COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 février 2005
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Silvan Shalom, Ministre des Affaires étrangères de l'Etat d'Israël

  
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Audition de M. Silvan Shalom, Ministre des Affaires étrangères de l'Etat d'Israël

Le Président Edouard Balladur s'est dit heureux d'accueillir M. Silvan Shalom, ministre des Affaires étrangères de l'Etat d'Israël, que la Commission écoutera avec grand intérêt traiter de la situation dans son pays et dans la région.

M. Silvan Shalom a indiqué être venu inaugurer le nouveau bâtiment de l'ambassade d'Israël à Paris. Lors de cette cérémonie, il s'est réjoui de la présence, aux côtés de M. Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, d'une prestigieuse représentation française, signe du désir des autorités françaises d'améliorer les relations franco-israéliennes.

Il a plus particulièrement souligné la détermination avec laquelle la France lutte contre l'antisémitisme, ainsi que le caractère remarquable des discours prononcés à Auschwitz par le Président Jacques Chirac et aux Nations unies par le Ministre des Affaires étrangères Michel Barnier lors de la commémoration de la libération des camps. Par ailleurs, la venue prochaine, et très attendue, du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin à Jérusalem pour l'inauguration du nouveau musée de l'histoire de la Shoah de Yad Vashem, la proposition du Ministre de l'Intérieur, M. Dominique de Villepin, de dissoudre tous les groupes néonazis français, au moment même où, à Dresde, vient de se tenir la plus importante manifestation néonazie depuis la fin de la seconde guerre mondiale, enfin la récente décision d'interdire en France la chaîne télévisée du Hezbollah, Al Manar, qui incite à la haine raciale et à l'antisémitisme constituent autant de décisions exemplaires dont on espère qu'elles seront initiées dans les autres pays européens.

Evoquant ensuite la résolution 1559 du Conseil de sécurité tendant à mettre fin à l'occupation syrienne du Liban qui dure depuis trente ans, le ministre a déclaré que l'assassinat de Rafic Hariri donnait une nouvelle preuve que les forces terroristes sont prêtes à tout pour empêcher le Liban de recouvrer sa souveraineté. Dans la région, bien des forces extrémistes s'attachent à combattre la démocratie et la paix, qu'il s'agisse d'Etats comme la Syrie et l'Iran ou d'organisations telles que le Hamas, le Jihad islamique ou encore le Hezbollah. En réalité, ce sont la Syrie et l'Iran qui, par l'entremise du Hezbollah, subventionnent, à hauteur de 25 000 dollars, chaque famille de « bombe humaine », comme le faisait auparavant l'Irak de Saddam Hussein.

Cette menace terroriste est, bien sûr, dirigée contre Israël, mais elle compromet aussi la stabilité régionale et les possibilités de paix entre Israéliens et Palestiniens. Le Hezbollah a d'ailleurs publiquement fait part de son intention d'attenter à la vie du Président de l'Autorité palestinienne.

Ces extrémistes considèrent que les six millions de Juifs qui vivent en Israël ne sont pas à leur place au sein d'une population de plusieurs dizaines de millions d'Arabes. Mais ils craignent aussi que le rétablissement de la paix ne nuise aux efforts déployés par les Etats terroristes pour se doter de l'arme nucléaire. A cet égard, il est inadmissible d'entendre dire que seule la branche militaire du Hezbollah peut être accusée de terrorisme ; le même raisonnement valait déjà pour le Hamas et il a fallu beaucoup de temps aux autorités israéliennes pour convaincre leurs homologues que Cheikh Yassine était le chef unique de cette organisation qui distribue des subsides aux familles nécessiteuses, puis exige que leurs enfants se rendent dans les mosquées afin d'y être endoctrinés et recrutés comme bombes humaines.

Quant à prétendre que le Hezbollah serait un parti politique, qui peut y croire ? Quel autre « parti politique » au monde dispose de 12 000 roquettes, mène une politique terroriste et attaque un pays voisin ? Aucun ! M. Silvan Shalom a donc appelé l'Union européenne à inscrire sans tarder le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes.

S'agissant de l'Iran, il a souligné la détermination de la France et déclaré que le risque de voir l'Iran se doter de l'arme nucléaire ne pesait pas seulement sur Israël, mais sur le monde entier. L'Union européenne doit se montrer résolue et convaincre l'Iran que, s'il ne respecte pas ses engagements internationaux, il sera sanctionné. L'Iran n'abandonnera jamais son rêve de disposer de l'arme nucléaire ; dans ces conditions, la question n'est pas de savoir s'il en disposera en 2009 ou en 2011 : le danger est que, si rien n'est fait d'ici là, il aura d'ici peu les connaissances technologiques pour le faire. Il faut tout mettre en œuvre pour empêcher cela.

Abordant la situation au Proche-Orient, il a estimé que celle-ci connaissait à plusieurs égards une évolution positive. Il ne fait aucun doute que la mort de Yasser Arafat a ouvert une nouvelle ère et que désormais, tout doit être fait pour saisir l'occasion qui s'offre de progresser vers la paix ; ne pas le faire serait impardonnable. Le sommet de Charm-el Cheikh a été un succès. Pour la première fois, Israéliens et Palestiniens ont siégé ensemble et seuls, sans médiation internationale, ce qui est en soi une chose extraordinaire. D'autre part, un accord s'est dégagé, à l'issue de ce sommet, pour mettre fin aux violences et aux activités terroristes. Les autorités israéliennes se sont engagées à libérer 900 prisonniers dont 500 très prochainement. Israël évacuera d'autre part cinq villes, à commencer par Jéricho. La partie israélienne s'est également engagée à construire un port maritime à Gaza, ce qui suscitera la création de plusieurs milliers d'emplois. Dans le même temps, les Palestiniens employés en Israël seront plus nombreux et leur liberté de mouvement sera accrue grâce à la suppression des barrages. Déjà, l'édification de la barrière de sécurité a permis de supprimer 90 barrages ; lorsque la menace terroriste aura cessé, aucun barrage ne sera plus nécessaire, et les choses seront plus simples. Que l'on se rende compte : Israël a subi 24 000 agressions terroristes en quatre ans !

Lors de la prise de fonctions de Mahmoud Abbas, un attentat très grave a été commis par tirs de roquettes. Les autorités israéliennes ont immédiatement fait savoir à l'Autorité palestinienne que, si elle n'agissait pas, les troupes israéliennes entreraient à Gaza pour faire le travail elles-mêmes. Il n'a fallu que trois heures pour que les tirs cessent, alors que pendant dix ans, dans des cas semblables, on expliquait que c'était impossible... De même, lorsque, par la suite, 41 roquettes ont été tirées par le Hamas, le gouvernement israélien a décidé de ne pas réagir et de laisser Mahmoud Abbas intervenir, ce qu'il a fait. C'est ainsi que, de quelque 200 tirs par semaine, on est fort heureusement passé à quelques-uns seulement. Mais l'essentiel est d'obtenir la certitude qu'il n'y aura plus d'attentats suicides. L'opinion publique israélienne ne peut plus accepter qu'il y ait des attentats le matin, des obsèques l'après-midi et des négociations le soir ! C'est pourquoi Mahmoud Abbas ne peut se contenter d'un cessez-le-feu : il doit aussi démanteler les organisations terroristes et engager des actions concrètes, telles que la destruction d'ateliers de fabrication ou de stockage d'armes, pour contraindre les groupes armés à désarmer. Ces gens doivent être arrêtés et jugés. Ils doivent purger leurs peines et non pas ressortir libres après quelques jours de détention comme à l'époque de Yasser Arafat. Aussi, si Mahmoud Abbas adopte une autre politique à l'encontre des terroristes, des progrès significatifs seront accomplis.

Pour autant, il n'est pas question dès à présent d'envisager un accord définitif. Comment en effet imaginer en être déjà à la phase ultime du règlement, alors qu'il n'y a d'accord ni sur le tracé des frontières, ni sur le retour des réfugiés, ni sur les implantations ? Il y a eu des milliers de morts des deux côtés, et des dizaines de milliers de blessés. La confiance n'est pas encore revenue ; il faut donc agir par étapes, en suivant le feuille de route, qui prévoit que les Palestiniens renoncent à la violence, que les Israéliens se retirent des territoires qu'ils occupent depuis septembre 2000, et qu'ils améliorent la liberté de circulation et la situation économique des Palestiniens.

Comment la France peut-elle intervenir dans ce processus ? La diplomatie française a un fort impact dans le monde arabe et sur les Palestiniens. Elle peut donc aider à la mise en œuvre d'une réforme de la politique sécuritaire et économique du gouvernement palestinien. M. Michel Rocard, qui était à la tête des observateurs européens des élections, a pu se rendre compte que les élections palestiniennes se sont déroulées dans d'excellentes conditions grâce à l'aide d'Israël. La démocratisation doit se poursuivre : en premier lieu, de véritables tribunaux doivent être installés, qui respectent les principes d'un Etat de droit. Il faut aussi engager une sérieuse réforme en matière de sécurité et en finir avec les quatorze groupes de défense en vigueur, dont chacun a son territoire. Mahmoud Abbas lui-même souhaite constituer la défense palestinienne en trois groupes placés sous son autorité.

Il convient aussi de mener à bien une réforme économique tendant à une plus grande transparence financière. Yasser Arafat a détourné beaucoup d'argent - plusieurs millions de dollars par an - au détriment des Palestiniens. De meilleurs mécanismes de contrôle sont donc indispensables, en contrepartie de l'appui financier qui sera accordé aux Palestiniens pour leur permettre de reconstruire Gaza et de relancer leur économie.

M. Silvan Shalom a d'autre part estimé que le sommet de Charm-El Cheikh devait également permettre le retour en Israël d'ambassadeurs et de représentations diplomatiques de pays du Maghreb et du golfe persique. La réouverture de missions diplomatiques signerait une modification radicale, montrant que le retour de la paix et de la sécurité est possible, et rassurant par là même les investisseurs potentiels. Il a considéré que la France pourrait avoir, aussi sur cette question, une influence sur les pays arabes.

Israël et la France ont beaucoup en commun. Ce sont deux pays démocratiques qui défendent les mêmes valeurs, celles de l'Etat de droit. Une grande partie des Israéliens sont d'ailleurs nés dans des pays francophones. Les liens qui unissent les deux pays sont donc très forts, d'autant que la culture israélienne est en partie fondée sur la culture européenne. En outre, depuis que Chypre est membre de l'Union européenne, Israël n'est plus qu'à une demi-heure d'avion de l'Europe... Il est vrai que la relation entre Israël et la France est une relation passionnelle. Toutefois, il y a tout lieu de se réjouir de la multiplication des échanges culturels et éducatifs entre les deux pays et, grâce à un dialogue soutenu, on peut escompter un changement d'attitude tant de la part d'Israël envers la France que de la France envers Israël.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Silvan Shalom et s'est réjoui de l'entendre mettre l'accent sur l'amélioration des relations entre la France et Israël, d'autant que ces propos ne corroborent pas exactement ceux qui ont été tenus il y a quelques jours en France dans certains milieux.

S'agissant des relations entre Israéliens et Palestiniens, il a souhaité savoir si le projet de référendum, défendu par M. Silvan Shalom, sur le retrait des forces israéliennes de Gaza était abandonné ou maintenu. Se référant aux propos du Ministre insistant sur la manière dont la France pourrait participer à l'amélioration entre les deux parties, le Président lui a demandé comment les autorités israéliennes elles-mêmes entendaient participer à l'amélioration du fonctionnement de l'Autorité palestinienne ?

Pour ce qui est de l'Iran et des projets qui lui sont prêtés en matière nucléaire, quelle serait la position d'Israël si, saisi de cette question, le Conseil de sécurité ne parvenait pas à prendre une décision ou s'il en prenait une que l'Iran n'accepterait pas ?

M. Etienne Pinte a demandé quelles étaient les intentions du gouvernement israélien après l'assassinat de Rafic Hariri.

M. Didier Julia a demandé si Israël était d'accord pour signer le traité de non-prolifération et accepter des contrôles internationaux à cette fin sur son territoire et, dans le cas contraire, comment il estimait possible d'exiger cela d'autres pays. La signature du traité par Israël ne contribuerait-elle pas au processus de paix ?

M. Lionnel Luca a demandé si, compte tenu de la reprise des relations entre Israël et l'Autorité palestinienne, le gouvernement israélien n'avait pas à redouter de violentes réactions de la part des extrémistes israéliens et comment il entendait convaincre les colons du bien-fondé de sa politique.

M. Loïc Bouvard a demandé au Ministre ce que, selon lui, il conviendrait de faire si la communauté internationale ne parvenait pas à dissuader l'Iran de fabriquer une bombe nucléaire. Il lui a ensuite demandé si le gouvernement israélien entendait poursuivre l'édification du mur de séparation, dont la construction a jeté un grand discrédit sur Israël dans l'opinion publique internationale, ou s'il allait le démanteler.

M. Silvan Shalom a déclaré qu'en proposant un référendum, il ne cherchait pas à repousser l'application de la feuille de route mais à éviter une guerre civile. En leur temps, Yitzhak Rabin et Ehud Barak l'avaient d'ailleurs envisagé. Cela étant, aussi longtemps que le Premier ministre sera opposé à cette idée, il n'y aura pas de référendum. Pourtant, il existe bien en Israël des groupuscules violents, qui menacent la vie des ministres et même celle du Premier ministre.

S'agissant des relations entre Israël et l'Autorité palestinienne, le Ministre a indiqué quelle part les autorités israéliennes prenaient à leur réchauffement : la libération de 500 prisonniers, la levée des barrages, la facilitation des déplacements... La construction d'un port maritime à Gaza est en soi un risque potentiel pour Israël, puisque des armes pourraient y transiter ; pourtant, le gouvernement israélien a décidé de prendre ce risque, afin de favoriser l'emploi des Palestiniens. De même a-t-il suspendu certaines poursuites, afin que la trêve soit respectée. Autant dire qu'Israël a déjà mené une action très constructive.

La question iranienne est d'une importance particulière. Certains se demandent si, au Conseil de sécurité, la Chine accepterait le principe des sanctions ; pour sa part, le Ministre le pense. Mais de telles sanctions à l'encontre de l'Iran créeraient des problèmes économiques et auraient vraisemblablement pour conséquence l'augmentation des prix mondiaux du gaz et du pétrole. Or, si l'Iran comprend que la communauté internationale n'est pas prête à suivre le Conseil de sécurité, alors il n'aura aucune raison d'arrêter le processus qui le conduira à disposer d'une bombe nucléaire. Une question de fond se pose de façon plus générale : comment un régime extrémiste pourrait-il être autorisé à posséder l'arme nucléaire ?

La position d'Israël est simple : s'il n'y avait aucune arme atomique dans la région, il signerait le traité de non-prolifération comme il a signé le traité interdisant les armes chimiques. Mais que l'on se rappelle plutôt les propos de M. Rafsandjani, selon lesquels une seule bombe nucléaire iranienne suffirait à détruire Israël... Aucun autre pays qu'Israël n'a jamais été cité par les Iraniens ! Existe-t-il un seul autre pays au monde dont on remette en question le droit d'exister ? Aucun ! Et, à ce jour, Israël est le seul pays dont les frontières ne sont pas encore complètement définies. On ne peut comparer une démocratie à une dictature ; c'est pourquoi, si l'Iran se dotait de l'arme nucléaire, le monde entier se sentirait menacé.

L'assassinat de Rafic Hariri a été commis au moment même où le ministre s'entretenait de la démocratisation du Liban avec le président Jacques Chirac. Une fois encore, une coopération internationale réelle est nécessaire pour empêcher le terrorisme d'entraver la paix et la démocratie. Il est bien difficile d'appliquer les règles de la démocratie européenne au Proche-Orient, où règne la loi du plus fort ! Voilà pourquoi Israël, Etat de droit, doit s'efforcer de se protéger. Voilà pourquoi, aussi, il lui a fallu édifier une barrière de sécurité, barrière dont il n'a pas eu besoin pendant trente-cinq années - de 1967 à 2002 - mais qu'il lui a fallu construire après avoir subi 22 000 attentats ! D'ailleurs, le nombre d'attentats a considérablement baissé depuis que les terroristes ne peuvent plus pénétrer en Israël depuis la Cisjordanie, alors qu'avant la construction de la barrière de sécurité, on déplorait des dizaines de morts quotidiennes, et jusqu'à quatre attentats-suicides par jour ! Mais, depuis son édification, 90 barrages ont été démantelés, ce qui permet aux Palestiniens d'être beaucoup plus libres de leurs mouvements. Par ailleurs, Israël étant un Etat de droit, son gouvernement s'est conformé à l'avis de la Cour suprême lorsque celle-ci lui a demandé de revoir le tracé de la barrière. Le gouvernement a d'abord le devoir de protéger la vie des citoyens israéliens.

Le Ministre a remercié la Commission de son accueil et souligné toute l'importance d'un dialogue franc. Il s'est félicité de l'occasion qui lui avait été offerte d'informer les membres du Parlement français de la situation dans son pays et dans la région. Le rapprochement entre Israël et la France doit se faire plus étroit, et la coopération plus forte.

Le Président Edouard Balladur a remercié M. Silvan Shalom de ses propos fort directs. Il a conclu en souhaitant la poursuite et le renforcement du dialogue entre la France et Israël pour dissiper les malentendus éventuels et travailler, ensemble, à une paix à laquelle les deux pays sont également attachés.

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