COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 mai 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jaap de Hoop Scheffer, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas


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Audition de M. Jaap de Hoop Scheffer, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Jaap de Hoop Scheffer d'avoir accepté de se rendre devant la Commission des Affaires étrangères au lendemain de l'inauguration de la première session du Conseil de coopération franco-néerlandais. Il a indiqué que la Commission souhaiterait plus particulièrement aborder le thème de la construction de la nouvelle Europe à vingt-cinq, la France et les Pays-Bas figurant tous deux parmi les six pays fondateurs. Il a également ajouté que l'actualité internationale faisait apparaître entre les Etats membres de l'Union des analyses et des positions différentes et qu'il était nécessaire de réfléchir ensemble à la définition d'une politique étrangère, de sécurité et de défense commune et au rôle que nous voulons faire jouer à l'Europe dans un monde multipolaire, alors même qu'une telle affirmation d'une identité européenne ne doit pas être vue comme étant dirigée contre les Etats-Unis.

M. Jaap de Hoop Scheffer s'est félicité d'être entendu par la Commission des Affaires étrangères le lendemain du jour où la France et les Pays-Bas ont inauguré le Conseil de coopération franco-néerlandais, excellent instrument d'intensification de la coopération bilatérale dans le domaine culturel, social, scientifique, économique et journalistique. Un accord sur des initiatives communes a été conclu à cette occasion, ce qui renforce les relations bilatérales dans le domaine politique.

Il a constaté que les relations franco-néerlandaises croissent en importance avec l'élargissement et l'approfondissement de l'Union européenne, car ces deux pays ont un destin commun. Malgré certaines divergences, en tant que pays fondateurs de la Communauté européenne, ils partagent nombre de valeurs telles que la démocratie, les droits de l'Homme, l'application du droit international, la stabilité et la sécurité, ainsi que celles relatives au rôle de la communauté internationale. Ils ont en commun un esprit européen qui transcende des opinions parfois divergentes sur certaines questions et croient à un renforcement du rôle de l'Union européenne. Cet esprit européen est nécessaire, d'autant que la crise en Irak a créé un sentiment d'antagonisme, voire une crise au sein de l'Union européenne et dans les relations transatlantiques.

Il a évoqué la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne qui aurait déjà dû être élaborée depuis longtemps. Les intérêts de l'Union européenne, autant que l'ordre international, nécessitent que celle-ci s'exprime d'une seule voix dans les relations internationales. Il faut définir une vision commune de la PESC comprenant une composante de défense, centrée sur le cadre multilatéral, dont les Nations unies sont le plus beau fleuron. Cet ordre international inclut aussi des organisations clés telles que l'OTAN et l'OSCE.

Ensuite, il faut déterminer une vision commune de la relation transatlantique et approfondir le dialogue transatlantique en conséquence. Quelle que soit l'ampleur des investissements dans le cadre multilatéral, il a considéré que l'on ne pouvait pas se passer des Etats-Unis qui eux aussi ont besoin de l'Union européenne. Si les Etats-Unis devaient prendre leurs distances avec le système multilatéral, celui-ci en pâtirait irréparablement. Pour l'Union européenne, comme pour les Etats-Unis, les enjeux sont trop grands, à la fois en termes politiques et en termes économiques, pour abandonner le système multilatéral.

Selon lui, pour contribuer utilement à l'ordre international, il convient premièrement d'élaborer une PESC comprenant une capacité militaire. C'est un choix stratégique imposé par la fin de la guerre froide et l'émergence de nombreux conflits régionaux à l'extérieur de l'Union européenne.

Deuxièmement, la capacité de défense européenne devrait être liée à l'OTAN et ne pas être le doublon de structures et de capacités existantes. Une capacité de défense européenne devrait permettre à l'Union européenne de jouer un rôle dans la prévention et dans la gestion des crises, quand l'engagement de l'OTAN n'est pas l'option retenue. Si l'OTAN reste essentielle, les Européens devraient réaliser plus de choses ensemble et non pas en petits groupes de quatre ou cinq pays.

Troisièmement, la reconnaissance de l'importance d'une défense européenne devrait aussi se traduire par la volonté politique de contribuer aux ressources et aux capacités.

Quatrièmement, il convient de développer un concept commun de sécurité européenne qui reconnaisse et pallie les lacunes actuelles du système multilatéral, car le cas de l'Irak a révélé des manquements dans le cadre multilatéral, y compris au niveau des Nations unies et de l'OTAN. Les régimes traditionnels de non-prolifération ont leurs limites et ne répondent pas efficacement à la menace des Etats qui se placent en-dehors du système. Si on veut répondre de manière adéquate à ces menaces, il faut, d'un côté, continuer à faire respecter l'universalité des traités et des normes, renforcer les mesures de contrôles des exportations et, de l'autre, explorer de nouvelles pistes. L'Union européenne doit développer une stratégie cohérente de non-prolifération qui inclut tous les instruments dont elle dispose. En pratique, il faut utiliser le poids de l'Europe dans le domaine économique ou du développement pour faire pression sur les pays qui ne respectent pas certaines valeurs et certains accords, que ce soit dans le domaine de la non-prolifération, du terrorisme ou des droits de l'Homme. Tel est le cas de l'Iran, avec lequel l'Union européenne négocie un accord de commerce et de coopération. En liant l'accès au marché aux questions de sécurité, on créera une politique étrangère européenne réellement cohérente et efficace.

S'agissant des relations avec les Etats-Unis, M. Jaap de Hoop Scheffer a observé que, si l'Union européenne voulait conserver un partenariat solide avec eux, elle devait reconnaître que le cadre multilatéral actuel est déficient, car il ne fonctionnera pas sans ces derniers. Comment lui conférer plus de poids ? Il est de l'intérêt de l'Europe comme des Etats-Unis de mettre en place un système multilatéral solide et efficace. L'Europe devra inévitablement parler d'une seule voix au sein du Conseil de sécurité. Le débat sur le monde multipolaire ou unipolaire indique que ce problème doit être abordé. Un système multilatéral solide reste le meilleur moyen pour protéger les intérêts mondiaux que sont la paix et la sécurité internationales. Cela impose non seulement aux Etats-Unis, mais aussi à l'Union européenne, de prendre une part de responsabilité pour la sécurité dans le monde. L'Union européenne l'accepte déjà dans la lutte contre le terrorisme. En outre, il faudra engager une discussion de fond entre l'Europe et les Etats-Unis sur le rôle futur de l'OTAN, qui soit plus réactive que l'OTAN du vingtième siècle.

Selon lui, il faut convaincre les Etats-Unis que, même si on ne partage pas toujours leurs idées, on croit en l'importance de la relation transatlantique. Les efforts que déploie l'Union européenne pour jouer un rôle dans la politique étrangère et de défense ont pour but de contribuer à la stabilité et à la sécurité internationales et non de faire de l'Europe un contrepoids aux Etats-Unis. L'« Europe-puissance » devrait être aussi une « Europe partenaire », avec une diplomatie active et engagée dans un esprit d'ouverture abordant les questions fondamentales, telles que le commerce et les relations économiques, la prolifération, les Etats voyous et le processus de paix au Moyen-Orient. L'Union européenne et les Etats-Unis devraient se recentrer sur ce qui les unit et les Américains devraient reconnaître qu'il n'existe ni « vieille Europe » ni « nouvelle Europe » ; l'Union européenne, pour sa part, doit admettre qu'elle a peut-être sous-estimé le traumatisme que les attaques terroristes de 2001 ont été pour l'âme et la société américaine.

M. Jaap de Hoop Scheffer a fait valoir que l'approfondissement de l'intégration européenne était aussi de l'intérêt des Etats-Unis. Une Europe plus capable et plus forte traitera plus efficacement les questions majeures. Au sein de la Convention sur l'avenir de l'Union, la forme et les ambitions de la future Europe sont débattues. Cela coïncide avec l'achèvement d'une période d'élargissement sans précédent qui modifiera la manière dont l'Union européenne et ses membres fonctionnent. L'Europe en ressortira plus diverse. Il y aura des divergences entre les grands et les petits Etats, entre les Etats du Nord et les Etats du Sud, entre les pays fondateurs et les nouveaux Etats membres rendant l'issue des discussions de plus en plus imprévisible. Cela renforcera l'importance des relations bilatérales au sein de l'Union européenne. Ainsi, chaque nouvelle question peut réunir une nouvelle coalition ad hoc d'Etats membres. Il a relevé qu'avec vingt-cinq Etats membres, le processus diplomatique s'élaborerait davantage dans les capitales nationales où sont élaborées les positions sur les questions concernant l'Union. Bruxelles restera l'étape ultime du processus décisionnel de l'Union, mais la marge de manœuvre sera très étroite. Les négociations et la formation de coalitions auront lieu de plus en plus souvent dans les capitales des Etats membres : c'est la renaissance du bilatéralisme, mais au service de l'intégration européenne. Cela implique un investissement dans les relations avec d'autres Etats membres, y compris avec ceux qui ne partagent pas les mêmes idées. Il faut également mener à bien la Convention, puisqu'elle déterminera le cadre dans lequel nous devrons défendre nos intérêts à l'avenir.

En ce qui concerne la Convention, il a souligné que les Pays-Bas, pays fondateur tout comme la France, estimaient qu'il fallait surtout préserver le dynamisme de l'Union européenne, renforcer la position de la Commission et la méthode communautaire. La France et les Pays-Bas ont récemment publié un document conjoint sur ce point. Les Pays-Bas veulent s'assurer que le résultat final de la Convention reflétera cette position. Tout nouveau traité devra garantir l'équilibre actuel entre les institutions européennes, préserver la parité entre les Etats membres, maintenir le système actuel de la présidence tournante, en particulier pour le Conseil européen et renforcer parallèlement le Conseil des Ministres. Un ministre européen des Affaires étrangères, comme le proposent la France et les Pays-Bas, servirait très bien le double objectif d'augmenter la cohérence extérieure de l'Europe et de renforcer la coopération entre les institutions - même si une telle personne n'aurait guère pu empêcher l'apparition des divergences dans la crise récente sur l'Irak.

Les dernières propositions du Praesidium de la Convention sur le rôle des institutions ne reflètent ni ces principes de base, ni la discussion qui a lieu au sein de la Convention, puisqu'une large majorité de ses membres est d'un avis différent. Ces propositions divisent les Etats membres. Ainsi, les pays du Benelux ont-ils soumis une proposition d'articles institutionnels destinés à éviter qu'un fossé ne se creuse entre grands et petits pays de l'Union.

Selon le Ministre, le replâtrage institutionnel n'est pas une alternative à la volonté politique et le dynamisme de l'Union européenne, particulièrement sur la politique étrangère et de sécurité, dépend largement de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni. Toute avancée majeure dans l'intégration européenne est en fait subordonnée à leur soutien. Si la France souhaite construire une « Europe puissance », est-elle disposée à en tirer les conséquences, c'est-à-dire à investir dans la mise en place d'institutions communes fortes, même si cela devait mener à un partage de souveraineté et à des positions de compromis ?

Il a conclu en observant que les Pays-Bas reconnaissaient le rôle-clé joué par la France dans le développement de l'Union européenne. Les deux pays doivent œuvrer ensemble, guidés par un esprit européen. Il s'est dit convaincu que le Conseil de coopération franco-néerlandais qui vient d'être mis en place permettra de défendre les intérêts de chacun tout en construisant une Union européenne à la fois plus large plus forte. Si la crise irakienne a indubitablement mis en évidence les divergences tant entre les Etats membres de l'Union européenne que de part et d'autre de l'Atlantique, elle a aussi donné une nouvelle impulsion à la réflexion sur le rôle de l'Europe dans le monde. On ne sait pas encore quelle sera l'issue exacte de ces discussions ; cependant, il s'est déclaré convaincu que l'Union européenne devait avoir une voix et une présence plus forte dans le monde et qu'en tant que pays fondateurs, la France et les Pays-Bas se devaient de réussir dans cette entreprise.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre pour la qualité de son exposé avant de suggérer que la discussion ne s'ordonne autour de deux thèmes : l'organisation de l'Union européenne et ses relations avec les Etats-Unis. Il a ensuite demandé comment on pouvait concilier le renforcement du rôle et des structures de l'Union européenne avec le maintien d'un rôle privilégié des capitales nationales, et notamment de Paris, Londres et Berlin, dans la définition de la politique étrangère et de défense.

M. Jaap de Hoop Scheffer a considéré que l'Europe à vingt-cinq serait plus continentale dans sa géographie, mais plus atlantique dans sa politique extérieure. En tout état de cause, la tenue de conseils d'administration générale nécessitera une préparation dans le cadre de relations bilatérales. Il faut donc renforcer l'intégration européenne par la mise en place des nouvelles institutions et par l'extension de la règle de la majorité qualifiée, tout en accroissant le dialogue entre les capitales européennes. Ceci ne signifie pas qu'il faille créer un directoire européen et les Pays Bas y sont opposés. Ceci dit, la politique étrangère de l'Europe ne se décidera pas à la Haye et aucune politique étrangère et de sécurité commune ne sera envisageable sans un accord entre Paris, Londres et Berlin.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a demandé si la ratification de l'élargissement de la « vieille Europe » aux pays de la « nouvelle Europe » par la voie du référendum était de nature à modifier la pratique politique et institutionnelle des différents Etats membres en matière européenne.

M. Jaap de Hoop Scheffer a déclaré qu'il ne souscrivait pas à la vision d'une Union européenne partagée entre vieille et nouvelle Europe. De fait, malgré les réalisations de l'Union, sa contribution à l'existence d'une Europe sans guerre et l'avancée historique que représente l'élargissement, l'Europe demeure abstraite pour le peuple et la tâche à accomplir pour en améliorer la perception par l'opinion publique est grande. Si les référendums organisés dans les pays candidats à l'entrée dans l'Union se sont bien passés, l'incertitude est grande sur le résultat qu'une telle consultation pourrait avoir aux Pays Bas, notamment en raison des positions prises par les populistes.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que les référendums réservaient des surprises dans bien des pays et que les Pays Bas n'étaient pas à cet égard dans une situation exceptionnelle.

M. Bruno Bourg Broc a souhaité savoir si les Pays Bas étaient favorables à une référence aux racines spirituelles de l'Europe dans la future Constitution européenne.

M. Jaap de Hoop Scheffer a estimé qu'il était plus facile de dire que l'Europe était fondée sur une union de valeurs que de les mettre en œuvre dans la pratique. Malgré l'affirmation de valeurs communes en matière de démocratie, de droits de l'Homme et de tolérance, les minorités continuent à connaître d'importants problèmes d'intégration, tant aux Pays Bas qu'en France, dont on peut connaître la situation en regardant TV 5. Si les valeurs judéo-chrétiennes et humanistes sont partagées au sein de l'Union, il ne faut pas pour autant négliger le dialogue avec le monde arabe et avec les musulmans présents dans nos pays.

M. Jean-Paul Bacquet s'est demandé si un éventuel Ministre des affaires étrangères de l'Union européenne, compte tenu des différends apparus sur la question irakienne, aurait pu tenir un langage cohérent.

Le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il aurait probablement été contraint de se taire.

M. Jaap de Hoop Scheffer a répondu qu'il devrait en effet se taire tant qu'il n'existera pas de politique extérieure et de défense européenne cohérente. Il a réaffirmé qu'une telle politique n'était envisageable qu'à condition qu'existe un accord entre Paris, Londres et Berlin. En effet, une des leçons de la crise irakienne est qu'il n'existe actuellement pas de politique européenne dans ce domaine. Ainsi si les divergences franco-britanniques perdurent, il n'y aura jamais de politique extérieure et de défense européenne. A l'inverse, si la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne se mettent d'accord sur une question, le résultat conviendra dans 99 % des cas aux autres pays.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer que les trois pays cités par le Ministre souhaitaient un président du Conseil européen élu pour une certaine durée, proposition qui n'a pourtant pas entraîné l'adhésion de tous les pays. Cette question est centrale dans les débats de la Convention et le sera lors de la Conférence intergouvernementale. Il s'agit d'ailleurs d'un débat ancien de la construction européenne que certains voudraient voir centrée autour de la Commission tandis que d'autres préfèrent qu'elle le soit autour du Conseil. Mais, en matière de politique étrangère et de sécurité, comment imaginer un renforcement, si ce n'est autour du Conseil ? La France est très attachée au rôle du Conseil, ce qui passe dans une Europe élargie par un président plus visible, lequel ne serait d'ailleurs pas forcément issu d'un grand pays.

M. Jaap de Hoop Scheffer a admis que le Conseil européen était une institution importante pour conduire l'Union européenne. Mais il y a plusieurs raisons qui expliquent que les Pays-Bas et une quinzaine d'autres pays soient opposés à une présidence fixe : tout d'abord, un tel président manquerait de légitimité démocratique. Ensuite un président du Conseil permanent pourrait être en conflit avec le président de la Commission. Par ailleurs, cette nouvelle institution risquerait de créer une bureaucratie supplémentaire. Enfin, les problèmes actuels sont d'abord politiques avant d'être institutionnels : que pourrait faire un président élu face aux divergences de vues pouvant se produire à l'intérieur de l'Union européenne ?

Au conseil européen de Thessalonique en juin, le Président Valéry Giscard d'Estaing va présenter les résultats des travaux de la Convention. Peut-être devra-t-il, en l'absence de consensus, présenter des options qui seront discutées dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer que pour dégager une position commune en matière de politique extérieure et de défense, la seule solution efficace serait de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée. Mais il a douté que beaucoup de pays y soient prêts.

M. Jaap de Hoop Scheffer a estimé que dans le domaine de la PESC, il serait souhaitable de recourir dans certaines conditions à la majorité qualifiée. Mais, il y aura toujours des limites s'agissant des questions fondamentales : les Pays-Bas par exemple ne seraient pas prêts à envoyer des soldats pour une opération militaire décidée contre son avis. En revanche, on peut imaginer que les Etats acceptent de s'incliner sur des questions telles que les sanctions à l'encontre du Zimbabwe.

Le Président Édouard Balladur a souhaité aborder les questions relatives aux relations avec les Etats-Unis et il a estimé que la volonté de faire exister l'Europe en la dotant d'une organisation militaire commune organisée autour de quatre ou cinq Etats ne devait pas être ressentie comme la mise en place d'un pôle hostile à l'alliance atlantique. Les superpuissances pensent qu'elles sont éternelles et qu'elles peuvent agir seules, mais elles ont besoin de partenaires. Il est regrettable que les Etats-Unis divisent les Européens entre eux et qu'ils fassent appel à certains d'entre eux en les considérant comme un réservoir de forces. Les Pays Bas ne pourraient-ils, compte tenu de leur relation privilégiée avec les Etats-Unis, contribuer à les convaincre de la nécessité d'organiser une défense européenne ?

M. Jaap de Hoop Scheffer a estimé qu'il fallait renforcer l'intégration des structures de défense européenne sans pour autant constituer une alternative au Pacte atlantique, car il n'est pas concevable que les mêmes hommes soient simultanément placés sous le commandement de l'OTAN et sous celui de l'organisation européenne de défense. L'Europe est partenaire des Etats-Unis dans le cadre de L'OTAN et celle-ci constitue une boîte à outils pour organiser la défense européenne. L'Europe peut d'ores et déjà prendre ses responsabilités sans les Etats-Unis : elle l'a fait en Macédoine et elle le fera dans quelques années dans les Balkans. Il n'est pas pour autant souhaitable de créer un nouvel état-major hors des structures de l'OTAN.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a demandé s'il n'y avait pas une méprise entre l'Europe et les Etats-Unis sur le sens que ces derniers donnent à la lutte contre le terrorisme. Aux yeux de l'opinion publique, la mise en place d'une politique de sécurité et de défense commune n'est pas crédible après les divergences qui se sont manifestées sur la question irakienne. Aussi les Commissions des affaires étrangères des Parlements des vingt-cinq pays de l'Union ne pourraient-elles travailler de concert pour rédiger un document commun sur la menace extérieure ? Faut-il confier cette mission à un groupe pionnier ?

M. Jaap de Hoop Scheffer s'est déclaré en accord avec M. Donnedieu de Vabres sur le fait que l'on ne pouvait refuser des groupes pionniers dans une Union européenne à 25 ou 27 membres. Il a estimé que l'Union européenne n'avait pas suffisamment analysé ce qui s'était passé le 11 septembre. Toutefois elle a décidé, il y a deux semaines, de confier à M. Javier Solana l'élaboration d'un document de stratégie pour provoquer un débat plus fructueux avec les Etats-Unis car pour l'instant une analyse commune de la menace fait défaut. L'Union européenne risque d'être confrontée au terrorisme : on peut s'interroger sur l'effet qu'aurait eu un attentat terroriste sur une capitale européenne. Il a déclaré ne pas avoir de preuves d'implication d'Al Qaïda dans le dernier attentat en Arabie Saoudite, mais il a souligné que se développait un terrorisme pouvant atteindre tout le monde.

M. Loïc Bouvard a évoqué la réorganisation du Conseil de sécurité en demandant si le Ministre suggérait que l'Union européenne y détienne un siège, la France et la Grande-Bretagne devant alors abandonner leur siège de membre permanent.

Il a souligné que la France était favorable à l'Alliance atlantique, mais que celle-ci était déséquilibrée, avec d'un côté une hyperpuissance et de l'autre, un ensemble de pays qui se contentent de consacrer une faible part de PNB à leur budget de défense. Seule la Grande-Bretagne consent des efforts suffisants. Les Etats-Unis ne souhaitent pas une alliance avec deux piliers. Il a voulu connaître la position du Ministre sur l'augmentation du budget de la Défense.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que, s'il était nécessaire pour l'Union européenne de parler d'une seule voix au Conseil de Sécurité, cela ne signifiait pas qu'elle n'y ait qu'une seule voix.

M. Jaap de Hoop Scheffer a reconnu qu'il était utopiste d'imaginer que l'Union européenne puisse détenir une seule voix au Conseil de Sécurité. L'Union européenne en tant que telle ne pourra pas y siéger, car cela impliquerait des changements structurels fondamentaux impossibles à réaliser. Pendant la crise irakienne, l'Union européenne n'existait pas en tant que telle au Conseil de Sécurité. Il a rappelé que la structure du Conseil de sécurité était fondée sur la division du monde des années cinquante et qu'il était impossible de la modifier. Pour autant, l'an prochain, l'Allemagne ne sera plus membre du Conseil de sécurité et l'Union européenne n'y sera représentée que par ses deux membres permanents, la France et la Grande-Bretagne. Il conviendra de préparer cette échéance. Est-on en mesure d'essayer de se mettre d'accord ? On peut avoir plusieurs sièges et parler d'une seule voix au Conseil de Sécurité, mais Londres et Paris sont-ils prêts à partager cela avec l'Union européenne ?

Il s'est déclaré très frustré par la période qui a précédé la guerre en Irak, pendant laquelle les Pays-Bas ont été contraints de choisir entre les Etats-Unis, la France et l'Allemagne. Il a déclaré ne pas souhaiter que se reproduise une telle situation, car il n'y a pas d'intégration possible en Europe sans la France et l'Allemagne.

Il a espéré que le nouveau Gouvernement qui sera nommé prochainement aux Pays-Bas augmenterait le budget de la Défense, car on ne peut continuer ainsi. L'Union européenne comme institution n'est pas prise au sérieux aux Etats-Unis en raison de la faiblesse des budgets de défense, alors qu'elle a été amenée à envoyer des troupes sans ces derniers.

Le Président Edouard Balladur s'est félicité de la qualité du débat qui a permis de mieux connaître l'état d'esprit de chacun. S'agissant de l'Europe de la défense et de l'Alliance atlantique, il a rappelé que l'état-major de l'Alliance comportait des puissances non européennes comme les Etats-Unis et le Canada. Or, il arrive que l'Union européenne se dote de missions propres comme en Macédoine, devrait-elle alors agir en vertu de directives de pays non européens ne participant pas à son action ? Pour la France, il est nécessaire que soit mise en place une organisation concernant l'Europe seulement. L'action des Etats-Unis et du Canada dans le monde n'est pas soumise à l'Alliance atlantique et à l'état-major dont font partie ces deux pays. Pourquoi un tel déséquilibre ? Il convient de régler ce problème car à défaut l'Union européenne sera toujours sous la tutelle des Etats-Unis.

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