COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 mars 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

SOMMAIRE

 

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- Examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports - n° 1966 (M. Yves Boisseau, rapporteur)




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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Yves Boisseau, le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2004-1197 du 12 novembre 2004 portant transposition de directives communautaires et modifiant le code du travail en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports - n° 1966.

M. Yves Boisseau, rapporteur, a indiqué que le projet de loi vise à ratifier une ordonnance prise par le gouvernement le 12 novembre dernier en y apportant quelques aménagements mineurs. Cette ordonnance concerne l'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports. Elle a été prise en vertu de la loi d'habilitation du 18 mars 2004 qui a permis au gouvernement de transposer par ordonnance un grand nombre de directives européennes en attente, tout en procédant à cette occasion à certains ajustements sectoriels de la législation. Le recours aux ordonnances est justifié par le retard récurrent, et d'autant plus désolant, de la France dans la transposition des directives, retard qui lui vaut régulièrement d'être classé dans les derniers, voire le dernier, dans les palmarès établis par la Commission de Bruxelles. D'ailleurs ce n'est pas la première fois que l'on recourt aux ordonnances de transposition de directives : la majorité précédente l'avait fait en 2001.

L'ordonnance du 12 novembre 2004 répond donc d'abord à un impératif de transposition du droit communautaire, en l'espèce des directives n° 2000/34 du 22 juin 2000 et n° 2002/15 du 11 mars 2002. La transposition de cette dernière était en effet urgente, puisque la date limite de transposition était le 23 mars 2005. Elle permet d'ailleurs d'insérer dans notre droit des mesures favorables aux salariés concernés, à savoir une limitation absolue du travail quotidien à dix heures dès lors que du travail de nuit est effectué et un droit à pause quand la durée du travail dépasse six heures. Enfin, il est de l'intérêt vital du transport routier français que cette directive soit transposée et appliquée par l'ensemble des membres de l'Union européenne : dans son excellent rapport consécutif à la mission que lui avait confiée le Premier ministre, M. Francis Hillmeyer a ainsi relevé, dans une comparaison portant sur les quinze anciens Etats membres, que l'application générale de la directive réduirait de 20 % à 3 ou 4 % les écarts entre les temps de conduite et de travail maximaux des chauffeurs routiers français et ceux de leurs collègues européens soumis aux réglementations les plus souples, ou laxistes selon le point de vue, en matière de temps ; on voit l'enjeu pour la compétitivité comparée. Mais si notre pays veut pouvoir exiger de ses partenaires la transposition complète et contrôlée de la directive n° 2002/15, encore doit-il aussi être irréprochable à cet égard.

Cette ordonnance a un deuxième mérite : elle va donner une base légale solide aux décrets dérogatoires qui régissent le temps de travail dans les transports routiers. Cette réglementation spécifique est déjà ancienne puisqu'elle remonte dans son principe à la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, dite LOTI, et à un décret du 26 janvier 1983. Mais les multiples décrets qui ont modifié ce décret depuis lors ont parfois été annulés par le Conseil d'Etat parce que leur base légale, qui se trouvait dans la LOTI et dans quelques dispositions disparates du code du travail autorisant des dérogations, était insuffisante. L'ordonnance pose désormais clairement, dans le code du travail, les points sur lesquels la réglementation sectorielle du temps de travail dans les transports peut ou non s'écarter du droit commun, que ce soit par décret ou par accord entre les partenaires sociaux. Elle concerne non seulement le transport routier de marchandises et le transport de voyageurs interurbain, mais aussi la batellerie et le transport ferroviaire hors SNCF, c'est-à-dire quelques services spécifiques de restauration et de wagons-lits à bord des trains. Dans la batellerie, elle donnera ainsi un fondement légal à l'accord de branche qui y organise, de manière très dérogatoire mais qui satisfait employeurs et salariés, le travail sur les bateaux exploités en service continu.

Enfin, l'ordonnance du 12 novembre 2004 constitue l'un des éléments du plan de mobilisation et de développement en faveur du transport routier de marchandises présenté au Conseil des ministres du 8 septembre 2004 par le ministre Gilles de Robien, puis renforcé en octobre. Ce plan constitue le résultat d'une réflexion poussée, puisque sa mise au point a été précédée de deux missions préparatoires, confiées successivement à M. Francis Hillmeyer et à M. Georges Dobias. Il part du constat des difficultés structurelles du secteur routier, difficultés aggravées par des éléments conjoncturels comme la faible croissance économique de 2001-2003 et l'explosion du coût du gazole. Les entreprises et les routiers sont surtout inquiets des conséquences de l'élargissement à l'Est de l'Union européenne et de la concurrence qui en résulte : en quelques années la part des transports internationaux dans le chiffre d'affaires de la profession est tombée de 29 % à 18 % et le pavillon français est réellement menacé.

Or il s'agit d'un secteur important dans l'économie et l'emploi nationaux : les 41 000 entreprises de transport routier de marchandises représentent 330 000 emplois et génèrent 1,2 % du produit intérieur brut (PIB). Le transport routier est également un secteur où, suite notamment aux importantes revalorisations salariales consenties depuis une décennie dans le cadre du « contrat de progrès » de 1994, les charges de main-d'œuvre sont lourdes, puisqu'elles y représentent 32 % du chiffre d'affaires hors sous-traitance, venant au premier rang des charges d'exploitation loin devant le carburant. Dans ces conditions, la question de la conciliation entre des conditions sociales satisfaisantes et la préservation de la compétitivité y est déterminante.

Le gouvernement a donc proposé un plan comportant trois volets : il y a un volet fiscal reposant notamment sur la stabilisation pour trois ans de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) relative au gazole, le déplafonnement du mécanisme de remboursement d'une part de cette taxe, le triplement du montant par véhicule et l'élargissement du champ du dégrèvement spécifique existant en matière de taxe professionnelle.

Le deuxième volet vise à renforcer la lutte contre les pratiques illégales telles que le cabotage effectué irrégulièrement par des poids lourds étrangers sur le territoire français. A cet égard, on peut observer que si les transports n'étaient, pour l'essentiel, pas concernés par le projet de directive Bolkestein, car régis par des règles sectorielles, ils sont cependant soumis à un processus de libéralisation progressive qui pose de réels problèmes de contrôle. Il en est ainsi du cabotage, c'est-à-dire du transport effectué entre deux villes françaises par des routiers communautaires. Ce cabotage est en principe encadré pour les ressortissants des anciens Etats membres et pour le moment interdit aux nouveaux entrants, mais cette réglementation donne lieu à des contentieux avec Bruxelles, à des contournements légaux et à des violations répétées faute de contrôles efficaces.

Reste enfin le volet social du plan de mobilisation.  Partant notamment du constat fait par M. Francis Hillmeyer sur le caractère particulièrement strict de la réglementation française, qui impose les temps de conduite et de travail les plus faibles d'Europe, les propositions en la matière portent sur la gestion des temps. Selon qu'elles sont de nature législative ou réglementaire, ces propositions se retrouvent dans le texte de l'ordonnance ou dans une modification prochaine du décret de 1983.

La réforme retenue maintient les durées en vigueur des temps de service dus par les chauffeurs routiers et accroît modérément certains des maxima hebdomadaires de temps de service pouvant être atteints, mais pas le plus élevé, celui applicable aux chauffeurs dits grands routiers pour une semaine isolée, qui est de 56 heures. La réforme permet également une modulation du temps de travail sur une base trimestrielle, voire quadrimestrielle par accord collectif, et simplifie le régime du repos compensateur pour heures supplémentaires.

L'ordonnance du 12 novembre 2004 comporte aussi des dispositions concernant le travail de nuit dans les transports. Elle définit une période de nuit spécifique au secteur et prévoit que la limite de huit heures quotidiennes pour les travailleurs de nuit y sera appréciée non par jour isolé, mais en moyenne sur une période de référence. Dans les transports routiers, en outre, le temps de travail des roulants est plafonné de manière absolue à dix heures dès lors qu'ils accomplissent une partie de leur travail dans l'intervalle minuit-5 heures.

Il faut signaler que ces dispositions relatives au travail de nuit paraissent, sur certains points, remettre en cause des accords de branche en vigueur tant dans le secteur routier que dans la batellerie. Des ajustements sont donc souhaitables. Ils constituent l'objet de l'amendement que le gouvernement a déposé.

L'ordonnance traite enfin des repos hebdomadaires et quotidiens et des pauses. Il est à noter que la loi Aubry de 1998, qui avait introduit dans le droit national les principes du repos quotidien de onze heures consécutives et de la pause due après six heures de travail, avait exclu de son champ d'application les transports. Conformément à l'évolution des textes européens, l'ordonnance étend ces dispositions aux transports terrestres et fluviaux tout en y prévoyant des dérogations limitées. Enfin, pour les personnels roulants des transports routiers, elle transpose la directive n° 2002/15 en rendant obligatoire une pause de trente minutes au moins lorsque le temps de travail quotidien excède six heures.

Enfin, le projet de loi de ratification propose accessoirement d'apporter des modifications de portée limitée au texte de l'ordonnance du 12 novembre 2004. Selon les termes mêmes de l'exposé des motifs de ce projet, ces modifications constituent seulement des « corrections destinées à en améliorer la compréhension ». Il s'agit effectivement d'une part de la modification d'un renvoi interne dans le code du travail entre deux articles relatifs au travail de nuit, modification qui n'a aucune incidence sur le sens des dispositions, d'autre part de la suppression d'une mention de la marine marchande qui n'a pas de sens dans le code du travail, car le statut social des marins est défini par le code du travail maritime.

Après l'exposé du rapporteur, le président Jean-Michel Dubernard l'a félicité pour ce travail technique de haut niveau, établi sur la base d'une législation fort complexe.

M. Gaétan Gorce a interrogé le rapporteur sur les différences entre la nouvelle réglementation et celle qui s'applique aujourd'hui et sur le point de vue des partenaires sociaux sur cette réforme.

Mme Pascale Gruny a souligné la complexité du sujet en précisant que la directive améliore plutôt les conditions de suivi de l'organisation du travail concernant les heures travaillées et les repos compensateurs, sujet délicat dans les transports. Les chauffeurs ne voulaient auparavant pas prendre leurs repos compensateurs, trop nombreux. En ce sens, l'ordonnance apporte une amélioration sensible. Par ailleurs, il est exact de souligner que la pratique du cabotage par des transporteurs communautaires n'est pas contrôlée en France.

En réponse, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Le décompte des heures supplémentaires et des repos compensateurs se fera désormais sur une base trimestrielle.

- Les temps de service hebdomadaires sont maintenus à 43 heures pour les grands routiers, 39 heures pour les routiers courtes distances et 35 heures pour les convoyeurs de fonds et conducteurs de messageries. Les durées maximales hebdomadaires resteront toutes inférieures au plafond de 60 heures de la directive communautaire, mais certaines sont relevées : on passe ainsi de 48 à 52 heures sur une semaine isolée pour les routiers courtes distances et de 50 à 53 heures en moyenne hebdomadaire maximale pour les grands routiers.

- S'agissant du travail de nuit, l'ordonnance prévoit une période nocturne de 22 heures à 5 heures, alors que le droit commun l'établit de 21 heures à 6 heures. La durée du temps de travail des travailleurs de nuit des transports ne devra pas dépasser 8 heures par jour en moyenne et, dans les transports routiers, un plafond absolu à 10 heures par jour est posé dès lors que du travail de nuit est effectué.

- En ce qui concerne les bateliers, un service continu peut être assuré grâce à un accord professionnel qui fait alterner une semaine de travail où les salariés font chaque jour deux quarts de six heures et une semaine de repos. L'ordonnance donne une base légale à cette organisation.

- Pour le cabotage, la situation est différente entre les quinze anciens membres de l'Union européenne et les nouveaux adhérents, provisoirement exclus du droit au cabotage dans les anciens Etats-membres. Mais tout le monde fait état de contournements et de fraudes.

M. Pierre Hellier a observé que la réforme ne transpose pas complètement les plafonds communautaires dans le droit national.

Après avoir précisé que les droits nationaux peuvent rester plus favorables aux salariés que les règles minimales posées dans le droit communautaire, le rapporteur a déclaré avoir auditionné les partenaires sociaux les plus représentatifs, tant syndicaux que patronaux. Les représentants des employeurs s'estiment relativement satisfaits de la nouvelle organisation du travail, plus simple à appliquer, tandis que ceux des salariés critiquent essentiellement le décompte des temps travaillés sur trois mois, les autres mesures de la réforme ne suscitant pas d'observations.

Puis la commission est passée à l'examen des articles.

Elle a examiné l'amendement n° 1 du gouvernement modifiant les dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 12 novembre 2004 en matière de travail de nuit.

Le rapporteur a précisé qu'alors que la durée maximale du travail quotidien des chauffeurs routiers est de dix heures, avec deux dérogations à douze heures par semaine, l'ordonnance prévoit pour les travailleurs de nuit des transports un plafond quotidien de huit heures en moyenne, ce qui serait très contraignant. Le gouvernement propose de n'appliquer dans les transports routiers, en cas de travail de nuit, que le plafond absolu de dix heures par jour issu du droit communautaire, voie moyenne prenant en compte l'accord de branche sur le travail de nuit intervenu le 14 novembre 2001.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que cet amendement est important, car il vise à tenir compte de la volonté des partenaires sociaux en respectant les accords de branche passés dans les transports routiers et la navigation fluviale.

La commission a adopté l'amendement, puis elle a adopté l'article unique du projet de loi ainsi modifié.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

M. Edouard Courtial, rapporteur sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - n° 2214 ;

M. Jean Bardet, rapporteur pour avis sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale - n° 2216.


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