COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 mai 2003
(Séance de  17 heures)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

SOMMAIRE

 

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- Réunion commune avec les membres de la commission du travail et de l'égalité du Parlement de Finlande

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Le président Jean-Michel Dubernard a tout d'abord souhaité la bienvenue aux membres de la commission du travail et de l'égalité du Parlement finlandais et à son président, M. Jukka Gustafsson et s'est réjoui d'accueillir cette délégation, ayant lui-même eu l'occasion de constater la chaleur de l'accueil finlandais lors d'un voyage à Helsinki en janvier dernier.

Compte tenu des délais impartis, le choix a été fait de limiter la réunion à deux sujets essentiels : l'emploi des jeunes et la réforme des retraites. Cette dernière, au cœur du débat en France, donne lieu à de vives oppositions. Cette situation contraste avec la réforme des retraites accomplie en Finlande. Le remarquable consensus entre, d'une part, les formations politiques, et, d'autre part, les partis politiques et les syndicats, donne à la France une belle leçon de démocratie dont elle pourrait s'inspirer.

M. Jukka Gustafsson, président de la commission du travail et de l'égalité du Parlement finlandais, après avoir remercié le président Jean-Michel Dubernard et les commissaires français pour la qualité de leur accueil, a fait part, au nom de tous les membres de sa commission de sa joie d'être à Paris. Le Parlement ayant été renouvelé à la suite des élections de mars 2003, ce voyage constitue le premier déplacement à l'étranger de la commission récemment reconstituée. S'agissant des mesures destinées à favoriser l'emploi des jeunes, il a demandé quelles étaient les lignes directrices de la politique du gouvernement français en la matière.

Le président Jean-Michel Dubernard a indiqué que l'emploi des jeunes constitue une préoccupation constante de la commission et des gouvernements successifs depuis de nombreuses années. Le précédent gouvernement avait apporté une réponse relativement satisfaisante avec la création de contrats aidés pour les jeunes, appelés « emplois-jeunes », qui ont permis des créations d'emplois significatives pour les jeunes depuis 1997 notamment dans les associations et les collectivités territoriales. Cependant, ces contrats souffraient de deux faiblesses : d'une durée de cinq ans, leur pérennité n'était pas assurée et ils ont, par ailleurs, bénéficié dans leur grande majorité à des jeunes diplômés.

Le gouvernement actuel a fait le choix d'une solution en faveur de l'emploi par les entreprises des jeunes non diplômés, en créant des contrats assortis d'exonérations de charges sociales pour les employeurs. Ce nouveau contrat, qui présente l'avantage d'être à durée indéterminée, connaît un vif succès, puisqu'il a déjà permis le recrutement de 45 000 jeunes depuis septembre 2002.

M. Tero Rönni a formulé les questions suivantes :

- Le pourcentage de jeunes non diplômés par classe d'âge est de 20 % en Finlande : quel est-il en France ?

- Quel est le pourcentage des exonérations accordées par l'Etat aux entreprises au titre de ces emplois réservés à des jeunes non qualifiés ?

- Que recouvre la notion de jeunes non diplômés en France ? S'agit-il en particulier d'une situation susceptible de perdurer jusqu'à la fin de la vie professionnelle d'un salarié ?

M. Jean-Paul Anciaux a précisé que sur les 550 000 à 600 000 jeunes sortant chaque année du système scolaire, 100 000 d'entre eux, sans aucune qualification, sont en situation d'échec scolaire et rencontrent par conséquent de graves difficultés d'insertion professionnelle. En outre, un nombre équivalent de jeunes quittent le système scolaire muni d'une formation purement théorique, ce qui suppose qu'ils reçoivent une formation professionnalisée pour faciliter leur insertion dans le monde du travail.

A l'inverse des « emplois-jeunes » qui « aspiraient » les jeunes diplômés, le nouveau contrat vise expressément les jeunes non diplômés tout en ayant pour objectif de les conduire par la suite à entreprendre une formation qualifiante.

M. Esa Lahtela a demandé si les contrats jeunes concernent le secteur public ou le secteur privé.

M. Antti Kaikkonen s'est enquis de l'âge limite d'accès aux dispositifs destinés aux jeunes et du taux de chômage des jeunes comparé à celui du reste de la population. Est-il comme en Finlande supérieur ?

Revenant sur la situation des jeunes entrant sur le marché du travail sans qualification, Mme Anne Holmlund, vice-présidente de la commission du travail et de l'égalité du Parlement finlandais, a souhaité avoir des précisions sur le volet formation des contrats jeunes en entreprise.

M. Simo Rundgren a demandé si le taux de chômage des jeunes est différent entre la ville et la campagne et selon les régions.

Mme Anneli Kiljunen a souhaité des précisions sur le dispositif d'aide aux entreprises lié aux contrats jeunes en entreprise et sur l'accueil reçu par ces aides du côté patronal.

M. Bernard Perrut a présenté le dispositif des contrats jeunes en entreprise, qui se veut simple et souple, donc efficace :

- Ce dispositif ne vise que le secteur privé, car c'est dans l'entreprise que se crée la richesse ; c'est une rupture avec les emplois jeunes mis en place par le gouvernement précédent, localisés principalement dans les collectivités locales et les associations.

- Le contrat jeunes en entreprise est un contrat de travail à durée indéterminée.

- L'aide à l'employeur consiste en une exonération de charges sociales totale pendant deux ans et de 50 % la troisième année.

- Le dispositif ne comprend pas d'obligation de formation, car les dispositifs préexistants qui comportaient une telle obligation, tels que l'apprentissage, sont maintenus ; il repose sur la confiance dans les employeurs, qui devront assurer la « formation sur le tas » des jeunes concernés ou les intégrer à leurs plans de formation interne ; le dispositif ouvre de plus aux jeunes bénéficiaires des contrats jeunes en entreprise la possibilité de mettre fin à ceux-ci pour reprendre leurs études ou accéder à une formation qualifiante.

- Enfin, ce contrat est destiné aux jeunes de 16 à 22 ans.

Regrettant l'absence de volet formation obligatoire dans le dispositif des contrats jeunes - d'autant qu'ils pourraient bénéficier du dispositif de validation des acquis - Mme Hélène Mignon est revenue sur le problème des 100 000 jeunes sortant sans qualification du système scolaire, qui ne peuvent accéder directement au milieu du travail et doivent donc être accueillis par des structures d'insertion voire parfois de soins. On observe des problèmes de drogue ou d'alcool chez nombre de ces jeunes, ainsi que des troubles psychologiques pour un tiers d'entre eux. La situation est-elle la même en Finlande ? Le taux de chômage des jeunes en France est plus élevé en ville qu'à la campagne, en particulier dans les quartiers défavorisés. Quelle est la politique d'insertion des jeunes handicapés dans le monde du travail en Finlande ?

Relevant que le chômage des jeunes était en France dû en grande partie à l'inadéquation entre l'offre d'emploi et les qualifications des demandeurs, M. Jean-Marie Geveaux a demandé si la situation était identique en Finlande. Un projet de loi devrait prochainement être déposé en France afin de remédier à la situation en facilitant l'accès à la formation tout au long de la vie.

Mme Anneli Kiljunen a exposé les actions menées en Finlande en direction des jeunes restés en marge du marché du travail et des structures de formation.

Il existe des centres pilotes, qui doivent ressembler aux missions locales françaises et proposent aux jeunes l'aide de l'ensemble des services sociaux pour établir un « sentier de vie » personnel. Ce bilan de compétences individualisé permet de mieux préparer l'insertion. Il existe également des centres de travail protégé qui permettent une réinsertion progressive des personnes exclues dans le monde du travail ainsi que des contrats d'apprentissage en entreprise, pour lesquels les charges sociales sont intégralement prises en charge par l'Etat. Enfin, il existe un programme d'accompagnement à la première expérience professionnelle dont l'objet est déjà de familiariser les jeunes avec la réalité du monde du travail. Le programme du nouveau Gouvernement fait de l'emploi des jeunes en difficultés une priorité absolue.

Le président Jean-Michel Dubernard a proposé de passer à la question des retraites. Sur ce sujet, les interventions liminaires ont donné le sentiment qu'il existe en Finlande un consensus sur les objectifs de la réforme entre les différents partis politiques et syndicats. Ce sentiment est-il justifié et, si oui, comment la Finlande y est-elle parvenue ? Une telle situation paraît, en effet, idyllique à un parlementaire français !

Le président Jukka Gustafsson a confirmé cette impression. Ce qui paraît « idyllique » pour un Français résulte en Finlande d'une très ancienne tradition de négociation sociale. Tout le système des retraites a été bâti après la Seconde guerre mondiale grâce à la coopération des différents acteurs du monde du travail et de l'Etat. La même démarche de coopération a donc été reprise lorsqu'il s'est agit de répondre aux problèmes posés par ce système.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que la France reçoit là une belle leçon de démocratie, que pourraient d'ailleurs également lui donner la Suède, l'Allemagne et l'Espagne. Il a ensuite souhaité connaître, dans ses grandes lignes, la réforme des retraites adoptée en Finlande.

En réponse, le président Jukka Gustafsson a résumé les différentes évolutions du régime des retraites récemment décidées :

- Les cotisations de retraite peuvent désormais être versées dès l'âge de 18 ans, contre 23 ans auparavant.

- La pension est calculée sur la totalité des salaires perçus durant la vie professionnelle et non plus seulement sur les dernières années.

- Afin de répondre à un fort souci d'équité, l'Etat verse désormais des cotisations retraite pour le compte des personnes restant à leur domicile afin d'assurer la garde d'enfant de moins de 3 ans, ainsi que pour les étudiants pendant 5 ans. Pour ces personnes, les cotisations sont versées sur la base d'un salaire fictif de 500 euros par mois.

- Les modalités de cumul des points de retraite ont également évolué. Auparavant, chaque année de cotisation ouvrait droit à 1,5 % du revenu, avec un plafond à 60 % du revenu. L'âge moyen de départ à la retraite était de 59 ans. Désormais, il n'y a plus d'âge légal de départ à la retraite ; celui-ci a été remplacé par un dispositif flexible afin d'encourager des départs plus tardifs. Au-delà de 63 ans, chaque année travaillée, jusqu'à 68 ans, « rapportera » ainsi 4,5 % du revenu au lieu de 1,5 %. Ces mesures ont été fortement critiquées par la gauche au prétexte qu'elles favorisaient les professions intellectuelles, mais des dispositions ont également été prises pour autoriser une retraite à mi-temps, à partir de 58 ans, pour les professions les plus pénibles.

- Afin de parvenir au consensus le plus large sur la réforme des retraites, le gouvernement finlandais a décidé de mettre en place progressivement le nouveau système, à titre transitoire à partir de 2005, puis de manière définitive à partir de 2012.

M. Esa Lahtela a précisé que la réforme du système de retraite mise en place actuellement en Finlande ne concernait que le secteur privé. Il est vraisemblable que la réforme des retraites du secteur public suivra la même voie sans trop de problèmes. Il est également à rappeler que, selon l'ancienne méthode de calcul des retraites, le montant de la pension ne pouvait excéder 60 % des revenus d'activité. Désormais ce taux peut être dépassé selon le nombre d'années de cotisation.

M. Jean-Paul Anciaux a demandé s'il est possible de poursuivre son activité professionnelle au-delà de l'âge de 68 ans et si le fait que les années de cotisation au-delà de l'âge de 63 ans bénéficient d'une surcote - puisque, à partir de cet âge, le montant de la pension de retraite est assis non plus sur 1,5 %, mais sur 4,5 % des revenus d'activités - ne constitue pas une prime en faveur des « cols blancs ».

M. Frédéric Dutoit a déclaré qu'à l'exemple de la Finlande, il est partisan d'un consensus sur la réforme des retraites. Mais les traditions historiques de la Finlande en matière de dialogue social ne sont pas celles de la France. Certaines grandes centrales syndicales françaises ont refusé d'apporter leur soutien à une réforme à laquelle elles n'ont pas été associées. Pour que les conditions du consensus soient réunies, il est impératif qu'un accord se dégage sur le contenu de la réforme, ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas en France. La volonté de la Finlande de maintenir le système de financement des retraites par répartition mérite d'être saluée : mais quels sont la durée de cotisation, l'âge du départ à la retraite, l'assiette de calcul du montant de la pension et le régime de préretraite à mi-temps pour les travaux les plus pénibles ?

M. André Samitier a demandé si les salariés âgés de plus de 63 ans dont l'état de santé ne leur permet pas de poursuivre leur activité professionnelle dans des conditions optimales, mais qui souhaitent néanmoins continuer à travailler, sont mis à le retraite d'office.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité connaître le taux de chômage en Finlande.

Aux différents intervenants, M. Esa Lahtela, Mme Anne Holmlund et M. Jukka Roos ont apporté les réponses suivantes :

- Le taux de chômage en Finlande est de 9,2 % de la population active.

- Actuellement, l'âge légal du départ à la retraite en Finlande est de 65 ans. Avec la nouvelle législation, cet âge sera de 63 ans mais cette limite sera flexible. Ainsi, ceux qui le souhaitent pourront partir en retraite dès l'âge de 62 ans. En contrepartie le montant de leur pension sera diminué, à moins qu'ils ne soient au chômage au moment de leur départ en retraite auquel cas ils bénéficieront d'une retraite à taux plein. Par ailleurs, certains Finlandais relèvent de régimes spéciaux : l'âge légal du départ à la retraite des enseignants est de 60 ans et celui d'une partie des militaires est fixé à 45 ans. Les travailleurs soumis à une activité particulièrement pénible, tels que les bûcherons par exemple, continueront de bénéficier d'un régime adapté. La volonté du gouvernement finlandais est d'unifier, dans la mesure du possible, l'ensemble de ces régimes en les soumettant au même système de flexibilité. C'est parce qu'elle laisse une grande liberté de choix à chacun que la réforme a été rendue possible et acceptée par tous.

- Après avoir atteint l'âge de 68 ans, les personnes qui le désirent peuvent continuer à travailler, mais leurs cotisations n'entrent plus dans le calcul de leur pension de retraite.

- En ce qui concerne les salariés ayant atteint l'âge de 63 ans qui ne sont plus aptes au travail mais qui désirent cependant continuer à travailler, leur cas fait l'objet d'une négociation avec leur employeur afin qu'ils puissent bénéficier d'une retraite à taux plein.

- Le système de la retraite à mi-temps permet à la personne qui y souscrit de toucher 75 % de son revenu antérieur brut ce qui, compte tenu du régime fiscal finlandais, correspond à 80-90 % de son revenu antérieur net.

- Le système par répartition finlandais est différent de son équivalent français dans la mesure où une partie des cotisations collectées auprès des salariés - 4,6 % de leurs revenus - et de leurs employeurs - 16,6 % des charge sociales - n'est pas immédiatement reversée aux retraités mais est investie par les caisses de retraites. Ainsi l'intégralité du montant des pensions ne pèse pas sur la population au travail et le système permet un ajustement des reversements. Ce système répond à des circonstances historiques précises. Il a été mis en place après la Seconde guerre mondiale à une période où la Finlande, tiraillée entre l'influence du modèle soviétique et la présence d'une forte communauté allemande, était dans l'obligation de définir un modèle de société solidaire pour préserver son intégrité.

- Enfin, si le consensus autour de la réforme des retraites a été rendu possible en Finlande, c'est aussi parce que ce pays dispose de syndicats actifs et représentatifs puisque 90 % des travailleurs finlandais sont syndiqués.

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