COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 février 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Franco Frattini, Ministre des Affaires étrangères de la République italienne


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Audition de M. Franco Frattini, Ministre des Affaires étrangères de la République italienne

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Franco Frattini de sa venue devant la Commission des Affaires étrangères, dans un contexte international très particulier du fait de la crise irakienne, sur laquelle il pourra donner son point de vue aux députés français. Par ailleurs, l'Italie assurant au second semestre la présidence du Conseil européen dans une période qui pourrait rendre difficile l'achèvement de la future Constitution européenne, et de ce fait, la signature d'un second Traité de Rome, la Commission prendra connaissance avec intérêt des priorités de la présidence italienne.

M. Franco Frattini, Ministre des Affaires étrangères de la République italienne, a tout d'abord rappelé que l'Italie était l'un des pays fondateurs de la Communauté européenne et qu'il savait donc combien le processus d'intégration européenne avait permis à des peuples divisés pendant des siècles par des guerres tragiques de vivre aujourd'hui ensemble. Pourtant, la cohésion euro-atlantique a été une condition essentielle de la réussite de l'unification européenne : faire interagir ces deux processus est donc depuis un demi-siècle l'un des fondements de la politique étrangère italienne et en fait l'originalité. Celle-ci en effet estime que l'identité européenne ne pourra pas se construire en s'opposant aux Etats-Unis, non pas tant par simple respect du passé mais parce que l'Europe et l'Amérique ont encore un destin commun.

M. Franco Frattini a estimé que pour renforcer les bases d'un système international, libre, pacifique et démocratique, chacun avait besoin de l'appui du partenaire dans un monde menacé, les attentats du 11 septembre l'ont bien montré, dans sa sécurité, qui constitue l'avant-poste de la liberté. Contrairement à l'impression que l'on peut avoir en Europe, la paix n'est pas une donnée naturelle et c'est notamment pour cette raison que l'Europe devra à l'avenir se transformer, et passer du rôle de simple consommateur à celui de producteur actif de sécurité et de liberté. Or seule une forte cohésion entre les deux rives de l'Atlantique nous donnera la force collective pour affronter les nouvelles menaces mondiales (terrorisme, prolifération...). A cet égard, M. Franco Frattini a considéré qu'il serait dramatique que Saddam Hussein arrive à nous diviser au lieu de nous unir, ce que Milosevic n'avait pas réussi à faire dans les Balkans, où la clef fut justement l'action commune, quoique tardive, des Européens et des Américains. En effet, il ne faut pas oublier que sans l'intervention des Etats-Unis, et sans le dépassement par les Européens de leurs divisions premières, il n'aurait pas été possible de mettre fin aux guerres de l'ex Yougoslavie.

Dans le cas de l'Irak aussi, sans l'unité et la fermeté de la Communauté internationale, la résolution 1441 n'aurait jamais été adoptée : l'engagement français et d'autres pays européens a permis de remettre les Nations Unies au cœur de la décision, tandis que la pression militaire américaine a permis le retour des inspecteurs. Cette unité d'efforts doit se poursuivre.

En ce qui concerne la politique étrangère de l'Union européenne, M. Franco Frattini a fait remarquer que pour arriver à une position commune, il est toujours nécessaire de fournir de nombreux efforts pour construire le nécessaire consensus, sans le considérer comme acquis à l'avance. C'est ce qui a été fait au cours du Conseil européen du 17 février dernier qui a permis un accord autour de la reconnaissance du désarmement de l'Irak comme objectif de l'Union, du rôle du Conseil de sécurité pour y parvenir et la préférence pour des moyens pacifiques, la force ne devant être utilisée que comme ultime recours.

M. Franco Frattini a estimé que le seul espoir de parvenir à ce triple objectif est que la pression internationale conduise le régime irakien à désarmer immédiatement en utilisant la dernière chance qui lui a été donné et le temps supplémentaire accordé aux inspecteurs. Le Gouvernement italien considère que ce temps n'est pas indéfini, en l'absence d'une coopération totale de la part de l'Irak, mais il estime aussi que toute décision ultérieure relève du Conseil de sécurité. Il est impératif que le rôle des Nations Unies sorte renforcé, et non affaibli, de cette crise. Pour le moment, l'Irak n'a pas encore prouvé qu'il voulait vraiment coopérer et désarmer, or c'est à lui d'en faire la démonstration, non aux inspecteurs. L'Italie espère que l'Irak va changer sur ce point, mais il lui reste peu de semaines pour le faire.

Le Ministre a ensuite évoqué les conséquences de la crise actuelle. Si elle débouche sur un désarmement pacifique, cela sera une réussite des Nations Unies. Mais si la force s'avère nécessaire, ce qui signifiera la fin du régime tyrannique de Saddam Hussein, l'encadrement au sein des Nations Unies restera décisif. Certes les préoccupations sur les conséquences d'un conflit sont légitimes, qu'elles concernent la stabilité de la région, l'aggravation du terrorisme etc., mais nous ne devons pas commettre l'erreur de considérer le monde arabo-musulman comme perdu pour la démocratie et les droits de l'homme, sous prétexte que certains terroristes en sont issus et cherchent justement à promouvoir cet amalgame. Nos craintes vis-à-vis de l'avenir doivent être soupesés en fonction des dangers du présent : le maintien du statu quo, trop souvent défendu par l'Europe, ne garantit ni la paix, ni la stabilité, ni la croissance.

M. Franco Frattini a également souhaité une présence plus forte de l'Europe dans la région de la Méditerranée : elle peut ainsi jouer, si elle parle d'une seule voix, un rôle important dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Plus globalement, l'Italie compte utiliser sa présidence pour renforcer les liens, politiques, culturels, économiques, et non pas seulement avec un souci d'ordre sécuritaire, avec l'autre rive de la Méditerranée.

Le Ministre s'est ensuite exprimé sur la présidence italienne du Conseil européen au deuxième semestre 2003, à une phase cruciale du processus d'intégration européenne.

En ce qui concerne les institutions, leur réforme doit accompagner l'élargissement : c'est l'objectif confié à la Convention qui entre actuellement dans une phase décisive. Durant sa présidence, l'Italie agira pour donner le plus grand élan possible au processus de réforme et accentuer la légitimité démocratique des nouvelles institutions. Il est souhaitable que les discussions aboutissent sur la signature d'un Traité, cela pourrait avoir lieu à Rome, au printemps 2004, afin de maintenir la corrélation entre élargissement et réforme des institutions, et car il est légitime de définir le modèle constitutionnel que veut se donner l'Europe avant les échéances de 2004 (élections au Parlement européen, mise en place de la nouvelle commission européenne).

M. Franco Frattini a dit partager la substance politique de nombre des propositions formulées conjointement par la France et l'Allemagne. Il a ajouté qu'il incombait à l'ensemble des six pays fondateurs de l'Europe de jouer un rôle moteur dans le cadre du travail de réforme des institutions européennes. Cette action ne vise pas à exclure qui que ce soit mais à profiter de l'expérience, de l'histoire, des solidarités réciproques et de la cohésion entre les membres fondateurs afin de parvenir à des compromis entre grands et petits pays, conceptions fédéralistes et intergouvernementales... Il serait souhaitable que les pays qui ont montré la voie il y a cinquante ans puissent de nouveau susciter l'élan nécessaire à une nouvelle étape de la construction européenne.

Une telle démarche de la part des pays fondateurs aurait plusieurs avantages. Tout d'abord, il permettrait d'élargir le soutien à la contribution franco-allemande à la convention. M. Franco Frattini a indiqué qu'elle lui paraissait une solide base de départ pour un compromis final. En effet, elle reflète les vues de l'Italie sur le renforcement des trois pôles du triangle institutionnel, sur le rôle des parlements nationaux dans le contrôle de la subsidiarité et sur la possibilité de donner plus d'efficacité et de cohérence à la politique européenne et de sécurité commune. En second lieu, la solidarité entre pays fondateurs permettra de discuter les points de vue parfois divergents des grands et des petits pays, qui constitue la principale pierre d'achoppement des débats à la Convention. Au contraire, l'Italie a toujours estimé que la construction européenne permettait de sauvegarder les intérêts des petits tout en valorisant les énergies des plus grands.

M. Franco Frattini a conclu en souhaitant que la France et l'Italie conjuguent leurs efforts pour parvenir à une Union plus forte sur le plan international, plus efficace sur le plan décisionnel et plus démocratique.

M. Paul Quilès a observé que, quelles que soient les précautions oratoires diplomatiques prises, il apparaît que la guerre, malheureusement, aura lieu. Ni le Président Bush, qui considère que l'ONU ne sera pertinente que si elle va jusqu'au bout, ni Colin Powell qui considère que les inspections ne marcheront pas, ne cachent leur détermination.

Face à l'argument souvent émis selon lequel la guerre règle le problème de l'instabilité au Moyen-Orient, il a souligné que celui-ci était curieux, étant donné que les inspecteurs de l'UNSCOM ont détruit plus d'armes en Irak entre 1991 et 1998 que n'en avaient été détruites pendant la guerre du Golfe de 1991. Il y a vingt ans, l'on considérait que l'Iran était à l'origine de l'instabilité dans la région, aussi armait-on l'Irak pour faire face à ce danger.

Il a demandé au Ministre pourquoi celui-ci s'était abstenu d'évoquer l'intérêt géostratégique et économique de la région concernée, dans laquelle les Etats-Unis ont la volonté de prendre pied de façon durable.

L'Europe a le droit de s'exprimer d'une façon un peu différente de son allié américain : faire connaître son désaccord ne peut être qualifié d'irresponsabilité, comme certains veulent le faire croire aujourd'hui. Doit-on comprendre que le consensus ne puisse se réaliser en Europe que sur la ligne fixée par les Américains ?

Enfin, l'Italie s'opposera t-elle à une guerre décidée par les Etats-Unis hors du cadre des Nations unies ? Si une deuxième résolution ne recueillait pas la majorité, l'Italie s'opposera t-elle à une intervention ?

M. René André a remercié le Ministre d'avoir expliqué la position de son Gouvernement ; il a ensuite souligné que les citoyens Français n'ont pas apprécié la prise de position de l'Italie telle qu'elle a été publiée dans le Times.

Il a souhaité connaître la position de l'Italie si le Conseil de sécurité n'adopte pas une position conforme à celle des Etats-Unis.

Enfin, comment l'Italie voit-elle l'après-guerre, en particulier en sa qualité de pays en charge de la présidence de l'Union européenne durant la période qui suivra l'intervention ?

M. Serge Janquin a souligné que le Ministre avait appelé de ses vœux une Europe qui compte sur la scène internationale. La construction de l'unité européenne est-elle une condition de relations équilibrées et confortées avec les Etats-Unis ? Ou bien la politique étrangère européenne ne sera t-elle que la variable d'ajustement d'une politique de l'Alliance atlantique définie unilatéralement ?

M. Franco Frattini a indiqué tout d'abord qu'une Europe qui compte, qui pèse dans les relations internationales, ne peut être comprise comme une Europe en opposition aux Etats-Unis. L'expérience italienne depuis cinquante ans montre que la cohésion européenne et un lien transatlantique stratégique important sont les deux piliers, compatibles, de sa politique étrangère. L'accord entre Européens ne doit pas être calqué sur la position américaine, mais il est important que la position européenne ne soit pas opposée à celle des Etats-Unis. Le Conseil européen a d'ailleurs reconnu unanimement que les relations transatlantiques sont un pilier de la politique étrangère de l'Union.

Il est impossible d'imaginer une rupture des relations transatlantiques dans la situation de crise, de terrorisme, et de menace pesant sur la sécurité que nous connaissons aujourd'hui, et la France ne voudrait certainement pas imaginer une telle rupture. C'est pourquoi nous sommes tenus de parvenir à une position commune.

Après avoir fait observer que ni la France ni l'Allemagne n'avaient préalablement informé leurs partenaires européens de leur intention de faire une déclaration commune, le Ministre a précisé que, pas plus qu'il n'avait considéré la position franco-allemande comme reflétant la volonté de diviser l'Europe sur le dossier irakien, il ne considérait la lettre signée par huit pays européens comme comportant une quelconque intention de diviser l'Europe. En revanche, de nombreux points de cette lettre se retrouvent formulés dans le communiqué final des Quinze publié il y a quelques jours. Cependant, selon lui, la tentation d'émettre des déclarations bilatérales, trilatérales ou de créer des axes devrait être évitée, pour privilégier le dialogue et la consultation permanente. Il conviendrait de retrouver la méthode qui a prévalu pendant la crise du Kosovo, et qui a eu de bons résultats.

L'Italie partage la conviction que l'usage de la force n'est pas le meilleur moyen de régler une crise, mais elle estime que ce doit être un ultime recours pour que les résolutions des Nations unies ne restent vaines. Il est important que nous n'envoyions pas un signal négatif selon lequel le Conseil de sécurité accepte que ses résolutions demeurent lettre morte.

L'absence de guerre n'est pas la paix, si les risques d'instabilité demeurent. Permettre à une dictature sanglante de conserver des armes de destruction massive n'est pas conforme à nos buts. Dans ce contexte, le Ministre a indiqué que sa conviction était que ce n'est pas la volonté de prendre possession des puits de pétrole qui peut conduire à une intervention, mais la volonté de faire appliquer les résolutions adoptées par la communauté internationale. L'Italie a fait part aux Etats-Unis de son refus d'une durée indéterminée pour les inspections, car cela affaiblirait la crédibilité du Conseil de sécurité.

L'Italie devrait faire face à un problème de consensus en cas de déclaration unilatérale de guerre. Le principe de la participation à une telle guerre préventive serait soumis à un vote du Parlement, et il n'est pas certain qu'il recueillerait la majorité.

Si le but de l'action du Conseil de sécurité n'est pas le renversement du régime de Saddam Hussein, quelque dictatorial qu'il soit - et sur ce point le désarmement de l'Irak constitue pour l'Italie l'unique objectif -, il importe de ne pas faire de ce dirigeant une victime, et de se rappeler qu'il a agressé son propre peuple à l'arme chimique. La communauté internationale devra participer à la reconstruction, notamment institutionnelle, du pays, de même qu'elle l'a fait en Afghanistan. Elle devra s'assurer que le Gouvernement appartiendra à l'ensemble des composantes du peuple irakien.

M. Gilbert Gantier s'est déclaré en accord avec le fait que la guerre est la dernière solution, l'ultima ratio, et que le maintien indéfini du statu quo n'est pas possible. Il a constaté que sans le rassemblement des forces militaires américaines on n'aurait rien obtenu de l'Irak. Selon lui, les inspections ne peuvent pas durer indéfiniment, la recherche d'armement prohibé dans un grand pays pouvant se révéler très hasardeuse.

Il s'est enquis de ce que serait la diplomatie italienne, notamment vis-à-vis du problème israélo-palestinien, après guerre si guerre il y a.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a fait observer qu'il ne fallait pas se méprendre sur la tonalité franche des échanges tant les relations entre l'Italie et la France sont proches, chaleureuses et naturelles. Il a souhaité savoir quels liens exacts l'Italie faisait entre une intervention armée en Irak et la lutte contre le terrorisme, quelle était pour elle la force de l'ultimatum du 1er mars sur la destruction des missiles Al-Samoud et quelle vision elle avait de l'intervention armée si elle avait lieu. Il s'est également interrogé sur le rôle exact du pré positionnement militaire américain. Ne peut-il pas être considéré comme un élément de dissuasion ?

M. Franco Frattini s'est dit persuadé de l'importance de la communauté internationale contre la violation de la légalité internationale par l'Irak. Parallèlement celle-ci doit déployer des efforts importants pour que le processus de négociations pour la paix au Moyen-Orient puisse recommencer, surtout en cas de guerre en Irak. Il a considéré que la feuille de route devait être publiée constituant ainsi un signal important, traduisant la volonté de reprendre le dialogue entre les parties car, même si la feuille de route n'est pas suffisante, elle mène à l'objectif final d'un accord de paix.

Il faut, selon le Ministre, insister sur la réforme des institutions palestiniennes et la nomination d'un Premier Ministre et sur l'importance d'actes concrets de l'Autorité palestinienne et de ses dirigeants montrant qu'ils font tout leur possible pour que les attaques kamikazes cessent. Cela permettrait d'exiger fermement d'Israël le retrait des colonies qui violent les accords. La diplomatie italienne agit à travers la Troïka européenne. C'est elle qui a insisté pour qu'au Conseil européen extraordinaire de Bruxelles un paragraphe soit consacré à la crise israélo-palestinienne et rappeler l'importance de sa solution.

Il a souhaité intensifier ses efforts envers les pays Arabes du Sud de la Méditerranée, de même il a rencontré l'ancien Ministre des Affaires étrangères israélien et rencontrera le nouveau dès qu'il sera nommé. Pendant sa présidence de l'Union européenne l'Italie se propose d'accueillir une conférence de paix qui pourrait être acceptée par les Israéliens et les Palestiniens. L'Italie a vocation à aider les deux Parties.

S'agissant du lien entre le régime de Saddam Hussein et les terroristes fondamentalistes, il n'y a pas de preuve certaine. La question est ouverte, les soupçons sont alimentés par les déclarations récentes des fondamentalistes et notamment celles qui semblaient authentiques d'Oussama Ben Laden, ce qui est préoccupant. De même, la question du devenir des armes chimiques et biologiques que l'Irak détient est pour l'instant sans réponse. Si on joint les déclarations répétées des terroristes et l'absence de réponse des Irakiens sur le devenir de leurs armes prohibées. Ce problème est préoccupant.

En ce qui concerne les missiles Al-Samoud, il a souhaité leur destruction en soulignant que rien n'indiquait que Saddam Hussein ait l'intention d'obtempérer, comme il l'a montré lors d'une intervention télévisée. M. Franco Frattini a déclaré douter de la volonté de l'Irak de détruire ces missiles et souhaité que ce pays change d'avis et s'est demandé que faire si l'ONU assistait à ce refus sans réagir.

Selon lui, la force militaire des Etats-Unis a un rôle de dissuasion et aide la diplomatie. Elle peut permettre de faire avancer les choses mais ce pré positionnement ne peut être indéfini sous peine de perdre sa force dissuasive. Soit on obtient un règlement pacifique et les forces militaires se retirent, ce qui est souhaitable, soit on fait usage de la force comme ultime solution si l'Irak ne change pas.

Abordant les questions européennes, le Président Edouard Balladur s'est demandé si la suggestion faite par M. Franco Frattini que les six pays fondateurs de l'Union européenne fassent des propositions ne risquait pas de provoquer les mêmes réactions critiques que les initiatives franco-allemandes.

M. François Loncle a fait valoir que l'Europe à 25 ne pourrait pas faire de progrès considérables si certains pays ne donnaient pas d'impulsion et il a estimé pertinente l'idée d'utiliser les membres fondateurs en raison du contexte historique de création de l'Union européenne. Il a demandé si une autre possibilité comme les initiatives venant des pays de la zone euro ne pourraient pas être envisagée, notamment en matière de politique économique et sociale.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que dans les deux cas la Grande-Bretagne n'en ferait pas partie.

M. Jean-Claude Guibal s'est interrogé sur la possibilité d'aborder la crise irakienne au travers du statut de l'hégémonie dans un monde unipolaire. Faut-il accepter qu'une hyperpuissance ait le pouvoir de décider de façon unilatérale ?

Il a rappelé que l'Italie assumerait la présidence de l'Union européenne à la suite de la Grèce après deux événements majeurs : l'élargissement qui a affaibli les pays méditerranéens de l'Union européenne et les tensions internationales qui ont fait apparaître les divergences entre les pays méditerranéens de l'Union. Dans ce contexte, il a voulu savoir comment l'Italie concevait l'avenir du processus de Barcelone et plus généralement les relations euro-méditerranéennes.

Il s'est demandé, si, pour relancer l'Union européenne, il fallait s'appuyer sur ses fondateurs ou sur un pôle régional. Ne faudrait-il pas renforcer le pôle Sud de l'Union européenne et établir des accords. Il a souhaité connaître la position de l'Italie sur l'adhésion de la Turquie.

M. Franco Frattini a répondu qu'il convenait de définir l'hégémonie d'une seule hyperpuissance. Son existence confirme la nécessité pour l'Europe d'utiliser la persuasion, voire la confrontation loyale pour éviter qu'en cas de désaccord, la seule hyperpuissance décide parce qu'elle parle d'une seule voix. Il faut que l'Union européenne arrive à convaincre, sans se positionner comme une deuxième superpuissance, car elle ne gagnera pas. De manière pratique, il faut user ensemble de persuasion pour que l'hyperpuissance trouve le chemin le plus juste.

En ce qui concerne l'Union européenne, il a jugé l'interrogation du Président Balladur très importante. Il y a toujours un risque que l'initiative d'un groupe de pays puisse être critiquée comme étant le fruit d'accords trilatéraux ou bilatéraux. Aussi, les six membres fondateurs devraient-ils produire un document de principe rappelant les objectifs politiques de l'Union européenne, ses valeurs, fondées sur les droits de l'homme et les libertés publiques. Il convient de rappeler que ces pays, petits et grands, ont travaillé ensemble, - c'est un fait historique - et qu'ainsi ils peuvent relancer l'Union européenne.

Sur l'utilisation de la zone euro, il a estimé que la contribution des pays de la zone s'apparentait aux coopérations renforcées et avait un avenir sur les dossiers économiques et financiers. L'élan des six pays membres fondateurs est utile aujourd'hui pour l'élaboration de la Constitution européenne. Celui-ci pourrait pallier au ralentissement de la Convention puisque près de 1 000 amendements ont déjà été déposés sur les six premiers articles ce qui est inquiétant.

Quant à l'élargissement et à l'exigence d'un développement géographique équilibré de l'Union européenne, M. Franco Frattini a reconnu que cela expose l'Union européenne à une projection nordique et baltique. Les présidences grecque et italienne s'efforceront de renforcer les liens entre l'Union européenne en faveur des pays du Sud de la Méditerranée et des Balkans fort importants pour la stabilisation de la région.

Il a insisté sur l'importance qu'accorde l'Italie à la consolidation de la démocratie dans les Balkans - car de cette stabilisation des Balkans dépend le rééquilibrage de l'Union européenne - et à la relance du processus de Barcelone qui a été ces derniers temps assez délaissé. Il convient de faire participer davantage les pays du rivage sud de la Méditerranée en accroissant leur compétitivité. Selon lui les processus de Barcelone et de Lisbonne sont complémentaires et devront être utilisés.

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