COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 janvier 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères

- Proposition de résolution n° 1968 de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement est intervenu dans la crise de Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002 - M. Eric Raoult, Rapporteur

  
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Audition de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères

Après avoir communiqué l'ordre du jour de la Commission pour les prochaines semaines, le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre des Affaires étrangères de sa venue.

M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, a indiqué qu'il ferait le point sur la situation dans l'Océan indien, sur la préparation des élections en Irak, sur les perspectives de règlement du conflit israélo-palestinien et sur les récentes négociations avec l'Iran dans le domaine nucléaire.

Le raz-de-marée qui s'est produit le 26 décembre dans l'Océan indien présente un caractère exceptionnel qui tient moins au nombre pourtant considérable des victimes qu'à sa dimension internationale, de très nombreux pays ayant été touchés à travers leurs ressortissants présents dans la région. Environ 4 000 Français ont ainsi été directement concernés. La cellule d'urgence téléphonique, assurée bénévolement par 350 agents du ministère des Affaires étrangères, a reçu plus de 100 000 appels, chiffre qui témoigne de l'immensité de l'émotion suscitée par l'événement. Le bilan actuel est de 22 Français décédés officiellement identifiés ou en cours d'identification, de 74 disparus très probablement morts et de moins d'une cinquantaine de ressortissants dont on reste sans nouvelles.

La mobilisation internationale a été rapide et intense : le rôle dirigeant des Nations unies a été reconnu dès le 6 janvier au sommet de Djakarta, une conférence des donateurs s'est tenue le 11 janvier à Genève et l'ampleur de l'effort communautaire a été confirmée le 7 janvier à Bruxelles. La France a participé à chacune de ces rencontres. Elle a envoyé des secouristes et du fret humanitaire dans la région sinistrée dès le 26 décembre, le porte-hélicoptères « Jeanne d'Arc » et la frégate « Georges Leygues » sont arrivés à Sumatra le 14 janvier. Plus de 17 millions d'euros ont été débloqués par la France en quelques jours au profit des agences des Nations unies et du Comité international de la Croix rouge. Par ailleurs, le Président de la République s'est prononcé très rapidement en faveur d'un moratoire sur la dette des pays les plus touchés et le principe de crédits très concessionnels pour la reconstruction a été décidé à hauteur de 300 millions d'euros. La France a ainsi consenti tous les efforts possibles.

La reconstruction des zones ravagées devra tenir compte de l'existence de ce risque naturel, ce qui supposera des moyens financiers de grande ampleur. L'idée d'un prélèvement mondial sur les échanges induits par la mondialisation (sur les billets d'avion, ou les flux financiers, par exemple) au profit de l'aide au développement, qui est défendue par la France, le Brésil et l'Espagne, rencontre un succès croissant depuis ces événements. En effet, la nécessité d'augmenter les moyens budgétaires disponibles apparaît plus clairement, si l'on veut financer les Objectifs de Développement du Millénaire.

La prévention des risques doit absolument être améliorée : la France a indiqué qu'elle était prête à accueillir un centre de prévision pour l'Océan indien à la Réunion. Un bilan des éventuels risques de même nature en Méditerranée et dans l'Atlantique devrait également être établi.

Le Gouvernement a aussi relancé l'idée de la création d'une force européenne de protection civile : il s'agirait de mettre en place une structure légère sous la forme d'un état-major pour coordonner les moyens disponibles dans chaque pays membre.

Abordant la situation au Proche-Orient, le Ministre des Affaires étrangères s'est félicité du bon déroulement de l'élection à la présidence de l'Autorité palestinienne, dans laquelle M. Mahmoud Abbas a recueilli 62 % des suffrages. Il a remercié les parlementaires qui avaient été observateurs de ce scrutin et souhaité qu'ils remplissent le même rôle à l'occasion des prochaines élections législatives et municipales. Dans le même temps, Israël s'est doté d'un nouveau gouvernement qui soutient le projet de retrait de la bande de Gaza. L'Autorité palestinienne a désormais des dirigeants dont la légitimité n'est pas contestable, et qui sont prêts à la discussion. La récente reprise des attentats montre la puissance des adversaires de la négociation et l'urgence qu'il y a à renouer le dialogue. La réunion qui doit se tenir le 1er mars à Londres est une première étape. La France y participera, mais il ne faut pas que cette rencontre conduise à accroître les obligations imposées aux Palestiniens en donnant des prétextes nouveaux à Israël et aux Etats-Unis pour ne pas aller de l'avant. La communauté internationale doit encourager les acteurs du conflit à saisir la chance qui s'offre à eux. La défense de ce processus doit être l'occasion de resserrer nos liens avec les Etats-Unis.

Pour ce qui est de l'Irak, on ne peut que constater la dégradation des conditions de sécurité et déplorer la disparition de la journaliste Florence Aubenas et de son accompagnateur irakien. Malgré la multiplication des contacts sur place, aucune information confirmée sur leur sort n'a encore pu être obtenue. Dans le cadre de la préparation des élections du 30 janvier prochain, la France a récemment invité tous les partis du pays, y compris ceux qui ne participeront pas au scrutin, à une mission d'information sur la France et ses institutions. Tous ont accepté d'y participer.

Ce sont 13 millions d'Irakiens qui se sont inscrits sur les listes électorales et 100 listes ont été enregistrées. Les opérations d'inscription sur les listes ne semblent pas répondre à toutes les exigences démocratiques, mais le contexte de violences - quatre-vingts personnes ont été tuées au cours des deux derniers jours - ne permet pas d'espérer un scrutin parfait. Sa crédibilité dépendra en particulier du niveau de la participation.

Enfin, M. Michel Barnier a rappelé le rôle de l'Europe dans le dossier iranien. C'est la conjonction des atouts de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni qui a permis l'accord de Paris du 15 novembre dernier. Ce succès met en évidence le poids international d'une Europe unie et constitue l'amorce d'une Europe politique. Les objectifs des Européens étaient d'empêcher l'Iran d'accéder aux capacités de production de matières fissiles utilisables à des fins militaires, d'amener l'Iran à choisir la coopération avec la communauté internationale en renonçant à ses ambitions en matière de nucléaire militaire, et de maintenir le consensus de la communauté internationale. L'accord de Paris s'inscrit dans cette approche : il prévoit la suspension complète des activités liées à l'enrichissement et au retraitement, maintenue pendant toute la durée des négociations d'un accord de long terme. Le 13 décembre dernier s'est tenue une rencontre qui a permis de lancer les négociations de l'arrangement de long terme. Cet arrangement devrait comprendre trois volets de coopération : le premier en matière de production nucléaire civile, le deuxième dans le domaine économique et technologique, et le troisième de nature politique. Le but de cet arrangement est de donner les garanties objectives de la finalité exclusivement civile du programme nucléaire iranien.

Concernant une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne évoquée par certains à la suite des élections présidentielles qui ont eu lieu récemment dans ce pays, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir quelle était la position du Gouvernement en la matière, notamment eu égard à la Russie, et si l'Union européenne avait été saisie d'une telle demande de la part des nouvelles autorités ukrainiennes.

Puis il a demandé si les récentes déclarations du Président George Bush indiquant qu'aucune hypothèse n'était exclue vis-à-vis de l'Iran correspondaient à un risque réel ou n'étaient qu'une forme de pression politique.

M. Michel Barnier a répondu que la question iranienne était prioritaire et sensible pour le Congrès américain et que l'on constatait un durcissement sur ce point. Il n'en demeure pas moins que la seule voie raisonnable reste celle des négociations globales menées par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.

Si la Russie a pu dans le passé manifester des réserves à une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, ce constat doit être manié avec prudence ; cela n'est pas une raison suffisante ; en effet, la Russie a fait preuve, dans le passé, des mêmes réserves à l'égard des trois Etats baltes par exemple. Il faut toutefois, s'agissant de l'Ukraine, mettre les choses dans l'ordre. Ce pays est maintenant sur les rails de la démocratie, il s'est préservé des risques de scission territoriale et a montré sa maturité. Il faut conserver cet élan et le sujet d'aujourd'hui n'est pas celui d'une adhésion. Le chemin sera long même si le modèle démocratique européen a beaucoup compté. Dans l'immédiat, il s'agit de conclure avec ce pays un accord de voisinage, qui sera d'ailleurs le premier test d'application de cette politique européenne. C'est au travers de cet instrument que l'Union européenne doit soutenir fortement l'Ukraine. Personne n'a intérêt à une crispation de la Russie qui occupe une vraie place géopolitique au sein du continent européen. C'est un état de fait.

Enfin, M. Michel Barnier a souhaité, à cette occasion, saluer la qualité de la médiation politique menée par la Pologne dans cette affaire.

Se disant frappé et ému par l'ampleur de la catastrophe en Asie du Sud-Est, M. Roland Blum s'est étonné que la décision prise le 12 janvier dernier par le Club de Paris de décider un moratoire sans conditions sur la dette du Sri Lanka, de l'Indonésie et des Seychelles n'ait pas été prise pour Haïti en septembre 2004 à la suite des dégâts causés par le cyclone « Jeanne ».

De plus, il s'est demandé si le moment n'était pas venu de convoquer une conférence internationale pour examiner la dette des pays en développement. Le montant des intérêts est tel que ces derniers n'arrivent plus à faire face aux dépenses minimales pour lutter contre la malnutrition et œuvrer dans le domaine de la santé par exemple. Il a demandé l'avis du Ministre des Affaires étrangères à ce sujet.

M. Jean-Michel Boucheron s'est dit perplexe devant la situation en Iran et convaincu que ce pays voulait obtenir l'arme nucléaire et l'obtiendrait rapidement, ce qui mettra l'Union européenne dans une impasse. Il n'y a que deux possibilités : soit les Etats-Unis entraînent l'Union dans ce cataclysme nucléaire, soit ils s'entendent avec l'Iran et l'Union sera flouée. Par ailleurs, une question collatérale se pose, qui est celle de la définition de la prolifération nucléaire dangereuse. En effet, l'obsolescence du Traité de non prolifération est avérée ne serait-ce que parce que des pays comme l'Inde, Israël et le Pakistan ne sont pas dans ce système alors qu'ils disposent d'armes nucléaires.

Notant la proposition de M. Roland Blum de convoquer une conférence internationale, M. Michel Barnier a souligné que l'effort nouveau que la France faisait n'était pas exclusif de ce qui était fait pour les pays les plus endettés, notamment dans le cadre du G8 où des initiatives existent. En outre, l'idée de trouver de nouvelles ressources pour financer le développement progresse puisque 110 pays ont signé la déclaration de New York. Il faut poursuivre ces efforts en mobilisant des crédits budgétaires et des ressources régulières, mais sans oublier l'Afrique qui reste un territoire majeur d'enjeux et de drames potentiels.

La situation d'Haïti reste préoccupante. Une réunion de travail se tiendra en mars prochain à Cayenne, à laquelle sont notamment conviés le Brésil, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis et le Mexique qui, non seulement sont des donateurs. mais veulent aussi être des acteurs. Il faut en effet aller au-delà des discours et des conférences de donateurs. Il s'avère que pour Haïti, 300 millions d'euros sont disponibles dans le cadre de l'Union européenne mais que le pays paraît incapable de les absorber. Il faut donc s'atteler à des projets concrets en matière d'approvisionnement électrique ou en eau, de construction d'écoles, etc.

Il faut réfléchir à l'évolution du Traité de non prolifération. Plutôt que de mettre en cause l'acquis de ce traité, il faut l'actualiser. Les négociations qui ont été engagées par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne avec l'Iran l'ont été sans illusions excessives, mais avec réalisme. Ces pays n'ont pas la prétention de dire que cette négociation à trois leur appartient exclusivement. Ils ont d'ailleurs pris soin d'informer en permanence leurs partenaires, notamment la Russie, la Chine et les Etats-Unis.

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les interventions du Gouvernement français dans la crise en Côte d'Ivoire

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Eric Raoult, la proposition de résolution n° 1968 de M. Paul Quilès et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement est intervenu dans la crise de Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002.

M. Eric Raoult, Rapporteur, a précisé que l'exposé des motifs mettait l'accent sur la question de la coordination des interventions françaises, des organisations africaines et des Nations unies, dont le caractère insuffisant était sous-entendu et implicitement présenté comme responsable du « manque d'efficacité globale du dispositif politique et militaire de maintien de la paix ».

La recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions : elle doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ; les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

Pour ce qui est de la première condition, le champ d'investigation de la proposition est limité géographiquement, à la Côte d'Ivoire, et temporellement, du 19 septembre 2002, jour de la tentative de coup d'Etat qui a dégénéré en soulèvement armé et a déclenché la crise, à aujourd'hui, ou, au moins, au mois de décembre 2004.

L'objet de la proposition de résolution est l'intervention du Gouvernement français et de la communauté internationale et celle-ci ne porte pas uniquement sur l'intervention de la France, mais aussi sur celle de la communauté internationale. Sont citées les initiatives des Nations unies, mais aussi celles de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de l'Union africaine, organisations régionales dont la France n'est pas membre. Par respect pour la souveraineté des Etats qui les constituent, le Parlement français n'a a priori pas compétence pour enquêter sur leurs initiatives dans le cadre de sa mission de contrôle parlementaire. A cette réserve près, l'objet de la proposition de résolution apparaît suffisamment précis.

La seconde condition de recevabilité est l'absence de poursuites judiciaires sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Le Garde des Sceaux a informé le Président de notre Assemblée, le 31 décembre dernier, qu'ont été déposées plusieurs dizaines de plaintes par des ressortissants français victimes civiles des exactions commises au mois de novembre 2004 en Côte d'Ivoire, ainsi que des plaintes relatives au bombardement commis à Bouaké le 6 novembre 2004. Si ces plaintes portent sur des actes commis en Côte d'Ivoire au cours de la période concernée par la proposition de résolution, leur objet est différent de celui de la commission d'enquête demandée. Elles ne font donc pas obstacle à la création de la commission d'enquête demandée par la présente proposition de résolution.

La présente proposition de résolution n'apparaît donc pas juridiquement irrecevable ; en revanche, son opportunité est très contestable.

M. Eric Raoult a rappelé que la presse, française et étrangère, avait rendu compte régulièrement de l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire et que les différents points de vue avaient eu l'occasion de s'exprimer. Plusieurs collègues socialistes se sont exprimés sur ce sujet le 23 décembre dernier. Une commission d'enquête indépendante internationale a été chargée par les Nations unies d'enquêter sur « les allégations de violation graves des droits de l'homme qui auraient été commises sur le territoire ivoirien depuis le 19 septembre 2002 ». Son rapport a été remis au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme le 15 octobre dernier, puis au Secrétaire général des Nations unies, le 19 novembre. Bien qu'il n'ait pas encore été rendu public, son contenu est connu. Il éclaire les circonstances des événements du 19 septembre 2002, qui sont qualifiés de « tentative de coup d'Etat », et apporte des éléments nouveaux sur les multiples violations des droits de l'homme et les assassinats politiques intervenus depuis cette date, qui sont imputables tant à la rébellion qu'au camp présidentiel.

Etant donné la masse d'informations déjà disponible sur le sujet, la seule valeur ajoutée que serait susceptible d'apporter une commission d'enquête de notre Assemblée résiderait dans la découverte d'éventuels documents inédits. Celle-ci est d'autant plus improbable que le II de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose que les rapporteurs de commissions d'enquête « sont habilités à se faire communiquer tous les documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat (...) ».

Sur le fond, la proposition de résolution parle du « grippage diplomatique et militaire » du dispositif mis en place par la France et les Nations unies et s'inquiète de « la perpétuation d'une crise aux conséquences imprévisibles, locales comme régionales ».

S'il est vrai que les efforts diplomatiques convergents de l'ONU, de la France et des organisations africaines n'ont pas donné tous les résultats attendus, la responsabilité incombe incontestablement plus aux acteurs ivoiriens de la crise, au premier rang desquels le Président ivoirien, qui n'ont pas tenu leurs engagements, qu'aux intervenants extérieurs dont la marge de manœuvre a toujours été étroite. Leurs initiatives ont été globalement cohérentes, les Nations unies approuvant chacune d'elles ; il n'y a pas eu d'initiatives contradictoires ou concurrentes. Les accords d'Accra et les résolutions de l'ONU se sont appuyés sur les accords de Linas-Marcoussis, qui demeurent la base du règlement de la crise.

Dire, comme le fait l'exposé des motifs de la proposition de résolution, que « le Gouvernement [français] n'est pas parvenu à proposer une issue crédible à la crise ivoirienne » relève de la mauvaise foi. C'est incontestablement lui qui a participé le plus directement au travail de rapprochement des positions du Gouvernement ivoirien et des rebelles en initiant la négociation des accords de Marcoussis et en obtenant leur signature. Leur crédibilité n'est pas contestable. Ces accords portent sur une série de questions cruciales, à l'origine de la crise ivoirienne, telles que la nationalité et la condition des étrangers, le régime foncier, le rôle des médias, les droits et les libertés humaines. La conclusion de ces accords a permis à la fois l'interruption durable des combats, la coopération entre les rebelles et les forces de sécurité nationales lors de la campagne de stabilisation de l'Ouest, le déploiement d'un contingent d'interposition international et l'ouverture d'un espace de dialogue politique entre les acteurs de la crise.

La principale faiblesse des forces internationales de maintien de la paix, qui comptent environ 12 000 soldats, n'est pas à chercher dans une éventuelle insuffisance de leur coordination, mais plutôt dans l'étroitesse de la mission de sécurité qui leur a été confiée et dans la modestie de leurs moyens. Le détachement Licorne a été chargé, en février 2004, de soutenir les opérations de l'ONUCI, dont le mandat est géographiquement limité à la « zone de confiance », zone-tampon entre la partie du pays contrôlée par les rebelles au Nord et celle restée sous l'autorité du Gouvernement. Dans les villes, où la plupart des faits sanglants ont eu lieu, la sécurité est de la responsabilité des autorités locales. Le Secrétaire général des Nations unies a demandé, en décembre dernier, le déploiement de plus de 1 000 hommes supplémentaires, dans le cadre de l'ONUCI, et les effectifs de l'opération Licorne ont été renforcés.

Deux mois après les violentes émeutes anti-françaises qui ont provoqué le rapatriement de milliers de Français qui vivaient en Côte d'ivoire, est-il vraiment opportun de créer une commission d'enquête qui met en doute la pertinence des efforts internationaux en faveur d'un règlement politique de la crise ? Le ministère des Affaires étrangères estime qu'il y a encore 1 200 Français d'origine européenne et 5 à 6 000 binationaux à Abidjan ; plusieurs milliers de militaires français sont toujours sur le terrain : ne convient-il pas d'éviter toute initiative qui risquerait de leur faire courir de nouveaux risques et de rendre leur tâche encore plus difficile ?

En outre, la situation intérieure de la Côte d'Ivoire présente des signes d'amélioration. Les visites répétées du Président sud-africain Thabo Mbeki, mandaté comme médiateur de l'Union africaine, ont permis un certain rapprochement du point de vue des parties en conflit. Des projets de loi mettant en œuvre les différents engagements contractés par le Gouvernement ivoirien dans le cadre des accords de Linas-Marcoussis ont été adoptés par l'Assemblée nationale ivoirienne ; la conformité de leur contenu aux engagements pris est actuellement analysée par le Comité de suivi des accords.

En octobre 2005, doivent se tenir des élections législatives et présidentielles en Côte d'Ivoire ; elles ne pourront avoir lieu dans de bonnes conditions que si le désarmement est enfin réalisé, ce qui suppose que chacun respecte ses engagements et que les forces internationales puissent poursuivre leur mission pacificatrice.

M. Eric Raoult a donc recommandé à la Commission de rejeter cette proposition de résolution.

M. Paul Quilès a déclaré qu'il ne souhaitait pas engager devant la Commission un débat sur la situation générale de la Côte d'Ivoire. La commission d'enquête dont la création est demandée ne vise pas à ériger un tribunal jugeant l'action du Gouvernement et de la communauté internationale en Côte d'Ivoire. Elle constituerait en revanche une enceinte permettant au Parlement de comprendre et d'éclairer les zones d'ombre qui ont conduit aux évènements de novembre dernier et qui sont la marque d'un échec de la politique conduite dans ce pays. La mission d'information commune aux commissions des Affaires étrangères et de la Défense mise en place après les évènements du Rwanda montre l'intérêt que la Représentation nationale se saisisse de tels sujets et qu'elle puisse entendre les diplomates et les militaires concernés. Elle doit le faire suffisamment tôt pour éviter que les évènements ne prennent une autre tournure. Des militaires engagés dans les opérations en Côte d'Ivoire ont par ailleurs demandé à être entendus par une commission parlementaire. Une telle commission ne doit pas gêner l'action de la France à l'étranger, mais elle doit permettre d'éviter que la situation ne dégénère. Il est inexact d'affirmer que les textes s'opposent à la communication aux commissions d'enquête des documents protégés par le secret : la mission d'information sur le Rwanda a ainsi obtenu la communication de 10 000 pages de documents qui ont été déclassifiés à sa demande. Rien ne s'oppose donc à la création de cette commission d'enquête aujourd'hui. Il en va du rôle du Parlement.

M. François Loncle a confirmé les propos de M. Paul Quilès et précisé que la proposition de résolution ne se limitait pas aux événements de l'automne 2004, mais qu'elle portait sur une période courant à compter de septembre 2002, ce qui devait permettre de procéder à un examen étendu et complet de la situation. Si l'Assemblée avait suivi le raisonnement du Rapporteur en 1998, elle n'aurait jamais créé la mission d'information sur le Rwanda, ni celle sur Srebrenica. Il est du devoir du Parlement de se saisir des événements les plus graves et les travaux de ces deux missions d'information ont été presque unanimement salués. Il faut travailler sur la Côte d'Ivoire dans la même optique et s'interroger sur les raisons qui ont conduit à la dégradation de la situation après le sommet de Kléber du 25 janvier 2003.

M. Hervé de Charette a indiqué qu'il était un ardent défenseur du contrôle parlementaire, y compris en matière de politique étrangère. Il est en revanche difficile de créer une commission d'enquête portant sur des événements en cours et sur une politique qui n'a pas été menée à son terme. Dans une affaire où les intérêts en jeu sont complexes, le rapport établi par une telle commission ne manquerait pas de compliquer la tâche du Gouvernement. Dans le cas du Rwanda, comme de Srebrenica, les missions d'information ont été créées après les évènements et non pendant. Aussi la commission d'enquête n'est-elle pas l'instrument le plus adapté. Il faudrait envisager d'autres solutions, comme l'organisation d'auditions des responsables militaires par la Commission des Affaires étrangères. Plutôt que d'instituer un tribunal historique dont la place n'est pas justifiée, de telles auditions satisferaient à l'exigence de bonne information du Parlement.

M. Jacques Godfrain a rappelé que la France était engagée en Côte d'Ivoire sous mandat de l'ONU et qu'il ne fallait pas accréditer l'idée d'un face à face entre les autorités françaises et ivoiriennes. La création d'une commission d'enquête sur un tel sujet se heurterait à d'importantes difficultés : demanderait-elle et parviendrait-elle à convier pour les entendre le chef de l'Etat ivoirien et les autorités militaires ivoiriennes ? Une telle démarche n'apparaît pas très réaliste. Les militaires français ont par ailleurs davantage besoin de soutien que de mise en cause. Pour ces raisons, il a fait part de son opposition à la proposition de résolution.

Le Président Edouard Balladur a considéré que, dans les cas du Rwanda et de Srebrenica, les missions d'information avaient été créées après les événements. Si la représentation nationale devait intervenir pendant le déroulement du conflit, cela ne pourrait que conduire à accroître la confusion de la situation et compliquerait la tâche du Gouvernement. En revanche, il est légitime que le Parlement fasse connaître son jugement a posteriori. A cet égard les travaux de la mission d'information sur le Rwanda ont été salutaires et ils ont contribué à changer les comportements. S'agissant de la Côte d'Ivoire, la création à ce jour d'une commission d'enquête présenterait plus d'inconvénients que d'avantages. En revanche, il serait tout à fait utile d'organiser, en liaison avec la Commission de la Défense, des auditions sur ce sujet, sans pour autant gêner l'action des forces françaises sur le terrain, dont le rôle est indispensable.

M. Paul Quilès a estimé que le travail d'audition des commissions permanentes faisait partie des mécanismes normaux du travail parlementaire et qu'il ne pouvait se substituer aux travaux d'une commission d'enquête. La création d'une mission d'information pourrait en revanche être utile.

Le Président Edouard Balladur a jugé que la création d'une mission d'information n'était pas plus opportune et que, nonobstant la différence de procédure, elle aurait le même résultat qu'une commission d'enquête.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution (n° 1968).

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