneur ; Il ne lui appartient pas de dire si c'est le bon donneur ; il vérifie simplement que le donneur a les liens exigés pour le don et qu'il est effectivement consentant. Je crois que c'est ça l'importance du rôle du magistrat, mais j'entends votre remarque.

M. Jean-Michel Dubernard. - Il y a une différence entre une mère qui donne son rein à son fils...

Mme Marylise Lebranchu. - Oui, tout à fait.

M. Jean-Michel Dubernard - Le risque de dérive commerciale est majeur, on le sait, mais le magistrat doit jouer un rôle clé si on veut l'éviter.

Mme Marylise Lebranchu. - Oui, mais il y a un double filtre. Vous avez le comité d'experts d'abord, puis le juge qui, lui, doit vérifier qu'effectivement la personne n'a pas subi de pression. Le comité d'experts, je pense, sera suffisamment qualifié pour éviter la dérive commerciale et le magistrat, pour éviter que quelqu'un puisse consentir au don sous la pression, même amicale. On est là dans un domaine où c'est bien le rôle d'un juge. Il serait intéressant, comme vous le suggérez, d'interroger les magistrats sur cette question.


Table ronde sur la loi du 20 décembre 1988 relative
à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales,
avec la participation de :
M. Nicolas BEST, secrétaire général de la Délégation à la recherche
publique de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris,
M. le Docteur François CHAPUIS, président de la conférence
nationale des CCPPRB,
Mme Odile CORBIN, représentante du SNITEM,
M. Claude HURIET, membre du Conseil économique et social,
M. le Professeur François LEMAIRE,
M. Yannick PLETAN, représentant du SNIP

(Extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 9 janvier 2002)

Présidence de M. Bernard CHARLES, président

Le compte rendu de cette table ronde fait l'objet d'un fascicule distinct.

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N° 3528.- Rapport de M. Alain Claeys, au nom de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique (auditions).


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