COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 octobre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Traité d'amitié et de coopération avec Monaco (n° 1043) et avenant à la convention fiscale avec Monaco (n° 1437) - M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur
- Informations relatives à la Commission


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Traité d'amitié et avenant à la convention fiscale avec Monaco

La Commission, sur le rapport de M. Jean-Claude Guibal, a repris l'examen du projet de loi (n° 1043), autorisant la ratification du traité destiné à adapter et à confirmer les rapports d'amitié et de coopération entre la République française et la Principauté de Monaco et examiné le projet de loi (n° 1437) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969 (ensemble un échange de lettres).

M. Jean-Claude Guibal, Rapporteur, a tout d'abord rappelé que la Commission avait commencé le 13 janvier dernier l'examen du projet de loi autorisant la ratification du Traité d'amitié et de coopération entre la France et Monaco, signé le 24 octobre 2002. Mais, dans la mesure où ce Traité s'inscrit dans le cadre général d'une rénovation d'ensemble des relations entre la France et Monaco, la Commission avait souhaité être informée, avant de se prononcer, sur les négociations en cours entre les deux pays sur des domaines spécifiques, tels que la fiscalité, la coopération judiciaire en matière pénale ou encore la coopération administrative. Pour répondre à ce souhait, le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères s'est donc rendu devant la Commission le 30 juin dernier afin de faire le point sur les relations franco-monégasques.

Le Rapporteur a ensuite brièvement rappelé les principales stipulations du Traité d'amitié et de coopération du 24 octobre 2002 qui a pour vocation de remplacer le Traité d'amitié de 1918 dont les modalités ne sont plus adaptées à la situation actuelle et encadrent trop la souveraineté monégasque. Mais si le Traité de 2002 apporte des éléments de nature à renforcer la souveraineté de la Principauté, il ne fait pas des relations franco-monégasques des relations interétatiques de droit commun. Ainsi, le concept « d'amitié protectrice » est remplacé par celui de « communauté de destin », concept qui reste très fort et qui est très inhabituel dans les relations entre Etats. De même, si la disposition relative à la nécessité d'une « parfaite conformité » de l'exercice de la souveraineté monégasque avec les intérêts politiques, économiques et militaires de la France disparaît, il faut cependant préciser que le Traité 2002 prévoit que les actions de la Principauté doivent « s'accorder » avec les intérêts fondamentaux de la République française. Sur le plan international, le mécanisme « d'entente préalable » du Traité de 1918 est remplacé par une procédure de concertation « appropriée et régulière ».

M. Jean-Claude Guibal a ensuite précisé que le Traité du 24 octobre 2002 était un simple cadre général pour le développement des relations entre la France et Monaco. Il s'inscrit donc dans une révision plus large des relations bilatérales, dans les domaines fiscaux, judiciaires et administratifs.

D'ores et déjà, des résultats ont été obtenus en ce qui concerne la fiscalité, conformément aux souhaits exprimés par la partie française. La réussite de ces négociations a en effet abouti à la signature d'un avenant à la Convention fiscale de 1963. Cet avenant est globalement satisfaisant pour la France, qui obtient tout d'abord l'assujettissement à l'ISF des Français, résidents monégasques depuis 1989. Il s'agit ainsi d'aller au bout de la logique de 1963 en considérant ces résidents français comme des contribuables français à part entière : il faut cependant préciser que cette politique conduit à une baisse constante de la communauté française résidant à Monaco, ce qui n'est pas dans l'intérêt de la France. Par ailleurs, l'avenant prévoit la mise en œuvre d'une nouvelle règle pour le partage des recettes de TVA, les reversements effectués par la France au profit du Trésor monégasque ayant parfois été considérés comme excessifs. Ce problème résultait de la formule de calcul de ce reversement désormais modifié par l'avenant dans un sens plus favorable à la France.

Puis, le Rapporteur a fait le point sur les autres négociations franco-monégasques en cours. En ce qui concerne la coopération administrative, la révision de la convention de 1930, qui prévoit notamment que les principaux postes de responsabilité de l'administration monégasque sont pourvus par des fonctionnaires français, fait désormais l'objet d'un projet de convention finalisé. Ce projet est plutôt rassurant pour la France puisqu'il n'empêcherait pas la Principauté de continuer à recourir en priorité à des fonctionnaires français. De plus, en tout état de cause, il sera nécessaire que les personnes occupant les emplois les plus sensibles jouissent de la confiance des deux Etats.

L'autre domaine sensible des relations franco-monégasques est celui de la coopération judiciaire en matière pénale. Les négociations ont commencé il y a deux ans et ont permis des avancées significatives permettant d'envisager le rapprochement des stipulations franco-monégasques avec les règles prévues entre les Etats membres de l'Union européenne. Il reste à régler la question de la transmission directe des demandes d'entraide judiciaire entre juges, sans passer par une autorité centrale, et celle de l'inclusion des infractions fiscales dans le périmètre de cette entraide. Une session de négociations s'est déroulée en juillet dernier dans un excellent climat, permettant d'espérer une conclusion prochaine des négociations.

Dans ce contexte, la Commission doit-elle d'ores et déjà autoriser la ratification des deux Traités déjà signés ou doit-elle attendre, pour se prononcer, de disposer de l'ensemble des textes soumis à ratification ? Le Rapporteur a estimé que la première option était la meilleure dans la mesure où le Traité d'amitié et de coopération du 24 octobre 2002 constitue le cadre général de la modernisation des relations franco-monégasques, qui commande en quelque sorte tous les autres textes particuliers, dont la négociation pourrait être fragilisée par un refus de ratification du Traité de 2002.

Avant de conclure, le Rapporteur a souhaité que la modernisation des relations franco-monégasques se traduise dans des domaines plus concrets (sécurité sociale, coopération avec les collectivités locales limitrophes de Monaco...). Il a ensuite recommandé l'adoption des deux projets de loi.

Le Président Edouard Balladur, après avoir rappelé que le Traité de 1918 fondait les relations entre la France et Monaco sur le principe de l'amitié protectrice, a souhaité savoir quelle était la situation antérieure.

Mme Martine Aurillac a demandé s'il était possible qu'en devenant un Etat pleinement souverain, Monaco envisage d'adhérer à l'Union européenne et quelle était la position de la France à ce sujet.

M. Jacques Myard a regretté de ne pas avoir suffisamment d'éléments de comparaison entre le Traité de 1918 et celui de 2002. Par ailleurs, quels sont les retours financiers de la Principauté vers les territoires français limitrophes ? Monaco n'ayant pas la capacité d'exercer un quelconque imperium, il n'est pas sérieux de vouloir en faire un Etat de plein exercice. Le nouveau statut, qui écarte les Français des fonctions gouvernementales, risque en outre de favoriser la prise de pouvoir par un système mafieux. Pour ces raisons, il est souhaitable que la Commission reporte une nouvelle fois son vote.

M. Jean-Paul Bacquet a rappelé que le Traité d'amitié de 1918 avait eu pour seul objet de légitimer l'existence de la Principauté de Monaco qui constituait déjà, à cette époque, une entité artificielle. En 1945, le Gouvernement français avait d'ailleurs envisagé l'intégration de Monaco à la France mais n'était pas allé au bout de cette démarche. Le Traité qui nous est aujourd'hui soumis est de nature à susciter des inquiétudes car, comme en 1918, il aura pour principale finalité de légaliser une situation douteuse.

M. André Schneider a rappelé que la délégation française au Conseil de l'Europe s'était prononcée à l'unanimité pour l'entrée de la Principauté au Conseil de l'Europe.

Le Rapporteur a apporté les éléments de réponses suivants :

- concernant le statut de la Principauté avant 1918, celle-ci était pleinement indépendante depuis le Traité bilatéral de 1861, qui avait également permis le rattachement de Menton et Roquebrune à la France ;

- s'agissant d'une éventuelle candidature de Monaco à l'Union européenne, le Traité de 2002 ne permettrait effectivement pas à la France de s'y opposer. La Principauté serait donc libre de faire une telle demande, dans le respect des intérêts fondamentaux de la France. Sur le fond, il est impossible de savoir si une telle hypothèse est envisageable à terme, d'autant que, dans le contexte de la mondialisation et des intégrations régionales, les micro-Etats semblent particulièrement avantagés du fait de leur souplesse ;

- il n'est pas possible d'exclure a priori le risque que les réseaux mafieux exercent leur influence, ni à Monaco ni partout ailleurs dans le monde, y compris en Europe, et pas seulement dans des micro-Etats. Il est vrai que les réseaux criminels tentent d'asseoir leur pouvoir en cherchant à prendre le contrôle d'Etats ou de collectivités : il s'agit d'un phénomène mondial contre lequel les moyens diplomatiques classiques sont peu efficaces et qui doivent être combattus par des outils beaucoup plus contraignants ;

- concernant les relations financières entre la France et la Principauté de Monaco, celles-ci ont tout d'abord un aspect fiscal, avec les reversements de TVA effectués au profit du Trésor monégasque puisque les recettes de cet impôt doivent revenir au pays dans lequel les biens sont consommés, et non celui dans lequel ils sont achetés. Ces reversements sont de l'ordre de 110 millions d'euros par an. Par ailleurs, les relations financières sont très fortes, mais de façon moins officielle, dans l'autre sens : en effet, 27 000 résidents français travaillent, et donc reçoivent un salaire, à Monaco. Cependant, il est légitime de se demander si les employeurs monégasques ne devraient pas participer d'une façon ou d'une autre au financement des infrastructures (logement, transports, assainissement...) situées en France mais liées à l'existence du bassin d'emplois que constitue la Principauté de Monaco.

Le Président Edouard Balladur, rappelant que la Commission débattait pour la troisième fois des relations franco-monégasques, a estimé qu'elle était dorénavant suffisamment informée. A cet égard, il a fait valoir que l'ensemble des arguments avancés ne s'opposait pas à l'approbation des deux conventions en débat.

S'agissant tout d'abord de l'éventuelle adhésion de la Principauté de Monaco à l'Union européenne, il a observé qu'elle était juridiquement possible, à l'instar de celle des autres micro-Etats européens (Andorre, San Marino, Liechtenstein) et ajouté qu'elle ferait apparaître les limites du système actuel de représentation égalitaire des Etats au sein de l'Union, qui ne tient pas suffisamment compte de leur poids relatif.

Concernant ensuite la question de l'imperium de Monaco, il a fait valoir que, sans assimiler le cas présent aux décolonisations qu'avait connues la France dans le passé, il pouvait néanmoins être observé que le transfert de l'imperium du protecteur au protégé était bien au cœur du processus de décolonisation.

Quant à s'appuyer sur un scénario-catastrophe qui verrait des organisations criminelles s'implanter à Monaco pour refuser la présente évolution, le Président a, en écho au Rapporteur, jugé que ce risque existait partout dans le monde.

Enfin, il a estimé que la ratification des présentes conventions ne conduirait certainement pas au relâchement des liens entre la France et Monaco et que notre pays garderait les moyens de faire entendre son point de vue, la Principauté restant étroitement dépendante de la France dans nombre de domaines vitaux.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a fait valoir qu'on ne pouvait soutenir que Monaco, membre de l'ONU depuis dix ans, depuis peu membre du Conseil de l'Europe, ne pouvait prétendre à un statut plus conforme à ce rôle nouveau.

M. Jacques Myard a précisé que le problème tenait, non au principe du transfert de l'imperium, mais à l'exercice effectif de cet attribut : Monaco est-il un Etat capable de défendre sa souveraineté ? Il a estimé que la réponse à cette question était négative, le rocher de Monaco ressemblant surtout à une principauté d'opérette, dotée certes d'un casino, d'un aquarium et d'une société des Bains de mer, mais dépourvue de toute autonomie en matière d'approvisionnement en eau et en électricité ainsi que, par exemple, d'établissement pénitentiaire.

Il a considéré par conséquent que la ratification des conventions en débat assimilerait les interventions de la France à des cas d'ingérence au regard du droit international. Il a enfin demandé que les conventions soumises à ratification fassent l'objet d'un débat en séance publique. Il a indiqué en conséquence qu'il voterait contre l'adoption du projet de loi autorisant la ratification du nouveau Traité d'amitié avec Monaco et qu'il s'abstiendrait sur le projet de loi autorisant la ratification de l'avenant à la Convention fiscale.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 1043 et 1437).

Informations relatives à la Commission

- Ont été nommés, le mercredi 20 octobre 2004 :

- Mme Chantal Robin-Rodrigo, rapporteur pour le projet de loi n° 1640 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie sur l'emploi salarié des personnes à charge des membres des missions officielles d'un Etat dans l'autre ;

- M. Henri Sicre, rapporteur pour le projet de loi n°1641 autorisant l'approbation de la convention de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne signée à Tunis le 26 juin 2003 ainsi que de l'avenant n° 1 à cette convention signé à Tunis le 4 décembre 2003 ;

- M. Philippe Cochet, rapporteur pour le projet de loi n° 1772 autorisant l'approbation de l'accord international sur l'Escaut et le projet de loi n° 1773 autorisant l'approbation de l'accord international sur la Meuse ;

- M. Bernard Schreiner, rapporteur pour le projet de loi n° 1781 autorisant l'approbation de l'accord entre les Etats membres de l'Union européenne relatif au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions de l'Union européenne, des quartiers généraux et des forces pouvant être mis à la disposition de l'Union européenne dans le cadre de la préparation et de l'exécution des missions visées à l'article 17, paragraphe 2, du Traité sur l'Union européenne, y compris lors d'exercices, et du personnel militaire et civil des Etats membres mis à la disposition de l'Union européenne pour agir dans ce cadre (SOFA UE).

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● Monaco


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