COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 19 mars 2003
(Séance de 11 heures 45)

Présidence de M. Guy Teissier, Président de la Commission de la Défense,

et de M. Edouard Balladur, Président de la Commission des Affaires étrangères

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense, sur la situation en Côte d'Ivoire


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Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense

La Commission des Affaires étrangères et la Commission de la Défense nationale et des Forces armées ont entendu Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre de la Défense.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que la situation en Côte d'Ivoire constitue, avec celles de l'Irak et de la République Centrafricaine, un des sujets de préoccupation majeurs du Gouvernement. Entretenant des liens historiques et affectifs étroits avec ce pays, y disposant de nombreux ressortissants, la France se devait d'intervenir. En outre, si la première des priorités a consisté à assurer la sécurité des ressortissants français et étrangers, le rôle de la France pour la paix sur le continent africain et la crédibilité de sa politique pour la mise en place d'un système global de gestion des crises sur le continent étaient en jeu. La présence des forces françaises en Côte d'Ivoire a certainement empêché un bain de sang et elle a favorisé un règlement politique de la crise qui, après des débuts difficiles, s'amorce aujourd'hui.

Rappelant les origines de la crise, Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que la Côte d'Ivoire, comme la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, ne présente ni unité ethnique, ni unité religieuse. La vie politique de ce pays est essentiellement l'expression de ce morcellement. Les troubles politiques traduisent l'absence de relève fédératrice depuis la mort du Président Houphouët-Boigny, en 1993. Cette situation difficile a été aggravée par la dégradation de l'économie, du fait de la crise du secteur agricole et des mesures d'ajustement imposées par les organismes internationaux, dégradation qui a accru le ressentiment des Ivoiriens à l'égard des travailleurs étrangers, d'origines malienne et burkinabe essentiellement. Un tel contexte a été aggravé par l'exploitation politique de la notion d'« ivoirité » et les conséquences de la déstabilisation des pays voisins, le Libéria et la Sierra Leone notamment, cause pour la Côte d'Ivoire d'un afflux de réfugiés dans les régions frontalières. Cette situation délétère a abouti au coup d'Etat du général Robert Gueï en décembre 1999, puis à son éviction par un soulèvement populaire en octobre 2000, et enfin à l'élection du président Laurent Gbagbo, dans des conditions d'apparente légalité, mais avec, en réalité, l'exclusion de plusieurs candidats importants. C'est un parti représentant seulement 15 % de la population du pays, appuyé sur l'ethnie Bété, qui est alors porté au pouvoir. Le peu d'enthousiasme du président Gbagbo à engager une politique de réconciliation nationale et la mise à l'écart des sous-officiers des forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) jugés trop proches du général Gueï ont alors ouvert la voie à une mutinerie. Le 19 septembre 2002, tandis que le cœur du pouvoir est attaqué à Abidjan, une rébellion, encadrée par d'anciens sous-officiers des troupes régulières, prend rapidement le contrôle du nord du pays.

La France ne pouvait se désintéresser d'une telle situation. Une intervention a donc été décidée, avec pour objectifs de protéger les populations civiles et les ressortissants étrangers, de stabiliser la situation militaire dans l'attente du déploiement d'une force africaine d'interposition et de favoriser la réconciliation nationale. Le déclenchement de l'opération Licorne a très certainement permis d'éviter un bain de sang à l'instar du Rwanda en 1994. Elle a également conforté la pertinence du dispositif des forces prépositionnées, les effectifs stationnés en Côte d'Ivoire et au Gabon ayant pu rapidement être mobilisés, immédiatement pour les TFCI, dans la semaine pour les TFG.

Des exactions graves ont certes eu lieu et des charniers ont été découverts. La communauté internationale enquête sur ces faits, dont vraisemblablement les responsabilités incombent aux deux parties. Les forces françaises ont aussi engagé des actions civilo-militaires pour atténuer les difficultés humanitaires de la population locale.

Pour ce qui concerne la sécurité des ressortissants étrangers, les soldats participant à l'opération Licorne ont évacué quelque 2 300 personnes de la zone de confrontation, dont 1 900 de la seule ville de Bouaké, parmi lesquels 80 enfants de l'école américaine. À cet effet, les armées américaines ont fourni, sous commandement français, un soutien logistique dans le domaine du transport aérien. À Abidjan, bien que la situation soit restée tendue, il n'a pas été nécessaire de mettre en œuvre les dispositions planifiées par les armées pour l'évacuation des ressortissants. Aujourd'hui, il ne reste qu'un peu plus de 12 000 ressortissants français sur les 20 000 recensés en Côte d'Ivoire avant la crise. Près de 7 000 d'entre eux possèdent la double nationalité. Restent également 1 700 ressortissants d'autres pays de l'Union européenne, 1 400 Américains, ainsi qu'un nombre très important, mais difficile à déterminer, de Libanais.

La sécurité des personnes est désormais assurée. Les forces françaises, dont l'effectif est supérieur à 3 000, ont, grâce à leur supériorité technique, mais aussi à leur sens du dialogue, contribué à stopper l'avance des rebelles vers le sud, au contraire des forces armées ivoiriennes, incapables de s'opposer à la progression de rebelles très bien organisés et motivés. La progression des forces rebelles vers les faubourgs d'Abidjan aurait pu être à l'origine d'un bain de sang et rendre très difficile la situation des Français. Dans l'ouest du pays, les forces françaises ont dû faire usage de leurs armes ; la situation y était plus complexe en raison de la présence de réfugiés, d'éléments non contrôlés des forces libériennes, voire de simples pillards ; nos forces ont eu à déplorer douze blessés et un mort.

La présence de l'armée française, qui a dû effectuer la tâche qui revenait aux FANCI, a également permis d'attendre le déploiement d'une force d'interposition sous l'égide de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) dont doivent relever, dans la région, de telles actions de stabilisation. Nos soldats assurent aujourd'hui le soutien de cette force. Il s'agit d'une des premières mises en application opérationnelle du concept de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP), ce qui peut expliquer certaines lenteurs : prévue pour le 7 novembre 2002, la force d'interposition n'a été mise en place que le 17 février 2003, après avoir dû régler plusieurs questions d'organisation. La France agit avec le soutien des Nations Unies dans le cadre de la résolution 1464, votée à l'unanimité le 4 février 2003. La force d'interposition de la CEDEAO a reçu, pour son équipement, le concours de la Belgique, ce qui indique une première mobilisation européenne, et aussi des Etats-Unis.

Sur le plan politique et diplomatique, la France considère que le règlement de la crise passe par la participation de toutes les composantes de la Côte d'Ivoire à la gestion du pays. Les accords de Marcoussis ne constituent en aucune manière une sorte de diktat de la part de la France, celle-ci n'ayant joué qu'un rôle de médiateur. Des témoignages d'autorités présentes aux négociations indiquent sans conteste que le compromis si critiqué portant sur la composition du Gouvernement a été proposé par le président Laurent Gbagbo lui-même, après qu'il eut refusé d'autres postes ministériels aux partis représentant la rébellion. La communauté internationale apporte un soutien sans faille à ces accords. Le gouvernement ivoirien au complet devrait se réunir pour la première fois le 20 mars et le pays entre dans une période de stabilisation.

En conclusion, la vigilance reste de mise. Le maintien des forces françaises est indispensable, même si un allègement du dispositif militaire est envisageable au fur et à mesure des progrès politiques. Les forces armées nationales de Côte d'Ivoire doivent être réorganisées et rééquipées, afin d'être capables de mettre fin à l'infiltration d'éléments armés arrivant du Libéria. Les stocks Recamp, très sollicités, devront être reconstitués. Enfin, la contagion régionale semble être évitée.

Les militaires français accomplissent remarquablement leur travail, avec beaucoup de sang-froid et méritent que le Parlement leur manifeste l'estime et la reconnaissance du pays. La France a également montré qu'elle ne se désintéressait pas de l'Afrique, mais qu'elle continuait à s'investir fortement dans le développement et la stabilité de celle-ci, qui contribuent à notre propre sécurité et à celle de nos alliés.

M. Guy Teissier, Président de la Commission de la Défense, a noté que la soudaineté de cette crise avait mis en évidence la pauvreté de l'information fournie par nos services de renseignement. Il a également interrogé la ministre sur les sources de financement des mouvements rebelles, dont il a souligné la bonne organisation.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que des indications relatives aux risques de troubles en Côte d'Ivoire étaient bien remontées aux autorités françaises, mais que l'élément déclencheur, difficile à cerner, n'avait été connu que 48 heures avant le début des faits : il s'agissait du limogeage des sous-officiers par le président Gbagbo. L'origine des mutins, sous-officiers habitués à travailler ensemble et à encadrer la troupe, explique à la fois la bonne tenue de la rébellion, mais aussi la désorganisation des FANCI, privées de leurs cadres intermédiaires. Plusieurs mouvements d'origines très différentes se sont adossés à la rébellion, puis agrégés entre eux. Cela explique la multiplicité des soutiens et des financements. Enfin, l'approvisionnement en armes a été facilité par des réseaux parallèles, tandis que des mercenaires ont été recrutés en Afrique du sud et en Europe de l'est. La ministre a souligné l'importance du projet de loi sur la répression de l'activité de mercenaire, en cours d'examen par le Parlement.

M. Richard Cazenave a souhaité exprimer le soutien des parlementaires à l'action de la France dans la crise ivoirienne. La décision de déployer des forces d'interposition, quels que soient les risques politiques qu'elle comporte, est conforme au rôle que doit jouer notre pays. Alors qu'on a vu comment pouvaient évoluer des situations laissées sans intervention, c'est un choix courageux et responsable.

Il a ensuite demandé des précisions sur la situation humanitaire dans les secteurs où des déplacements de population ont eu lieu, ainsi que sur les actions menées par la France dans ce domaine. Abordant ensuite la crise en République centrafricaine, il a souhaité savoir quelle était l'ampleur du dispositif français sur place et quelles étaient les missions assignées aux forces françaises.

M. Didier Julia a fait observer qu'en marge du dernier sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France, le président centrafricain Ange-Félix Patassé avait indiqué qu'il avait demandé le déploiement de 200 gendarmes français. Pourquoi n'a-t-on déployé 300 parachutistes qu'après le coup d'Etat ? Au service de quelle politique ces soldats sont-ils sur place ?

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que l'intervention française en Côte d'Ivoire comportait une dimension humanitaire. Celle-ci est particulièrement nécessaire en cas de mouvements d'exode hors des zones de combat. Sur ce point, la situation actuelle est heureusement stabilisée, à l'exception de l'ouest du pays, où se poursuivent de nombreuses actions de pillage.

La France a condamné en République centrafricaine toutes les tentatives visant à renverser par les armes le pouvoir exécutif élu. Elle savait que la situation politique de ce pays s'était dégradée depuis longtemps et considérait cependant que le cadre de règlement de cette affaire était le cadre régional, en l'espèce celui de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC). Elle a d'ailleurs répondu positivement à toutes les demandes d'assistance du président de cette organisation. Les 300 militaires français sont déployés afin de contribuer à la sécurité des populations civiles et des ressortissants français et étrangers. Les forces françaises sont présentes à cet effet sur l'aéroport ; elles n'ont pas vocation à prendre parti dans des querelles politiques intérieures. Une centaine de personnes a déjà été évacuée.

Abordant la question irakienne, M. Jean-Michel Boucheron a souhaité savoir quelle serait la réaction française en cas d'utilisation d'armes chimiques par le pouvoir irakien contre les forces américaines. Plus précisément, les unités sanitaires capables d'être projetées pour lutter contre les effets des armes chimiques ont-elles été mises en état d'alerte ?

M. Edouard Balladur, Président de la Commission des Affaires étrangères, après s'être référé à deux déclarations faites respectivement par le chef d'état-major des armées et l'ambassadeur de France aux Etats-Unis, a souhaité savoir si l'éventuelle utilisation d'armes chimiques par l'Irak conduirait à un changement de la position de la France.

Après avoir fait observer que l'intervention militaire qui s'annonçait aurait lieu sans l'autorisation de l'ONU et que, pour ce motif, la France avait annoncé qu'elle n'y participerait pas, Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que le Président de la République avait indiqué que cette position serait revue dans le cas de l'utilisation d'armes chimiques ou biologiques.

M. Yves Fromion a souhaité savoir si les deux Mirage IV mis à disposition de l'ONU pour des missions de surveillance aérienne au-dessus de l'Irak continuaient leurs opérations, ou si celles-ci avaient été suspendues.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que le dernier vol de ces appareils avait eu lieu la veille.

M. Guy Teissier, Président de la Commission de la Défense, a demandé à la ministre de remercier au nom du Parlement les forces armées pour la mission de paix remarquable qu'elles mènent en Côte d'Ivoire.

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