COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 5 octobre 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de MM. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, et Xavier Darcos, Ministre délégué à la    Coopération, au Développement et à la Francophonie, sur le projet de loi de finances pour 2005 et sur    l'actualité internationale




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Audition de MM. Michel Barnier et Xavier Darcos

Après avoir rappelé que la présente audition du Ministre des affaires étrangères avait été décidée de longue date, ainsi que son ordre du jour, relatif, notamment, à la situation en Irak et à la présentation des crédits du ministère des Affaires étrangères dans le projet de loi de finances pour 2005, le Président Edouard Balladur a précisé qu'outre ces sujets, seraient évoquées les questions suivantes : le rapport de la Commission européenne relatif à l'ouverture des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ainsi que les perspectives de débat concernant le projet de constitution européenne ; les rapports franco-algériens feraient, quant à eux, l'objet d'une réunion ultérieure.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, est tout d'abord revenu sur la situation en Irak. Il a rappelé deux réalités, que personne ne devait oublier :

- la première est que Christian Chesnot, Georges Malbrunot et leur chauffeur syrien, Mohamed Al Djoundi, sont toujours retenus en otages. Le Ministre a insisté sur le fait que tout ce que les pouvoirs publics français disaient et faisaient devait être mesuré en fonction de leur sécurité d'une part, de l'objectif de leur libération d'autre part ;

- la seconde réalité est la situation d'instabilité, d'insécurité et de violence qui caractérise l'Irak actuellement (80 morts dans les derniers attentats, au moins 200 tués dans les opérations militaires récentes, nombreux enlèvements). Il a souligné qu'il s'agissait là d'un élément déterminant pour appréhender la situation et le travail que le Gouvernement accomplissait.

En écho à ses propos devant la Commission des Affaires étrangères, le 14 septembre dernier, le Ministre a rappelé que, depuis le 21 août, date à laquelle la France avait appris le disparition de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur syrien, le Gouvernement avait constamment agi sur deux plans :

- compte tenu de la revendication exprimée dans l'ultimatum diffusé à travers deux cassettes les 28 et 30 août, il avait expliqué et précisé la conception française, républicaine de la laïcité, ainsi que l'esprit et la lettre de nos lois, qui protègent la liberté de conscience et de religion de chacun. M. Michel Barnier a estimé que ces explications et précisions avaient été utiles et nécessaires, au vu de l'absence d'ultimatum ou de menace au-delà du 30 août ;

- sur le terrain - à Bagdad, Amman -, il avait noué des contacts et des fils utiles. Toutes les informations, reçues via de nombreux canaux, toutes les pistes, tous les contacts avaient été constamment, systématiquement et professionnellement vérifiés et explorés.

M. Michel Barnier a rappelé que l'armée islamique en Irak, groupe qui avait enlevé Christian Chesnot, Georges Malbrunot et leur chauffeur syrien, avait fait deux communications publiques les 8 et 18 septembre, via internet. Dans le dernier message, le groupe indiquait sa décision de libérer les deux journalistes en précisant qu'ils demeureraient « pendant une durée déterminée », mais non indiquée, à leurs côtés, pour effectuer un reportage. Le même jour, le Gouvernement français a reçu, par une voie indirecte, un autre message proposant d'entamer un processus de libération. Après que le Gouvernement a obtenu la preuve que ces interlocuteurs étaient sérieux et qu'ils détenaient bien, le 18 septembre, nos compatriotes en vie, ce processus de libération a été engagé. Comme le Ministre l'a souligné avec précaution, ce processus paraissait être dans sa phase finale quand, le 30 septembre, les interlocuteurs du Gouvernement lui ont fait savoir qu'ils l'interrompaient.

Le Ministre des Affaires étrangères a souligné que cet exposé des faits illustrait le travail patient et discret qui avait été effectué par l'ensemble des services de l'Etat et continuait de l'être, dans le seul souci de la sécurité et de la libération de Christian Chesnot, de Georges Malbrunot et de leur chauffeur syrien.

S'agissant des démarches privées, parallèles et publiques, dont il a déclaré avoir été informé par la télévision, le 28 septembre, le Ministre a souhaité apporter deux compléments aux propos tenus par le Premier ministre lors de la séance de questions au Gouvernement du 5 octobre.

En premier lieu, les initiateurs de ces démarches ont été avertis précisément, le 29 septembre, que la publicité donnée à leur entreprise pouvait faire courir des risques aux otages. Il leur a été également demandé de transmettre les informations qu'ils détenaient aux services concernés.

En second lieu, le Gouvernement, bien que n'ayant jamais été informé du contenu de cette initiative, a choisi de ne pas l'entraver. C'est pourquoi ce groupe et le parlementaire qui en fait partie ont été autorisés à entrer en Syrie alors qu'ils se trouvaient déjà dans la région. Cela est conforme à l'attitude que le Gouvernement a constamment eue de prendre en compte toutes les informations, généralement moins médiatisées, et de les vérifier. Que n'aurait-on dit s'il avait bloqué cette initiative au départ sans que ses auteurs aient pu faire la preuve de sa crédibilité ?

Le Ministre des Affaires étrangères a terminé sa déclaration en rendant hommage au courage et à la dignité des familles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Il a exprimé, au nom du Gouvernement, sa gratitude à tous les agents de l'Etat qui, à Paris et dans la région, travaillent sans relâche pour la libération des otages. Il a enfin remercié tous ceux qui avaient compris que, comme l'a indiqué le Président de la République, l'unité nationale qui s'était manifestée dès le début de cette affaire était nécessaire aussi longtemps que la France n'aurait pas obtenu leur libération effective, et a rappelé que chacun se devait, à l'endroit où il se trouvait, de garder le sens de ses responsabilités.

M. Michel Barnier a ensuite retracé les débats qui s'étaient tenus à New York lors de la réunion de l'Assemblée générale des Nations unies, du 20 au 24 septembre dernier.

Il a expliqué que, participant pour la première fois à cette réunion en tant que Ministre des Affaires étrangères, il avait été frappé par le constat suivant : c'est là, aux Nations unies, que se développe de manière progressive un authentique débat à l'échelle mondiale. Il a cité comme preuves du caractère central de cette enceinte, en premier lieu, le discours prononcé par le Président de la République lors de la réunion de l'Assemblée générale, consacré à la dimension sociale de la mondialisation et à la lutte contre la faim et la pauvreté, dont les propositions avaient rallié 120 Etats, en second lieu, la réflexion menée à l'ONU sur les nouvelles méthodes internationales à mettre en œuvre pour traiter les questions de droits de l'homme et d'environnement. A cet égard, il a expliqué qu'il avait lui-même présidé une réunion rassemblant 25 ministres au cours de laquelle il avait avancé la proposition de transformer le programme des Nations unies pour l'environnement en organisation dotée d'une structure et de moyens réels. Il a évoqué également le rôle de l'Espagne qui avait présidé une réunion consacrée à la problématique de la gestion des crises et celui des Etats-Unis, initiateurs d'une réflexion sur le Moyen-Orient élargi.

Il a cité les nombreux groupes de travail qui s'étaient réunis, consacrés au Kosovo, au Soudan, aux suites de la résolution du Conseil de sécurité sur la Syrie et le Liban, au drame du Proche-Orient, à la République démocratique du Congo, à la Côte d'Ivoire et à l'Iran. Sur ce dernier point, il a indiqué qu'il avait transmis à son homologue iranien un message de fermeté concernant le programme nucléaire de ce pays.

Concluant ce chapitre, il a expliqué qu'il avait, au nom de la France, fait valoir qu'un monde plus sûr ne pouvait être, avant toute chose, qu'un monde plus juste, ce qui marquait la différence française face à des Etats-Unis, qui avaient martelé, par la voix du Président Bush, qu'un monde plus sûr était avant tout un monde plus libre et plus démocratique. C'est dans cette optique que s'inscrivait l'accent mis par la France sur les nouveaux mécanismes internationaux de financement et de gouvernance économique et sociale, sujets qui étaient également au cœur des travaux de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

M. Michel Barnier a ensuite présenté le budget de son ministère pour 2005. Il a précisé que ce budget était en hausse de 4,43 % par rapport à 2004, cette augmentation s'expliquant d'une part par des transferts venant d'autres ministères et d'autre part, par une augmentation de l'aide publique au développement. A périmètre constant, l'augmentation est de 1,20 %. Quant à la part du ministère des Affaires étrangères dans le budget de l'Etat, elle passe de 1,51 % à 1,58 %.

M. Michel Barnier a rappelé que le ministère des Affaires étrangères avait pris, depuis dix ans, plus que sa part dans l'effort de rationalisation des moyens de l'Etat. Le nombre d'agents qu'il emploie est passé de 10 000 en 1994 à 9 141 en 2005. De même, le nombre d'implantations à l'étranger a été réduit de 450 à 422 en dépit de l'augmentation du nombre d'ambassades. Au total, cette augmentation de la productivité du ministère a permis de ramener les coûts de structure de 33 % du budget en 2000 à 25 % en 2005. Pour autant, il était temps d'arrêter cette décrue continue des moyens extérieurs de la France, comme l'a demandé le Président de la République lui-même.

Le Ministre des Affaires étrangères a estimé que ce budget prenait en compte les priorités de notre politique étrangère, notamment l'aide au développement, avec une augmentation de 14 % des crédits APD du ministère des Affaires étrangères ; la gestion des crises, avec l'engagement reçu que les éventuels ajustements nécessaires ne feront pas l'objet d'un redéploiement interne au budget du ministère ; la promotion de l'idée européenne, avec une augmentation de 69 % des crédits ; enfin, le financement de la réforme du droit d'asile, avec une augmentation de 18 % des crédits de l'OFPRA.

M. Michel Barnier a ensuite souligné l'effort du Gouvernement en faveur des Français de l'étranger ; cela passe par un soutien à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, notamment en augmentant les bourses scolaires, qui ont bénéficié à 19 200 enfants français en 2004 contre 18 300 en 2003. Cet effort passe aussi par la sécurisation croissante des postes à l'étranger.

Le budget 2005 du ministère des Affaires étrangères participe à l'effort général de maîtrise des dépenses publiques. Le Ministre a précisé que l'objectif de non-renouvellement de 50 % des départs en retraite avait été respecté, mais qu'il avait également souhaité rassurer le personnel en donnant des éléments de confiance. Il n'est ainsi plus question de diminuer les indemnités de résidence à l'étranger, et il a par ailleurs été décidé de mieux prendre en compte les coûts de scolarité dans le calcul de ces indemnités.

M. Michel Barnier a ensuite apporté des précisions sur les projets immobiliers du ministère. Actuellement, les agents du ministère travaillant à Paris sont répartis sur onze sites différents ; l'objectif est de les réunir sur un site unique, sans augmenter les coûts. La décision définitive sera prise au printemps, après avoir étudié les différents besoins du ministère ainsi que tous les sites envisageables.

Par ailleurs, le ministère va poursuivre ses cessions immobilières, qui lui ont déjà rapporté 40 millions d'euros entre 1999 et 2003 et 12 millions en 2004.

M. Michel Barnier a rappelé que ce budget permettait de préparer la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). D'ores et déjà, on peut constater que la présentation en sera plus lisible et que les premiers indicateurs de performance ont été mis en place. La LOLF doit être aussi l'occasion de rationaliser les compétences budgétaires des ministères, ce qui s'est traduit par exemple par des transferts réalisés depuis le Trésor (fonds SIDA) et depuis l'Agriculture (aide alimentaire).

Pour conclure, le Ministre des Affaires étrangères a indiqué qu'il faudrait être très vigilant quant à l'exécution de ce budget afin qu'il ne subisse ni gel ni annulation, grâce notamment à l'appui de la représentation parlementaire.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, a déclaré que l'aide publique au développement constituait la première priorité de la politique étrangère de la France. Le Président de la République, qui y attache une grande importance, a ainsi pris l'engagement de consacrer à cette aide 0,5 % du PIB en 2007 et 0,7 % en 2012. Si, à la fin des années quatre-vingt-dix, cette aide avait fortement diminué, de sorte qu'en 2001, elle ne représentait plus que 0,32 % du PIB, cette tendance s'est aujourd'hui inversée, puisque l'aide a atteint 0,38 % du PIB en 2002 et 0,41 % en 2003 et devrait représenter 0,42 % en 2004. Pour 2005, l'objectif fixé est, quant à lui, de 0,44 % du PIB.

L'augmentation de l'aide publique au développement est donc considérable, le budget qui est soumis à la Commission n'en rendant cependant compte que partiellement. Ainsi les allègements de dette n'apparaissent pas dans le budget, alors qu'ils représentent aujourd'hui 20 à 25 % de l'aide. En outre, le volume précis de l'aide publique au développement ne peut être constaté qu'a posteriori, puisque le montant exact de dépenses comme celles des universités pour l'accueil d'étudiants étrangers ou celles de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger destinées à la scolarisation d'élèves dans les établissements français à l'étranger ne sont connues qu'à la fin de l'année budgétaire.

A cet égard, il importe d'insister sur le rôle de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, dont le budget atteint 324 millions d'euros, et dont le vaste réseau d'enseignement devra prendre une dimension plus européenne. En outre, dans les pays pauvres, il sera nécessaire de tirer davantage parti de ce réseau pour mener des actions de coopération. Une communication sera d'ailleurs prochainement faite en Conseil des ministres sur ce point.

Dans le cadre de la réforme de la loi de finances, la future mission interministérielle intitulée « aide publique au développement » ne rassemblera qu'un peu moins de la moitié des crédits consacrés à cette aide. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de renforcer la visibilité politique de son action en ce domaine. Dans ce but, le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du 20 juillet dernier a fixé les orientations suivantes : le Ministre chargé de la coopération est désigné comme chef de file de l'aide publique au développement française ; un document de politique transversale, qui se substituera à l'actuel « jaune budgétaire », sera présenté chaque année au Parlement afin de clarifier notre politique d'aide au développement ; notre aide, plus sélective, sera en particulier orientée vers les Objectifs du Millénaire pour la réduction de la pauvreté ; elle fera l'objet d'un dialogue avec les autorités de chaque pays concerné, un document cadre de partenariat étant réalisé sous l'égide de nos ambassadeurs. Il convient enfin d'insister sur la clarification des rôles de chaque intervenant dans la mise en œuvre de l'aide. Il appartiendra au ministère des Affaires étrangères de définir les stratégies alors que l'Agence française de développement les mettra en œuvre.

En 2005, l'aide publique au développement passera de 2 044 millions d'euros à 2 204 millions d'euros, soit une progression de 8 %. Cette hausse s'explique par : la décision du Président de la République de contribuer chaque année au Fonds SIDA à hauteur de 150 millions d'euros ; la montée en puissance des décaissements du Fonds européen de développement, dont la dotation passe de 565 à 628 millions d'euros ; la progression des crédits alloués à la société civile et, en particulier, aux ONG ainsi qu'aux collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée ; l'augmentation des bourses pour les étudiants étrangers en France, un effort étant notamment engagé au profit des bourses d'excellence.

Au-delà du recours au budget de l'Etat, il est nécessaire de trouver également de nouvelles sources de financement. A titre d'exemple, l'initiative du Président de la Banque mondiale pour scolariser tous les enfants d'Afrique ne coûterait que 3 milliards de dollars par an, montant négligeable au regard de la richesse mondiale. Pourtant il est impossible de trouver aujourd'hui un financement pour ce projet, notamment en raison du caractère récurrent de dépenses sur lesquelles les Etats, soumis au principe d'annualité budgétaire, ne peuvent pas s'engager dans la durée. En dépit de l'opposition des Etats-Unis, l'idée d'instaurer une taxe internationale a progressé, 120 pays ayant d'ores et déjà approuvé cette démarche initiée par les Présidents Lula et Chirac aux Nations unies le 20 septembre dernier. Comme le souligne le rapport remis au Président de la République par M. Jean-Pierre Landau, qui est consacré aux nouvelles contributions financières internationales, il est techniquement possible de mettre en place des taxes internationales pouvant porter sur les transports aériens ou maritimes, les transactions financières ou les dépenses d'armement.

Il convient enfin d'évoquer la proposition des Etats-Unis et du Royaume-Uni consistant à annuler unilatéralement les dettes des pays pauvres. Si cette initiative rencontre un accueil favorable des populations, elle pose cependant la question de l'avenir d'institutions comme la Banque mondiale dans l'hypothèse où l'on substituerait aux prêts internationaux un système de dons, la Banque perdant alors son objet même.

M. Didier Julia a remercié le Président Edouard Balladur de lui donner la parole et il a estimé que toute polémique serait déplacée et dérisoire tant que les otages demeurent détenus. Il a demandé à s'expliquer directement auprès du Ministre des Affaires étrangères au cours d'un entretien en présence du Président de la Commission des Affaires étrangères, afin de faire cesser les divergences et de mettre un terme à la poursuite des discussions par médias interposés.

M. François Loncle a souhaité savoir pour quelles raisons le fil du dialogue avec les ravisseurs avait été interrompu ces derniers jours. Les otages sont-ils détenus par un autre groupe et, si tel était le cas, ce transfert est-il intervenu avant, pendant ou après l'expédition de M. Didier Julia ? Enfin, la dégradation des relations entre la France et la Syrie peut-elle avoir un impact sur la situation des otages ?

M. François Rochebloine a fait référence aux propos tenus par le Ministre des Affaires étrangères au sujet du rôle central joué par l'ONU avant de rappeler que nombre de ses résolutions n'étaient pas appliquées à ce jour. Ainsi, l'édification par Israël d'un mur empiétant sur les Territoires palestiniens n'est pas conforme au droit international. Quant à la résolution 1559 du Conseil de sécurité défendant, en réaction aux pressions syriennes, la souveraineté du Liban, elle fixait un délai de trente jours pour que le Conseil prenne position sur cette question à partir du rapport du Secrétaire général. Ce délai étant dépassé, quelles suites cette résolution aura-t-elle ?

Où en est le projet de réalisation de l'Institut culturel français de Tel Aviv annoncé à Jérusalem par M. Dominique de Villepin dans son allocution du 25 mai 2003 et qui doit être livré en août 2006 ? Enfin, après les propos très clairs tenus par le Ministre des Affaires étrangères en juillet dernier devant la Commission au sujet de la chaîne internationale d'information et le Ministre de la Culture et de la Communication ayant fait part de son intérêt pour le projet, quelles en sont les perspectives ?

M. Michel Barnier a déclaré qu'il avait besoin de temps pour apprécier les conditions dans lesquelles un éventuel entretien avec M. Didier Julia, en présence d'un témoin, pourrait avoir lieu et être utile. En tout état de cause, les attaques à l'encontre des fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères intervenant dans l'affaire des otages ne sont pas acceptables. Depuis le 30 septembre dernier, aucun progrès n'est intervenu dans les discussions, les interlocuteurs n'ayant pas apprécié la médiatisation et souhaitant une discrétion absolue. Il est difficile d'apprécier si les otages ont changé de mains, mais il ne faut pas écarter cette hypothèse et elle doit être vérifiée. Le contexte de sortie de crise est particulièrement dangereux, y compris pour ceux qui détiennent les otages, ce qui ne facilite pas les choses. Enfin, il n'y a pas lieu de confondre le sujet des relations franco-syriennes avec l'affaire des otages.

Si la non application de certaines résolutions des Nations unies peut susciter de la déception, c'est tout de même dans cette enceinte que se construisent le droit et la légitimité internationale. Quant à la question du mur édifié par Israël, elle a donné lieu à une position unanime des vingt-cinq pays de l'Union condamnant sans ambiguïté le tracé suivi. Cette position commune doit maintenant être suivie d'effet. S'agissant de la résolution 1559, le Secrétaire général a remis au Conseil de sécurité son rapport sur la situation du Liban et il est en cours d'examen. La France souhaite qu'un mécanisme de surveillance soit mis en œuvre et que des rapports sur cette question soient remis à échéance régulière.

Le projet d'Institut culturel de Tel Aviv figure toujours au nombre des réalisations programmées, mais, le premier lieu d'implantation retenu s'étant révélé trop onéreux, le poste recherche de nouvelles implantations possibles. Les crédits nécessaires sont cependant mobilisables dès que cette difficulté aura été surmontée. Quant à la chaîne française d'information internationale, s'il n'y a pas de crédit pour sa création dans le projet de loi de finances pour 2005, il est souhaitable de pouvoir en dégager pour l'exercice suivant. Le Ministre a indiqué qu'il travaillait avec le Ministre de la Culture et de la Communication sur ce dossier. Cet outil d'influence est indispensable et il doit être créé en tenant compte des outils existants. Le Ministre a indiqué qu'il était à la recherche d'une solution pragmatique et intelligente et qu'il espérait avancer sur ce dossier dans les semaines qui viennent.

Rappelant que la Cour des comptes avait souligné l'absence d'une politique de ressources humaines cohérente au ministère des Affaires étrangères, M. Roland Blum a souhaité savoir si celui-ci disposait des moyens financiers pour rationaliser les effectifs et les statuts.

S'agissant de la Turquie, il s'est demandé s'il était raisonnable d'engager des négociations d'adhésion alors que les opinions publiques y sont défavorables et qu'un référendum est annoncé pour dans quinze ans. Ne faudrait-il pas organiser ce référendum maintenant ?

S'il est vrai que beaucoup de choses se passent à l'ONU, beaucoup de résolutions ne sont pas appliquées, notamment celles concernant le Proche-Orient. Quelles initiatives françaises et européennes sont envisagées pour espérer une sortie de crise dans cette région ?

Eu égard à la détérioration de la situation intérieure en Irak, M. Jacques Myard s'est tout d'abord interrogé sur la crédibilité que pourrait avoir l'organisation d'élections en janvier prochain. S'agissant de la tenue d'une conférence internationale, les Etats-Unis accepteraient-ils que les forces non gouvernementales y participent ?

Puis il a souhaité obtenir des éclaircissements sur l'assise d'une éventuelle taxe internationale. Y a-t-il d'ores et déjà un projet opérationnel en la matière ?

Enfin, si le projet de budget du ministère des Affaires étrangères pour 2005 affiche une augmentation de quatre points, il reste un outil grevé d'hypothèques graves, notamment s'agissant des personnels. Demander au ministère des Affaires étrangères de réduire ses effectifs au moment où la situation internationale se dégrade n'est pas acceptable et ne peut qu'affaiblir la position de la France dans la mesure où elle ne disposera plus d'une couverture suffisante.

M. Richard Cazenave a demandé à M. Michel Barnier s'il confirmait que le budget pour 2004 échapperait définitivement à la régulation budgétaire. Par ailleurs, il semblerait que, dans le projet de budget pour 2005, certains programmes ne seront pas financés d'emblée. Quels sont-ils et quelles garanties d'un abondement supplémentaire peuvent-elles être données ? Quel est l'état d'avancement du projet de réformes « Affaires étrangères 2007 » ?

Revenant sur la corrélation entre l'action de l'aide française au développement et les grandes institutions internationales, M. Jacques Godfrain a fait observer que le dernier G8 avait commencé de s'intéresser à l'épargne des travailleurs migrants qui pourrait contribuer au développement économique de leur région d'origine. A cet égard, il a signalé avoir présenté, avec M. Jean-Pierre Brard, une proposition de loi visant à mobiliser l'épargne des travailleurs migrants en France au service du développement de leur région et en faveur de projets productifs. Par ailleurs, il a estimé que l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires en Afrique (OHADA) était également une initiative intéressante.

M. Hervé de Charette a tout d'abord souhaité connaître la position française concernant le projet américain de conférence internationale sur l'Irak.

S'agissant des relations avec les Etats-Unis, il a considéré, à l'instar de M. Michel Barnier, qu'un nouveau traité euro-américain serait le bienvenu, le traité de l'Alliance atlantique étant périmé dans la mesure où il ne correspond plus, tant dans ses aspects politiques que militaires, à la situation actuelle.

Enfin, il a demandé des éclaircissements quant à la position de la France vis-à-vis de la Turquie. Le Président de la République et le Ministre des Affaires étrangères se sont prononcés pour l'adhésion de ce pays à l'Union européenne, le Premier Ministre s'interroge et le principal parti de la majorité y est opposé.

Précisant que M. Jean-Pierre Landau, Président du groupe de travail sur les nouvelles contributions financières internationales et auteur d'un rapport au Président de la République, serait auditionné par la Commission des Affaires étrangères dans le courant du mois de novembre, le Président Edouard Balladur a également indiqué qu'il avait proposé au Bureau de la Commission, qui l'avait acceptée, la création d'une mission d'information consacrée aux relations transatlantiques et rappelé que, le mercredi 13 octobre, MM. Michel Rocard, Jean-Louis Bourlanges et Hervé de Charette présenteraient leurs vues respectives sur les perspectives d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Il a ensuite demandé au Ministre des Affaires étrangères s'il était envisageable que la conférence internationale sur l'Irak proposée par les Etats-Unis puisse se tenir d'ici au 4 novembre.

Concernant l'affaire des otages français en Irak, M. Jean-Claude Lefort a jugé incompréhensible l'attitude du Gouvernement qui, sachant que la plus grande discrétion était une condition posée, a estimé ne pas devoir entraver l'initiative personnelle d'un parlementaire, nécessairement portée à être largement médiatisée.

Par ailleurs, s'il est prévu d'augmenter de 69 % les crédits du ministère des Affaires étrangères pour promouvoir l'idée européenne, il serait intéressant de savoir à quelles fins ces crédits sont réellement destinés.

Enfin, après avoir rappelé que le Président de la République avait affirmé, lors de la conférence des ambassadeurs, la nécessité absolue de rétablir le dialogue entre Israël et l'Autorité palestinienne, voire de l'imposer, il a souhaité savoir quelles étaient les initiatives françaises en la matière. M. Jean-Claude Lefort a par ailleurs fait observer au Ministre que la Cour Internationale de Justice s'était également prononcée pour l'arrêt des travaux du mur et sa démolition.

M. Jean-Claude Guibal a interrogé le Ministre des Affaires étrangères sur les principales orientations de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Est-il envisagé de porter les efforts plutôt sur des pays où le français est déjà pratiqué, comme la rive Sud de la Méditerranée ?

M. Paul Giacobbi a souhaité savoir s'il y avait une contrepartie au processus de libération des otages français en Irak dans la négociation évoquée par le Ministre des Affaires étrangères. Par ailleurs, il s'est demandé comment l'on pouvait négocier indirectement un processus de libération imminent alors que l'on ne sait pas se prononcer sur qui sont les ravisseurs. Enfin, si la médiation privée est susceptible d'avoir interrompu, le 30 septembre, un processus de libération, pourquoi avoir autant médiatisé la perspective d'une libération imminente la première semaine de septembre ?

M. Michel Barnier a apporté les éléments de réponse suivants :

- il n'existe aucune contradiction entre le fait de dire, d'une part, que des négociations avaient été menées avec les ravisseurs des otages français et syrien en Irak et, d'autre part, qu'il était possible que les otages soient, aujourd'hui, détenus par un autre groupe de ravisseurs, dans la mesure où le processus de négociation avait été interrompu le 30 septembre ;

- jamais le ministère des Affaires étrangères n'a annoncé la libération immédiate des otages, une possibilité de libération ayant seulement été évoquée au début du mois de septembre ;

- la proposition américaine de conférence internationale est utile et reprend, qui plus est, une proposition faite par la France il y a un an, notre pays ayant alors proposé un processus en trois étapes qui aurait vu, dans un premier temps, se tenir une conférence inter-irakienne avant le transfert de souveraineté du 28 juin, puis une conférence régionale et, enfin, une conférence internationale du type de celle qui s'était tenue à Berlin concernant l'Afghanistan.

La France, par conséquent, n'énonce pas de préalable à la tenue d'une telle conférence, mais tient à souligner que son succès est subordonné au respect des conditions suivantes : premièrement, cette conférence doit être envisagée sur des bases sereines, c'est-à-dire après les élections américaines - condition validée par le secrétaire d'Etat américain ; deuxièmement, la présence des pays voisins, des cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies, de la Ligue arabe et de la Conférence islamique est indispensable ; troisièmement, afin que cette conférence fasse progresser la situation en Irak, les groupes ou forces ayant renoncé à la violence devraient également être invités ; quatrièmement, s'agissant de l'ordre du jour, la France estime qu'il est tout entier contenu dans la résolution 1546 et doit donc comporter les questions des élections, de la future constitution irakienne et de la prolongation ou non des forces internationales.

C'est donc dans un état d'esprit constructif similaire à celui dont elle avait fait preuve lors de la l'élaboration de la résolution précitée - ainsi qu'en témoignaient les cinq projets successifs élaborés préalablement à l'adoption de ce texte -, tourné vers l'avenir, sans volonté de donner des leçons, que la France aborde cette question.

- le déplacement qu'il effectuera en Israël, les 17 et 18 octobre, sera une visite bilatérale. Dans un contexte d'impasse totale, l'urgence consiste, pour la Russie, les Etats-Unis, l'Union européenne et l'Organisation des Nations unies, à faire pression sur les Israéliens et les Palestiniens pour éviter une dégradation supplémentaire de la situation qui enlèverait toute pertinence à la seule promesse du gouvernement d'Ariel Sharon, à savoir le retrait de Gaza, dès lors que la zone serait devenue inhabitable et sinistrée. Il faut espérer, à cet égard, que les Etats-Unis sauront analyser lucidement la situation et leurs intérêts dans cette zone géographique, en prenant conscience du caractère central de ce conflit dans la région et de son rôle essentiel à la stabilisation de celle-ci. Il appartient aux Européens d'aider les Etats-Unis à prendre acte de cette donnée : en la matière, l'unité des Européens est essentielle et sa consolidation figure au rang des priorités de la France dans ce dossier. Le passé récent a montré qu'unis, les Européens réussissaient à infléchir les positions américaines. Ce rôle politique de l'Union européenne doit également être clairement mis en avant auprès de nos interlocuteurs israéliens, qui ne voient trop souvent en elle qu'un bailleur de fonds.

M. Michel Barnier a ensuite répondu aux questions concernant la politique du personnel de son ministère. Il a rappelé que la stratégie ministérielle de réformes insistait sur l'importance de la formation. Par ailleurs, des efforts tout particuliers seront réalisés en matière d'évaluation du personnel, ce qui constitue une innovation au Quai d'Orsay, et pour rendre la politique des rémunérations plus dynamique, ce qui peut passer par une prise en compte du mérite.

La suppression de 100 emplois dans le budget 2005 est un effort douloureux pour un ministère qui a perdu trop de postes depuis une décennie, mais nécessaire pour appliquer la règle fixée pour l'ensemble de la fonction publique. Il sera donc indispensable d'amortir le choc de cette nouvelle baisse, en faisant des économies intelligentes, par exemple en proposant à nos partenaires européens, sur une base volontaire, de progresser dans la voie de la mutualisation de nos moyens consulaires. En outre, le plafond d'emplois prévu par la LOLF sera un indicateur beaucoup plus complet que celui des actuels emplois budgétaires (23 000 contre 9 000) puisqu'il prendra en compte l'ensemble des agents rémunérés par le ministère, ce qui permettra une plus grande souplesse de gestion. Enfin, la mission confiée à M. Le Bris permettra de suggérer d'utiles redéploiements.

Concernant la régulation, certes, 21 millions de crédits de report de 2003 ont été annulés, mais globalement la demande du Président de la République de préserver le ministère des Affaires étrangères a été respectée. Quant aux domaines qui pourraient être insuffisamment dotés en 2005 (contributions volontaires, Fonds de solidarité prioritaire, coopération militaire...) le Ministre a reçu l'engagement qu'ils seraient abondés en fonction des besoins, sans recourir à des redéploiements internes au ministère.

M. Michel Barnier a ensuite évoqué la question de la candidature de la Turquie à l'Union européenne, qui fera l'objet d'un rapport de la Commission européenne le 6 octobre. Ce rapport devrait être assez inhabituel, prévoyant par exemple que les négociations pourraient éventuellement être suspendues. Ensuite, le Président de la République, qui, à de multiples reprises, a réaffirmé la vocation européenne de la Turquie, aura à se prononcer sur l'ouverture des négociations lors du Conseil européen en décembre. Pour autant, il est conscient de l'importance du débat en France et c'est pourquoi le Gouvernement travaille à l'inclusion, dans le projet de loi constitutionnelle que rendra nécessaire la signature du traité constitutionnel, d'une disposition rendant obligatoire un référendum avant tout nouvel élargissement à partir d'une date à définir. En effet, c'est uniquement sur un texte précis, une loi ou un Traité, qu'il est possible de consulter le peuple.

Le Président Edouard Balladur a estimé qu'il serait souhaitable que le Conseil européen de décembre, s'il décide d'ouvrir les négociations avec la Turquie, prévoie que celles-ci pourront aboutir soit à une adhésion pure et simple, soit à la mise en œuvre d'un statut de partenariat privilégié. Plus globalement, il a estimé qu'à l'avenir, il serait utile que tout candidat à l'adhésion passe au préalable par une phase de partenariat privilégié. Enfin, il s'est démarqué de l'idée selon laquelle le refus d'intégrer la Turquie dans l'Union européenne comme membre de droit commun aurait pour conséquence de rejeter ce pays vers l'Asie centrale, compte tenu de sa participation à de nombreuses institutions occidentales, telles que l'Alliance atlantique, le Conseil de l'Europe, compte tenu aussi des relations économiques et commerciales étroites qu'elle a déjà avec l'Union européenne.

M. Michel Barnier a estimé qu'il était peu probable que le Conseil européen de décembre prochain accepte d'ouvrir les négociations avec la Turquie en laissant entendre que l'objet de tels pourparlers pourrait être autre que l'adhésion de ce pays à l'Union européenne. En revanche, ces négociations pourront naturellement être interrompues le cas échéant. Par ailleurs, les moyens publics mis en œuvre pour organiser des campagnes en faveur de l'Europe ne seront évidemment pas utilisés pour financer la promotion d'un vote favorable au projet de constitution européenne lors du débat précédant le référendum de 2005. A ce titre, il est nécessaire d'améliorer les conditions de déroulement du débat public autour de l'enjeu européen, le projet de création d'une commission nationale consacré à cette question étant aujourd'hui à l'étude.

M. Xavier Darcos a insisté sur le caractère pluraliste de la commission présidée par M. Jean-Pierre Landau et consacrée aux nouvelles contributions financières internationales. Celle-ci accueillait en son sein des représentants d'ATTAC, d'institutions internationales, d'administrations ou d'ONG. La question de l'instauration de taxes internationales n'est pas de nature technique, le rapport de M. Jean-Pierre Landau ayant proposé des solutions, mais bien d'ordre politique. L'exemple du Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), doté d'un milliard d'euros, montre qu'il est possible de dégager des moyens financiers sous de nouvelles formes.

L'épargne des migrants constitue, en effet, une ressource importante qui est estimée entre 80 et 100 milliards de dollars qui doivent être rapprochés des 50 milliards de l'aide publique au développement. Ainsi, dans certains Etats comme les Comores, cette épargne est supérieure au budget de l'Etat. Il s'agit donc d'une piste à explorer, les Etats-Unis n'y étant d'ailleurs pas défavorables. L'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) est un projet soutenu par la France qui, dans le cadre de la francophonie, pourrait contribuer à démontrer que la common law ne constitue pas le seul cadre de référence en matière de droit des affaires. Concernant enfin l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, il convient d'insister sur la nécessité de conférer à nos établissements un caractère plus européen et de ne pas renoncer au développement de notre réseau éducatif dans les pays non francophones.

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