COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 15 janvier 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pascal Lamy, Commissaire européen chargé du commerce extérieur


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Audition de M. Pascal Lamy, Commissaire européen chargé du commerce extérieur

Le Président Edouard Balladur a accueilli M. Pascal Lamy, Commissaire européen chargé du commerce extérieur, indiquant que l'intervention de celui-ci permettrait de faire le point sur les négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Ces négociations, ouvertes lors de la Conférence de Doha en novembre 2001, doivent s'achever au 1er janvier 2005. L'Union européenne, puisqu'elle est le premier exportateur et premier importateur mondial et parce qu'elle constitue également un grand marché, est l'un des acteurs essentiels de ce cycle de négociations multilatérales.

Les débats qui se déroulent à la Convention constituent un deuxième thème d'actualité pour la politique commerciale de l'Union. M. Pascal Lamy pourra éventuellement faire part à la Commission des Affaires étrangères de ses réflexions sur la nécessité de faire évoluer ou non les instruments institutionnels de la politique commerciale de l'Union.

M. Pascal Lamy a indiqué que les deux thèmes d'actualité qu'il allait aborder devant la Commission des Affaires étrangères concernaient la politique commerciale de l'Union et les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui s'accélèrent actuellement.

La politique commerciale est unanimement considérée comme l'une des politiques de l'Union qui fonctionne le mieux, parce que l'Union a réussi à réunir deux ingrédients : un accord politique des Etats membres sur le concept et le contenu d'une telle politique ; un dispositif institutionnel efficace qui permet le débat, le contrôle et la mise en œuvre des décisions. La doctrine de l'Union pourrait être résumée ainsi : promouvoir l'ouverture régulée des échanges, qui correspond à notre intérêt économique. L'Union européenne est un marché ouvert et il s'agit d'un jeu « gagnant-gagnant » pourvu que certaines règles s'appliquent. Cela signifie conduire une libéralisation qui prend en compte des valeurs et des choix politiques, ainsi que des considérations sociales, sanitaires, environnementales, ou de préservation de la diversité culturelle. S'y ajoute l'attention portée aux problèmes du développement, tropisme européen qui nous est propre pour des considérations tant historiques que politiques. Tout cela suppose un dosage délicat entre intérêts et valeurs et donne lieu à débat au sein du Conseil, du Parlement européen, dans les milieux syndicaux, industriels et avec la société civile.

La politique commerciale de l'Union a aujourd'hui comme point central les négociations multilatérales sur le programme vaste établi à Doha : la négociation entre 144 Etats membres de l'OMC, portant sur 20 à 30 sujets sur lesquels la décision doit être prise par consensus, est de ce fait inévitablement lente et compliquée mais elle avance néanmoins.

Deux grands domaines sont concernés : le premier est l'ouverture, par le biais de réductions tarifaires, des marchés de services et des marchés agricoles ; le second consiste en un volet de normes - relation entre les dispositifs commerciaux et les accords multilatéraux sur l'environnement, en matière d'investissement, de concurrence, de procédures douanières, d'instruments de défense commerciale. L'objectif est d'arriver à un équilibre entre ouverture et régulation.

Un autre objectif apparaît important : celui de la meilleure insertion des pays en développement dans l'économie internationale, car ces pays ont bénéficié de façon très inégale de l'ouverture jusqu'à présent. Des compromis sous forme de règles devront être trouvés dans des domaines essentiels tels celui de l'accès aux médicaments.

Deux sujets sont particulièrement sensibles en France : l'agriculture et les services publics.

La position européenne est que l'agriculture ne peut pas être traitée comme une activité banale, et qu'elle ne peut être intégrée dans la division internationale du travail que de façon spécifique, du fait de son caractère particulier. L'agriculture produit non seulement des biens mais aussi des services en matière d'environnement, de conservation des paysages, de sécurité et de qualité alimentaires, dont certains ne circulent pas et ne sont pas rémunérés par les marchés. L'Europe tient à soutenir cette activité spécifique mais doit trouver des règles acceptables pour le reste du monde. L'Union n'acceptera d'ailleurs de négocier les disciplines qu'elle s'imposera vis-à-vis des pays tiers que lorsqu'elle aura redéfini en interne des règles de gestion de la politique agricole commune, ce qu'elle doit faire dans un futur proche.

Le débat sur les services publics fait l'objet de préoccupations légitimes, comme en témoigne la proposition de résolution de M. Jean-Claude Lefort, actuellement débattue en Commission des Affaires économiques, mais il est toutefois obscurci par une série d'erreurs factuelles qui appellent des précisions.

L'Union européenne a beaucoup à gagner aux négociations sur le commerce des services dans le cycle de Doha : les services représentent plus de 60 % du PIB de l'Union européenne. Ils sont de très loin le premier secteur en terme d'emploi (deux tiers des emplois). L'Union est le premier importateur et exportateur de services au monde et il y a encore dans ce domaine des gains potentiels considérables.

Les objectifs de l'Union sont d'éliminer ou de réduire un certain nombre de barrières à l'entrée des marchés tiers, dans plusieurs secteurs où elle dispose d'entreprises de rang mondial, tels que les télécommunications, les services aux entreprises, les services professionnels, les services financiers, la construction, la distribution, le transport, l'énergie, le tourisme. L'Union ne veut pas une « libéralisation sauvage» mais l'ouverture du commerce des services dans des conditions qui permettent aux membres de l'OMC de fixer leurs propres objectifs de développement. Ce que permet l'Accord général sur le commerce et les services (AGCS).

Les négociations sur l'Accord général portent sur les échanges de services, non sur leur déréglementation. Elles ne visent donc pas à remettre en cause le droit des gouvernements à réglementer le secteur des services, droit qui est expressément reconnu. Ce sont les barrières au commerce des services qui sont visées, barrières généralement discriminatoires, qui se superposent à cette réglementation nationale.

Il n'est pas non plus question de privatisation : les règles de l'Accord général sont neutres au regard du régime de propriété de ces services, et l'Union européenne entend qu'elles le restent.

Les négociations ne constituent donc pas une menace pour les services publics. Par ailleurs, les services non commerciaux gérés en situation de monopole sont exclus du champ de l'AGCS. Chaque pays membre a le droit de décider des secteurs qu'il souhaite ouvrir ou non.

Ces deux exemples montrent bien l'esprit dans lequel l'Union européenne mène ces négociations : poursuivre nos intérêts économiques offensifs, mieux exploiter nos avantages comparatifs, tout en veillant à défendre nos valeurs et notre modèle européen de société, ce qui correspond au mandat de négociations donné par le Conseil.

Ces grands principes sont également respectés pour tous les accords bilatéraux conclus avec des pays ou des ensembles régionaux, en application desquels sont acceptées un degré d'ouverture des marchés supérieur et des règles plus ambitieuses que celles fixées par l'OMC. Ceci a permis de tisser un ensemble d'accords bilatéraux dont le nombre restera stable en attendant la fin de la négociation multilatérale, sous réserve d'un accord à conclure avec la Syrie.

Les différends en cours concernent en particulier les Etats-Unis, notre principal partenaire commercial, dont certaines revendications sont classiques et anciennes (l'acier, les aides à l'exportation) et d'autres sont nouvelles et dépassent la seule juxtaposition d'intérêts économiques, comme la question des OGM, dans laquelle les deux parties n'ont pas la même vision éthique et politique. Dans de tels domaines justement, l'existence de règles multilatérales va permettre de préserver, selon le choix que chaque pays fera, les souverainetés et les choix éthiques propres à chaque Etat.

Il y a d'autres exemples que celui des Etats-Unis. Avec l'insertion à une vitesse considérable de la Chine dans le commerce international, le nombre de frictions augmente, notamment sur les questions nouvelles. Il y en a eu d'ailleurs cette année sur les exportations agroalimentaires chinoises et leurs difficultés à accepter les normes sanitaires européennes.

Le Commissaire a ensuite évoqué les aspects commerciaux de son mandat qui sont moins visibles et qui consistent en la mise en œuvre d'instruments de défense commerciale afin d'éviter que l'Union européenne ne soit victime de dumping. L'Europe s'est dotée d'un ensemble de contre-mesures commerciales efficaces qui lui permettent de réagir et dont la mise en œuvre est contrôlée par la Cour de Justice européenne.

S'agissant enfin des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, il a rappelé que la politique commerciale était typique de la méthode communautaire qui repose sur quatre éléments : la compétence de l'Union ; la formulation de l'intérêt général par la Commission européenne ; une prise de décision à la majorité qualifiée au sein du Conseil ; un système de contrôle démocratique par les Etats (représentés au Conseil) et les citoyens (représentés au Parlement européen). Cela n'est certes pas parfait puisque la règle de l'unanimité persiste encore dans certains domaines. Or, celle-ci n'est pas viable dans la perspective d'une Europe à 25 ou 30 membres.

Il s'est demandé comment cette méthode pouvait s'appliquer à la gouvernance économique et à la politique étrangère et de sécurité commune pour lesquelles les résultats sont insuffisants. Pour la gouvernance économique il n'existe pas de dispositif idéologique ou politique à l'échelon européen malgré la mise en place d'une monnaie unique et l'existence de la Banque centrale européenne. Le dispositif institutionnel de la gouvernance économique de l'Union est trop faible, il lui faudrait une réelle capacité d'action au niveau macroéconomique, assorti d'une véritable politique d'harmonisation fiscale. Il en va de même en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Le dispositif institutionnel est actuellement insuffisant au niveau des propositions d'actions, de leur examen et de la prise de décisions.

Il a souligné combien il était important que la France et l'Allemagne se soient mises d'accord sur l'introduction de la majorité qualifiée dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune. C'est une avancée qui correspondait aux vœux de la Commission européenne et aux propositions des Commissaires Barnier et Vitorino, qui représentent celle-ci au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe.

M. Pascal Lamy a souligné combien était forte, chez nos partenaires des autres continents, l'attente d'une Union européenne laboratoire d'une mondialisation réussie. A cet égard, il s'est félicité de la constitution par la Commission des Affaires étrangères de la mission d'information sur la mondialisation.

Il a insisté sur la spécificité du rôle de la France en Europe, celle-ci a une sensibilité particulière et supérieure à la moyenne sur les questions de solidarité sociale, de soutien à l'activité industrielle, d'affirmation de l'identité européenne dans le monde et d'intégration citoyenne. Si elle veut continuer à incarner cette spécificité, cela implique davantage d'intégration européenne. Il a donc encouragé les parlementaires qui partagent ce sentiment à agir en ce sens.

M. Gilbert Gantier a rappelé que, après la signature du Traité de Rome en 1956, le premier abaissement des droits de douane, prévu pour le 1er janvier 1959, avait été précédé d'un débat important à l'OCDE où deux doctrines s'étaient affrontées : d'une part, les pays favorables à une véritable politique communautaire et, d'autre part, ceux conduits par la Grande-Bretagne prônant la réalisation d'une vaste zone de libre-échange. Ce débat a d'ailleurs été tranché de façon nette par le général de Gaulle qui a renvoyé le projet anglais à ses études et c'est finalement la « petite Europe » qui a été créée, c'est-à-dire une Europe constituée par six pays aux structures économiques très comparables, hormis l'Italie peut-être.

Mais aujourd'hui, avec l'élargissement à dix nouveaux pays, l'Union européenne intègre des pays aux similitudes rares si bien que l'on retire l'impression que l'activité de la Commission européenne s'oriente plus vers la constitution d'une zone de libre-échange et que celle-ci est rendue d'autant plus difficile que les pays ne sont pas en harmonie.

La question se pose alors de savoir si la politique communautaire ne va pas peu à peu être remplacée par une union douanière, qui plus est, et c'est là une difficulté supplémentaire, constituée de pays qui n'ont pas tous la même monnaie commune.

M. Jacques Myard a tout d'abord souhaité faire part de son désaccord avec les conceptions de M. Pascal Lamy. Certes la politique commerciale de l'Union européenne marche, mais pour la simple et bonne raison que les échanges commerciaux ont toujours existé, ils constituent la base même du continent européen. En quelque sorte, le naturel est revenu et l'Europe a retrouvé sa position de 1914, certes avec des règles supplémentaires, où la France était le premier partenaire commercial de l'Allemagne. L'erreur commise par la Commission européenne est de vouloir extrapoler de la réussite de sa politique commerciale pour appliquer des conceptions du vouloir vivre ensemble dans une société.

S'agissant du commerce mondial qui croît de 7 à 8 % l'an, M. Jacques Myard s'est demandé s'il n'y avait pas un risque à accroître une certaine délocalisation et ainsi déstabiliser l'Europe en important du chômage. Ne conviendrait-il pas de faire une pause pour digérer cette croissance ?

Enfin, il a estimé que le degré de dépendance vis-à-vis de l'économie mondiale d'une Union européenne à vingt-cinq serait beaucoup moins important qu'à six, ce qui pose la question de savoir s'il ne vaut pas mieux autoréguler le commerce intra-muros de l'UE plutôt que d'accélérer la libéralisation des échanges.

M. François Guillaume a tout d'abord abordé la question des panels en regrettant que l'Europe ait perdu face aux Etats-Unis qui avaient déposé plainte contre elle sur la question de l'exploitation du bœuf aux hormones si bien que l'Union doit payer des compensations financières.

S'agissant de l'acier, il a souhaité savoir s'il y avait exécution des dédommagements prévus.

Evoquant le Farm Bill américain et l'augmentation des subventions directes aux agriculteurs américains, il a demandé si l'Union européenne avait réagi à ce sujet.

Concernant les organismes génétiquement modifiés (OGM), il a demandé à qui appartenait la charge de la preuve de leur inocuité.

Enfin, l'élargissement de l'Union étant en marche, il a souhaité savoir si la Commission européenne avait déjà engagé des négociations avec les Etats-Unis sur les conséquences commerciales pour ceux-ci et si d'éventuels dédommagements étaient d'ores et déjà prévus.

M. Pascal Lamy s'est déclaré en accord avec M. Gilbert Gantier sur l'existence de traces de tradition libérale dans les pays du nord de l'Europe (Grande-Bretagne, Pays-Bas, etc.) et de protectionnisme en Italie, en Espagne et en France, l'Allemagne ayant des positions intermédiaires. Cependant il a estimé que cela était de moins en moins vrai car la conception d'ouverture économique régulée est partagée par tous. Il s'est dit frappé de voir combien ce débat s'était pacifié depuis vingt ans, même si chacun n'a pas nécessairement la même culture et les mêmes réflexes, le rapprochement des conceptions s'est opéré.

Il a estimé que le prochain élargissement ne remettrait pas en cause cet état de fait car la libéralisation des échanges s'accompagne d'un effort de solidarité et de redistribution très important de la part de l'Union : sur les 100 milliards d'euros de son budget, 35 milliards sont consacrés à la redistribution. Il a jugé que cet élargissement répondrait aux mêmes modèles que les précédents mais a admis que les nouveaux membres entreraient avant les ajustements institutionnels. Selon lui, malgré l'existence de risques, ce qui s'est passé auparavant démontre qu'une alchimie positive peut s'opérer.

M. Pascal Lamy a considéré que les obstacles aux échanges seront à l'avenir de moins en moins de type mercantiliste et de plus en plus liés aux normes, qui sont elles-mêmes le reflet de préférences collectives dans des domaines comme la santé ou l'environnement. Ainsi, le règlement de ces nouveaux conflits supposera des discussions sur les préférences collectives de chacun et sur les règles qui en résultent : l'Union européenne a par exemple su parvenir à des normes communes, alors que le Danemark avait une politique de normes environnementales très sévères.

En ce qui concerne le rôle de l'ouverture commerciale, M. Pascal Lamy a estimé que M. Jacques Myard aurait raison si le commerce n'était pas lié au « vouloir vivre ensemble ». En effet, dans le domaine des relations internationales, la séparation entre le diplomatique, qui serait noble, et le commercial, qui serait vulgaire, est tout à fait artificielle : là où le commerce passe, les armées ne passent plus. Certes, la croissance du PIB n'est que partiellement corrélée avec celle du commerce mondial, car cette dernière s'explique aussi par le développement de la division internationale du travail. Mais la spécialisation elle-même contribue à la croissance : de ce point de vue, la libéralisation des échanges offre des avantages car elle accroît la spécialisation. Les pays en développement y ont d'ailleurs aussi intérêt car ils disposent d'avantages comparatifs. L'exemple des pays d'Europe centrale et orientale est à cet égard éclairant : il est vrai que la libéralisation a conduit à des délocalisations dans ces pays, mais au total, le phénomène est « gagnant gagnant », la balance commerciale de l'Union européenne avec ces pays étant largement excédentaire et les emplois créés par l'ouverture étant finalement plus nombreux que les emplois détruits par les délocalisations.

Sur les conflits commerciaux entre Etats-Unis et Union européenne, on ne peut pas dire qu'il y ait « deux poids, deux mesures ». Il est vrai que l'Europe a perdu un panel sur la viande aux hormones, mais c'était parce que l'interdiction européenne était mal motivée, et non pour des raisons de fond. A l'inverse, les Etats-Unis ont perdu un panel sur les subventions fiscales à l'exportation, et les sanctions qui ont été autorisées en conséquence seront mises en œuvre si les Américains ne modifient pas les règles incriminées.

M. Pascal Lamy a expliqué que le vote du Farm Bill par les Etats-Unis entraînerait effectivement une hausse des subventions aux agriculteurs qui, si elle dépasse les marges autorisées, sera dénoncée par l'Union européenne. En tout état de cause, dans l'hypothèse d'un succès des négociations sur l'agriculture à l'OMC, le Farm Bill devra être revu.

Au sujet des OGM, les règles de l'OMC prévoient que chaque pays peut prendre des mesures pour protéger la santé publique. Mais, dans la mesure où il n'y a pas eu de contentieux ouvert, il n'est pas encore question de « charge de la preuve ». Par ailleurs, les progrès faits en terme de traçabilité et d'étiquetage pourraient être une solution permettant de lever les moratoires. Par contre, l'accusation américaine selon laquelle l'opposition européenne aux OGM augmenterait la faim dans le monde est absurde et particulièrement mal venue d'un pays dont l'écoulement des stocks d'excédents agricoles dans les pays du Sud constitue la seule politique d'aide alimentaire.

M. Pascal Lamy a rappelé que les règles de l'OMC prévoyaient des compensations pour les partenaires commerciaux de pays dont le niveau moyen de protection est accru par l'adhésion à une zone de libre-échange. Les études faites préalablement à l'élargissement de dix nouveaux pays à l'Union européenne ont montré que ce problème ne devrait pas beaucoup se poser, et en tout cas avec une ampleur bien moindre que lors de l'adhésion de l'Espagne.

M. Jean-Claude Lefort a estimé que l'échec de la négociation sur les médicaments essentiels privait les pays en voie de développement d'un accès à ces molécules permettant de lutter notamment contre le SIDA, la malaria et la tuberculose, contrairement aux engagements pris lors de la conférence de Doha. Il a demandé s'il était exact que l'Union européenne envisage de demander un moratoire transitoire tendant à éviter le dépôt de plaintes devant l'OMC à l'encontre des pays en voie de développement utilisant des médicaments génériques sans autorisation. Il a déclaré qu'il serait préférable, en accord avec l'OMS, de demander un moratoire définitif sur cette question.

Par ailleurs, le mandat de M. Pascal Lamy en vue de la négociation de l'Accord général sur le commerce des services remonte à la conférence de Seattle en 1999. Depuis, le Traité de Nice a modifié les règles de décision en la matière en revenant sur la règle de la majorité qualifiée pour certaines questions intéressant le commerce extérieur. Il faudrait donc redéfinir le mandat du Commissaire européen avant le prochain cycle de négociations et demander un moratoire sur ces négociations, d'autant que le point de vue des Parlements nationaux ne sera pas pris en compte. Enfin, il est inexact d'affirmer que l'OMC est neutre vis-à-vis des services publics : ceux-ci ne se limitent pas aux seuls services régaliens de l'Etat et il serait intéressant de connaître les propositions de l'Union européenne en la matière, d'autant que celle-ci a demandé aux pays en voie de développement de libéraliser certains secteurs qui relèvent en France du service public.

M. Jack Lang a déclaré qu'il était impatient de connaître les réponses aux questions posées par M. Jean-Claude Lefort. S'il est logique que la France et l'Union européenne défendent nos intérêts commerciaux, il faut également tenir compte de la situation des pays en voie de développement, dont la dépendance vis-à-vis des grandes puissances risque d'être accrue par la libéralisation de certains services et par les privatisations qu'elle implique. La liste des services publics devant faire l'objet d'une libéralisation qui sera proposée par l'Union européenne doit être présentée au plus tard le 31 mars prochain : il faudrait que les parlementaires puissent être informés d'ici là. De même le Livre vert traitant de cette question devrait-il être rapidement publié. La notion de service public doit être définie dans un cadre international et non pas seulement français, mais il ne faut pas en limiter la portée aux seuls services régaliens et privatiser l'éducation, la culture ou la distribution de l'eau. En outre, le caractère irréversible des engagements pris au titre de l'OMC rend d'autant plus inquiétantes d'éventuelles mises en concurrence des services publics avec le secteur privé.

M. Noël Mamère a relayé les inquiétudes exprimées par MM. Jean-Claude Lefort et Jack Lang. Les positions de la Commission européenne semblent en effet dictées par les instances de partenariat économique transatlantique (transatlantic business dialog - TABD) et les déclarations de M. Pascal Lamy en date du 6 octobre 1999 montrent que la libéralisation de l'éducation, de la santé et de la culture dans le cadre de l'OMC est à l'ordre du jour. S'il est vrai que l'Union européenne a demandé à 109 pays en voie de développement de privatiser certains services publics, dont les services environnementaux, il lui sera difficile de défendre son propre modèle face aux demandes américaines et on peut craindre un retour de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI). Il est d'ailleurs regrettable que le mandat de négociation du Commissaire chargé du commerce extérieur défini à Seattle n'ait pas été revu depuis. Pourquoi le Parlement européen et les Parlements nationaux n'ont-ils toujours pas reçu les offres de l'Union européenne en matière de libéralisation des services avant l'ouverture de la négociation à l'OMC ? Sont-ils considérés comme quantité négligeable ?

M. François Loncle a estimé que l'élargissement de l'Union européenne posait d'importants problèmes, car certains des pays candidats ont une conception égoïste de leur adhésion, davantage dictée par la recherche de la sécurité dans le cadre de l'OTAN et de la prospérité au sein du marché unique, que par de véritables convictions européennes. Pour ces raisons, ne faudrait-il pas mettre en place une avant-garde entre certains pays qui fonctionneraient dans le cadre d'une coopération renforcée au côté des nouveaux membres de l'Union ?

M. Jacques Godfrain a indiqué que le conflit commercial avec les Etats-Unis à propos du bœuf aux hormones avait été perdu en raison d'une erreur juridique de la Commission européenne, portant sur l'étiquetage de ce type de produit. Cette erreur s'est traduite par des sanctions prononcées à l'encontre de certaines firmes, dont les producteurs de Roquefort. Les Etats-Unis ont estimé qu'en sanctionnant les firmes, celles-ci feraient pression sur les Etats à l'origine des restrictions des échanges du bœuf hormoné, mais cette stratégie a échoué. Il n'empêche que les firmes concernées ont subi un préjudice imputable à la Commission européenne et il serait souhaitable qu'elles puissent être indemnisées.

M. Jean Glavany a précisé que la position européenne visait à interdire le commerce du bœuf hormoné et que l'erreur de la Commission européenne tenait à l'absence de preuves scientifiques quant au caractère cancérigène de certaines des hormones utilisées par les éleveurs américains. Lorsque la preuve scientifique de la dangerosité de ces hormones aura été apportée, ce qui nécessite du temps, il est certain qu'un compromis sera trouvé.

M. Pascal Lamy a dit partager les préoccupations de M. Jean-Claude Lefort en ce qui concerne l'accès aux médicaments essentiels. Il a ainsi proposé début janvier que les questions restant à résoudre puissent être soumises à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Toute la question est de concilier protection de la propriété intellectuelle et droit à la santé : à Doha, la question a été réglée pour les pays disposant d'une industrie pharmaceutique nationale, mais pas pour les autres. Un accord a failli être obtenu à la fin de l'année 2002, mais les Etats-Unis n'ont finalement pas rejoint le consensus car ils estimaient que les zones de maladie concernées n'étaient pas assez précises. Cependant, pour le Sida, le paludisme et les principales maladies - au total 95 % - la question a été réglée par des moratoires de la part des principaux pays exportateurs de médicaments (Etats-Unis, Union européenne, Suisse). Il reste qu'une solution multilatérale et stable est indispensable et que s'en référer à l'OMS lorsqu'il y a doute sur une maladie est la direction dans laquelle la Commission européenne souhaite aller, et cela semble relever du bon sens.

Sur l'Accord général sur le commerce des services, M. Pascal Lamy s'est dit très attentif aux interrogations sur le sujet. Il avait ainsi pris bonne note de la proposition de résolution présentée par M. Jean-Claude Lefort et a, par ailleurs, écrit à tous les parlementaires sur ce sujet de l'AGCS. Il a précisé que son mandat avait été fixé avant la réunion de Seattle et que celui-ci restait toujours valable. La ligne de conduite à tenir est assez simple, elle consiste à promouvoir la libéralisation du commerce des services tout en protégeant les services publics. Par ailleurs, le Traité de Nice n'a rien changé à ce mandat.

L'application de ce mandat est étroitement contrôlée par le Conseil des ministres, qui en vérifie le respect, et par le Parlement européen, notamment par l'intermédiaire des membres de sa commission permanente compétente en la matière qui reçoivent les principaux documents. Quant à savoir si ces documents pouvaient être directement communiqués à des parlementaires nationaux, M. Pascal Lamy a estimé que cela ne relevait pas de sa compétence, lui se contentant de rendre des comptes au Conseil des ministres de l'Union, dont les membres doivent eux-mêmes en rendre aux parlementaires nationaux.

Sur le fond, M. Pascal Lamy a insisté sur la différence entre la libéralisation du commerce des services et celle des marchandises. En effet, dans le cas des services, la règle de la réciprocité ne joue pas. Chaque Etat membre de l'OMC décide de prendre, ou de ne pas prendre, un engagement de libéralisation dans tel ou tel secteur quelles que soient les demandes qui lui ont été adressées par un pays tiers. La question pour chaque Etat est donc de savoir s'il a intérêt à la libéralisation du commerce des services secteur par secteur. Dans le domaine de la distribution de l'eau par exemple (et non dans celui de l'accès à la ressource), l'Union européenne a demandé une libéralisation compte tenu des besoins de ces pays et de la compétence de ses entreprises dans ce domaine.

Les offres de libéralisation dans les différents secteurs par l'Union européenne sont actuellement en cours de mise au point, mais il n'y aura pas d'offre susceptible de remettre en cause des services publics européens, ce qui pourra être contrôlé lorsque ces offres seront connues. Les Etats membres de l'OMC, et donc notamment les pays en développement, sont souverains et ils décideront de libéraliser ou non en fonction de leurs intérêts : par exemple, beaucoup de pays souhaiteraient une baisse des tarifs des pays développés sur le textile, cela pourra être accepté plus facilement s'il y a parallèlement une libéralisation de certains secteurs comme la banque ou l'assurance.

M. Pascal Lamy a par ailleurs précisé que le Livre vert de la Commission européenne ne concernait les services publics qu'à l'intérieur de l'Union européenne, question tout à fait différente des négociations à l'OMC.

Il a enfin indiqué que des services qui n'avaient pas été préalablement exclus des discussions sur les services à l'OMC n'allaient pas automatiquement être libéralisés : c'est par exemple le cas pour l'audiovisuel, pour lequel l'Union européenne a refusé de prendre un engagement de libéralisation et qui pourra donc poursuivre sa politique dans ce domaine, notamment en matière de quotas ou de subventions. Ce que l'Union européenne a pu faire pour l'audiovisuel, chacun pourra le faire pour n'importe quel service public, même s'il n'a pas été préalablement écarté du champ de la discussion.

En ce qui concerne sa participation une fois par an aux travaux du transatlantic business dialog, M. Pascal Lamy a répondu qu'il participait aussi à des réunions avec des syndicats ou des organisations de consommateurs ; cela ne signifie pas que la politique commerciale de l'Union soit faite ni par les hommes d'affaires, ni par les syndicalistes, ni par les consommateurs.

Il a par ailleurs admis avoir souhaité que les attributions de l'OMC soient élargies, notamment afin de rendre possible l'articulation des règles commerciales avec, par exemple, les règles multilatérales de l'environnement, car il existe des cas où il y a conflit. Or, M. Pascal Lamy a dit ne pas partir du principe que les règles commerciales prévalent dans tous les cas en cas de conflit de normes : il faut donc mieux préciser les relations entre ces différentes règles.

Sur les investissements, la discussion sur leur libéralisation fait partie du mandat du Commissaire, mais il ne s'agit pas de renouveler l'expérience de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement) qu'il avait en son temps considéré comme un texte inadapté et porté par une organisation inadéquate.

M. Pascal Lamy a estimé que M. François Loncle avait été un peu sévère pour les pays candidats quant à leur vocation européenne. Ceux-ci entrent dans l'Union avec un certain enthousiasme, même s'il peut y avoir ici ou là des décisions désagréables, du type de celle de la Pologne relative à son choix d'avion de combat américain.

Sur l'idée de « l'avant-garde », le Commissaire n'y croit pas beaucoup, sauf dans le cas très particulier de la coopération franco-allemande, qui devrait aller encore plus loin.

Il est inexact de considérer les pays de la zone euro comme une avant-garde et il faut plutôt considérer que ceux qui sont en dehors constituent une arrière-garde. L'exemple de Schengen montre pour sa part la lenteur des négociations intergouvernementales alors même que cet accord fonctionne véritablement depuis sa communautarisation.

Le commerce des produits nuisibles pour la santé humaine doit être interdit et l'obligation d'étiquetage n'est pas une solution, à l'exception du tabac qui constitue un cas particulier. Dans le cas du bœuf aux hormones, la nécessité d'apporter des preuves scientifiques de la dangerosité de certaines substances explique la durée des procédures. Sur le point de savoir s'il est juste que les entreprises paient les conséquences des sanctions commerciales, un contentieux est en cours devant la Cour de justice des Communautés européennes. L'Union européenne a, pour sa part, d'ores et déjà eu recours à des sanctions contre certains produits américains, comme le pamplemousse de Floride et elle fera tout ce qui est possible pour obtenir la levée des sanctions.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il souhaitait que M. Pascal Lamy soit entendu par la mission d'information sur la mondialisation, afin qu'il explique quelles réformes de l'OMC sont envisageables alors même que de nombreuses nations estiment que le commerce international ne tient pas compte de leurs aspirations. Il a également indiqué qu'il fallait réfléchir au moyen d'accroître le poids de l'Union européenne dans les négociations internationales commerciales.

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