COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mars 2003
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Marek Borowski, Maréchal de la Diète de la République de Pologne


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Audition de M. Marek Borowski, Maréchal de la Diète de la République de Pologne

Le Président Edouard Balladur s'est dit très heureux de recevoir le Maréchal de la Diète devant la Commission, compte tenu de l'ancienneté des liens culturels, politiques, économiques mais aussi affectifs qui existent entre la France et la Pologne. Il s'est donc réjoui de voir la Pologne rejoindre prochainement l'Union européenne et a souhaité que cette audition soit l'occasion d'évoquer librement avec franchise et sérénité, les rapports entre nos deux pays, y compris les problèmes qui se posent.

M. Marek Borowski, Maréchal de la Diète de la République de Pologne, a souligné que cette audition se tenait à un moment important pour la Pologne et l'Europe toute entière, celui de l'effacement définitif de l'ordre de Yalta. Le rêve de plusieurs générations est en train de se réaliser avec le retour de la Pologne, exclue contre son gré en 1945 de la grande famille européenne. Il s'agit donc d'un moment historique qu'il serait légitime de célébrer, pourtant l'ambiance n'est pas à la fête.

Il a tout d'abord indiqué que l'objectif de l'élargissement de l'Europe faisait l'objet de critiques grandissantes, tant de la part des Etats-membres actuels, dont 40 % de la population craint les conséquences, que des citoyens polonais, dont seulement un peu plus de la moitié déclare vouloir participer au referendum sur cette question. En outre, les divergences sur la crise irakienne viennent renforcer ce sentiment.

M. Marek Borowski a estimé que la France, du fait de son poids politique, économique et militaire, avait un important rôle à jouer sur la scène européenne et internationale. La Pologne comprend et apprécie le rôle de la France dans la création d'une Europe unie, elle souhaite elle aussi participer à la construction d'une Europe forte et stable, conservant une position et une vocation particulière dans le monde. Ainsi, l'engagement européen de la Pologne, qui revendique son appartenance à la « vieille Europe », ne peut être remis en cause par qui que ce soit.

Pour autant, le Maréchal de la Diète a insisté sur les épreuves rencontrées par la Pologne pendant et après la deuxième guerre mondiale, qui expliquent le rôle qu'elle donne au lien transatlantique pour l'avenir de l'Europe et la paix mondiale. Il a redit tout l'attachement de la Pologne à l'idée de l'Alliance de l'Atlantique Nord comprenant l'Amérique du Nord et l'Europe coopérant loyalement l'une avec l'autre. En effet, la Pologne a besoin de l'Europe comme elle a besoin de l'Amérique car les fondements de sa politique étrangère sont l'attachement à l'Union européenne, à l'OTAN, des relations amicales avec tous les membres de l'Union, et plus particulièrement avec l'Allemagne et la France, la promotion de la démocratie et de la sécurité, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé...

M. Marek Borowski a ensuite abordé les tensions et problèmes apparus dans les relations entre la France et la Pologne afin de savoir d'où ils sont venus et comment les dissiper.

Concernant l'Union européenne, dès le recouvrement de sa pleine souveraineté en 1989, la Pologne a entrepris le processus visant à y adhérer. Pour arriver à cet objectif, elle a réalisé depuis 14 ans une transformation difficile et exigeant de nombreuses privations (un chômage qui dépasse les 18 %, d'importantes zones de misère, dans l'agriculture notamment, d'énormes inégalités...) qui a certes entraîné des progrès et des succès indubitables. Globalement, la Pologne a réalisé de nombreuses réformes, a modernisé sa législation, et continuera à le faire avec détermination afin de s'adapter aux standards de l'Union européenne. C'est pourquoi les Polonais ont mal lorsqu'ils entendent le Président français leur dire de s'abstenir de parler au risque de voir leur adhésion rejetée. Ces propos sont ressentis comme une gifle par la société polonaise qui, notamment avec la création de « Solidarnosč » en 1980, a tant contribué à la chute du mur de Berlin et à l'effondrement du communisme. Dans son histoire, la Pologne doit bien des choses à la France, mais la France en doit également à la Pologne.

Par ailleurs, M. Marek Borowski a estimé que les propos sur le coût de l'élargissement pour l'Union européenne étaient à la fois inélégants et faux. Certes, c'est à juste titre que l'Union est perçue comme un espace de solidarité où les pays les plus riches cofinancent, ou plutôt investissent dans, le développement des pays et des régions les plus pauvres élargissant ainsi leur zone de sécurité et leurs débouchés économiques. Il est évident que les avantages de cette conception stratégique de développement de notre continent sont mutuels. D'ores et déjà, ces avantages pour les pays de l'Union, dont la France, sont évidents si l'on considère le quadruplement des exportations françaises vers la Pologne depuis 1992 ou les 11,5 milliards de dollars qui y ont été investis par des entreprises françaises.

Le Maréchal de la Diète a ajouté que le « paquet » financier dont bénéficiera la Pologne après son adhésion s'élèvera à 57 euros nets par habitant, à comparer avec le transfert net en direction du Portugal et de l'Espagne - 200 euros par habitant - ou de la Grèce - 400 euros par habitant. Les transferts proposés à la Pologne sont donc 3 à 7 fois inférieurs, pourtant personne ne prétend que ces pays sont plus pauvres que la Pologne.

Pour M. Marek Borowski, un élargissement meilleur marché serait difficilement imaginable, même si chacun des Etats membres ayant ses besoins et ses électeurs doit se soucier légitimement des contraintes financières communautaires. La Pologne n'adhère évidemment pas à l'Union européenne uniquement pour des raisons financières, mais ce qui la préoccupe vraiment c'est l'effritement progressif de l'un des piliers de l'Union européenne, le principe de solidarité.

M. Marek Borowski a critiqué la thèse selon laquelle la Pologne ne veut pas consolider l'industrie de défense européenne, en raison de son achat d'avions F-16. Alors que ceux-ci volent dans dix pays de l'Union européenne, il a demandé pourquoi la Pologne n'avait pas le droit de les acheter. L'offre de Dassault a été nettement moins bonne que l'offre américaine, et que l'offre suédo-britannique. Si l'offre de Lockheed ne peut être réalisée, parce qu'il n'y a pas de garantie de réalisation de l'offset, le contrat ne prendra pas effet et la Pologne négociera avec le second offreur. Selon lui, ce contrat est commercial, il n'est pas un tribut politique. Le quotidien « Le Figaro » traite la Pologne de « pays le plus corrompu d'Europe », mais lorsqu'elle fait un appel d'offres honnête, transparent, on lui en veut, préférant peut-être un choix purement politique.

Il a fait valoir que la Pologne n'est pas attachée à l'armement américain, et qu'elle a commandé à la Finlande plusieurs centaines de transporteurs blindés. Elle n'appuie pas automatiquement toutes les actions des Etats-Unis sur la scène internationale. Elle a des divergences sur le protocole de Kyoto, la Cour pénale internationale, la Convention contre la torture ou la résolution concernant le respect des droits de l'Homme au Proche-Orient. Elle n'est pas un « cheval de Troie » des Etats-Unis, ce qui frôle l'offense. La Pologne demeure fidèle à l'Europe et à ses vieilles amitiés dont celle avec la France. Cependant, les relations amicales entre les pays impliquent des contacts plus fréquents, des consultations, une solution plus rapide des divergences et reproches mutuels.

Evoquant l'industrie de défense européenne, M. Marek Borowski s'est dit favorable à un renforcement mutuel des sociétés d'armement, mais s'est interrogé sur la conception d'une telle coopération, en demandant quel sommet européen s'en est occupé. Il a relevé qu'on propose seulement de consolider l'industrie de défense des autres pays, ce qui est impossible. La Pologne, pays relativement pauvre, doit, après son adhésion à l'OTAN, remplir les standards de cette organisation, ce qui grève très sérieusement son économie et son budget. Il s'est déclaré prêt à consolider l'industrie de défense européenne, mais en exigeant que parallèlement celle de la Pologne soit consolidée dans tous les domaines et pas seulement dans le domaine militaire.

Il a souhaité expliquer la position de la Pologne sur l'Alliance euro-atlantique. Selon lui, les expériences historiques conduisent la Pologne à la recherche de l'équilibre dans les relations euro-atlantiques, à s'opposer avec fermeté à la création de nouvelles alliances et à des conceptions construites sur l'opposition entre l'Europe et les Etats-Unis. Pour elle, les relations euro-atlantiques sont des éléments complémentaires et équivalents car il n'y a aucun conflit d'intérêts essentiel entre l'Union européenne et les Etats-Unis. C'est un faux dilemme à éviter. La Pologne s'identifie pleinement à l'Europe mais pour autant ses intérêts ne sont pas contraires à ceux des Etats-Unis. L'aspiration à adhérer à l'OTAN donnait pour la première fois à la Pologne une perspective de sécurité dans une alliance choisie par elle sans l'éloigner de l'Europe. Les Polonais sont des Européens qui veulent se souvenir que les Américains ont assuré, des décennies durant, l'équilibre des forces grâce auquel l'Europe a peut-être évité une effusion de sang.

Le Maréchal de la Diète a estimé que le rôle politique de l'Europe n'est pas à la hauteur de ses ambitions économiques et culturelles. Géant culturel, puissance économique, l'Europe est un faiblard politique. Certains pays européens pèsent davantage, politiquement parlant, que l'Europe tout entière. Il s'est félicité de la volonté française de changer le rang politique de l'Europe. Il a fait valoir que la Pologne est engagée dans l'œuvre de la réforme de l'Union. Avec la France et d'autres partenaires européens, elle veut construire une Europe forte et stable dont la voix sera entendue et écoutée dans le monde sur les questions internationales majeures. Selon lui, l'Europe doit prendre une part active au façonnement d'un ordre global, dans tous ses aspects - politiques, économiques, culturels. A la mi-janvier, la Pologne a présenté aux pays membres un document contenant des suggestions au sujet des futurs rapports avec les nouveaux voisins à l'Est car elle souhaite façonner activement la dimension orientale de l'Union européenne.

Il a considéré que pour que la force politique de l'Union égale sa puissance économique, il faut d'abord créer une politique extérieure et de défense commune, des forces armées européennes capables de réagir rapidement, définir les méthodes de consultation mutuelles et des modes de prise de décisions pour les questions internationales et de défense en tenant compte des pays candidats. Sans cela, toute tentative prise par certains pays d'accroître l'importance de l'Europe en opposition aux Etats-Unis est porteuse d'un risque sérieux de clivages internes et de brouille européenne. Selon lui l'Europe et les Etats-Unis peuvent être rivaux dans le domaine économique et culturel, mais pas dans le domaine politique, car ils partagent des valeurs semblables qu'ils doivent promouvoir ensemble dans le monde.

M. Marek Borowski a constaté que le conflit avec l'Irak a mis à l'ordre du jour le rôle de l'OTAN aujourd'hui alors que cette alliance de défense s'est constituée à l'origine pour faire face au bloc soviétique. Aujourd'hui, contre qui se défendre ? Il y a les attaques terroristes et les régimes dictatoriaux qui menacent leurs voisins, cela nécessite des opérations extérieures au système. Tels sont aujourd'hui les besoins de défense.

Il a estimé que tout pays peut avoir sa propre opinion sur le désarmement de l'Irak et l'exprimer. La France a le droit de porter un jugement critique sur la position de la Grande-Bretagne ou de la Pologne. Cependant, quand on entend que la Pologne et d'autres pays candidats ne devraient pas donner leur avis sur ce sujet, la propagande anti-européenne interne en Pologne en profite. Constatant que la « guéguerre des mots » ne mène à rien, il a prié les parlementaires de comprendre la situation : la France est grande, forte, riche et fière. La Pologne est plus petite, plus faible et plus pauvre, mais non moins fière et attend du respect et un traitement partenarial, sinon jamais les rêves d'une Europe forte et unie ne se réaliseront.

Le Maréchal de la Diète a souligné que lorsque la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Italie et quelques pays candidats, dont la Pologne, avaient signé la lettre commune concernant l'affaire irakienne. Le contenu de cette lettre n'avait sur le fond suscité aucune réserve et avait été considéré comme ne s'écartant pas de la position des Quinze, exprimée le 27 janvier dernier. Il est donc difficile de se voir reprocher d'avoir pris la parole.

En conclusion, il a fait valoir que la coopération polono-française allait de soi autrefois, n'exigeant ni soin ni démarche. La Pologne considérait comme évident que la France prenne soin d'elle, la France que la Pologne partage sa position mais il a souligné qu'en politique rien ne se fait automatiquement et sans effort.

Il a demandé si la France avait à proposer à la Pologne une offre politique authentique et partenariale, répondant aux besoins du temps, et voyait en son pays un partenaire important dans le dialogue sur l'avenir. L'attente de l'action de la France qui, dans les années quatre-vingt, a beaucoup aidé les Polonais, a été et demeure toujours importante. Hélas, la Pologne n'est guère consultée s'agissant des questions essentielles. Le triangle de Weimar, qui devait de façon informelle intégrer les efforts franco-allemands aux aspirations polonaises, a été peu efficace. Or la Pologne n'a pas impliqué cette enceinte pour qu'elle serve de simple décor.

Considérant que les problèmes apparaissant entre pays partageant les mêmes valeurs doivent être résolus par la voie du dialogue, le Maréchal de la Diète a lancé un appel pour un tel dialogue, dans l'intérêt des deux pays et de l'Europe. Il a proposé de revitaliser à tous les niveaux les consultations permanentes dans le cadre du triangle de Weimar.

M. Marek Borowski a remercié le Président de l'Assemblée nationale et le Président de la Commission des Affaires étrangères de l'opportunité qui lui est donnée de présenter ouvertement ses opinions, réflexions et doutes. Il a cité le grand poète Adam Mickiewicz « ce qu'un Français inventera, le Polonais aimera », soulignant le fait que cette plaisanterie n'avait pas perdu son sens aujourd'hui.

Evoquant les propos récents du Président de la République française, dictés sans aucun doute par l'émotion, le Maréchal de la Diète a préféré rappeler les propos tenus par le Président Chirac en 1996 devant le Parlement polonais : « Je fus, en 1989, le premier responsable politique d'Europe occidentale à plaider sans réserve pour l'adhésion de votre pays à la Communauté. Telle est aujourd'hui, bien entendu, la position de la France. Notre devoir, notre intérêt, notre amitié nous commandent de vous aider à nous rejoindre, dès les prochaines années. La Pologne y sera le partenaire naturel de la France, sa sœur de l'Est. »

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Marek Borowski pour la franchise de son propos, qui montre bien que la question principale est celle du rôle de l'Union européenne sur la scène internationale. L'Union européenne n'est pas uniquement un ensemble économique, monétaire et financier, mais elle a vocation à conduire une action dans le domaine de la politique extérieure et de la défense. La Pologne est-elle prête à entrer dans une Europe qui ne soit pas seulement économique ? La France est elle aussi alliée et amie des Etats-Unis, mais cela n'implique pas qu'elle soit nécessairement d'accord avec eux sur tous les problèmes qui se posent, que ce soit en matière de négociations commerciales ou sur la question irakienne. L'Union européenne doit avoir un minimum d'autonomie et ne pas céder au suivisme systématique en matière de politique extérieure.

M. Roland Blum a estimé que le problème n'était pas d'être pour ou contre les Etats-Unis, mais de refuser un monde unipolaire conduit par ce pays.La politique étrangère de sécurité et de défense commune est un facteur de multipolarité dans le monde actuel : quelle est la position de la Pologne sur cette question ?

M. Paul Quilès a fait part de sa convergence de vues avec le Président Balladur sur le rôle de l'Union européenne sur la scène internationale. Revenant sur les propos du Président de la République à l'égard des pays signataires de la lettre des huit, il a estimé qu'un agacement compréhensible pouvait cependant les expliquer. L'opinion publique française avait déjà mal réagi aux négociations et au coût financier liés à l'élargissement, l'épisode du F16 et la signature de la lettre des huit s'y sont surajoutés et ont provoqué cette réaction. Si elle était justifiée sur le fond, elle ne l'était pas dans sa forme, qui a offensé un pays ami. Si la France partage les mêmes valeurs que les Etats-Unis, elle n'est pas pour autant d'accord sur les objectifs ou sur les moyens qu'elles sous-tendent. On peut être un ami des Etats-Unis, sans pour autant être leur vassal et l'Union européenne, sans chercher à être leur égal, doit être un contrepoids empêchant la mise en place d'un monde unipolaire. Depuis la fin du Pacte de Varsovie, l'OTAN a voulu se transformer en un organisme plus politique que militaire. Si la volonté des autorités polonaises d'intégrer cette alliance est compréhensible, elle ne doit pas pour autant s'opposer à la mise en place d'une défense européenne. La défense européenne est difficile à construire et la crise actuelle risque de bloquer tout progrès en la matière. Ceci dit les crises ont parfois des conséquences heureuses en permettant de clarifier la situation : la Pologne entend-elle ainsi maintenir sa position en matière de commande d'équipements militaires ? Les contreparties technologiques ayant été jugées insuffisantes, la conclusion du marché des F16 a été reportée de deux mois. N'est-ce pas une occasion pour les autorités polonaises de revenir sur leur décision ?

M. Serge Janquin a relevé que la perception des objectifs de l'Union européenne était aujourd'hui en crise. Notant que M. Marek Borowski revendiquait son appartenance à la « vieille Europe », il en a déduit que cela ne pouvait que conduire à un riche partenariat entre la Pologne et la France. Il est vrai que les récents choix des Polonais ont pu conduire les Français à se demander si la Pologne, en adhérant à l'Union, souhaitait seulement entrer dans une Union économique et monétaire ou si elle voulait intégrer une Europe à caractère politique, avec une dimension militaire.

Sur le plan stratégique, le choix est celui-ci : soit l'on se contente du statu quo, ce qui nous met pour longtemps dans une position d'obligé des Etats-Unis, soit l'on tente d'élaborer une position autonome. M. Serge Janquin s'est demandé si, dans ce choix aussi, la Pologne soutiendrait « l'invention française ».

Le Maréchal de la Diète a indiqué qu'il avait abordé nombre de ces questions dans son intervention ; néanmoins des nuances peuvent être apportées. Il a déclaré regretter personnellement la faiblesse politique de l'Europe, d'où l'expression utilisée de « faiblard politique » ; en outre, l'Europe doit construire sa défense le plus rapidement possible. Il a rejeté l'idée d'un monde unipolaire, et estimé que l'Europe peut évidemment avoir un avis différent de celui des Etats-Unis sur les questions internationales. Le Maréchal de la Diète a estimé que les Européens devaient créer une Union politique forte, à laquelle la Pologne veut contribuer, mais cette dernière ne s'inscrirait pas dans une démarche visant à faire concurrence aux Etats-Unis. Il est de notre devoir de promouvoir des principes de conduite des relations internationales, et le souhait de la Pologne est qu'un grand nombre de ces principes soient communs à l'Europe et aux Etats-Unis.

La Pologne a une autre expérience historique que la France, c'est pourquoi elle craint beaucoup qu'un conflit politique n'apparaisse entre une Europe puissante et les Etats-Unis. Cela n'empêche pas la rivalité et les divergences de point de vue dans le domaine commercial de s'exprimer.

En ce qui concerne la position de la Pologne quant à une intervention militaire en Irak, il faut se garder d'exprimer une opinion trop tranchée sans une analyse en profondeur. La Pologne a essayé d'avoir une influence positive en faveur d'une prolongation de la mission des observateurs, mais à l'heure actuelle elle a moins d'influence que la France. Chaque pays devra, le moment venu, prendre sa décision en fonction des circonstances ; M. Marek Borowski a dit qu'il s'abstiendrait quant à lui de dénoncer la position des Etats-Unis. En tout cas, si l'Union s'était déjà dotée d'une véritable politique extérieure commune, son poids aurait été plus grand. La divergence de vue entre la France et la Pologne est compréhensible, mais la façon dont elle a été exprimée a choqué les Polonais, et a permis aux opposants à l'intégration dans l'Union européenne de proposer l'organisation d'un débat sur la place de la Pologne en Europe au lendemain de la déclaration du Président français.

S'agissant de la commande d'avions F-16, celle-ci se déroule selon la loi et donc au moyen d'un appel d'offres ; l'offre de la firme Lockheed s'est avérée la plus intéressante car elle comporte un investissement de six milliards de dollars dans l'industrie polonaise, permettant de donner une impulsion à l'économie du pays. Si cette offre n'était pas confirmée dans le contrat final, le choix serait remis en cause.

M. François Guillaume a mentionné le fait que l'agriculture polonaise ne pouvait pas bénéficier d'aides comparables à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce au moment de leur entrée dans l'Union européenne, car le nombre des nouveaux membres s'élève aujourd'hui à dix. L'Union européenne est par ailleurs dans une situation économique difficile et la rallonge financière obtenue par la Pologne, ainsi que les quotas laitiers qui lui ont été attribués, constituent autant d'avancées notables. Quelle sera la position de la Pologne à l'égard du secteur agricole dans les prochaines négociations de l'OMC ? Les agriculteurs polonais sont-ils prêts à produire pour tenir compte des exigences des consommateurs en matière de traçabilité et de qualité ?

M. Bruno Bourg-Broc s'est interrogé sur l'attitude que les Polonais allaient adopter en cas d'engagement militaire des Etats-Unis en Irak. La Pologne est-elle prête à défendre l'inscription de la référence aux valeurs religieuses et spirituelles de l'Europe dans la future constitution européenne ? Le nombre d'élèves apprenant le français en Pologne étant de 3,8 %, contre 55 % pour l'anglais et 33 % pour l'allemand, il a demandé ce que le Gouvernement polonais comptait faire pour encourager l'apprentissage de notre langue ?

Le Président Edouard Balladur s'est enquis de l'état d'esprit de l'opinion polonaise s'agissant du référendum sur l'adhésion de la Pologne à l'Union prévu en juin prochain et a demandé comment la Pologne envisageait les futures relations entre l'Union européenne et la Russie. Il a enfin interrogé le Maréchal sur les demandes des autorités russes d'instaurer un régime de libre circulation des personnes vers l'Union européenne.

M. Marek Borowski a d'abord indiqué que c'était à contrecœur qu'il évoquait les questions financières à propos de l'élargissement. En effet, l'Europe est tellement importante que même pour rien, il serait important d'y adhérer.

En ce qui concerne le parallèle avec l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, qui aurait été plus facile car il concernait deux pays contre dix aujourd'hui, il faut rappeler que le PIB cumulé des candidats actuels représentent 4 % de celui de l'Union, alors que celui de la seule Espagne correspondait à 8 % du PIB des membres de l'époque. Par ailleurs, l'effort financier qui est consacré à l'élargissement est beaucoup plus modeste qu'en 1986.

Sur les avantages accordés à la Pologne pour les quotas laitiers, ils étaient nécessaires et ont amélioré le climat dans les campagnes. La Pologne est déterminée à réformer son agriculture et essayera pour cela d'utiliser au mieux les périodes transitoires qui lui ont été accordées. Mais il faut prendre en compte que les agriculteurs polonais ne bénéficieront qu'à 40 % des aides directes, qui sont pourtant l'élément principal de la politique agricole commune.

Sur l'Irak, la Pologne n'exclut pas de soutenir les Etats-Unis.

Quant à la question de l'inscription dans la Constitution de l'Union européenne de la référence aux valeurs spirituelles et religieuses de l'Europe, la Pologne propose des solutions tirées de sa propre Constitution, avec des modifications. Toutefois, si ce problème fait l'objet d'un conflit, elle propose de faire simplement référence à des valeurs spirituelles.

En ce qui concerne l'apprentissage de la langue française, il a regretté que la France, durant des années, se soit progressivement désintéressée de la Pologne et s'en soit retirée. Il y avait toute une action à mener, l'ouverture de la Pologne à la France était acquise. Il faut désormais de nouveau promouvoir le français, accroître l'activité des agences, car la langue française relève du patrimoine européen.

En ce qui concerne les relations Union européenne-Russie, la Pologne, soucieuse de l'application rigoureuse du dispositif Schengen, introduira des visas à compter du 1er juillet prochain en évitant que leur coût soit excessif, pour ne pas constituer de barrière.

Le Président Edouard Balladur a demandé confirmation du fait qu'actuellement il n'est exigé aucun visa entre la Russie et la Pologne.

Le Maréchal de la Diète a précisé que pour l'instant effectivement aucun visa n'est demandé mais que, dès l'adhésion de la Pologne à l'espace Schengen, une procédure de visas serait mise en place.

Quant au référendum sur l'adhésion à l'Union européenne, il a estimé que trois Polonais sur quatre étaient favorables à l'adhésion, mais s'est inquiété du taux de participation, qui risquait d'être en deçà des 50% d'inscrits nécessaires pour valider le scrutin. Si ce seuil n'est pas atteint, il appartiendrait au Parlement de se prononcer à la majorité des deux tiers, qui paraît acquise. Toutefois il serait nettement préférable politiquement que le peuple prenne cette décision. Il a insisté sur l'amplification par les eurosceptiques polonais de tout ce qui venait de l'extérieur, en demandant de tenir compte de cet état de fait.

En ce qui concerne la campagne électorale sur le référendum, le Maréchal de la Diète a déclaré qu'une campagne extra-gouvernementale serait faite pour donner à la population des informations loyales afin qu'elle prenne en connaissance de cause cette décision historique d'adhésion. Un signal venu de la France montrant que celle-ci attend « sa sœur de l'Est » conférerait à la campagne une note optimiste. En effet, certains Polonais ont le sentiment que l'adhésion a exigé préalablement de profondes transformations qui ont eu lieu pendant douze ans et que finalement leur situation a empiré.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Maréchal de la Diète de cette rencontre qui avait permis de débattre avec une grande ouverture d'esprit. Grâce à cette audition, les positions de la Pologne ont été mieux comprises. Il a souhaité que cela soit réciproque en insistant sur les liens traditionnels d'amitié qui unissent les deux pays.

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