COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 45

(Application de l'article 46 du Règlement)

MERCREDI 8 JUIN 2005
(Séance de 11 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

puis de M. Pierre Morange, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Réunion commune avec la commission pour la santé et la protection sociale du Bundestag allemand sur les conséquences du vieillissement de la population sur les régimes de protection sociale.



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Après avoir souhaité la bienvenue aux membres de la commission pour la santé et la sécurité sociale du Bundestag allemand, le président Jean-Michel Dubernard a rappelé, en introduction, les paramètres communs aux systèmes sociaux français et allemand : une croissance faible, un taux de chômage très élevé, une population vieillissante, des coûts de la santé en forte inflation. C'est dans ce cadre difficile que doivent s'articuler les politiques de protection sociale, qu'il s'agisse des retraites, de la dépendance ou de l'assurance maladie.

S'agissant d'abord des retraites, la quasi-totalité des dispositions de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites sont entrées en vigueur. L'application de certaines mesures est toutefois étalée dans le temps, comme l'allongement de la durée de cotisation pour obtenir une pension de retraite à taux plein - la fonction publique aura rejoint les 40 ans de cotisation exigés dans le secteur privé en 2008 et tous les régimes passeront à 41 ans en 2012 et à 41 ans ¾ en 2020 - ou la suppression de la condition d'âge pour obtenir une pension de réversion, l'âge minimal est aujourd'hui de 55 ans et sera progressivement abaissé jusqu'à être complètement supprimé au 1er janvier 2011.

Un seul point a vraiment posé problème : la définition des conditions de ressources permettant d'ouvrir droit à pension de réversion. Le gouvernement a dû se résoudre à ne pas prendre en compte dans l'assiette de calcul des revenus les pensions de réversion des régimes complémentaires obligatoires, comme il l'avait prévu dans un premier temps. La mesure accordant un départ anticipé à la retraite avant 60 ans aux assurés ayant totalisé 40 ans de cotisations grâce à de longues carrières, entamées à un très jeune âge, a connu un très grand succès : en 2004, 124 000 pensions ont ainsi été liquidées, soit un sixième du total des liquidations.

Par ailleurs, un aspect de la réforme des retraites n'a pas encore été mis en application : le droit pour chaque assuré de connaître sa situation individuelle au regard de ses droits à pension tous régimes confondus. L'intérêt des Français pour cet aspect est lié d'une part à l'accroissement de la mobilité professionnelle, qui fait passer d'un régime d'assurance à un autre, et d'autre part à la possibilité de prolonger son activité au-delà de l'âge de la retraite - pour ne pas être pénalisé par un nombre de trimestres d'assurance insuffisant - ou de demander un départ anticipé à la retraite. Les Français souhaitent également évaluer leur intérêt à se constituer une épargne retraite grâce aux fonds de capitalisation mis en place par la loi, ce qui est une nouveauté en France où la retraite par répartition reste le principe. A compter de juillet 2006, le droit à l'information sera mis en œuvre, mais il ne sera pleinement effectif pour tous les assurés qu'en 2010.

Les premières évaluations de l'impact économique de la réforme des retraites ont été présentées. Globalement, on estime que la loi du 21 août 2003 a dégagé un tiers des financements nécessaires pour assurer l'équilibre financier des régimes d'assurance vieillesse en 2020. Il manque donc encore 10 milliards d'euros. Cette somme pourrait être obtenue par la réduction de moitié du taux de chômage d'ici 2015 et par le déblocage des fonds thésaurisés sur le Fonds de réserve des retraites. Ces projections s'appuient sur un retour au plein-emploi en 2015, soit un taux de chômage de 4,5 %. Pour la majorité des régimes, on prévoit un report des départs à la retraite et une croissance de la population active d'environ 400 000 personnes en 2050. Les effectifs cotisants seraient donc en progression. Dans le même temps, le nombre de retraités augmenterait très fortement, en particulier du fait de l'accroissement du nombre des polypensionnés, de la forte croissance des emplois dans les collectivités locales et de l'émergence des nouveaux métiers de service.

Par ailleurs, la réforme conduirait à ralentir la hausse du montant des pensions dans les trois fonctions publiques d'Etat, locale et hospitalière : + 1 % par an au lieu de + 1,3 % avant réforme. Un régime additionnel de retraite a été mis en place pour permettre aux fonctionnaires de cotiser sur une partie de leurs primes et compenser ce recul. Pour les retraités de l'industrie et du commerce, les pensions progresseraient au même rythme qu'avant la réforme, et pour les artisans elles progresseraient plus vite grâce au mécanisme applicable aux polypensionnés. En masse de pensions servies, la réforme permettrait d'économiser 12 milliards d'euros en 2003 pour les trois fonctions publiques, et 40 milliards en 2050. Pour le régime des commerçants et industriels, la masse des pensions resterait identique mais elle progresserait fortement pour le régime des artisans. En termes de soldes techniques des régimes, le déficit des régimes de la fonction publique se dégraderait. Mais sans la réforme de 2003, le déficit aurait été de 60 milliards d'euros en 2050 alors qu'il ne sera « que » de 40 milliards. Pour les professions libérales, les commerçants et industriels et les artisans, le solde technique se maintiendrait à son niveau actuel. Celui des exploitants agricoles s'améliorerait.

En conclusion, la réforme de l'été 2003 permet donc d'améliorer la situation financière des régimes d'assurance vieillesse, mais ne résout pas tous les problèmes, malgré son caractère novateur et prospectif. Le Livre Blanc commandé en 1990 par Michel Rocard, alors Premier ministre, avait tiré la sonnette d'alarme, mais il a fallu longtemps pour que tous les esprits, au Parlement et dans les structures qui s'occupent des retraites, prennent conscience de la nécessité d'aller vite, compte tenu de l'arrivée prévisible à l'âge de la retraite des enfants du baby-boom de 1945-1946, phénomène commun à la France et à l'Allemagne.

Quant à la nécessité d'une prise en charge globale de la dépendance, elle n'a commencé à faire l'objet de dispositifs législatifs qu'à la toute fin des années 1990. Auparavant, la question n'était traitée que dans le cadre de prestations spécifiques à l'état de la personne concernée. Depuis 2001, la France s'est dotée de deux grands outils de financement global de l'accompagnement de la perte d'autonomie. L'allocation personnalisée d'autonomie (APA), en vigueur depuis 2002, est allouée par les départements aux personnes âgées lourdement dépendantes pour l'accomplissement d'actes essentiels de la vie ou dont l'état nécessite une surveillance régulière. La prestation de compensation, qui entrera en vigueur en 2006 et sera allouée par des commissions départementales aux personnes handicapées, a été créée par la loi du 11 février 2005 pour financer les charges liées à un handicap physique, sensoriel, mental, psychique nécessitant une aide humaine, animalière ou technique ou un aménagement de logement ou de véhicule ou l'acquisition ou l'entretien de produits.

L'allocation personnalisée d'autonomie est accordée sans conditions de ressources. Son montant maximal est de 1 148 euros par mois pour les personnes les moins autonomes et le montant maximal pour les personnes âges les plus autonomes est de 492 euros par mois. Le montant est ensuite modulé en fonction du revenu de l'allocataire. Il y a aujourd'hui environ 900 000 bénéficiaires, dont 80 % reçoivent l'allocation directement et 20 % en bénéficient via l'établissement d'hébergement dans lequel elles vivent et à laquelle l'allocation est versée pour financer leur séjour. L'APA couvre, en moyenne, 69 % du « tarif dépendance » de ces établissements. Restent donc à la charge des personnes âgées le solde du « tarif dépendance » et le « tarif hébergement », le « tarif soins » étant pris en charge par l'assurance maladie. La gestion de l'allocation personnalisée d'autonomie est de plus en plus lourde pour les départements. En 2004, ils ont dû mobiliser plus de cinq personnes à temps plein pour mille bénéficiaires.

La prestation de compensation sera évaluée en fonction des charges réelles, selon des grilles tarifaires définies par nature de dépenses. L'objectif est de fournir un financement public à hauteur d'au moins 90 % de ces charges. La prestation sera accordée sans conditions de ressources mais la prise en charge variera en fonction des ressources de l'allocataire. Seront toutefois exclues les revenus d'activité professionnelle du bénéficiaire et de son conjoint, les revenus de remplacement et les rentes viagères.

Afin de dégager le financement de la prestation de compensation et de faire face à l'augmentation des besoins de financement des départements en matière de dépendance, la loi du 30 juin 2004 a institué une journée de solidarité et décidé la création d'une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Sauf à choisir un jour différent par accord collectif, la loi a décrété le lundi de Pentecôte - qui tombait le 16 mai en 2005 - jour de travail non rémunéré. Dans la fonction publique, le jour de solidarité est arrêté par le ministre pour les administrations d'Etat, par l'assemblée délibérante pour la collectivité locale ou par le directeur pour l'hôpital ; à défaut de décision, cette journée est le lundi de Pentecôte. Cette journée de solidarité a été plus ou moins bien accueillie par les Français. Il y a eu, comme chacun sait, un problème de calendrier politique. Il serait donc intéressant de savoir ce qu'il en a été en Allemagne, où existe un mécanisme similaire, dont la France s'est d'ailleurs inspirée.

En contrepartie de cette journée supplémentaire de travail, les employeurs privés et publics versent une contribution égale à 0,3 % des rémunérations versées, et une contribution de 0,3 % est prélevée sur tous les revenus du patrimoine et les produits de placements. En outre, une fraction de 0,1 point de la contribution sociale généralisée, qui est assise sur les revenus du travail, les revenus de remplacement et les revenus du capital et du patrimoine est prélevée.

Tous ces fonds, qui représentent 2 milliards d'euros, sont affectés à la CNSA avec pour postes principaux la contribution au financement des établissements d'hébergement des personnes handicapées et d'accueil des personnes âgées, la contribution au financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, la contribution au financement de la prestation de compensation et enfin les actions de professionnalisation des métiers de service en faveur des personnes âgées. Il existe une forte demande pour les métiers d'assistance - et potentiellement un gisement d'emplois - mais la formation à ces métiers est insuffisamment développée et la prestation des services insuffisamment encadrée. Un projet de loi sur ces services à la personne est d'ailleurs en cours de discussion.

Pour traiter le phénomène de la dépendance, la France n'a pas fait le choix de créer une cinquième branche de sécurité sociale à côté des branches maladie, accidents du travail, vieillesse et prestations familiales. Mais la CNSA constitue un nouvel outil de mise en cohérence de toutes les actions et les financements de l'Etat en faveur de l'autonomie des personnes âgées ou handicapées. La prise en charge de la dépendance est l'un des problèmes majeurs qui se posent aux dirigeants politiques d'aujourd'hui, et il est donc très intéressant de comprendre comment il est appréhendé en Allemagne.

S'agissant de l'assurance maladie, l'Allemagne a réalisé en 2003 sa réforme. En France, après le « diagnostic partagé » fait par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie en 2004, le gouvernement a déposé un projet de loi relatif à l'assurance maladie au printemps, qui a été adopté, après de très longs débats, par le Parlement le 30 juillet 2004. L'opposition a voté contre cette réforme, de même qu'elle a voté contre la réforme des régimes des retraites et la réforme de la prise en charge de la dépendance. Les Français n'ont hélas pas la culture du consensus entre majorité et opposition pour les grandes réformes de société, contrairement aux Allemands... La loi a ensuite été appliquée. La plupart des décrets d'application étaient publiés moins de six mois après sa promulgation.

La réforme suit trois principes : l'égalité d'accès aux soins, la solidarité et la qualité des soins. Elle repose sur quatre axes principaux.

La loi porte d'abord sur l'amélioration de l'organisation des soins. Une effective coordination des soins est favorisée par la mise en place du dossier médical personnel et par le développement de parcours de soins coordonnés autour d'un « médecin traitant » ou dans le cadre des réseaux de soins. Il sera d'ailleurs intéressant de savoir où en est l'Allemagne, si attentive à la protection des données personnelles, quant à l'informatisation de ce dossier médical personnel, et comment s'applique le système du médecin traitant ou référent. Les liens entre médecine de ville et hôpitaux sont renforcés au travers d'un pilotage régional rapprochant les agences régionales de l'hospitalisation et les unions régionales des caisses d'assurance maladie.

La loi vise ensuite à répartir les responsabilités. Une Haute Autorité de santé est créée, qui se prononce sur l'efficacité thérapeutique des produits, des actes et des protocoles de soins utilisés ou appliqués par les médecins. La formation des professionnels et l'évaluation des pratiques doivent contribuer à promouvoir une utilisation accrue des bonnes pratiques validées. L'État reste le garant des principes fondamentaux du système de soins et d'assurance maladie, mais l'assurance maladie se voit confier une délégation de gestion élargie. Elle est ainsi associée à la définition de la politique hospitalière et de la politique du médicament et reçoit des pouvoirs nouveaux dans le domaine des soins ambulatoires. Les régimes d'assurance maladie agissent désormais en partenariat avec les organismes de couverture complémentaire et les professionnels de santé afin de favoriser la gestion cohérente des prestations remboursées et de faciliter la relation avec les professionnels de santé et le partage des données de santé. La prééminence de l'assurance maladie obligatoire n'est cependant pas remise en cause.

La loi renforce la responsabilisation des acteurs. Il est notamment prévu de faire payer aux patients une contribution forfaitaire d'un euro par acte et de favoriser la consommation de médicaments génériques, qui est beaucoup plus faible en France qu'en Allemagne. Chaque patient devra désigner un médecin traitant pour être remboursé au taux maximum. Le contrôle des arrêts de travail est renforcé. A l'hôpital, une tarification à l'activité est mise en place à la place d'un budget global.

Enfin, la loi prévoit un certain nombre de mesures de financement de l'assurance maladie afin d'en assurer la pérennité et de réduire son déficit. Ces mesures sont supportées par l'ensemble des acteurs : les entreprises par la contribution sociale de solidarité des sociétés, les assurés par la contribution sociale généralisée, l'industrie des produits de santé. Un transfert des déficits existants sur la caisse d'amortissement de la dette sociale a été décidé.

La loi prévoit un retour vers l'équilibre financier en 2007. Elle commence déjà à emporter des effets positifs, puisqu'il semble que les dépenses d'assurance maladie restent pour le moment dans le cadre fixé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005.

La France a suivi de très près les réformes des retraites et de l'assurance maladie accomplies outre-Rhin. Elle a procédé, pour sa part, de façon bien plus progressive et modérée, et constate que l'Allemagne a retrouvé très rapidement une situation bénéficiaire. Aussi est-il nécessaire de savoir quelles ont été les conséquences de ces réformes pour les citoyens allemands, ainsi que pour les professions de santé, et si, à l'usage, certains assouplissements apparaissent nécessaires.

M. Klaus Kirchner, président de la commission pour la santé et la sécurité sociale du Bundestag allemand, a remercié, au nom de l'ensemble de la délégation, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour son invitation et souhaité que de tels échanges de vues aient lieu régulièrement. Il a souligné que l'Allemagne est confrontée, comme la France, au problème du vieillissement démographique : entre 1950 et 2050, la part des plus de 25 ans dans la population aura diminué de moitié, tandis que celle des plus de 65 ans aura doublé. Le fait que la pyramide des âges a de plus en plus l'aspect d'un arbre entraîne un accroissement des dépenses de sécurité sociale. Il y a également en Allemagne un chômage de masse : 4,8 millions de personnes, avec un taux de 11,8 % avec pour les personnes de moins de 25 ans. Ce chômage pèse sur les recettes des caisses. Quant à la situation économique générale, le PIB par actif a progressé de 137 % entre 1991 et 2001, mais les recettes de sécurité sociale ont diminué de plus de 10 %. Du fait du chômage et des décisions prises dans les entreprises et les administrations, les prestations qui vont au-delà des conventions collectives sont en très net recul, ce qui a des répercussions sur les ressources des caisses.

Comme vous le savez, la réforme de l'assurance maladie entrée en vigueur au 1er janvier 2004, et qui avait été adoptée à la suite d'un consensus de la plupart des groupes parlementaires et des Länder, avait pour double objectif d'améliorer la qualité des soins tout en stabilisant le volume des dépenses remboursées, permettant de stabiliser, voire de réduire à terme le niveau des cotisations. Le déficit a fait place, en 2004, à un excédent de 4 milliards d'euros en 2004, qui s'est toutefois fortement réduit, ainsi qu'il était d'ailleurs prévu, en 2005 : 156 millions au premier trimestre. Les cotisations sont supportées à parité par les salariés et les employeurs. Le taux de cotisation, actuellement de 14,2 %, doit être abaissé de 0,9 point au 1er juillet 2005, en contrepartie de la création d'une nouvelle cotisation spécifique de même montant, destinée à financer les indemnités journalières et les prothèses dentaires.

Au total, la part restant à la charge des assurés est de 15 milliards d'euros cette année et sera de 17,2 milliards l'an prochain ; il s'agit par exemple de suppléments à payer pour les dépenses de médicaments et de consultations. S'agissant de ces dernières, l'objectif est que les patients aillent d'abord voir leur généraliste, en acquittant un tarif conventionnel que les caisses sont obligées de leur consentir. Si le patient va voir un autre praticien sans passer par son généraliste attitré, il devra repayer la taxe trimestrielle de consultation de 10 euros - que la caisse pourra toutefois renoncer à percevoir en fonction des situations. Ce système, destiné à éviter les visites et les prescriptions superflues, devrait être générateur d'économies importantes, tandis que le médecin de famille pourra mieux jouer son rôle moteur dans la santé des patients. Il convient toutefois de préciser que l'ensemble des tickets modérateurs portant sur les médicaments, les consultations et les dépenses d'hospitalisation, est limité à 2 % du revenu net, et même à 1 % pour les malades chroniques.

Il faut également souligner que le montant des transferts sociaux aux nouveaux Länder est très important : quelque 300 à 350 milliards d'euros depuis l'unification, si l'on additionne les retraites - dont le niveau est équivalent à l'est et à l'ouest du pays -, l'indemnisation du chômage - qui touche une plus grande proportion de travailleurs à l'est - et les dépenses de santé, - pour lesquelles la péréquation financière devrait atteindre 7,5 milliards en 2005.

Les réformes des retraites intervenues en 2001 et 2004 visent à assurer la soutenabilité du système, compte tenu du rapport dégradé entre le nombre des actifs et celui des inactifs. Les montants des pensions ne sont plus indexés sur les salaires, et devraient connaître en 2006 leur troisième année consécutive de non-réévaluation. L'âge moyen du départ à la retraite est remonté, hormis les cas d'incapacité précoce, à 62,9 ans. Le montant moyen mensuel d'une pension est, pour les hommes, de 1 169 euros par mois à l'ouest et de 1 132 euros à l'est, et, pour les femmes, de 531 euros à l'ouest et de 651 à l'est, où elles ont été plus nombreuses à travailler et à se constituer des droits propres. Le décalage entre les hommes et les femmes devrait être réduit en raison de l'élévation du niveau de formation des femmes. Conformément à la réforme de 2004, le niveau moyen effectif de la pension devrait baisser de 53 % du salaire à 43 %, sachant que tous les salariés n'atteignent pas les quarante-cinq annuités requises pour obtenir une retraite à taux plein. Toutefois, le Parlement a décidé que, lorsqu'il aura été constaté que le taux moyen de remplacement sera descendu à 46 %, le gouvernement devra proposer des mesures destinées à éviter que la détérioration se poursuive, faute de quoi la réforme risquerait de ne plus être acceptable par les citoyens qui cotisent tout leur vie afin de pouvoir se constituer une retraite.

La création de l'assurance-dépendance, en 1995, n'a pas donné lieu aux mêmes controverses et protestations liées, en France, à la suppression d'un jour férié. La proposition de la Chancellerie visant à supprimer le jour férié du 3 octobre - fête nationale allemande - a été vite retirée et une autre journée a été choisie. Du fait du vieillissement de la population, le nombre de personnes dépendantes est appelé à augmenter. L'assurance dépendance est obligatoire pour tous les cotisants au régime public d'assurance maladie, sauf à produire une attestation certifiant que l'on a souscrit une assurance privée couvrant les mêmes risques. Les prestations sont servies à quelque 2,040 millions de personnes, dont 49,1 % sont soignées à domicile par leurs proches, 29,6 % en établissement et 21,3 % à domicile par un personnel spécialisé. Il existe trois niveaux de dépendance : 51 % des personnes dépendantes sont classées en niveau 1, 35 % en niveau 2 et 14 % en niveau 3. Le déficit du régime a atteint 760 millions d'euros en 2004 et est appelé cette année à se creuser encore, ce qui rend inéluctables des mesures d'ajustement. Le taux normal de cotisation est de 1,70 %, mais la Cour constitutionnelle a imposé sa modulation en fonction de l'âge et de la situation familiale.

M. Pierre Morange, président, a remercié le président Klaus Kirchner de cette présentation détaillée.

M. Frédéric Reiss s'est dit frappé de constater, après avoir écouté les deux exposés très complets sur les situations françaises et allemandes, combien tout paraît à la fois si semblable et si différent. Rappelant qu'il est élu d'une région limitrophe de l'Allemagne, où vont chaque jour travailler quelque 130 000 Français. Il a souligné que les conventions bilatérales fonctionnent globalement. Cependant, elles ont des difficultés à prendre en compte les « accidents de la vie ». Elles échouent à couvrir certaines situations, comme le problème de santé lourd, le licenciement économique, qui pose des problèmes d'indemnisation, ou surtout l'invalidité, dont les critères de reconnaissance ne sont pas les mêmes en France et en Allemagne. Parfois, des solutions extrêmes sont retenues, comme le licenciement ou la démission du salarié. Certes, la réunion de ce matin n'a pas pour but de trouver des solutions du jour au lendemain, mais il serait bon de stimuler leur recherche, en rappelant que les cotisations des travailleurs frontaliers constituent, pour les caisses allemandes, des recettes non négligeables. L'inverse est d'ailleurs vrai s'agissant des travailleurs frontaliers allemands.

Mme Erika Lotz a signalé que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe vient de décider qu'au-delà d'un certain montant, les enfants peuvent être sollicités pour financer la prise en charge de la dépendance de leurs parents. Quelque chose de semblable est-il prévu en France ? Et les décisions d'attribution des prestations prennent-elles en considération le patrimoine des intéressés ?

M. Pierre-Louis Fagniez s'est dit très impressionné par l'ampleur de la réforme de l'assurance maladie intervenue en Allemagne : laisser 17,2 milliards d'euros à la charge des usagers serait presque inconcevable en France. Les deux réformes ont pris des chemins parfois divergents, parfois semblables. Faire du médecin de famille un point de passage obligé est un choix opportun, que la France a fait également. Un sujet, cependant, n'a pas été abordé : celui du dossier médical informatisé ou dossier médical partagé. La Grande-Bretagne s'est donnée dix ans pour le mettre en place. L'Allemagne - semble-t-il - a besoin d'un certain nombre d'années. La France n'a-t-elle pas été quelque peu trop ambitieuse en se fixant 2007 pour échéance ?

Rappelant qu'il avait fait partie de la délégation qui s'est rendue à Berlin le 12 février 2004, M. Marc Bernier s'est félicité de ces échanges de vues parlementaires franco-allemands sur la protection sociale. A Berlin, l'Allemagne avait fait sa réforme de l'assurance maladie, la France sortait de la réforme des retraites. Il y a lieu d'être admiratif devant un redressement financier si rapide, qui a exigé des assurés un effort important. On peut notamment se demander comment il a été possible de faire accepter la suppression des remboursements de prothèses dentaires et de lunettes, ainsi que l'instauration d'une taxe de cabinet de 10 euros sur les consultations médicales, alors qu'un simple ticket modérateur d'un euro se heurte, en France, à tant d'oppositions. Il serait également intéressant de savoir comment l'Allemagne est parvenue, s'agissant de la carte de santé électronique, à garantir la confidentialité des données personnelles du patient vis-à-vis des professions paramédicales.

Soulignant qu'il n'y a pas lieu de recommencer le débat, Mme Hélène Mignon a rappelé que les deux réformes de l'assurance maladie et des retraites n'ont pas recueilli l'assentiment du groupe socialiste. Comment le déremboursement de certaines prestations telles que les lunettes ou les lentilles a été accepté par la société ? Quant aux indemnités journalières, il semble qu'elles soient transférées de l'assurance maladie à une nouvelle caisse, alimentée par une cotisation spécifique. Cette caisse sera-t-elle renflouée par l'Etat si elle est déficitaire ?

Mme Martine Billard a d'abord demandé si un bilan financier des mesures de redressement de l'assurance maladie, dont il semble que l'on ait attendu 9,9 milliards d'économies dès 2004, a été fait. La réforme s'étant également fixée pour but d'améliorer la qualité des soins, il serait ensuite intéressant de savoir comment sera remplie l'obligation de formation continue imposée aux médecins : à qui incomberont son organisation et son contrôle ? Enfin, quant à la création de centres médicaux spécialisés par maladie, s'agit-il de simples plateformes au sein des centres de soins ou bien de véritables centres autonomes, ce qui irait à l'encontre d'une nécessaire conception globale de la santé ?

S'agissant des effets de la réforme de l'assurance maladie sur les patients, Mme Gudrun Schach-Waich a souligné que le montant des dépenses de santé restant à charge est plafonné à 2 % du revenu, et même à 1 % en cas de maladie chronique. Les lunettes sont en effet exclues du remboursement au-delà d'un certain âge et en deçà d'un certain degré d'acuité visuelle. Cela ne fait guère problème, car à l'âge adulte, sauf cas particuliers, la vue n'évolue plus guère et l'on a moins besoin de renouveler ses lunettes. Il existe en outre des aides sociales spécifiques pour les personnes à faibles revenus. L'adaptation aux nouvelles règles se fait bien dans l'ensemble.

La carte de santé et la dématérialisation des documents, qui se mettront progressivement en place à partir de 2006 à l'hôpital comme dans la médecine de ville, devraient permettre d'économiser beaucoup d'emplois dans un secteur qui en compte quelque 4,5 millions et de redéployer une partie de ces effectifs vers la prise en charge de la dépendance et les services aux personnes âgées. Le premier pas consiste à ce que ces cartes comportent les informations prévues par les normes européennes. L'étape suivante est l'ordonnance électronique, qui sera inscrite par le médecin sur la carte et lue par le pharmacien, lequel pourra ainsi vérifier l'éventuelle incompatibilité avec d'autres traitements suivis par le patient. De la dématérialisation elle-même est attendue une économie de quelques centaines de millions d'euros, pour un investissement supérieur à un milliard, mais l'on peut espérer, compte tenu de la suppression de toute une série d'étapes intermédiaires, que la mesure s'autofinancera. Si la démarche est à ce point progressive, reposant au départ sur une base volontaire, c'est que la confidentialité des données médicales personnelles est en Allemagne un sujet très sensible : il convient d'éviter à tout prix les accès non autorisés car la confiance des citoyens dans le système disparaîtrait.

En réponse à Mme Erika Lotz, M. Pierre Morange, président, a précisé que l'APA est financée de façon tripartite par les départements, la sécurité sociale et la CNSA via la journée de solidarité. Le barème des prestations est fonction des ressources des bénéficiaires et la récupération sur succession a été écartée après une longue discussion au Parlement.

Rappelant qu'il est également député d'une région frontalière, M. Peter Dreßen a insisté, s'agissant des travailleurs frontaliers, sur le poids de l'histoire dans la différence des systèmes sociaux des deux pays. Ainsi, en France on paie son médecin et on est remboursé après, tandis qu'outre-Rhin on montre simplement sa carte d'assuré et le médecin reçoit ensuite l'argent de la caisse. L'Allemagne s'efforce de rendre ce processus plus lisible pour l'assuré et la carte électronique y contribuera. De même, en matière de chômage, trois institutions différentes coexistent en France, quand en Allemagne un office unique s'occupe du conseil, de l'indemnisation et du recrutement. Cela pose problème aux travailleurs frontaliers, qui doivent se réadapter au système français lorsqu'ils cessent de travailler en Allemagne. Il existe, à Kehl notamment, des services d'aide financés en partie par l'Union européenne et qui fonctionnent bien, même si l'on peut encore les améliorer.

S'agissant de l'assurance-dépendance, le consensus entre la majorité et l'opposition en 1994-1996 s'est fait sur l'idée que cette assurance ne pouvait être que partielle, et d'aucuns ont déploré que le système mette insuffisamment à contribution les familles, voire leur permette d'accroître leur héritage. La mise en place d'une réforme de cette envergure ne peut se faire que sur la base d'un consensus politique. Mais ce qui est le plus mal accepté, dix ans après, c'est l'insuffisante évolution des montants.

M. Pierre Morange, président, s'est dit impressionné, lui aussi, par le consensus auquel sont parvenus les deux grands partis représentés au Bundestag. L'Allemagne doit faire face, outre les mêmes problèmes que son voisin, à la charge spécifique des transferts financiers liés à la réunification. S'agissant des citoyens eux-mêmes, l'impression prévaut-elle, en Allemagne, que les nouvelles données introduites par la réforme sont désormais intégrées par tous ? La question peut se poser, par exemple, pour les indemnités journalières, qui semblent désormais couvertes par une assurance ad hoc et non plus par l'assurance maladie obligatoire.

Le président Klaus Kirchner a précisé, s'agissant des indemnités journalières, que le salaire, en cas de maladie, reste versé par l'employeur pendant six semaines. Après quoi, le salarié reçoit une prestation spécifique de la caisse maladie obligatoire, laquelle sera couverte à compter du 1er juillet 2005 par une cotisation certes distincte, mais toujours obligatoire, égale à 0,9 % du salaire, et qui financera également les prothèses dentaires. Le niveau global de cotisation du salarié sera augmenté ; l'employeur verra le sien baisser légèrement.

S'agissant des centres spécialisés par maladie, Mme Erika Ober a répondu à Mme Martine Billard qu'il ne s'agit naturellement pas de spécialiser, complètement un établissement, mais de faire en sorte qu'au sein de chaque établissement, dans l'intérêt même de la qualité des soins, les équipes spécialisées réalisent un nombre minimal d'actes. Il est aussi normal que dans un hôpital de campagne, on ne réalise pas tous les actes. C'est dans le même sens, celui de la qualité des soins, que va l'obligation de formation continue des médecins, qui sera organisée par le corps médical lui-même. En outre, il y a encore des débats et des discussions autour de la réforme. C'est très normal.

Une grande importance est également accordée à la prévention, même s'il est probable, hélas, que le Bundesrat n'aura plus le temps d'adopter avant les élections législatives anticipées le projet de loi qui tend à l'encourager. D'ores et déjà, cependant, les consultations de prévention et de dépistage sont exemptées de la participation de 10 euros demandée aux assurés, dans la mesure où elles évitent des dépenses ultérieures.

S'agissant enfin du régime d'assurance dépendance mis en place en France, il n'est pas toujours facile de comprendre comment sont prises les décisions d'attribution de prestations. Quelle est la répartition des rôles entre le département et l'assurance maladie ? Comment fonctionne le nouveau système français ? Comment le prélèvement de 0,3 % qui alimente la CNSA est-il géré ? Et qui décide du montant des prestations servies ?

Rappelant qu'il s'agit d'un financement tripartite, M. Pierre Morange, président, a répondu que le rôle de la CNSA se borne à collecter cette contribution et à la ventiler entre les départements, considérés par le législateur comme l'échelon de gestion le plus pertinent, à charge pour eux de servir les prestations en fonction d'un barème national qui est fonction des ressources du bénéficiaire.

A l'hôpital, qui absorbe une bonne partie de l'enveloppe de l'assurance maladie, la tarification à l'activité permettra de prendre en charge et de rembourser de façon semblable une même pathologie sur l'ensemble du territoire, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Existe-t-il en Allemagne un dispositif semblable ou un projet dans ce sens ?

Mme Gerlinde Kaupa a confirmé que le projet de loi sur la prévention ne serait sans doute pas adopté d'ici la fin de la législature. Les problèmes posés par l'obésité, ainsi que par les addictions licites ou illicites, demeurent. Qui, en France, gère et finance le traitement de ces fléaux ?

Mme Erika Lotz a souligné que l'Allemagne, avant la réforme, était le pays qui comptait le plus de consultations médicales par habitant et par an, sans que les patients soient mieux soignés pour autant. Tel patient pouvait en effet décider que tel spécialiste ne lui convenait pas, aller en consulter un autre, et se faire rembourser en totalité. Un débat très animé est né. Le compromis auquel majorité et opposition sont parvenues est le suivant : pour chaque médecin consulté, le patient majeur doit s'acquitter d'une participation de 10 euros par trimestre, sauf s'il s'agit d'un praticien auquel il est envoyé par son généraliste attitré ou d'une consultation de prévention. En outre, les dépenses restant à la charge du patient sont plafonnées, en additionnant consultations, médicaments et hospitalisation, à 2 % du revenu, et à 1 % pour les malades chroniques. Il faudrait comparer les effets financiers de ce système, pour l'assuré, avec celui de l'euro perçu en France à chaque consultation. La taxe n'est en outre pas due par les mineurs.

M. Pierre Morange, président, a rappelé que la loi relative à la politique de santé publique a fixé cent objectifs chiffrés en matière de prévention, et que chacun de ces objectifs a une traduction chiffrée dans la loi de financement de la sécurité sociale. Quant à la CNSA, dont s'est enquise Mme Erika Ober, il s'agit d'une structure très légère dotée de la personnalité morale et employant une soixantaine de personnes, et qui a pour mission, outre la collecte des fonds, l'évaluation des références servant de base à la prise en charge de la dépendance, de façon homogène sur l'ensemble du territoire.

M. Céleste Lett a souhaité revenir sur la question des travailleurs frontaliers. Ils sont quelque 85 000 en Lorraine. Il y a peut-être une explication partielle au fait qu'une région qui vit largement de l'emploi frontalier ait majoritairement voté non au référendum du 29 mai 2005. Les intéressés ont en effet quelque mal à comprendre que certains problèmes de couverture sociale continuent de ne pas recevoir de réponse commune des administrations des deux pays. C'est notamment le cas des taux d'invalidité, de la situation des travailleurs frontaliers malades ayant épuisé leurs droits à indemnités journalières, des validations de trimestres pour la retraite, de la prise en charge des cures thermales, de l'allocation de rentrée scolaire ou de l'assurance dépendance... Sur ces différents thèmes, il serait sans doute utile de créer un groupe de travail commun aux deux assemblées. En effet, sur beaucoup de ces questions, on constate une absence de réponse. Une des rares réponses apportées concerne la discrimination fiscale envers les frontaliers qui perçoivent moins de 90 % de leurs revenus en Allemagne. Ils ont obtenu gain de cause devant la Cour européenne de justice, mais sans que cet arrêt soit respecté à ce jour par l'administration allemande.


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