COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 11 bis


(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 17 septembre 2002
(Séance de 9 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Table ronde, en présence de la presse, sur le thème suivant : « L'organisation interne de l'hôpital public est-elle au service du malade ? »

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TABLE RONDE DU 17 SEPTEMBRE 2002

« L'organisation interne de l'hôpital public est-elle au service du malade ? »

M. Jean-Michel DUBERNARD, président. Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est très heureuse que vous ayez répondu à cette invitation.

Cette table ronde, consacrée à l'organisation interne de l'hôpital public, me tient particulièrement à c_ur. D'abord en tant que président de la commission des affaires sociales, mais aussi comme praticien hospitalier. Je considère la question de la crise de hôpital public comme cruciale.

L'hôpital public traverse de grandes difficultés, c'est le moins que l'on puisse dire. Chaque semaine, les médias relatent ses dysfonctionnements, à partir de faits divers interprétés de façon plus ou moins objective. Signe des temps, Le Monde lui a consacré une page et un éditorial il y a huit jours et une double page il y a quatre jours, rendant compte de l'avis de plusieurs personnes travaillant au sein de hôpital.

L'opinion publique commence à s'inquiéter et à s'émouvoir. En ce qui concerne les personnels, il devient presque impossible de rencontrer un médecin, une infirmière ou un cadre administratif épanoui dans son travail. Peut-être nos invités nuanceront-ils cette interprétation ? Mais au bout de la chaîne, la victime de la crise est évidemment le malade, le malade oublié ou qui a le sentiment de l'être.

Pour expliquer les raisons de cette crise, les médias, les observateurs, les professionnels et les syndicats évoquent toute une série de causes.

Je les cite dans le désordre : les ressources financières et le système de financement ; les locaux inadaptés ou mal entretenus ; les équipements insuffisants, dont le renouvellement est rendu difficile par les réglementations et par les conditions de passation des marchés publics ; les statuts des personnels et la gestion des carrières marquée par l'absence de formules d'intéressement et la faiblesse de la prise en compte des qualités et des efforts individuels ; les niveaux de rémunération des personnels largement inférieurs à ceux de leurs homologues européens ; la réduction du temps de travail appliquée avec brutalité, alors même que les trente-neuf heures n'étaient pas encore « digérées » ; le manque de médecins et d'infirmières et le recrutement sans discernement de praticiens étrangers ; ou encore la qualité des formations délivrées aux médecins, aux infirmières, aux aides-soignants et aux cadres administratifs.

Toutes les raisons sont évoquées, sauf une, qui est l'organisation interne des hôpitaux. Or, une organisation efficace permettrait un meilleur emploi des ressources disponibles, financières et humaines, et permettrait de réorienter l'hôpital vers sa mission initiale et essentielle : soigner.

Curieusement, les progrès prévus dans la loi de 1991 et dans l'ordonnance hospitalière de 1996, notamment les centres de responsabilités, ne sont toujours pas inscrits dans la réalité. Pourquoi de telles réticences de la part de toutes les catégories de personnels hospitaliers ?

C'est ce qui a poussé le bureau de la commission à organiser cette table ronde, sans a priori ni idées préconçues, dans la concertation la plus large possible. A quelques jours de l'examen par le Parlement du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, cette matinée nous permettra de faire le point sur l'organisation actuelle et sur ses dysfonctionnements.

Le nombre de participants à cette table ronde a été limité à une trentaine d'invités qui, tous, sont représentatifs à des titres divers de notre système d'hospitalisation.

J'ai invité quatre témoins pour lancer la discussion, originaires de régions différentes, exerçant pour certains des professions hospitalières diverses, ayant chacun un rapport particulier à hôpital public dans ses différentes formes juridiques, de l'hôpital intercommunal à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Chacun a accepté de venir partager son expérience. Je les remercie chaleureusement. Vous apprécierez leur franc-parler et leur honnêteté intellectuelle. C'est le seul critère que j'ai posé. Ils n'appartiennent à aucune structure officielle, à aucun syndicat, à aucune association. Mais, outre les députés et sénateurs invités, il y a dans la salle des représentants institutionnels de toutes les professions de l'hôpital public.

A partir des contributions de ces témoins, je souhaiterais que le débat s'engage avec vous tous. Permettez-moi de vous les présenter :

- M. Rémi Reibel, patient de Lyon.

- Mme Josiane Pheulpin, cadre infirmier à l'hôpital intercommunal de la Haute-Saône, site de Lure.

- M. Henri Kreis, professeur de médecine et praticien hospitalier à l'hôpital Necker-Enfants malades de Paris.

- M. Alain Gaillard, directeur du centre hospitalier général de Brive-la-Gaillarde.

La matinée s'organisera de la façon suivante : chaque grand témoin interviendra pendant dix minutes pour donner son point de vue. Un débat avec la salle suivra. Ensuite, nous entendrons les réactions des grands témoins, suivies d'une brève synthèse, avant que la table ronde ne prenne fin vers douze heures trente.

Encore merci à tous d'être venus. Je suis très satisfait de vous voir tous présents dans un esprit constructif. Il n'est pas question de « taper » sur telle ou telle catégorie. Le seul objectif est de faire en sorte que l'organisation de l'hôpital puisse être améliorée et que, de cette façon, nous puissions accompagner ce qui se prépare, notamment le plan Hôpital 2007.

M. Rémi REIBEL. Je viens de Lyon, j'ai 35 ans, je suis journaliste, mais ni dans le domaine politique ni dans celui de la santé.

Je connais des problèmes de santé depuis ma naissance. Dialysé pendant plus de vingt-cinq ans trois fois par semaine, j'ai été greffé il y a deux ans. Mon parcours hospitalier, pendant ces trente-cinq années, m'a permis de voir beaucoup de choses, bonnes et mauvaises. J'apporte ici un témoignage, ce que j'ai vécu, sans amertume.

J'ai accepté de témoigner en espérant qu'enfin, il se passe quelque chose. On dit et on entend beaucoup de choses. Vous ou votre entourage avez certainement eu des problèmes de santé. Lorsque vous passez de nombreuses années à l'hôpital, ce n'est pas toujours simple, aussi bien du côté patient que du côté de l'infirmière ou du médecin. C'est dans ce contexte que je voudrais témoigner.

Ma première observation concerne l'évolution des soins donnés aux enfants. Je suis resté huit mois à hôpital après ma naissance. A l'époque, mes parents me l'ont raconté, j'étais chez les s_urs, derrière une vitre. Aujourd'hui, petit à petit, les choses ont évolué. J'ai eu de nombreuses interventions et, à l'époque, la mère ne pouvait pas rester avec son enfant. Mes parents, qui m'ont beaucoup soutenu, se sont battus quotidiennement pour que ma mère puisse rester. Aujourd'hui, les mères peuvent rester, mais pas toujours dans de bonnes conditions, parce que souvent, elles doivent passer la nuit dans un fauteuil « relax ».

Ma deuxième observation portera sur les locaux et l'hygiène, avec toutes les infections et les maladies. Fin juillet, j'ai fait mon bilan de deuxième année de greffe et on m'a servi un café dans un bol lavable. Je trouve cela grave. J'ai refusé ce bol, et lorsqu'on m'a demandé pourquoi, j'ai répondu que je n'avais pas envie de prendre de risques.

Lorsqu'on est greffé, on risque tout particulièrement d'attraper une maladie ou une infection. J'en ai bavé pendant plus de trente-cinq ans et je n'ai pas envie de revivre ce que j'ai vécu. J'ai finalement obtenu un bol jetable.

Ensuite, toujours lors de ma transplantation il y a deux ans, dans ma chambre, lorsqu'on a essayé de tourner le poste de télévision, il a failli me tomber dessus et, en plus, il était plein de poussière. Pourquoi ? C'est une société privée qui loue ces télévisions, et le personnel de hôpital public n'a pas le droit de les nettoyer. Il n'y a même pas eu d'inspection de la chambre. Je sais bien que l'hôpital public n'est pas un hôtel, mais, au minimum, je pense que la télévision aurait pu être vérifiée pour que je ne la prenne pas sur la tête. Je trouve cela dommage.

Toujours dans ce même service, se trouvaient dans l'aile à côté, à quelques pas de ma chambre, des patients atteints du SIDA. Je n'ai rien contre ces malades, je tiens à le dire, car j'ai été de nombreuses fois transfusé et j'aurais pu attraper le SIDA. Je sais bien que le virus ne « saute » pas sur les autres personnes, mais après une transplantation, au bout d'une semaine, vous êtes très sensibles aux infections. Je trouve inconcevable qu'on « mélange » les maladies.

Abordons les relations entre les services. J'ai été hospitalisé de nombreuses fois, et à chaque fois, quand vous changez de service, on vous refait les mêmes examens : prise de sang, radio... Sans prise en considération du coût, élevé, et de la souffrance du patient. Je sais bien qu'une prise de sang, a priori, cela ne paraît pas grave. Quand vous êtes dialysé trois fois par semaine et qu'on vous met des aiguilles, si vous pouvez éviter une prise de sang, cela permet de préserver un peu les veines qui sont très sollicitées.

Je vais faire un parallèle avec l'imprimerie, car je connais un peu ce secteur. Pour chaque client, une fiche va de la commande jusqu'à la livraison avec la création, l'impression, le façonnage, le découpage. Pourquoi ne pas essayer de faire pareil pour un patient, pour éviter qu'on ne lui fasse trois, quatre ou cinq fois le même examen ? Quand il y a une bonne coordination entre les chefs de service, cela peut éviter du gaspillage et de la souffrance pour les patients.

En ce qui concerne les services, j'ai le sentiment que les chefs de services ne sont pas souvent présents. Ce sont souvent des médecins étrangers, qui sont très « calés », qui font le travail. Je suis suivi par un médecin étranger que je connais depuis très longtemps : il ne fait pas 35 heures, il ne fait pas 39 heures, il fait 12 heures par jour et je peux l'appeler régulièrement si j'ai un problème ; le matin à 9 heures ou le soir à 19 heures, il est toujours là. Je pense qu'il faudrait essayer de légiférer. On est bien content de les trouver, mais ils mériteraient certainement d'être payés un peu plus.

Je pense également qu'il faudrait davantage former le personnel, les infirmières ou les techniciens aux technologies modernes. La médecine a évolué techniquement, au niveau des gestes des chirurgiens, mais aussi au niveau des technologies informatiques et électroniques, qui ont beaucoup apporté. Quand j'ai commencé à être dialysé - je ne veux pas faire vieux cheval de bataille ! - c'était complètement archaïque, on sortait d'une dialyse à cinq ou six de tension, dans un état presque comateux. Maintenant, tout est électronique et programmé. Le problème c'est que, souvent, les infirmières, formées sur le tas entre deux patients, sont fatiguées. S'agissant des cartes électroniques, faute de formation, on a recours à la sous-traitance. S'il y a un problème, c'est un technicien de l'entreprise qui a vendu le matériel qui doit intervenir. Alors, on ne se fatigue plus, on arrête la dialyse et on cherche une autre place dans un autre service. Cela génère également des frais. Je pense qu'en amont, il faudrait faire un travail de réflexion pour que tout le monde comprenne le programme.

Dans une salle d'attente, vous pouvez attendre plusieurs heures. Ce n'est sans doute pas toujours facile, mais il faudrait prévoir un aménagement pour annoncer aux patients - comme dans les gares - : « il y a tant de patients, et c'est environ x minutes par patient ». Un délai d'attente soulagerait les gens et éviterait ainsi des crises de nerfs : toutes les cinq minutes, on demande au personnel qui réceptionne les patients : « pour combien de temps il y en a encore ? ». Cela détendrait tout le monde et l'atmosphère serait meilleure. Quand des enfants doivent patienter dans les salles d'attente, pourquoi ne pas mettre une télévision passant un dessin animé ou prévoir des jeux ? J'ai des amis dont la petite fille est récemment tombée malade et ils sont restés quatre heures en salle d'attente sans rien pour l'occuper.

Actuellement, on gère le service d'urgence de l'hôpital souvent au détriment des patients, qui ont peur. On a l'impression d'être dans un jeu de quilles : on ne sait pas dans quel service on va atterrir. La gestion se fait au coup par coup, sans vision prospective. Une personne se casse un bras : que fait-elle ? Elle va aux urgences. En amont, n'y aurait-il pas quelque chose à faire pour qu'elle soit vue par un médecin généraliste ? Il faudrait trouver un système dans lequel on dirait à ce patient que ce n'est pas une urgence, avant de le diriger vers un autre service. On gagnerait du temps. Les urgences, c'est parfois, excusez-moi pour ce terme familier, un « ramassis » de personnes qui n'ont pas toujours à être là.

Je dirais une dernière chose. A hôpital, le moral, c'est 60 % de la guérison. J'en parle en connaissance de cause. Je suis peut-être un cas particulier, pour moi il joue à 80 %. En général, il faut avoir beaucoup de courage pour supporter sa maladie, même si on a un entourage familial très fort. La souffrance, c'est vous qui l'avez, même avec un très bon entourage.

Il faut donc humaniser un peu plus l'accueil. J'avais la chance de beaucoup discuter avec les infirmières, même en dialyse. Cela va paraître prétentieux, mais, par rapport à d'autres personnes, même plus âgées, j'ai été souvent une sorte de confesseur pour elles. Je discutais avec elles de ce qui n'allait pas. Cela me permettait de voir autre chose. Elles se retrouvent souvent seules devant le patient, en laissant à l'entrée leurs problèmes personnels. L'humanisation de hôpital, c'est important, pour les patients, pour les infirmières et aussi pour les agents de service, qui souvent sont de très grands psychologues avec les patients.

Mesdames et Messieurs les députés, si vous allez dans les hôpitaux, allez-y incognito, sans fanfares ni trompettes. Il y a quelques années, à l'hôpital Edouard Herriot, à Lyon, un ministre est arrivé. C'était annoncé depuis deux mois. Le ménage a été fait trois fois plutôt qu'une, de fond en comble. C'est bien, parce qu'au moins une fois de temps en temps le ménage est fait : c'est propre, c'est hygiénique, mais ce n'est pas logique...

Quel que soit votre banc politique, il faut vous mobiliser pour l'hôpital public, parce qu'il en a vraiment besoin. Merci de m'avoir écouté.

Mme Josiane PHEULPIN. Monsieur le président, je vous remercie vivement de m'avoir invitée à ce colloque. Je n'ai pas la prétention de représenter en ce lieu l'ensemble du corps infirmier, mais mon expérience d'infirmière hospitalière, depuis vingt-cinq ans, me permet aujourd'hui de vous faire part du mal-être et de la souffrance des soignants, résultant des difficultés rencontrées au quotidien sur leur lieu de travail.

Plusieurs aspects de l'organisation interne de hôpital sont à étudier.

J'aborderai en premier lieu la gestion des effectifs paramédicaux. Le manque d'effectifs en personnels soignants est criant dans les unités, phénomène aggravé par l'application des trente-cinq heures depuis janvier 2002, le dispositif ayant été mis en place trop rapidement, sans anticiper les besoins en personnel.

Dans mon établissement, les soignants travaillent trente-sept heures et demie par semaine, avec des jours de récupération, d'où des effectifs de plus en plus réduits. Je travaille dans un service de gériatrie. Sur un couloir de 110 mètres, nous avons 38 personnes âgées, nous sommes deux infirmières, une du matin, une du soir et une qui travaille un peu le matin, un peu l'après-midi. Les soins sont réalisés à la chaîne, sans prise en compte des besoins des patients. Nos conditions de travail se sont nettement dégradées, il faut tout faire très vite.

De plus, les horaires « coupés », c'est-à-dire très tôt le matin et tard le soir, se sont multipliés. Il devient donc très difficile de concilier travail et vie de famille. Le métier d'infirmière, avec toutes ses contraintes, attire de moins en moins de jeunes et les plus anciennes, démotivées, quittent la profession.

Il y a un manque certain d'effectifs, mais il y a également une mauvaise répartition des personnels dans les unités. Certaines unités sont mieux dotées que d'autres. Je ne veux pas engager de polémique, mais je constate que certains services bénéficient d'effectifs plus nombreux que les services de personnes âgées (nous avons actuellement une centenaire dans le service) ou de médecine de long séjour.

Cela est lié au cloisonnement des unités de soins dans les hôpitaux. Il y a très peu d'entraide et de travail en collaboration avec les différentes unités. Le personnel soignant est peu mobile. Il a le sentiment d'appartenir à un service et ne veut pas en changer. Les effectifs devraient être répartis selon la charge en soins. Or, l'évaluation de cette charge n'a jamais fait l'objet d'une étude au niveau national. Chaque hôpital devrait évaluer la charge en soins selon des critères identiques partout en France, afin de répartir plus efficacement les effectifs. Nous ne soignons pas de la même manière un patient de trente ans et un patient de quatre-vingts ans ayant la même pathologie.

Un autre aspect concerne la disparition progressive du corps des agents de service hospitaliers (ASH). Les hôpitaux n'en embauchent plus. L'entretien des locaux est à la charge des aides-soignantes, qui sont déjà surchargées par les soins de « nursing ». D'où un malaise croissant du corps des aides-soignants, dont le métier est avant tout de soigner.

Les infirmières font de plus en plus de brancardage, elles descendent les malades en service de radiologie... Pendant ce temps, il n'y a plus personne dans le service. On nous demande de nous arrêter au milieu d'une toilette sans se soucier de savoir si on peut le faire. Le manque d'ASH et de femmes de ménage a des répercussions non négligeables dans la lutte contre les infections nosocomiales. Comme le disait M. Reibel, les dépendances, les salles de soins, les salles d'attente, les vidoirs sont sales.

L'organisation des soins à l'intérieur de chaque unité est également à analyser. Les infirmières sont surchargées par le travail administratif. Dans mon service, il y a une infirmière dont c'est pratiquement l'unique occupation : les mises à jour des dossiers de soins, qui deviennent de plus en plus complexes, les reprises des visites, les contre-visites, les contre-visites des contre-visites, l'accueil des entrées et des familles, les bons d'examen, les rendez-vous internes et externes, l'appel des véhicules pour les transports, les commandes de médicaments... Tout cela nous revient. Pendant ce temps, cette infirmière n'est pas présente auprès des patients. Les surveillantes de service sont devenues des gestionnaires administratives, certaines ont perdu la réalité du terrain. Entre les réunions et les formations, elles sont rarement avec leur équipe.

L'équipe soignante ne participe pas suffisamment au choix des prescriptions, des examens et des traitements. Pourquoi refaire systématiquement une série d'examens à un patient que l'on sait en fin de vie ? Ces pratiques coûtent cher, mais fatiguent également inutilement le malade. La mise en place des conseils de services permettrait une meilleure concertation entre les médecins et les personnels soignants.

Un aspect important de l'organisation de l'hôpital est l'organisation logistique. Rarement, les équipes soignantes sont consultées pour l'achat de matériel et la réfection des locaux. Le directeur des services économiques commande du matériel parfois inadapté au service, d'où une non-utilisation du matériel et des coûts supplémentaires. Pourquoi ? Parce que les infirmières ne sont pas formées, faute d'argent pour la formation. L'insuffisance de communication entre les unités de soins et les unités de logistique entraîne une perte de temps et d'argent, au détriment des patients.

Le dernier point concerne l'organisation du conseil d'administration à l'hôpital. Actuellement, les équipes médicales et soignantes sont insuffisamment représentées, les syndicats ne sont pas toujours représentatifs des soignants, et le directeur des services infirmiers n'a qu'une voix consultative. Nous avons actuellement un directeur et une infirmière générale pour les trois sites de Lure, Luxeuil et Vesoul. Lorsque cette dernière est sur la route, elle ne participe pas au conseil d'administration et nous ne sommes pas représentées.

Nous avons le sentiment, nous, les soignants, que les décisions sont prises de manière directive, et pas toujours au bénéfice du malade. Bien entendu, il est nécessaire de concilier l'aspect purement économique et l'aspect humain dans la gestion d'un hôpital. Si les soignants avaient la possibilité de donner leur avis, ils auraient le sentiment de participer pleinement à la vie de hôpital, au service du malade.

Pour conclure, je me permettrai bien modestement de vous donner quelques pistes de réflexion pour améliorer l'organisation de notre hôpital :

- Une modification de la composition du conseil d'administration devrait être étudiée, avec une cogestion administrative et médicale ainsi qu'une représentation plus importante des personnels soignants.

- La création de pôles d'activités qui pourraient regrouper plusieurs unités. Cela permettrait un déplacement des services et une mobilité du personnel soignant à l'intérieur du pôle. Les effectifs seraient ainsi mieux répartis.

- La mise en place obligatoire des conseils de services qui permettrait une meilleure concertation entre médecins et soignants.

- Une évaluation de la charge en soins infirmiers dans toutes les unités avec la fixation de critères identiques au niveau national.

Il est nécessaire de recruter un agent administratif par unité : il serait chargé de l'informatisation des données et de la gestion administrative, afin de permettre aux infirmières de prodiguer des soins de qualité. Le cadre infirmier serait ainsi libéré de ses tâches administratives. Il retrouverait son rôle de coordination, d'interface entre les malades, les soignants et l'administration. J'irai même plus loin : le cadre infirmier doit être la personne garante de la réalisation des desiderata du malade.

Il faut que le malade participe à sa prise en charge à hôpital et donne son avis. Encore faut-il qu'il soit bien informé ! Donner au malade le droit de consulter son dossier n'est pas suffisant. Il faut l'informer tout au long de son hospitalisation, afin qu'il devienne acteur des décisions thérapeutiques qui le concernent.

Voilà ce que j'avais à vous dire. Mon métier, je l'adore, cela fait vingt-cinq ans que je le pratique. J'arrive au terme de ma carrière et je souhaiterais faire quelque chose pour mes collègues. Je compte sur vous pour le faire assez rapidement.

M. Henri KREIS. M. le président Jean-Michel Dubernard m'a demandé de venir témoigner sur la situation alarmante des hôpitaux - c'est moi qui ajoute « alarmante » - témoignage, car j'ai consacré plus de quarante ans de ma vie à l'hôpital public.

J'ai été externe des hôpitaux un an avant la loi Debré qui a instauré le plein-temps hospitalier. J'ai alors assisté à la renaissance de la médecine française qui, de philosophique et littéraire qu'elle était jusqu'à la seconde guerre mondiale, devint alors - sous l'influence du plein-temps - scientifique, efficace et humaine. Elle retrouva alors la réputation internationale qu'elle avait largement perdue et cela grâce à des médecins, tels que Robert Debré, Jean Bernard, Jean Hamburger, Georges Mathé, René Fauvert, Jean Lenègre, François Lhermitte, Jean Dausset et quelques autres.

A la tête de très grosses structures hospitalo-universitaires, ces hommes ont été les responsables du développement de la médecine française, de la qualité de hôpital, de la recherche clinique, mais aussi de la mise en place d'une morale au service du malade.

Mandarins, certes, mais mandarins éclairés. Ce sont eux et leurs élèves, formés selon la rigueur scientifique et morale qui fut la leur, qui furent les responsables de la réputation internationale des hôpitaux français.

Survint Mai 1968. Sous un masque de prétendue liberté, ce fut progressivement le triomphe de la médiocratie. Lentement, mais sûrement, à partir du début des années quatre-vingt, les empires hospitaliers ont été démantelés, balkanisés. L'administration, lasse d'être trop souvent méprisée par ces hospitaliers, qui étaient peut-être trop conscients de leur indiscutable supériorité, encouragea ce démantèlement. Moins de mandarins, mais aussi de moins en moins de responsabilités pour les innombrables chefs de ces tout petits services, auxquels fut retiré tout pouvoir décisionnaire, non seulement sur les orientations de hôpital, de leur propre service et de leur personnel infirmier, mais aussi tout pouvoir médical. A tel point que la fonction de chef de service cessa même d'être rémunérée. Elle n'était plus rien : exit le chef de service !

Le pouvoir décisionnel hospitalier, c'est-à-dire non seulement la gestion du budget et du personnel, infirmier et médical, mais également le projet médical, fut accaparé par l'administration. Naturellement incompétent dans le domaine médical, le pouvoir exclusivement administratif, n'ayant d'ambition médicale qu'à travers la maîtrise comptable des dépenses, nous a conduit à la dramatique situation que l'on connaît aujourd'hui.

Le coup de grâce vient d'être donné à nos hôpitaux par les dernières réformes démagogiques et sécuritaires que sont la réduction du temps de travail et le repos de sécurité. Mais, que l'on ne se leurre pas, la réduction du temps de travail et le repos de sécurité ne sont pas les causes du déclin de l'hôpital public. Elles sont simplement en train d'accélérer et de parfaire un processus commencé il y a une vingtaine d'années. Apporter une solution aux problèmes qu'elles ont générés ne suffira en aucune manière à renverser ce processus.

Heureusement, jusqu'à ce jour encore, ces médecins, formés pour la plupart entre 1960 et 1980 par ces mandarins tellement décriés, ont réussi à maintenir, envers et contre tout, une certaine qualité de la médecine hospitalière française. Elevés sans apprendre à compter leur temps, en considérant leur mission non comme un travail dont il faut se libérer, mais simplement comme leur vie, ils ont réussi à faire en sorte que l'hôpital français maintienne sa place parmi les meilleurs du monde.

Cependant, seuls les initiés savent que cet acharnement dont ils sont les uniques responsables, même si l'administration a une certaine tendance à s'en approprier les fruits, s'exerce dans un bateau qui coule. Cet acharnement est en train de disparaître avec eux et l'état lamentable de l'embarcation se révèle devant un parterre médusé.

Le diagnostic des différentes pathologies dont se meurent aujourd'hui nos hôpitaux est facile à faire. La thérapeutique, certes d'application complexe, peut encore être efficace, mais il faut faire vite. Je me permettrais de suggérer ce que je pense être utile à faire.

Premièrement, il faut donner à l'hôpital public une autonomie de gestion, comparable à celle des hôpitaux privés participant au service public hospitalier, avec des contrats d'objectifs et de moyens, qui seront négociés avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) ou, mieux, demain, avec les directions régionales de la santé, émanations de la direction générale de la santé. Cet hôpital conservera ses missions et ses objectifs de service public, notamment la prise en charge des urgences, la formation et la recherche.

Deuxièmement, et je rejoins Mme Josiane Pheulpin, il faut donner un pouvoir décisionnel aux soignants ainsi qu'aux malades, c'est-à-dire aux usagers. Pour ce faire, il est fondamental de modifier la composition du conseil d'administration de l'hôpital, qui doit devenir le seul centre décisionnel. Il faudra donc augmenter en son sein le nombre des soignants et des représentants des usagers, et diminuer considérablement la participation de l'Etat et des collectivités territoriales qui n'ont rien, ou peu de choses, à faire au conseil d'administration des hôpitaux publics. L'Etat décide des budgets de la santé et l'hôpital autonome négocie ses objectifs et son budget avec l'Etat et les caisses.

Autre point, la direction de l'hôpital ne doit plus être exclusivement administrative. On peut envisager trois hypothèses, la première ayant toutes mes faveurs :

- un médecin directeur, sélectionné et nommé par le conseil d'administration, assisté d'un directeur administratif adjoint ;

- une codirection administrative et médicale, avec cosignature pour les décisions importantes et délégation pour les autres décisions ;

- troisième possibilité, à laquelle je suis bien sûr moins favorable, directeur médical, là encore nommé par le conseil d'administration, donc avec des pouvoirs forts, adjoint au directeur administratif.

Une dernière réforme nécessaire est l'arrêt de la balkanisation des hôpitaux et des services. Avec le rétablissement des grandes structures médicales - entre cinq et dix pour un grand hôpital - on verrait se rétablir l'autorité des chefs de ces grands ensembles, que vous les appeliez service, pôle, département. Il faut contractualiser la fonction de chef de service. Ils ne seront ainsi plus des mandarins. Ils seront dotés d'une véritable autonomie, ils définiront leur projet médical, ils géreront leur budget ainsi que leur personnel médical et infirmier. En fonction des objectifs contractuels, ils seront donc réévalués à terme.

Pour terminer, je résumerais cet ensemble de pratiques en une seule phrase : la création de véritables centres de responsabilités au sein d'un hôpital public autonome, sous le contrôle des soignants et des usagers, avec l'aide d'une administration _uvrant pour le développement d'une médecine de grande qualité, scientifique et humaine.

M. Alain GAILLARD. Je vais aussi essayer d'avoir mon franc-parler et d'être honnête intellectuellement : il y aura sûrement des petites différences dans l'approche des choses ! Je pensais qu'on avait déjà passé un certain cap, mais on y revient. Le passé permet toujours d'enrichir l'avenir, il est donc utile de se retourner sur le passé de temps en temps pour voir comment se sont faites les choses.

Vous disiez, monsieur le Président, qu'il fallait des gens épanouis. Je peux vous assurer qu'après trente ans sur le terrain - je suis passé dans des structures de toutes tailles - je suis encore très heureux le matin de me rendre à mon travail de directeur pour faire ce que j'ai à faire.

On nous a demandé de faire un exposé du vécu de l'organisation interne. J'ai donc essayé de caler mon exposé là-dessus, en évitant de dévier sur d'autres sujets. J'insiste sur les limites inhérentes à cette approche. D'une part, l'organisation interne est dépendante de l'organisation externe, il est donc difficile de dissocier les choses. D'autre part, l'organisation interne ne doit pas masquer d'autres remises en cause plus profondes et souvent plus délicates, mais qu'il faudra bien effectuer d'une autre façon.

Mon fil conducteur sera la loi du 31 juillet 1991, parce qu'elle traite de l'organisation interne hospitalière. Je vais essayer de décrire ce qui a été réalisé et ce qui ne l'a pas été. Il y a dans ce texte des éléments forts qui mériteraient à mes yeux d'être repris.

Conformément à cette loi, il fallait accroître l'autonomie des établissements. Je ne reviendrai que rapidement sur ce point, les autres grands témoins ont parfaitement souligné ce problème. Il me paraît aujourd'hui, sur le terrain, que l'on est allé dans une direction inverse de celle prévue par la loi.

Si vous saviez le nombre de textes réglementaires qui nous tombent régulièrement sur la tête ! On ne peut pas mettre en place le premier, qu'il y en a un deuxième qui arrive. Il faudrait déjà essayer de mettre en place la réglementation existante avant d'aller plus loin. Pour moi, cela fait partie d'une première autonomie des établissements. De plus, il y a parfois des contradictions entre un règlement et l'autre, mais on ne va pas attendre le contrordre pour appliquer l'ordre.

Le statut actuel de hôpital public, M. Kreis en a parlé, participe aussi de l'autonomie. S'il a eu une efficacité dans les faits au moment où il a été mis en place, aujourd'hui, il faut essayer de le repenser et de revoir si ce statut est bien adapté - je pense qu'il ne l'est pas complètement.

Le deuxième point est le management des hôpitaux. Je ne pense pas que l'on puisse le régler par la loi. C'est complètement utopique. On voit bien les limites actuelles. L'hôpital est une communauté humaine : il faut faire en sorte qu'elle puisse s'organiser en fonction de grands axes et lui laisser une certaine liberté.

J'ai entendu parler des conseils de service. Je rappelle qu'ils sont obligatoires. Ils ont été créés à la demande de certains grands hôpitaux, dans lesquels il n'y avait pas de coopération, de dialogue entre les soignants et les médecins. Vous pourrez voir que, dans les centres hospitaliers généraux de taille dite humaine, les conseils de service ont existé de tout temps. Essayons donc de faire en sorte que ce soit le niveau local qui nous permette de faire du management et non pas décréter en haut lieu les choses. Il faut donner des grands axes, mais ensuite il faut croire à la communauté humaine. La source de mon bonheur, c'est précisément de croire que les individus sont capables de se mettre autour d'une table et de discuter, même si c'est difficile. Chacun fait sa part et chacun apporte quelque chose.

Le troisième point est la possibilité de transférer l'investissement aux régions. C'est dans l'air. Je n'ai pas d'idée préconçue sur ce point, car il y a des choses qui se voient mieux au niveau des régions. Si on veut une certaine autonomie, il faut prendre garde aux éléments qui pourraient être un frein. Pourquoi donc ne pas transférer, dans une certaine mesure, l'investissement au niveau des régions, même si cela est à analyser avec prudence.

La loi de 1991 prévoit aussi de développer les responsabilités au sein de hôpital. C'est à nouveau le fameux problème du choc des pouvoirs. Aujourd'hui, on n'a jamais autant associé, à travers de nombreux conseils et commissions obligatoires, les personnels et les médecins. On s'aperçoit sur le terrain que cela n'a pas eu l'effet attendu, bien au contraire. Une certaine démotivation en a résulté. On a compliqué le système. C'est pourquoi je renvoie à ma première approche : laisser faire la communauté humaine de l'hôpital. J'ai travaillé dans six hôpitaux et chaque hôpital a une vie particulière.

Il faut clarifier les rôles : les médecins doivent faire de la médecine, les cadres administratifs de la stratégie et de la gestion, les cadres intermédiaires de la coordination. Quant aux soignants, Mme Pheulpin l'a dit avant moi, il faut redéfinir leurs compétences.

Troisièmement, la loi de 1991 vise à organiser selon des modalités nouvelles les relations entre les équipes soignantes et l'administration. Il s'agit des centres de responsabilités. Je suis désolé, monsieur Kreis, je suis en total désaccord avec vous. J'ai mis en place, en plusieurs endroits, les budgets de service. Si vous saviez les résultats obtenus... Il ne faut pas persister à vouloir trouver des vertus à une délégation de gestion qui ne peut pas fonctionner, car il y a confusion des rôles : on demande à des partenaires, de cultures différentes, de se mettre à la place d'autres. Je ne pense pas que ce soit la bonne piste, il faut trouver d'autres moyens d'association.

Mais, de grâce, que chacun reste à sa place ! Je ne m'immiscerai jamais dans un problème médical, je n'ai pas été formé pour cela, je ne suis pas médecin. Par contre, je considère, peut-être à tort, que j'ai fait des études et que j'ai acquis une certaine compétence au niveau de la gestion et de la stratégie. Au lieu de s'affronter et de repartir sur les anciens schémas, il faut être dans une complicité constructive. C'est ainsi qu'on arrivera à faire du bon travail.

Quatrièmement, la loi de 1991 prévoit d'améliorer la concertation et le dialogue au sein de l'hôpital par le renforcement des structures participatives. Sur le terrain, je constate que cela aboutit plus à une paralysie qu'à une meilleure productivité.

L'établissement dans lequel je travaille possède une commission médicale, un comité technique d'établissement et un comité d'hygiène et de sécurité. Les problèmes se retrouvent de la même façon au sein de ces trois organes, mais chacun d'entre eux l'aborde différemment, parce qu'il n'existe pas de réelle concertation. Pourquoi ne pas essayer de concevoir un organe, au sein duquel tout le monde serait représenté, afin de pouvoir donner un pouvoir plus important à l'avis émis ?

Je ne suis pas défavorable à une nouvelle modification de la composition du conseil d'administration. Mais il faut aussi faire fonctionner ce qui existe pendant un certain temps, avant de vouloir tout remettre à plat, sous prétexte d'influences diverses et variées.

Je suis maintenant un « vieux machin », qui s'approche de la retraite, qui vit sur le terrain en permanence. Le week-end, je passe dans les services pour y prendre un café avec les soignants. C'est un moment privilégié, j'y apprends énormément de choses. J'ai ressenti, je vous le traduis peut-être mal, que l'absence de remise en cause du travail médical entraîne un décalage de plus en plus flagrant avec l'organisation des soignants. Un exemple : la visite dans un service peut démarrer à onze heures du matin, alors que le repas est servi à onze heures et demie. Autrefois, il y avait une organisation médicale avec des praticiens à temps partiel, avec une visite à un certain moment. Pourquoi ne pas revenir à cette organisation ?

Un autre point me paraît fondamental : le manque d'adaptation et de souplesse de la structure hospitalière, qui nuit à la nécessaire réactivité de l'hôpital. Un exemple : la rigidité des schémas nationaux par rapport aux situations locales. On nous parle des alternatives à l'hospitalisation. Pour moi qui suis dans une zone rurale, la Corrèze, mettre en place une hospitalisation à domicile en zone rurale, c'est déployer énormément d'énergie pour un résultat très limité. Essayons de ne pas faire des schémas qu'il faut absolument reproduire sur tout le territoire sans discernement, sous prétexte que c'est à la mode.

Un autre exemple est le recrutement des praticiens hospitaliers. Il n'y a qu'un seul tour annuel de recrutement, ce qui est excessivement rigide.

L'organisation interne de l'hôpital doit s'appuyer sur quelques règles simples. Premièrement, l'objectivité : chacun doit trouver toute sa place selon ses compétences. Deuxièmement, la rigueur : l'évaluation doit se faire à tous les niveaux avec son corollaire, les sanctions et les récompenses. Il va bien falloir les mettre en place. Troisièmement, la globalité : l'activité hospitalière est tellement complexe que les décisions finales importantes se partagent très difficilement. La codirection ou la cogestion ne sont pas applicables. Quatrièmement, le pragmatisme : il faut assouplir le fonctionnement de l'hôpital et accepter l'existence de situations diverses et variées sur l'ensemble du territoire en fonction des structures. J'ai été directeur dans un établissement qui avait 250 lits, je suis passé dans un CHU, je suis revenu dans un établissement de 800 lits, l'organisation n'est pas la même.

M. Jean-Michel DUBERNARD, président. Merci à tous les quatre pour vos interventions. Vous avez fait ce que nous attendions de vous : vous avez témoigné, clairement, franchement, sans langue de bois. On a pu entendre ce que pensaient un ex-patient qui a vécu une longue partie de sa vie à l'hôpital, ainsi qu'une infirmière, un médecin hospitalier et un directeur expérimentés proches de la retraite. Ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas les seuls !

La loi de 1991 et l'ordonnance de 1996, qui mettaient en place les centres de responsabilités, étaient considérées comme un progrès par l'ensemble des professionnels. La véritable question est d'identifier les mécanismes qui ont empêché ce progrès d'être appliqué.

Je suis député, mais je ne suis pas favorable à la multiplication des lois. En se contentant d'appliquer ce qui existe, on devrait pouvoir faire en sorte que l'organisation interne de hôpital s'améliore et que tous les personnels y travaillant s'y épanouissent.

M. Yves BUR. Nous sommes tous d'accord pour dire que hôpital public va mal. Le professeur Kreis l'a rappelé, les contraintes issues de la réduction du temps de travail et les astreintes de plus en plus en fortes en termes de sécurité sanitaire ont un coût qui absorbe une grande partie des augmentations de moyens, dirigées souvent de manière ciblée. Ces contraintes ne sont que le révélateur d'un malaise plus profond. Il ne suffit pas de régler la question de la réduction du temps de travail et des moyens financiers. Nous n'en sommes plus là, ce débat est dépassé. La question est de savoir si la mise à disposition de moyens supplémentaires, de quelques milliards de plus, suffira à régler cette question.

Aujourd'hui il faut se poser des questions de fond sur la mission de l'hôpital dans l'environnement médical français. L'hôpital a-t-il vocation à prendre en charge tout le champ de l'activité médicale ? L'hôpital ne doit-il pas s'ouvrir davantage sur la médecine de ville qu'il ne le fait actuellement ?

Je prendrai l'exemple du problème des urgences qui semble être apparu de manière brutale. Pourtant on aurait pu le voir venir. Aujourd'hui, on se rend bien compte que le dialogue entre l'hôpital et la médecine de ville est totalement insuffisant. Afin d'éviter l'encombrement des urgences, il aurait fallu, depuis longtemps déjà, imaginer une collaboration plus forte entre ces deux entités, à travers notamment les maisons médicales et d'autres dispositifs que nous aurions pu mettre en place.

Deuxième point, il faut que nous donnions aux hôpitaux, qui ont chacun une histoire et un contexte local, plus d'autonomie et une véritable autonomie. Aujourd'hui, nous nous rendons compte tout à coup que les hôpitaux sont dans un environnement de vétusté, à force de non-décisions, de non-choix accumulés depuis des années. Il faut donner aux hôpitaux les moyens de leur autonomie, pour faire face à la modernisation permanente des structures et aux coûts de leur entretien, pour éviter que, tous les dix ou quinze ans, on connaisse un plan d'urgence.

Plus d'autonomie suppose que l'on donne aux responsables des hôpitaux une véritable capacité d'adaptation en fonction du contexte local. Je prends l'exemple du centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg. C'est un CHU à l'ancienne, avec des dizaines de pavillons qui, à l'évidence, engendrent des coûts de fonctionnement beaucoup plus importants qu'un hôpital plus moderne. Il faut donc lui donner les moyens d'une gestion plus efficace.

Dans cette autonomie, il faut associer, et non pas opposer, le pouvoir médical et le pouvoir administratif. Ce serait faire fausse route que de croire que la cause du problème est cette opposition. Au contraire, il faut étudier les moyens de renforcer le binôme direction médicale/direction administrative, parce que c'est dans cette voie que l'on trouvera les meilleures réponses.

Enfin, il faut se poser la question de savoir si les hôpitaux, du plus grand au plus petit, doivent tout faire. Chacun doit avoir le courage de reconnaître que certains des services qu'on essaye parfois désespérément de maintenir, ne sont pas les plus adéquats en terme de qualité de soins à donner aux patients, qu'il faut peut-être déléguer à d'autres structures hospitalières plus pointues dans tel ou tel secteur. On peut compter sur le sens des responsabilités à la fois des cliniques privées, des hôpitaux publics et de l'ensemble du dispositif des participants au service public hospitalier (PSPH) pour porter un regard lucide sur ce qui doit être fait en matière d'offre hospitalière.

Je l'ai fait dernièrement avec un groupe de PSPH : je leur ai demandé de me dire quels étaient les services qu'ils étaient prêts à sacrifier. A ma grande surprise, ils ont évoqué très spontanément un certain nombre de possibilités. La notion de chirurgie de proximité n'a plus le même sens aujourd'hui, où l'on reste hospitalisé un ou deux jours, que par le passé, où l'on restait à hôpital pour une longue période.

M. Henri GUIDICELLI, professeur de médecine au CHU de Grenoble. Je prendrai la parole rapidement, en tant que chirurgien universitaire de terrain. Il y a dix ans, M. Gérard Vincent, directeur général des hôpitaux, m'avait confié une mission sur la chirurgie, au cours de laquelle j'ai visité une centaine d'établissements de tous types.

J'avais visité douze CHU, des hôpitaux généraux, de petite et de grande dimension, dans sept régions différentes. Si l'on doit parler de décentralisation, c'est bien là qu'il faut en parler. Les situations d'un petit hôpital général, d'un CHU, d'un hôpital d'Ile-de-France ou de Poitou-Charentes ne sont pas du tout les mêmes. Il faut donc décentraliser la réflexion.

Par ailleurs, on ne peut pas prendre en charge l'organisation de la santé si l'on n'associe pas l'activité libérale à l'activité publique. J'étais samedi matin à Toulouse, en tant que président sortant de la société de chirurgie vasculaire de langue française. Nous avons dans cette spécialité des problèmes privé/public. Je suis allé écouter avec notre secrétaire strasbourgeois, le professeur Kretz, nos collègues du privé. Ils ont des normes « privées » et ils nous ont dit qu'ils ne pourraient plus continuer à les tenir. Dans le public, on dit que la situation se dégrade et qu'on ne pourra plus continuer à soigner ; nos collègues du privé disent la même chose ! Mais où iront se faire soigner les patients ?

Au niveau de la modification de l'organisation interne de hôpital, les centres de responsabilités prévus par l'ordonnance de 1996 ont été institués dans certains CHU. Au CHU de Grenoble, nous avons mis en place un pôle cardiovasculaire et thoracique, tel que conseillé par l'ordonnance de 1996. Cela s'est fait à Nantes et à Toulouse en pédiatrie.

Depuis trois ans, je fonctionne ainsi. Je ne suis plus chef de service alors que j'ai été chef de service pendant vingt ans en chirurgie vasculaire et pendant quatre ans chef de service des urgences chirurgicales à Grenoble. Les urgences sont un domaine particulier, qui m'intéressait au niveau de la réorganisation. C'est extrêmement difficile, on pourrait d'ailleurs consacrer une séance à l'urgence. Aujourd'hui, depuis plus de trois ans, je suis « co-coordonnateur » d'un centre de responsabilité associant cinq services, deux services de cardiologie médicale et trois services de chirurgie (chirurgie cardiaque, chirurgie vasculaire et chirurgie thoracique). La philosophie est d'éviter l'opposition entre le pouvoir administratif, si tant est qu'il y ait un pouvoir, le pouvoir médical, si tant est qu'il y ait un pouvoir, et le pouvoir soignant.

Il y a trois corps de métiers qui s'affrontent actuellement. Ils ne devraient pas s'affronter. Nous avons donc souhaité qu'à la tête de ce centre de responsabilité, de ce pôle, il y ait ces trois composantes : deux coordonnateurs médicaux - un cardiologue et un chirurgien - et un directeur administratif. Nous nous réunissons depuis trois ans tous les mardis matin à huit heures pour voir ce qui se passe au sein de cinq services et gérer les budgets.

Nous avons été déçus. Le directeur général du CHU de Grenoble nous avait dit que nous aurions une personne qui allait travailler avec nous, et non pas contre nous. Nous souhaitions travailler avec cette personne d'une part pour lui expliquer nos problèmes médicaux et d'autre part pour mieux comprendre l'aspect administratif. On a certes trop tendance à affubler les administratifs de tous les défauts alors qu'on ne connaît pas bien leurs problèmes. Il faut se mettre à leur place, tout n'est pas de leur faute ; mais il faut qu'ils comprennent aussi les stratégies médicales. Depuis trois ans le coordonnateur administratif n'est jamais venu à nos réunions, ce que nous regrettons. En revanche, deux cadres infirmiers travaillent avec nous toutes les semaines.

Demain, je vais à Grenoble pour parler des budgets. Ils ont explosé en raison des stents coronaires et des défibrillateurs. On nous accuse alors de ne pas savoir gérer, mais où doit-on faire soigner les patients ?

L'organisation interne passe donc par un regroupement des services et non par leur balkanisation. Ces mosaïques de services n'ont aucune complémentarité. Plus largement, il faut décloisonner les structures privées et publiques et faire des maillages inter-établissements. Je suis partisan des réseaux de soins, dont j'ai l'expérience depuis dix ans, mais il n'y a malheureusement aucune mesure incitative. Il y a bien sûr des dinosaures qui se dépensent pour leur métier, pour les patients, mais il faut également plus de mesures incitatives.

M. Claude EVIN. Il est intéressant que l'Assemblée nationale, et plus particulièrement sa commission des affaires sociales, se penche sur la question de l'hôpital. Nous ne sommes pas les seuls à aborder ce sujet. Nous avons donc intérêt à engager une réflexion avec les corps représentatifs de l'ensemble de la communauté hospitalière. Les témoignages individuels sont intéressants dans l'éclairage qu'ils apportent.

Beaucoup d'éléments entendus dans ces témoignages reviennent régulièrement dans les débats depuis des années. Il n'y a pas de choses nouvelles. Il faut donc savoir pourquoi ces questions posées depuis des années ne trouvent pas de réponses satisfaisantes, qu'il s'agisse des questions d'organisation interne ou de relations avec les autres partenaires du système de santé, secteur privé hospitalier et secteur libéral.

Des outils existent dans la loi et j'ai beaucoup apprécié l'intervention de M. Gaillard. Nous, législateurs, devons aussi aborder ces questions avec une certaine modestie : la loi ne peut pas tout faire. En ce qui concerne l'organisation interne, l'existence des services, des départements, des fédérations, des conseils de services est prévue dans la loi, et ils se mettent en place plus ou moins bien. Les centres de responsabilité qui résultent des ordonnances de 1996 existent. La possibilité de contractualiser en interne, de donner des responsabilités au corps médical pour gérer des budgets existe dans l'ordonnance de 1996. Le professeur Guidicelli y faisait allusion et, si j'ai bien compris, il a lui-même mis en place ce type de centre de responsabilité à Grenoble.

La question est de savoir pourquoi les résistances sont fortes face à la mise en place de ces modes d'organisation. Est-ce que les outils proposés à la communauté hospitalière par la loi sont suffisants ? Peut-être faut-il évaluer la pertinence de ces outils. Mais nous ferions fausse route en considérant que du passé il faut faire table rase et qu'il faut faire une révolution qui, dans le domaine hospitalier, ne peut être que lente.

Je suis conscient que l'on peut dire que l'hôpital va mal. La médecine libérale va mal, elle le dit. D'autres acteurs du système de santé expriment aussi leur malaise. Il faut également que le Parlement s'interroge et il le fait chaque année dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale. Il aura l'occasion peut-être de s'interroger davantage avec le débat au printemps sur les grandes orientations. Quelle est la mission de chacun des acteurs ? Je voudrais aller dans le sens de M. Yves Bur pour dire que l'on ne peut pas aborder l'organisation interne de hôpital public sans considérer l'ensemble de ses acteurs.

La question des urgences, par exemple, ne concerne pas seulement l'hôpital. On demande beaucoup à l'hôpital. Le malaise qu'il exprime est aussi la rançon de son succès. On demande peut-être plus à hôpital qu'il ne peut fournir. J'enfonce sans doute une porte ouverte, mais notamment dans les discussions internes au système conventionnel, on a bien vu qu'il y a une prise de conscience du fait que la question des urgences nécessite aussi un recours à la médecine ambulatoire. Ce débat n'est pas simple, comme en témoignent les récentes positions du conseil de l'ordre en la matière, mais il faut l'aborder avec l'ensemble des acteurs. La question des urgences ne concerne pas seulement l'hôpital. On pourrait prendre d'autres exemples.

Je voulais donner quelques orientations et répondre ainsi au souhait du président de la commission de créer une mission de réflexion sur l'hôpital au sein de l'Assemblée. Essayons d'y réfléchir, en partant de ce que dit la loi, et de découvrir pourquoi il y a eu des obstacles à la mise en place des dispositions que nous avons votées au cours des quinze dernières années.

Par ailleurs, nous ne pourrons pas limiter notre réflexion, sur un certain nombre de sujets, à l'hôpital seul. La question des réseaux a été évoquée. Nous avons progressé, notamment grâce à la loi du 4 mars 2002, sur les outils pour mettre en place ces réseaux. Il faudra aborder la question de l'hôpital au regard des autres partenaires de notre système de santé.

Enfin, il faut éviter d'enfoncer des portes ouvertes. Le débat sur les relations entre les médecins et l'administration revient sans cesse. Le témoignage du professeur Kreis est connu à l'intérieur de la communauté hospitalière. Nous aurions tort de simplifier les problèmes et de considérer que demain l'hôpital irait mieux s'il était dirigé par des médecins. Les choses sont plus compliquées. Si nous voulons enrichir le débat pour arriver à des propositions, nous devons raisonner en terme de communauté hospitalière et non pas d'opposition des acteurs à l'intérieur de hôpital. Nous ne devons pas revenir sur les poncifs qui, en la matière, n'ont jusqu'à présent pas fait avancer les choses.

M. Jean-Luc PRÉEL. Je vous remercie, monsieur le Président, d'avoir organisé cette importante réunion. J'ai été très intéressé par le témoignage des quatre témoins. Chacun, avec sa personnalité, a posé de vraies questions, même s'ils ont, et c'est d'ailleurs l'intérêt d'une table ronde, des opinions différentes.

Je voudrais d'abord rappeler le rôle majeur de hôpital, qui constitue l'ossature de notre système de santé, dans l'organisation des soins. Les établissements sont confrontés à une crise budgétaire sérieuse, notamment à cause des problèmes de report de charges et des investissements. Il faut évoquer aussi la crise de la démographie médicale et la crise de l'organisation des urgences, qui posent un vrai problème dans l'organisation des hôpitaux.

Deux points, qui n'ont pas été abordés, me paraissent importants. D'une part, la modification de l'état d'esprit des soignants. Je rencontre des médecins parfois désabusés ou éc_urés. Cela pose un vrai problème pour l'avenir. Quelles en sont les causes ? Comment les remotiver ? D'autre part, le poids économique des hôpitaux dans le système de soins. Globalement, les établissements, qui consacrent 70 % de leur budget aux dépenses de personnel, représentent 50 % des dépenses de santé. Je plaide depuis longtemps pour que l'hôpital ne soit pas une structure vivant pour elle-même. Elle doit d'abord répondre aux besoins de la population. Mais c'est très compliqué de faire évoluer un établissement, car les questions de personnel pèsent lourd. Il faut prendre en compte d'abord la qualité des soins.

Un autre sujet qui n'a pas été abordé, et qui pourtant est cher à notre président, c'est l'humanisme. Dans la pratique, l'hôpital est loin d'être à l'écoute des patients.

Je poserai deux questions :

- On souhaite responsabiliser les acteurs en donnant un vrai pouvoir délibératif au conseil d'administration sur le projet d'établissement, l'organisation et le budget. Comment financer cette responsabilisation ?

- Comment développer la contractualisation, non seulement externe, pour favoriser les coopérations au service des malades, mais aussi, interne, entre les services, les départements et les pôles d'activité, pour responsabiliser chacun des acteurs. Comme l'ont dit M. Claude Evin et M. Claude Gaillard, la loi permet cette contractualisation. Elle existe d'ailleurs dans certains établissements.

L'hôpital dont je préside le conseil d'administration a contractualisé en interne avec des pôles d'activités. Cela marche très bien parce que les responsables ont des contrats de projets et ont un retour financier dans la mesure où ils respectent ces contrats. C'est une évolution intéressante, mais elle nécessite une évaluation des pratiques médicales et une évaluation humaine de la qualité des soins.

Enfin, je formulerai trois réflexions.

Comment peut-on évoluer si l'on ne change pas les statuts ? En ce qui concerne les directeurs, ils devraient pouvoir être embauchés par le conseil d'administration pour appliquer le projet d'établissement. En général, quand je dis cela, je me fais siffler par une partie de la salle, mais j'ajoute que les meilleurs directeurs sont d'accord, alors l'autre partie m'applaudit. Quant au statut des médecins, il faut aller vers la contractualisation.

Les nombreuses commissions représentent une perte de temps et d'énergie. M. Gaillard propose de les regrouper. Mais, dans un établissement où il y a une centaine de médecins, plus le personnel non médical, comment faire travailler tout le monde ensemble sans créer une sorte de parlement ? Expliquez-moi comment cela peut fonctionner...

Enfin, abordons la réglementation. M. Gaillard a dit que, comme à l'armée, on attend le contrordre pour appliquer l'ordre parce que les textes réglementaires, notamment les textes sur la sécurité sanitaire, tombent les uns après les autres. Comment les appliquer en sachant, par exemple, qu'on n'aura pas assez de pédiatres pour répondre aux besoins ? Ce n'est pas simple. Se pose la question du rôle du règlement, de la loi et de l'autonomie des établissements. Il faut aussi prendre en compte le principe de précaution, puisqu'on n'accepte plus les accidents.

M. Jean-Michel DUBERNARD, président. Je vous rappellerai que les hôpitaux militaires ne sont pas forcément ceux qui fonctionnent le moins bien.

M. Jean-Yves NEVEU, professeur des universités, praticien hospitalier. J'ai retenu trois choses des discussions tenues depuis ce matin.

La première, c'est qu'il existe effectivement une lutte de pouvoir. Nous en sommes tous responsables. Dans une période où les structures administratives étaient faibles, il y a plus de vingt ans de cela, le pouvoir médical était très important. Les structures administratives se sont développées, le pouvoir est allé de leur côté. Je crois qu'il est allé trop loin.

Je ne nie pas que la gestion de l'hôpital doive être assurée par les directeurs. Dans l'organisation de la stratégie, le pouvoir administratif a actuellement trop d'importance. Il ne faut pas que cette lutte de pouvoir devienne une bataille rangée. Il faut que nous trouvions un moyen terme.

Je me permets simplement de faire remarquer qu'un certain nombre de médecins sont allés au-devant du pouvoir administratif, en faisant eux-mêmes des études de gestion et d'économie. J'en suis un témoin vivant. Je regrette de n'avoir jamais vu un élève de l'école de santé de Rennes faire quelques bouts d'étude de médecine pour comprendre la réalité des choses. Je n'en connais pas un exemple, même si certains ont, par la suite, entamé des études de médecine, mais c'est autre chose.

Le deuxième problème est celui de la constitution des conseils d'administration. M. Henri Kreis a parlé tout à l'heure de l'autonomie des hôpitaux et a évoqué l'idée que les hôpitaux puissent être indépendants les uns des autres, à la manière des PSPH. Je sors de treize ans de vie dans un PSPH parisien que j'avais rejoint après avoir été détaché de l'Assistance publique de Paris. Je connais malheureusement bien le problème des PSPH dont la qualité dépend avant tout de son conseil d'administration. Un certain nombre de PSPH ont des conseils d'administration tenus par des gens qui ne connaissent rien au fonctionnement des hôpitaux, qui sont souvent de grands vieillards représentant des lobbies passés.

Toute la difficulté du fonctionnement de l'hôpital tient précisément à la constitution du conseil d'administration. Nous ne savons, ni les uns ni les autres, qui doit siéger au conseil d'administration. Le jour où nous aurons résolu ce problème, on aura trouvé une solution, car le conseil d'administration nomme le directeur.

Troisième point : l'hôpital doit être au service du malade. Son organisation interne doit être centrée sur le malade, c'est l'objet de ce débat, mais on ne réglera pas les problèmes de l'organisation interne tant que nous fonctionnerons avec un système budgétaire comme celui du budget global, qui gomme toute notion de productivité et d'efficacité.

Mme Catherine GÉNISSON. Nous disons tous que l'hôpital va mal, et il est vrai qu'il ne va pas bien. Néanmoins, il faut se féliciter et s'enorgueillir de la solidité de notre hôpital public, car s'il n'avait pas été présent et solide durant les derniers mois, les Français auraient sans doute été beaucoup moins bien soignés. La grève des médecins généralistes, en effet, a entraîné une surcharge de travail considérable pour l'hôpital public, et, que je sache, il n'y a pas eu de grande catastrophe pour nos concitoyens.

J'ai été assez séduite par le témoignage de M. Gaillard. Malgré la loi de 1991 et l'ordonnance de 1996, on constate une démotivation réelle ainsi qu'une inertie de fonctionnement alors que les outils de démocratisation et de responsabilisation ont été mis en place. Le syndrome de la « réunionnite » aiguë ne me paraît pas du tout productif, et au final, les soignants sont de moins en moins en contact avec les malades.

Plusieurs orateurs sont intervenus sur le problème de la lutte de pouvoirs. Je crois qu'il existe de bons outils qu'il faut cependant simplifier. Il ne me paraît pas utile d'en créer d'autres. La composition des conseils d'administration est évidemment déterminante dans la mesure où c'est lui qui doit détenir le pouvoir décisionnel. Quant aux centres de responsabilité, il s'agit d'une bonne initiative qui doit se concrétiser.

Je rejoins les propos tenus par mes collègues M. Yves Bur et M. Claude Evin. Comment, en effet, parler du fonctionnement interne de l'hôpital sans le replacer dans l'ensemble du paysage sanitaire ? Le fonctionnement interne des services est à revoir. Pour avoir été médecin responsable des urgences pendant dix ans, j'ai pu constater que la place désormais réservée aux services d'urgence a complètement modifié leurs relations avec les autres services de l'hôpital. Enfin, l'organisation de l'hôpital doit non seulement prendre en compte une analyse des relations internes des services, mais aussi des relations de l'hôpital avec l'extérieur. Il faut donc travailler sur les réseaux et ne pas en rester à une étude strictement hospitalo-centriste.

M. François AUBART, chirurgien des hôpitaux, président de la commission médicale hospitalière. Je voudrais apporter mon témoignage et mes interrogations de chirurgien des hôpitaux, de syndicaliste et de président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'hôpital Simone Veil du Val-d'Oise.

A mon sens, l'urgence à réorganiser l'hôpital est beaucoup plus grande qu'on ne l'a dit jusqu'à maintenant. L'hôpital est en effet un système très rigide. Et comme tout système rigide, il peut s'écrouler très rapidement. Bon nombre de situations que je connais sont ainsi en complet décalage avec l'esprit d'apaisement de certains orateurs.

Je tiens à remercier M. Reibel pour les repères qu'il nous a donnés, et dire combien j'ai apprécié, même si je ne partage pas toutes les solutions qu'il apporte, l'intervention de M. Kreis. Son témoignage a le mérite de nous rappeler certaines vérités qui ne sont pas dans l'air du temps.

Je souhaite développer quatre points. Le premier concerne l'autonomie des établissements. Tout le monde est d'accord sur ce concept. Pourtant, comment le définir dès lors qu'on parle public-privé, logique de territoires ou encore coordination-graduation-organisation ? Bien sûr, il faut définir de nouveaux champs d'autonomie, mais on ne peut s'appuyer sur la cartographie actuelle des établissements, fruit d'une longue sédimentation, et déclarer que la réponse aux problèmes réside dans l'autonomie des établissements.

Le deuxième point est celui de la compétence respective des directeurs et des médecins. Est-on sûr que notre administration, avec un corps aussi fermé, a la même logique de compétence que les médecins ? Quant à la compétence des médecins, on peut la mettre en cause au regard de la réforme médicale que nous attendons mais qui pose le problème de la banalisation des repères statutaires. Chacun a en tête, de façon allusive, la situation actuelle : un système qui entend faire fonctionner durablement nos hôpitaux en faisant appel à des médecins étrangers, souvent très compétents et dévoués, est un système qui marche sur la tête.

Le troisième point est celui des structures. Bien évidemment, l'organisation de l'hôpital est complètement défaillante et balkanisée. Je n'ai pas peur d'affirmer que le mot de service a un sens, dès lors qu'il regroupe un espace géographique coordonné et de taille suffisante.

Quoi qu'il en soit, et quel que soit le nom qu'on lui donne, l'organisation interne de l'hôpital doit être l'occasion de définir de nouvelles responsabilités. C'est le quatrième point. L'administration est au pouvoir, mais elle n'est plus au service ni du patient, ni du médecin. Elle devrait aider le médecin dans son exercice de soins au patient. Or, ce n'est plus le cas. Chacun devrait pourtant garder ses responsabilités et son savoir-faire sur la base de ses compétences propres. Il ne s'agit pas de polémiquer, mais force est de constater que la responsabilité médicale a été laminée. Le décret du mois d'avril dernier, qui met en place le corps des directeurs de soins, donc une organisation hiérarchisée de centralisation des soins dans l'hôpital, constitue à cet égard la cerise sur le gâteau.

Pour conclure, je remercie le président Jean-Michel Dubernard d'avoir organisé cette réunion sur un sujet essentiel.

M. Paul-Henri CUGNENC. Aujourd'hui, si je siège du côté des parlementaires, et non des invités - j'aurais pu en être un, étant donné que je suis toujours président du syndicat des chirurgiens des hôpitaux de Paris - c'est parce que je n'ai pas envisagé de terminer les dix dernières années de ma carrière professionnelle à l'hôpital Pompidou, et plus généralement à l'hôpital public sous sa forme actuelle. C'est la raison de mon investissement législatif. J'espère trouver à l'Assemblée nationale une tribune supplémentaire.

Ce qui saute aux yeux, lorsqu'on examine les problèmes de l'hôpital public, c'est l'inversion des priorités et le manque de bon sens qu'on rencontre tous les jours. Tous les Français pensent pourtant, et je l'ai vérifié au long de ma campagne législative, que l'hôpital est fait pour les malades et pour ceux qui les soignent. Mais force est de constater qu'on n'a plus du tout la même certitude dès lors qu'on se retrouve à l'intérieur d'un hôpital. Cette constatation étonne 99 % des Français.

Pour essayer de sortir l'hôpital public du marasme dans lequel il se trouve, il faut sûrement mobiliser les énergies et recréer l'esprit d'équipe. Certes, il n'y a pas que les grandes équipes, mais comme l'a dit Henri Kreis, ce sont elles - et non pas la balkanisation - qui montrent l'exemple et qui tirent les autres vers le haut. Si nous décidions de reléguer tous les clubs en quatrième division, l'emblème sportif de la France ne volerait plus très haut !

Le manque d'harmonie entre l'administration et ceux qui sont là pour soigner les malades saute également aux yeux. S'agit-il de conflit de pouvoir ou de conflit d'autorité ? Je ne le sais pas, mais j'observe de graves divergences et, encore une fois, un manque total d'harmonie. Pour comparer avec un club sportif, il y a une sorte de conflit entre les joueurs et la direction. A l'hôpital, les joueurs sont les soignants. Lorsqu'un club sportif ne marche pas, il faut changer l'état d'esprit !

Il s'agit de constations simples et je crois que nous sommes là pour les faire. Samedi dernier, à la fin d'un match de championnat de première division, les présidents des deux clubs concernés me demandaient pourquoi l'hôpital marchait si mal. Je leur ai répondu qu'un hôpital public était comme un club sportif qui, pour survivre, doit gagner des matchs.

Bien sûr, il ne s'agit pas de faire d'amalgames simplistes et de critiquer l'administration. Nous avons sûrement de très bons gestionnaires et de très bons administrateurs. Par contre, c'est le système qui ne va pas, et c'est lui qu'il faut probablement changer. Des quatre systèmes hospitaliers que nous connaissons en France - les centres anti-cancéreux, l'hôpital militaire, l'hospitalisation privée et l'hôpital public -, c'est l'hôpital public qui marche le plus mal, alors qu'il est considéré comme le système exemplaire auquel il faut se référer. Comme beaucoup, je pense qu'il n'est pas nécessaire de rester dans ce système qu'il est urgent de l'évaluer et de le comparer à d'autres.

M. Jean-Luc Préel a terminé son intervention par une comparaison militaire. Pour ma part, je comparerais volontiers la situation de l'hôpital public à celle de l'armée en 1939. Il n'est pas nécessaire de changer la troupe, ni les officiers, mais il est temps de se poser des questions sur son état-major.

M. Patrice BARBEROUSSE, directeur d'hôpital, président du syndicat national des cadres hospitaliers. Je suis, pour ma part, fier d'être directeur d'hôpital et fier de travailler pour l'hôpital public. Contrairement à d'autres orateurs, je pense que l'hôpital public marche bien. D'ailleurs, comme Mme Catherine Génisson l'a remarqué, heureusement qu'il y avait des hôpitaux publics en France au cours des derniers mois.

J'ai lu et entendu de nombreuses critiques sur le fonctionnement de l'hôpital public, notamment de médecins originaires de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), où j'ai travaillé pendant dix ans. Or, je tiens à souligner que l'AP-HP n'est pas le modèle hospitalier de la France et que tous ses projets de réforme ont été systématiquement bloqués. Le témoignage du directeur de l'hôpital de Brive a permis pourtant de montrer qu'il existait des hôpitaux où médecins et directeurs savaient s'organiser et travailler ensemble.

Nous sommes nombreux à nous plaindre de l'excessive réglementation dont on attribue souvent la responsabilité aux directeurs d'hôpitaux. Or, il faut faire la part entre les administrations locale et nationale. Lorsque je travaillais au ministère de la santé, à la direction des hôpitaux, j'ai participé à la création de certaines réglementations qui embêtaient les hospitaliers, mais j'étais toujours soucieux de savoir comment mes collègues allaient réagir. Le renforcement de la réglementation est demandé d'une part par les usagers qui ont raison d'exiger davantage de sécurité sanitaire et, d'autre part, par les médecins qui veulent de meilleures conditions de travail. Il existe donc une convergence entre les usagers et les médecins que l'administration ne fait que transcrire. Les cabinets ministériels et la direction de l'hospitalisation ne font que répondre aux demandes des uns et des autres.

Certes le statut de l'hôpital est rigide mais toute entreprise, qu'elle soit publique ou privée, a un cercle de contraintes. Le droit privé a également sa réglementation, ses contraintes et son code du travail. Cela dit, nous sommes partisans, à la Fédération hospitalière de France, d'assouplir le statut de l'hôpital public et nous avons fait des propositions en ce sens. Encore faut-il que les élus que vous êtes fassent attention lorsqu'ils rédigent les lois. Comment a-t-on pu publier un code des marchés aussi rigides, qui empêchent les hôpitaux de travailler ? Personne n'a alors élevé la voix. On accuse les directeurs d'avoir un comportement rigide, mais nous ne faisons qu'appliquer la loi et les décrets qui sont publiés.

J'ai participé à la préparation de la loi de 1991. Or, je constate et je m'étonne qu'on discute encore, à l'Assemblée nationale, du mode de management de l'hôpital. Pensez-vous vraiment que celui-ci peut être transcrit dans une loi ou un décret ? Est-ce que l'on régit l'organisation interne d'une clinique privée ou des ateliers Michelin ? Non ! Laissez donc l'hôpital respirer. La gestion interne de l'hôpital ne relève pas de la loi, mais des hospitaliers à qui il faut donner de la liberté. Pour autant, je rappelle que, lors des débats de la loi de 1991, l'amendement de M. Jean-Paul Durieux, dit « amendement liberté », avait permis aux hôpitaux de s'organiser comme ils le voulaient. Quels sont les hôpitaux qui l'ont mis en _uvre ?... J'en connais un seul ! On ne peut pas constamment critiquer et refuser la liberté lorsqu'on peut l'exercer.

A M. François Aubart, que je connais bien, je voudrais dire qu'il peut devenir directeur d'hôpital s'il le souhaite, puisque le statut des directeurs le lui permet, et que le corps n'est pas aussi fermé qu'il l'a dit.

Enfin, il faut arrêter de se battre sur le rôle des médecins à l'hôpital, ce sont des querelles vieilles de trente ans. Je ne vois pas beaucoup de jeunes, dans cette salle. Les jeunes médecins et les jeunes directeurs d'hôpitaux ne sont pas là, alors qu'ils sont l'avenir de l'hôpital.

Mme Josiane PHEULPIN. « Stop, stop », monsieur le directeur ! Et les infirmières, vous en faites quoi ?

M. Patrice BARBEROUSSE. Arrêtons donc de nous battre entre médecins et directeurs. Les conseils de service existent, mais ils ne sont pas mis en place.

En conclusion, l'hôpital a besoin d'abord d'un changement de mentalités, ensuite d'argent.

M. René COUANAU. Nous sommes, à ce stade du débat, entrés dans le vif du sujet. Je voudrais répondre au dernier intervenant. Pourquoi l'Assemblée nationale se préoccuperait-elle du management à l'hôpital ? Je le rassure tout de suite : il ne s'agit pas, dans l'esprit du président de la commission, de rédiger de nouvelles lois et de nouveaux règlements. Mais, parce que l'hôpital ne va pas bien, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur la question de son organisation interne, même si le problème de l'hôpital, j'en conviens bien, doit être replacé dans l'ensemble du système de santé.

Je suis président du conseil d'administration d'un hôpital depuis plusieurs années. Je cherche les responsabilités. Et je trouve admirable qu'elles continuent à s'exercer, alors que le système désorganise à ce point la responsabilité dans l'hôpital public. Or, je ne suis pas sûr qu'un tel système puisse continuer à fonctionner encore longtemps, au moment où de nouvelles générations, moins bien formées, ne sont pas animées du même respect du service public que les précédentes.

En tant que président du conseil d'administration, je me pose la question de ces responsabilités introuvables. Je me pose aussi la question soulevée en ouverture de la table ronde par le président : le malade est-il encore bel et bien au centre de nos préoccupations quotidiennes ? S'il reste au centre des préoccupations du premier cercle - l'unité de soins, le service, l'équipe de soins - je ne suis pas sûr que le second cercle - l'équipe administrative - soit autant animé par ce souci. Je ne dis pas qu'elle ne travaille pas pour le malade ou le patient, mais elle doit assumer des problèmes de gestion. Quant au troisième cercle - le conseil d'administration - c'est une fiction. Qu'est-ce qu'un président de conseil d'administration qui ne nomme pas un directeur, n'a aucun pouvoir d'appréciation sur les chefs de service, décide d'un budget qui ne sera ni le budget définitif, puisqu'il est décidé par la tutelle, ni le budget exécuté puisqu'il n'a aucun moyen d'en vérifier l'exécution ? Qu'est-ce que c'est que ce président de conseil d'administration ? Nous devons éclairer les responsabilités.

Il y a quelques mois, j'ai interrogé la hiérarchie sur l'affaire d'un chef de service qui distribuait aux parturientes un texte d'où il ressortait qu'on ne pouvait pas avoir grande confiance dans l'hôpital public. Que fallait-il faire ? Le directeur de l'hôpital, l'ARH et le préfet, que j'ai contactés, m'ont dit que je n'avais, comme président du conseil d'administration, aucun pouvoir. J'ai essayé d'appeler le ministère, mais je n'ai pas trouvé d'interlocuteurs. C'est un tout petit exemple qui montre que c'est notre rôle, à nous, parlementaires, qui à la fois vivons sur le terrain et pouvons régler ces problèmes nationaux, de nous en mêler.

Quant à l'autonomie, ne nous gargarisons pas trop de mots ! Je me souviens m'être battu sur l'autonomie des universités. La loi, dont j'étais le rapporteur, a eu le sort que vous savez. Savez-vous que ce fut une découverte un peu étrange pour un parlementaire que de constater que peu d'universitaires en voulaient vraiment ?

Il faut donc définir précisément l'autonomie. A qui reviendra la responsabilité financière ? Qui décidera des dépenses et des recettes ? Qui décidera de l'évaluation de la charge de soins ? Ce sont toutes ces questions que nous vous posons. Voilà, monsieur le directeur, la réponse à la question : pourquoi les députés se mêlent de ce qui ne les regarde pas ? Parce que ça les regarde !

M. Jacques DOMERGUE. Je souhaite centrer mon intervention sur les difficultés de fonctionnement des centres hospitaliers universitaires (CHU) et les raisons qui l'expliquent. Le CHU est au c_ur du problème, car il est responsable d'un taux de dépenses très élevé. En Languedoc-Roussillon, il absorbe un tiers des dépenses de santé de l'hospitalisation. Aujourd'hui, il est en grande difficulté parce qu'il est confronté à deux problèmes. Le premier est relatif à sa mission d'hôpital de proximité, de médecine et de chirurgie de proximité, la seconde à sa « valence universitaire ». Le paradoxe entre ces deux rôles explique en partie les difficultés que rencontrent les CHU. D'un côté, son activité d'hôpital de proximité est inflationniste, de l'autre, son activité universitaire est menacée.

Dès lors, comment imaginer la survie des CHU dans les années qui viennent ? Va-t-on vers un système de concentration des activités universitaires sur certains services, au sein même des CHU ? Ou va-t-on vers un système qui consisterait à identifier les budgets, en séparant celui de l'hôpital universitaire et celui de l'hôpital de proximité qui tend à devenir un gouffre ?

M. Etienne TISSOT, chef de service au CHU de Lyon, représentant de la conférence des présidents de CME de CHU. J'ai été frappé par le caractère un petit peu caricatural des trois derniers témoignages. Il est temps de sortir des enjeux de pouvoir au sein de l'hôpital, car nous sommes tous - les directeurs, les médecins et les personnels soignants non médicaux - dans le même bateau. Il me paraît d'autant plus important de le rappeler qu'il existe, dans la plupart des hôpitaux, des relations tout à fait correctes entre ces trois catégories de personnes, toutes au service des malades.

Pour autant, il faut réfléchir à un nouvel aménagement interne de l'hôpital. Notre conférence se prononce, pour sa part, en faveur d'un processus plus avancé de codirection, qui respecte les pouvoirs administratifs d'un directeur et associe beaucoup plus fortement les représentants médicaux à la stratégie, aux choix médicaux, aux révisions des effectifs ou aux activités purement médicales. Ce processus nous paraît indispensable.

Les propositions que nous avons élaborées avec les directeurs généraux, lors des dernières assises hospitalo-universitaires, concernent l'organisation interne de l'hôpital, mais aussi la question de l'hôpital dans son environnement qui n'est pas traitée aujourd'hui.

Pour progresser dans l'organisation interne de l'hôpital, il est indispensable de diminuer l'hyper-réglementation. Certes, elle est souvent le fruit de groupes de pression, mais il faut savoir y résister, faute de quoi le pseudo-principe de sécurité sanitaire nous amènerait au déviationnisme. Si l'homme des cavernes avait fait jouer le principe de précaution, il serait toujours dans les cavernes...

Il faut également se garder des généralisations. Les situations sont très différentes d'un endroit à un autre, d'une région à une autre. On ne saurait traiter l'hospitalisation de jour en milieu rural comme en grande agglomération, c'est évident.

Comme l'ont souligné d'autres orateurs, il faut sortir du statut d'établissement public de santé. A un kilomètre de mon hôpital se monte une clinique : les travaux préliminaires à sa construction ont duré un an et demi. Lorsque je veux apporter des améliorations à un pavillon de mon hôpital, trois ans de travaux préliminaires sont nécessaires avant de poser la première pierre. C'est effarant ! De tels délais plombent l'hôpital public. Le code des marchés doit donc être modifié pour lui donner la souplesse indispensable au management de l'hôpital. Le mode de financement des hôpitaux devra, lui, être modifié, compte tenu, notamment, des limites de la dotation globale basée sur le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

Il faut tendre vers une contractualisation réellement appliquée. Pour cela, de plus grands ensembles médicaux sont indispensables, notamment pour valoriser la fonction universitaire et permettre une meilleure évaluation de l'activité médicale et de l'ensemble de la structure. Mais nous manquons encore d'outils d'évaluation et de suivi : l'informatisation des hôpitaux n'est pas encore à la hauteur de nos espérances.

Telles sont les pistes que notre conférence a mises en avant. D'autres pistes, à la limite de l'organisation interne et externe, ont également été évoquées. L'hôpital n'est pas seul : il doit être replacé dans son environnement. Un travail doit être mené sur les relations de l'hôpital, de la médecine de ville et des cliniques privées. La question de la gradation des soins mérite également d'être posée. Le livre, La France des vingt minutes, que je viens de lire, fait état d'une diversification extraordinaire de notre pays, y compris en matière sanitaire. Afin de ne pas obérer le budget de la sécurité sociale, mieux vaudrait ne pas faire tout partout. Enfin, il faudrait réfléchir à une gradation éventuelle des soins et aux articulations entre les structures de différents niveaux.

Voilà brièvement résumées les réflexions de la conférence des présidents de CME de CHU.

M. Henri NAYROU. Ne faisant pas partie du personnel hospitalier et n'étant que député, je suis content de faire remonter les propositions des acteurs du terrain.

Je commencerai par rappeler quelques généralités essentielles : l'argent ne fait pas tout mais y contribue ; l'organisation du travail est perfectible, les compétences doivent être reconnues et clarifiées ; la superposition des structures conduit à la dilution des responsabilités - commission médicale d'établissement, comité technique d'établissement, commission de service de soins infirmiers, conseil d'administration - ; l'assouplissement de la gestion des hôpitaux publics conduisent à la caricature, les corporatismes et le cloisonnement sont source de problèmes.

Autre remontée du terrain : les acteurs ne veulent pas d'une réforme de plus après celle de 1958, de 1970, de 1991, de 1996, de 2001 et même de 2002 avec la réduction du temps de travail. Ils préfèrent la voie contractuelle, en donnant plus de marges de man_uvre aux acteurs du terrain.

Les usagers nous disent : « Soyez réactifs ! », en appliquant les trois principes du service public : continuité, gratuité, adaptabilité. Les professionnels réclament plus de souplesse et l'opinion publique demande une clarification des règles du jeu sur l'accueil et la prise en charge des patients.

Concernant l'autonomie, les intervenants ont oscillé entre autonomie conditionnelle ou autonomie totale. La France ne saurait pourtant vivre au rythme des embouteillages du périphérique de Paris, encore moins de ceux de l'Assistance publique de Paris. La loi hospitalière de 1991, il faut le rappeler, donne la possibilité aux établissements publics de soins de décider de leur organisation interne. Cet article a été très peu utilisé, comme l'a indiqué la conférence des présidents de CME. Quand on veut assumer le pouvoir, encore faut-il le prendre !

Concernant les conseils d'administration, je m'associe aux propos de M. René Couanau. Depuis 1997, je suis membre du conseil d'administration d'un hôpital public. J'endosse des responsabilités sans pouvoir les assumer parce que je ne maîtrise ni les recettes ni les dépenses.

M. Guy COLLET, représentant de la fédération hospitalière de France (FHF). Je rejoins complètement les propos de M. Tissot. La Fédération hospitalière de France colle à l'analyse de la conférence des présidents de CME de CHU. A la limite, elle reprend notre plate-forme sur l'avenir de l'hôpital public rédigée à l'adresse des candidats à la présidence de la République.

Un article d'un professeur parisien publié dans le Figaro avait pour titre : « L'hôpital n'aime plus ses malades ». Or, 85 % de la population française le plébiscite. Comment peut-on ne pas aimer les malades alors que les malades nous aiment de plus en plus ? Les problèmes que rencontre l'hôpital viennent peut-être de là : on demande de plus en plus à l'hôpital, du point de vue de ses missions, de la sécurité sanitaire, de la relation entre les patients et les professionnels, alors que l'hôpital est enfermé dans un carcan. C'est pourquoi, à la FHF, nous demandons plus d'autonomie.

Mais quelle autonomie ? Être autonome, est-ce ignorer la politique de santé, le montant des fonds publics ? Non ! Il existe des règles qui permettent à chacun d'accéder à des services de soins. L'autonomie ne peut pas se faire contre les exigences de santé publique. Une stratégie autonome doit nécessairement prendre en compte une stratégie de service public à l'échelle du territoire.

Je rejoins M. Barberousse et M. Gaillard s'agissant de l'organisation à mettre en place dans l'hôpital, du recrutement et des règles d'achat. Nous souhaitons, nous aussi, davantage d'autonomie juridique, un peu à l'image du modèle de l'établissement participant au service public hospitalier. Cela signifie pourvoir recruter son personnel, fixer un niveau de rémunération, voire d'intéressement, et probablement développer des techniques contractuelles, ce que les règles administratives actuelles ne permettent pas toujours.

Quant au débat sur la rivalité entre les médecins et les directeurs, il est pour moi archaïque. Certes, lorsque j'ai débuté, les directeurs « bouffaient » du médecin et vice versa.

M. Paul-Henri CUGNENC. Il n'y a plus rien à manger !

M. Guy COLLET. Exactement ! L'affrontement a disparu, mais on l'évoque encore pour trouver une explication à la crise actuelle. C'est une mauvaise manière d'aborder le sujet. Aucune organisation ne peut faire fi du management. Lorsque j'étais jeune directeur, je me considérais au service du médecin. C'était ma seule légitimité. Et mon travail consistait à organiser les compétences de chacun pour permettre le meilleur service au malade. C'est très important.

Aujourd'hui, les centres de responsabilité et le management par proximité sont de bonnes techniques, mais elles supposent que le rôle des uns et des autres soit respecté et toléré. N'oubliez pas que les étrangers viennent en France pour s'inspirer du modèle de management français et que tous les pays où un médecin est directeur sont des pays étatique. L'hôpital militaire est-il autonome ? Non ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a décidé l'an dernier de supprimer une vingtaine d'hôpitaux d'un seul coup.

Nous avons donc besoin de complicité, de compétences et de tolérance dans le management. La gestion par proximité avec tous les partenaires demande en plus du talent, un engagement personnel et le recours au contrat. Voilà ce que nous souhaitons à la FHF.

Mme Rachelle BOCHER, psychiatre des hôpitaux, chef de service, présidente de l'Intersyndicale nationale des praticiens hospitaliers. L'hôpital est un ensemble de compétences et d'énergies, une communauté d'hommes et de femmes. Aujourd'hui, nier les malaises et les conflits serait une erreur. Pour autant, se dirige-t-on vers la sinistrose, comme le prétendent les journaux  ? Je ne le pense pas. Mais il faut commencer par régler les problèmes qui sont nombreux.

Sans dresser un catalogue exhaustif, je ferai quelques réflexions. Je travaille dans un hôpital où plusieurs structures ont été mises en place : fédérations, départements et pôles. L'amélioration de l'organisation interne ne résoudra pas tout. Cependant, il existe certains problèmes spécifiques à l'organisation des centres de responsabilité. La clarification des rôles dans le dispositif me paraît être le plus important, car ces rôles sont trop confus. Lorsqu'un directeur est un médecin, sans formation administrative, les choses ne sont pas simples. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème de « patate chaude » : à qui doit-on s'adresser ? Au directeur, à l'ARH, au président de CME, au directeur de pôle ? Qui détient la responsabilité, le pouvoir de décision ? La confusion des rôles est source d'une grande démotivation.

Restons donc sur des positions claires, dans un dispositif affirmé. Aujourd'hui, la crise des générations ne doit pas être niée. Les jeunes médecins de mon service me disent clairement qu'ils ne feront pas ce que nous avons fait, qu'ils ne travailleront pas 70 heures par semaine, de jour comme de nuit. Ils veulent aussi vivre pour autre chose. Et je ne vois pas pourquoi les médecins ne le pourraient pas. Un journaliste m'a demandé si je conseillerais à un jeune bachelier d'entreprendre des études de médecine. Bien sûr ! Mais encore faut-il attirer les jeunes à l'hôpital ! Pour cela, la crise des générations doit être entendue.

Les patients eux aussi on un comportement qui a changé. Les besoins d'immédiateté, de sécurité et de proximité ont évolué. Il faut les entendre. Quant à l'hôpital, ses missions se sont surajoutées les unes aux autres en l'espace de vingt ans. En psychiatrie clinique, les missions ont augmenté de 50 %. On doit s'occuper de tout : des victimes de catastrophes, des délinquants sexuels, des détenus, des urgences, des alcooliques, des suicidants, des personnes âgées, et j'en passe.

En quoi une réforme de l'organisation interne de l'hôpital peut-elle rendre l'hôpital attractif pour les jeunes médecins ? Un hôpital sans médecins, je le rappelle, c'est un hospice, c'est ce qu'il était avant les années cinquante.

Pour toutes ces raisons, il me paraît indispensable de parler du statut des médecins, de redéfinir les missions de l'hôpital et de rappeler que, pour un médecin, travailler à l'hôpital c'est également faire de l'enseignement et de la recherche. Les ordonnances de 1958 doivent donc probablement être revues et les missions de l'hôpital redéfinies. L'hôpital doit-il faire face à toutes les situations ? Pendant la grève des généralistes, l'hôpital a continué de tourner, mais jusqu'à quand tournera-t-il ?

Il est question d'abolir l'obligation de l'article 77 du code de déontologie relatif aux gardes. Pourquoi les libéraux auraient-ils le droit de ne pas en faire, alors que les hospitaliers y sont obligés ?

Attaquer les médecins et les directeurs d'hôpitaux ou opposer le public au privé relève d'un conflit d'un autre âge. Pour autant, les conflits existent. Même si nous faisons tout pour les éviter, nous rencontrons des problèmes avec les directeurs ou nos collègues du privé. Mais les conflits ne se déclenchent que lorsque les hommes sont en souffrance.

Encore une fois, il faut s'interroger sur les statuts et les missions, ainsi que sur la place de l'hôpital dans notre système de soins. Les réponses aux problèmes sont à chercher au niveau de l'hôpital. Pour autant, les deux systèmes - le public et le privé - doivent fonctionner l'un et l'autre, non l'un au détriment de l'autre.

M. Simon RENUCCI. Avant d'être député, j'étais pédiatre libéral et président d'une union régionale des médecins libéraux, structure hélas totalement ignorée par les Français.

Je vous félicite, monsieur le Président, pour ce débat courageux qui fait apparaître les difficultés que rencontre la société. L'organisation interne de l'hôpital doit répondre aux besoins de la population. Or, je crois qu'il revient à l'ARH de les répertorier dans chaque région et de trouver des réponses.

Le rôle des réseaux entre médecine libérale et médecine hospitalière mériterait à lui seul un débat. Au sein de l'hôpital, chacun veut dépasser les clivages et les contradictions. Maintenir la cohérence d'un service ne peut se faire sans cohésion.

Qui fait quoi dans un service ? Quelle hiérarchie entre médecins et cadres ? Quel statut pour les différents acteurs ?

Le poids financier de chaque service devrait être analysé tous les ans. La formation au management devrait être obligatoire. Quant à l'évaluation, elle est très importante. Evaluer les pratiques, c'est d'abord être humble, avoir l'esprit de vérité et se montrer très tolérant pour chacun des acteurs. Une bonne évaluation et une analyse des remarques des patients permettraient d'améliorer le fonctionnement de l'hôpital.

La discussion d'aujourd'hui n'apportera pas de réponses précises, mais elle aura permis de faire apparaître que si l'on juge une société au fonctionnement de l'hôpital, il est important de s'intéresser à son fonctionnement.

M. Jean-Pierre BETHOUX, professeur d'université - praticien hospitalier (PU-PH), chef de service de chirurgie à l'Hôtel Dieu et ancien secrétaire général du Haut-conseil de la réforme hospitalière. Plusieurs orateurs ont souligné que le débat tournait autour des mêmes problèmes récurrents. Depuis une trentaine d'années, tous les financements donnés à l'hôpital par la collectivité n'ont cessé de croître, au point d'atteindre aujourd'hui des sommes très importantes. Comment, dès lors, rendre le dispositif efficient ? Comment faire en sorte que les financements et l'organisation interne des hôpitaux produisent les effets attendus ?

Plusieurs intervenants ont suggéré d'appliquer les textes existants dans toutes leurs modalités. Pourquoi, en effet, les centres de responsabilité prévus dans les textes de 1996 n'ont pas été mis en place, et que les seuls qui existent sont des « Canada dry » ? Pourquoi, les contrats d'objectifs, prévus en 1991, ne sont pas entrés dans la pratique courante ? Le législateur doit s'interroger sur la manière dont il rédige les lois et la façon dont il entend en faire respecter l'esprit.

La loi de 1999 avait mis au point, avec l'Agence nationale pour le développement et l'évolution médicale (ANDEM), une sorte d'ébauche d'agence d'évaluation. Mais la loi dite « loi Evin » est restée ambiguë : elle créait bel et bien des contrats d'objectifs, mais ne garantissait pas les moyens. La loi ne définissait aucune règle de répartition des dotations globales. Les instances transversales, telles les CME, font certes leur travail, mais les responsabilités se dispersent de part et d'autre.

Plus encore, la loi Evin recommandait aux équipes médicales de définir des objectifs, de passer des contrats, sans garantir les financements. Certes, le mode de financement a été garanti en 1996 par un article sur la contractualisation interne, mais la loi, une nouvelle fois, est restée ambiguë, car elle n'est pas revenue sur le principe des dotations globales aux établissements. Une seule chose a évolué : le relais pris par les ARH en matière de dotations globales. Mais pour chaque hôpital, c'est toujours le système de la dotation globale qui fonctionne, sans péréquation interne possible et avec une contractualisation interne difficile.

La loi est restée encore plus ambiguë sur la création des centres de responsabilité, alors que tout le monde considère qu'il s'agissait d'une très bonne disposition. Pourquoi ? Parce qu'ils sont facultatifs. D'après l'article 9 de la loi du 31 juillet 1991, les équipes médicales ainsi que le directeur d'un hôpital, le directeur peuvent faire des propositions. Mais libre à eux d'en faire ou de ne pas en faire. Les centres de responsabilité ont continué de fonctionner en budget global et sont plus des fédérations de gestion commune que de réels centres de responsabilité. Un orateur a d'ailleurs bien expliqué qu'il n'était pas responsable des répartitions des lignes budgétaires. Or, tout le problème consiste, au terme d'un travail médical et administratif, à flécher des lignes budgétaires.

En conclusion, les lois ne peuvent être appliquées qu'à la condition qu'elles ne soient pas ambiguës.

M. Alexis DUSSOL, directeur d'hôpital et président de la Conférence des directeurs de centre hospitalier. Je m'exprimerai surtout à titre personnel. L'objet de cette rencontre est de permettre aux invités d'éclairer la représentation nationale sur les politiques à mettre en _uvre dans les années à venir. Il serait irresponsable de dire que tout va bien à l'hôpital public. Celui-ci connaît de sérieux problèmes, tout comme l'hospitalisation privée et la médecine libérale. Des problèmes budgétaires, d'abord. Nous connaissons tous des problèmes de reports de charges et demandons qu'un audit soit mené rapidement. Des problèmes de démographie médicale, ensuite. Disposera-t-on encore, demain, des moyens pour soigner les malades ? Tous ces problèmes sont encore aggravés par le dossier des trente-cinq heures.

La situation actuelle exige donc que des mesures urgentes soient prises.

Deux raisons principales permettent de rendre compte de la situation actuelle. La première est l'hypertrophie du rôle de l'Etat dans la gestion de notre système de santé. Il est indispensable d'aller vers mieux d'Etat et non pas vers plus d'Etat. Or, force est de reconnaître que le fonctionnement actuel de l'hôpital est extrêmement bureaucratique. De surcroît, chacun fonctionne selon ses logiques propres. Et l'intérêt du malade n'occupe plus la première place.

Il est donc nécessaire de redonner du sens à la mission de chacun et de sortir du modèle jacobin, hypercentralisé, qui a montré ses limites. C'est à vous, les députés, qu'il reviendra d'imaginer le modèle le plus adapté à notre pays.

La seconde raison est que, depuis vingt ans, la politique de santé se résume uniquement à respecter un chiffre. C'est la dictature du chiffre. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) se résume à un chiffre. Toute la politique régionale se résume au respect de l'enveloppe régionale. Que demande-t-on à l'hôpital public et à un directeur d'hôpital ? De respecter son budget. Comment un tel système pourrait-il donner une visibilité et du sens à l'action individuelle de chacun ?

En outre, le budget global a eu des effets extrêmement dévastateurs. Lorsqu'on dit à un hôpital qu'il aura toujours les mêmes moyens, quelle que soit son activité, ce n'est pas encourager l'activité. Or, il faut intéresser chacun à l'activité. Une équipe médicale, un hôpital qui fait de l'activité doit voir les moyens venir. Bien évidemment, il ne s'agit pas de nier les contraintes macroéconomiques, mais il faut intéresser les équipes. A cet égard, je fonde beaucoup d'espoir dans une évolution du mode de tarification des hôpitaux. Il faut sortir du budget global.

S'agissant de l'organisation interne, je suis de ceux qui pensent que le modèle actuel a vécu. Il s'agit d'un modèle ancien, vertical et pyramidal. Il faut essayer de trouver des solutions adaptées, en sortant des conflits. Je suis également de ceux qui pensent qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres, mais essayer de chercher le modèle le plus adapté aux enjeux actuels. Ce modèle devrait, à mon sens, privilégier le principe de la subsidiarité, et renvoyer au niveau le plus adapté la résolution des problèmes. Je conçois très bien l'amertume du chef de service qui, lorsqu'il veut améliorer ses locaux, est obligé d'attendre quatre mois une décision.

Il faut donc, dans le cadre de règles du jeu définies, transférer des marges de man_uvre au responsable médical par de réelles délégations de gestion. C'est tout l'enjeu de la contractualisation interne. Les textes existent, il suffit de les appliquer. S'ils ne sont pas appliqués, c'est qu'il y a des raisons. Là, également il faut trouver des mécanismes incitatifs qui font que les gens s'engagent dans ces processus.

Je ne vous donnerai pas mon sentiment sur le problème de la codirection. Faut-il que le système soit dirigé par un médecin ou un directeur d'hôpital ? Moi, je considère qu'il faut une direction unique à l'hôpital, experte et compétente. Modifier la composition du conseil d'administration ne me paraît pas une bonne idée, car ses pouvoirs sont très limités. Par contre, il faut lui trouver de réelles marges de man_uvre. C'est tout l'objet de la contractualisation entre l'Etat et les établissements : donner de réels espaces de liberté à un hôpital par l'intermédiaire de son conseil d'administration.

M. Philippe EVEN, professeur de médecine. Je suis vieux, et j'ai travaillé à l'Assistance publique : donc, je suis archaïque...

Par conséquent, il pourra paraître déplacé que je tourne mon regard vers le passé et que j'y recherche un certain nombre de modèles qui ont en effet beaucoup apporté à la médecine dans le monde entier et en France en particulier.

Je tiens d'abord à remercier le président Jean-Michel Dubernard qui a eu l'initiative de cette réunion et indiquer à M. Claude Evin qu'il se trompe lorsqu'il pense qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil et que nous évoquons au contraire des poncifs. L'évolution est une fracture, un tournant. La démotivation des personnels est telle, qu'il s'agisse des infirmières ou des médecins, que le fonctionnement de l'hôpital est gravement compromis. Or, ce n'était pas le cas il y a encore deux ans.

Il ne devrait y avoir aucune opposition entre les administratifs et les médecins, dès lors que chacun reste dans son domaine de compétences. La tactique gestionnelle du budget est bel et bien de la responsabilité administrative. Par contre, la stratégie de l'orientation des hôpitaux, en fonction des besoins de la population d'une région, ne peut relever que de la compétence médicale. Je pense non seulement aux médecins, mais aussi aux infirmières qui constituent un cadre de personnel qui n'est pas à la place qu'il devrait occuper, ni en termes de statut, ni en termes de financement, ce qui explique d'ailleurs la difficulté à les recruter. Elles sont au contact direct des malades qui souffrent et ont un discours important qu'il faut écouter. C'est pourquoi elles doivent faire partie des structures de gestion générale de l'hôpital.

Compétences, oui, mais pour quelles responsabilités ? Avec beaucoup d'humour, M. René Couanau nous a signalé que le pouvoir n'était nulle part. Et, en effet, aucune décision n'est prise. Lorsqu'elle l'est, elle ne l'est par personne : un certain nombre d'astres, d'étoiles et de galaxies se sont mis dans un certain axe, et, à un moment donné, une décision tombe parce que ce jour-là, à cette heure-là, tout le monde était d'accord. Mais la conjonction des astres est un événement rare et ne dure jamais longtemps. Dès le lendemain, on n'en parle plus, et l'hôpital n'est pas géré.

Il y a trop d'hôpitaux en France : 1500, soit un tous les vingt-cinq kilomètres, en comptant la surface du Mont-Blanc. Or, il est rigoureusement impossible à l'économie d'un pays de maintenir autant de lits hospitaliers, avec la capacité d'accueillir les urgences et d'exercer toutes les disciplines médicales. N'oublions pas qu'il existe un hôpital de 250 lits à Saint-Just-la-Pendue, qu'aucun d'entre vous ne connaît....

Il faut enfin cesser le double financement des hôpitaux publics et privés, les uns financés au poids des structures et au nombre de lits, les autres à l'acte et à la contractualisation. C'est totalement aberrant et cela démotive le personnel qui n'a pas les récompenses qu'il devrait recevoir lorsqu'il a travaillé avec plus d'engagement et de dévouement que les autres. Il faut absolument dire la vérité : une part du budget doit être donnée en fonction des coûts des pathologies, une autre en fonction des structures immobilières, des charges d'urgence et des enseignements.

Mais j'ai l'impression de vous avoir fait perdre votre temps en enfonçant des portes ouvertes...

M. Daniel MOINARD, directeur général du CHU de Toulouse, président de la Conférence des directeurs généraux de CHU. Je voudrais vous apporter le témoignage de notre conférence et reprendre en partie les arguments du doyen Tissot.

Mon sentiment est que l'hôpital ne marche pas si mal que cela. Nous devons tous être très fiers de travailler dans cette institution. M. Claude Evin a justement parlé de « communauté d'acteurs ». L'expression rend bien compte de la mobilisation des professionnels de l'hôpital qui a eu lieu lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse.

Notre conférence propose plusieurs chantiers qui constituent une sorte de « package ». Evoqués lors des assises des hôpitaux universitaires en octobre dernier, à Montpellier, ils visent à ce que l'hôpital soit mieux géré.

L'évolution du système de financement de l'hôpital est un point fondamental. Car aujourd'hui, ce sont les structures qui sont financées, au détriment de l'activité. Lorsqu'un médecin veut développer son activité, il se met en situation de déficit. Le système a tendance à freiner ses initiatives. Ce n'est pas sain. Le système de financement doit donc évoluer et prendre en compte l'activité.

Un autre chantier est l'évolution du statut juridique de l'hôpital. Plus d'autonomie, oui, mais l'autonomie ne signifie pas l'indépendance totale. Nous sommes dans un réseau de soins et pensons qu'il est extrêmement important d'appliquer à l'hôpital des recettes qui ont marché au plan de l'intercommunalité. Pour bien mailler le territoire, un système d'incitation devrait permettre aux hôpitaux de se regrouper.

Les règles de gestion doivent être assouplies. Le code des marchés publics et la réglementation relative à l'ingénierie constituent des freins. Lorsqu'un hôpital lance un programme d'investissement de 1,5 million d'euros, quatre ans et demi sont nécessaires pour réaliser l'opération.

La contractualisation interne avec les pôles peut être mise en _uvre avec les textes existants. Mais cela suppose un changement complet de culture qui ne se décrète pas. Les services doivent accepter la mutualisation de leur moyen. L'hôpital que je dirige comprend un pôle de pédiatrie de 200 lits. Il n'y a plus aucun service : il s'agit d'un département dirigé par un coordonnateur médical et un directeur. Le système fonctionne très bien, mais il a fallu une révolution culturelle pour le mettre en place. Les patrons ont dû renoncer à leur titre de chef de service, accepter de mutualiser leurs moyens et entrer dans un processus où le chef de département est élu pour trois ans, avec une seule possibilité de renouvellement.

Le chantier de l'évaluation de la qualité est lui aussi important. L'accréditation est centrée sur l'évaluation des organisations. C'est une excellente chose. Il faut continuer dans cette voie. Un chantier est ouvert pour poursuivre cette médecine scientifique que le professeur Kreis appelait de ses v_ux. C'est un chantier médico-médical, celui de l'évaluation des pratiques médicales et de l'évaluation des pratiques soignantes pour les infirmières.

Mais le plus important, pour notre conférence, c'est la relance de l'investissement immobilier.

M. Maxime GREMETZ. Si l'on sous-estimait le malaise actuel de l'hôpital, on se tromperait grandement. La société, le gouvernement, l'Etat et les élus se tromperaient. Je le répète depuis trois ans et je constate que le malaise s'aggrave de plus en plus.

Je considère qu'il y a toujours un problème de détermination des besoins de santé et je redis qu'il n'est pas de bonne politique de déterminer l'enveloppe budgétaire avant d'avoir déterminé les besoins réels dans la société. Et je répète encore, avec mon franc-parler, que les conférences de santé, quelles soient nationales ou régionales, c'est du pipeau. Vous n'osez pas le dire mais moi, je vous le dis.

Enfin, l'hôpital ne doit pas être dissocié d'un contexte. Ma région, la Picardie, est l'une des plus retardataires au plan sanitaire. C'est une région industrielle, avec des maladies professionnelles, de nombreux accidents du travail, du tabagisme et de l'alcoolisme. Or, je viens d'apprendre que l'ARH a pris la décision de fusionner le CHR d'Amiens-sud avec celui d'Amiens-nord, situé dans les quartiers populaires d'Amiens, et que l'opération coûterait trois milliards de francs. Il me paraît donc indispensable de traiter les problèmes d'organisation et de gestion de façon plus démocratique, avec le seul souci de l'intérêt du malade.

M. Jean-Paul SEGADE, directeur du centre hospitalier Le Vinatier à Bron. Je suis inquiet, pour ma part, et je distingue trois dangers dans nos débats. Le premier est d'opposer pour opposer. Le deuxième est de confondre participation et multiplication des conseils : tout le monde veut participer, mais personne ne décide. Le troisième est que l'argent donné arrose le sable. Les députés se battent tous les ans pour fixer le montant de l'ONDAM, mais à l'hôpital, dans les services, personne ne sait pourquoi il a été fixé à un tel niveau plutôt qu'à un autre.

Je suis également inquiet parce que le malaise ne s'exprime pas dans la révolte ou dans la rue. Les gens qui travaillent ne vont pas descendre dans la rue pour manifester, mais tranquillement, simplement, arrêter de travailler. Et le système s'effondrera faute de participants : les infirmières s'en vont, les médecins sont démotivés, et lorsque je réunis des chefs de service, c'est le silence qui règne. Je préférerai de beaucoup être en face de gens qui s'opposent.

Je souhaiterai tout de même poser quelques questions. Tout le monde est d'accord pour la réforme, les directeurs d'hôpitaux, les infirmières, les médecins. Chiche ! Mais êtes-vous d'accord pour supprimer vos statuts et parler de contrats plutôt que de considérer que la réforme n'est bonne que pour les autres ? Etes-vous prêts à faire le pas ? Quant aux membres du conseil d'administration qui veulent davantage de responsabilité, sont-ils prêts à voter les recettes ? Enfin, est-on prêt à accepter l'expérimentation ? Quand arrêtera-t-on de penser que le modèle parisien doit s'appliquer partout, à Saint-Just-la-Pendue comme à Yssingeaux ? Ne pourrait-on pas, au moment où débute une nouvelle législature, lancer des expérimentations ?

M. Yves MATILLON, directeur de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Je n'ajouterai rien à la justesse des remarques du précédent orateur. Je ferai simplement un commentaire qui procède de l'analyse de la démarche d'accréditation engagée depuis quelques années.

Premièrement, il ressort clairement des analyses des établissements accrédités qu'il existe une grande détermination des personnels des cliniques, des hôpitaux et des CHU pour travailler et rendre le meilleur service possible au malade. Il faut donc être vigilant, être à l'écoute des témoignages de ce matin, pour que cette motivation n'aille pas en décroissant. Il faut véritablement impulser une démarche permettant d'assurer au patient la meilleure garantie de service public.

Deuxièmement, l'accréditation met en évidence des éléments d'évolution culturelle fantastique qu'il faut privilégier. Car la démarche d'accréditation sur la gestion des risques, l'amélioration de la qualité et du service rendu implique une vraie démarche de management interne dans l'évolution de l'établissement. Il y a des problèmes de management dès lors qu'on diffère la procédure d'accréditation. La gestion de l'organisation est donc un des éléments clés, et l'organisation interne de l'hôpital un sujet très important. Il faut trouver des modes opératoires qui permettent de garantir la qualité d'efficience de cette organisation.

Ce sont là deux éléments positifs pour l'avenir qu'il faut renforcer par des décisions qui permettront au système de vivre. L'organisation de l'hôpital est vitale pour notre système de santé et pour assurer les soins les meilleurs au malade.

M. Jean-Michel Dubernard, président. Je propose maintenant à nos quatre grands témoins de nous donner leurs impressions.

M. Alain GAILLARD. Les interventions des uns et des autres ont mis en évidence des problèmes récurrents. Mais il ne faut pas oublier que l'hôpital est une structure complexe et qu'il a une vie très particulière.

Lorsqu'on étudie l'histoire, on s'aperçoit que la santé - donc l'hôpital - a toujours été le miroir de la société. Le malaise de l'hôpital traduit-il un malaise plus profond ? M. Jean-Paul Segade nous a dit que le silence des personnels hospitaliers le gênait. Je suis tout à fait d'accord avec lui, mais n'est-ce pas l'individualisme contemporain qui en est la cause ? L'hôpital a une histoire, ne l'oublions pas. J'en parlais à mon voisin en aparté : l'utilisation des questionnaires à choix multiples dans le recrutement des futurs médecins est-il vraiment l'outil le plus adapté pour développer l'idéal humaniste qui animait autrefois les médecins ?

Certes l'hôpital va mal, certes des conflits existent, mais tout cela fait partie de la vie. Nous devons tous ensemble, vous, les députés, et nous, sur le terrain, conjuguer nos efforts pour faire vivre la communauté à laquelle j'ai essayé de vous faire adhérer et pour que l'on prenne bien la mesure de la dimension humaniste de notre métier fabuleux.

Quant au financement des hôpitaux, il s'agit d'une question récurrente. Mais ce qui manque, d'abord, c'est de la souplesse. Un projet médical sans stratégie se réduit à un catalogue de La Redoute. Une dynamique doit être recherchée en responsabilisant davantage les acteurs du système. Lors du conseil d'administration, par exemple, nous inscrivons des créations d'emploi - bien que nous sachions pertinemment qu'elles ne nous seront pas accordées - sans même avoir débattu de la réalité des problèmes. Pourquoi ne pas faire l'inverse ? Pourquoi ne pas laisser l'hôpital faire ses choix en fonction d'une enveloppe ? Je ne prétends pas détenir la vérité, mais il me paraît indispensable d'inverser les procédures. Car responsabiliser les gens, c'est les obliger à faire des choix.

Un de nos gros soucis, c'est que l'on est en train de financer des structures et non de l'activité. Mais sur le terrain, compte tenu du rapprochement entre les hôpitaux, de la confrontation entre les sur-dotations et les sous-dotations, comment réguler des choses qui apparaissent évidentes pour tout le monde ? Nous sommes tous coresponsables. Moi, en temps que directeur, j'ai mes responsabilités, et vous, les élus de terrain, vous devez prendre conscience des vôtres.

M. Henri KREIS. Je ne me sens absolument aucune autorité pour conclure : je ne suis président de rien, ni même directeur général, mais simplement le chef d'un tout petit service dans un de ces innombrables hôpitaux de l'Assistance publique dans lequel je travaille depuis quarante ans. Je vais y « mourir » dans peu de temps, et je suis triste de mourir en laissant ce que je laisse.

Si l'on veut parler de la réforme de l'hôpital, il ne faut pas faire ce qu'on a fait aujourd'hui : parler de tout et de rien, et entrer dans le détail tout de suite. En entrant dans le détail, on noie le poisson. Il faut, au contraire, commencer par traiter non pas le malaise, parce que je ne crois pas qu'il y a un malaise hospitalier, mais le mal de l'hôpital public. Et l'hôpital public est en train de mourir de ce mal. Il suffit de donner quelques petites tapes sur la joue du patient pris d'un malaise. Un mal, lui, est difficile à traiter. Et je ne vois pas bien quel serait son traitement, puisqu'on nous dit que tout va bien. C'est ce que l'on a entendu aujourd'hui d'une partie de l'administration. Mais je n'ai pas entendu un médecin dans cette salle dire que tout allait bien. C'est quand même étonnant !

Parce que l'hôpital, c'est un lieu pour traiter les malades, c'est-à-dire vous et nous. Or qui est responsable aujourd'hui ? Les médecins ? Non !... Ils ne sont rien, ils sont des sous-chefs de bureau. L'administration ? A-t-elle des compétences pour traiter les malades ? Oui, bien sûr, elle les a apprises à l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes...

Il ne s'agit pas d'un débat sur la lutte de pouvoir. Il n'y a pas de lutte de pouvoir. Tout le monde est nécessaire dans le fonctionnement de l'hôpital : les malades, les médecins qui les soignent, et l'administration qui est là pour aider les médecins à soigner les malades en gérant efficacement leur budget. Mais un budget doit être arrêté en fonction d'une discussion sur un projet médical, non sur un projet administratif.

Le médecin doit définir son projet médical, avec l'Etat. Si après discussion, le projet est accepté, il faut lui donner les moyens de le mettre en _uvre, en lui donnant un budget et du personnel médical, et à terme il devra justifier la réalisation de son contrat. Cela, il ne le réalisera pas seul, mais avec l'administration. Il est bien évident qu'il faut un couple à l'hôpital.

Le problème est simplement qu'il faut remettre chacun à sa place, c'est-à-dire donner à chacun des responsabilités en fonction de ses compétences. Or, il est bien évident que c'est le médecin qui a la compétence principale pour soigner les malades. C'est le médecin qui sait soigner les malades. Mais il ne sait pas tout faire, il ne sait pas gérer un budget. Il peut l'apprendre, mais il a d'autres choses à faire. L'administration l'aidera à gérer le budget qu'il aura discuté en fonction de ses objectifs.

J'ai entendu dire - et cela me désole - que nous sommes tous des vieux et qu'il faut laisser la place aux jeunes. C'est vrai, ce sont les jeunes qui nous succèdent. Et je suis un peu affolé par la mentalité actuelle qu'on leur a inculquée. On leur a appris que le travail n'était pas une valeur, mais que c'était un mal dont il fallait se libérer en en diminuant la durée. Alors, on diminue la durée du travail, et l'hôpital sera laissé à des gens qui devront travailler un certain nombre d'heures.

Pour nous, les vieux, nous n'avions pas de contrat de durée : nous avions un contrat de mission à remplir. C'est la raison pour laquelle l'hôpital a marché et qu'il marche encore, parce que nous continuons, bêtement, à essayer de remplir cette mission, et de faire marcher l'hôpital contre tout le monde. Les jeunes ne le feront pas, parce qu'on ne leur a pas appris.

Voilà pourquoi il serait peut-être temps de rappeler aux jeunes que le travail est une valeur, et qu'un pays dans lequel on considère que le travail n'est plus une valeur est un pays qui s'effondrera. Mais avant que le pays s'effondre, ce seront nos hôpitaux qui s'effondreront.

Il faut donc arrêter de se gargariser en disant que l'hôpital va bien. Quand les vieux partiront - j'allais dire les vieux cons -, plus personne n'assurera la mission qu'ils continuent d'assurer encore aujourd'hui. Les médecins rentreront alors chez eux à heure fixe et l'hôpital ne sera plus ce qu'il a été.

Or, c'est la valeur de l'hôpital, c'est la qualité de la médecine française, ne l'oubliez pas, qui fait monter la valeur et la qualité de la médecine libérale. Si la médecine est mauvaise à l'hôpital, la médecine libérale le sera aussi. Si la formation des médecins est mauvaise, si la recherche est nulle, la médecine libérale sera nulle. Et nous vivrons, comme nous l'avons fait avant la deuxième guerre mondiale, à la traîne de la médecine mondiale. Mais si nous voulons garder à notre médecine le niveau qu'elle mérite, qu'elle a eu et qu'elle doit donc pouvoir de nouveau avoir, il faut d'abord redonner sa valeur à l'hôpital et reconnaître les compétences de chacun.

Mme Josiane PHEULPIN. Moi, j'aime bien travailler avec les vieux cons... Ce sont ces gens-là qui nous ont appris le respect et la conscience professionnelle. Je soigne de nombreuses personnes âgées qui pourraient être nos parents. Je travaille avec de jeunes infirmières qui pourraient être nos enfants. J'étais venue pleine d'espoir. Or aujourd'hui, je suis déçue, parce que ce dont j'ai besoin, moi, c'est de matériel pour soigner les trente-huit patients du service dans lequel je travaille. Nous n'avons même pas d'oxymètre de pouls. Comment croyez-vous que nous traitons nos malades atteints de pneumopathies ? Nous sommes obligés de les piquer toutes les heures pour leur faire les gaz du sang. C'est plutôt désolant, vous ne trouvez pas ? On nous dit qu'il y a de l'argent dans les hôpitaux, mais pour nous, les infirmières, où est-il ? Comment fait-on pour travailler avec rien ?

Je suis déçue. Sans nous, qu'est-ce que seraient les directeurs d'hôpitaux et les médecins ? On se le demande ! Je n'ai rien contre les directeurs d'hôpitaux. Mais alors, qu'ils sont censés diriger, ils ne connaissent même pas leurs infirmières ! On ne les voit jamais dans les services. Un jour, j'ai voulu voir mon directeur : il m'a dit de passer par le directeur des ressources humaines, qui m'a dit de passer par l'infirmière générale qui, elle, n'était pas là, puisqu'elle faisait, en voiture, le tour des services des autres hôpitaux, avec lesquels le nôtre a fusionné...

C'est triste. J'ai perdu mon père, mort d'un cancer du poumon à 54 ans, et ma mère, morte d'un cancer du sein à 64 ans. Je les ai soignés. Mais qui va nous soigner, nous ? Je remercie le professeur Philippe Even, parce qu'il a dit ce que je voulais dire dans ma première intervention. Ce sont des personnes comme lui dont l'hôpital a besoin. Je vous remercie de m'avoir écoutée.

M. Rémi REIBEL. Je me permettrais de faire une réflexion en tant que patient, mais aussi en tant que citoyen. Dire que tout va bien, serait faux, mais tout ne va pas mal non plus. Il faut évoluer dans le bon sens et, comme l'on dit certains intervenants, travailler ensemble serait une bonne chose.

M. Yves Bur a dit qu'il n'y avait pas de liens entre les médecins de ville et l'hôpital public, qu'il leur était impossible de travailler ensemble. C'est vrai, mais il faut dire que l'hôpital public est un royaume et il est difficile d'y entrer. Quant aux mandarins, j'en ai connu, ils ont quand même contribué à la bonne gestion des hôpitaux. Aujourd'hui, la notion de travail est devenue un leurre alors que le travail forme l'esprit et peut apporter beaucoup.

Je n'ai entendu personne parler des syndicats. Or les syndicats bloquent beaucoup de choses dans les hôpitaux. Je n'ai jamais vu de syndicat soutenir les médecins étrangers. Un intervenant faisait remarquer que, concernant les médecins étrangers, on marche sur la tête depuis de nombreuses années. Il ne faut pas oublier que, depuis plus de vingt ans, les chefs de service sont bien contents de les trouver pour assurer les gardes, notamment la nuit.

Il faut tirer les choses par le haut pour que tout le monde puisse profiter des améliorations. Depuis une vingtaine d'année, on a voulu tirer la France par le bas. On voit les résultats, que ce soit dans les hôpitaux ou dans les entreprises. Je suis chef d'entreprise, je participe donc à la vie de l'économie, certes à une petite échelle, mais je constate que plus personne n'a envie de travailler. J'ai du mal à recruter.

On a parlé aussi des contraintes budgétaires. Sauf erreur de ma part, si un directeur d'hôpital dépasse le budget, il se fera taper sur les doigts, mais il ne se fera pas mettre dehors. Si vous dépassez un budget dans une entreprise privée, vous déposez le bilan et vous êtes dehors ; selon la structure de l'entreprise, vous n'avez même pas droit au chômage.

Le professeur Tissot a parlé d'hyperréglementation et des groupes de pression de médecins et d'usagers. Je ne suis pas persuadé que les usagers fassent de gros groupes de pression. Les syndicats, eux, sont des groupes de pression.

On dit que les étrangers viennent chercher un modèle de gestion hospitalière en France. Je pense qu'ils viennent chercher un savoir, notamment en ce qui concerne la chirurgie et la technologie. Dans le monde entier, le corps médical français va faire des « prestations de service » et montrer ce qu'il sait faire. En ce qui concerne la gestion hospitalière, permettez-moi d'avoir un doute.

Nous sommes tous potentiellement des malades, bien que je n'aime pas ce terme, et nous pouvons donc tous, un jour ou l'autre, avoir besoin de hôpital public. Je suis un défenseur de hôpital public, car il m'a sauvé la vie. J'espère qu'il continuera à évoluer.

M. Jean-Michel DUBERNARD, président. Nous arrivons au terme de cette table ronde. Elle répond exactement aux attentes des membres de la commission. Nous avons entendu des témoignages, souvent très forts, de s réactions, des faits, de la passion et de la tristesse. C'est ce vent de tristesse qui m'inquiète le plus.

Au-delà de ce premier bilan, quelle sera l'utilité de cette rencontre d'aujourd'hui ? Pourquoi avons-nous décidé de vous faire venir ?

Pendant sa campagne, le président de la République, puis le Premier ministre lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale et le ministre de la santé lors de son audition en juillet dernier par notre commission, ont annoncé le lancement d'un programme d'investissement destiné à l'hôpital, qui prendrait le nom d'Hôpital 2007. Il faut se féliciter de cette décision, mais elle pose à tous une nouvelle exigence, celle de mettre en question l'organisation interne de l'hôpital public afin que ces ressources supplémentaires viennent alimenter des structures efficaces et productives. C'est ce qu'attendent les patients, c'est ce qu'attendent les professionnels de santé. C'est ce que nous attendons tous.

Au-delà des mesures matérielles, l'organisation interne doit être analysée et repensée pour qu'elle puisse remplir à nouveau sa véritable mission. Il a pu sembler à certains moments que le malade ait été oublié. A cet égard, la table ronde qui s'est tenue aujourd'hui, grâce à votre participation et à vos témoignages, a posé les premiers jalons de cette réflexion.

Préserver l'excellence de hôpital public, clé de voûte du système de santé français - tous l'ont reconnu - est l'un des défis majeurs de cette législature. J'estime donc nécessaire que les députés se saisissent de cette question. Nous devons essayer d'établir un diagnostic et de formuler des propositions. C'est la raison pour laquelle je souhaite proposer à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales la création d'une mission d'information consacrée à l'organisation interne de hôpital public, question qui a trop souvent été négligée ou comme M. Claude Evin l'a très bien dit tout à l'heure, n'a pas connu d'application pratique quand des lois en ont traité. Cette mission devra se pencher sur la cause des réticences internes à cette application.

Cette mission permettra à toutes les sensibilités de s'exprimer sur ce sujet complexe et de mobiliser toutes les bonnes volontés afin de contribuer à mettre fin à la crise grave que traverse notre système. J'espère, en tous cas, que nous saurons faire preuve, mes chers collègues, du pragmatisme nécessaire pour aborder un sujet aussi complexe.

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