COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 16



(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 novembre 2002
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi - n° 375 (M. Dominique Dord, rapporteur)

2

- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Dominique Dord, le projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi - n° 375.

M. Dominique Dord, rapporteur, a tout d'abord expliqué que le projet de loi avait pour but principal de pallier les grandes difficultés posées par la mise en œuvre du chapitre de la loi du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale consacré aux licenciements économiques. Il a ensuite cité les propos de M. Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), tirés d'un article de la revue Droit social de mars 2002, selon lequel cette loi a conféré au système français « la palme d'or mondiale de la complexité et donc de l'insécurité juridique et judiciaire. ». Un autre éminent professeur de droit, M. Antoine Lyon-Caen, rappelle, dans la même revue, à propos de l'invalidation par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi prévoyant une nouvelle définition du licenciement économique, que le droit du travail a pour but d'aboutir à une « subtile composition » entre, d'une part, la liberté d'entreprendre et, d'autre part, « les règles qui encadrent, c'est-à-dire restreignent et légitiment en même temps, l'exercice des prérogatives d'employeur ou régissent les contrats que ce dernier conclut. »

Conscient du caractère désormais excessivement complexe du droit du licenciement économique, le gouvernement estime nécessaire de suspendre pour une durée limitée dans le temps les dispositions les plus contestables de la loi et entend encourager les partenaires sociaux à définir les bases à partir desquelles une nouvelle législation pourrait être prochainement élaborée. En conséquence, le projet de loi énumère dans son article premier les dispositions dont l'application est suspendue, période pendant laquelle les articles du code du travail s'appliqueront dans leur version antérieure aux modifications introduites par la loi de modernisation sociale. L'article 2 ouvre la possibilité de conclure des accords d'entreprise pouvant fixer des règles différentes des règles légales en matière de consultation et d'information du comité d'entreprise en cas de licenciement économique. Il est précisé que, pour être valables, ces accords doivent recueillir la signature des syndicats représentant la majorité des salariés de l'entreprise.

Après avoir rappelé le contexte politique très particulier ayant présidé à l'élaboration puis au vote de la loi du 17 janvier 2002, le rapporteur a indiqué que son rapport compare les régimes applicables en matière de procédures de licenciements dans les autres pays membres de l'Union européenne. Il s'avère que les spécificités du système français, qui étaient déjà importantes avant la loi du 17 janvier 2002, se sont accentuées dans un sens négatif avec l'adoption de cette loi. Le rapport comporte également divers tableaux et deux schémas rendant compte de la grande complexité des procédures aujourd'hui en vigueur. Il fait en outre le point sur les dispositions, nombreuses, de la loi du 17 janvier 2002 qui resteront applicables après l'adoption du projet. Est enfin inséré dans le rapport un tableau à trois colonnes indiquant clairement le droit antérieur à la loi du 17 janvier 2002, les dispositions issues de la même loi et suspendues par le projet de loi et le droit applicable pendant la période de suspension.

En conclusion de son intervention, le rapporteur a souligné que l'objectif poursuivi par le gouvernement consiste finalement moins à suspendre l'application de quelques dispositions de la loi du 17 janvier 2002 - il aurait bien sûr été possible de rallonger la liste des articles suspendus - qu'à renvoyer à la négociation collective la fixation de nouvelles règles dans ce domaine. Il semble en effet que ces questions relèvent de la responsabilité première des acteurs sociaux.

M. Maxime Gremetz a tout d'abord tenu à dénoncer le manque de temps laissé aux parlementaires pour examiner un texte qui porte sur des points aussi essentiels que le licenciement économique et la négociation collective. Le projet de loi vise à revenir sur un certain nombre de dispositions de la loi de modernisation sociale qui fit, quant à elle, l'objet de larges discussions à l'Assemblée nationale. Puis, il a demandé au rapporteur s'il était déjà arrivé dans le passé qu'un gouvernement décide de suspendre ainsi l'application de dispositions législatives.

Il a ensuite fait les remarques suivantes :

- Il faut se souvenir que, lors de la discussion du texte de la loi de modernisation sociale, le groupe communiste a mené une bataille très forte pour que le gouvernement et le parlement ne demeurent pas impuissants face aux licenciements qui se disent économiques et sont en réalité boursiers.

- La loi de modernisation sociale a représenté pour le groupe communiste un texte de compromis, ce groupe ayant défendu en vain au cours de la précédente législature une proposition de loi relative aux licenciements économiques, qui allait plus loin encore que la loi de modernisation sociale dans le sens de la protection des salariés.

- Le projet de loi est clairement inspiré de la philosophie du MEDEF et son président, M. Ernest-Antoine Seillière, a d'ailleurs publiquement salué le dépôt de ce texte. La majorité semble opposée à tout ce qui peut protéger les salariés. Il est pourtant normal de fournir aux organisations syndicales le maximum d'armes pour pouvoir défendre au mieux les intérêts des salariés.

- Il est certain que la liberté d'entreprendre doit être conciliée avec la liberté de travailler. Les politiques doivent être conscients de leurs responsabilités en ce domaine et ne pas ignorer les attentes légitimes des salariés qui aspirent à une véritable citoyenneté dans l'entreprise.

En conclusion, M. Maxime Gremetz a considéré que les débats à l'Assemblée nationale allaient donner lieu à une rude bataille qui trouvera sans doute des échos dans le monde du travail en dehors de l'enceinte de l'Assemblée nationale.

M. Gaëtan Gorce s'est tout d'abord insurgé contre les méthodes de travail imposées aux parlementaires. Le temps laissé à ces derniers et notamment à ceux issus de l'opposition est notoirement insuffisant pour permettre un examen sérieux et complet du projet de loi. De fait, les conditions dans lesquelles se déroulent au Parlement les débats sur tous les textes sociaux depuis plusieurs mois sont déplorables. A l'instar de ce qui s'est produit pour le texte relatif aux contrats jeunes en entreprise, le fait que le gouvernement déclare l'urgence sur ce projet de loi ne saurait se justifier.

Puis, il a fait les observations suivantes :

- Le texte présenté vise à suspendre des dispositions qui commencent à peine à entrer en application, étant donné que les décrets d'application du texte n'ont pas tous été pris. Le rapporteur s'est livré dans son exposé à une présentation caricaturale de la loi de modernisation sociale qu'on ne peut accuser d'être à l'origine de l'augmentation du nombre des faillites ou des délocalisations. Il est donc particulièrement injuste de prétendre qu'à cause de cette loi, certaines entreprises ont choisi de déposer leur bilan pour ne pas avoir à respecter les nouvelles procédures.

- Jamais en matière sociale un projet de loi n'a eu pour objet de suspendre des dispositions en vigueur. Cette procédure législative, inédite pour ce type de sujets, n'a guère été utilisée que dans le domaine pénal. La période de suspension crée un vide juridique fort inquiétant : les salariés comme les employeurs ignoreront quel sera le droit applicable. En outre, le texte remet en cause la notion même de hiérarchie des normes en matière sociale.

- Avec ce projet de loi, la majorité engage sa pleine et entière responsabilité alors même que les licenciements économiques ont malheureusement tendance à se multiplier. On peut constater que le gouvernement s'est de fait aligné sur les positions du MEDEF. Il faut se souvenir en effet que le président du MEDEF, M. Ernest-Antoine Seillière, avait indiqué au lendemain de l'adoption de la loi de modernisation sociale que, en cas de changement de majorité, il demanderait l'abrogation des dispositions de cette loi. Il a obtenu ce qu'il souhaitait.

- Les dispositions de la loi de modernisation sociale ont leur propre cohérence et, contrairement à ce qu'affirment certains membres de la majorité, elles concernent surtout les grandes entreprises. Il est donc parfaitement erroné de dire que les petits artisans ont pâti de l'application de ces nouvelles dispositions.

Pour conclure, M. Gaëtan Gorce a considéré que si le politique ne peut se substituer à l'économique, il a néanmoins pour rôle fondamental de créer un contexte favorable aux progrès sociaux et de garantir les droits des salariés. S'ils s'exonèrent de leurs responsabilités, les acteurs politiques dans leur ensemble encourent le risque du discrédit.

Mme Chantal Bourragué a salué la qualité du projet de loi qui permet à la fois de garantir les droits des salariés et la liberté d'entreprendre, tout en simplifiant les procédures relatives au licenciement économique rendues trop complexes par la loi de modernisation sociale. Il convient, sans diminuer d'aucune manière les nécessaires protections des salariés, de mettre fin à un certain nombre de lourdeurs bureaucratiques. Il n'est pas normal qu'il faille discuter pendant d'interminables mois de plans de licenciement qui auront de toutes façons lieu. On peut saluer, enfin, le rôle dévolu par le projet de loi aux négociations au sein de l'entreprise, qui devraient permettre aux acteurs sociaux de définir de nouvelles règles du jeu plus équilibrées et satisfaisantes pour chacun des partenaires.

M. René Couanau a fait les remarques suivantes :

- L'actuelle opposition, qui aujourd'hui adopte une position systématiquement critique sur tous les aspects du projet de loi, semble avoir oublié dans quel contexte politique la loi du 17 janvier 2002 a été adoptée. Les dispositions les plus contestables de cette loi ont été votées sous la pression du groupe communiste. Il faut se souvenir que quelques semaines seulement avant leur adoption, la ministre de l'emploi de l'époque avait pourtant marqué son désaccord avec le principe même des dispositions souhaitées ce groupe politique.

- Il est curieux que l'opposition semble s'offusquer de la logique retenue par le projet de loi consistant à laisser les partenaires sociaux négocier sur des questions qui les concernent au premier chef. Pour sa part, la majorité privilégie résolument la voie du dialogue social.

Après avoir noté que l'interrogation quant à l'éventuel vide juridique qu'aurait créé le projet de loi a déjà fait l'objet d'une réponse de la part du ministre, M. René Couanau a demandé au rapporteur des précisions complémentaires quant à la procédure juridique suivie.

M. Francis Vercamer, après avoir évoqué son expérience au sein des tribunaux prud'homaux, a estimé que les règles applicables en matière de relations du travail sont devenues au fil du temps pléthoriques et complexes. Il est temps de mettre en place un nouveau code du travail tant il est vrai que l'empilement des textes est contraire à la compréhension du droit.

Il a ensuite fait les remarques suivantes :

- La loi de modernisation sociale n'a fait aucune différence entre les entreprises légitimement amenées à procéder à des licenciements dans un but de préservation de leurs activités et d'un maximum d'emplois, et celles qui abusent manifestement de la pratique des plans sociaux et réalisent des restructurations dans le seul but d'accroître les profits financiers.

- Il faut saluer ce projet de loi qui se borne à fixer les règles du jeu et laisse place à un dialogue social plus libre. Le texte aurait pu être encore plus audacieux : on peut déplorer qu'il n'aille pas encore assez loin.

En conclusion, M. Francis Vercamer a annoncé qu'il avait, au nom du groupe UDF, déposé un amendement visant à abroger les dispositions de la loi de modernisation sociale afin d'instaurer une situation juridique claire, ce que ne permet pas la simple suspension.

M. Jean-Paul Anciaux, après avoir estimé qu'il était impérieux de restaurer le rôle du politique, a stigmatisé l'appétence de l'opposition pour les seules normes législatives en matière de relations du travail. Il est temps de conférer aux partenaires sociaux la place qui leur revient en laissant ouvert le champ de la négociation. Les politiques ne sauraient décider de tout, pas plus qu'ils n'ont vocation à se substituer aux acteurs sociaux.

La conjoncture économique actuelle impose que les entreprises préservent leur compétitivité, ce qui n'est guère possible avec le carcan législatif imposé par la loi du 17 janvier 2002.

M. Gaëtan Gorce a déploré que, au lieu de s'attacher à présenter le projet de loi, la majorité préfère se livrer à des attaques contre l'opposition. Il a précisé que celle-ci était, pour sa part, prête à engager un vrai débat avec la majorité sur ce texte. Il semble à cet égard que des lignes de divergence commencent à se faire jour au sein même de la majorité. Aussi, les débats à venir devraient-ils se dérouler dans un contexte particulier, dépassant celui d'une simple confrontation binaire entre la droite et la gauche.

M. Maxime Gremetz, après avoir jugé que la polémique systématique sur ce texte serait parfaitement inutile, a considéré que le projet de loi remet en cause des principes fondamentaux du droit du travail. Une règle doit prévaloir : si un accord de branche ou d'entreprise est conclu, cela doit être dans un sens plus favorable aux salariés. Le texte présenté propose d'inverser ce principe.

Pour ce qui concerne la loi de modernisation sociale, il semble paradoxal d'en critiquer abondamment les effets puisque bon nombre de dispositions n'ont pas encore été mises en œuvre. A cet égard, il faut rappeler que certaines grandes entreprises ont pu procéder à des licenciements massifs sans que puisse s'appliquer complètement la loi du 17 janvier 2002.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que la loi de modernisation sociale a été votée dans un contexte tout à fait particulier. La décision d'en modifier tout ou partie appelle désormais, plus que des débats polémiques, un véritable travail législatif.

M. Dominique Tian s'est étonné que l'on applique les mêmes règles aux entreprises privées vivant de leur seule activité et à celles qui bénéficient abondamment d'aides publiques. Le recours par ces dernières à des procédures de licenciements pose un problème de responsabilité politique quant à l'usage des deniers publics. Il pourrait être opportun de différencier les procédures applicables à chacune de ces catégories.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- Il existe quelques exemples de suspension de la loi, notamment en matière pénale, mais aussi dans une moindre mesure en matière sociale. Ces exemples sont certes rares mais il n'est en rien choquant d'innover dans la méthode.

- On ne peut que se réjouir de l'annonce faite par certains d'une « dure bataille » si celle-ci se traduit par un véritable débat d'idées toujours riche d'enseignements.

- Le recours à la procédure d'urgence se justifie pleinement : dès lors que les dispositions en vigueur sont mauvaises, on ne voit pas quelle serait l'utilité de les maintenir le plus longtemps possible. La majorité ne souhaite pas encourir le même reproche que l'opposition actuelle, en attendant les derniers jours de la législature pour adopter un texte sur la procédure de licenciement. Par ailleurs, l'urgence ne saurait être assimilée à de la précipitation puisqu'aux dix-huit mois prévus pour la négociation s'ajoute un délai d'un an après le dépôt d'un futur projet de loi précisément pour laisser le temps nécessaire à un travail parlementaire serein. La réforme définitive du droit du licenciement devrait donc intervenir en milieu de législature.

- On ne peut qualifier la présentation du rapport de « caricaturale » : celui-ci essaie au contraire d'éviter tous les excès et, dans un esprit d'ouverture, se fonde sur l'audition de l'ensemble des partenaires sociaux, du côté patronal comme syndical.

- On ne peut que difficilement distinguer la prétendue cohérence des dispositions suspendues, d'autant que ceux qui plaident aujourd'hui pour leur maintien les ont autrefois combattues pendant des mois, avant de céder à la pression du groupe communiste.

- Ce texte cherche à traduire de façon pragmatique les aspirations des Français telles qu'elles se sont exprimées lors des dernières consultations électorales. Cela explique que le projet de loi s'inspire d'une philosophie nouvelle, tournée vers le dialogue social. Contrairement à ce qui s'est produit pour la loi du 17 janvier 2002, le texte n'est pas discuté sous la pression de l'opinion et dans l'urgence, le gouvernement s'efforçant de réunir les conditions favorables à un règlement efficace et durable de ces questions essentielles.

- Le licenciement se trouve au cœur de la relation de travail, il en constitue probablement une des expériences les plus difficiles. Il n'apparaît donc nullement choquant mais, au contraire, indispensable de chercher par le dialogue social à rapprocher les points de vue des différents acteurs.

- Le texte répond au double objectif de clarification et de simplification du droit dans le respect du principe fondamental de la liberté d'entreprendre. La suspension n'entraîne aucun vide juridique puisque, notamment à la suite de l'examen du projet par le Conseil d'Etat, le texte comporte dans le paragraphe III de l'article premier des dispositions visant à rétablir explicitement le droit antérieur à la loi de modernisation sociale.

- La volonté affichée par certains d'abroger les dispositions de la loi du 17 janvier 2002, au lieu de les suspendre, peut se comprendre. On sait que cette démarche aurait notamment eu la préférence de certaines organisations patronales. Toutefois, le projet de loi, qui renvoie à la négociation collective le débat sur les procédures de licenciement, se veut le plus équilibré possible. La suspension n'a pas une valeur identique à celle de l'abrogation ; elle constitue en effet un appel plus pressant à la négociation. L'abrogation ou l'ajout d'autres articles dans le champ de la suspension déséquilibreraient cette négociation. Il en va de même de l'idée évoquée par certains consistant à permettre la conclusion d'accords dérogatoires sur le fondement de l'article 2 au niveau de la branche. Cela risquerait de conduire à un gel de la négociation au niveau des entreprises qui pourraient attendre qu'un accord de branche soit conclu avant d'entamer leurs propres négociations, ce qui n'est évidemment pas le but recherché.

- Le projet de loi vise également à préserver la compétitivité des entreprises dans une période relativement difficile. Malgré l'application limitée des dispositions de la loi de modernisation sociale, la seule menace qu'elles font peser sur les procédures à venir ont déjà un effet dissuasif pour les grandes entreprises, notamment étrangères, qui choisissent de ne pas s'implanter sur le territoire français. Par ailleurs, même si certaines entreprises recourent certainement au dépôt de bilan pour contourner la législation sur le licenciement, ce phénomène est difficile à quantifier et à démontrer. Il convient donc de s'en tenir à des éléments objectifs.

- Il y a sans aucun doute des actions à mener à l'encontre des entreprises qui recourent de façon abusive aux licenciements alors qu'elles ont bénéficié de fonds publics importants.

- Le présent projet constitue une proposition équilibrée entre, d'une part, ceux qui voudraient aller plus loin et préconisent une abrogation pure et simple de la loi de modernisation sociale ou bien l'extension du champ de la suspension et, d'autre part, ceux qui souhaiteraient le maintien voire le durcissement de la législation en vigueur et pour lesquels la suspension proposée de neuf articles semble inacceptable.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles.

Avant l'article premier

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz permettant au tribunal de prononcer la nullité du licenciement et d'ordonner la poursuite du contrat de travail sous astreinte lorsque le licenciement est dépourvu de cause réellement sérieuse ou est irrégulier.

M. Maxime Gremetz a souligné que sa démarche ne se cantonnait pas à un simple retour aux dispositions de la loi de modernisation sociale, celles-ci pouvant encore être améliorées. Il faut garder à l'esprit que les faits précèdent toujours la loi et que celle-ci ne constitue qu'une tentative pour les traduire en droit.

M. Gaëtan Gorce a indiqué que les amendements qu'il allait défendre suivent, quant à eux, une logique de retour au texte en vigueur ou visent à des aménagements ponctuels.

Soulignant que cet amendement vise à étendre les possibilités de poursuite du contrat de travail, actuellement limitées au seul cas d'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, à tout licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ou irrégulier, le rapporteur a rappelé que le licenciement abusif est déjà sanctionné.

M. Maxime Gremetz a objecté que ces sanctions ne permettent pas systématiquement la réintégration du salarié et que son amendement vise précisément à remédier à une situation qu'il juge anormale.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz visant à interdire l'achat par des entreprises donneuses d'ordre de biens vendus à perte par des entreprises sous-traitantes.

M. Maxime Gremetz a rappelé que cette proposition n'est aucunement improvisée mais résulte, au contraire, d'une longue réflexion et de multiples consultations de juristes qui furent notamment menées dans le cadre de l'examen en janvier 2000 de la proposition de loi relative aux licenciements pour motif économique déposée par les députés communistes. Le présent amendement vise à éviter, en les responsabilisant, que les donneurs d'ordre mettent leurs sous-traitants en difficulté.

Le rapporteur a objecté que cet amendement avait pour effet de s'immiscer dans les relations commerciales unissant deux sociétés indépendantes. Par ailleurs, on ne voit pas quelle pourrait en être la portée pratique : quels seraient les critères permettant de définir le juste prix ? Qui serait chargé de cette définition ? Outre ses difficultés d'application, cet amendement revêt donc un caractère dangereux.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz visant à définir et interdire la sous-traitance abusive.

M. Maxime Gremetz a dénoncé le dogme régnant de l'efficacité économique. Même M. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français de la conjoncture économique, dénonce le poids du lobbying des multinationales en faveur de la déréglementation. Si l'on avait une vraie participation des salariés aux choix de gestion dans l'entreprise, on pourrait combattre le dumping social dans les grandes entreprises.

Le rapporteur a jugé que l'argumentation développée par M. Gremetz relevait davantage de considérations morales que juridiques. La sous-traitance n'est pas condamnable par nature et permet au contraire, en externalisant des tâches qui ne relèvent pas du cœur de métier d'une entreprise, de créer dans les entreprises sous-traitantes de véritables métiers. L'amendement proposé est généreux mais pourrait s'avérer dangereux et risquerait de provoquer de nombreux contentieux.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz proposant une nouvelle définition du licenciement pour motif économique revenant à n'autoriser le licenciement que lorsque les difficultés économiques n'ont pu être surmontées par tout autre moyen que la réduction des coûts salariaux ou lorsque des mutations technologiques sont indispensables à la pérennité de l'entreprise.

M. Maxime Gremetz a souligné que cet amendement constitue le cœur d'un débat engagé sous la précédente législature. Il convient de définir de façon plus restrictive le licenciement pour motif économique car il constitue trop souvent une variable d'ajustement, y compris dans les entreprises qui bénéficient de fonds publics. A cet égard, il a relevé que la loi relative au contrôle des fonds publics n'est toujours pas appliquée de façon correcte puisque, en dépit de ses demandes répétées, il n'a pu obtenir la réunion de la commission régionale de contrôle de ces fonds. D'ailleurs, cette loi constituera sans doute la prochaine cible de l'actuelle majorité, tant le MEDEF y est hostile.

Le rapporteur a rappelé que la dernière définition du licenciement économique, adoptée sous l'influence du groupe communiste, a fait l'objet d'une censure par le Conseil constitutionnel. La décision rendue en janvier 2000 a d'ailleurs suscité de la part de l'actuelle opposition des commentaires extrêmement choquants à l'encontre de la juridiction. Il n'est pas question de rééditer cette expérience.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz disposant que lorsqu'un salarié se voit proposer une modification de son contrat de travail, son silence pendant le délai de réflexion d'un mois vaut refus et non plus, comme aujourd'hui, acceptation de cette modification.

La commission a rejeté l'amendement après que le rapporteur s'est opposé à l'amendement en considérant que la situation actuelle, qui laisse au salarié un mois pour accepter la modification de son contrat de travail, est satisfaisante.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz prévoyant que dans les entreprises où les élections des institutions représentatives du personnel n'ont pas été organisées - tout licenciement pour motif économique s'effectuant, de ce fait, sans que les obligations d'information, de réunion et de consultation de ces institutions puissent être respectées - est nul.

M. Maxime Gremetz a précisé que cet amendement vise à introduire dans le code du travail une jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation datant de 1999, selon laquelle l'employeur ne peut se prévaloir de l'absence d'institutions représentatives du personnel pour échapper à ses obligations.

Le rapporteur s'est opposé à l'amendement en soulignant que celui-ci pose deux problèmes. En premier lieu, le dispositif proposé ne prévoit pas le défaut de constat de carence : or un employeur qui a dressé un constat de carence - parce qu'aucun salarié ne s'est présenté aux élections par exemple - ne doit pas être sanctionné comme un employeur qui n'a pas cherché à mettre en place les institutions représentatives du personnel. En second lieu, l'article 110 de la loi de modernisation sociale, dont l'application n'est pas suspendue par le projet de loi, prévoit déjà que, en cas de non-existence d'institutions représentatives du personnel - alors qu'aucun procès-verbal de carence n'a été dressé - et par conséquent de non-respect des obligations de consultation, les salariés victimes d'un licenciement économique bénéficient d'une indemnité. De plus, la jurisprudence évoquée par M. Gremetz ne tend pas à annuler purement et simplement le licenciement : elle se contente de constater son irrégularité.

M. Maxime Gremetz a souligné que son amendement ne propose pas une indemnité au bénéfice du salarié mais a pour but de mettre l'employeur à l'origine de la non-organisation des élections sociales face à ses responsabilités.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz ayant pour objet de rendre obligatoire, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi dès lors qu'il est envisagé de licencier sur une même période de trente jours deux salariés, au lieu de dix actuellement.

M. Maxime Gremetz a expliqué que son amendement a pour objectif d'étendre le champ d'application des dispositions relatives à l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi à un maximum de licenciements économiques. Aujourd'hui 85 % des licenciements économiques sont réalisés sans qu'un tel plan ait dû être élaboré et discuté par les représentants du personnel.

Le rapporteur a donné un avis défavorable à l'amendement, tout en saluant la constance de son auteur qui a déjà présenté, sans succès, des amendements similaires à de nombreuses reprises au cours de la précédente législature. Le dispositif proposé paraît cependant un peu « surréaliste » car tout le monde s'accorde à considérer que, en cas de licenciement de deux personnes, il est préférable de chercher directement un reclassement ou une reconversion.

M. Maxime Gremetz a alors observé que son amendement cherche à prendre en compte la réalité actuelle des licenciements. Deux personnes licenciées un million de fois, cela fait beaucoup de monde et l'on sait que le traitement qui leur est réservé est beaucoup moins favorable que celui des salariés pouvant bénéficier de mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz conférant un caractère suspensif aux actions de contestation du plan de sauvegarde de l'emploi devant le juge.

M. Maxime Gremetz a considéré qu'il était nécessaire de vérifier la réalité et la pertinence des solutions proposées par l'employeur avant la mise en œuvre des licenciements. Aujourd'hui, les décisions de réintégration prononcées par le juge interviennent souvent trop tard, alors que l'entreprise n'existe plus.

Après que le rapporteur s'est opposé à l'amendement en rappelant que la logique du projet de loi n'est pas d'entretenir une guerre stérile entre les salariés et leurs employeurs ou de conduire à un blocage absolu du droit de licencier, la commission a rejeté l'amendement,.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz disposant que les mesures de reclassement prévues par le plan de sauvegarde doivent être « pertinentes au regard des objectifs recherchés ».

Après que le rapporteur a considéré que l'amendement était inutile puisque les objectifs des mesures du plan de sauvegarde, qui consistent à permettre le reclassement des salariés, sont déjà clairement énoncés dans la loi, la commission a rejeté l'amendement,

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz proposant, dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, de transférer les pouvoirs de contrôle de l'action de l'employeur aux unions locales, ou à défaut départementales, des syndicats représentatifs au niveau national.

Le rapporteur a souligné le décalage entre le contenu de l'amendement et l'argumentaire développé par son auteur, le dispositif de transfert de compétences ne se limitant pas dans l'amendement aux entreprises dépourvues de représentants syndicaux. Le bon sens amène à penser que, dans ces cas là, c'est aux salariés de se doter de représentants syndicaux. Le transfert des pouvoirs de contrôle des licenciements économiques aux « apparatchiks » des sections locales apparaît illogique.

M. Francis Vercamer a constaté que l'insertion dans le code du travail d'une telle disposition n'est de plus pas nécessaire car, dans les faits, lorsqu'il n'existe pas de section syndicale dans l'entreprise, les représentants des unions locales sont toujours disposés à venir conseiller les salariés.

M. Dominique Tian a observé que le premier tour des élections sociales est toujours réservé aux candidats des organisations syndicales. Si il n'y en a pas, cela signifie simplement que les salariés n'en veulent pas.

Après que le rapporteur a considéré que l'adoption d'un tel amendement pourrait aller à l'encontre des intérêts défendus par M. Maxime Gremetz, puisqu'il inciterait encore moins qu'aujourd'hui à la mise en place des délégués syndicaux dans les entreprises, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz accordant aux délégués du personnel ou au comité d'entreprise un droit d'opposition, à caractère suspensif, aux licenciements dont le motif économique ne leur paraîtrait pas justifié.

M. Maxime Gremetz a expliqué que cet amendement donne aux représentants des salariés un droit nouveau qui, sans être une interdiction des licenciements, crée les conditions d'une véritable concertation en instaurant une sanction éventuelle à l'encontre de l'employeur, en amont de la rupture des contrats de travail. Lorsqu'ils jugeront que la motivation invoquée par l'employeur n'est pas conforme à la loi, les représentants des salariés pourront s'opposer aux licenciements jusqu'à ce que le juge se prononce sur leur justification. Ce droit d'opposition permettra également aux représentants des salariés de présenter des contre-propositions économiques destinées à éviter le cas échéant les licenciements.

Le rapporteur s'est opposé à l'amendement en constatant qu'il revient, quoi qu'en dise son auteur, à bloquer de fait toute procédure de licenciement. Il érige le salarié en juge de son employeur puisqu'il lui confère un pouvoir d'appréciation sur le motif même des licenciements.

M. Dominique Tian a observé que si les licenciements sont rendus impossibles du fait des représentants des salariés et qu'une telle opposition conduit l'entreprise au dépôt de bilan, il n'y a pas de doute qu'un tribunal de commerce démontrerait la responsabilité des représentants des salariés qui se seraient mis en situation de gestion de fait.

M. Maxime Gremetz a souligné que les dispositions en vigueur, issues de la loi de modernisation sociale, n'ont pas empêché la société Whirpool de licencier plusieurs centaines de salariés pour des raisons de rentabilité financière et pour délocaliser une partie de son activité.

Le rapporteur a relevé que le droit d'opposition tel qu'il est proposé par l'amendement ne figure pas dans la loi de modernisation sociale. Celle-ci prévoit simplement que le comité d'entreprise peut demander l'intervention d'un médiateur.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a rejeté un amendement de M. Maxime Gremetz prévoyant la nullité du licenciement dans le cas où l'employeur aurait manqué à l'obligation de reclassement du salarié, après que le rapporteur a fait observer que l'article 108 de la loi de modernisation sociale, dont l'application n'est pas suspendue par le projet de loi, prévoit déjà que le licenciement économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement du salarié n'est pas possible.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz disposant que l'employeur doit mettre à l'étude « les avis, objections et suggestions formulées par les représentants du personnel » sur les mesures économiques et sociales qu'il envisage et que ces mesures doivent par ailleurs faire l'objet d'un accord collectif.

Le rapporteur a relevé que si l'employeur devait, afin de mettre en œuvre toutes les mesures économiques qu'il entend prendre, signer préalablement un accord avec les syndicats, cela signifierait qu'il ne disposerait plus de son pouvoir de direction. Or il s'agit d'un principe à valeur constitutionnelle. En outre, les syndicats ne sont certainement pas demandeurs d'une telle cogestion.

La commission a rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz tendant à faire du donneur d'ordre et de ses sous-traitants une entité économique pertinente pour l'appréciation du motif économique du licenciement et des obligations de reclassement.

M. Maxime Gremetz a précisé que, trop souvent, les donneurs d'ordre se sentent déliés de toute obligation quant à la situation économique de leurs sous-traitants alors que, en réalité, ces entreprises constituent une seule et même entité économique.

Le rapporteur s'est déclaré défavorable à la création de cette fiction juridique à deux têtes : les deux entreprises restent en droit totalement indépendantes même si elles entretiennent des relations commerciales. L'intention poursuivie par l'auteur de l'amendement est certes louable, mais un tel mécanisme paraît impraticable.

La commission a rejeté cet amendement.

Article 1er (articles 97, 98, 99, 101, 102, 104, 106, 109 et 116 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002) : Suspension de certains articles de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 relatifs à la procédure des licenciements économiques

La commission a examiné deux amendements de suppression de cet article, l'un de M. Gaëtan Gorce et l'autre de M. Maxime Gremetz.

M. Gaëtan Gorce a rappelé, en préalable, que la déclaration d'urgence pour l'examen de ce texte ne se justifie pas. Par ailleurs, alors que la suspension porte sur un ensemble de mesures dont on ne peut nier la cohérence, l'issue de la négociation à laquelle le gouvernement renvoie et la prise en compte ultérieure de ses résultats par le législateur sont pour le moins incertaines. On peut, en outre, constater que le recours à la suspension de dispositions législatives n'a été que fort peu utilisé dans le passé et jamais dans le champ social. En effet, cette procédure n'a été appliquée qu'à trois reprises : pour les sanctions pénales applicables à l'interruption volontaire de grossesse avant la loi de 1975, pour le service national et pour certaines dispositions du code rural dans la loi relative à la chasse.

M. Maxime Gremetz a rappelé son opposition à la suspension de certaines dispositions de la loi de modernisation sociale. Cette procédure vise en réalité à remettre en cause une loi qui a pour objet de dissuader les entrepreneurs de recourir à des licenciements économiques et, plus largement, de préserver l'emploi en France. En effet, son dispositif dépasse la seule question des relations dans l'entreprise entre les salariés et leur employeur. Elle contient des dispositions essentielles, telle l'obligation pour l'employeur de transmettre aux organes de direction et de surveillance une fiche d'impact social et territorial lorsque ces organes sont amenés à prendre des décisions ayant des incidences fortes sur l'emploi. D'autres dispositions mettent en place des obligations de réindustrialisation lorsque, par leur ampleur, les licenciements économiques d'un grand groupe affectent l'équilibre économique du bassin d'emploi lui-même.

Le rapporteur a observé que le caractère novateur de la procédure de suspension ne constitue pas en soi un obstacle. Définir des moyens nouveaux pour revenir, sans dogmatisme et après discussion avec les partenaires sociaux, sur des dispositions législatives aujourd'hui très critiquées est une démarche très constructive.

Il a ensuite précisé que le projet de loi ne suspend pas l'application de l'article 118 de la loi de modernisation sociale relatif à la réactivation économique des bassins d'emploi concernés et a relevé que, lors des auditions qu'il a menées, les représentants des organisations syndicales n'ont pas jugé particulièrement préoccupante la suspension de certains des articles de la loi relatifs aux procédures des licenciements économiques, surtout lorsque ces dispositions ne sont pas encore réellement entrées en application.

La commission a rejeté ces deux amendements.

La commission a examiné un amendement de M. Francis Vercamer tendant à abroger, et non pas suspendre, certains articles de la loi de modernisation sociale relatifs à la procédure de licenciement économique.

M. Francis Vercamer a rappelé que les dispositions que le projet de loi entend suspendre ont été adoptées, peu avant les élections législatives, dans la précipitation et sous la pression des événements : plusieurs décisions de délocalisations venaient en effet d'être annoncées. Ce texte dogmatique a cherché à contrecarrer l'attitude de quelques entreprises procédant à des restructurations ou des délocalisations dans le but d'obtenir des profits supplémentaires. Ce faisant, il pénalise de multiples entreprises qui, elles, connaissent de véritables difficultés économiques et peuvent être finalement contraintes au dépôt de bilan. Ce texte, enfin, accroît encore l'effet de seuil de cinquante salariés qui peut se révéler un frein à la croissance.

Dans ce contexte, soit le gouvernement considère que les dispositions de la loi de modernisation sociale sont mauvaises et elles doivent être abrogées, soit il considère qu'elles peuvent être aménagées et la suspension ne se justifie pas. La solution retenue par le gouvernement ne satisfait personne. L'important est, en effet, de savoir quelle sera la législation applicable à l'issue de la période réservée à la négociation.

Le fait de suspendre seulement les dispositions les plus critiquables de cette loi pèsera, en outre, sur les conditions dans lesquelles va pouvoir se dérouler le dialogue social. L'état actuel du droit risque en effet de servir de base aux discussions ; les représentants des syndicats vont négocier dans la perspective d'obtenir des avantages supplémentaires par rapport au texte de la loi du 17 janvier 2002, et cela conduira à l'échec des négociations. Seule l'abrogation des dispositions concernées permettrait la négociation la plus ouverte possible entre les partenaires sociaux sur des dispositions nouvelles en matière de prévention des licenciements économiques. Le futur projet de loi devrait, quant à lui, se concentrer principalement sur l'encadrement des restructurations ou des délocalisations opérées dans une perspective strictement financière.

M. Gaëtan Gorce a observé que la procédure retenue par le gouvernement s'apparentait à de la « filouterie juridique » : la suspension n'aurait eu de sens que si le gouvernement avait déclaré son intention d'appliquer à nouveau les articles de la loi de modernisation sociale si les négociations interprofessionnelles n'aboutissaient pas. Comme cela ne semble pas être le scénario retenu, il serait plus franc de prévoir l'abrogation des dispositions concernées.

M. Maxime Gremetz a rappelé que les articles de la loi de modernisation sociale relatifs aux études d'impact social et territorial font bien partie des dispositions suspendues. Or ces dispositions auraient pu avoir un effet dissuasif pour certaines restructurations ayant des conséquences particulièrement lourdes sur l'emploi.

Il faut saluer le groupe UDF qui fait au moins preuve de cohérence dans sa démarche, ce qui n'est pas le cas du gouvernement. La suspension est une procédure inhabituelle dont l'issue n'est pas précisée. Le gouvernement souhaiterait certes que les syndicats négocient sur la gestion des licenciements économiques, alors que ceux-ci ont un rôle inverse, celui de défendre l'emploi et les salariés.

En réponse, le rapporteur a considéré que la procédure de la suspension constituait une innovation en matière sociale et qu'il convenait de ne pas être trop conservateur sur la forme. Cette solution a été préférée à l'abrogation car elle semble au gouvernement plus propice à l'instauration d'un climat de confiance avec les partenaires sociaux qui sont appelés à négocier. Le gouvernement a choisi volontairement une position plus neutre que celle souhaitée par le MEDEF, par exemple.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 97 de la loi de modernisation sociale.

M. Gaëtan Gorce a rappelé que l'article 97 de la loi prévoit la transmission aux organes de direction et de surveillance de l'entreprise d'une étude d'impact social et territorial en cas de projet de cessation totale ou partielle d'activité. Il a ensuite estimé que le gouvernement n'a toujours pas précisé quel est l'objet de la suspension, c'est-à-dire quel sera le sort des articles visés à l'issue de la période de suspension.

S'agissant en particulier de l'article 97, il est essentiel de prévoir une information des organes décisionnaires la plus large possible avant la mise en œuvre de plans de licenciements importants. Il paraît indispensable de prévoir que les organes de décision de l'entreprise doivent, avant de donner leur accord à un projet de cessation d'activité, avoir au moins pris connaissance de l'étude d'impact social et territorial. Ainsi ils n'ignoreront rien des conséquences de leurs décisions sur le bassin d'emplois. Il faut éviter que le recours aux licenciements soit la solution la plus facile à mettre en œuvre, sans aucune prise en compte des incidences parfois dramatiques de ces décisions pour l'environnement de l'entreprise, les collectivités locales et bien sûr l'emploi.

Le rapporteur a rappelé que, pendant la période de la suspension, les partenaires sociaux sont appelés à négocier. S'ils parviennent ensemble à la conclusion que telle ou telle disposition, aujourd'hui suspendue, doit absolument être maintenue, le futur projet de loi mettra sans doute fin à sa suspension pour la rendre à nouveau applicable. Cependant, concernant l'étude d'impact social et territorial, il est douteux que les partenaires sociaux se mettent d'accord pour garder une mesure qui aboutit principalement à un alourdissement inutile des procédures de licenciement.

La commission a rejeté cet amendement.

Elle a ensuite examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 98 de la loi de modernisation sociale, lequel prévoit la transmission aux organes de direction et de surveillance d'une étude d'impact social et territorial pour tout projet de développement stratégique affectant les conditions d'emploi et de travail.

Après que le rapporteur a indiqué que cette disposition n'était d'aucune utilité pour les personnels concernés, lesquels attendent principalement des mesures de reclassement, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 99 de la loi de modernisation sociale, lequel prévoit que la consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel se fait en respectant deux phases distinctes, consistant d'abord à examiner le projet de restructuration (livre IV du code du travail) et seulement ensuite à discuter du plan de licenciement (livre III).

M. Gaëtan Gorce a estimé qu'il convient de ne pas aborder la question centrale de la consultation des institutions représentatives du personnel de façon dogmatique et qu'il est préférable de donner à ces dernières tous les moyens d'information leur permettant de mesurer la situation économique de l'entreprise et la nature du plan de sauvegarde de l'emploi.

Après que le rapporteur a considéré que les partenaires sociaux pourront parfaitement rétablir cette disposition, s'ils l'estiment utile, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 101 de la loi de modernisation sociale, lequel prévoit la consultation obligatoire du comité d'entreprise sur tout projet de restructuration et de concentration des effectifs et la possibilité pour lui de saisir un médiateur dans certains cas.

M. Gaëtan Gorce a expliqué que l'idée de donner aux représentants du personnel des droits pour s'opposer au projet de restructuration de l'entreprise n'était pas une tradition française. Il convient cependant de fournir au comité d'entreprise des moyens d'action pour qu'il puisse participer pleinement au débat économique et social et formuler des contre-propositions. La remise en cause de cette disposition constitue une régression des droits à l'information et à la consultation des représentants des salariés.

Après que le rapporteur a donné un avis défavorable, la commission a rejeté cet amendement, ainsi que deux amendements de conséquence présentés par M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension les articles 102 et 104 de la loi de modernisation sociale.

La commission a examiné un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 106 de la loi de modernisation sociale, lequel prévoit la possibilité de saisir un médiateur en cas de divergence importante entre le projet de l'employeur et les propositions alternatives du comité d'entreprise.

M. Gaëtan Gorce a estimé très positif le fait que la loi de modernisation ait permis l'institution du médiateur, organe extérieur à l'entreprise. Celui-ci agit dans le but de rapprocher les points de vue de l'employeur et du comité d'entreprise ; il émet une recommandation pouvant avoir la valeur juridique d'un accord en cas d'acceptation par les parties.

Il a également interrogé le rapporteur quant à la volonté du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité de prendre rapidement le décret d'application relatif à la réindustrialisation des bassins d'emplois, étant donné que l'article 118 ne figure pas dans la liste des articles suspendus.

Le rapporteur a rappelé que la liste des médiateurs n'avait pas été publiée par le précédent gouvernement, ce qui témoigne du peu d'empressement que ce dernier a mis à traduire dans les faits des dispositions votées dans les circonstances que l'on sait. S'agissant de la sortie du décret d'application de l'article 118, la question doit en toute logique être posée directement au ministre lors des débats en séance publique.

M. Gaëtan Gorce a précisé que le décret relatif au médiateur a, lui, bien été pris par le précédent gouvernement et que seule la liste nominative des médiateurs n'avait pas encore pu être établie. Il revient au rapporteur d'un texte de faire pression pour obtenir du ministère des informations quant à la publication de tel ou tel décret d'application. S'agissant de la procédure de médiation, elle existe dans des pays comme la Suède, l'Italie et l'Espagne en cas de conflits entre les employeurs et les salariés.

Le rapporteur a indiqué que la procédure de médiation à proprement parler existe bien en Allemagne, mais qu'elle obéit à des règles différentes de celles posées par la loi du 17 janvier 2002.

M. Maxime Gremetz a déclaré que le rôle du médiateur en Allemagne consiste à faire un rapport sur la base des propositions des uns et des autres et à vérifier le bien-fondé économique des projets de licenciements. Cette procédure en amont est préférable à la tradition française où le juge compétent se contente de trancher sur le fond, une fois la décision de licencier prise. Il faut donner aux représentants des salariés des moyens d'action forts pour intervenir contre les projets de licenciements collectifs. On ne peut pas laisser les forces économiques dominantes imposer leurs règles sans que les représentants du personnel puissent rien proposer en contrepartie.

M. René Couanau a rappelé que c'est l'inadaptation des dispositions législatives en vigueur qui conduit le gouvernement à encourager la reprise du dialogue social avant de faire lui-même des propositions.

M. Maxime Gremetz a souligné l'inconséquence de la démarche du gouvernement qui consiste à suspendre tous les moyens d'agir pour revenir au droit antérieur - qui a prouvé son manque d'efficacité - alors que se multiplient les plans sociaux.

Après que le rapporteur a rappelé que la suspension constitue une voie médiane entre les deux solutions extrêmes, consistant l'une à abroger purement et simplement la loi de modernisation sociale et l'autre à rajouter encore des complications au droit issu de cette loi, la commission a rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement présenté par M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 109 de la loi du 17 janvier 2002.

M. Gaëtan Gorce a rappelé que cet article avait pour objet de supprimer la référence aux « qualités professionnelles » dans la liste indicative des critères pouvant servir à établir l'ordre des licenciements entre les salariés. Il a estimé que la prise en compte prioritaire de ce critère est facteur d'exclusion. La suspension de cet article constitue un signal défavorable pour l'emploi des personnes les moins qualifiées qui auront le plus de difficultés à retrouver un emploi.

Le rapporteur a considéré que les débats sur cette question n'étaient pas exempts d'une certaine hypocrisie, car la loi de modernisation sociale n'interdit nullement la prise en compte de ce critère. Celui-ci peut continuer d'être retenu par les employeurs comme par les partenaires sociaux. La jurisprudence a en effet bien souligné le caractère non exclusif de la liste des critères « notamment » cités par la loi.

La commission a rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement présenté par M. Gaëtan Gorce visant à soustraire du champ de la suspension l'article 116 de la loi du 17 janvier 2002.

M. Gaëtan Gorce a rappelé que cet article ouvre à l'inspecteur du travail la possibilité d'intervenir jusqu'à la fin de la procédure de consultation du comité d'entreprise et de présenter toute proposition visant à compléter ou modifier le plan de sauvegarde de l'emploi ou d'en constater l'éventuelle carence à deux moments de la procédure.

Après que le rapporteur a relevé à quel point ces dispositions avaient contribué à alourdir les procédures, en accroissant démesurément le pouvoir de censeur attribué à l'inspecteur du travail, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement présenté par M. Gaëtan Gorce visant à réduire de dix-huit à douze mois la période de suspension des dispositions concernées de la loi de modernisation sociale.

Après que le rapporteur a souligné la nécessité d'un délai suffisamment long pour permettre aux partenaires sociaux de travailler sereinement, la commission a rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement présenté par M. Francis Vercamer fixant à dix-huit mois le délai pour déposer un projet de loi après la négociation interprofessionnelle.

M. Francis Vercamer a observé que cet amendement, qui vient en complément de son précédent amendement demandant l'abrogation plutôt que la suspension des dispositions en cause, prévoit que le gouvernement doit présenter dans un délai de dix-huit mois un projet de loi relatif à la prévention des licenciements économiques. Aucune nouvelle période de suspension n'est prévue ensuite.

Tout en se déclarant en accord avec l'idée selon laquelle un nouveau projet de loi devrait le plus tôt possible venir en discussion au Parlement afin de fixer de nouvelles règles en matière de licenciement économique, le rapporteur a jugé qu'il n'était pas opportun de limiter d'emblée la période de la suspension.

La commission a ensuite rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement présenté par M. Gaëtan Gorce visant à inclure la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans le champ de la négociation interprofessionnelle à venir.

Après que le rapporteur et M. René Couanau ont rappelé le caractère non limitatif du champ de la négociation interprofessionnelle, qui peut bien entendu être étendue à tous les sujets relatifs à l'emploi, à la formation professionnelle et à la prévention des licenciements, et ont considéré que l'adoption de cet amendement aboutirait même à l'inverse de l'effet recherché, la commission a rejeté cet amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz tendant à conditionner la validité des accords collectifs en matière sociale à leur signature par des syndicats majoritaires.

M. Maxime Gremetz a estimé que le projet de loi comporte un effet pervers en permettant que, par accord d'entreprise, il puisse être dérogé aux règles légales en matière de licenciement. Certes ces accords doivent être signés par des organisations syndicales majoritaires - et le groupe communiste est de longue date très favorable au principe de l'accord majoritaire - mais en l'occurrence, cela n'est guère acceptable.

La France s'est dotée d'un code du travail efficace qui, hérité de l'histoire, constitue un socle minimal de protection des salariés. S'applique en effet le principe selon lequel les règles fixées par les accords collectifs sont forcément plus favorables aux salariés que celles fixées par la loi. Ce principe de faveur s'applique à tous les échelons de la négociation, des conventions de branches à celles d'entreprises.

Le projet de loi veut limiter le champ des accords majoritaires à la seule question des licenciements, alors qu'il faudrait au contraire étendre ce principe à tous les sujets pouvant donner lieu à négociation. Par ailleurs, il ne faut pas que le projet de loi aboutisse à l'adoption d'accords dérogatoires dont les clauses seraient moins favorables aux intérêts des salariés que le droit actuel.

Le rapporteur a considéré que, en toute logique, M. Gremetz devrait se réjouir de l'introduction dans le code du travail du principe de l'accord majoritaire. Il est indéniable que celui-ci reste, pour l'heure, limité à la question des licenciements économiques sur laquelle porte exclusivement le projet de loi. Il serait maladroit de fixer dès à présent dans le code du travail la règle générale selon laquelle tout accord, sur n'importe quel sujet, doit désormais être signé par le ou les syndicats majoritaires pour être valable. Il faut rappeler en effet que tous les syndicats représentatifs ne se sont pas encore mis complètement d'accord sur ce qu'ils entendent par accord majoritaire. Le désaccord porte notamment sur la nature de la majorité à retenir : nombre de suffrages exprimés lors des élections de référence, nombre de voix par rapport aux salariés inscrits ou majorité en nombre de syndicats signataires.

M. Maxime Gremetz a protesté en rappelant que le principe de l'accord majoritaire a été introduit pour la première fois en droit du travail dans le cadre des lois sur les trente-cinq heures, cela afin de déterminer le régime applicable en matière d'exonération de cotisations sociales patronales.

Le rapporteur a rappelé que, dans la loi relative à la réduction négociée du temps de travail, le fait que l'accord soit ou non signé par des syndicats majoritaires revêt une importance pour l'ouverture ou non du droit au bénéfice des allègements de charges mais n'entre pas en ligne de compte pour valider le contenu même de l'accord. Le projet de loi va donc beaucoup plus loin car seuls les accords majoritaires pourront valablement comporter des dispositions innovantes sur les procédures du licenciement en vertu de l'article 2.

La commission a rejeté l'amendement.

Puis la commission a adopté l'article premier sans modification.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

M. Yves Bur, rapporteur sur sa proposition de loi visant à protéger les mineurs contre la diffusion de programmes comprenant des scènes de violence gratuite ou de pornographie - n° 317.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur sur la proposition de loi de M. Nicolas About, sénateur, relative à la responsabilité civile médicale - n° 370.

M. Bernard Depierre, rapporteur sur la proposition de loi de M. Bernard Murat, sénateur, modifiant l'article 43 de la loi n° 84-610 du 16 juillet relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives - n° 375.

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