COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 19 novembre 2003
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

pages

- Examen de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault tendant à créer un service civique pour tous les jeunes - n° 1199 (M. Daniel Vaillant, rapporteur)


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- Information relative à la commission

 

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Daniel Vaillant, la proposition de loi tendant à créer un service civique pour tous les jeunes - n° 1199.

M. Daniel Vaillant, rapporteur, a tout d'abord indiqué que cette proposition de loi, qui sera examinée en séance publique le 25 novembre, vise à instituer un service civique pour tous les jeunes. Elle a pour origine le constat que société et l'Etat ne parviennent pas à jouer pleinement leur rôle en matière de transmission des valeurs de la République. Il semble en effet qu'une forme de dissolution du civisme, de la citoyenneté et de l'esprit républicain soit aujourd'hui à l'œuvre.

Le service militaire, tel qu'il existait jusqu'en 1997, était devenu obsolète et très inégalitaire : il ne concernait que les garçons et était vécu comme une contrainte inutile et très contraignante pour les carrières professionnelles. Par ailleurs, il semblait très désuet à beaucoup d'appelés, dont près de 150 000 bénéficiaient de passe-droit pour en être exemptés. Néanmoins, le service militaire possédait d'évidentes vertus. En particulier, il offrait la possibilité aux jeunes de connaître une discipline de vie, de donner un sens au « vivre ensemble » et de permettre un brassage social et culturel. Ainsi, la suspension du service militaire en 1997, vécue de façon positive par de nombreux jeunes, a contribué à accélérer dans la société l'affaiblissement du civisme, de la citoyenneté et de l'esprit républicain.

C'est pourquoi il faut aujourd'hui réinventer un système qui permette d'inculquer aux jeunes que le civisme est un devoir et la citoyenneté un droit, c'est-à-dire de réhabiliter les valeurs de la République. Dans cet objectif, le service civique serait obligatoire pour les Français, garçons et filles, après l'obtention du bac ou atteignant l'âge de 18 ans s'ils sont sortis du système scolaire.

Il serait composé d'une première période courte d'un mois consacrée à un stage théorique, où différents intervenants viendraient rappeler ce que sont la République et ses valeurs. Cette première période comprendrait un tronc commun de culture générale mais également divers modules spécialisés, que les jeunes pourraient choisir en fonction de leurs centres d'intérêts, par exemple dans le domaine de la préservation de l'environnement ou de l'action humanitaire. Ce stage serait suivi l'année suivante d'une mise en pratique d'un mois dans des lieux spécifiques mettant l'accent sur l'utilité sociale du travail effectué et la solidarité. Il serait également possible de compléter ce service par une période d'engagement plus longue (de six mois à un an), autorisant la validation de certains acquis après formation et évaluation.

Le service civique permettrait ainsi aux jeunes d'en rencontrer d'autres dans la diversité de la société et de les accepter avec leurs différences. Il s'agirait d'un moment d'immersion et d'insertion au sein du creuset républicain, pour estomper les différences.

Quant aux aspects pratiques, il est évident que cette réforme représente un investissement républicain, dans la mesure où il s'agit d'organiser le rassemblement d'environ 650 000 personnes nouvelles chaque année. Au plan financier, deux options se présentent : soit un financement par le budget de l'Etat, soit un financement lié à des revenus de l'Etat (Française des jeux, taxes sur le tabac et l'alcool). Le budget nécessaire représente environ deux milliards d'euros, soit l'équivalent de la baisse de 3 % de l'impôt sur le revenu, décidée par le gouvernement actuel. Il s'agit donc d'un objectif à la portée de notre pays.

Une des clés du succès du dispositif réside dans le recours à un encadrement motivant et motivé pour accompagner les jeunes. Il apparaît dès aujourd'hui difficile de puiser dans le vivier de l'armée puisque la suspension du service militaire a entraîné la suppression des postes des 35 000 sous-officiers et des 3 000 à 4 000 officiers qui s'en occupaient. En revanche, il est envisageable de se tourner vers l'éducation nationale et le milieu associatif pour trouver les formateurs nécessaires et compétents. Dans le même sens, de jeunes retraités pourraient être mobilisés pour effectuer cette tâche. Si les locaux de l'armée, souvent rétrocédés aux communes après la disparition du service militaire, ne sont plus opérationnels et ne constituent donc pas une option envisageable, de nombreux locaux publics demeurent inoccupés, au moins à certaines périodes de l'année, tels que les établissements scolaires ou les salles communales. Enfin, ce service remplacerait bien sûr la journée d'appel de préparation à la défense, dont il faut bien reconnaître qu'elle est diversement appréciée aujourd'hui.

En conclusion, le service civique est non seulement concrètement faisable, mais surtout nécessaire. S'il n'a pas la prétention de remédier à l'ensemble des problèmes de l'enfance et du passage à l'âge adulte, il doit s'insérer dans un projet de société plus global. Il s'agit en effet d'un projet transversal, qui permettra tout à la fois de lutter en amont contre l'insécurité, d'offrir une nouvelle chance aux jeunes en difficulté, de leur permettre de se découvrir au-delà de leurs différences et de lutter contre les communautarismes. Sans occulter les différences, le service civique vise en réalité à les estomper, dans la mesure où elles présentent des risques délétères pour la société et le pacte républicain.

Cette proposition de loi doit donc donner lieu à un examen approfondi par l'Assemblée nationale, et il semble envisageable que l'ensemble de l'Assemblée s'accorde sur son contenu dans la mesure où plusieurs députés de la majorité ont déjà déposé des propositions répondant à des objectifs analogues.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Mme Claude Greff a estimé qu'il s'agit d'un sujet intéressant mais qui doit être envisagé dans un tout autre état d'esprit pour au moins trois raisons. Il paraît tout d'abord surprenant d'instituer une obligation, dans la mesure où le civisme doit se vivre au quotidien, en particulier dans le milieu familial et scolaire, ou bien dans le cadre du volontariat. En outre, la rémunération prévue par la proposition de loi présente le risque d'occulter l'aspect civique de ce dispositif. Il semble en effet préférable d'instituer des mécanismes incitatifs, afin d'orienter les jeunes vers des activités humanitaires et sociales. Il est par ailleurs regrettable que le dispositif ne s'adresse qu'aux jeunes, alors que le civisme concerne toute la population. Enfin, la notion de stage est de nature à introduire une confusion entre le civisme et le travail, dans la mesure où de nombreuses associations sont déjà chargées de l'insertion dans la vie professionnelle.

C'est pourquoi la proposition de loi ne paraît pas de répondre aux besoins actuels. Plutôt que de les y obliger, il serait préférable d'inciter les jeunes à s'investir dans une démarche de volontariat.

M. Bernard Perrut a considéré que l'objet de la proposition de loi est justifié et partagé par tous. De fait, tous les élus constatent, sur le terrain, la situation grave dans laquelle se trouve une partie de la jeunesse sortie du système scolaire ou exclue du monde du travail. Cependant, le contenu du texte présenté n'est pas sans poser question. Ainsi, les éléments de formation théorique ou de stages dans plusieurs domaines apparaissent trop lourds et trop rigides. On ne peut donc que s'interroger sur l'ampleur des moyens financiers nécessaires ainsi que sur l'organisation pratique et matérielle d'un tel dispositif. Par ailleurs, celui-ci ne répond pas aux attentes actuelles. Il reprend, certes, des éléments figurant dans la proposition de loi antérieurement déposée par Mme Claude Greff, tels le projet d'engagement ou le contrat d'insertion qui implique des jeunes dans des projets, mais l'obligation qu'il met en place n'est pas adaptée. Le texte présenté doit être revu.

Mme Claude Greff s'est interrogée sur le sort différent fait aux jeunes selon qu'ils sont français ou étrangers.

M. Jean-Paul Anciaux a reconnu que les constats et les objectifs qui motivent la proposition de loi ne peuvent que constituer un terrain d'accord. Cependant, ce débat doit trouver sa place dans le cadre d'une réflexion globale sur l'école. Par ailleurs, le sort particulier fait aux jeunes étrangers encourt de sérieux risques d'interprétation et, partant, d'incompréhension.

M. Gaëtan Gorce a jugé les explications de la majorité embarrassées car le dispositif proposé est bon. En effet, il semble nécessaire d'expliquer aux jeunes que, dans le pacte républicain, l'existence de droits emporte nécessairement celle de devoirs. Aujourd'hui, notre société tend à fonctionner en sens unique : toujours plus de droits, pour toujours moins de devoirs. De plus, la politique menée par l'actuelle majorité, à travers la minoration de l'imposition sur le revenu par exemple, contribue à l'aggravation de cette situation. La suppression du service national a, elle aussi, largement contribué à cette dégradation. Il est donc impérieux de réintroduire un lien entre la collectivité et le citoyen et il n'y a rien de choquant à créer l'obligation de rendre un service à celle-ci.

Mme Françoise de Panafieu a reconnu qu'il existe probablement aujourd'hui un manque de relations entre la société et les jeunes qui souhaitent trouver un engagement civique. Cette réalité n'empêche pas la proposition de loi d'être une « usine à gaz ». En effet, les jeunes doivent être acteurs de leur destin et non pas passivement confrontés à une obligation. Cette forme de contrainte, qui s'apparente à l'ancien service national, ne répond pas aux réalités du monde d'aujourd'hui. Il faut donc prendre du recul et retravailler la proposition de loi.

En réponse aux intervenants, le rapporteur, après avoir souhaité que le sujet même de la proposition de loi incite les commissaires à avoir une écoute respectueuse de l'autre, a apporté les réponses et précisions suivantes :

- La réaction de Mme Claude Greff est surprenante puisque sa propre proposition de loi comporte des éléments de contrainte. De fait, ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un texte présenté par un député de l'opposition qu'il n'y a pas lieu de l'examiner au fond.

- Le qualificatif d' « usine à gaz » n'est pas recevable, cela d'autant moins que le dispositif peut le cas échéant être amélioré.

- Les deux premières périodes de service civique ne sont pas rémunérées. Par contre, la troisième période optionnelle de six à douze mois pourrait donner lieu à indemnisation.

- En ce qui concerne l'organisation même du dispositif, c'est avant tout une question de volonté politique. Personne ne peut nier la carence actuelle de civisme dans notre société. Il est donc proposé, après l'école et l'éducation parentale, d'offrir une chance supplémentaire d'acquérir les bases de la citoyenneté. Dans ce contexte, le volontariat ne garantit pas l'universalité du dispositif car il ne permettra pas de toucher les plus modestes. Quant à l'idée d'imposer le service civique aux jeunes étrangers, elle est bonne en elle-même mais encourt des risques d'inconstitutionnalité. En revanche, et le débat est ouvert sans tabou, la participation au service civique pourrait devenir un critère pour la naturalisation ou l'obtention d'une carte de séjour de longue durée.

- L'argument financier opposé à la proposition de loi n'est pas sérieux, ou bien il faudrait admettre que la France n'a pas les moyens d'éduquer sa jeunesse.

M. Edouard Landrain a rappelé que, lors de la disparition du service national, les arguments défendus par le rapporteur avaient été soulevés par l'opposition d'alors et n'avaient pas été retenus. En outre, c'est l'école qui devrait être le creuset naturel de la formation d'un esprit civique. Enfin, la présentation quelque peu naïve du rapporteur repose sur l'idée qu'il est possible d'imposer aujourd'hui un dispositif de ce type aux jeunes, alors même qu'ils contestent le principe de la journée d'appel de préparation à la défense.

Le rapporteur a relevé que la rédaction de l'article premier de la proposition de loi de Mme Claude Greff conduit à créer un « temps citoyen » pour tous les jeunes, ce qui semble bien induire un dispositif obligatoire. Il est par ailleurs essentiel de ne pas baisser la garde à l'école, laquelle assure la formation de l'esprit civique. Quant au bénévolat, il est pris en compte par la proposition de loi. Le dispositif proposé ne doit pas être perçu comme une contrainte mais comme la possibilité d'une solution à caractère « gagnant-gagnant » pour le jeune et pour la société. La suppression du service national avait été souhaitée par le président de la République, M. Jacques Chirac, en 1996 et n'a pas été remise en cause lors de la cohabitation qui a débuté en 1997, l'article 15 de la Constitution prévoyant que le président de la République est le chef des armées. Cette suppression a fait l'objet de débats dans toutes les formations politiques. Six ans après, chacun s'accorde à constater un manque d'esprit civique parmi les jeunes mais il ne faut pas avoir de nostalgie du service national tel qu'il était organisé. L'armée ne le souhaite d'ailleurs pas. Il faut passer au stade supérieur, celui du service civique national. Sa mise en place sera de nature à renforcer nos valeurs républicaines dans une société libérale dépourvue de repères. Le principe de laïcité, par exemple, en sortira renforcé.

Mme Claude Greff a souhaité, afin d'éviter tout risque de polémiques sur un sujet important, que la commission ne passe pas à l'examen des articles de la proposition de loi.

Le président Jean-Michel Dubernard a déclaré comprendre les motivations de la proposition, qu'il s'agisse de refonder un contrat républicain s'appuyant sur des droits et des devoirs, d'affirmer le sentiment d'appartenance à la communauté nationale ou de combler le vide laissé par la disparition du service national. En 1996, le président de la République, souhaitant moderniser les armées, les a professionnalisées. Or, le service militaire était l'un des creusets de la République et, à cet égard, la proposition correspond à un besoin de la société et pourrait renforcer sa cohésion tout en favorisant l'intégration de certaines populations.

Cependant, si les intentions des auteurs de la proposition sont louables, de nombreux préalables soulevés par les intervenants doivent être résolus. Comment sera mis en place l'encadrement nécessaire ? N'y a-t-il pas un risque de concurrence avec les emplois sociaux ? Ne s'agit-il pas d'une contrainte excessive ? Une réorientation du dispositif vers le volontariat permettrait de résoudre bien des problèmes éthiques et juridiques. Elle permettrait également d'ajuster la période de service civique. Si tous les députés ont à cœur de trouver un remède à une évolution vers toujours plus d'individualisme et de repli sur soi, il est en tout cas nécessaire d'approfondir le dispositif.

Si la commission décide de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre ses travaux et de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi, cette décision n'empêchera ni la discussion en séance publique, ni la publication d'un rapport écrit incluant le compte rendu intégral des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s'exprimer.

La commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Jean-Paul Anciaux , rapporteur sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

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