Version PDF

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 39

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er mars 2006
(Séance de 11 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,
puis de M. Dominique Richard, secrétaire

SOMMAIRE

 

ppages

- Audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le droit d'auteur


2

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le droit d'auteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité la bienvenue à M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, venu présenter à la commission les propositions du gouvernement sur les dispositions en débat du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, s'est dit très heureux de venir devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales après avoir rencontré les membres de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Les enjeux de la révolution numérique sont technologiques, économiques, sociaux, juridiques, mais aussi, et avant tout, culturels, et la capacité de la France à rendre disponible en ligne son immense patrimoine culturel et les créations qui ne cessent de l'enrichir sera décisive pour le développement, le rayonnement, le renouvellement et l'avenir de la culture française.

La diversité culturelle est devenue, non seulement un nouvel élément du droit international avec l'adoption, le 20 octobre 2005, de la convention de l'UNESCO en faveur de laquelle la France a joué un rôle moteur, mais aussi une valeur essentielle, qui offre l'une des meilleures réponses à la mondialisation qui suscite tant d'inquiétudes. Cette diversité, à la fois brillante, foisonnante et fragile est d'abord le fruit du travail des créateurs, des artistes, des techniciens et de tous les acteurs de la culture, de tous ceux qui les accompagnent, les soutiennent et prennent des risques pour leur permettre d'exprimer leurs talents et de diffuser leurs créations. L'avenir de ce principe se joue autant dans les nouveaux circuits de distribution des nouvelles technologies et des nouveaux médias, qui permettent l'accès du plus grand nombre à la culture, que dans la reconnaissance, faisant actuellement l'objet d'une négociation entre les partenaires sociaux, des nécessaires spécificités de l'emploi des artistes et des techniciens au sein de la solidarité interprofessionnelle. Dans un cas comme dans l'autre, il y va du rayonnement culturel, mais aussi de la croissance, de l'emploi et de l'attractivité pour la France dans la compétition internationale.

Il revient au législateur de créer les conditions juridiques de nature à favoriser les offres légales les plus attractives pour les Français. L'alternative à la piraterie, c'est l'offre légale nouvelle. C'est un modèle culturel et économique nouveau que ce projet de loi permet de faire naître pour donner toute sa place à la création française sur les réseaux numériques. L'ensemble de ces questions est au cœur de la diversité culturelle que la France a grandement contribué à faire reconnaître par la communauté internationale. C'est pourquoi elle se doit d'être exemplaire dans ce domaine, d'autant qu'elle a pleinement engagé sa propre révolution numérique : en trois ans, elle est devenue l'un des premiers pays en Europe pour l'accès à l'Internet à haut débit ; à la fin de l'année, 98 % de sa population pourra en bénéficier.

C'est dans cet esprit que la France doit transposer la directive européenne sur le droit d'auteur, tout en s'appuyant sur des valeurs simples et essentielles : liberté de création, liberté d'accès du public aux œuvres, liberté des créateurs de choisir les conditions d'accès à leurs œuvres et de leur rémunération - y compris la gratuité - car ce choix leur appartient.

C'est dans cet esprit que le gouvernement a tenu à poursuivre la concertation sur ce projet de loi, en étroite liaison avec les parlementaires, pour rapprocher les points de vue et faire prévaloir l'intérêt général. Tel est l'objet des amendements que vient de déposer le gouvernement, non seulement pour apporter des réponses aux fausses informations ou aux désinformations qui n'ont pas manqué de circuler ici ou là, mais aussi pour atteindre un nouvel équilibre.

Le premier objectif de la loi est de créer les conditions légales du développement sur Internet d'une offre abondante, diversifiée et économiquement viable, de musique et de films, qui soit réellement et légalement accessible grâce, notamment, à des prix attractifs. La qualité et la sécurité des œuvres à télécharger seront garanties. C'est une vraie réponse aux attentes des consommateurs, une vraie alternative à la contrefaçon mais aussi un vrai moyen de faire connaître et diffuser le travail des artistes et de susciter de nouvelles créations. C'est une exigence économique et sociale pour la vie - et parfois la survie - des entreprises culturelles indépendantes, pour le travail des artistes et des techniciens, et pour l'emploi de tous ceux qui, indirectement ou directement, en dépendent.

La licence globale a pu apparaître comme une formule simple et facile, mais au regard des principes comme des réalités, elle ne résiste pas à l'analyse et n'est qu'une fausse bonne idée. Elle taxe le consommateur sans pour autant suffire à financer la création. Elle ouvre en fait la porte à la concentration, réductrice de la diversité culturelle et destructrice du travail des artistes comme des emplois qui le permettent, l'accompagnent ou en découlent.

Dans le domaine de l'offre légale en ligne, de musique en particulier, le changement est engagé, ainsi qu'on peut notamment le constater en consultant le site lestelechargements.com du ministère de la culture et de la communication. Les offres d'accès aux œuvres, apparues dès l'an 2000, ont connu un essor remarqué en 2004 : 230 sites de distribution de musique numérique ont fleuri en Europe et aux Etats-Unis, un catalogue de plus d'un million et demi de titres s'est mis en place dans le monde et plus de 200 millions de titres ont été légalement téléchargés, soit dix fois plus qu'en 2003. Les projections établies pour la France fin 2005 par l'Observatoire de la musique portent le nombre total de titres achetés à environ 20 millions, pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 18,5 millions d'euros.

Il est permis de s'en féliciter mais force est de constater les attentes des internautes à l'égard de nouveaux modèles d'offres plus commodes et plus aptes à les fidéliser. Ces attentes suscitent d'ailleurs un véritable foisonnement d'initiatives innovantes, qu'il s'agisse du « streaming », qu'il faudrait appeler en français « écoute en ligne », qu'il s'agisse de la location en ligne, permettant par exemple de télécharger un film pour le regarder dans un délai de 24 heures, ou encore d'offres de découverte grâce auxquelles on pourrait écouter un artiste gratuitement pendant une certaine durée, ou le faire écouter à d'autres, qu'il s'agisse enfin de forfaits, d'abonnements, voire du « pair-à-pair » légal qui commence à apparaître.

Dans le domaine de la vidéo à la demande, la France est pionnière grâce à l'accord signé le 20 décembre dernier, qui prévoit ces différentes formules et ouvre un partenariat fécond entre les fournisseurs d'accès à Internet, les télévisions et la création cinématographique, laquelle bénéficiera ainsi de financements supplémentaires.

S'agissant de la liberté de l'internaute, il faut rappeler que rien n'empêche la libre circulation, gratuite et non protégée, des œuvres si l'auteur a donné son consentement. L'Internet peut et doit être un vecteur de découverte de nouveaux talents, comme il est aussi l'outil d'une création innovante. Rien n'empêche non plus, bien entendu, que les œuvres libres de droits soient rendues accessibles. Tel est l'objet des chantiers numériques lancés par le ministère de la culture et de la communication. Tel est aussi l'objet de la bibliothèque numérique européenne sur laquelle une communication a été présentée en conseil des ministres et dont une première maquette sera bientôt dévoilée ; elle permettra de mettre à disposition, sur les réseaux, l'immense patrimoine littéraire et culturel français.

Afin que ces offres puissent réellement se développer, afin de convaincre tout à fait les titulaires de droits, les distributeurs et les opérateurs de basculer leurs catalogues en ligne, afin d'alimenter et d'enrichir encore ces offres, afin de permettre à des modèles économiques différenciés d'émerger et de se développer, il faut, et c'est l'enjeu de l'intervention du législateur, leur apporter une véritable sécurité juridique. Tel est bien le défi principal de ce texte : créer des libertés nouvelles et forger, dans le même mouvement, les règles qui permettent, autorisent et défendent ces libertés.

Puisque ce texte est un texte de liberté et de responsabilité, puisqu'il doit poser des règles qui permettent l'exercice de libertés nouvelles, il faut traiter le problème, essentiel pour l'internaute, de la copie privée. Le projet de loi garantira - un amendement a été déposé afin de dissiper toute incertitude sur ce point - l'exception pour copie privée, qui donne à chacun la liberté de copier des œuvres pour soi et pour ses proches. Il sera proposé au Parlement que l'article 8 confie au collège des médiateurs instauré par la loi le soin de déterminer les modalités d'exercice du droit à la copie privée, selon le type d'œuvres ou d'objets protégés, le support de diffusion et les techniques disponibles. Une telle disposition évite de « sacraliser » dans la loi un chiffre qui pourrait être trop bas ou trop large et permet de prendre en compte des supports nouveaux de diffusion qui n'existent pas aujourd'hui.

Si l'on considère la situation actuelle sur l'Internet, force est de constater que l'articulation entre prévention et sanction ne fonctionne pas. Les sanctions encourues sont disproportionnées, et donc inapplicables, d'où un certain sentiment d'irresponsabilité et d'impunité. Le législateur doit être pleinement conscient et fier de son rôle pédagogique : s'il est normal qu'il soit à l'écoute du citoyen, il lui revient aussi de favoriser sa prise de conscience. C'est pourquoi il sera demandé aux fournisseurs d'accès à Internet d'envoyer régulièrement à leurs abonnés - et non pas seulement à ceux surpris à télécharger illégalement, comme c'était le cas dans la version initiale du projet de loi - des messages électroniques de prévention et de sensibilisation aux dangers du piratage pour la création artistique.

Aujourd'hui, l'ensemble des infractions liées au téléchargement illégal sont assimilées au délit de contrefaçon. Les peines maximales encourues pour ce délit, inscrites dans le code pénal, sont de 300 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement. Or, à l'évidence, tous les acteurs du téléchargement d'œuvres par Internet ne sont pas au même niveau de responsabilité dans la genèse et la diffusion de ce phénomène. C'est cette réalité qu'il faut traduire en termes de responsabilité pénale, en édictant des sanctions à la fois dissuasives et réalistes. En résumé : pas de prison pour les internautes !

Toutefois, il n'existe pas de liberté sans responsabilité, ni de liberté sans règles. C'est pourquoi le projet de loi comporte, dans sa nouvelle version, un dispositif adapté et gradué de sanctions pénales raisonnables. L'internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film pour son usage personnel risquera une simple contravention de 1ère classe, soit 38 euros d'amende maximum. Si le téléchargement s'accompagne de la mise à disposition de ces œuvres, une peine d'amende de 150 euros maximum, correspondant à une contravention de 2classe, pourra être prononcée. Il a été précisé devant la commission des lois que l'infraction serait constatée pour chaque acte de téléchargement et non, par exemple, de façon groupée pour tous les actes de téléchargement commis au cours d'une même journée.

Des sanctions plus lourdes viseront non pas les internautes mais les éditeurs de logiciels manifestement destinés à favoriser le piratage, qui profitent commercialement des échanges illégaux car il y a un courant d'affaires du téléchargement illégal dont la publicité suffit à prouver l'intention frauduleuse. Sous une apparente gratuité, les échanges illicites d'œuvres génèrent des profits qui ne vont ni à la création, ni à l'emploi, ni même dans la poche de l'internaute, largement instrumentalisé dans cette affaire.

C'est dans le même esprit qu'il faut adapter la réponse pénale au contournement des mesures de protection. L'internaute, simple utilisateur des logiciels de contournement, ne risquera qu'une contravention de 4è classe.

Ce système de sanctions graduées, juste et équilibré, préserve par ailleurs les intérêts de la recherche et les opérations utiles à l'interopérabilité, qui sont explicitement exclues de ce dispositif pénal.

En effet, le texte a également pour objectif majeur de garantir l'interopérabilité afin que toute œuvre acquise légalement puisse être lue, quel que soit le support. Des progrès importants ont été réalisés, notamment à l'article 7, sur cette question, pour lesquels il convient de rendre hommage aux parlementaires qui se sont engagés dans cette voie d'avenir. La technologie ne doit pas servir d'alibi au cloisonnement, ni au racket.

La France est l'avant-dernier pays d'Europe à transposer la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information. Ne pas légiférer maintenant fragiliserait, lentement mais sûrement, la création française face aux risques de la concentration et de la mondialisation. La transposition de la directive devra être évaluée régulièrement afin d'en mesurer toutes les conséquences. C'est pourquoi un rapport sera présenté au Parlement par le Gouvernement dès la première année d'application de la loi.

Ce projet de loi fournit aussi l'occasion de transposer une autre directive européenne touchant au droit d'auteur : la directive relative au droit de suite. Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des reventes successives de leurs œuvres sur le marché. En France, ce droit, qui existe depuis 1920, est de 3 % mais il n'est appliqué, dans les faits, qu'aux ventes publiques aux enchères. On dit qu'il a été instauré à l'occasion de la revente de l'Angélus de Jean-François Millet, le propriétaire du tableau s'étant considérablement enrichi alors que la famille du peintre était dans la gêne.

Une majorité de pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, l'Espagne et la Pologne, appliquent aussi un droit de suite. Parmi les exceptions, figure celle, notable, du Royaume-Uni, place largement dominante sur le marché de l'art contemporain. La directive européenne du 27 septembre 2001 harmonise le droit de suite lui-même et les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. C'est une bonne chose, compte tenu de la concurrence que se livrent les places de Paris et de Londres sur le marché européen. La directive, lorsqu'elle sera mise en œuvre par tous les Etats membres, permettra aux professionnels français de travailler dans les mêmes conditions de concurrence que leurs collègues du Royaume-Uni et des autres pays.

La directive instaure une dégressivité des taux applicables en fonction du montant de la vente. En outre, et c'est très important, elle plafonne à 12 500 euros le droit susceptible d'être versé pour une œuvre. Ces deux dispositions devraient lever l'une des causes majeures de délocalisation des ventes vers les places dépourvues de droit de suite, notamment New-York.

Les professionnels, cependant, restent inquiets des conséquences de la transposition de cette directive. C'est le cas des galeries qui, de fait, ne se voyaient pas appliquer de droit de suite jusqu'à présent mais qui, depuis plusieurs années, cotisent, en contrepartie, au régime de sécurité sociale des artistes. C'est aussi le cas des sociétés de ventes volontaires qui, par application des taux prévus par la directive européenne, vont voir le droit de suite augmenter de l'ordre d'un quart. C'est pourquoi, comme l'a demandé le Premier ministre, le gouvernement fera en sorte que le décret pris en Conseil d'Etat pour l'application de la loi permette une transposition aussi proche que possible des conditions dont bénéficieront les Britanniques afin d'éviter une distorsion de concurrence qui pénaliserait les intérêts français.

En conclusion, le ministre s'est déclaré à la disposition de tous les groupes politiques parlementaires qui souhaiteraient des compléments d'information.

M. Christian Paul s'est étonné de cette affirmation et a rappelé que la commission n'avait pas été consultée une seule fois sur le projet de loi.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

Après avoir remercié le ministre de son exposé, le président Jean-Michel Dubernard a fait observer qu'un débat important avait lieu sur ces questions, hier et aujourd'hui, à l'Hôtel de Lassay et qu'il était loisible à tout député d'y prendre part.

M. Dominique Richard a constaté que l'interruption de l'examen du projet de loi avait permis de poursuivre les consultations et d'aboutir à quatre avancées majeures. Tout d'abord, le droit à la copie privée est affirmé très clairement, ce qui place la France à l'avant-garde des pays européens. Ensuite, l'auteur reste propriétaire de sa création et peut choisir le mode de mise à disposition de celle-ci. Par ailleurs, l'interopérabilité est garantie par la loi, permettant à chacun, qu'il soit auteur de logiciels ou simple particulier, d'accéder à toutes les œuvres, quel que soit le moyen technique de lecture. Enfin, une différence est nettement établie entre le simple utilisateur et le contrefacteur professionnel.

La discussion se rouvre, par ailleurs, dans un contexte dont ont pu être évacuées deux questions importantes : celle de l'offre légale, tant pour la musique que pour le cinéma, d'une part ; celle de l'exception pédagogique, d'autre part, grâce à l'accord signé hier avec le ministère de l'éducation nationale.

M. Patrick Bloche s'est réjoui que la commission puisse avoir pour la première fois, sur ces questions, un dialogue direct avec le ministre qui en a la charge et a jugé peu vraisemblable, sous quelque majorité que ce soit, une intervention d'un ministre lors d'une réunion d'un groupe de l'opposition.

Ce n'est pas faire œuvre de désinformation, contrairement à ce qu'a laissé entendre le ministre, que de rappeler que le dispositif initialement défendu par ce dernier au nom du gouvernement en décembre 2005 assimilait bel et bien toute mesure de contournement à de la contrefaçon, passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende ; sa position a certes évolué, au cours du débat, vers une réponse graduée mais le texte élaboré par son prédécesseur comportait le risque de faire de millions de Français des délinquants potentiels.

Le nouveau dispositif de sanctions, tel qu'il ressort des amendements déposés par le gouvernement, a le mérite de quitter le champ de la contrefaçon, et sans doute la discussion parlementaire de décembre 2005 y a-t-elle contribué. Mais il est essentiel, ainsi que l'a d'ailleurs souligné le président de la commission des lois, que l'infraction soit définie précisément dans la mesure où le régime contraventionnel sera fixé par décret. Or le rapporteur de la commission des lois a indiqué que l'amendement du gouvernement portant article additionnel après l'article 14 serait complété par un nouvel amendement du gouvernement ; il serait bon que son contenu soit porté à la connaissance des parlementaires afin que ceux-ci sachent comment fonctionnera le dispositif. L'infraction sera-t-elle constituée pour chaque acte de téléchargement ? Pour chaque morceau téléchargé ? Qui fera les constatations ? Qui contrôlera ? Qui établira le lien entre l'adresse IP et l'identité de l'internaute ?

Le collège des médiateurs se verra confier, au passage, une mission supplémentaire. L'article 9 du projet de loi le chargeait déjà de réguler les mesures de protection afin de garantir l'exercice du droit de copie privée ; l'article 8, amendé par le gouvernement, lui donnera le soin de fixer les modalités de cet exercice. N'est-ce pas une position inconfortable que d'être à la fois régulateur et arbitre des litiges ?

S'agissant de l'interopérabilité, l'amendement du gouvernement à l'article 7 n'a toujours pas été déposé. Quel en sera le contenu ?

Enfin, l'amendement n° 150, 2e rectification, du rapporteur de la commission des lois, qui reprend une initiative de M. Thierry Mariani, suscite de grandes inquiétudes : s'il devait, grâce au soutien du gouvernement, être adopté, non seulement l'innovation et la recherche dans le domaine du logiciel libre seraient annihilées, mais la dimension morale du droit d'auteur en serait affectée.

M. Christian Paul s'est dit très surpris de la façon dont le ministre a présenté le dispositif de répression du téléchargement illégal. L'article qui définit l'infraction est si flou qu'il encourt le risque d'inconstitutionnalité. Le téléchargement sera-t-il constaté par un agent assermenté d'une société de répartition de droits ? L'infraction est définie à l'acte mais l'amendement ne définit pas ce qu'est un acte de téléchargement. L'internaute qui téléchargera un album de vingt morceaux sera-t-il passible de vingt fois le montant de l'amende simple ? Le dilemme est le suivant : si la répression est faible, elle ne sera pas dissuasive ; si elle est forte, elle sera ressentie comme disproportionnée. Toutes ces questions, qui plus est, relèvent du législateur, et non du pouvoir réglementaire. On peut d'ailleurs regretter que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ne se soit pas saisie pour avis du projet de loi.

M. Michel Herbillon a dit partager ce regret comme de très nombreux députés de la majorité mais a observé que le ministre n'y est pour rien.

M. Christian Paul s'est inquiété du procès fait aux logiciels de « pair-à-pair » qui ont au moins l'utilité de permettre la transmission d'œuvres non protégées. Si les amendements du rapporteur et de M. Thierry Mariani sont adoptés, l'industrie du logiciel libre serait menacée.

On peut également s'interroger sur les perspectives de financement du cinéma et de la musique. Si, comme on peut s'y attendre au regard du droit en vigueur, la Cour de cassation décide qu'un DVD de cinéma ne peut faire aujourd'hui l'objet ne serait-ce que d'une seule copie, l'industrie cinématographique ne perdra-t-elle pas la part qui lui revient de la redevance pour copie privée ? Quant à la filière musicale, la licence légale, qu'elle soit optionnelle ou généralisée, lui aurait apporté une ressource nouvelle substantielle, bien supérieure au chiffre d'affaires des plateformes musicales en ligne : quelque 200 à 300 millions d'euros par an au lieu de 20 millions d'euros environ.

Enfin, il convient de mettre en place, ainsi que la directive européenne le permet, un dépôt légal numérique, sous des formats permettant la transposition en braille des œuvres, qu'il s'agisse de livres ou de contenus pédagogiques. La vie quotidienne des aveugles en serait transformée.

Mme Martine Billard a demandé si le droit de copie privée comporterait une limitation - en temps ou en nombre de copies - du droit d'usage et comment le ministre conçoit l'utilisation des DRM (digital rights management) ? On a le sentiment, à écouter le ministre, que les DRM pourront limiter le droit d'usage en paramétrant le temps d'usage, le nombre de copies, etc. Comment la décision, annoncée comme imminente, de la Cour de cassation sur le DVD, s'articulera-t-elle avec le droit de copie privée affirmé par la loi ? Il appartiendra au collège des médiateurs de définir ses conditions d'exercice, de réguler et de contrôler son usage, mais on sait aussi que Microsoft, entre autres, est en conflit avec la Commission européenne et refuse d'appliquer ses décisions : les versions successives de Windows XP tendent à restreindre de plus en plus l'accès de l'internaute à la gamme des supports. Le collège des médiateurs sera-t-il en mesure de préserver le droit à la copie privée ?

S'agissant des sanctions, qui établira l'infraction de téléchargement illégal ? Comment démontrer l'infraction ? Si celui-ci a lieu à partir d'un site illégal, il n'y aura guère de contestation possible, mais dans les autres cas ? On parle de messages d'alerte que les fournisseurs d'accès diffuseraient lorsque le fichier transmis dépasserait un certain « poids », mais le poids n'est pas, en soi, un critère d'illégalité. Comment établir, en l'absence d'instruction judiciaire, le caractère illégal d'un téléchargement ?

M. Michel Herbillon a estimé que la crise de décembre 2005 avait produit des effets très positifs, permis de rapprocher de nombreux points de vue et débouché sur un équilibre entre la liberté de l'internaute et les droits des créateurs. Le monde de la création était inquiet de certaines dispositions votées par l'Assemblée nationale, notamment la licence globale, et il était nécessaire de cesser de courir derrière le mythe de la gratuité, pour viser plutôt l'objectif de diversité - cette diversité que l'UNESCO a justement consacrée.

C'est à l'auteur, au créateur, qu'il revient de décider de sa stratégie de diffusion, et cette stratégie ne doit pas lui être imposée par l'utilisateur ou par le consommateur, ce qui serait le cas si la licence légale était retenue. Sans sécurité juridique, il ne peut y avoir de catalogues numériques riches et diversifiés et si le téléchargement illégal a pris aujourd'hui de telles proportions, c'est justement parce que l'offre légale ne s'est pas encore développée. Sous quelles formes, bénéfiques à nos concitoyens, peut-on escompter, grâce au nouveau dispositif proposé, que l'offre légale de téléchargement se développe ?

M. Didier Mathus a déploré la façon dont a été organisé l'examen du projet de loi et s'est dit choqué des pressions exercées par les industriels dans l'enceinte même du Parlement pendant cet examen, estimant qu'il n'avait encore jamais assisté à un lobbying aussi direct et brutal en dix-huit ans de vie parlementaire. Les conditions d'un débat serein ne sont pas réunies.

M. Dominique Richard, président, a répondu que le débat consacré au cinéma, qui s'est tenu hier à l'hôtel de Lassay, avait été équilibré.

M. Didier Mathus a attribué cet équilibre à la participation de l'opposition et regretté que la majorité n'ait pas fait droit à la demande de l'opposition de constituer une mission d'information. Quant au débat tenu aujourd'hui à l'Hôtel de Lassay sur la musique, les organisations gestionnaires de droits critiques vis-à-vis du projet du gouvernement n'ont pas été invitées.

Le sujet traité par le projet de loi est complexe mais il est noble : il s'agit de faire en sorte que le progrès technologique se traduise à la fois par un mieux-être collectif et par une meilleure rémunération des créateurs, ce à quoi s'opposent les industriels des contenus, attachés à leur rente de situation, et dont le ministère de la culture se fait, hélas, le supplétif. Mais les calculs à courte vue sont démentis par les faits :  le groupe de musiciens britanniques Arctic Monkeys a vendu un million d'albums en six jours, ce qui est un record historique, après avoir délibérément laissé plusieurs mois tous ses titres en accès libre sur Internet, prouvant ainsi que le téléchargement libre n'est pas la mort de l'art.

Que faut-il entendre par « droit de copie privée » ? Une, trois, cinq, dix copies ? L'exigence de précision sur la notion de « cercle de famille » doit être d'autant plus grande que la réponse pénale sera contraventionnelle et échappera au juge.

Combien, enfin, coûte le site du ministère de la culture lestelechargements.com, et est-il exact, comme on l'entend dire çà et là, que certaines sociétés de répartition des droits participent à son financement ?

M. Frédéric Dutoit a exprimé le regret que les amendements tardifs du gouvernement vident de sa substance le droit d'initiative des parlementaires, et la crainte que la loi, à peine entrée en vigueur, n'apparaisse vite obsolète au regard des réalités. Comment, sur le plan technique, la qualité des œuvres à télécharger sera-t-elle garantie ? Le téléchargement titre par titre ne coûtera-t-il pas finalement plus cher, surtout si le nombre de lectures est limité, que l'achat du CD ? Enfin, quelles sanctions encourront les industriels qui s'opposeront à l'interopérabilité ?

Mme Muriel Marland-Militello a estimé que la vaste concertation qui a eu lieu depuis décembre 2005 a permis de nombreux progrès et a déploré que certains n'aient pas voulu répondre à la volonté de dialogue du ministre. La loi vise à protéger le droit des artistes, leur libre choix du mode de mise à disposition de leurs œuvres ; ce choix, cependant, n'est pas tout à fait libre s'agissant des artistes qui ont réussi, et qui sont sous contrat, alors qu'un jeune créateur encore peu connu aura davantage de latitude pour ouvrir un site où un vaste public se familiariserait avec son œuvre. Quant à l'interopérabilité, il est important de veiller à ce que le coût des matériels nécessaires ne soit pas prohibitif. En tout état de cause, l'instauration de la licence globale aurait été une erreur : sans doute aurait-elle fourni à la filière musicale des ressources importantes mais elle n'aurait rien rapporté aux jeunes artistes qui ne sont pas encore consacrés.

Mme Martine Billard a observé que ceux-là ne gagnent rien non plus dans le système actuel.

Après avoir jugé inadmissible que la commission ne se soit pas saisie pour avis du projet de loi, M. Pierre-Christophe Baguet a demandé si les députés pourraient, à l'instar du gouvernement, déposer de nouveaux amendements, et jusqu'à quel moment. Il a regretté que le gouvernement ait si rapidement renoncé à la réponse graduée, au risque de susciter une certaine banalisation du téléchargement illégal ; une action pédagogique ciblée aurait eu plus d'effet qu'un message de sensibilisation de masse.

Le processus contraventionnel lui-même n'est pas détaillé avec assez de précision, et il n'est pas certain que le recours à des agents assermentés soit expédient : en faisant le choix d'un processus d'investigation policière et judiciaire classique, on institutionnaliserait davantage l'Internet et on inscrirait sa pratique dans la vie quotidienne des Français.

Quant à l'offre légale, quelles garanties a-t-on qu'elle s'inscrira dans un contexte de réelle concurrence ?

Enfin, le groupe UDF défendra des amendements en faveur des personnes handicapées, des non-voyants en particulier, et souhaite que le gouvernement accepte au moins celui relatif au dépôt légal numérique.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

- Le ministre de la culture n'est pas simplement le « ministre des troubadours », ni celui des « marginaux sympathiques », mais a en charge un secteur très important pour l'activité économique, l'emploi et l'attractivité du territoire, où le matériel se mêle à l'immatériel. C'est pourquoi la contribution de la commission des affaires culturelles est essentielle, tout comme elle l'avait été sur la question des métiers artistiques, en marge de la négociation des annexes 8 et 10 de l'UNEDIC.

- Internet est devenu, ainsi qu'on a pu le constater lors de la campagne du référendum du 29 mai 2005, un élément essentiel du débat démocratique, pour le meilleur mais aussi pour le pire : la vivacité légitime des échanges y fait parfois place à des attitudes violentes, voire diffamatoires. Contrairement à ce qu'on a pu lire ici et là, le gouvernement n'a exercé ni n'exercera aucune pression sur quiconque et les parlementaires seront libres de leur vote.

- La France a un capital considérable de création artistique, littéraire, musicale, cinématographique à défendre afin que la diversité demeure une réalité. La convention de l'UNESCO renforce sa position face à la Commission européenne en matière d'aides à la création. De la même façon, la France a dans cette affaire un capital scientifique à défendre : il s'agit notamment de toutes les PME qui œuvrent dans le secteur du logiciel libre.

- Protéger la liberté de création, c'est aussi protéger la diversité des métiers qui l'accompagnent et la soutiennent. La qualité d'une œuvre ne tient pas seulement au talent de son créateur, mais aussi à la qualité de l'enregistrement, de la transmission du son, de l'image, du réglage des lumières, etc. C'est un élément qu'il ne faut jamais oublier.

- L'objectif final du projet de loi est de fournir un cadre juridique sûr pour l'émergence d'une offre légale sur Internet. Si le gouvernement avait cédé aux sirènes et s'était abstenu d'agir, non seulement les internautes ordinaires auraient été passibles de sanctions pénales, mais l'accord du 20 décembre 2005 entre les fournisseurs d'accès, les sociétés de télévision et la création cinématographique, prévoyant la mise à disposition de nouveaux catalogues, l'apport de financements supplémentaires et le respect réaffirmé de la chronologie des médias, n'aurait pas pu être conclu.

- Les décisions du collège des médiateurs seront susceptibles d'appel devant les juridictions de droit commun. Si le projet de loi ne précise pas le nombre de copies autorisées à titre privé - que la jurisprudence fixe généralement à cinq ou six -, c'est pour ne pas préjuger des évolutions technologiques à venir. S'il ne définit pas davantage la notion de « cercle de famille », c'est pour ne pas interférer avec la question de l'interopérabilité. La technologie ne doit pas servir de barrière : quiconque dispose légalement d'une œuvre musicale doit avoir la possibilité de l'écouter sur tous les supports existants.

- La réponse graduée ne disparaît pas. Sa finalité n'est pas la répression mais la sécurité juridique. Le ministre de la culture et de la communication n'est le supplétif de personne mais le défenseur de l'intérêt général. La matérialité des infractions sera constatée, dans les conditions du droit commun, par des officiers de police judiciaire agissant au nom de l'Etat. La contravention est conçue comme une dérogation au délit de contrefaçon et suppose donc le recours aux mêmes instruments permettant de déceler celle-ci. Il n'y aura pas de pénalité journalière forfaitaire mais une amende liée à l'acte même de télécharger illégalement. Pour que nul n'en ignore, la loi elle-même précisera qu'il s'agit d'une contravention de première catégorie.

M. Christian Paul a estimé ces précisions insuffisantes et souhaité savoir à quel moment l'infraction serait constituée.

Le ministre a souligné que cela dépendrait du régime de diffusion de l'œuvre choisi par l'auteur : il ne s'agit pas de surveiller les internautes, mais les œuvres, et il n'est pas correct de faire naître des peurs relatives à une possible intrusion de qui que ce soit dans la vie des internautes. En cas d'utilisation illégale d'un logiciel de « pair-à-pair », l'adresse IP de l'utilisateur sera identifiée et le juge éventuellement saisi pour demander au fournisseur d'accès l'identification de l'internaute lui-même. Cette procédure est protectrice des libertés individuelles et a d'ailleurs été soumise au ministère de la justice et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

M. Christian Paul s'est déclaré insatisfait de la réponse.

Le ministre a poursuivi ses réponses aux intervenants :

- Il revient à l'auteur de définir lui-même le mode de diffusion de son œuvre sur le réseau Internet. L'œuvre soumise à droits étant codée, il y aura traçabilité. Il n'y a pas lieu d'alimenter des peurs infondées. Les moyens techniques ne doivent pas être des alibis. C'est d'ailleurs le sens des avancées effectuées sur l'interopérabilité.

- S'agissant des handicapés, le gouvernement réservera un accueil favorable à un certain nombre des amendements qui ont été déposés.

- Quant à la concurrence, c'est précisément l'émergence de l'offre légale nouvelle qui permettra d'en modifier les conditions. Ce n'est pas au ministre, ni au législateur de définir à la place des entreprises la nouvelle gamme de formules qu'elles mettront au point.

- Le site lestelechargements.com est cofinancé par le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est d'ores et déjà un grand succès : on compte quelque 500 000 connexions.

M. Christian Paul a regretté que ce site soit, depuis 48 heures, verrouillé par le ministère.

Le ministre a démenti que ce soit le cas. La liberté d'expression y est la règle ; seuls sont filtrés les propos diffamatoires, qui fleurissent, d'ailleurs, sur nombre d'autres sites.


© Assemblée nationale