COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 octobre 2004
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Son Excellence Monsieur le Premier ministre de la République de Bulgarie, Siméon de Saxe-Cobourg Gotha



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Audition de Son Excellence Monsieur le Premier ministre de la République de Bulgarie, Siméon de Saxe-Cobourg Gotha

Le Président Edouard Balladur a remercié le Premier ministre d'avoir accepté de se rendre devant la Commission des Affaires étrangères. Il a rappelé les progrès considérables accomplis par la Bulgarie dans la voie de l'adhésion à l'Union européenne, notamment dans le domaine économique. Réaffirmant son souhait de voir cette entrée dans l'Union européenne aboutir le plus rapidement possible, il a souhaité connaître son avis sur les perspectives de cette adhésion et sur les relations bilatérales entre la France et la Bulgarie, pays membre de l'Organisation internationale de la Francophonie.

M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha, Premier ministre de Bulgarie, a dit l'honneur et le plaisir qu'il avait à être reçu par les députés français. Il a indiqué que la majeure partie des objectifs qu'il s'était fixés en prenant ses fonctions avaient été atteinte, même si certaines réformes restaient à achever d'ici les élections prévues en juin 2005.

Le Président Edouard Balladur a rappelé que le bilan réalisé fin 2003 par la Commission européenne sur les efforts de la Bulgarie dans la voie de l'adhésion à l'Union européenne était très encourageant. Pour autant, ce document relevait également certains sujets de préoccupation concernant la corruption, la criminalité organisée ou encore le fonctionnement de la justice : qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha a admis que la corruption était un phénomène persistant, qui pouvait donner une mauvaise image du pays aux investisseurs et observateurs internationaux. Cependant il ne faut pas généraliser l'étendue de la corruption qui a beaucoup reculé ces dernières années et qui n'épargne aucun pays.

S'agissant de la criminalité organisée, il est exact que celle-ci s'est développée dans l'ensemble des pays de l'ex-bloc soviétique à l'occasion de la transformation d'économies centralisées en économies de marché. Depuis trois ans, sous la pression des citoyens, qui sont les premiers concernés, la criminalité organisée a été sensiblement réduite. La poursuite de cette amélioration est d'ailleurs liée à la réforme d'un système judiciaire parfois efficace, mais connaissant aussi parfois des difficultés à perdre d'anciennes habitudes. Mais cette transformation se fera car elle conditionne l'accès de la Bulgarie à l'Union européenne, qui est soutenu par l'ensemble des partis politiques.

Mme Lidia Shouleva, Vice-Premier Ministre, Ministre de l'Economie, a souligné que l'ONG Transparency international estimait que la Bulgarie était, concernant la corruption, dans une situation plus favorable que des pays comme la Grèce, la Pologne, la Roumanie ou la Turquie.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que la Commission européenne envisageait d'instituer des clauses de sauvegarde, permettant de reporter, en cas de problème grave, la date d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, si ces pays ne respectaient pas certains des objectifs qui leur ont été fixés.

M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha a estimé que cette précaution était tout à fait légitime compte tenu des craintes normales que le récent élargissement de l'Union à dix nouveaux pays a pu faire naître. Il est donc logique d'établir de telles garanties qui obligeront ainsi la Bulgarie à se montrer à la hauteur.

M. Axel Poniatowski a déclaré qu'il se réjouissait du fait que le processus d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne suive son cours. Il a noté avec intérêt les propos de Mme la Vice Premier ministre attestant des efforts de la Bulgarie en terme de transparence, notamment en matière de régularité des appels d'offre. Quelle est la position de la Bulgarie sur l'éventualité d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne ? L'appartenance de la Bulgarie à la l'Organisation internationale de la Francophonie a-t-elle un impact sur les relations culturelles et économiques entre la France et la Bulgarie et comment pourrait-on améliorer l'intensité des relations bilatérales ? Enfin, quel pourrait être le principal apport de la Bulgarie à l'Union européenne ?

Le Président Edouard Balladur a demandé si l'enseignement du français en Bulgarie demeurait important.

M. Siméon de Saxe-Coburg Gotha a répondu que la Bulgarie avait la volonté politique de s'intégrer pleinement à l'Union européenne et de participer ainsi à la stabilité dans cette région du Sud-est de l'Europe. Les relations culturelles et économiques entre la France et la Bulgarie sont bonnes, mais il serait souhaitable que la France y soit plus présente, compte tenu de son prestige et des affinités entre les deux pays. Le centre culturel bulgare de Paris doit être inauguré le 7 octobre 2004 et la France construit un nouveau centre à Sofia. Quant aux investissements français en Bulgarie, ils doivent progresser, car à l'heure actuelle ils sont moins importants que ceux de la Belgique. S'agissant du nombre de jeunes bulgares apprenant le français, il est en net recul face à l'anglais. Il n'en demeure pas moins vrai que l'on constate une reprise d'intérêt pour le français et que les autorités bulgares encouragent ce mouvement.

S'agissant de l'adhésion de la Turquie à l'Union, il serait présomptueux que la Bulgarie, qui n'en est pas membre, émette des propos catégoriques à ce sujet. Il faut trouver une solution équilibrée, car si la Turquie se voyait opposer un refus définitif, ses efforts d'ajustement pourraient être remis en cause et il ne faudrait pas exclure dans ce cas une réaction nationaliste, voire religieuse, forte. Il ne faut pas oublier que le principe de laïcité est clairement affirmé par les autorités turques et que ce pays a été un élément très actif et utile dans l'Alliance atlantique au moment de la guerre froide. Il est donc délicat de lui refuser toute perspective et chacun doit y mettre de la bonne volonté.

M. Jean-Marc Roubaud a interrogé le Premier ministre bulgare sur les raisons de la faiblesse des investissements français en Bulgarie.

Après avoir mis en avant le facteur géographique (taille et éloignement de la Bulgarie), M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha a avancé des raisons historiques, faisant valoir que la Bulgarie s'était trouvée du mauvais côté lors des deux guerres mondiales, et culturelles, rappelant que la France portait davantage d'intérêt à des pays avec lesquels elle avait des affinités culturelles et religieuses plus directes. Il a néanmoins souligné que, par le passé, la présence française en Bulgarie, qui existait de longue date, avait été plus marquée et qu'il était encore temps de rattraper ce retard. Il a expliqué que tel était le sens des entretiens qu'il avait eus avec les milieux économiques français au cours de sa visite dans notre pays.

M. Pavel Ezekiev, Président de l'agence bulgare pour l'investissement, a fait observer que la Belgique, dont l'économie était dix fois moins importante que l'économie française, avait investi 800 millions d'euros en Bulgarie. Il a expliqué que, ne sachant à quoi s'attendre, les entreprises françaises s'arrêtaient aux frontières sud de la Roumanie. Il a pourtant invoqué le rôle non négligeable de la croissance bulgare dans la croissance européenne globale ainsi que son statut potentiel de plate-forme économique vers les marchés d'Asie et du Moyen-Orient. Il a enfin fait valoir que la Bulgarie contribuerait aux besoins de l'Union européenne dans les domaines de haute technologie en formant des personnels très qualifiés.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Premier ministre bulgare son sentiment sur la manière dont les relations entre l'Union européenne et la Russie devraient évoluer, rappelant que celle-ci, membre du G 8, était également un partenaire de l'OTAN et liée à l'Union européenne par l'accord de partenariat et de coopération de 1994. Etait-il vraisemblable et souhaitable que ces relations évoluent vers un partenariat privilégié, qui pourrait d'ailleurs également valoir pour les relations de l'Union européenne avec l'Ukraine ?

M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha a estimé qu'une telle évolution s'inscrivait dans la logique de la politique d'intégration européenne. Il a fait valoir en outre que, quel que soit le régime politique prévalant en Russie, ce pays revêtait une importance primordiale du fait de ses ressources naturelles et qu'il fallait par conséquent le ménager et lui donner la place qui lui était due, l'Union européenne ayant intérêt à préserver de bonnes relations économiques avec ce pays. Il a relevé que la classe politique russe avait fortement évolué au cours des années récentes, notant le fair play qui avait été le sien face aux évolutions de la Bulgarie, y compris s'agissant de son intégration à l'OTAN.

Après avoir noté que l'attitude russe sur les évolutions des pays d'Europe centrale et orientale participait également d'un certain réalisme, le Président Edouard Balladur a demandé au Premier ministre bulgare des précisions sur le plan d'action pour l'intégration des Roms : quel était le bilan de la mise en œuvre de ce plan, un an après son adoption, alors que le précédent, adopté en 1999, n'avait guère été suivi d'effets et que, une fois encore, la Commission européenne exhortait aujourd'hui la Bulgarie à une meilleure intégration de ces populations ?

Le Premier ministre de Bulgarie a fait remarquer, en premier lieu, que les Roms étaient citoyens bulgares : il fallait donc éviter de discriminer un groupe sur une base ethnique, sous peine de faire naître des dissensions entre différentes communautés de citoyens. Il a rappelé, en outre, qu'en 2003, avec les autres pays européens qui abritaient des Roms sur leur territoire, la Bulgarie s'était engagée à promouvoir l'intégration de ces populations. Il a néanmoins mis en avant le fait que nombreux étaient ceux qui, en Bulgarie, connaissaient des problèmes de chômage et des difficultés économiques et que mettre en place des actions ciblées trop marquées en faveur d'une communauté particulière pouvait susciter des tensions. Il a estimé que les organisations non gouvernementales, les représentants des Roms et le Gouvernement bulgare devaient agir ensemble, cet engagement commun commençant à donner de bons résultats dans les établissements scolaires. Il a enfin souligné la nécessité de faire preuve d'une grande prudence en cette matière : au-delà des questions de chiffres et de subsides, existait une culture riche et ancienne chez les Roms ; il fallait au préalable que les membres de cette communauté eux-mêmes acceptent de s'engager dans la voie de l'intégration et de l'adhésion aux coutumes du pays.

Evoquant la fermeture programmée des réacteurs 3 et 4 de la centrale nucléaire de Kozloduy et saluant le grand courage politique dont avait fait preuve le Gouvernement bulgare en acceptant cette fermeture contre l'avis d'une très grande majorité de Bulgares, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si les compensations financières promises en contrepartie par la Commission européenne avaient été versées à la Bulgarie.

M. Siméon de Saxe-Cobourg Gotha a expliqué que la Commission européenne participait effectivement à la modernisation de la centrale et versait des fonds en vue de la reconversion des réacteurs arrêtés, dont il a souligné qu'ils étaient plus modernes que ceux de Tchernobyl. Il a déclaré que le Gouvernement bulgare, fidèle à l'engagement pris en 1998, arrêterait les deux réacteurs encore en fonctionnement lorsque la Bulgarie rejoindrait l'Union européenne. Il a fait valoir que, comme elle en avait le droit, la Bulgarie ne renoncerait pas pour autant à l'énergie nucléaire civile, suivant l'exemple brillant de la France, dont la Bulgarie étudiait d'ailleurs les offres concernant la construction d'une nouvelle centrale : saluant l'expertise et la renommée de l'industrie nucléaire civile de la France, il a déclaré que son pays était ouvert à de possibles coopérations.

M. Patrick Labaune a fait observer que, si en France la classe politique dans son ensemble était favorable à l'entrée de la Bulgarie et la Roumanie dans l'Union européenne, des inquiétudes existaient dans l'opinion publique quant à la situation économique actuelle de la Bulgarie.

Le Premier ministre de Bulgarie a indiqué que les paramètres macro-économiques étaient fort positifs et encourageants.

Mme Lidia Shouleva a ajouté qu'au deuxième trimestre 2004, le produit intérieur brut avait progressé de 6 %. En 2003, l'inflation affichait un taux de 2,3 %, le chômage représentait 11,9 % de la population active et le déficit budgétaire était nul.

En réponse aux remerciements du Président Edouard Balladur pour sa venue devant la Commission des Affaires étrangères, le Premier ministre de Bulgarie a rappelé que la France et la Bulgarie fêtaient cette année le 125ème anniversaire de leurs relations diplomatiques.

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