COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 novembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Suite de l'examen du projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi - n° 375 (M. Dominique Dord, rapporteur)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a poursuivi, sur le rapport de M. Dominique Dord, l'examen du projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi - n° 375.

La commission a poursuivi ses travaux par l'examen de l'article 2 du projet de loi.

Article 2 : Expérimentations par accord d'entreprise sur la procédure à suivre en cas de licenciement d'au moins dix salariés sur une même période de trente jours

La commission a examiné deux amendements de suppression de cet article présentés l'un par M. Gaëtan Gorce et l'autre par M. Maxime Gremetz.

M. Maxime Gremetz a indiqué, qu'alors même que la presse fait état de l'existence de plusieurs dizaines de plans sociaux en cours concernant plusieurs dizaines de milliers de salariés, le gouvernement présente un projet de loi qui va dans un sens contraire à l'objectif de préservation de l'emploi. De plus, les accords majoritaires prévus par l'article 2 du projet sont limités, dans leur objet, au seul sujet du licenciement économique. Il s'agit là d'une avancée très partielle qui ne saurait compenser le fait que, par la même occasion, le projet de loi ouvre la possibilité de mettre en place des dispositions conventionnelles dérogatoires au détriment du salarié.

M. Alain Néri a déclaré partager très largement les préoccupations énoncées par M. Maxime Gremetz. L'article 2 du projet de loi, dans sa rédaction actuelle, constitue une menace pour l'équilibre social et le monde du travail. De fait, il conduit à remettre en cause l'égalité entre les salariés selon que le dialogue social dans telle ou telle entreprise permettra la signature ou non d'un accord entre les partenaires sociaux sur la question des procédures à suivre en cas de licenciement. De la sorte, on aboutit à un renversement de l'ordre public social et de la hiérarchie des normes dans le domaine social, dans la mesure où la négociation ne se développe pas de façon complémentaire à la loi mais se substitue à cette dernière. La protection du salarié, qui est à l'origine l'objectif poursuivi par le code du travail, est ainsi mise à mal.

En réponse à ces interventions, le rapporteur a précisé que le projet de loi permet la signature de ces accords d'entreprise à titre expérimental et pour une durée déterminée n'excédant pas deux ans. En outre, le contenu de ces accords est encadré puisque il est spécifié que ces derniers ne pourront, en aucune manière, déroger aux onze premiers alinéas de l'article L. 321-4 et à l'article L. 321-9 du code du travail. Le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, interrogé sur ce point lors de son audition devant la commission, a apporté les garanties les plus claires qui soient.

Loin de remettre en cause l'équilibre social à l'intérieur des entreprises, le présent projet de loi reprend, en réalité, des pratiques aujourd'hui répandues dans les grandes entreprises. Au final, ces accords constituent une opportunité pour faire avancer le dialogue social sur le terrain. L'avenir dira s'il convient ou non de généraliser cette méthode.

M. Alain Néri, après avoir fait part de son attachement au dialogue social, a considéré que ce n'est pas être attaché au dialogue social que de permettre à des accords d'entreprise, signés sous la pression d'une annonce de plan de licenciement, de déroger à la loi. Il ne faut pas que le droit conventionnel se substitue purement et simplement aux dispositions légales.

M. Pierre Hellier a déclaré que la loi de modernisation sociale, adoptée sous la précédente législature, n'a en tout cas pas du tout favorisé le dialogue social. Au contraire, cette loi a nié la place devant être faite à la négociation collective.

La commission a rejeté ces deux amendements.

Puis, la commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz prévoyant que les accords signés en vertu de l'article 2 doivent être conclus « sans préjudice des dispositions de l'article L. 132-4 du code du travail ».

M. Maxime Gremetz a indiqué vouloir avec cet amendement lever toute ambiguïté quant au respect de l'ordre public social lors de la conclusion des accords entre les partenaires sociaux. Si l'article L. 132-4 s'applique, le principe de faveur sera donc respecté et les accords en question ne pourront être valables que s'ils prévoient des dispositions plus favorables aux salariés que celles aujourd'hui en vigueur.

Après avoir rappelé que, selon le « principe de faveur », une convention passée entre les partenaires sociaux ne saurait être moins favorable aux salariés que les dispositions prévues par la loi, le rapporteur a indiqué que le projet de loi prévoit déjà, en des termes différents, le strict encadrement des accords. Il ne convient donc pas d'adopter cet amendement.

Il a ensuite invité M. Maxime Gremetz à interroger le ministre sur ce point lors de la séance publique afin de lever toute ambiguïté, même s'il apparaît peu probable qu'un syndicat représentant les salariés, quel qu'il soit, signe un accord dont les termes seraient moins favorables aux salariés que ceux de la loi.

Au vu des explications du rapporteur, M. Alain Néri a déclaré que la commission se devait d'adopter cet amendement afin de faire pression sur le ministre lors de la séance publique.

M. Maxime Gremetz a considéré que, si elle n'adopte pas cet amendement, la commission risque de se rendre complice d'une remise en cause des droits des salariés.

Le rapporteur a indiqué que la notion de règles plus favorables mérite en matière de licenciement économique d'être étudiée de près. Le fait de prévoir toujours plus de règles de procédure, qui n'ont pour but que de rallonger les délais et de permettre des manœuvres dilatoires, va-t-il vraiment dans le sens de la protection des droits des salariés ?

Mme Chantal Bourragué a jugé que la commission doit contribuer à la simplification des textes. L'adoption de dispositions redondantes ne fait qu'alourdir la loi, au détriment des salariés et de leurs droits.

La commission a rejeté cet amendement.

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Francis Vercamer dont l'objet est de permettre à l'accord de branche, et à défaut, l'accord d'entreprise, de définir les procédures relatives à la prévention des licenciements économiques, les règles d'information et de consultation des représentants du personnel et les règles relatives au plan de sauvegarde de l'emploi.

M. Francis Vercamer a précisé que, en l'état, les dispositions du projet de loi risquent de pénaliser les entreprises ne disposant pas de délégués syndicaux aptes à signer un accord collectif. Si l'article 2 du projet ouvrait à l'accord de branche la possibilité de prévoir de nouvelles règles en matière de licenciement, cela dynamiserait encore davantage la négociation collective et plus de salariés pourraient être concernés.

Le rapporteur a indiqué qu'il n'est pas hostile, sur le principe, à cette extension aux accords de branche. Cependant, la conclusion de tels accords ne dispenserait pas nécessairement les entreprises de conclure en leur sein leur propre accord. Il y a un risque que les entreprises adoptent alors une attitude attentiste, préférant n'entamer les négociations qu'une fois un éventuel accord de branche déjà signé. De plus, l'adoption de cet amendement reviendrait à modifier profondément l'esprit du texte qui privilégie la négociation collective au niveau de l'entité économique de base.

Après avoir apporté son soutien à l'adoption de cet amendement, M. Alain Néri a fait remarquer au rapporteur que la commission, dont il est, par sa fonction présente, le porte-parole, n'a pas vocation à s'abriter derrière les propos et les intentions du ministre. Les députés sont les représentants du peuple et, à ce titre, ils ont le droit et même le devoir de faire entendre leur voix, fut-elle discordante de celle du ministre.

M. Maxime Gremetz a ajouté que le rapporteur a tout intérêt à faire preuve d'une plus grande ouverture quant aux amendements proposés. Sans entrer dans des considérations idéologiques et partisanes, le fait que la commission n'adopte aucun amendement et que le texte soit voté sans aucune modification ne peut contribuer que contribuer à dégrader un peu plus l'image du Parlement.

Le président Jean-Michel Dubernard, tout en soulignant que le rapporteur ne méconnaissait pas son rôle, a précisé que la volonté d'adopter des amendements ne saurait être uniquement guidée par un souci d'ouverture. Les amendements doivent répondre à une nécessité législative. Ils ne doivent en aucun cas aboutir à dénaturer un texte.

La commission a rejeté cet amendement.

Puis, la commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz visant à conditionner la validité de tous les accords collectifs, quel qu'en soit le sujet, à leur signature par des syndicats majoritaires.

Le rapporteur a rappelé que la commission a précédemment rejeté un amendement similaire de M. Gremetz visant à rénover le mode de signature des accords majoritaires. En réalité, le projet de loi n'a pas pour objet de réformer les conditions de signature et de validité des accords collectifs. La question des voies et moyens de la négociation collective, qui a fait l'objet d'une position commune des partenaires sociaux en juillet 2001, doit encore donner lieu à des discussions entre ces mêmes partenaires. Sur la notion d'accord majoritaire, les syndicats divergent. Faut-il prendre en compte, le nombre des salariés ayant voté, le nombre de salariés inscrits ou le nombre de syndicats représentatifs ayant signé un accord ? En l'absence de consensus au sein même du monde syndical, il convient de ne pas légiférer de manière définitive en la matière, pour l'instant.

La commission a rejeté cet amendement.

Puis la commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3 : Droit applicable aux procédures en cours à la date de promulgation de la présente loi

La commission a examiné un amendement de suppression de l'article présenté par M. Maxime Gremetz et un amendement présenté par M. Alain Néri visant à empêcher qu'un accord d'entreprise ne remette en cause les dispositions applicables aux procédures de licenciement en cours.

M. Maxime Gremetz a tout d'abord rappelé que l'article 3 vise à préciser les conditions d'application de l'article premier du projet. Pour les procédures en cours, c'est le droit aujourd'hui en vigueur qui continue de s'appliquer sauf si un accord d'entreprise conclu sur le fondement de l'article 2 modifie les règles du jeu en cours de procédure. Ce dispositif complexe, passible du qualificatif d'« usine à gaz », est probablement inapplicable. L'article 1er n'étant pas acceptable, il convient par cohérence de supprimer l'article 3.

M. Alain Néri a expliqué que si la commission se refusait à supprimer totalement l'article 3, elle pourrait au moins en supprimer une partie afin qu'aucun accord d'entreprise ne puisse déroger aux dispositions législatives applicables aux procédures de licenciements en cours.

Tout en comprenant dans quel esprit M. Maxime Gremetz a déposé son amendement, M. Dominique Dord a précisé que la suppression de l'article aurait pour conséquence un vide juridique total : nul ne saurait plus quel serait le droit applicable aux procédures en cours. S'agissant de l'amendement de M. Alain Néri, sa cohérence technique ne l'empêche pas d'être inacceptable d'un point de vue politique. Le texte s'efforce, en effet, de donner la priorité à l'accord et à la négociation collective.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission a rejeté les deux amendements.

Puis elle a adopté l'article 3 sans modification.

Article additionnel après l'article 3

La commission a examiné un amendement présenté par M. Maxime Gremetz et visant à qualifier de licenciement le non-renouvellement des contrats de travail des salariés employés en contrat à durée déterminée ou mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, dès lors que la proportion de ces salariés par rapport à l'effectif total de l'entreprise excède le seuil de 5 %.

M. Maxime Gremetz a expliqué que la montée de la précarité, notamment chez les jeunes, devient un problème général et préoccupant, ce que montrent d'ailleurs les chiffres publiés dans une étude récente de l'INSEE. Ces salariés dépendent souvent pour subsister du renouvellement de leurs contrats à durée déterminée ou de leurs missions d'intérim. Le plus souvent, la conclusion de ces contrats se fait de surcroît dans des conditions illégales puisque ces salariés occupent de fait des postes permanents dans les entreprises concernées. La désespérance qui en résulte constitue le terreau du vote d'extrême droite.

Le rapporteur a d'abord relevé que l'amendement porte sur un sujet autre que celui du projet de loi et que son contenu est comparable à celui des amendements ayant été défendus en vain par le même auteur au moment des débats sur le projet de loi de modernisation sociale. Le recours excessif aux contrats à durée déterminée et au travail intérimaire constitue en effet un phénomène qui pose problème, et les salariés qui subissent cette précarité sont fortement pénalisés dans leur vie professionnelle et personnelle. Cependant, le fait de fixer un quota arbitraire de 5 % des effectifs ne semble pas être la bonne solution.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Maxime Gremetz obligeant l'employeur qui conclut un contrat dans le cadre du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise d'assurer à son bénéficiaire une formation professionnelle de 1200 heures réparties sur les deux premières années du contrat.

M. Maxime Gremetz a regretté que, dans de nombreuses entreprises, il n'existe aucun plan de formation. De surcroît, lorsque ces plans existent, ils ne profitent que rarement aux salariés qui en auraient le plus besoin. Or garantir à chaque salarié, et notamment à ceux qui ont la formation initiale la plus courte, le bénéfice d'une formation professionnelle tout au long de la vie serait une condition sine qua non pour permettre à chacun de valoriser ses compétences et, le cas échéant, de trouver à se reclasser facilement.

M. Alain Néri a rappelé que la formation professionnelle est un enjeu majeur dans la mesure où ce sont les salariés les moins formés qui sont les plus menacés par la précarité et ceux ayant la plus faible formation initiale qui bénéficient le moins des dispositifs de formation continue. On peut regretter que les jeunes recrutés dans le cadre du dispositif du contrat jeune en entreprise ne reçoivent aucune formation spécifique.

M. Edouard Landrain a observé que ces remarques font en réalité le procès de la politique suivie sous la précédente législature. On sait que la mise en place des emplois-jeunes n'a pas été assortie du volet formation qui s'imposait. Les effets d'aubaine ont été réels pour certains employeurs qui n'ont entrepris aucun effort de formation au bénéfice des jeunes concernés. Au contraire, la loi sur les contrats jeunes en entreprise, en intégrant durablement les bénéficiaires dans la vie active - car ces jeunes bénéficient d'un contrat à durée indéterminée - leur permettra de bénéficier, au même titre que leurs collègues, des actions prévues par le plan de formation.

M. Alain Néri a souligné que le dispositif des emplois-jeunes prévoit un volet formation et que si celui-ci n'a pas toujours été correctement mis en place, cette carence est imputable à celles des collectivités locales qui n'ont pas pris leurs responsabilités.

Le rapporteur a noté que les salariés les moins formés sont statistiquement les plus exposés au risque du chômage. Les crédits de formation sont souvent mal utilisés dans les entreprises car ils ne profitent pas à ceux qui en auraient le plus besoin. Cette question devrait être examinée de façon très sérieuse dans le cadre des négociations interprofessionnelles qui vont prochainement avoir lieu.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a ensuite examiné un amendement de M. Maxime Gremetz prévoyant la création d'une allocation de formation égale à 65 % du SMIC au bénéfice des jeunes âgés de 18 à 25 ans s'inscrivant dans un projet de formation professionnelle.

M. Maxime Gremetz a estimé que les premiers résultats relatifs au contrat jeunes en entreprise, très décevants, montrent que la loi est passée à côté de sa cible. Seuls quelques milliers de contrats ont été conclus depuis l'adoption de la loi du 29 août 2002. Ce résultat, très faible, n'a de plus pu être atteint que parce que le dispositif a été également ouvert aux jeunes titulaires d'un CAP ou d'un BEP, alors qu'il aurait été préférable de réserver cette aide aux jeunes ne possédant aucun diplôme.

M. Alain Néri a souligné que les entreprises ont avant tout besoin de main d'œuvre qualifiée. La loi sur les contrats jeunes en entreprise n'ayant pas prévu d'actions particulières en matière de formation est vouée à l'échec. La création d'une allocation de formation proposée par l'amendement constituerait une initiative positive. Elle permettrait en outre aux jeunes bénéficiaires de commencer à cotiser plus tôt. On sait en effet que les jeunes rentrant de plus en plus tard dans la vie active, des problèmes de durée de cotisation pour l'assurance vieillesse vont inévitablement se poser dans les années à venir.

Le rapporteur a observé qu'il n'aurait pas été juste d'exclure du bénéfice des contrats jeunes ceux ayant fait l'effort d'acquérir une formation qualifiante. Il semble en effet normal de permettre aux jeunes titulaires d'un BEP ou d'un CAP d'être embauchés dans ce cadre. L'amendement poursuit un objectif que l'on peut comprendre mais ses incidences financières seraient excessivement lourdes pour le budget de l'Etat. En outre, il ne serait guère acceptable que le seul fait de s'inscrire dans une formation suffise à faire bénéficier le jeune concerné d'une allocation d'un montant supérieur à celui du RMI.

La commission a rejeté l'amendement.

La commission a rejeté un amendement de M. Maxime Gremetz tendant à majorer de 10 % pendant trois ans les cotisations sociales dues par un employeur condamné pour travail illégal ou dissimulé, après que le rapporteur a indiqué que cette majoration aboutirait à une double condamnation de l'employeur concerné, l'arsenal juridique permettant déjà de combattre ces pratiques.

Elle a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi sans modification.

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