COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 décembre 2004
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

puis de M. Maurice Giro,

puis de M. Christian Kert, vice-président,

puis de M. Maurice Giro.

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport de la mission d'information sur les métiers artistiques (M. Christian Kert, rapporteur)


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- Examen de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juins 2002 - n° 1835 (M. Maurice Giro, rapporteur)



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- Information relative à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d'information de M. Christian Kert sur les métiers artistiques.

M. Christian Kert, rapporteur, a présenté les grandes lignes du projet de rapport, en rappelant d'emblée que la mission s'est rendue à Angers, Lyon, Aix-en-Provence et Avignon, a tenu 40 auditions, dont celles de trois ministres, et une table ronde associant représentants des collectivités locales et professionnels du spectacle vivant, et a participé à plusieurs colloques dont celui organisé à Avignon par le SYNDEAC, ainsi qu'aux Etats généraux du spectacle vivant organisés par le ministère de la culture à l'espace Fratellini à Saint-Denis.

Le présent rapport n'est pas le seul, tant s'en faut, consacré à la question du spectacle vivant depuis la crise de l'été 2003 : on peut citer en effet, pour s'en tenir aux douze derniers mois, le rapport de M. Bernard Gourinchas sur le recours à l'intermittence dans l'audiovisuel public, celui de M. Michel Lagrave sur les modalités d'organisation et de fonctionnement du fonds spécifique destiné à prendre en compte les effets des nouvelles règles d'organisation de l'assurance chômage des intermittents, celui de M. Bernard Latarjet et celui de M. Jérôme Bouet sur l'avenir du spectacle vivant, celui de M. Jean-Paul Guillot sur la politique de l'emploi dans le spectacle vivant, le cinéma et l'audiovisuel - sans oublier celui de M. Etienne Pinte, député, au nom du comité de suivi créé à l'été 2003. Aussi était-il difficile, dans ces conditions, de faire œuvre considérable d'imagination...

L'enjeu économique du spectacle vivant, du cinéma et l'audiovisuel est considérable : 22 milliards d'euros par an, 300 000 actifs, soit presque autant que toute l'industrie automobile, équipementiers compris. A ce poids intrinsèque du secteur s'ajoutent, naturellement, ses effets induits sur l'activité et l'emploi dans d'autres secteurs, tels le tourisme ou l'hôtellerie, et sa contribution, moins aisément mesurable et néanmoins réelle, au maintien du lien social et au rayonnement extérieur de la France.

La précarité touche la moitié des artistes comme des techniciens du secteur, un précaire sur deux y déclare moins de 600 heures de travail dans l'année, et quatre sur cinq moins de 1,1 fois le smic. Voilà qui est de nature à tordre le cou à la légende des intermittents « surpayés », voilà qui a également conduit la mission à réagir vite, en commençant par étudier la question de l'assurance-chômage. Elle en a très tôt retiré la certitude, qui figure dans sa note d'étape du 10 mars 2004, que le protocole d'accord du 26 juin 2003, qui a mis le feu aux poudres, n'est satisfaisant pour personne, n'a permis de réduire ni le déficit ni les abus et les fraudes, encourage au contraire employeurs et salariés à faire de fausses déclarations et comporte de nouvelles injustices. Force est toutefois de reconnaître qu'il n'a pas eu pour effet d'exclure autant de ressortissants du régime d'indemnisation que ne le redoutaient les intéressés eux-mêmes.

La semaine dernière, avant que soit mise la dernière main à la rédaction du projet de rapport, la mission a entendu le ministre, M. Renaud Donnedieu de Vabres, lui indiquer que le fonds spécifique provisoire, dont on prévoyait qu'il pourrait concerner quelque 13 000 personnes, n'avait en fait reçu que 2 110 dossiers, dont 1 078 s'étaient avérés éligibles. Il semble donc bien que certaines craintes, au demeurant légitimes, étaient en fait exagérées.

Les travaux de la mission ont conduit son rapporteur à une triple conclusion : il faut maintenir un soutien financier public au secteur ; il faut maintenir le régime social des intermittents, mais en tentant de résorber une partie du déficit et en ramenant le système à sa vocation première, qui est d'assurance contre le chômage ; il faut maintenir ce régime dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle. Restaient à définir les moyens de parvenir à une solution répondant à cette triple exigence, ce que n'ont pas fait tous les autres rapports sur le même sujet...

Une première série de propositions est spécifique aux intermittents du spectacle : renégociation urgente de l'accord de 2003 sans attendre l'échéance de la fin 2005 ; redéfinition du périmètre du régime par les partenaires sociaux ; obligation pour l'entrepreneur de spectacle de disposer au minimum d'un emploi permanent ; amélioration du système des licences d'entrepreneur de spectacle ; augmentation des moyens de contrôle de l'Inspection du travail ; achèvement de la parution des textes nécessaires au croisement des fichiers.

Une seconde série de propositions concerne, quant à elle, l'ensemble des métiers artistiques salariés : meilleure reconnaissance des pratiques amateures et fixation d'un cadre pérenne de développement de ces pratiques ; vérification de l'adéquation entre l'offre de formation et l'emploi artistique ; mise en place de formations en apprentissage et développement des modalités de validation des acquis de l'expérience ; insertion de jeunes artistes dans le milieu professionnel par le biais du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ; relance de la présence artistique en milieu scolaire ; meilleure prise en compte des heures d'enseignement et de formation dans le calcul des 507 heures ; aide à la constitution de missions de médiation permettant aux structures de spectacle d'attirer de nouveaux publics ; suivi statistique destiné à évaluer le rôle économique et social des manifestations et événements culturels ; création de contrats de longue durée pour les cas où le CDD d'usage n'est pas la meilleure solution ; développement de l'information sur les possibilités de reconversion en cours et en fin de carrière et accroissement des moyens d'aide à ces reconversions.

Une troisième série de propositions a trait, enfin, aux artistes et auteurs indépendants : rapprochement entre la Maison des artistes et l'AGESSA ; création d'un fonds de formation professionnelle destiné aux artistes indépendants ; libre choix par les auteurs de la durée de leurs contrats d'édition ; amélioration de la transparence des comptes remis par les diffuseurs aux auteurs ; restitution aux auteurs des droits cédés mais non exploités ; garantie d'une rémunération correcte des œuvres diffusées sur l'Internet ; intégration de la rémunération de l'auteur au coût réel du spectacle ; déclaration globale et unique des revenus des artistes indépendants ; développement des résidences d'écrivains ; amélioration de la promotion du livre français à l'étranger.

En conclusion, il est nécessaire de conduire une politique active de l'emploi culturel, politique qui suppose la mobilisation accrue de l'Etat, des collectivités sociales, des partenaires sociaux du secteur et de l'UNEDIC, ainsi qu'un effort financier orienté en priorité vers l'élargissement des publics plutôt que vers l'extension administrative des structures.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus.

M. Frédéric Dutoit s'est félicité de la qualité du travail accompli par la mission, qui a eu notamment le mérite de faire justice des allégations selon lesquelles les intermittents du spectacle seraient des « privilégiés », de mettre en lumière le rôle essentiel de la culture dans la vie des individus comme dans celle du pays, et d'aborder avec prudence la question du déficit, en reconnaissant que rien n'indique que celui des annexes VIII et X contribue de façon démesurée au déficit global de l'UNEDIC. On peut s'étonner, au demeurant, que les partenaires sociaux, prompts à réduire les cotisations de chômage lorsque l'activité se développe et que l'UNEDIC est en excédent, rechignent à les augmenter lorsque le chômage repart à la hausse et que le déficit réapparaît.

La renégociation rapide de l'accord de juin 2003, qui fait l'objet de la toute première proposition du rapport, suppose que l'on redéfinisse le périmètre de l'intermittence, et qu'on le fasse en prenant soin d'éviter aussi bien son expansion illégitime que des exclusions inconsidérées : il est des techniciens qui sont intermittents du spectacle au même titre que les artistes. Quant à la création d'une caisse complémentaire, elle ne serait pas sans poser de nouveaux problèmes.

Le rapporteur a fait observer que le rapport ne retient justement pas cette solution.

M. Frédéric Dutoit s'est enfin dit attaché au maintien de la solidarité interprofessionnelle, car les intermittents, loin de vivre aux crochets des autres actifs, concourent à des activités qui bénéficient à l'ensemble de la société, de l'économie et des territoires. Il a émis davantage de réserves, en revanche, sur celles des mesures suggérées qui s'inscrivent dans le cadre du plan de cohésion sociale.

Mme Muriel Marland-Militello a remercié le rapporteur de n'avoir pas pratiqué la langue de bois. Observant que le drame humain vécu par les travailleurs du spectacle vivant avait eu tendance à occulter, dans le débat public, les problèmes sociaux des artistes et auteurs indépendants, elle s'est réjouie que le rapport ait su traiter à la fois, et sans les confondre, l'aspect social et l'aspect culturel de ces questions. Il est essentiel, en particulier, qu'ait été mise en exergue la nécessité d'élargir les publics et de démocratiser l'accès à la culture, en développant l'éducation artistique dès l'école élémentaire, en multipliant les émissions télévisées de qualité aux heures de grande écoute, mais aussi en encourageant et en valorisant les pratiques amateures : les artistes professionnels n'ont pas lieu de redouter la concurrence des amateurs, tous les exemples montrant au contraire que ces derniers constituent le noyau le plus fidèle et le plus dynamique de leur public, à même d'entraîner à leur suite de nombreux spectateurs.

M. Patrick Bloche s'est réjoui que les travaux de la mission se soient déroulés dans un bon esprit collectif et dans le souci partagé de l'intérêt général, et qu'ils aient permis aux enjeux culturels de réinvestir le débat public, après de nombreuses années durant lesquelles on avait pu observer un certain divorce entre élus et acteurs de la culture. Si l'on peut regretter que le débat d'orientation du jeudi 9 décembre soit limité au spectacle vivant, il est à noter, et même à saluer, que le rapport traite des métiers artistiques dans leur ensemble, y inclus les professionnels indépendants dont il est habituellement peu question.

Les propositions du rapport constituent un ensemble structuré et cohérent. L'épineuse question du périmètre de l'intermittence est abordée non pas tant avec le souci d'établir des normes qu'avec celui de définir ce qu'est un métier artistique, et la proposition n° 7 (« mieux reconnaître les pratiques amateures et leur proposer un cadre pérenne de développement ») se lira à la lumière de la proposition n° 2, ce qui est de nature à rassurer des professionnels précarisés qui pourraient ressentir comme une menace, voire comme une remise en cause de leur art, le développement de ces pratiques. Quant à l'obligation qui serait faite aux entrepreneurs de spectacle de disposer au minimum d'un emploi permanent, la précision « directement ou par le biais d'un groupement d'employeurs » paraît des plus judicieuses.

Il convient de se réjouir que le rapport plaide pour le maintien de la solidarité interprofessionnelle, s'oppose avec force à la remise en cause des annexes VIII et X que le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) voudrait « basculer » dans l'annexe IV, et ne retienne pas l'idée d'une caisse complémentaire - solution de facilité qui aurait pour effet de reporter une grande partie de la charge financière sur l'Etat et les collectivités territoriales. Surtout, il faut se féliciter que figure en tête des propositions la « renégociation urgente de l'accord de 2003, sans attendre l'échéance de la fin 2005 ». Si aucune réponse n'était apportée à bref délai, la mission ne devrait pas hésiter à demander à l'Assemblée et à sa commission des affaires culturelles d'utiliser l'arme législative.

M. Michel Herbillon a souligné la grande qualité du rapport qui, malgré l'existence de nombreux autres rapports sur ce sujet essentiel, fera date. C'est une excellente chose que d'avoir mis en parallèle le poids économique du secteur et la très grande hétérogénéité de situations individuelles, souvent fort précaires. Les principales conclusions auxquelles est parvenu le rapporteur vont dans le bon sens, et le fil conducteur est très clair : il s'agit de développer une véritable politique de l'emploi culturel, en organisant mieux l'entrée dans les milieux artistiques et le déroulement d'une véritable « carrière », et ce tout en élargissant les publics.

L'une des questions qui se pose néanmoins à la lecture des 34 propositions est de savoir lesquelles ont une chance raisonnable d'être mises en œuvre à brève échéance, et lesquelles sont à considérer sinon comme des « vœux pieux », du moins comme des perspectives plus lointaines. On peut notamment se demander quelle place la présence artistique en milieu scolaire, qui fait l'objet de la proposition n°13, aura dans le futur projet de loi d'orientation sur l'école. Or, en cette matière, il est grand temps de passer de l'incantation à la mise en œuvre.

M. Dominique Paillé, président de la mission d'information, a dit tout le plaisir qu'il avait eu à animer ce groupe de onze députés et à travailler avec eux dans un esprit toujours constructif et a félicité le rapporteur d'avoir élaboré une synthèse à la fois fidèle et dynamique de ses travaux. Il a souhaité que le débat d'orientation du jeudi 9 décembre 2004 soit l'occasion de donner un écho important aux axes et aux propositions du rapport, et que soit constitué, au sein de l'Assemblée, un groupe d'études permanent sur les métiers artistiques.

M. Alain Néri a salué à son tour la qualité du rapport, mais a insisté pour que l'on n'oublie pas la question des financements. Actuellement, l'Etat consacre environ 1% de son budget à la culture, ce qui est somme toute modeste, et si les collectivités territoriales n'étaient pas là pour prendre le relais, la situation serait dramatique. Or, il y a tout lieu de craindre, et l'Association des maires de France l'a d'ailleurs fait publiquement, que les transferts de charges annoncés ne les oblige à se recentrer sur leurs seules compétences obligatoires, au détriment, entre autres, de l'action culturelle, pourtant essentielle au maintien et au développement du lien social.

M. Pierre-Christophe Baguet a remercié le président et le rapporteur de la mission pour le climat de sympathie et d'efficacité qu'ils ont su y faire régner, et déclaré faire amende honorable : sa crainte que la création d'une mission d'information, au lieu de la commission d'enquête demandée par le groupe UDF, ne vise à étouffer ce dossier explosif, s'est révélée non fondée. Au contraire, la mission a joué un rôle très positif, et sans doute a-t-elle même contribué aux avancées de juin 2004, en révélant au pays l'existence de situations personnelles douloureuses, très éloignées de l'image de « profiteurs » faite aux intermittents par une partie de la presse. Plus largement, elle a eu le mérite de replacer les questions culturelles au cœur des préoccupations de la représentation nationale et de réaffirmer que la culture était un élément essentiel du pacte social républicain.

A l'occasion de leurs déplacements sur le terrain, les membres de la mission ont pu renouer entre le monde de la politique et celui de la culture un dialogue que l'on avait tendance à considérer comme rompu, et pu constater aussi l'ampleur du décalage entre un milieu qui mérite d'être davantage structuré et professionnalisé et une culture étatique qui demeure, elle, très structurée et, finalement, très conservatrice. C'est à très juste titre que le rapport met l'accent sur la dimension économique et sociale du secteur : il n'y a pas d'un côté des députés qui seraient « dépensiers » et d'autres qui seraient « vertueux » par nature, il y a simplement de bonnes et de mauvaises dépenses, dans le secteur culturel comme dans les autres. Il reste à espérer que les pouvoirs publics réserveront aux conclusions du rapport un sort différent de celui du rapport sur la chaîne d'information internationale...

Le rapporteur a remercié l'ensemble des intervenants de leurs appréciations et constaté, pour s'en réjouir, que chacun fait siennes, pour l'essentiel, les priorités dégagées par le rapport. Répondant à M. Alain Néri sur le rôle essentiel des collectivités territoriales, lesquelles assurent, a-t-il rappelé, les deux tiers du financement public de la culture, il a réaffirmé la nécessité de les soutenir et souligné qu'une table ronde a justement été organisée par la mission entre leurs représentants et ceux des professionnels du spectacle vivant. Quant au calendrier de mise en œuvre des propositions du rapport, que M. Michel Herbillon soit rassuré : il s'est efforcé d'éviter les « vœux pieux » et a regroupé les propositions en plusieurs blocs, celui relatif aux problèmes des intermittents, qui feront l'objet du débat d'orientation du 9 décembre sur le spectacle vivant, revêtant à l'évidence un caractère prioritaire. Enfin, la création d'une mission d'information sur les enseignements artistiques est envisagée par le président Jean-Michel Dubernard.

La commission a décidé à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a ensuite examiné, sur le rapport de M. Maurice Giro, la proposition de résolution de M. Gaëtan Gorce tendant à la création d'une commission d'enquête sur la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juin 2002 - n°1835.

M. Maurice Giro, rapporteur, a tout d'abord rappelé que cette commission serait chargée, au vu des « piètres résultats » de la politique de l'emploi menée depuis deux ans, d'analyser « les causes d'un pareil échec » et notamment « les effets de la politique menée depuis deux ans » ainsi que « les responsabilités des gouvernements conduits par Jean-Pierre Raffarin ».

La recevabilité de cette proposition n'est pas contestable. En effet, la première exigence posée par les textes est de déterminer avec précision dans la proposition de résolution les faits pouvant donner lieu à enquête. On peut considérer que cette condition est remplie : l'objet de l'éventuelle commission est circonscrit à la fois par les actions auxquelles il renvoie - la politique de l'emploi des gouvernements Raffarin - et par la période qu'il vise - les deux dernières années, de l'été 2002 à l'été 2004.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire qui interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du 2 novembre 2004, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qu'aucune procédure n'est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

Il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête. Dans un premier temps, les auteurs de la proposition procèdent à un état des lieux de la situation du marché de l'emploi. Face à cet état des lieux, il n'apparaît pas souhaitable d'entrer dans une querelle de chiffres, nécessairement un peu vaine : les indicateurs rappelés dans l'exposé des motifs de la proposition, qui résultent des bilans officiels du ministère du travail au mois d'octobre 2004 - date du dépôt de la proposition - ne sont pas contestables. Ils n'en sont pas moins relatifs.

Selon d'autres chiffres issus de la même source, mais plus récents, on peut noter que le nombre total de chômeurs de la catégorie 1 (autrement dit, les personnes inscrites à l'ANPE déclarant être à la recherche d'un emploi à temps plein et à durée indéterminée et ayant éventuellement exercé une activité occasionnelle ou réduite d'au plus 78 heures dans le mois) n'est plus de 2 453 100, mais de 2 444 300, après une diminution de 0,3 % en septembre, puis de 0,1 % en octobre, ou encore, que le taux de chômage des jeunes a diminué au mois d'octobre de 1 % pour les hommes, 0,6 % pour les femmes. De plus, les inscriptions à la suite d'un licenciement économique diminuent de manière marquée (-9,3 %), comme les « premières entrées » (-16,1 %), même s'il est vrai aussi que le nombre de chômeurs de longue durée, inscrits depuis plus d'un an à l'ANPE, continue à progresser (+ 1,1 % en octobre). Au total, depuis octobre 2003, le taux de chômage, au sens du bureau international du travail, reste stable à 9,9 %. Il faut toutefois aller au-delà de ces chiffres et du bilan quantitatif, car certains sujets méritent, semble-t-il, mieux que la polémique.

Dans le second temps de la démonstration, les auteurs de la proposition déterminent les responsables de cette situation. On pourrait noter tout d'abord qu'il est un peu vain de vouloir lier des résultats quantitatifs centrés sur la période allant de juin 2002 à août 2004 à l'action politique menée sur cette même période, tant il paraît évident que les effets des politiques de l'emploi ne sauraient être immédiats : il est en particulier difficile d'imputer à un gouvernement mis en place en juin 2002 les résultats de l'emploi de ce même mois ! Cette seule remarque de bon sens pourrait suffire, mais les différents points avancés par les auteurs de la proposition méritent également d'être examinés :

- L'assouplissement des 35 heures n'aurait pas été évalué précisément jusqu'ici : il est en effet un peu tôt pour cela. En revanche, les effets de la mise en place des 35 heures ont été évalués, tant sur l'emploi, décevants au regard des perspectives avancées en 1998, que sur la croissance à long terme, négatifs selon certains. Ce constat a d'ailleurs encore été rappelé il y a quelques semaines dans le rapport établi par le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus.

- La diminution du budget de la politique de l'emploi doit elle aussi être, au moins, relativisée : celui-ci est, dans le projet de loi de finances pour 2005, en augmentation de 1,8 %, après une première augmentation de 0,6 % l'année précédente.

- La réduction du nombre des emplois aidés dans le secteur non marchand est également mise en avant. Cette tendance correspond à un choix politique assumé, que confirme le plan de cohésion sociale : à savoir la priorité donnée au retour à l'emploi marchand au regard du constat simple que les emplois sont dans les entreprises. Il faut d'ailleurs noter que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ne remet pas en cause les contrats dans le secteur non marchand, le gouvernement étant conscient des possibilités d'intégration existant dans les collectivités ou les associations, qui sont mieux adaptées à certains publics.

- Les auteurs de la proposition concluent ainsi ce réquisitoire : « Les attendus du plan de cohésion sociale dressent d'ailleurs un constat similaire qui ne peut être compris que comme un aveu d'échec ». Mais pourquoi ne pas reconnaître que la situation aujourd'hui résulte d'une évolution de long terme et que dès lors les responsabilités peuvent difficilement ne pas être entremêlées ? C'est précisément le sens de l'exposé des motifs du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale qui prend en compte les évolutions de l'emploi sur les quinze dernières années.

Enfin, force est de constater qu'une certaine ambiguïté fonde la présente demande de constitution de commission d'enquête. Son exposé des motifs précise en effet qu'il s'agit d'enquêter « sur les causes de la montée du chômage observé depuis deux ans » mais tout se passe comme si l'interrogation était fictive, puisque en même temps levée par la réponse apportée, tant d'ailleurs dans l'intitulé de la commission d'enquête proposée que dans l'exposé des motifs lui-même. Plus encore, si même l'on voulait s'interroger sur le lien entre les politiques de l'emploi menées et le résultat obtenu, démarche qui serait en termes d'évaluation des politiques publiques tout à fait justifiable et légitime, la création d'une commission d'enquête ne paraît pas être l'outil le plus adapté à cet effet. L'évaluation des politiques de l'emploi passe par des dispositifs connus et efficaces, qui existent et qui continuent à jouer : études du ministère du travail, d'organismes de chercheurs divers ou encore de cabinets de consultants privés.

La lecture de cette proposition de résolution suscite même, et c'est plus grave, la perplexité, voire l'inquiétude : à une heure effectivement préoccupante, où le chômage continue à sévir, les auteurs de la proposition se tournent vers le passé ! Aussi faut-il regretter que l'exposé des motifs de la proposition reste silencieux sur ce point, surtout si l'on garde présentes à l'esprit les grandes lignes des propositions actuelles du gouvernement pour promouvoir l'emploi. Naturellement, le plan de cohésion sociale est aujourd'hui, comme le montrent les débats parlementaires qui s'achèvent, au cœur de la relance de l'emploi. Il n'apparaît pas nécessaire de revenir sur ses principaux enjeux, qui ont déjà été débattus au cours des deux dernières semaines : redéfinition du service public de l'emploi, simplification des instruments, relance de l'accompagnement personnalisé des jeunes notamment. En outre, il est à noter que le Parlement a d'ores et déjà prévu la remise de rapports spécifiques du gouvernement au Parlement sur l'exécution des dispositions adoptées. Ce sera un outil d'évaluation auquel ne seront pas insensibles les auteurs de la proposition.

Ce n'est pourtant pas tout. Les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés au travail comportent d'autres mesures qui se placent dans la continuité de la politique engagée il y a deux ans maintenant : à titre d'exemple, il faut citer la politique de refonte et de généralisation des allègements de cotisations sociales et le relèvement exceptionnel du niveau du SMIC ou encore le renforcement des dispositifs favorisant l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés, sans même parler des mesures engagées en faveur de la formation professionnelle, par exemple en matière de relance de l'apprentissage ou de formation tout au long de la vie. Ce ne sont là que quelques exemples. En tout état de cause, il paraît plus judicieux et urgent de poursuivre aujourd'hui, en un effort commun, la mise en œuvre de ces mesures plutôt que de procéder à la création d'une commission d'enquête en une démarche vaine, inadéquate et donc contre-productive.

Au bénéfice de ces observations, le rapporteur a donc conclu au rejet de la proposition de résolution.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Christian Kert, président, a remercié le rapporteur pour la qualité de son intervention.

M. Gaëtan Gorce a expliqué que la motivation de cette proposition de résolution est claire, dans la mesure où l'on assiste, depuis 2002, à la mise en œuvre d'une nouvelle politique de l'emploi produisant d'ores et déjà des résultats qui doivent dès lors être évalués. Or il apparaît que ce bilan est décevant puisque le chômage a enregistré sur cette période une progression générale de l'ordre de 10 % et l'augmentation est plus importante encore pour les jeunes et les chômeurs de longue durée.

Or ce n'est pas seulement cette augmentation inquiétante du chômage qui pose problème mais également le fait que les choix budgétaires et politiques y ont largement contribué. Outre le fait que la politique économique de ce gouvernement vise davantage à utiliser les marges budgétaires pour offrir des « cadeaux fiscaux » aux plus favorisés plutôt qu'à apporter un réel soutien à l'activité, il faut en effet souligner que le budget du travail, qui représente pourtant plusieurs milliards d'euros, a de fait contribué à détruire de l'emploi plutôt qu'à en créer. Ainsi, selon les études de l'OFCE, la mise en œuvre du budget du travail aurait conduit à supprimer environ 53 000 emplois en 2003, 25 000 en 2004 et parviendrait à peine à équilibrer la situation en 2005 - pour l'essentiel grâce à l'anticipation de départs en retraite. Parallèlement à la progression du chômage, le budget de l'emploi, à périmètre constant et si l'on excepte les mesures d'allègement de cotisations sociales motivées non pas par le souci de l'emploi mais par la nécessité de compenser la hausse du SMIC, a diminué de près de 6 % en 2003 et 2004 et stagne à peine en 2005, notamment grâce aux aides temporaires dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. Il semble donc pour le moins paradoxal de prétendre faire de l'emploi une priorité, puisque la politique engagée par le gouvernement ne conduit en réalité qu'à augmenter le chômage ou détruire des emplois. Il est donc nécessaire d'en dresser le bilan en constituant une commission d'enquête.

Les responsabilités de ce gouvernement dans cette évolution sont importantes, car l'orientation annoncée en 2002 et pleinement assumée consistait à favoriser l'emploi marchand au détriment des contrats emploi solidarité (CES), des contrats emploi consolidé (CEC) et des emplois jeunes, qui ont massivement été supprimés et d'ailleurs souvent présentés de façon caricaturale. Or dans le même temps, et pour la première fois depuis dix ans, le nombre total d'emplois a diminué en 2003.

En réalité, en refusant la création d'une commission d'enquête, c'est-à-dire en refusant de procéder à l'évaluation nécessaire de l'action engagée par le gouvernement, le rapporteur donne en définitive l'impression que la majorité n'assume pas son bilan et élude ses responsabilités, car sinon elle accepterait l'évaluation de cette politique par le Parlement, comme cela a par exemple été le cas pour la réduction légale du temps de travail. Cette majorité préfère plutôt regarder quinze ans en arrière ou quinze ans en avant. On ne peut pourtant pas laisser la situation actuelle se dégrader davantage et ce ne sont pas les mesures prévues par le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale qui sont de nature à rassurer nos concitoyens sur la capacité du gouvernement à faire reculer le chômage.

Enfin, l'action du gouvernement se caractérise par de nombreuses contradictions, à travers par exemple une « politique du yo-yo » en matière de contrats aidés, puisque leur nombre a finalement été augmenté en cours d'exercice, en raison sans doute de leur impact sur les statistiques de l'emploi, ce qui n'a pas été sans conséquences sur la mobilisation des employeurs ou encore des collectivités locales. On ne peut également que déplorer le fait que les moyens budgétaires en faveur des associations actives dans le domaine de l'insertion aient été significativement réduits au cours des deux dernières années ainsi que la confusion des responsabilités engendrée par la mise en œuvre du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

En tout état de cause, il manque aujourd'hui réellement une structure d'évaluation parlementaire des politiques de l'emploi afin que l'on puisse disposer de données objectives en la matière, car si les chiffres avancés dans la proposition de résolution peuvent être nuancés à la marge, ils n'en sont pas moins malheureusement révélateurs de la dégradation de la situation de l'emploi, dont le gouvernement porte l'entière responsabilité. Une commission d'enquête aurait été, en l'absence d'une telle structure, un lieu pour le débat afin d'éviter que les mêmes erreurs ne soient reproduites à l'avenir.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus.

Mme Cécile Gallez a tout d'abord jugé prématuré d'évaluer l'impact du plan de cohésion sociale, même s'il s'agit d'une avancée très importante. En outre, sous la précédente législature, le gouvernement socialiste a bénéficié d'une conjoncture très favorable qu'il n'a pourtant pas mis à profit pour diminuer significativement le chômage dans notre pays, tandis que l'action de l'actuelle majorité s'inscrit dans un contexte de dépression économique, due notamment à l'explosion du coût des matières premières, par exemple l'acier - et que les entreprises connaissent des difficultés spécifiques, liées, par exemple, aux délocalisations. Enfin, une politique de l'emploi ne peut être uniquement fondée sur le développement des contrats aidés, de type emplois jeunes, et il est au contraire bien plus efficace d'aider les entreprises à recruter davantage dans le secteur marchand en diminuant leurs charges : c'est par exemple le cas du secteur de la pharmacie, dont le taux de chômage, d'environ 22 % pendant une vingtaine d'années, a pu être réduit à 15 %.

M. Dominique Richard a considéré que la proposition de résolution est partisane et pleine d'arrière-pensées. Elle nie, par ailleurs, le principe de continuité de l'Etat et, à ce seul titre, est inopportune.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a confirmé qu'il existe bien deux politiques différentes en matière d'emploi - l'actuelle et celle de la précédente majorité - mais qu'il est prématuré de porter un jugement sur celle qui est en cours d'application avant la fin de la législature. S'agissant des emplois aidés, ils arrivaient à leur terme et n'étaient pas renouvelables au moment de l'entrée en fonction de l'actuel gouvernement : leur disparition n'est donc pas imputable à ce dernier. Les associations ont pu utiliser une main d'oeuvre peu coûteuse mais sans avoir les moyens de renouveler ces embauches. De plus, l'actuel gouvernement doit faire face aux conséquences désastreuses des trente-cinq heures dont les effets néfastes sont constatés tous les jours sur le terrain.

M. Gaëtan Gorce a confirmé qu'il existe bien deux politiques : celle qui échoue et celle qui réussit. Malheureusement, le gouvernement a choisi la première. Il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles le gouvernement a mené des politiques qui ont contribué à supprimer 53 000 emplois en 2003 et 25 000 en 2004, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L'objectif du « plan Borloo » et des mesures adoptées depuis deux ans, notamment en matière d'emplois aidés, n'est autre que de faire baisser les statistiques sur le chômage, sans qu'aucune logique soit respectée dans leur mise en œuvre et souvent avec un coût important à la charge des collectivités locales. Il est très regrettable pour toutes ces raisons qu'un bilan à mi-parcours de la politique de l'emploi du gouvernement ne puisse avoir lieu : c'était l'objet de la proposition de résolution tendant créer une commission d'enquête. Mais peut-être les craintes du résultat ont-elles eu un effet dissuasif.

Mme Cécile Gallez a également rappelé l'hypothèque que font peser les 35 heures sur la situation économique et sociale du pays, alors qu'existe une main d'œuvre souvent de grande qualité.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 1835.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Christian Kert, en remplacement de M. Jean-Michel Dubernard, comme membre titulaire de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.


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