COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 avril 2003
(Séance de  16 heures 15)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, sur le plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion

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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, sur le plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion.

Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, a tout d'abord rappelé que la présentation de ce plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion (PNLE) concrétise l'un des engagements pris par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002.

L'élaboration de ce plan, présenté au Conseil des ministres du 19 mars 2003, a été précédée d'une large consultation des associations et des collectivités territoriales qui s'inscrit dans la démarche de concertation et de dialogue adoptée par le gouvernement. Il s'est agi de faire ainsi le point sur le délicat problème de l'exclusion. Au-delà d'une loi spécifique, il concerne l'ensemble de la société, ébranle certains de ses repères les plus symboliques, tels que la famille, la religion ou le militantisme. En effet, loin de ces réseaux traditionnels, le développement récent de la précarité dans un contexte de grande urbanisation engendre des situations d'isolement irrémédiable, en particulier dans les grandes villes mais également en milieu rural.

Cette grave question à laquelle tous les gouvernements ont essayé de faire face ne peut être uniquement résolue par des mesures réglementaires ou législatives. Au-delà de l'adoption de textes au demeurant nécessaires, il convient de veiller à leur application sur le terrain en mobilisant tous les acteurs concernés : Etat, collectivités locales, associations, etc. Il faut en évaluer l'impact concret s'agissant de l'accès aux droits des personnes en situation de précarité ou d'exclusion, et des situations de souffrance psychique, d'obésité précoce ou d'illettrisme prévalentes au sein de ces populations. La souffrance psychique, première pathologie de l'exclusion, a été qualifiée de « souffrance mondiale » par l'Organisation mondiale de la santé.

L'objectif concret d'un accès effectif aux droits des personnes en situation de précarité et d'exclusion constitue de ce fait la première priorité du PNLE. La démarche doit être pragmatique.

L'accès aux droits pour tous est en réalité la condition préalable à toute démarche d'insertion. En dépit d'institutions perfectionnées et spécialisées, il n'existe pas de prise en charge globale et l'accès aux droits relève dans notre pays d'un parcours du combattant, illustré avec humour par l'association ATD Quart Monde en liaison avec l'UNICEF à l'occasion de la présentation d'une pièce de théâtre intitulée Nul n'est censé ignorer la loi.

Il faut imaginer en effet les difficultés rencontrées par les personnes en situation d'exclusion dans leurs démarches administratives et sociales : erreur de guichet, absence de confidentialité du traitement des dossiers, ruptures de droits, ... Il s'agit par conséquent de simplifier les relations de ces personnes avec l'administration, d'améliorer l'accueil et l'écoute derrière tous les guichets, de les informer sur leurs droits, d'alléger et harmoniser les formalités, et d'éviter les ruptures de droits génératrices d'exclusion. Il s'agit aussi d'encourager leur participation afin de les rendre actrices de leur vie, de les sortir d'une logique d'assistance et de simple prise en charge et d'enrayer ainsi le processus d'exclusion. Tous les intervenants doivent œuvrer pour que chacun soit un citoyen debout. Cet objectif doit mobiliser toutes les énergies, au niveau de l'Etat comme des collectivités territoriales : c'est une condition indispensable pour rendre leur dignité à ces citoyens. Dans cet esprit, une campagne d'information sur les différents droits, en cours de conception, sera lancée dès la fin de l'année 2003.

Le deuxième axe de ce plan repose sur le renforcement de l'accès au logement des personnes les plus démunies et l'amélioration du dispositif d'urgence sociale. Il convient de rappeler que, si la crise du logement est ancienne et durable, les objectifs fixés par les gouvernements successifs ont malheureusement été rarement atteints.

Il s'agit tout d'abord de prévenir les expulsions locatives. Cette question rejoint d'une certaine manière celle de l'accès aux droits. De trop nombreuses personnes, de bonne foi, se trouvent en effet expulsées de leur logement pour n'avoir pas su mobiliser à temps les aides qui sont à leur disposition. Or, de telles expulsions ont des conséquences irréversibles sur l'équilibre de ces personnes. En matière de prévention des expulsions, un projet de loi relatif à la fusion du fonds de solidarité pour le logement (FSL) et des fonds intervenants essentiellement en abandon de créances afférentes aux factures d'eau, d'énergie et de téléphone sera soumis au Parlement en 2003. Il aura pour objectif de favoriser un meilleur règlement des dettes locatives.

Ensuite, le PLNE a également pour objet d'encourager la création et le développement d'un parc privé de logement social qui représente un enjeu important dans la lutte contre l'exclusion. Le gouvernement entend redonner confiance aux bailleurs privés en confortant les dispositifs d'aide aux locataires eux-mêmes et en améliorant la fiscalité des revenus des bailleurs qui confient la gestion de leur logement à des associations agréées. En outre, il s'agit d'intensifier la lutte contre l'habitat indigne par la mise en œuvre de plans d'action départementaux déclinés en conventions territoriales et de développer le parc de logements pour grandes familles ou personnes isolées.

Le troisième axe du PLNE consiste à moderniser le dispositif d'urgence sociale. L'hébergement d'urgence ne devrait en effet constituer qu'une solution de très courte durée dans la vie d'une personne en situation de rupture familiale ou sociale. Le dispositif actuel d'hébergement d'urgence et d'insertion, qui peut accueillir 82 000 personnes, a été mis en œuvre par à-coups, sans cohérence d'ensemble.

En effet, jusqu'en 1993, en l'absence de structures permanentes, il relevait d'initiatives caritatives souvent limitées à la période hivernale. Au cours des dix dernières années, ce dispositif s'est considérablement développé, notamment par le biais des centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), et représente désormais un budget d'un milliard d'euros. Pour autant, on peut se demander pour quelle raison, en dépit d'une constante expansion, il est sans cesse victime d'embolie... La réponse réside sans doute dans l'afflux croissant et mal géré des demandeurs d'asile et de l'accueil, plus ou moins justifié au sein de telles structures, de personnes en souffrance psychique voire psychiatrique.

Ce dispositif fait actuellement l'objet d'une remise à plat nécessaire et d'une rénovation en liaison avec l'ensemble des DDASS et des DRASS afin de définir les niveaux respectifs de l'urgence, de la post-urgence et de l'insertion.

Le quatrième axe du PNLE a pour objet d'améliorer l'accès aux soins des publics en situation précaire. Il faut savoir que la souffrance psychique constitue un problème crucial et durable au sein des populations concernées qui se manifeste parfois dès l'enfance. Elle se traduit par une incapacité à se projeter dans l'avenir et donc à s'engager dans une démarche d'insertion. Pour autant, il ne s'agit pas d'apporter une réponse psychiatrique à la misère mais de mieux articuler les actions entre les secteurs social, médical et psychiatrique. Le gouvernement s'est fixé trois objectifs dans le domaine de l'accès aux soins et de l'amélioration de la santé de ces publics :

- Renforcer les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS) et étendre les permanences d'accès aux soins de santé (PASS). Ces programmes doivent donc permettre de mieux prendre en charge les publics précaires en coordonnant les acteurs locaux et en décloisonnant les professionnels du champ sanitaire et social.

- Prendre en compte la souffrance psychique des plus démunis.

- Répondre aux besoins actuels en matière d'aide nutritionnelle. Si bon nombre d'associations caritatives ou de banques alimentaires agissent de manière satisfaisante sur le plan quantitatif, les populations visées présentent de nombreuses carences alimentaires d'un point de vue qualitatif. Un plan de formation à destination des bénévoles des associations œuvrant dans le champ de l'aide alimentaire mis en place dès cette année favorisera une meilleure prise en compte de l'alimentation dans les politiques de lutte contre l'exclusion. Par ailleurs, des actions d'insertion par l'alimentation, telles que les épiceries sociales, seront encouragées. La question de l'aide nutritionnelle, qui n'a pas été abordée par la loi de 1998, constitue désormais un problème crucial à l'origine notamment de phénomènes d'obésité dont sont victimes les populations dénuées de repères nutritionnels et en particulier les enfants. Dans ce domaine, la lutte contre l'exclusion doit également permettre de reconstruire du lien social. Il faut recréer des cercles d'appartenance, de vie sociale.

Enfin, le PNLE entend développer différentes actions en direction de publics précaires spécifiques, et en particulier la lutte contre l'illettrisme qui favorise l'accès à la parole, l'accès à l'autonomie dans une démarche d'inclusion sociale ; l'accès des personnes démunies à l'offre culturelle et artistique ; l'accès à l'électricité et au téléphone au moyen de tarifs sociaux.

Le plan de renforcement de la lutte contre la précarité et les exclusions vise à informer, anticiper et corriger les inégalités ainsi qu'à améliorer l'insertion profesionnelle et sociale des publics concernés. Son efficacité dépend de la synergie des efforts entrepris par l'Etat, les collectivités locales et les associations. Ces dernières méritent d'ailleurs d'être davantage aidées. Elles représentent en effet un acteur indispensable dans le domaine de l'insertion car elles créent du lien social ; or elles pâtissent de difficultés financières qui se sont aggravées et les empêchent de réaliser pleinement leurs missions. Un audit a été demandé à l'Inspection générale des affaires sociales et à l'Inspection générale des finances sur le fonctionnement du dispositif de l'urgence sociale.

Les entreprises sont également sensibilisées par la question de l'exclusion, qui devrait d'ailleurs concerner chaque citoyen. On ne peut qu'être frappé par le manque d'intérêt que suscite aujourd'hui la situation du voisin. Il est de ce point de vue significatif que 90 % des interventions du SAMU soient motivées non par une urgence médicale mais par une situation de détresse sociale. Cette situation appelle des solutions inventives.

Au total, ce programme global mobilisera un budget supplémentaire d'un milliard d'euros sur les trois années à venir et son succès supposera la mobilisation de toutes les énergies et volontés politiques et reposera avant tout sur l'accès aux droits pour les personnes les plus défavorisées.

Après avoir relevé la dimension humaine de cette présentation du problème de la pauvreté et de l'exclusion, le président Jean-Michel Dubernard a souligné que l'honneur d'une société et le devoir des responsables politiques consistent à soutenir les plus faibles, c'est-à-dire les personnes âgées, les enfants, les handicapés et les personnes en situation d'exclusion, qui sont d'ailleurs parfois les mêmes. Ce plan donne un espoir, il faut le concrétiser. Tous les acteurs impliqués dans ce dossier, à titre professionnel ou associatif, doivent à présent se mobiliser pour lutter de manière efficace contre le phénomène de l'exclusion. On peut citer l'exemple des étudiants en médecine qui sont souvent conduits à contribuer à ces actions, aux urgences comme au pied du lit du malade, mais sont isolés du fait de l'insuffisant développement et de la faible ouverture des services sociaux.

M. Jean Le Garrec, tout en partageant certaines des analyses développées par la secrétaire d'Etat, a formulé les remarques suivantes :

- Il faut réfléchir en profondeur à la question de l'exclusion qui représente une douleur sociétale et morale dans une société parallèlement capable de créer de plus en plus de richesses.

- Un des phénomènes les plus inquiétants est celui de la reproduction de l'exclusion, les enfants issus de familles défavorisées ayant tendance à recréer voire à accentuer les difficultés connues pendant l'enfance.

- Il est faux de dire que le concept d'urgence sociale est neuf : le vote de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 témoigne de la volonté de la précédente majorité d'agir efficacement dans ce domaine. Certes, tout n'est pas réglé, loin s'en faut, mais cette loi, adoptée après une large concertation, a eu le mérite de poser quelques principes clairs. Pour en assurer la mise en œuvre les compétences du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ont été renforcées et un Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale a été créé. Les outils ainsi mis en place ne doivent pas être négligés. En outre sous la précédente législature, Mme Hélène Mignon a, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, effectué un travail important de suivi de l'application concrète des dispositions de cette loi d'orientation.

- Les personnes les plus démunies sont en général celles qui connaissent le moins bien leurs droits. Il convient effectivement de remédier à cette situation en améliorant par exemple la communication institutionnelle en direction de ces publics. Un des moyens d'y parvenir serait de mobiliser les centres communaux d'action sociale (CCAS) qui présentent l'avantage d'être en contact permanent avec les personnes touchées par l'exclusion. On observe que l'efficacité de la loi a été beaucoup plus grande là où les CCAS ont su s'en emparer, l'expliquer et l'appliquer au plus près des besoins. Un autre moyen consisterait à promouvoir la notion de guichet unique pour les exclus et à éviter les doublons administratifs.

- Il faut par exemple que le rôle fondamental des associations soit renforcé par une meilleure coordination de leurs actions. On constate en effet une déperdition d'énergies et de moyens dans les actions menées par les unes et les autres. Il ne faut pas être dupes : le fait de s'engager dans la voie de la simplification administrative répond à un besoin réel, mais les résultats sont parfois contrariés par la complexité née de l'effort de simplification.

- Le plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et les exclusions comporte une grave lacune : il n'est aucunement question de l'emploi. Le programme TRACE (trajet d'accès à l'emploi) mis en place dans le cadre de la loi d'orientation de juillet 1998 avait précisément pour objet de permettre à un maximum de personnes a priori éloignées du monde du travail d'y accéder. Il faut impérativement réactiver les outils d'accompagnement qui ont été récemment négligés et font en outre cruellement défaut dans le PLNE.

M. Yves Bur a approuvé la démarche tendant à élaborer un plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et les exclusions et a formulé les observations suivantes :

- La loi de juillet 1998 n'a évidemment pas eu pour effet de faire disparaître le phénomène de l'exclusion. En revanche, le thème semble être passé de mode. Alors que le nombre de personnes touchées par ce phénomène multiforme et la difficulté à apporter des solutions efficaces aux différents problèmes - l'accès aux droits, au logement ou à l'emploi - exigent de reprendre l'ouvrage au plus près du terrain.

- En ce qui concerne l'accès aux droits, il est complexe pour l'ensemble des citoyens et la démarche de simplification mise en œuvre par le gouvernement profitera également aux exclus ; la démarche de qualité par la voie d'une labellisation est intéressante et mériterait d'être précisée. La voie de l'harmonisation est également à retenir ainsi que la mise en place d'un guichet unique.

- S'agissant du logement, il conviendrait que le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) puisse travailler de façon plus proche du terrain en déléguant par exemple aux responsables connaissant bien les familles en attente, la tâche d'attribuer les logements. Il faut être en la matière particulièrement pragmatique afin d'aider au mieux les familles les plus démunies.

- L'accès à l'emploi devrait constituer une priorité ; il faudrait par exemple promouvoir des chantiers d'insertion mais également mettre en place l'équivalent d'ateliers protégés au sein des structures d'insertion, susceptibles d'accueillir les personnes en voie de réinsertion professionnelle.

- La question du rôle des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (PRAPS) doit également être posée : il faut aller vers une meilleure identification des priorités et un recentrage des actions.

Après avoir relevé que le problème de l'exclusion transcende en principe les clivages politiques et doit permettre aux différents responsables toutes tendances politiques confondues de se rejoindre sur un certain nombre de points, Mme Hélène Mignon a fait les remarques suivantes :

- Il faut se réjouir que de multiples actions soient aujourd'hui annoncées dans le but de lutter contre la pauvreté et les exclusions. On ne saurait cependant se satisfaire du plan présenté : les oublis et les manques sont très préoccupants. Certes, la démarche allant dans le sens de la simplification administrative est bonne, mais elle n'est que l'un des outils devant être actionnés pour permettre aux populations concernées de sortir de l'exclusion. De même, le fait de mettre en place des programmes en matière de nutrition va dans le bon sens mais bute sur l'insuffisance des ressources dont disposent ces personnes. Sont ainsi négligés divers pans pourtant essentiels de la lutte contre les exclusions, comme la question du logement, de l'urgence sociale ou de l'insertion dans le monde du travail par l'activité économique.

- On ne sait pas quelle sera la répartition des compétences au terme de la décentralisation engagée. L'Etat devrait rester le garant de l'égalité des droits. Cette réforme sera-t-elle l'occasion pour l'Etat de se dédouaner de sa responsabilité ?

- La priorité devrait aller à une meilleure coordination des actions entre l'Etat, les communes et les départements, sans oublier les associations Il faut convaincre l'ensemble de ces acteurs de travailler ensemble et de l'inanité d'un traitement parcellaire de l'exclusion. Un des moyens de mieux faire circuler l'information - et donc de résoudre de manière optimale les dossiers traités par diverses administrations ou structures concernées - serait de poser des limites au principe du secret professionnel qui, s'il est appliqué à la lettre, aboutit à geler la gestion des dossiers difficiles. Un guichet unique devrait disposer de l'ensemble de ces éléments.

- On sait qu'environ un tiers des jeunes accueillis dans le cadre du programme TRACE souffre en réalité de problèmes psychologiques ou psychiatriques. Les problèmes de ces personnes doivent être traités de manière appropriée, car aujourd'hui le suivi de ces jeunes est parfois inadapté et ne permet pas une véritable démarche d'insertion.

- S'agissant du logement, un des objectifs du gouvernement est semble-t-il de faire appel de façon plus importante qu'auparavant au parc immobilier privé pour loger les familles en difficulté. Cette option, qui n'est pas mauvaise en soi, risque cependant de comporter des conséquences importantes. Dans le parc public de logement social, la réactivité est forte : en cas d'impayés de loyer, la situation entraîne des mesures immédiates. Les bailleurs privés laissent souvent la situation se dégrader jusqu'à un point irréversible. Il faudrait, à tout le moins, mettre en place un dispositif pédagogique d'accompagnement de ces familles afin d'éviter les risques d'expulsion.

- La question du surendettement n'est pas suffisamment traitée. A la différence des années écoulées, les commissions sont de nouveau saisies de dossiers témoignant surtout de difficultés à effectuer des paiements liés à la vie de tous les jours : les loyers ou les notes de téléphone par exemple.

La disponibilité réelle des crédits supplémentaires annoncés aujourd'hui pour la réalisation de ce plan national suscite des inquiétudes et les régulations budgétaires risquent de mettre à mal l'application concrète de ces promesses. Ainsi, l'accent mis par le plan sur la culture et le sport dans la lutte contre l'exclusion est contredit par le gel des crédits FONJEP.

Mme Martine Carillon-Couvreur a souligné que l'annonce de 500 places nouvelles pour 2003 au sein des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ouverture programmée de longue date, est loin de répondre aux besoins estimés par les associations à 15 000 places. Les CHRS ne sont pas seulement des lieux d'accueil, leur rôle est également d'aider à l'insertion par le logement et à l'insertion professionnelle. Ce deuxième volet est obéré par les coupes drastiques opérées dans le budget. Les associations expriment leur inquiétude quant à la non-reconduction de leurs subventions ou au caractère tardif de leur versement qui les place en situation de précarité. Les DASS et les DRASS n'ont pas encore reçu les budgets afférents aux CHRS et s'interrogent sur la possibilité de mener une politique efficace en l'absence de moyens suffisants. Un itinéraire d'insertion suppose de respecter des étapes, un calendrier et de mettre en œuvre un accompagnement personnalisé. Lorsque les associations sont affaiblies, elles sont mises en danger et ce sont les personnes en difficulté qui sont touchées. Quelle réponse peut-on leur apporter aujourd'hui ?

Mme Christine Boutin a tout d'abord salué l'importance du travail mené par le monde associatif sans lequel la situation serait à la fois plus dramatique et plus violente. Il faut rappeler que 10 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, que l'isolement se développe et que la société semble s'en accommoder. Ce n'est pas acceptable ! Récemment, à Rambouillet, on a découvert au bout de cinq mois qu'un homme était mort chez lui, dans l'indifférence et l'anonymat : on ne peut qu'avoir le scandale au cœur devant de telles situations. La précarité n'est pas inhérente à la croissance et les exclus font partie de la société. Il convient de porter un regard différent sur ces phénomènes qui constituent un problème avant tout culturel. Chaque Français doit se sentir concerné par le phénomène et les politiques doivent de ce point de vue être exemplaires.

Puis Mme Christine Boutin a rappelé qu'elle a, en sa qualité de rapporteur pour avis sur les crédits de l'exclusion, proposé la création d'un revenu minimum d'existence (RME) qui a reçu le soutien unanime de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Ce RME ouvrirait à chaque personne résidant légalement sur le territoire français le droit à un revenu minimum financé par la solidarité nationale. Il convient de cesser de stigmatiser certaines catégories de la population, telles les chômeurs ou les bénéficiaires du RMI, et d'accepter l'idée qu'un certain nombre de personnes ne sont plus aptes à une activité salariée.

Il faut mettre en œuvre un droit au logement pour tous, rempart contre la précarité. Chacun doit avoir la possibilité de devenir progressivement propriétaire de son logement, en rapport avec ses moyens. Il faut ainsi redonner l'espérance à ceux qui n'en ont plus.

Mme Martine Billard a tout d'abord exprimé des doutes sur la réalité et le caractère suffisant du milliard d'euros mis en avant pour la réalisation du plan national. On ne peut ensuite que regretter l'absence dans ce plan de propositions novatrices : il n'est qu'un simple constat de l'état des lieux en ce qu'il opère un choix en faveur de la gestion de l'exclusion au détriment des moyens d'en sortir. Plusieurs points méritent réflexion :

- La création d'un parc privé social n'est pas possible partout, notamment dans les grandes villes. Le gouvernement est-il prêt à user de son droit de réquisition ?

- La moitié des expulsés le sont du parc privé dans lequel les bailleurs peuvent refuser la mise en place d'un mécanisme de prévention des expulsions. Il semble nécessaire de réfléchir à la mise en œuvre du FSL à l'égard des bailleurs privés, notamment des plus importants.

- Le plan « Grands froids » a fait preuve de son efficacité durant la période hivernale mais les problèmes existent à d'autres époques de l'année, notamment en été, alors que de nombreux services sont indisponibles. Il devrait pouvoir être mis en œuvre en continu.

- La notion de tarif social d'électricité est trop restrictive et devrait être étendue à l'ensemble des énergies.

- Il est également nécessaire de s'interroger sur les conditions actuelles d'accès aux lignes de téléphone fixe pour les exclus afin de les aider dans leurs démarches professionnelles, alors que leur situation - compte tenu des impayés - les contraint souvent à recourir aux téléphones portables plus onéreux.

- La récente réforme de la CMU a repoussé d'un mois la date d'ouverture des droits ce qui est préjudiciable aux plus démunis qui consultent le plus souvent dans l'urgence et ne font justement valoir leurs droits qu'à cette occasion. Le gouvernement entend-il revenir sur cette mesure ?

- En matière de surendettement, alors que certains hésitent à reprendre un emploi de peur de se voir exiger le remboursement de leurs dettes, la mise en place d'une procédure de faillite civile et une réflexion sur les services bancaires de base sont-elles envisagées ?

- En ce qui concerne les associations, il serait souhaitable d'une part d'allonger la durée d'accompagnement des personnes par les associations d'insertion, car les délais actuellement prévus sont trop courts et, d'autre part d'assurer une prise en charge globale des personnes exclues, qui est aujourd'hui rendue impossible en raison de financements trop fractionnés.

- Enfin, la lutte contre l'alcoolisme, dont les liens avec l'exclusion sont réels, devrait faire l'objet d'une campagne nationale de grande ampleur, à l'image de celle actuellement conduite en matière de sécurité routière.

Mme Chantal Bourragué a évoqué la difficulté pour les personnes exclues de sortir de l'hébergement d'urgence et de revenir à un logement dans les conditions du droit commun. L'accès au parc privé est souvent difficile mais une expérience conduite à Bordeaux montre que la mise en place de baux glissants et de sous-locations est un moyen efficace d'assurer une réinsertion progressive dans le parc social.

Elle a ensuite souhaité savoir si le budget 2003 fera l'objet de gels ou d'annulations de crédits.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est félicité de l'humanité des différentes interventions et a souligné la nécessité d'aborder les problèmes et difficultés en partant du point de vue des personnes exclues. Le nombre et la diversité des questions posées montrent l'intérêt du monde politique pour ces questions et illustre la spécificité de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui est, plus que les autres peut-être, la commission de l'humain.

En réponse aux différents intervenants, la secrétaire d'Etat a apporté les éléments suivants :

- Si, effectivement, l'intérêt des membres de la commission pour la lutte contre l'exclusion est réel, les interventions traduisent néanmoins l'existence de démarches différentes dans l'approche des problèmes. La démarche adoptée par le gouvernement se veut résolument concrète : il s'agit désormais de partir du constat des situations sur le terrain pour ensuite définir les mesures à prendre et s'assurer de leur mise en œuvre.

- La loi de 1998 est effectivement une bonne loi. Il faut cependant observer qu'elle n'est pas la première sur le sujet et qu'il reste à l'appliquer, comme l'a souligné un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales.

- Ce même rapport souligne notamment la nécessité de coordonner les actions menées. Le manque de coopération entre les associations et les différentes administrations du secteur sanitaire et social a été très fortement stigmatisé par certains intervenants. Ce procès est injuste car de grands progrès ont d'ores et déjà été accomplis, notamment pour assurer de meilleurs rapports entre les associations, les DDASS et les CCAS par la création de comités départementaux de veille sociale. On ne peut pas dire que les administrations ne savent pas agir en matière d'exclusion : elles sont tout à fait capables d'intervenir pour peu que les procédures soient simplifiées, ce à quoi va s'attacher le plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion. On peut bien accuser ce plan de ne pas comporter de mesures novatrices : toute la nouveauté résidera dans la mise en œuvre concrète et réelle des dispositions annoncées... ce qui est déjà un grand progrès !

- La gestion du FSL par les bailleurs n'a jusqu'à présent pas été possible car les organismes de gestion des HLM s'y sont toujours refusés.

- Les PRAPS verront leurs activités recentrées, notamment autour de la souffrance psychologique, et les actions des divers intervenants seront mieux coordonnées. Il s'agit juste d'aider à la création de liens entre les acteurs sanitaires et sociaux.

- La gestion du FSL, des PRAPS et du RMI va être décentralisée et confiée aux départements, qui devront organiser leur collaboration avec les communes ; l'Etat demeurera pour sa part le garant de la cohésion sociale et conservera le contrôle des outils de l'urgence sociale.

- Si les associations connaissent aujourd'hui de gros problèmes financiers, c'est essentiellement parce que, depuis des années, elles cumulent des déficits structurels liés au non-versement par l'Etat des subventions sur lesquelles il s'était engagé. Il ne faut pas être hypocrite sur ce sujet, de même, d'ailleurs, que sur les difficultés de fonctionnement des CHRS, très largement liées à la mise en place non compensée des trente cinq heures. Le plan national de renforcement de la lutte contre la précarité et l'exclusion affirme clairement l'intention de l'Etat d'assumer enfin le paiement des subventions dues aux associations.

- L'action menée sur la question de la nutrition est bien accueillie par les associations qui apprécient la mise en œuvre d'un programme concret de formation.

- On peur ironiser sur les mesures du PNLE, en particulier sur les aspects liés à la simplification, mais les mesures proposées seront utiles. Il convient en outre de rappeler qu'il ne constitue pas le seul axe de l'action gouvernementale contre l'exclusion. Ainsi, le plan national d'action pour l'inclusion (PNAI) qui sera présenté en juillet prochain aux instances de l'Union européenne traitera par exemple de l'insertion par l'économique. Il ne s'agit donc pas là d'un oubli du PNLE.

- En ce qui concerne le plan « Grand froids », il est faux de dire qu'il laisse les gens de côté dès l'hiver fini : les mesures d'accueil et d'hébergement d'urgence sont permanentes mais elles ont cédé sous la pression du nombre croissant de demandeurs d'asile que la précédente majorité n'a pas su maîtriser.

- Depuis M. André Périssol, aucun ministre en charge du logement n'a utilisé le pouvoir de réquisition.

- Le droit au logement pour tous est bien entendu un objectif vers lequel il faut tendre, comme l'a d'ailleurs dit le Président de la République durant la campagne électorale. Mais il ne faut pas oublier que le logement des exclus peut également être assuré par le parc privé, qui comporte actuellement plus de 500 000 logements vacants.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

M. Gérard Cherpion, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes - n° 609 ;

M. Michel Herbillon, rapporteur sur la proposition de résolution de M. Noël Mamère tendant à créer une commission d'enquête relative aux conditions d'attribution d'une fréquence à la chaîne Khalifa TV - n° 646.


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