Version PDF

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 46

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 mars 2006
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

ppages

- Audition de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur les dispositifs de soutien à l'emploi des artistes et des techniciens du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle vivant

2

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur les dispositifs de soutien à l'emploi des artistes et des techniciens du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle vivant.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est réjoui d'accueillir M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, a remercié la commission d'avoir accepté de l'entendre sur la politique de l'emploi des artistes et techniciens du spectacle, alors que la négociation sur leur régime spécifique d'assurance-chômage est en cours et qu'elle entre dans sa dernière ligne droite, et de lui permettre ainsi de dresser devant les députés l'état d'avancement des travaux respectifs du gouvernement et des partenaires sociaux dans ce domaine, et de recueillir leur avis avant que ne soient fixées les décisions qui définiront le système pérenne de soutien à l'emploi dans le spectacle.

Le régime spécifique d'assurance-chômage des artistes et des techniciens occupe une place très importante dans ce dispositif, mais le temps est révolu où il pouvait, à lui seul, organiser et structurer l'emploi et l'activité dans le secteur du spectacle. Il doit intervenir en cohérence, en complément et en articulation avec les autres composantes d'une vraie politique de l'emploi culturel.

Avant d'en venir au régime d'assurance chômage, il convient de rappeler brièvement les actions engagées par le gouvernement en matière de soutien à l'emploi dans le spectacle.

S'agissant du soutien à l'activité, le crédit d'impôt pour le cinéma, pour l'audiovisuel, pour l'édition phonographique, pour les jeux vidéos, représente des modes spécifiques d'aide à chacun de ces secteurs, conformes à ce que la convention pour la diversité culturelle adoptée par la conférence générale de l'UNESCO en octobre dernier autorise à chacun des États pour soutenir la production d'œuvres et de biens culturels, qui ne sauraient être des marchandises comme les autres.

De ce point de vue, deux nouvelles sont particulièrement importantes et bienvenues. La première est que le Conseil des ministres a adopté ce matin le projet de loi tendant à autoriser la ratification de cette convention sur la diversité culturelle, qui sera donc soumis prochainement au Parlement. La seconde bonne nouvelle, qui est tombée ce matin même et qui peut être considérée comme un fruit de cette convention, est que la Commission européenne a validé l'ensemble du système français d'aide au cinéma. Cette victoire aura d'importantes conséquences concrètes puisque les contentieux et les menaces qui pesaient sur ce dispositif appartiennent désormais au passé.

La relocalisation en France des tournages cinématographiques ou audiovisuels, l'ouverture de tous les lieux de patrimoine aux tournages ou au spectacle vivant participent du soutien à l'activité du secteur dont le ministre a la charge. Des instructions très précises ont été données à tous les responsables des lieux dépendant des subventions de l'État, afin qu'ils les ouvrent le plus possible à toutes les structures artistiques indépendantes et qu'ils les mettent ainsi à la disposition de la création.

En quatre ans, les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin ont augmenté de 15 % les financements consacrés au spectacle vivant dans le budget du ministère de la culture. Cela est rappelé non pas pour se livrer à l'autosatisfaction ou pour indiquer qu'il sera désormais possible de répondre à toutes les sollicitations, mais pour souligner que c'est bien une nouvelle étape qui est franchie. Contrairement à ce qu'on a pu lire dans la presse, la partie réservée au spectacle vivant au sein des crédits déconcentrés des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) est totalement préservée, sans le moindre euro mis en réserve. Même si cela n'est pas suffisant, c'est un élément important pour éviter certaines conséquences fâcheuses.

Au cours du premier semestre 2006, et comme l'avait recommandé M. Alain Auclaire, tous les conseillers pour le spectacle vivant des DRAC bénéficieront d'un plan exceptionnel de formation. Cette formation leur permettra de mieux lier les financements qu'ils allouent aux structures du spectacle vivant et les conditions d'emploi des artistes et techniciens, en termes de respect de la réglementation, de pérennisation des emplois et d'allongement de la durée des contrats, afin que tout le travail effectué soit déclaré et financé par les employeurs et ne repose pas sur l'assurance-chômage.

Il faut absolument que chaque lieu recevant de l'argent de l'État ait l'obligation de favoriser l'accueil des compagnies car celles-ci ont d'énormes difficultés à trouver des lieux et des occasions pour exprimer leur talent, alors même que certaines structures, certaines salles ne sont pas utilisées.

Par ailleurs, grâce au concours et à l'engagement exceptionnels du ministre délégué à l'emploi, M. Gérard Larcher, et de la direction des relations du travail, un effort sans précédent est conduit pour la négociation de conventions collectives, sujet essentiel. Pour être moins visibles que d'autres négociations, celles qui sont en cours n'en méritent pas moins d'être particulièrement soulignées.

De quarante-sept conventions collectives étendues ou accords en cours, on est passé à huit commissions mixtes paritaires, qui rationalisent et qui couvrent l'ensemble du champ du spectacle, sous la houlette de présidents talentueux et engagés. Tout n'est pas facile, la multiplicité des organisations d'employeurs et des organisations de salariés rendant le travail très complexe. Mais les discussions progressent, les spécificités des différentes professions sont abordées et des solutions contractuelles originales étudiées, de façon à répondre au rythme particulier de l'activité dans le secteur du spectacle. Ces négociations sont capitales pour les conditions concrètes d'exercice de leur activité par les artistes et techniciens, notamment en ce qui concerne les rémunérations, l'accès à l'emploi et les conditions de travail.

Mardi dernier, les présidents des huit commissions mixtes paritaires étaient réunis, à l'initiative du directeur des relations du travail, en présence de membres du cabinet et des services du ministère de la culture et de la communication, pour faire un point de l'avancement de chacune des négociations, identifier les difficultés rencontrées et mettre en commun les solutions envisagées ou trouvées - notamment pour la délimitation du périmètre et des conditions du recours au CDD d'usage ou pour la définition des modalités incitant, lorsque cela est justifié par les conditions de l'activité, à l'allongement de la durée des contrats, en particulier ceux des émissions de télévision.

Ce n'est donc plus à la seule assurance-chômage que les partenaires sociaux du secteur s'en remettent pour organiser l'activité dans le spectacle ou, plus exactement, pour se dispenser d'avoir à l'organiser : c'est dans le cadre de chaque convention collective qu'ils s'y emploient.

Soucieux de tout mettre en œuvre pour que les discussions aboutissent, le ministère de la culture est déterminé à proposer au Premier ministre de retirer le secteur du spectacle du champ du recours au CDD d'usage si, dans les conventions collectives, les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d'accord, avant la fin de l'année 2006, sur les conditions et le périmètre légitimes du recours à ce CDD.

La lutte contre les abus est également très importante, dans l'intérêt même des artistes, des techniciens et de l'ensemble du secteur.

Le plan de lutte contre le travail illégal dans le spectacle se poursuit et commence à produire des effets. Ainsi, en 2005, 5,3 % des entreprises contrôlées dans le spectacle vivant étaient en infraction et même 8,4 % dans le spectacle enregistré. On ne saurait, bien sûr, se satisfaire d'un tel résultat, qui reste sensiblement supérieur à la moyenne des infractions constatées dans l'ensemble des secteurs, mais la baisse est phénoménale puisque, d'après la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI), les trois-quarts des entreprises visitées étaient en infraction à l'automne 2003 !

Les textes législatifs et réglementaires nécessaires à l'effectivité et à l'efficacité des contrôles ont été complétés : le croisement des fichiers des organismes sociaux a été rendu possible, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par les décrets des 7 mai et 8 décembre 2004 et par l'arrêté du 26 avril 2005. Le renforcement des sanctions administratives et financières dans la lutte contre le travail illégal a été prévu par la loi du 2 août 2005 et le décret du 22 février 2006 ; les autorités compétentes (Centre national de la cinématographie, directions régionales des affaires culturelles, Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles vivants) ont la possibilité de refuser toute aide aux structures qui se sont rendues coupables d'infractions en la matière.

Nul n'est à l'abri : une célèbre maison de production a été traduite et condamnée devant le tribunal correctionnel ; une escroquerie aux ASSEDIC a été récemment démantelée dans les milieux des intermittents du spectacle, à Paris et dans le Val-de-Marne ; des concerts organisés avec des artistes étrangers dans des conditions scandaleuses ont fait l'objet d'interventions vigoureuses.

L'effort de l'État et de l'ensemble des services pour mettre fin à l'impunité des abus ne se relâchera pas. Les employeurs du secteur en sont conscients et puisent, dans cette rigueur réaffirmée, une motivation supplémentaire pour se montrer constructifs dans les négociations des conventions collectives.

Avec les dirigeants de France Télévisions, le ministère est déterminé à faire de la limitation du recours à l'intermittence et de l'amélioration des conditions d'emploi des salariés une priorité du contrat d'objectifs et de moyens dont la négociation a commencé, afin d'amplifier et d'accélérer le plan de « permanentisation » des emplois qui a été engagé à la suite du rapport de M. Bernard Gourinchas.

Il est évident que les contrôles ne portent pas sur les expressions artistiques les plus fragiles, telles que le court-métrage ou les musiques actuelles, ni sur les activités en cours d'émergence, mais sur les structures, plus puissantes, qui cherchent à contourner la loi.

C'est dans ce contexte nouveau que prend place la négociation du régime spécifique d'assurance chômage des artistes et techniciens. Cette négociation appartient évidemment aux confédérations interprofessionnelles d'employeurs et de salariés : elles en ont la pleine et entière responsabilité. Le ministre et un grand nombre des députés ont multiplié les efforts et les démarches pour qu'on arrive à une véritable discussion professionnelle et qu'on évite les antagonismes idéologiques, mais c'est bien aux partenaires sociaux qu'incombe la responsabilité de la négociation. C'est peu dire, cependant, que, sous l'autorité personnelle du Premier ministre, le ministère de la culture et celui de l'emploi suivent jour par jour, heure par heure, l'avancement de la négociation.

Les confédérations unanimes ont affirmé, les 16 juin et 11 octobre derniers, en présence notamment du président Jean-Michel Dubernard, leur attachement au maintien d'un régime spécifique d'assurance chômage pour les artistes et techniciens, au sein de la solidarité interprofessionnelle. Si l'on se souvient des débats qui ont entouré le protocole de 2003, du climat de véritable guerre de tranchées dans lequel le ministre a pris ses fonctions, la réaffirmation de ce principe n'allait pas de soi. Aujourd'hui, plus personne, ni dans le monde politique ni au sein des organisations interprofessionnelles, ne remet en cause la nécessité d'un régime spécifique d'assurance-chômage.

Ce résultat est dû en particulier à la mobilisation des députés et au rapport, rédigé par M. Christian Kert, de la mission d'information sur les métiers artistiques créée par la commission, que présidait M. Dominique Paillé et à laquelle participait un certain nombre des membres du comité de suivi, qui a apporté un concours précieux aux travaux d'expertise qui ont permis d'éclairer les négociations qui se sont engagées.

Par rapport au calendrier que le gouvernement avait annoncé, en plein accord avec les partenaires sociaux, il est vrai que les négociations ont démarré avec retard. Il a fallu attendre d'arriver au bout de la négociation sur le régime général d'assurance chômage, qui a été manifestement beaucoup plus difficile et laborieuse que ne l'avaient auguré les confédérations, puisqu'elle n'a pas abouti avant la mi-janvier. Les travaux techniques nécessaires ont été à plusieurs reprises différés, sans doute parce que leur complexité avait été sous-estimée.

Reste que la négociation a eu lieu. Trois séances, sans compter les réunions de novembre et décembre derniers, se sont tenues depuis le 14 février 2006. Une dernière se tiendra le 31 mars. On se souvient que cinq séances avaient été consacrées à la négociation du régime général, qui concernaient plus de 10 millions de Français.

Il faut rappeler que tant qu'aucun accord n'aura été approuvé, les dispositions de 2003 corrigés en 2005 continueront à s'appliquer : l'artiste ou le technicien qui se présente aujourd'hui dans une antenne des ASSEDIC n'est plus dans une situation d'incertitude juridique, ni ne se voit appliquer le protocole de 2003 dans sa brutalité.

II s'agit aujourd'hui d'une vraie négociation professionnelle et les confédérations ont prêté une attention toute particulière aux propositions des partenaires sociaux du secteur. C'est également une grande nouveauté : ceux qui ont suivi le dossier savent qu'il n'était pas évident de recréer les conditions d'une vraie discussion. Les employeurs du spectacle, au sein de leur fédération, la FESAC, se sont mobilisés, ont été reçus et entendus, aussi bien par les confédérations d'employeurs que de salariés. Certaines de leurs propositions font actuellement l'objet d'un examen très attentif de la part des négociateurs.

Un projet de protocole proposé par le MEDEF, dans la nuit du 8 au 9 mars, est aujourd'hui analysé de manière approfondie par les confédérations. Ce projet semble prendre en compte la question essentielle de la saisonnalité et des rythmes d'activité dans le secteur, mais pas sous la forme, à laquelle le ministre, comme beaucoup, s'attendait et qui aurait paru plus réaliste et plus simple, d'une période de référence annuelle. Cette dernière est essentielle, non pas pour compter les semaines, mais parce qu'elle répond au rythme biologique de l'exercice de l'activité.

Compte tenu de la complexité du projet d'accord, cet aspect, comme les autres dispositions, demande à être soigneusement vérifié et expertisé. Il faut en particulier s'assurer de la faisabilité et de la lisibilité des nouvelles dispositions, pour les artistes et techniciens comme pour les agents des ASSEDIC. Certes, ce n'est pas l'objet des négociations actuelles, mais c'est essentiel pour la vie quotidienne des artistes et les techniciens. La manière dont les dossiers sont gérés et l'informatique doivent notablement progresser pour rendre plus facile la constitution des dossiers. On éliminerait ainsi une grande partie des tensions entre les personnes concernées et les agents qui, dans les antennes non spécialisées, craignent de ne pas savoir gérer un sujet aussi complexe.

Avant d'engager leur signature, les confédérations se sont donné trois semaines pour procéder à leurs propres vérifications, avec les services de l'UNEDIC, afin de s'assurer que le nouveau protocole ne produira pas d'effets non désirés qui pénaliseraient les artistes et les techniciens. La séance prévue le 31 mars prochain leur permettra de partager leurs analyses.

Parallèlement, le gouvernement a demandé à M. Jean-Paul Guillot de conduire sa propre expertise, en liaison étroite et en pleine coopération avec les services techniques de l'UNEDIC, pour s'assurer que les dispositions envisagées dans le projet de protocole seront en cohérence avec la politique de l'emploi dans le spectacle et pour proposer les mesures d'accompagnement qui pourraient légitimement compléter l'effort de la solidarité interprofessionnelle, dans un fonds permanent de professionnalisation financé par l'État, dont le Premier ministre a annoncé le principe le 12 décembre dernier.

En effet, en complément d'un régime spécifique d'assurance chômage adapté aux particularités des pratiques d'emploi du secteur du spectacle, le Premier ministre a annoncé que l'État était prêt à prendre sa part de l'effort nécessaire pour soutenir les artistes et techniciens, la solidarité nationale prenant le relais de la solidarité interprofessionnelle.

Le ministère entreprendra cette semaine la consultation des fédérations de salariés du secteur du spectacle pour définir plus précisément avec elles le contenu professionnel et social de ce fonds, en tenant compte de ce que prendrait en charge un accord d'assurance chômage adapté aux spécificités professionnelles du secteur et cohérent avec la politique de l'emploi.

Il ne s'agit pas de reconduire à l'identique le fonds transitoire. Celui-ci a eu son utilité pour trouver une solution à la crise et pour aider les partenaires sociaux à rechercher les dispositions d'un régime d'assurance chômage adaptées aux nécessités d'une politique d'emploi dans le secteur du spectacle. Il s'agit aujourd'hui de compléter la politique de l'emploi dans le secteur, afin de remplir des fonctions essentielles pour les artistes et techniciens. Aussi est-il intéressant de connaître les réactions des membres de la commission aux mesures que le ministre entend proposer aux partenaires sociaux.

Un fonds permanent de professionnalisation serait institué sous la forme d'une structure autonome, avec une gouvernance qui assurerait, sous l'autorité de l'État, la participation des partenaires sociaux du secteur. Sa gestion administrative, technique et financière serait déléguée à l'organisme de retraite du secteur du spectacle, Audiens, par une convention de gestion, en coopération étroite avec l'UNEDIC et les organismes sociaux du spectacle.

Ce fonds pourrait se voir attribuer quatre vocations principales, sans empiéter de quelque façon que ce soit sur le rôle des organismes sociaux et professionnels actuellement en place dans le secteur.

La première serait de repérer les artistes et techniciens en situation de vulnérabilité professionnelle et de leur proposer, sur la base du volontariat, un soutien professionnel adapté. À partir des données recueillies par Audiens, pourraient ainsi être repérés, de manière systématique et exhaustive, les artistes et techniciens qui, dans les cinq dernières années, sont sortis au moins une fois du régime d'assurance chômage, ont eu durablement un volume d'activité voisin du seuil minimum d'affiliation ou perçoivent durablement de faibles revenus de leur activité. Grâce à une coopération étroite avec le réseau ANPE spectacle, le Fonds d'assurance formation des secteurs de la culture, de la communication et des loisirs (AFDAS) et l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), ces personnes, si elles répondent volontairement à l'invitation qui leur sera faite à un entretien, pourront se voir proposer un soutien en terme d'appui professionnel, de formation dans le secteur ou de formation en vue d'une aide à la reconversion. Cette démarche serait renouvelée tous les cinq ans et apporterait ainsi aux artistes et techniciens un suivi personnalisé de leur carrière sur la durée. Ce repérage systématique n'est pas exclusif de démarches individuelles volontaires d'artistes ou de techniciens qui voudraient bénéficier d'un soutien professionnel adapté.

De manière plus spécifique, mais également systématique, un accueil pourrait être prévu pour les femmes enceintes, pour les informer très précisément de tous les droits qui leur sont ouverts, que bien souvent elles ne connaissent pas, et pour les aider à préparer leur reprise d'emploi au terme de leur congé de maternité.

La deuxième vocation du fonds serait l'aide à la pérennisation des emplois. En accompagnement des expérimentations lancées en 2006 dans trois régions - Aquitaine, Bourgogne, Rhône-Alpes - avec le concours de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), et dans la perspective de leur généralisation, le fonds pourrait apporter un soutien financier aux structures en vue de l'aide à la pérennisation des emplois. L'UNEDIC pourrait être sollicitée pour participer à cet effort en signant des conventions d'aides actives à la création d'emplois permanents. La question est posée d'une compensation par l'État, pour une durée limitée, des charges sociales correspondant à ces emplois.

Troisième vocation du fonds : l'aide sociale d'urgence. Pour les artistes et techniciens non couverts par les dispositifs d'action sociale de leur caisse de retraite, le fonds pourrait assurer les aides ponctuelles d'urgence qui permettent de répondre aux situations de grave détresse ou de risque de désocialisation du demandeur et les problèmes qui surviennent lorsque l'activité cesse : impayés de loyer, surendettement, ... Les décisions en la matière devront être prises de manière collégiale et transparente.

Dernière vocation du fonds : l'aide financière, la solidarité nationale prenant le relais de la solidarité interprofessionnelle. Le fonds interviendrait, à ce titre, de deux manières distinctes.

Tout d'abord, en fonction des hypothèses de durée d'indemnisation qui seraient retenues au titre des annexes 8 et 10, il pourrait prendre en charge un soutien financier de la part de l'Etat qui interviendrait lorsque les artistes et techniciens arrivent au terme de leurs droits à indemnisation et qu'ils ne peuvent pas bénéficier de l'allocation spécifique de solidarité.

En second lieu, pour les artistes et techniciens qui ont moins de cinq ans d'ancienneté, le complément pourrait être de l'ordre de 30 € par jour pendant deux mois ; ce complément ne serait attribué qu'une fois en cinq ans. Pour les artistes et techniciens ayant cinq ans d'ancienneté et percevant des revenus inférieurs à un plafond de 2 000 euros par mois - prenant en compte l'ensemble de leurs ressources personnelles, y compris celles qu'ils peuvent tirer de droits d'auteurs  ou de droits voisins - , une aide de 30 euros par jour serait accordée pour une durée de 90 jours, dans la mesure où la durée d'indemnisation serait maintenue à 243 jours. Enfin, pour les artistes et techniciens qui ont dix ans d'ancienneté, cette durée pourrait être portée à 180 jours et les conditions de ressources assouplies.

Le fonds pourrait par ailleurs mettre en œuvre des mesures temporaires pour permettre aux catégories d'artistes les plus fragiles de supporter l'élévation envisagée du seuil d'affiliation à l'assurance chômage, en attendant l'effet des conventions collectives. Cela concernerait notamment les nouveaux entrants, les artistes hors secteur, qui peuvent difficilement faire prendre en compte le paiement des répétitions, les petites compagnies non subventionnées, le secteur du court-métrage,...

Pour l'un comme pour l'autre type d'intervention, les aides financières de l'État devraient être complétées par le soutien professionnel personnalisé déjà évoqué.

À quelques jours de la réunion du 31 mars, le ministre a indiqué qu'il avait tenu à soumettre la représentation nationale les intentions concrètes du gouvernement et a précisé que, sous l'autorité du Premier ministre, il appréciera en temps réel ce qu'il y a lieu de décider en fonction du point d'équilibre trouvé par les partenaires sociaux. Mais il n'est pas question, à ce stade, de revenir à la situation de 2003.

Dans le débat qui vient de s'achever, certains parlementaires ont estimé que parler de rémunération des auteurs n'avait pas de sens si les budgets consacrés à la culture par les ménages, les collectivités territoriales et l'État diminuaient. Parler de la situation des artistes et des techniciens, c'est parler d'emploi, de soutien à l'emploi, de convention collective, de définition de périmètre, d'assurance-chômage et de solidarité spécifique voulue par l'État. Le gouvernement souhaite que l'on reste dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle. Toute autre perspective serait irréaliste et même suicidaire, tout simplement parce qu'il faudrait trouver le financement. Dans cet esprit, il est important de noter que le fonds de professionnalisation ne proviendra pas de l'enveloppe du ministère de la culture mais qu'il sera géré et financé par le ministère de la cohésion sociale.

En conclusion, le ministre a indiqué que, s'il avait été aussi précis dans son propos, qui n'avait pas été communiqué à la presse avant cette réunion, c'est pour montrer combien la négociation du régime spécifique d'assurance chômage des artistes et des techniciens s'inscrit dans une politique d'ensemble de l'emploi dans le spectacle.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le ministre d'être venu faire le point de la situation devant la commission, l'a félicité pour la qualité de son intervention et a salué le courage dont il a fait preuve au cours des longues semaines qui viennent de s'écouler.

M. Étienne Pinte a remercié à son tour le ministre pour son intervention et pour les efforts qu'il déploie depuis de longues semaines pour essayer de sortir de l'impasse la question de l'indemnisation du chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant.

Il était probable que la participation de l'État devrait être pérennisée sous une forme ou une autre, et qui dépendra de l'accord qui sera signé le 31 mars entre les partenaires sociaux, dont on espère qu'il sera satisfaisant même si l'on peut aujourd'hui nourrir des craintes à ce propos. Les propositions des 8 et 9 mars seront jugées à l'aune de la justice du sort fait aux intermittents, en particulier aux plus fragiles d'entre eux.

Depuis trois semaines, d'un seul coup, les partenaires sociaux ne se sont plus adressés aux élus au niveau local mais confédéral, comme si les parlementaires les intéressaient enfin - mais un peu tard. C'est ainsi que le comité de suivi a reçu la CGC, la CFTC et même une demande d'audience de la CFDT, pour laquelle n'a pas encore été possible de trouver de créneau, ce qui s'explique peut-être par le climat social actuel.

On a le sentiment, en particulier depuis que le président de l'Assemblée nationale s'est engagé, au cas où il n'y aurait pas d'accord le 31 mars, à cosigner la proposition de loi des membres du comité de suivi et à faire en sorte qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour, que les organisations syndicales se rendent compte que le dialogue ne se passe pas uniquement entre elles, avec éventuellement l'intervention du gouvernement, mais aussi avec le Parlement. Ce dernier reprend ainsi place dans ce dialogue, ce qu'il a eu beaucoup de mal à faire admettre dans le passé.

On a aussi l'impression que les partenaires sociaux sont en train de juger les avantages et inconvénients des dernières propositions des 8 et 9 mars. Certains, y compris parmi ceux que l'on n'imaginait pas sur cette ligne - comme FO, la CFDT, la CFTC et la CGC - ont déjà dit qu'ils ne signeraient pas l'accord s'ils ne le trouvaient pas satisfaisant.

On ignore naturellement quel accord sera conclu le 31 mars. Ou bien il sera satisfaisant pour les partenaires sociaux, ce qui ne veut pas dire qu'il le sera pour les intermittents et pour le comité de suivi ; ou bien il n'y aura pas d'accord, et il conviendrait que le ministre dise qu'elle serait la position du gouvernement si les signatures obtenues ne permettaient pas l'application des annexes 8 et 10 ; ou encore, ce qui serait miraculeux, on parviendra à un accord qui permettrait à tout le monde de se retrouver sur la position du comité de suivi et de la CGT, c'est-à-dire 507 heures sur 12 mois avec date anniversaire. Mais il ne paraît guère probable que l'on s'engage aujourd'hui sur cette voie.

M. Patrick Bloche a remercié le président de la commission d'avoir organisé cette audition à quelques jours de la date butoir, permettant ainsi aux parlementaires qui suivent ce dossier depuis deux ans et demi à travers le comité de suivi de disposer d'informations précises, ainsi que le ministre, dont il n'a jamais contesté le professionnalisme, pour toutes les informations et les précisions qu'il a apportées. Il a cependant cru voir poindre chez lui quelque insatisfaction sur ce que pourrait être le contenu même de l'accord, notamment sur l'absence d'une période de référence annuelle. La référence à la saisonnalité ne correspond pas aux 507 heures sur 12 mois avec date anniversaire, qui est celle du comité de suivi.

Le ministre avait dit à plusieurs reprises son souci de maintenir le régime d'assurance-chômage des intermittents dans le giron de la solidarité interprofessionnelle. À l'entendre, on a cru comprendre qu'il anticipait les résultats de la réunion du 31 mars : ses propositions relatives au fond de professionnalisation semblent très finalisées, comme si elles préparaient une situation dans laquelle on ne reviendrait certes pas à l'équilibre de 2003, mais où ne seraient pas corrigés tous les inconvénients de ce mauvais accord qui a creusé les inégalités entre les intéressés, favorisant les plus protégés et précarisant les autres. Alors qu'on le justifiait par la volonté de réduire le déficit, on a vu qu'il s'est au contraire amplifié depuis deux ans et demi, ce qui confirme l'échec de ce mauvais protocole.

Tous ceux qui sont ici présents souhaiteraient sans doute que les partenaires sociaux parviennent à un bon accord. Mais il est frappant de constater que la solidarité interprofessionnelle ne sera bientôt plus qu'un slogan puisqu'on va lui substituer une solidarité nationale assurée par le ministère de la culture.

En 2002, à l'initiative de M. Jean Le Garrec, une proposition de loi avait été déposée afin de combler le vide juridique que créait la non-reconduction de la précédente convention par les partenaires sociaux. Dès lors que la solidarité nationale se substituerait à la solidarité interprofessionnelle, ne vaudrait-il pas mieux que la loi intervienne une nouvelle fois, quitte à mécontenter quelques partenaires sociaux ?

M. Michel Herbillon a considéré que le ministre avait eu raison de resituer la question du régime spécifique dans le contexte plus global d'une véritable politique de l'emploi culturel et de l'effort en faveur de l'aboutissement des négociations conventionnelles collectives. Il a eu en particulier raison de faire le bilan des initiatives qui ont été prises, par exemple en faveur de la relocalisation des tournages en France, qui est un élément important pour l'emploi culturel et pour l'attractivité du territoire.

Si le ministre s'apprête à suivre heure par heure les négociations, il serait intéressant de savoir s'il estime qu'il va être possible de surmonter les blocages d'ici le 31 mars afin de parvenir à un point d'équilibre entre les partenaires sociaux.

M. Christian Kert a demandé au ministre s'il sentait une évolution favorable des mentalités des partenaires sociaux ou si l'on en restait, selon lui, aux clivages que chacun déplorait en 2003.

M. Dominique Paillé a remercié le ministre pour la constance avec laquelle il se bat sur ce dossier et pour les informations qu'il est régulièrement venu donner à la commission.

Le comité de suivi a rencontré un certain nombre d'organisations syndicales et il est ressorti de leurs explications que l'accord en discussion était un peu complexe, notamment ce qui concerne le calcul des droits. Or les systèmes simples sont souvent les meilleurs et il serait intéressant de savoir ce que le ministre pense de cette complexité. Le premier rapport confié à Jean-Paul Guillot était remarquable et on peut penser que l'expertise qui lui a été demandée le sera aussi. Il serait donc souhaitable que les membres de la commission en soient destinataires, avant que les partenaires sociaux ne se prononcent le 31 mars, afin de pouvoir se faire une opinion indépendante et sereine sur le nouveau système.

Après avoir indiqué qu'il faudra attendre le jour, non encore venu, où il écrira ses mémoires pour connaître son sentiment sur les mentalités des partenaires sociaux, le ministre a apporté les précisions suivantes en réponse aux intervenants :

- Personne n'a ménagé sa peine pour essayer de créer les conditions d'une négociation professionnelle. De grands progrès ont été accomplis, mais l'idéologie est encore trop présente. L'objectif est de faire comprendre que le secteur culturel n'est pas un secteur marginal et sympathique, mais un pan important de l'activité économique et du rayonnement de la France. Il manque clairement au sein du MEDEF une fédération patronale représentant les industries et le monde culturels. Mais il ne faut pas être injuste : les difficultés à évoluer se retrouvent aussi parfois chez les représentants des salariés. On observe que certains de ceux qui, dans la période actuelle, donnent des leçons, notamment au gouvernement, mettent du temps à évoluer sur ce sujet. Il n'est pas facile de rapprocher les parties et de faire en sorte que la discussion ait lieu.

Ainsi, il y a parfois de grandes occasions manquées, par exemple quand Mme Laurence Parisot est invitée par Mme Christine Ockrent sur le plateau de France Europe express et que M. Serge July, directeur de Libération, qui l'interviewe, ne lui pose pas une seule question sur le sujet en deux heures d'émission. Comment s'étonner que la présidente du MEDEF y ait vu la preuve que, quoi qu'en dise le ministre de la culture, quelque pression qu'il exerce, quoi qu'il fasse pour mobiliser, ce sujet n'intéresse personne ? On peut respecter la liberté de la presse et constater que des gens soi-disant très mobilisés ne mettent pas à profit le moment où ils pourraient agir

- S'il est extrêmement difficile de faire évoluer les partenaires, comme tente de le faire le comité de suivi, le pire a sans doute été évité en décembre. Lors du débat sur le droit d'auteur, le ministre surveillait en même temps, et en temps réel, l'évolution des négociations car il était question d'une reconduction pure et simple du protocole de 2003. Mais on est parvenu à ce qu'il y ait une vraie négociation, qui aboutit aujourd'hui à un équilibre complexe, que chacune des organisations est en train de décrypter. Le ministre fait de même et il est à la disposition des parlementaires pour leur donner les éléments d'information en amont de la négociation du 31 mars, mais il n'en dispose pas encore. Il a été difficile en effet d'obtenir que les services de l'UNEDIC prêtent leur concours pour faire tourner les ordinateurs de M. Jean-Paul Guillot et de son laboratoire.

- Il y a probablement très peu de chances pour que la négociation aboutisse à ce que souhaite la coordination, c'est-à-dire aux 507 heures sur 12 mois avec rendez-vous annuel. Mais il y a eu des avancées, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, les femmes enceintes, les salariés âgés, et les choses devraient encore évoluer en ce qui concerne la prise en compte de la maladie.

- Restent toutefois à régler les trois points fondamentaux que sont la période de référence, la durée d'indemnisation et le seuil d'affiliation.

S'agissant de la période de référence, le ministre essaie par tous les moyens de faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'un dénombrement des heures, mais d'une référence professionnelle liée au rythme d'activité et attache une grande importance à l'annualité, sous une forme ou sous une autre. Il faut aussi que l'accord soit intelligible pour les artistes et les techniciens si l'on veut qu'il soit solide.

S'agissant du seuil d'affiliation, les statistiques montrent que les horaires effectifs vont bien au-delà de 507 heures : 620 heures en moyenne pour les artistes sont sensiblement plus pour les techniciens. À partir du moment où la référence annuelle serait confirmée, les partenaires semblent prêts à la discussion sur le seuil.

Enfin la durée d'indemnisation est aujourd'hui de 243 jours. Le ministre s'est engagé dans cette direction avec le fonds de professionnalisation.

- Le gouvernement s'attend à être en présence d'un accord qui ne sera pas parfait et à être amené à fixer des objectifs opérationnels immédiats en prenant des décisions sur le fonds permanent de professionnalisation. Le ministre fera des propositions au Premier ministre, qui appréciera comment corriger, le cas échéant, l'accord.

- En 2002, on n'avait fait que reconduire par la voie législative le dispositif existant. Aujourd'hui, si l'on décide de légiférer, il ne faudra pas se tromper car le risque serait d'une part de rompre avec le principe même de la solidarité interprofessionnelle, d'autre part que le gouvernement s'entende dire qu'il lui faut supporter lui-même le poids financiers de ses décisions. Tel est le dilemme.

- Un travail important a été accompli et le ministre ne laissera pas la situation déraper comme en 2003. Le plus vraisemblable est donc que l'on soit amené à compléter encore le dispositif pour arriver à un accord lisible et le plus équitable possible. Il faut que chacun mesure le poids de ses responsabilités : si le ministre est là pour « prendre les coups », les partenaires sociaux doivent avoir à cœur de défendre leurs positions sans susciter des dérives poujadistes toujours possibles quand sont évoqués les artistes et les techniciens. C'est une facilité coupable que de montrer du doigt leur situation au motif qu'elle est largement, et légitimement, dérogatoire ; les propos que tiennent certains patrons de confédération sont parfois choquants.

- Il faut parvenir à un système opérationnel, et peu importe que cela prenne quelques semaines de plus : le fonds provisoire sera prorogé jusque-là. Mais le ministre ne laissera pas déraper la situation et il est donc vraisemblable que le gouvernement fera des propositions très rapidement, peut-être dès le week-end qui suivra le 31 mars, afin d'éviter un retour à la paralysie.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le ministre pour cette communication riche de sens et de contenu.


© Assemblée nationale