COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 27 novembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe


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Audition de M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe

Le Président Edouard Balladur a souhaité la bienvenue au Président Valéry Giscard d'Estaing, ajoutant que la Commission l'écouterait avec le plus grand intérêt pour bien des raisons, dont trois. La première réside dans la difficulté des problèmes posés à la Convention, la plaçant dans la dialectique de l'impossible et de l'indispensable. La deuxième est liée au calendrier européen extraordinairement compliqué qui s'annonce pour les années 2003 et 2004, si l'on considère l'enchevêtrement des échéances relatives à l'élargissement et à la réforme des institutions, ce qui laisse d'ailleurs penser que ce calendrier ne sera sans doute pas rigoureusement respecté. La troisième réside dans le processus de décision qui est celui de la Convention : son Président doit à la fois tenir compte des souhaits de vingt-huit Etats membres ou candidats et progresser vers des solutions. En cela, il se trouve cette fois dans le balancement entre l'unanimité et la majorité, comme dans la plupart des débats européens au cours des dernières années.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a admis qu'en effet la tâche apparaissait de prime abord techniquement impossible, puisqu'elle consiste à concilier les positions de quinze Etats membres, treize Etats candidats, un ensemble qui réunit des grands pays, des petits, dont l'antériorité dans l'Union, comme le niveau de développement économique et social, sont très différents. Pourtant, l'opinion publique européenne, dans sa majorité, souhaite une organisation, et 60% des Européens souhaitent une constitution. Le nécessaire doit donc l'emporter sur l'impossible.

Le calendrier sera effectivement très chargé, car les Quinze ont fixé la date butoir de l'élection du Parlement européen au printemps 2004. Les vingt-cinq Etats membres y participeront sur la base de la future constitution. Cela suppose que la vague de ratification des adhésions à l'Union soit achevée, ainsi que les procédures de ratification de la nouvelle constitution, chez les Quinze et chez les Dix. Chez ces derniers, il y aura même une double ratification : celle du Traité de Nice et celle du nouveau traité.

Concilier la position de tous les Etats représentés à la Convention est impossible si l'on subit la contrainte de l'unanimité, qui a souvent bloqué les conférences intergouvernementales dans le passé. De façon générale le principe même du vote au sein de la Convention, constituée de plusieurs catégories de nature différente de représentants, n'a pas véritablement de sens. Aussi le Président a-t-il indiqué que dès le départ la Convention avait délibérément choisi de retenir le principe du consensus qui confère à la Convention son originalité. Cette méthode conduit à faire ressortir des débats les points ou principes autour desquels s'accordent une majorité de représentants ou le plus grand nombre d'entre eux. Ce processus permet de progresser comme l'a montré l'accord qui a pu être obtenu sur le nouveau mécanisme de contrôle de la subsidiarité, lequel aurait été refusé à l'unanimité mais figurera dans les propositions de la Convention, car il reflète l'accord de la majorité.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a ensuite dressé le bilan des travaux de la Convention.

La première phase, la phase d'écoute, s'est achevée à l'été 2002. Elle a permis aux conventionnels de nouer des liens personnels entre eux et d'écouter la société civile, ce qui a eu lieu sous la forme d'auditions. Cette phase a permis de constater le besoin d'entreprendre une action en profondeur et de laisser aux esprits le temps de réfléchir et d'évoluer, ce qui aboutit aujourd'hui à l'acceptation de la perspective d'une constitution, alors que ce mot même avait suscité au début de l'année 2002 des réactions très négatives. Or, si le texte final sera juridiquement un traité, sa substance sera cependant constitutionnelle.

La deuxième phase d'étude a commencé en automne. Onze groupes de travail ont été créés pour éviter un travail trop concentré au sein du præsidium et du secrétariat. Composés sur la base du volontariat, ils préparent la réflexion et éventuellement élaborent des propositions, leurs travaux sont ensuite validés par la Convention. Certains groupes ont déjà transmis leur contribution à la Convention, et l'ensemble des groupes aura achevé ses travaux fin janvier 2003.

La demande d'un schéma de ce que pourrait être le futur texte s'étant exprimée avec force, un avant-projet de traité constitutionnel a été présenté en octobre, qui a reçu un accueil favorable tant par la Convention que par la presse écrite.

Les conclusions des groupes de travail sur la subsidiarité, la personnalité juridique, la Charte, la gouvernance économique et les compétences complémentaires ont d'ores et déjà été remises, celles des groupes consacrés à la justice et à la sécurité ainsi qu'à la simplification devraient l'être prochainement, avant celles consacrées à l'Europe sociale, à la politique extérieure et à la défense commune.

L'Union dans son ensemble n'a jusqu'à présent pas de personnalité juridique unique puisque le Traité de Rome a conféré une personnalité juridique aux Communautés, tandis que le Traité de Maastricht n'a pas donné une personnalité juridique, du moins pas totalement affirmée, à cet autre ensemble institutionnel qu'est l'Union européenne. Ce double ensemble, source de complexité et de confusion, appelle une simplification, mais cet exercice a échoué jusqu'à présent.

Le groupe de travail consacré à cette question a proposé de créer une personnalité juridique unique, que l'on devra nommer, et qui permettra la fusion des traités et leur réécriture complète. Le dispositif actuel de 1045 pages doit être repris, et, sur environ 400 articles existants, la moitié peut être conservée. Quant à l'autre moitié, ses deux tiers doivent être amendés ou améliorés, et le tiers restant (environ 75 articles) nécessite d'être complètement réécrit. Ce traité unique sera perçu par les opinions comme l'acte véritablement constituant de l'Union européenne. L'adoption de cette constitution soulève toutefois une importante question. L'abrogation des anciens traités ne peut intervenir qu'à l'unanimité des Etats membres, mais la nouvelle constitution peut ne pas être ratifiée par tous : qu'adviendrait-il si certains Etats ne ratifiaient pas le nouveau texte ?

Le groupe de travail consacré à la subsidiarité a conclu à la nécessité d'une plus grande participation des Parlements nationaux dans le processus de décision européen. Le projet de la Convention proposera notamment de les impliquer dans le contrôle de la subsidiarité, qui reste aujourd'hui assez inopérant. Les Parlements nationaux pourraient mettre en œuvre un mécanisme d'alerte précoce en vertu duquel la Commission transmettrait ses propositions à tous les Parlements nationaux qui disposeraient de six semaines pour, après un débat et un vote, décider si celles-ci sont contraires au principe de subsidiarité. La Commission devrait justifier sa position dès lors que des Parlements nationaux constateraient un manquement au principe de subsidiarité. En outre, si un nombre significatif de Parlements nationaux - l'hypothèse de travail actuelle est d'un tiers - estime que la proposition de la Commission est contraire au principe de subsidiarité, cette proposition pourra être retirée, modifiée ou maintenue. Les Parlements nationaux se verront par ailleurs reconnaître le droit de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à la fin du processus décisionnel, afin de faire constater d'éventuels manquements au principe de subsidiarité. Cette faculté nouvelle est à certains égards comparables à celle reconnue aux parlementaires français vis à vis du Conseil constitutionnel. Il convient également d'améliorer les procédures d'information des Parlements nationaux sur l'ensemble des propositions d'actes communautaires en s'inspirant des dispositifs les plus performants existant au sein des pays membres de l'Union.

Plusieurs conventionnels, et notamment les Français, ont défendu l'idée d'un Congrès des peuples d'Europe, qui réunirait à la fois des parlementaires nationaux et des parlementaires européens. Cette proposition mérite une réflexion approfondie, car en effet il serait difficilement concevable que l'Europe future soit privée d'un lieu de rencontre des principaux acteurs politiques des différents pays d'Europe. Il faudra définir la périodicité de ces réunions, qui ne peuvent être trop fréquentes, et leur utilité. Ce pourrait être l'enceinte du compte rendu sur l'état de l'Union, qui intéresse aussi les parlementaires nationaux, effectué par le futur Président du Conseil et par celui de la Commission. Le Congrès pourrait également débattre ou être informé de grands sujets : les modifications de la répartition des compétences ou l'ouverture de nouvelles négociations d'élargissement de l'Union, par exemple. Par ailleurs, certaines désignations de hautes personnalités nécessitent une enceinte plus large que celle du Parlement européen. Si celui-ci peut désigner le Président de la Commission, il serait, en revanche, préférable que le Président du Conseil, qui représente les Etats, soit élu par le Congrès.

Le groupe de travail sur la simplification des procédures et des instruments est celui qui a rassemblé le moins de volontaires au sein de la Convention, alors que cette question est celle qui intéresse le plus le Président Giscard d'Estaing, notamment en tant qu'élu local. Le système européen est fait de strates successives et sa simplification est nécessaire. A l'heure actuelle, si l'on est optimiste, on dénombre au moins quinze procédures de décision, et trente si l'on est pessimiste.

Le nombre des procédures de décision pourrait être limité à cinq, en recourant à la codécision avec le Parlement. Ce principe serait généralisé pour tous les actes législatifs, qui seraient adoptés à la majorité qualifiée par le Conseil. Ce serait l'aboutissement d'un processus en cours depuis longtemps. Pour les mesures d'application et les décisions particulières, subsisteraient une ou deux autres procédures.

La législation européenne comprendrait trois étages : une partie législative, des textes d'application européens et nationaux, et des décisions particulières. A chacun d'entre eux, correspondraient trois groupes d'instruments et cinq types d'instruments et de procédures correspondants.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a émis le vœu que la Convention s'investisse davantage sur cette question des simplifications, et s'est félicité qu'un groupe d'étudiants européens en sciences politiques se soient portés volontaires pour étudier le vocabulaire juridique européen (directives, avis conformes) afin de le rendre plus explicite en employant la terminologie classique comme : loi, loi-cadre, décision européenne, par exemple.

La question de la gouvernance économique de l'Union a donné lieu à des positions divergentes entre ceux qui voient dans l'Union principalement une économie de marché et ceux qui la considèrent comme un ensemble doté d'une certaine cohérence. Cependant, chacun s'est accordé sur le fait que la compétence monétaire est une compétence exclusive de l'Union, et donc exercée sur le mode fédéral, en même temps qu'accord unanime s'est exprimé pour laisser la politique économique dans les compétences nationales, de même que la compétence sociale. Sur la question de la coordination des politiques économiques et celle des politiques sociales, un consensus s'est dégagé pour aller plus loin dans cette coordination.

Tout d'abord, la zone euro doit faire l'objet d'une coordination particulière au sein d'une instance à définir. Il semble que la solution d'un Conseil des ministres des finances de la zone euro, à l'intérieur du Conseil Ecofin serait préférée à la solution de la coopération renforcée.

La surveillance des grandes orientations de la politique économique (GOPE), doit être améliorée. La Convention est favorable au pacte de stabilité, même s'il peut faire l'objet d'aménagements, mais se demande comment obtenir son respect. Actuellement, un consensus apparaît sur le fait que les premiers avertissements contre les écarts pourraient être donnés par la Commission elle-même, sans saisine du Conseil. La sanction émanerait ensuite du Conseil.

S'agissant de l'Europe sociale, le Président a estimé qu'il fallait faire preuve de réalisme et de sagesse. Il a souligné le fait que personne n'avait proposé de transférer de nouvelles compétences à l'Union. En même temps, comme il est admis que certains progrès doivent être accomplis ensemble, la Convention recherche quel serait le meilleur dispositif de soutien et d'incitation, qui pourrait s'inspirer des grandes orientations existantes en matière économique.

Abordant ensuite la question de la fiscalité, il a rappelé qu'en dépit de nombreuses propositions, le Conseil européen n'avait jamais pu aboutir à une décision en raison de la règle de l'unanimité qui a conduit à des blocages que le système du consensus a le grand mérite d'éviter. Ainsi par consensus, il est proposé de distinguer entre la fiscalité résultant du pacte politique national répartissant les charges entre les citoyens, qui resterait de la compétence des Etats, et la fiscalité pouvant affecter la compétitivité et la concurrence dans un système de marché unique et qui pourrait être de la compétence de l'Union. Pour cette dernière, l'Union pourrait prendre des décisions à la majorité qualifiée fixant des fourchettes de taux ou des maximums d'imposition. Dans ce domaine très sensible, la méthode a permis de contourner les obstacles.

Evoquant le calendrier des travaux, le Président Valéry Giscard d'Estaing a indiqué que les rapports sur l'action extérieure et la défense seraient remis fin décembre à la Convention. Ces questions très importantes doivent être revues par la Convention elle-même, car beaucoup d'entre elles ont un lien avec le système institutionnel de l'Union. Quant à la réforme institutionnelle, qui fait les délices de chacun, il a souhaité que la réflexion préalable porte sur le bon fonctionnement des institutions. La réforme institutionnelle a toujours suivi les élargissements ; actuellement, les élargissements ont de l'avance sur la réforme institutionnelle, c'est pourquoi les institutions ne fonctionnent pas bien.

Le Conseil européen créé en 1975 comptait 18 membres. Après l'élargissement, il passera à 52, puis 56 membres. Sera-t-il un outil de délibération et d'impulsion efficace ? Cela mérite réflexion. Auparavant, la Commission représentait un équilibre dans lequel les pays les plus peuplés avaient au moins autant, si ce n'est plus, de représentants que les Etats les moins peuplés. Au fur et à mesure des élargissements, il y a eu successivement : 8 commissaires représentant les Etats les plus peuplés, et 5 représentant les moins peuplés, puis 10 commissaires pour les plus peuplés, et 10 pour les moins peuplés. Après le Traité de Nice, il y aura 6 commissaires représentant les Etats les plus peuplés et 19 représentant les Etats les moins peuplés. En l'absence de réflexion, nous connaîtrons des problèmes très sérieux. Si la Commission doit garder l'initiative des propositions, il lui faut être perçue comme représentant de façon satisfaisante de ce que peut être le bien commun européen.

Ensuite, sera abordé avec prudence le sujet de la modification des compétences des institutions car il ne faut pas paralyser le système, ni le déséquilibrer.

En conclusion, le Président Giscard d'Estaing s'est félicité du travail dense et intense accompli par la Convention, en liaison étroite avec les parlements. A cet égard, il s'est engagé à revenir devant la Commission des Affaires étrangères avant la fin des travaux de la Convention.

Mme Elisabeth Guigou a émis la crainte que le contrôle de subsidiarité proposé par la Convention, et qui semble devoir évoluer vers un contrôle juridictionnel in fine, ne risque de figer la définition de la subsidiarité qui est un concept de nature politique et donc évolutif.

S'agissant de la création d'un Congrès, elle a jugé qu'il était indispensable de prévoir un lieu de rencontre entre les parlementaires nationaux et les parlementaires européens tout en redoutant que l'octroi d'un pouvoir de décision à celui-ci ne complique encore le fonctionnement des institutions.

Par ailleurs, elle a souhaité savoir s'il était envisagé de modifier le contenu de la Charte européenne des droits fondamentaux. Dans la négative, elle a demandé si certaines disciplines pourraient être introduites dans le traité qui s'imposeraient aux Etats membres, citant l'exemple du principe d'un salaire minimum ou du droit de grève.

Enfin, elle a interrogé M. Valéry Giscard d'Estaing sur la place des coopérations renforcées dans la future Europe à vingt-cinq, et comment celles-ci pourraient être constituées sans froisser les susceptibilités de ceux qui n'en feraient pas partie.

M. Pierre Lequiller a souligné que la Convention était parvenue à de nombreuses avancées en utilisant la méthode du consensus, l'une d'entre elles étant sans conteste une meilleure lisibilité pour le citoyen. S'agissant de l'idée d'un Congrès européen, qui progresse moins rapidement, il s'est demandé si la meilleure solution ne consisterait pas à proposer la prorogation de la Convention.

Abordant la question de la répartition des compétences, il s'est interrogé sur la façon dont pourraient être conciliés deux facteurs qui sont, d'une part, la nécessité de définir des compétences pour pouvoir exercer la subsidiarité et, d'autre part, la nécessité que celles-ci soient évolutives.

M. François Loncle a, d'une part, observé que la méthode du consensus avait déjà été celle adoptée par la convention chargée d'élaborer la Charte européenne des droits fondamentaux et demandé si celle-ci constituerait le préambule de la future constitution, en l'état ou après avoir subi d'éventuelles modifications.

D'autre part, il s'est étonné de la façon dont le Président Valéry Giscard d'Estaing avait lancé un débat sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne et lui a demandé pourquoi, en la refusant, il s'était placé dans une position en contradiction avec les engagements que les Quinze avaient pris à Helsinki.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a estimé qu'il n'y avait pas vraiment d'alternative à un contrôle juridictionnel du respect du principe de subsidiarité. Il est souhaitable que des instances politiques mettent en œuvre un tel contrôle, mais il faut bien, en définitive, qu'une instance juridique se prononce sur le respect du principe de subsidiarité : un tel système existe dans toutes les grandes démocraties, et notamment en France avec le Conseil constitutionnel. Le seul contrôle politique serait arbitraire. La voie qui se dessine est celle de l'inscription du principe de subsidiarité dans la future Constitution, avec, pour son respect, un débat au niveau politique, faisant intervenir les Parlements nationaux, sur d'éventuelles infractions, et, en fin de compte, une autorité juridictionnelle qui dira la conformité ou non d'une décision aux textes.

En ce qui concerne un éventuel Congrès, il est habituel de voir les institutions existantes critiquer l'émergence de nouvelles institutions. Pourtant Jean Monnet disait souvent que les progrès de l'Europe passeraient aussi par les institutions. En outre, il est assez étrange que dans une Communauté de 450 millions d'habitants, où la politique continuera encore longtemps de se faire dans les Parlements nationaux, les membres de ces derniers ne se rencontrent jamais.

Un tel Congrès pourrait se réunir selon une périodicité assez espacée, par exemple une fois par an. Il faudrait qu'il soit composé de façon plus représentative que la Convention, et que les chefs des grands partis y participent. Il n'aurait pas de compétence législative mais serait un lieu de débat sur des thèmes qui intéressent autant l'Union que les Etats-membres, comme l'élargissement ou les questions de répartition de compétences. Enfin, le discours du Président de la Commission européenne sur l'état de l'Union serait prononcé devant le Congrès, et non plus devant le Parlement européen. Bien que ce dernier soit probablement l'institution européenne qui fonctionne le mieux, le débat sur l'Etat de l'Union qui s'y déroule a aujourd'hui peu de retombées médiatiques.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a indiqué que la Charte sur les droits fondamentaux serait intégrée dans la constitution selon des modalités qui restent à déterminer, notamment en ce qui concerne son préambule. En effet, toute constitution a un préambule, ainsi se rajouterait-il à celui de la Charte. En tout état de cause, il n'est pas question de modifier la Charte, fruit d'un équilibre complexe, et il faut lui donner une force constitutionnelle, en prévoyant notamment selon quels moyens il est possible de l'invoquer au cours d'une procédure juridictionnelle.

Dans le domaine social, la Charte prévoit d'ores et déjà la reconnaissance du droit de grève et de nombreux droits sociaux, mais faut-il y ajouter des mesures qui relèvent davantage de la politique sociale ? En fait, la Charte ne doit ni imposer, ni empêcher de telles mesures, elle doit délimiter des règles générales mais pas des normes chiffrées entre des pays qui ont des niveaux de richesse très différents.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a dit ne pas croire au concept « d'avant-garde » qui est insultant pour les membres de « l'arrière-garde ». Dans un système à vingt-cinq, on ne peut décider qui seront les bons et les mauvais. Cette méthode n'est pas la meilleure, il faut lui préférer celle utilisée pour l'Union monétaire : à savoir un traité commun qui s'applique à tous, mais comprenant des clauses d'exception faciles à mettre en œuvre. Cette démarche pourrait être utilisée dans le cas de la politique de défense.

Il a admis qu'une meilleure lisibilité pour le citoyen était indispensable, ce que devrait favoriser certaines propositions probables de la Convention comme la stabilité de la présidence du Conseil, le nouveau mode de désignation du président de la Commission ou la désignation d'un « ministre des Affaires étrangères » de l'Union. Pour autant, le système européen reposera encore très longtemps, sinon toujours, à la fois sur la permanence des Etats et sur la nécessaire Union des peuples, d'où un système avec une double légitimité. Il faut donc se méfier d'architectures trop artificielles, qui peuvent être intellectuellement satisfaisantes, mais qui ne seraient pas adaptées aux spécificités de l'équilibre des pouvoirs au sein de l'Union européenne. Une capacité d'amortissement des crises doit exister.

Sur la question de l'évolution des compétences de l'Union, le mouvement continu d'extension de celles-ci semble aujourd'hui achevé. D'ailleurs, le Président de la Convention sur l'avenir de l'Europe a été surpris de constater que les conventionnels ne proposaient pas de nouvelle évolution dans ce domaine. Il convient cependant de prévoir l'adaptabilité du système, compatible avec sa stabilité et évitant les dérives que nous avons connues.

Il a ensuite rappelé qu'il n'avait pas lui-même cherché à lancer le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Recevant des journalistes comme il le fait régulièrement, il a répondu à une question de l'un d'eux sur ce sujet, parmi de nombreux thèmes abordés. Il a indiqué tout d'abord que l'élargissement en cours n'étant pas achevé, il lui semblait prématuré de lancer le débat sur d'éventuels futurs élargissements : cela fait déjà de nombreuses années que le thème de l'élargissement l'emporte systématiquement face à celui de l'approfondissement, ce qui déséquilibre la construction européenne.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a ensuite estimé que l'Europe devrait un jour s'interroger sur l'élargissement de l'Union européenne au-delà des frontières géographiques de l'Europe : il suffit d'ouvrir un dictionnaire pour constater que l'Asie mineure ce n'est pas l'Europe. Cette question se posera d'ailleurs aussi pour la Russie, l'Ukraine, voire les pays du Maghreb qui ont des liens historiques forts avec l'Europe.

Enfin, il a fait remarquer que si tous les candidats avaient vocation à devenir membres, comment se fait-il que la Turquie n'ait pas encore rejoint l'Union européenne ? Contrairement aux pays d'Europe centrale et orientale qui ont été empêchés de participer aux débuts de la construction européenne, la Turquie n'était pas empêchée par des raisons géopolitiques, pourtant sa candidature n'a pas été retenue. La Commission n'a d'ailleurs pas proposé d'ouvrir les négociations d'adhésion. La décision appartiendra de toute façon au Conseil européen, et non à la Convention.

M. Alain Juppé a tout d'abord demandé sur quelle base se fonderait la procédure de contrôle de la subsidiarité.

Puis il a souhaité savoir si la Convention réfléchissait à une présidence de l'Union européenne commune au Conseil et à la Commission et il a demandé s'il était envisagé un statut particulier pour les pays très proches de l'Union européenne, comme la Turquie par exemple.

M. Jacques Myard a estimé que l'exposé de M. Valéry Giscard d'Estaing se situait entre l'impossible et le nécessaire, notant qu'aujourd'hui l'Europe était le résultat d'un aboutissement par strates où en définitive le quantitatif posait un problème qualitatif. Il a souhaité savoir quelles compétences devaient redescendre au niveau des Etats dans la nouvelle organisation.

M. François Guillaume a souligné qu'avec la désignation d'un ministre européen des Affaires étrangères pour la première fois une fonction de nature régalienne serait exercée par une seule personne ; jusqu'ici il s'agissait d'un collège constitué par le Conseil des ministres. A cet égard, il a souhaité savoir comment pourrait s'exercer cette fonction, supposant qu'il faudrait recourir à la méthode de la coopération renforcée, c'est-à-dire à une procédure intergouvernementale avec une évolution vers le recours au vote à la majorité qualifiée, ce qui pose la question du cas irakien où, avec une telle procédure, l'on aurait nécessairement abouti à un alignement sur la position américaine.

M. Hervé de Charette s'est enquis du concept de double nationalité et d'une définition de la citoyenne européenne.

Puis il a noté que la coopération renforcée n'avait pas fonctionné puisqu'elle s'était dans les faits transformée en une procédure destinée à empêcher certains d'aller plus loin et demandé si la Convention réfléchissait à une nouvelle méthode en la matière.

Le Président Edouard Balladur a également de son côté demandé des précisions sur le contenu de la notion de citoyenneté européenne.

Il s'est aussi intéressé au mode de désignation de la future présidence de l'Union européenne.

S'agissant des avant-gardes, il a estimé qu'il existait aujourd'hui en Europe, de fait, une sorte d'avant-garde dans la mesure où certains pays comme l'Allemagne, la France, l'Italie, le Benelux et l'Espagne participent à toutes les politiques européennes, commerciale, monétaire, de sécurité. C'est pourquoi il a souhaité savoir si l'on pouvait ou si l'on devait envisager une forme de coordination entre les pays qui avancent au même pas et dans la même direction.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a remercié les intervenants pour leurs questions et leurs réactions, très utiles puisque la convention est toujours dans sa phase de délibération.

Il a souligné que le principe de subsidiarité ne se réfère pas à la compétence de l'institution qui présente un projet mais renvoie à un problème d'application. Il permet de répondre à la question : l'action proposée relève t-elle de celui qui l'initie ? Le problème de la subsidiarité se pose dans les domaines où l'Europe n'a pas de compétence ou bien lorsqu'elle a une compétence partagée avec celle des Etats, des régions ou d'autres niveaux d'administration. Le texte futur comportera des listes de compétences : le Président a appelé les représentants français à la Convention à participer activement à ce travail important qu'est la définition de ces listes de compétences. Mais le contrôle de la subsidiarité est une autre question, dans laquelle interviennent une appréciation politique et une appréciation juridictionnelle, cette dernière ne pouvant qu'être fondée sur les traités.

La question des présidences de la Commission et de l'Union est complexe. Il est difficile de décider le meilleur moyen de désigner ou d'élire le Président de la Commission européenne dans une Europe de 450 millions d'habitants. La confirmation de cette désignation par un vote du Parlement européen serait un élément positif.

Chacun est conscient de la nécessité de mettre fin à la rotation des présidences de l'Union, d'autant plus que dans une Europe à vingt-cinq membres, on ne peut espérer aucune continuité et l'on assisterait à l'affichage successif de priorités différentes. L'Union disposant déjà de deux institutions stables, la Commission et le Parlement, le Conseil pourrait également connaître cette stabilité. A ce stade, différents modèles - américain, français...- sont évoqués. Confier la présidence de la Commission et du Conseil à la même personne serait franchement impossible, car aboutirait à une concentration excessive des pouvoirs : le président de la Commission, organe indépendant, ne peut à la fois présenter des propositions et prendre les décisions en tant que président du Conseil.

Le schéma de traité actuellement en cours de discussion mentionne dans son article 42 la définition de relations privilégiées entre l'Union et les Etats voisins. Ce dispositif s'appliquera à la Turquie, mais aussi à la Russie ou aux pays d'Afrique du Nord. Il permettra ainsi de sortir de l'alternative trop rigoureuse entre l'adhésion et l'exclusion.

S'agissant des transferts de compétences de l'Union vers les Etats, on ne voit pas très bien lesquelles pourraient faire l'objet d'un tel transfert. Il est possible que certaines compétences actuellement partagées entre l'Union et les Etats, soient mieux exercées au niveau des Etats, mais dans certaines matières le constat inverse peut être dressé.

S'agissant des réformes envisagées en matière de politique extérieure, il n'est pas exact de considérer qu'il s'agisse du premier domaine régalien transféré à l'Union, puisque la politique monétaire a déjà fait l'objet d'un tel transfert. Le Traité d'Amsterdam a, par ailleurs, donné à l'Union européenne une compétence en matière de politique extérieure et de défense commune. Il convient toutefois d'améliorer ce dispositif en confiant au Conseil le soin de définir la politique de l'Union en la matière. Il n'est en effet pas souhaitable de communautariser ce domaine en en confiant la charge à la Commission et au Parlement européen, car il relève d'une logique intergouvernementale. Le futur représentant de l'Union devrait ainsi recevoir un mandat, qui pourrait d'ailleurs être défini à la majorité qualifiée, afin d'éviter les risques de blocage inhérents à la règle de l'unanimité.

Le Président Valéry Giscard d'Estaing a rappelé que le concept de double citoyenneté, idée lancée par les Espagnols, n'est pas entièrement nouveau. La citoyenneté ne doit pas être confondue avec la nationalité, il s'agit d'une appartenance commune à un même ensemble, conférant des droits et des devoirs. Parmi les droits, on peut inclure la libre circulation, le libre établissement, la droit à accéder à une formation dans n'importe quel pays de l'Union, mais aussi des droits civiques comme le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants européens aux élections locales et européennes. L'existence d'une citoyenneté européenne semble effrayer certains qui craignent qu'elle ne se développe au détriment de leur identité nationale, pourtant elle n'apporte pas une perte mais un « plus », une ouverture à laquelle les jeunes générations sont particulièrement sensibles.

Sur la question des coopérations renforcées et du statut à donner aux pays qui participent à l'ensemble de celles-ci, il a redit sa préférence pour un cadre commun à tous les Etats. Dans la période récente, il est vrai que, sur certains thèmes, des pays ont choisi d'aller plus vite que d'autres, ce qui ne signifie pas que ceux-ci ne vont pas finir pas rallier les autres, comme le montrent les interrogations suédoises et britanniques quant à une éventuelle adoption de l'Euro. Au contraire, le système des coopérations renforcées pourrait institutionnaliser une Europe à deux vitesses, alors qu'un système fondé sur un cadre commun assorti de dérogations permet des évolutions ultérieures.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Président Valéry Giscard d'Estaing de son intervention qui a vivement intéressé les députés. Il a émis le vœu de le réinviter à s'exprimer devant la Commission à la fin du printemps prochain pour qu'il fasse part à ses membres de l'avancée des travaux de la Convention.

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