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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 45

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 mars 2006
(Séance de 11 heures 30)

12/03/95

Coprésidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

et de M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l'administration générale de la République

SOMMAIRE

 

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- Audition ouverte à la presse, commune avec la commission des lois, de M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice et de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur la réforme des tutelles

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La commission a procédé à l'audition, commune avec la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, de M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, et de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur la réforme des tutelles.

Après avoir souligné que l'audition conjointe du ministre de la justice et du ministre délégué à la sécurité sociale permettait d'aborder une question dont se soucient tant les membres de la commission des Lois que les membres de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, le président Jean-Michel Dubernard a exprimé le souhait que les ministres indiquent avec précision comment leur mobilisation en faveur de la réforme des tutelles se traduirait dans les mois à venir.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice a d'abord regretté que la réforme des tutelles ait été trop souvent reportée, alors même qu'elle constitue un symbole fort de la politique gouvernementale en faveur de la cohésion sociale et de la solidarité à l'égard des personnes vulnérables. Il a ensuite rappelé que la protection des majeurs vulnérables se fonde d'une part sur la loi du 3 janvier 1968, qui définit et organise les mesures de protection juridique, d'autre part sur la loi du 18 octobre 1966, qui a instauré la tutelle aux prestations sociales versées pour les adultes.

À l'origine, seuls quelques milliers de personnes particulièrement fragilisées par un lourd handicap mental avaient vocation à bénéficier de ce dispositif. Or, des études récentes - notamment une enquête de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection des services judiciaires, en 1998, ainsi que le rapport d'une commission présidée par Jean Favard, en 2000 - ont montré les dérives progressives du régime de protection des majeurs et son inadéquation à la réalité.

Aujourd'hui, plus de 600 000 personnes, soit 1 % de la population française, sont placées sous un régime de protection juridique, auxquelles il faut ajouter les 67 000 adultes relevant d'une mesure de tutelle aux prestations sociales. Selon les projections de l'Institut national d'études démographiques, le nombre des personnes protégées devrait être de 800 000 en 2010 et pourrait même avoisiner un million de personnes si la fréquence des placements se maintient.

Cette croissance exponentielle s'explique pour partie par l'allongement de l'espérance de vie et le vieillissement corrélatif de la population. Mais, au-delà de ce phénomène démographique, la protection judiciaire des majeurs s'est écartée de sa finalité. En effet, face à l'augmentation de la précarisation et à l'exclusion qui en résulte, nombre de mesures de protection juridique sont prononcées à des fins d'accompagnement social, indépendamment de toute altération des facultés mentales. Les mesures décidées dans ce contexte, qui constituent un palliatif aux insuffisances des dispositifs sociaux, impliquent une restriction de droits injustifiée et ne règlent pas pour autant les difficultés des personnes concernées. L'inflation des mesures, liée à l'absence de respect des principes édictés par la loi de 1968, compromet le suivi réel des dossiers et rend la protection judiciaire des intéressés parfois illusoire. Le coût toujours croissant de cette protection est en outre à la charge de la collectivité publique.

Tout cela appelle une réforme globale, dont l'objectif serait de tracer une ligne de partage claire entre les mesures de protection juridique et les systèmes d'aide et d'action sociale. Cette réforme, au croisement de la citoyenneté, de la justice sociale et de la solidarité, appelle la mobilisation de tous les acteurs, au-delà du strict domaine juridique. Elle doit se traduire par une meilleure articulation entre le dispositif civil, qui relève de l'autorité judicaire, et les mesures sociales d'accompagnement, essentiellement menées par les départements. Elle repose sur une nouvelle approche plus respectueuse des droits des personnes.

Les trois axes essentiels de la réforme sont la délimitation stricte du champ des mesures de protection juridique, le renforcement des droits des personnes, et la professionnalisation des intervenants extérieurs à la famille qui exercent les missions de protection juridique.

En ce qui concerne le champ des mesures de protection juridique, les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique, affirmés par la loi de 1968, doivent retrouver toute leur efficience.

Le placement sous un régime de protection juridique doit être réservé aux seuls cas où l'altération des facultés personnelles de l'intéressé est médicalement avérée et lorsqu'aucun autre mécanisme plus léger et moins attentatoire aux libertés individuelles ne peut être mis en œuvre. Le placement sous un régime de protection juridique ne doit en aucun cas s'appliquer aux personnes en danger du fait de leur inaptitude à gérer les prestations dont elles bénéficient ou de leur grande précarité. Ces personnes doivent être aidées mais n'ont pas besoin d'être assistées ou représentées pour l'accomplissement des actes de la vie civile. Dans leur cas, la tutelle aux prestations sociales et la curatelle pour prodigalité seront supprimées, un nouveau dispositif, graduel et progressif, s'y substituant. Ce dispositif comportera un volet administratif, mis en œuvre par les départements en collaboration avec la personne intéressée, et un volet judiciaire, plus contraignant, qui ne pourra être actionné qu'en cas d'échec du premier volet. Le département sera, dans un premier temps, chargé de mener des actions personnalisées d'accompagnement social, qui pourront prendre la forme d'un contrat établi conjointement avec l'intéressé en fonction de sa situation et du parcours d'insertion envisagé. En cas de refus ou d'échec du contrat d'accompagnement, le président du conseil général aura la faculté de solliciter du juge l'autorisation de percevoir certaines prestations sociales, afin d'assurer le paiement du loyer et de garantir le maintien dans les lieux de la personne concernée. Si cette mesure s'avère insuffisante, les services sociaux compétents adresseront un rapport circonstancié au procureur de la République, qui appréciera en fonction des circonstances s'il y a lieu de saisir le juge pour qu'il ordonne une mesure de gestion budgétaire et d'accompagnement social. Cette mesure judicaire n'entraînera aucune incapacité juridique mais aura uniquement pour effet de priver la personne du droit de gérer elle-même ses prestations sociales. La gestion du mandataire sera contrôlée et la mesure ne pourra être prononcée que pour une durée ne pouvant excéder deux ans.

Dans la même logique de limitation du champ de la protection juridique, le saisissement d'office du juge sur le simple signalement d'un tiers, qui représente plus des deux tiers des ouvertures de dossiers et qui est à l'origine de nombreuses dérives, ne sera plus possible. À l'issue de la réforme, seuls les membres de la famille, une personne résidant avec le majeur ou le procureur de la République pourront saisir le juge, après avoir éventuellement ordonné une évaluation médico-sociale de l'intéressé.

Enfin, la subsidiarité implique de se tourner vers la famille, premier lieu d'expression des valeurs de solidarité et d'humanisme. Dans nombre de cas, les règles de la représentation ou celles résultant des régimes matrimoniaux peuvent suffire à préserver les intérêts de la personne vulnérable. Le juge devra donc examiner si des techniques juridiques moins contraignantes, comme la procuration ou la désignation d'un époux pour représenter son conjoint, lorsque ce dernier est hors d'état de manifester sa volonté, permettent de résoudre les difficultés de la personne vulnérable.

En outre, un nouveau mécanisme permettra à la personne d'organiser par avance sa protection, au cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à la défense de ses intérêts : le mandat de protection future.

Le deuxième volet de la réforme est l'affirmation des droits de la personne vulnérable, afin d'assurer le respect des libertés fondamentales ainsi que des droits et de la dignité de l'homme.

Ainsi, de nouvelles dispositions sont prévues afin de donner la parole à la personne vulnérable au cours de la procédure judiciaire. Il n'est plus admissible qu'une décision la concernant personnellement puisse être prise sans recueillir son consentement. L'affirmation des droits de la personne vulnérable se traduira au cours de la procédure judicaire, en lui donnant la parole et en associant sa famille. Une mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge qu'après audition de la personne concernée, qui pourra être assistée d'un avocat. L'audience sera le temps fort de la procédure, en permettant à la personne d'être dans toute la mesure du possible actrice des décisions qui seront prises. Le juge devra l'informer, sous une forme appropriée à son état, des décisions envisagées, afin qu'elle puisse exprimer ses sentiments, notamment sur le choix de la personne chargée de protéger ses intérêts, l'organisation de son mode de vie ou sa prise en charge médicale. Le consentement préalable de la personne vulnérable sera recueilli, si son état le permet. De même, il devra lui être rendu compte des actes faits en son nom. Par ailleurs, toute personne pourra choisir préalablement son tuteur ou curateur, au cas où elle ne serait plus en mesure d'exercer ses droits et de défendre ses intérêts. Cette faculté sera également ouverte, par acte notarié, aux parents d'un enfant handicapé majeur. Lorsque le majeur n'aura pas pris de dispositions spécifiques, la famille et les proches seront privilégiés, le juge devant en principe désigner comme tuteur ou curateur la personne vivant avec lui ou, à défaut, un membre de la famille ou un proche entretenant des liens étroits et stables. La nomination d'un intervenant extérieur ne se fera donc qu'en dernier recours.

L'affirmation des droits de la personne vulnérable se traduira également par l'introduction dans notre droit de nouvelles mesures conventionnelles. Au premier chef, le mandat de protection future, qui est directement inspiré des expériences conduites avec succès au Québec et en Allemagne, répondra à l'inquiétude des personnes soucieuses de prévoir l'organisation de leur protection pour le jour où elle seraient dépendantes et ne pourraient plus pourvoir seules à leurs intérêts. Ce mandat, qui déterminera l'étendue et le contenu de la protection, aussi bien patrimoniale que personnelle, prendra effet lorsque l'incapacité aura été médicalement constatée. Le greffier en chef le rendra opposable aux tiers et son exécution sera contrôlée. Ce mandat prendra la forme soit d'un mandat notarié, permettant une protection juridique très étendue et couvrant les actes de disposition du patrimoine sous le contrôle du notaire, soit d'un mandat sous seing privé, qui donnera au mandataire les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire et qui sera limité aux actes conservatoires et de gestion courante. En aucun cas les dispositions relatives à la protection personnelle ne pourront déroger aux règles de la protection judiciaire. Le mandat de protection future sera également ouvert aux parents d'un enfant handicapé majeur. Prévu par acte notarié, il prendra alors effet au décès des parents ou s'ils ne sont plus en mesure d'assumer la charge de leur enfant.

Néanmoins, certaines personnes fragiles sont isolées ou ne peuvent compter sur leur entourage pour assurer la protection de leurs intérêts. C'est pourquoi un troisième volet est nécessaire dans la réforme des tutelles : la professionnalisation des intervenants extérieurs à la famille qui exercent les missions de protection juridique.

Ces intervenants devront suivre une formation professionnelle, mais également se soumettre à des critères de qualité et à une évaluation de leur activité. Ils devront nécessairement souscrire une assurance de responsabilité professionnelle. La pratique des comptes pivots, qui permet au gérant de tutelle de regrouper sur un compte à son nom tous les avoirs des personnes dont il assure la tutelle et de percevoir les intérêts générés par ce compte, sera prohibée. Dans la même logique, le contrôle de la gestion du professionnel sera amélioré, par la présentation annuelle d'un compte de gestion au greffier en chef, accompagné de toutes les pièces justificatives. Les mêmes règles s'appliqueront lorsque la personne chargée de la protection est un membre de la famille ou un proche, à moins que cette personne n'obtienne du juge une dispense de contrôle, en raison de l'absence de patrimoine. De nouveaux moyens seront mis à la disposition du juge qui aura la possibilité, si le patrimoine le justifie, de recourir à une expertise comptable aux frais du majeur. Le greffier en chef pourra être assisté dans sa mission de contrôle, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. En outre, il pourra solliciter un relevé des établissements bancaires dans lesquels la personne protégée dispose d'un compte, sans que puisse lui être opposé le secret bancaire. Enfin, le financement des mesures prises en charge par les professionnels, actuellement disparate et incohérent, sera harmonisé de telle sorte qu'il soit équitable tant pour les majeurs concernés que pour les professionnels. Un financement public sera mis en place si les ressources de la personne protégée ne lui permettent pas d'assumer le coût de cette protection.

Soulignant que l'efficience de la protection des majeurs implique une véritable synergie entre le dispositif civil et l'accompagnement social, le garde des sceaux a exprimé son souhait qu'un nouveau regard, emprunt de respect, de solidarité et d'humanisme, soit désormais porté sur ceux qui ne peuvent pas pourvoir par eux-mêmes à leurs intérêts en raison de l'altération de leurs facultés personnelles, afin d'affronter dignement le défi majeur que pose le vieillissement de la population. Estimant que le niveau de civilisation et d'humanité d'une société se juge à travers la manière dont elle respecte et apporte son soutien aux plus vulnérables parmi les siens, il a affirmé sa détermination pour mener à bien le projet de réforme des tutelles.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a indiqué que son ministère et la chancellerie ont travaillé main dans la main pour mettre au point la réforme des tutelles et curatelles. Près de 700 000 personnes sont aujourd'hui sous tutelle ou curatelle. En 2010 elles devraient être au nombre d'un million.

Le régime actuel de la tutelle et de la curatelle résulte d'une réforme datant de 1968. Ce régime a été conçu pour les personnes dont l'état mental les rendait incapables d'assumer leurs responsabilités de citoyens ainsi que la gestion de leurs revenus et de leur patrimoine. Étaient visées les personnes ayant un handicap mental lourd (personnes trisomiques, ...) et les personnes âgées frappées de démence sénile (personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer).

Le vieillissement accéléré de la population est un facteur important d'accroissement du nombre des tutelles et curatelles. Aujourd'hui, 850 000 personnes souffrent de la maladie d'Alzheimer et chaque année 200 000 nouveaux cas sont enregistrés, comme l'a souligné le rapport de Mme Cécile Gallez au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS).

Le vieillissement de la population n'est pas la seule raison expliquant la croissance des tutelles et curatelles. Les instruments de la tutelle et de la curatelle ont en effet été utilisés comme une facilité permettant de traiter les situations des personnes confrontées à de graves difficultés d'existence résultant d'épisodes dépressifs ou de simple accident de la vie : perte d'emploi, perte de logement, séparation familiale, surendettement, détresse sociale, etc.

Cette extension du placement sous tutelle entraîne de graves inconvénients. Un citoyen sous tutelle est pour longtemps privé de la jouissance pleine et entière de la citoyenneté. Placé sous tutelle, il ne pourra en sortir que difficilement ; en effet, il n'existe pas de procédure de réexamen régulier des placements. De même, il n'existe pas de réseau d'assistance ou de procédure de stimulation permettant à une personne placée sous tutelle de reconquérir les attributs de la citoyenneté.

La situation des tutelles et curatelles risque donc de continuer de se dégrader. Dans ce contexte, le premier objectif du gouvernement est de rendre au plus grand nombre possible de personnes sous tutelle leur citoyenneté.

Le gouvernement poursuit pour autant d'autres objectifs. Face aux dérapages constatés dans les activités tutélaires, qui sont sources d'inéquité, il faut remédier aux désordres de gestion, sans toutefois méconnaître les mérites d'organisations assurant la prise en charge de tutelles et curatelles.

La réforme des tutelles et curatelles doit également parvenir à contrôler l'évolution financière des mesures de protection. La charge annuelle de financement supportée par l'État atteint 200 millions d'euros, celle supportée par la sécurité sociale 180 millions d'euros et celle des départements est estimée à plus de 30 millions d'euros.

La réforme élaborée par le gouvernement repose sur le recueil du consentement des personnes et la mise en place de multiples garanties procédurales, notamment celle consistant à procéder à un réexamen tous les cinq ans de la décision de placement, sauf cas de handicap de naissance, accident invalidant ou maladie d'Alzheimer rendant inutile ce réexamen périodique. Il convient également de ne faire appel aux instruments juridiques de la tutelle et de la curatelle qu'en dernier recours : les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité posés en 1968 ont été perdus de vue ; il faut les restaurer. Dans une situation de droit commun, une mesure d'accompagnement social spécifique devrait pouvoir être proposée par le président du conseil général afin d'éviter d'avoir immédiatement recours à un placement sous tutelle ou curatelle ou pour faciliter la sortie d'un tel placement. Cette mesure d'accompagnement social ne constituerait pas une contrainte. Son renforcement ou la montée en puissance des mesures de contrainte, comme par exemple le versement du revenu minimum d'insertion sur un compte géré par le département, devrait être décidé par le juge.

Cette mesure d'accompagnement social spécifique prendrait la forme d'un contrat entre le président du conseil général et la personne majeure. Cette aide permettrait à cette personne d'assumer ses responsabilités et ses prérogatives de citoyen. Elle éviterait « d'emboliser » les prétoires par les dossiers de tutelle.

Le gouvernement proposera également de créer le mandat de protection future. Ce nouvel instrument permettra de prendre en charge la gestion du patrimoine et l'éducation des enfants de la personne majeure.

Par ailleurs, le gouvernement est attaché à la formation des professionnels chargés de l'accompagnement. Il veillera à ce que le coût soit identique quelle que soit la domiciliation de la personne concernée et quelle que soit la personne assumant la charge de la tutelle ou de la curatelle.

En matière de financement de l'État, les crédits sont en augmentation de plus de 200 millions d'euros en 2006. Certes, il y a eu des retards de paiement auxquels se sont ajoutés les difficultés liées à la mise en œuvre des nouvelles procédures budgétaires résultant de la loi organique relative aux lois de finances. Ces difficultés et retards sont aujourd'hui entièrement résorbés. Mais seule la réforme globale du régime des tutelles et curatelles mettra un terme définitif à ces dérives.

La réforme exige aussi des préalables. Une concertation avec les conseils généraux a été engagée par le gouvernement. Le ministre de la justice partage les préoccupations qu'ils ont exprimées. Celles-ci tiennent essentiellement au fait qu'après le transfert des responsabilités en matière de revenu minimum d'insertion et de handicap, les départements s'inquiètent de devoir absorber, dans la foulée, la politique de protection de l'enfance et la gestion des tutelles et curatelles.

Les réformes proposées par le gouvernement n'entraîneront pas de dépenses supplémentaires pour les départements, mais les services sociaux des conseils généraux s'interrogent sur leur capacité à absorber dans un temps court les nouveaux et importants transferts de compétence proposés par le gouvernement. Les départements demandent du temps pour mettre en application ces réformes. Le gouvernement, quant à lui, souhaite que la réforme des tutelles et curatelles puisse être examinée rapidement par le conseil des ministres. La montée en puissance de la réforme ne devra cependant pas alourdir le travail des services sociaux des départements.

Un débat a suivi l'exposé des ministres.

Le président Philippe Houillon a rappelé que la commission des Lois avait interrogé le garde des Sceaux à l'automne 2005 sur le fonctionnement des tutelles, l'examen des comptes et les droits des personnes protégées et que les ministres avaient apporté les réponses attendues. Précisant que le président Jean-Michel Dubernard lui avait proposé de constituer une mission d'information commune au moment où la commission des Lois se disposait à recevoir le garde des Sceaux sur le sujet, il a souhaité obtenir davantage de précisions sur le calendrier envisagé de la réforme, afin d'être en mesure de juger s'il est utile de réserver une suite favorable à la suggestion du président Jean-Michel Dubernard.

Le président Jean-Michel Dubernard, après avoir préconisé une réforme rapide, a demandé s'il était prévu de supprimer la tutelle aux prestations sociales, de renforcer l'accompagnement des tuteurs bénévoles et d'instaurer un barème-type pour le financement des associations. Il s'est interrogé sur le bilan de l'expérimentation du financement des associations par dotation globale et sur les moyens d'apprécier le coût des charges de tutelle en fonction du lieu de résidence de la personne protégée. Il a enfin souhaité connaître l'état des négociations entre l'État et les départements sur la compensation financière de la mesure dite d'accompagnement social spécifique.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, après avoir indiqué qu'il pourrait faire parvenir par écrit des réponses détaillées et souligné la détermination des ministres en charge du dossier à présenter la réforme au Parlement le plus rapidement possible, a apporté les précisions suivantes :

- l'instauration d'un barème-type est effectivement prévue ;

- une réforme du financement est nécessaire pour contrôler les effectifs mis sous tutelle ;

- les nouvelles mesures d'accompagnement social vont se substituer aux dispositifs actuels ;

- la concertation engagée avec l'Association des départements de France devrait s'achever rapidement, ce qui permettra de saisir le Conseil d'État du projet de loi dans les meilleurs délais.

Soulignant la nécessité d'une réforme de la procédure, qui est trop lourde actuellement, M. Laurent Wauquiez a demandé si le projet de réforme prévoit l'assistance d'un avocat et une évaluation systématique de l'état de santé au moment du placement sous tutelle. Il a également souhaité connaître les mesures prévues pour faciliter la levée de la tutelle, alors même que les tribunaux sont surchargés, et pour améliorer la formation des tuteurs. Il a regretté que cette réforme indispensable, annoncée depuis 1995, ait été repoussée à plusieurs reprises en raison des échéances électorales et de la constitution de commissions ad hoc successives. Il importe d'agir au plus vite pour abroger la législation archaïque en vigueur et instaurer des garde-fous, ce qui suppose d'examiner le projet de loi très prochainement pour que la réforme puisse aboutir avant les prochaines élections législatives.

Après avoir regretté l'absence d'informations précises sur le calendrier, M. Philippe Vuilque s'est déclaré favorable à la philosophie du projet, notamment à la création d'un mandat de protection future, au réexamen périodique de la situation et à l'instauration d'un accompagnement social spécifique. Évoquant la situation des victimes d'organisations sectaires en soulignant l'influence que ces organisations exercent sur des personnes vulnérables, il a jugé opportun de mener une réflexion complémentaire à la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.

M. Jean-Marie Geveaux a estimé préférable à la constitution d'une mission d'information parlementaire, qui risque de retarder la discussion du projet de loi, de disposer rapidement d'un texte pour commencer les travaux parlementaires. Il a exprimé son accord avec les dispositions proposées, tout en soulignant les difficultés rencontrées par les conseils généraux qui doivent déjà assumer beaucoup de compétences nouvelles et intégrer des personnels supplémentaires, ce qui pose des problèmes d'organisation. Il a jugé prioritaire de faire évoluer le financement des tuteurs, car les associations se trouvent fréquemment dans une situation financière difficile.

M. Dominique Tian a rendu hommage à la qualité du travail effectué par les tuteurs, et a demandé si une concertation avait été organisée avec ceux-ci et leurs associations. Il a émis des réserves sur l'objectif de rendre plus difficile la mise sous tutelle afin de réduire de 200 000 le nombre de personnes concernées, soulignant que cette mesure est déjà difficile à prendre. Il a jugé préférable d'accroître la transparence et la simplicité des procédures, conformément aux recommandations du Médiateur de la République.

En réponse aux différents intervenants, M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice, a apporté les précisions suivantes :

- Le ministère de la justice est attaché à la réussite de la réforme des tutelles qui modifiera profondément la procédure en vigueur. Cette réforme se traduira par la fin de l'autosaisine du juge des tutelles. Désormais, seuls le Parquet et la famille pourront engager une procédure de mise sous tutelle. Elle impliquera aussi la réorganisation des juridictions d'instance car le réexamen des mesures de tutelle tous les cinq ans conduira à ce que 120 000 décisions soient prises chaque année pour apprécier la nécessité de maintenir la personne vulnérable sous ce régime. Il faudra donc prévoir les moyens nécessaires en personnels.

- Sur l'aspect financier de la réforme, il revient au ministre délégué, chargé de la famille et de la sécurité sociale, de mener à bien les négociations avec les départements et les organismes de protection sociale. Un travail d'expertise doit être mené en concertation avec le ministère des finances pour chiffrer de manière précise les économies que pourrait générer cette réforme. En effet, à l'avenir l'État prendra en charge certaines dépenses qui sont aujourd'hui supportées par les départements. Il convient de convaincre ces derniers de la fiabilité de ces estimations et c'est pourquoi la préparation de la réforme ne pourra s'accélérer sans qu'au préalable le chiffrage financier ait pu être établi de manière contradictoire avec les principaux intéressés, c'est-à-dire les départements.

- Concernant la formation des personnes qui assureront la gestion patrimoniale des personnes mises sous tutelle ou sous curatelle, il est indispensable d'améliorer la situation actuelle. Cette question relève de la compétence du ministre délégué chargé de la famille et de la sécurité sociale, et une réflexion va être engagée pour déterminer comment former les tuteurs bénévoles comme professionnels à la gestion de patrimoine. Il apparaît en effet que les juges d'instance ne sont pas actuellement en mesure de vérifier si les tuteurs gèrent au mieux le patrimoine des personnes vulnérables. C'est pourquoi la réforme prévoit non seulement l'obligation de former les professionnels mais aussi d'évaluer leur pratique pour vérifier qu'ils prennent les mesures adaptées aux spécificités du patrimoine de la personne vulnérable dont ils ont la charge.

- La philosophie de la réforme étant de respecter les droits de la personne, il serait quelque peu contradictoire de prévoir dans le projet de loi la possibilité de passer outre le refus de la personne en cas de dérive sectaire pour engager une procédure de mise sous tutelle. Il reviendra plutôt au conseil de famille, dont le rôle va être valorisé par la réforme, d'intervenir auprès du juge pour apporter des éléments déterminants prouvant que la personne en question n'a plus le discernement nécessaire pour apprécier si une mesure de protection doit être décidée pour la protéger de telle ou telle organisation sectaire.

- La préparation de la réforme a été menée en étroite concertation avec l'ensemble des organisations gérant des associations tutélaires comme par exemple l'unaf et les udaf pour les organisations familiales ou avec l'unapei pour les associations représentant les familles de personnes handicapées. Il faut en effet saluer le dévouement des bénévoles et des professionnels qui se consacrent à la gestion des tutelles car il s'agit souvent de dossiers complexes qui nécessitent compétences techniques et un sens aigu des relations humaines.

En conclusion, le garde des sceaux s'est dit convaincu de la possibilité d'accélérer les négociations avec les conseils généraux. Des résultats remarquables ont pu être obtenus dans des délais raisonnables pour la prise en charge du handicap par les départements et on peut compter sur l'expérience du ministre délégué à la sécurité sociale en la matière pour mener à bien les négociations en cours sur la réforme des tutelles.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié les ministres pour leur intervention qui a permis aux commissaires de faire le point sur l'état d'avancement de la réforme mais il a souhaité réaffirmer clairement que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales était déterminée à faire preuve de volontarisme politique pour faire voter au plus vite cette réforme.


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