COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er juin 2005
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des Représentants des Etats-Unis, coordinateur du groupe de travail (Task Force) mandaté par le Congrès américain, sur la réforme des Nations unies

- Compte rendu du déplacement effectué en Ukraine par le Président Edouard Balladur et M. Jean-Louis Bianco, les 12 et 13 mai 2005

- Compte rendu du déplacement effectué en Côte d'Ivoire par MM. Jacques Godfrain et Henri Sicre, les 23 et 24 mai 2005

- Compte rendu du déplacement effectué en Autriche, Bulgarie et Roumanie, par M. François Rochebloine, du 9 au 13 mai 2005, au titre de l'avis budgétaire « Rayonnement culturel et scientifique »

  

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Audition de M. Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des Représentants des Etats-Unis, coordinateur du groupe de travail (Task Force) mandaté par le Congrès américain, sur la réforme des Nations unies

Après avoir remercié M. Newt Gingrich de sa venue, le Président Edouard Balladur a précisé que celui-ci était coordinateur d'un groupe de travail sur la réforme des Nations unies, composé de parlementaires et d'anciens parlementaires américains.

M. Newt Gingrich a indiqué qu'il était venu pour présenter les positions du groupe de travail composé de Républicains et de Démocrates, qu'il co-préside avec l'ancien Sénateur George Mitchell. Il a précisé que leur rapport serait remis au Congrès le 15 juin.

Si l'Organisation des Nations unies joue un rôle très important, elle doit néanmoins être réformée en profondeur. Des adaptations internes à l'Organisation devraient concerner son personnel, sa gestion, et la responsabilité, mais un autre enjeu réside dans l'élargissement du Conseil de sécurité en vue de renforcer son efficacité et accroître sa légitimité. S'agissant de la paix et de la sécurité internationales, l'ONU a déjà pris des mesures en faveur de la lutte contre le terrorisme, mais elle doit continuer dans cette direction et redoubler ses efforts dans le combat contre la prolifération. Le groupe de travail estime que la première responsabilité des Etats est de protéger leurs peuples. Quand les régimes criminels commettent des actes de violence contre leurs propres peuples, le Conseil de sécurité doit réagir rapidement contre eux. S'il ne peut prendre une décision immédiate, une alliance régionale ou temporaire doit pouvoir intervenir sans tarder pour sauvegarder des vies.

A propos des objectifs de développement il a indiqué que l'accord de Monterrey établissait un lien entre lutte contre la pauvreté et établissement d'un Etat de droit. Les Etats-Unis défendent une aide au développement associant ces deux éléments, mais considèrent que l'objectif de 0,7 % du produit intérieur brut en faveur de l'aide publique au développement est discutable. Pour le groupe de travail, l'accent doit être mis sur les initiatives non gouvernementales qui s'avèrent souvent les plus efficaces. La société civile américaine a ainsi collecté 1,3 milliard de dollars en faveur des victimes du tsunami. Ce type d'effort doit être pris en compte dans le calcul de l'aide publique au développement.

A titre personnel, M. Newt Gingrich a jugé très intéressante la proposition française visant à accroître l'effort international en faveur de la biodiversité.

Le Président Edouard Balladur a souligné que la première question devait porter sur la reconnaissance ou non du rôle majeur de l'ONU dans la défense de la paix. Si ce rôle lui est reconnu, il est évident que les décisions doivent être prises non pas par l'Assemblée générale, mais au sein du Conseil de sécurité. Un problème se pose lorsque celui-ci n'est pas saisi d'une crise, refuse de s'en saisir lui-même ou ne parvient pas à élaborer une solution : quelle peut alors être la liberté d'intervention des Etats ? En 2003, les Etats-Unis ont résolu cette question d'une manière que la France n'a pas approuvée. Face à ce type de situation, à quel moment et à quelles conditions une alliance régionale pourrait-elle intervenir ?

Pour ce qui est de la composition du Conseil de sécurité élargi, si l'on s'accorde à dire qu'elle devrait mieux refléter l'équilibre actuel du monde, la question reste celle du droit de veto. La France est favorable à l'augmentation du nombre des membres permanents. Reste alors à savoir si ces nouveaux membres auront un droit de veto, s'ils seront réellement permanents ou « semi-permanents ». Le Président Edouard Balladur a personnellement estimé qu'il ne pouvait pas y avoir de demi-mesure et que les nouveaux membres permanents devraient en cette qualité avoir le droit de veto.

Il a interrogé M. Newt Gingrich sur la possibilité d'accorder un siège permanent unique à l'Europe, estimant pour sa part que l'équilibre issu de la deuxième guerre mondiale devait être maintenu.

Abordant un autre sujet, M. Axel Poniatowski a interrogé M. Newt Gingrich sur les conséquences internationales de la victoire du non au référendum français et a souhaité avoir son analyse de l'évolution des relations entre les Etats-Unis et l'Europe d'une part, les Etats-Unis et la France d'autre part ?

M. François Loncle a souhaité connaître la réaction américaine à la nomination d'un nouveau Premier ministre qui s'est fortement élevé contre les positions des Etats-Unis.

M. Newt Gingrich a salué l'élégance et l'intelligence du nouveau Premier ministre français. Il a estimé qu'il revenait au Président Jacques Chirac de juger de la pertinence d'un tel choix en réponse au non français au référendum.

L'échec du référendum est à la fois une réaction à l'évolution du projet européen et un signe d'inquiétude face aux changements économiques mondiaux. En ce qui concerne le projet européen, M. Newt Gingrich a estimé, à la suite du Président Eisenhower, que Bruxelles est la pierre angulaire de l'avenir de l'Europe. Les relations entre le gouvernement américain et les institutions communautaires mériteraient d'être renforcées afin que les Etats-Unis acquièrent une meilleure connaissance de leur fonctionnement. Le Président George W. Bush a tenu des propos prudents en réaction au résultat du référendum français, qui entraîne bien des incertitudes. La poursuite de la construction européenne n'en est pas pour autant rendue impossible.

L'ensemble du monde occidental, Etats-Unis compris, doit faire face aux difficultés politiques et économiques provoquées par le développement de la concurrence chinoise et indienne. Dans ce contexte, tout comme la France, les Etats-Unis doivent notamment relever le défi du financement des retraites et de leur système de santé.

Le rejet par la France du traité constitutionnel rend encore plus improbable l'octroi d'un siège unique pour l'Europe au Conseil de sécurité, sans avoir de conséquence prévisible sur les chances de l'Allemagne d'obtenir un siège permanent. Il est désormais certain que l'Union européenne n'aura pas de politique étrangère commune à court terme, mais les choses peuvent être radicalement différentes dans vingt ans. Pour l'heure, Français et Anglais utiliseraient probablement leur veto pour empêcher la création de ce siège unique.

Le groupe de travail estime indispensable qu'un siège permanent au Conseil de sécurité soit attribué au Japon, qui est la deuxième économie du monde et le deuxième contributeur au budget de l'ONU.

M. Newt Gingrich a estimé préoccupant que les événements tragiques en Bosnie, au Rwanda, au Congo ou encore au Darfour rendent compte d'une inaction des forces des Nations unies, voire sont la conséquence de leur intervention, alors inefficace. La création à l'échelle régionale et la formation, dans certains pays volontaires, de forces militaires d'intervention seraient un bon moyen pour une réponse rapide aux situations de génocide ou d'assassinats massifs. Trop de personnes innocentes meurent pendant que les diplomates cherchent encore des solutions. Par ailleurs, les gouvernements criminels doivent être poursuivis pour leurs actes, ce qui aurait pour conséquence d'en dissuader d'autres. S'agissant de l'organisation de l'Union africaine, des forces militaires locales pourraient être constituées avec le soutien des Etats Unis et de l'Europe pour permettre des interventions efficaces. Les forces des Nations unies doivent répondre à des critères d'exigence et d'efficacité afin qu'elles soient réellement considérées comme un atout et non pas comme une menace.

Le Président Balladur a demandé où en était la procédure de ratification de M. John Bolton en tant que représentant des Etats-Unis au Conseil de sécurité ? Le Sénat américain pourrait-il être amené à modifier ses règles de procédure relatives aux nominations ?

M. Newt Gingrich a précisé que l'ambassadeur Bolton devrait être nommé probablement la deuxième semaine de juin et les démocrates ne devraient pas empêcher cette nomination. Il a précisé que la controverse autour de M. John Bolton était liée à sa personnalité et aux points de vues qu'il exprime. Néanmoins il bénéficie d'une grande crédibilité aux Etats-Unis, ayant joué un rôle important dans le rejet de la résolution, en 1991, qui tendait à assimiler racisme et sionisme ou encore, à la même époque, lors du premier gouvernement de George Bush, avec l'adoption de la résolution après l'invasion du Koweït par Saddam Hussein. Mme Condoleezza Rice voit en M. John Bolton une personnalité dure mais d'une efficacité remarquable.

En ce qui concerne la réforme des Nations unies, M. Axel Poniatowski a demandé si la recommandation de la Task Force, donc celle du gouvernement américain, d'accorder un siège de membre permanent au Conseil de sécurité au Japon et à l'Inde, incluait un droit de veto ?

M. Newt Gingrich a précisé que le travail de la Task Force n'influençait pas directement les décisions du gouvernement américain, même si celui-ci souhaite d'ores et déjà que le Japon obtienne un siège au Conseil de sécurité. S'agissant du droit de veto, il est peu probable que les cinq pays qui en sont dotés acceptent de l'accorder à d'autres. Le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a précisé sans ambiguïté que d'autres pays pouvaient espérer obtenir un siège permanent au Conseil mais, cependant, sans droit de veto.

Le Président Edouard Balladur a estimé que le gouvernement français serait favorable à ce que d'autres pays rejoignent le Conseil de sécurité pour diversifier la représentation géographique de ses membres permanents. Le Japon est le deuxième contributeur des Nations unies. Son souhait légitime de devenir membre permanent du Conseil, compte tenu de sa puissance économique et de sa contribution financière à l'Organisation, doit être pris en compte. L'élargissement du Conseil n'est pas une prérogative des membres permanents actuels qui devraient veiller à mener une réflexion responsable et équitable.

Si la France est ouverte à une augmentation du nombre des représentants permanents au Conseil de sécurité, M. Newt Gingrich a demandé si, pour autant, elle serait favorable à une extension du droit de veto au profit d'autres Etats ?

Le Président Edouard Balladur s'y est déclaré favorable, à titre personnel. Le veto signifie l'application de la règle de l'unanimité, pratique souvent suivie dans le domaine international pour les problèmes importants.

M. Newt Gingrich a remarqué que la règle de l'unanimité dans l'Union européenne est différente puisque le but même de l'Union est la recherche de convergences. Par ailleurs, il est troublant de constater, alors que l'ONU tente d'empêcher des massacres, que le Soudan devient membre du Comité des droits de l'homme, ou encore que le gouvernement Hutu obtient un siège au Conseil de sécurité. Même si ces pays ne sont pas membres permanents, leur présence rend plus difficile une résolution du Conseil de sécurité à leur encontre, tandis que leurs populations subissent des situations extrêmes. Il faut redonner au Conseil de sécurité plus de moyens pour qu'il mène une action efficace.

Compte rendu du déplacement effectué en Ukraine

Expliquant qu'il s'était rendu en Ukraine avec le Président Edouard Balladur les 12 et 13 mai dernier, M. Jean-Louis Bianco a indiqué que les entretiens qu'ils avaient eus dans ce pays avaient été appréciés par leurs interlocuteurs ukrainiens et très utiles pour permettre à la délégation de la Commission de dresser un état des lieux de la situation en Ukraine. Il a ajouté que les interlocuteurs de la mission, qu'il s'agisse du Chef de l'État, le Président Iouchtchenko, du Premier Ministre, Mme Ioulia Tymochenko, du Président de la Rada - le Parlement ukrainien -, M. Lytvyn, ou de M. Victor Tarassiouk, Ministre des affaires étrangères, avaient bousculé leurs agendas respectifs pour réserver un accueil empressé à la délégation de la Commission.

C'est d'abord un interlocuteur très attentif aux propos du Président Edouard Balladur que la mission a rencontré en la personne du Président Iouchtchenko, avec lequel la mission s'est entretenue de la question des relations de l'Ukraine avec la Russie, l'Union européenne et l'OTAN. Le Chef de l'État ukrainien a ainsi fait valoir que l'intégration de son pays dans l'Union européenne, sa priorité, était indissociable d'une relation par nature stratégique avec la Russie. Si les raisons de cette préférence européenne sont politiques, culturelles et stratégiques, elles sont également économiques, les exportations vers l'Union européenne représentant 40 % des exportations totales de l'Ukraine quand celles vers la Russie ne comptent que pour 18 % du total. S'agissant des relations avec la Russie, le Chef de l'État ukrainien a dressé le tableau de relations très tendues, au moment de la visite de la délégation, du fait de la suspension de la livraison de pétrole brut par la Russie à l'Ukraine. M. Jean-Louis Bianco a relevé à cet égard l'ambivalence de la relation russo-ukrainienne, l'Ukraine étant dans une situation de vulnérabilité du fait de sa dépendance énergétique à l'égard de la Russie, en même temps qu'elle pouvait transformer son monopole des livraisons de gaz et de pétrole russes vers l'Union européenne en atout, si la relation avec la Russie était stabilisée. Concernant enfin la relation de l'Ukraine avec l'OTAN, la mission a noté la très grande prudence du Président Iouchtchenko, qui avait mis en avant que ce point était, pour la Russie, plus problématique que celui de la relation entre l'Ukraine et l'Union européenne.

Au total, la teneur essentielle du message délivré par le chef de l'État ukrainien résidait dans la nécessité, pour l'Ukraine, de disposer de perspectives claires quant à sa relation avec l'Union européenne : elle ne pouvait rester dans le vague. M. Jean-Louis Bianco a relevé que, comme tous les interlocuteurs rencontrés par la mission, le Président Iouchtchenko était pour autant pleinement conscient que cette question ne trouverait pas de règlement dans l'immédiat et qu'un long chemin restait à parcourir en ce sens.

Les mêmes thèmes ont été abordés avec Mme Ioulia Tymochenko, Premier ministre d'Ukraine, qui avait, en outre, mis l'accent sur la conviction répandue, dans l'opinion publique ukrainienne, selon laquelle un changement de régime suffirait pour ouvrir à l'Ukraine la porte de l'Union européenne. M. Jean-Louis Bianco a cependant précisé que le point principal mis en avant par le Premier ministre ukrainien résidait dans la conviction profonde, chez les dirigeants ukrainiens, que la France détenait la clé de l'entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne, ce qui expliquait que le Premier ministre ukrainien avait choisi la France comme destination de son premier voyage officiel. Il a également souligné la volonté affirmée du Premier ministre ukrainien d'accroître les échanges économiques de son pays avec la France, qui la conduisait à recevoir elle-même les dirigeants des grandes entreprises françaises qui se rendaient en Ukraine.

Après avoir noté la sensibilité nettement plus atlantiste du Ministre des affaires étrangères, M. Jean-Louis Bianco a relevé la pondération du Président de la Rada, M. Lytvyn, qui avait insisté sur la nécessité, pour l'Ukraine, de ne pas ressasser le passé et de mener les réformes internes nécessaires à son adhésion. Il a ajouté que le Président de la Rada s'était fait l'avocat d'une reprise des relations interparlementaires entre la France et l'Ukraine et avait transmis une invitation au Président de l'Assemblée nationale à se rendre en Ukraine, de même qu'il s'était dit volontiers prêt à se rendre en France.

Evoquant ensuite la situation intérieure de l'Ukraine, M. Jean-Louis Bianco a fait état du débat sur la remise en cause des privatisations menées par le régime précédent, dont les conditions de régularité et de transparence pouvaient être mises en doute : en la matière, la ligne très ambitieuse, visant à remettre en jeu de nombreuses privatisations, défendue par Mme Ioulia Tymochenko, se heurtait à l'approche plus modérée qui prévalait chez le Chef de l'État. En termes budgétaires, le Gouvernement ukrainien s'attache à respecter ses engagements électoraux : hausse des dépenses sociales, réduction des investissements et préservation de l'équilibre budgétaire. Enfin, le Gouvernement ukrainien fait de la lutte contre la corruption l'emblème de son action : M. Jean-Louis Bianco a expliqué qu'il était en l'occurrence crédible, et cru.

En conclusion de son intervention, M. Jean-Louis Bianco a fait part de la proposition qu'avait faite le Président Edouard Balladur à ses interlocuteurs d'engager une réflexion commune, entre Français et Ukrainiens, sur ce que pourrait être l'Europe du futur, élargie à 35 membres. Il a souligné qu'il fallait montrer aux Ukrainiens que la France ne les rejetait pas mais qu'existait un besoin de réflexion mutuelle sur l'Europe ; il s'agissait ainsi de montrer à l'Ukraine que la porte de l'Union européenne n'était pas fermée.

Saluant l'excellent rapport de M. Jean-Louis Bianco, le Président Edouard Balladur a souligné l'esprit d'ouverture des interlocuteurs rencontrés par la mission, qui, sans acrimonie ni agressivité, avaient tous souligné leur souhait de rejoindre l'Union européenne. Il a confirmé son intention d'organiser, à l'automne, un colloque franco-ukrainien sur l'avenir de l'Europe, que M. Jean-Louis Bianco avait accepté d'animer. Il a estimé qu'un tel exercice permettrait de préciser les idées qui circulent sur la notion de partenariat privilégié, étape intermédiaire pour les uns, aboutissement pour les autres, de l'association entre l'Union européenne et ses voisins.

Il a ajouté à cet égard que le bureau de la Commission avait décidé qu'une mission serait conduite, visant à établir un rapport d'évaluation sur la situation de la Roumanie et de la Bulgarie au regard des conditions posées à leur entrée dans l'Union européenne, la Commission européenne ne faisant pas toujours montre en la matière d'une exigence très poussée. Il a expliqué que le résultat du référendum du 29 mai 2005 pouvait aussi être lu comme la manifestation d'une inquiétude des Français devant les élargissements successifs de l'Union, certaines catégories socio-professionnelles, tels les agriculteurs, ayant le sentiment que l'amélioration du niveau de vie de leurs homologues dans les nouveaux Etats membres s'était faite à leur détriment. Il a jugé que, dans le climat qui prévalait en France, tout élargissement ultérieur serait mal reçu par le peuple français qui, dans le cadre de la réforme constitutionnelle du 1er mars 2005, serait d'ailleurs appelé à en décider par référendum, exception faite de l'élargissement à la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, d'ores et déjà décidé. Il fallait par conséquent évaluer avec une grande précision les progrès réalisés par les pays appelés à rejoindre l'Union européenne.

Il a indiqué qu'il ne fallait pas pour autant oublier l'Ukraine, pays de près de 50 millions d'habitants, d'une superficie de 603 000 kilomètres carrés, pays important avec lequel la proximité culturelle était très forte, qui souhaitait s'émanciper de la Russie tout en conservant de bonnes relations avec elle. C'est d'ailleurs pour cette raison que le premier déplacement à l'étranger du Président Iouchtchenko avait eu lieu en Russie. L'Ukraine fait donc partie des pays avec lesquels nous devons entretenir des relations aussi étroites que possible, même si l'époque des élargissements multiples est terminée et qu'il faut désormais être plus attentif aux conséquences d'élargissements éventuels, notamment vers des Etats, comme l'Ukraine, au niveau de vie très inférieur à la moyenne communautaire.

M. François Loncle a estimé que l'erreur des dirigeants européens, notamment français et allemands depuis 1995, était de ne pas avoir eu le courage de tracer les limites géographiques de l'Europe, tout en dessinant des perspectives de coopération très fortes avec ceux qui se trouvaient au dehors.

Le Président Edouard Balladur a expliqué qu'il était réservé quant à une réflexion sur les limites géographiques de l'Europe. Le risque en la matière est de se heurter à l'impossibilité de fixer des critères objectifs : ainsi, qu'en est-il du Caucase ? Si la Géorgie est manifestement un pays européen, peut-on en dire autant de l'Azerbaïdjan ou de l'Arménie ? Il a jugé par conséquent que, plutôt que de s'essayer à des définitions toujours contestables, il convenait de décider qu'aucun nouvel élargissement n'aurait lieu dans les dix années à venir, en dehors de ceux d'ores et déjà prévus ; qu'il fallait dans le même temps bâtir un statut de partenaire privilégié, dont il fallait définir les composantes. Tel pourrait être l'objet du colloque qu'il avait proposé à ses interlocuteurs ukrainiens.

M. Jean-Louis Bianco a estimé qu'il était nécessaire, même si difficile, d'élaborer une vision de l'Europe, qui inclurait une intégration poussée entre certains Etats membres, puis de la faire partager. Il a jugé en effet que l'Europe ne retrouverait du sens que si certains pays décidaient de se rapprocher, intégration qui seule permettrait de faire contrepoids à une Europe élargie à 35 Etats : si, d'ici dix à quinze ans, nous parvenions à bâtir ce cœur de l'Europe, il faudrait également construire, sur son pourtour, un réseau d'alliances fortes, notamment pour faire face à la montée en puissance de nouvelles puissances en Asie. Il a ajouté que la Turquie ferait évidemment partie de ce réseau.

Le Président Edouard Balladur a fait valoir qu'étant membre de l'Alliance atlantique, elle en faisait d'ores et déjà partie.

M. Jean-Jacques Guillet s'étant interrogé sur la portée de la réforme constitutionnelle du 1er mars 2005 à l'issue du vote du 29 mai 2005, le Président Edouard Balladur a expliqué que la seule disposition encore applicable concernait l'obligation de faire approuver tout nouvel élargissement de l'Union par la voie référendaire, toutes les autres dispositions étant caduques du fait du rejet du projet de traité constitutionnel. Il a précisé que ni la Roumanie, ni la Bulgarie, ni la Croatie ne seraient toutefois concernées par cette obligation, la décision d'élargir l'Union à ces pays étant préalable à la réforme constitutionnelle.

Compte rendu du déplacement effectué en Côte d'Ivoire

M. Jacques Godfrain a indiqué qu'il s'était rendu avec M. Henri Sicre, à la demande du Bureau de la Commission, en Côte d'Ivoire les 23 et 24 mai dernier afin de recueillir des informations sur la situation politique de ce pays après la signature à Pretoria, le 6 avril 2005, d'un accord qui ouvre, semble-t-il, la voie à une relance du processus politique. Cette mission était la première organisée depuis les événements de novembre 2004 qui ont vu neuf soldats français tués dans le bombardement de Bouaké et le départ de plus de 8 000 ressortissants français menacés par une foule hostile qui a notamment détruit tous les établissements scolaires français du pays.

Le fait que la Commission envoie une délégation en Côte d'Ivoire a été perçu par ses interlocuteurs ainsi que par la presse comme un premier pas vers la reprise d'un dialogue entre nos deux pays. La délégation de la Commission a rencontré toutes les forces politiques ivoiriennes sans exclusive : le Front populaire ivoirien (FPI) qui est au pouvoir, le RDR (Rassemblement des Républicains), le PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) et les Forces nouvelles. Elle a également été reçue par les représentants des principales institutions : le Président Laurent Gbagbo, le Premier ministre Seydou Diarra, les présidents de la Commission des relations extérieures et de la Commission de la défense de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire, les ministres des affaires étrangères, de l'administration du territoire et de la justice. Enfin, elle a rencontré les représentants de l'Union africaine, de l'ONUCI ainsi que le Général Henri Poncet qui commande l'opération Licorne.

D'un point de vue général, on peut constater que, en dépit des apparences, l'Accord de Pretoria n'a pas réglé toutes les questions. Cet accord est le fruit de la médiation entreprise par le président sud-africain Thabo Mbeki au nom de l'Union africaine. Il proclame notamment l'attachement de toutes les parties aux accords de Marcoussis ainsi qu'aux résolutions de l'ONU, mais également à l'unité de la Côte d'Ivoire. Cet accord déclare aussi la fin de la guerre. Il prévoit le désarmement et le démantèlement des milices de manière immédiate, le Premier ministre étant en charge de cette mission. Le processus DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) est, quant à lui, relancé.

L'accord contient également des dispositions pour assurer la sécurité dans la zone sous responsabilité des Forces nouvelles, au Nord du pays, par la formation de six cents hommes de ces Forces qui seront chargés de cette mission. La question de la sécurité des membres du Gouvernement issus des Forces nouvelles est abordée par l'accord de sorte qu'il permette à ces ministres, comme M. Guillaume Soro, de siéger à nouveau au sein du Gouvernement de réconciliation nationale.

L'accord traite surtout de l'organisation de la prochaine élection présidentielle qui doit se tenir le 30 octobre prochain. Il fixe la composition de la Commission électorale indépendante qui était, jusqu'alors, l'objet de polémique. L'accord réaffirme la nécessité d'organiser un scrutin libre, juste et transparent, l'ONU devant être invitée à le superviser. Concernant l'éligibilité à la Présidence de la République, les parties s'en sont remises au Président Thabo Mbeki qui a fait connaître sa décision quelques jours après l'accord de Pretoria : il a demandé au Président Laurent Gbagbo de ne pas recourir au référendum pour modifier l'article 35 de la Constitution qui empêchait M. Ouattara de se présenter à l'élection et d'user des pouvoirs exceptionnels dont dispose le Président de la République au titre de l'article 48 pour le faire. Cet article 48 est calqué sur l'article 16 de notre Constitution. M. Laurent Gbagbo s'est conformé à cette décision.

La question de l'élection présidentielle est évidemment au centre de toutes les attentions. Le mandat du Président Laurent Gbagbo s'achève à la fin octobre 2005 et le premier tour du scrutin a été fixé au 30 octobre de cette année. Tous les partis expriment, au moins publiquement, un souhait : que cette élection ait lieu dans la transparence afin de permettre à la Côte d'Ivoire de repartir sur des bases saines. Les stratégies politiques sont moins claires cependant. Objectivement, on constate que l'organisation de ce scrutin dans un délai si court semble difficile. Le pays est coupé en deux ; la sécurité n'est pas assurée ; les listes électorales ne sont pas constituées. Il n'est pas certain, par ailleurs, que l'une des conditions pour aboutir à ce scrutin puisse être remplie : le désarmement des Forces nouvelles. Un accord a été signé par les différentes parties à Yamoussoukro le 14 mai dernier. Ce texte préconise l'élaboration d'un « chronogramme » - d'un calendrier qui fixe les actions de désarmement à mener avec des dates très précises. 48 000 soldats sont concernés, soit 5 500 du côté des Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) et 42 500 du côté des Forces nouvelles. Même si les Forces nouvelles ont signé ce texte, elles semblent aujourd'hui tergiverser et les personnes rencontrées lors de la mission pensent en général que ces Forces se contenteront d'accepter un « cantonnement armé ». Elles craignent en se désarmant de se trouver démunies face aux forces gouvernementales et aux milices. Il existe donc un risque que l'une des parties considère, dès lors, que la participation à l'élection n'est pas possible.

L'intervention de l'ONU pour assurer le bon déroulement de ce scrutin est prévue par l'accord de Pretoria. Pour autant, on ne s'achemine pas vers une prise en charge complète du processus électoral par les Nations unies, qui constituerait la seule garantie crédible pour certains partis face aux risques de manipulations. L'ONU se contenterait de vérifier et non d'organiser le scrutin. Un haut représentant de l'ONU doit être désigné prochainement par le Conseil de sécurité.

La question de l'élaboration des listes électorales est aujourd'hui au cœur du débat. Il existe en Côte d'Ivoire une Commission électorale indépendante dont l'accord de Pretoria a précisé la composition pluraliste. C'est à cette Commission qu'incombe normalement le soin d'établir les listes. Le Président Gbagbo a pris récemment une décision controversée en faisant une application, jugée excessive par ses adversaires, de l'article 48 de la Constitution qui lui reconnaît des pouvoirs étendus en cas de circonstances exceptionnelles. Il a semblé donner à l'Institut national de la statistique (INS) le soin de préparer les listes électorales en mettant de côté la Commission électorale indépendante. Il faut espérer que la controverse autour de cette décision s'apaise et que les rôles respectifs de la Commission indépendante et l'INS soient éclaircis dans le respect de l'accord de Pretoria. On peut aussi se demander comment les Ivoiriens pourront élaborer leurs listes dans des délais si brefs alors que l'état civil a été largement détruit au nord du pays. Un autre obstacle au bon déroulement de ce scrutin est, enfin, la sécurité des candidats et leur liberté de faire campagne dans toute la Côte d'Ivoire, ce qui est aujourd'hui loin d'être acquis.

Nos interlocuteurs ont semblé globalement préoccupés par la possibilité de tenir cette élection dans la sérénité et dans les délais prévus. Faute de scrutin, on risque un embrasement général du pays, d'autant plus que l'embargo sur les armes n'est pas respecté. Certains évoquent cependant la possibilité d'une transition sous l'égide de l'ONU.

La situation au nord de la Côte d'Ivoire est préoccupante. Ce territoire est en grande partie aux mains de chefs de guerre. Le racket et les trafics se développent au détriment de la population qui en souffre terriblement. Les régions de l'Ouest sont, quant à elles, en proie aux milices et aux intrusions de groupes armés, en particulier libériens. Des pressions sont exercées sur les populations ivoiriennes que l'on nomme allogènes c'est-à-dire qui vivent dans ces régions mais n'en sont pas originaires. Certains de nos interlocuteurs n'ont pas caché les risques de massacres planifiés dans cette région en cas de crise nouvelle dans le pays.

Les relations entre la France et la Côte d'Ivoire sont dans une phase d'attente. Un millier de nos ressortissants demeurent dans ce pays, sur près de 10 000 début 2004. Si les Français que nous avons pu rencontrer lors de notre mission sont inquiets, car toute vie de famille est devenue extrêmement difficile dans un pays où règne l'insécurité et où les enfants ne peuvent plus être scolarisés, ils n'entendent pas abandonner la Côte d'Ivoire. En dépit de certains discours anti-français, émanant notamment des « Jeunes patriotes », les relations historiques, c'est-à-dire humaines, entre les Ivoiriens et les Français ne sont pas rompues.

Toutes les parties rencontrées en appellent cependant au maintien d'une relation forte entre la France et la Côte d'Ivoire. Le parti au pouvoir, le FPI, ne dit rien d'autre même s'il milite en faveur d'une diversification des relations de la Côte d'Ivoire. On peut craindre cependant que ce mouvement ne développe un discours anti-français comme il semble en être tenté en dénonçant ses adversaires de l'opposition - MM. Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara -, qui viennent de signer un accord électoral à Paris le 18 mai, comme le parti de l'étranger.

Des incompréhensions demeurent, par exemple sur le refus français de rouvrir les établissements scolaires, et le pouvoir ivoirien n'envoie pas aujourd'hui de messages clairs sur la nature des relations qu'il entend entretenir avec notre pays. Par exemple, on ne sait pas si le départ des troupes françaises et leur remplacement par des troupes de l'ONU (6 000 hommes aujourd'hui) est souhaité par les dirigeants ivoiriens.

En conclusion, M. Jacques Godfrain a déclaré que M. Henri Sicre et lui-même retiraient de cette courte mission un sentiment d'incertitude et de grande perplexité sur la capacité de la Côte d'Ivoire à surmonter la grave crise qu'elle traverse et qui menace d'embraser toute la sous-région. L'élection présidentielle d'octobre, qui sera suivie d'élections législatives en décembre, peut être l'occasion d'un nouveau départ. Mais peu nombreux sont ceux qui en sont clairement convaincus. Une grande rigueur dans le contrôle du processus électoral, notamment par l'ONU, sera nécessaire. Il faudrait qu'il intervienne dès maintenant pour l'établissement des listes électorales. On doit observer, en conclusion, que 10 000 hommes sont présents en Côte d'Ivoire au titre de l'ONUCI ou de l'Opération Licorne. Au Kosovo, le contingent est de 40 000 hommes pour un territoire vingt fois inférieur. On ne doit donc pas se faire d'illusions sur la capacité de la communauté internationale à empêcher des événements dramatiques.

Après avoir rappelé qu'il avait déjà effectué trois missions en Côte d'Ivoire au nom de la Commission des affaires étrangères, M. Henri Sicre a estimé que, malgré les espoirs nés des accords de Pretoria, le sentiment qui semblait prévaloir en Côte d'Ivoire était que l'élection présidentielle n'aurait pas lieu en octobre. La situation de ce pays est difficile à cerner, les relations entre la France et la Côte d'Ivoire souffrant, pour leur part, d'un grand malentendu. Lorsque les forces rebelles, dénommées « Forces nouvelles » par M. Henri Konan Bédié, lors de la réunion de Marcoussis en 2003, ont pris les armes, elles ont reproché à la France de ne pas les avoir laissé renverser le pouvoir en place. Le déroulement de la réunion de Marcoussis a pu ensuite apparaître maladroit, notamment lorsque le ministre français des Affaires étrangères de l'époque a semblé faire preuve d'une bienveillance particulière à l'égard des rebelles et de leur chef, M. Guillaume Soro. Notre pays a alors fait l'objet de vives critiques de la part du pouvoir légal. Il n'est pas impossible - même s'il ne faut pas surestimer ce risque - que la campagne électorale se déroule, dès lors, autour du thème : « le parti de la Côte d'Ivoire contre celui de l'étranger, de la France ». La signature d'un accord entre les partis de l'opposition à Paris, le 18 mai dernier, pourrait alimenter une telle campagne.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que le concept d'ivoirité a été introduit par l'ancien Président de la République, M. Henri Konan Bédié, afin d'écarter M. Alassane Ouattara de l'élection présidentielle de 1995.

La question de la sécurité en Côte d'Ivoire est préoccupante. On doit constater que, si les dirigeants de l'opposition ivoirienne ont choisi Paris pour signer leur accord électoral, c'est parce qu'ils ne pouvaient se rendre en Côte d'Ivoire pour des raisons de sécurité. Le nord de la Côte d'Ivoire est, quant à lui, actuellement sous le contrôle de chefs de guerre qui pratiquent le racket. On peut craindre qu'à l'occasion de l'élection présidentielle d'octobre, les candidats de l'opposition ne puissent faire campagne dans le sud du pays, alors que le Président Laurent Gbagbo ne pourrait se rendre dans le nord de la Côte d'Ivoire.

Le choix de l'Institut national de la statistique par le Président Laurent Gbagbo pour établir les listes électorales en vue de ce scrutin semble avoir été dicté par la capacité technique de cet organisme qui existait bien avant sa venue au pouvoir. Cet institut s'appuiera notamment sur les listes utilisées lors de la dernière consultation électorale en 2002. Reste que les documents d'état civil ont été détruits au nord du pays, ce qui ne rend pas cette tâche facile. De plus, si la Commission électorale indépendante, et non le Chef de l'Etat, avait elle-même choisi l'Institut national de la statistique pour accomplir cette mission technique, la polémique ne se serait pas développée de la sorte.

Il est clair qu'il sera extrêmement difficile d'organiser cette élection alors qu'il ne reste plus que cinq mois avant son déroulement. Faute d'un tel scrutin, la Constitution ivoirienne permet au Président en place de demeurer temporairement au pouvoir ; mais on peut penser que les Forces nouvelles n'accepteront pas une telle situation. Le pays sera alors menacé d'une nouvelle crise. En outre, il apparaît aujourd'hui acquis que les Forces nouvelles ne désarmeront pas, M. Guillaume Soro ne s'estimant pas engagé par les récents accords de Yamoussoukro. En outre, il paraît difficile de contraindre les rebelles à déposer les armes alors qu'ils tirent de confortables revenus du rançonnage. Ces forces demeureront, au mieux, cantonnées pendant le déroulement du processus électoral.

Le risque de crise grave en Côte d'Ivoire est donc réel à moins que l'ONU ne s'engage plus intensément dans ce pays. Il conviendrait que la France fasse pression sur elle pour obtenir un tel engagement.

M. Bruno Bourg Broc s'est déclaré étonné par l'appréciation portée par M. Jacques Godfrain sur le fait que les Ivoiriens n'exprimeraient pas d'hostilité profonde à l'égard des Français, alors que de nombreux témoignages laissent apparaître l'inverse.

M. Jacques Godfrain a rappelé que la nuit du 6 novembre 2004, après le bombardement des troupes françaises à Bouaké et la destruction des forces aériennes ivoiriennes par notre armée, avait marqué les esprits en raison des exactions commises sur les ressortissants français. Ces violences étaient cependant le fait d'une minorité d'Ivoiriens. On n'observe aujourd'hui aucun mouvement de masse hostile à nos compatriotes.

M. Henri Sicre a estimé que les relations très amicales entre la France et la Côte d'Ivoire pouvaient reprendre sans risque pour la sécurité de nos compatriotes. Les Ivoiriens attendent un signal fort comme la réouverture des établissements scolaires français. On doit noter que la décision d'organiser dans les pays voisins de la Côte d'Ivoire, notamment au Burkina Faso, les examens pour les élèves qui avaient suivi leur scolarité dans l'enseignement français a été mal ressentie.

Le Président Edouard Balladur a jugé la situation en Côte d'Ivoire très préoccupante. Il paraît difficile d'organiser l'élection présidentielle d'octobre dans les délais mais il est aussi très dangereux qu'elle n'ait pas lieu. La France seule ne peut résoudre ce genre de crise. C'est un fait qu'il faut désormais prendre en considération. Un appel à la communauté internationale s'impose afin qu'elle prenne ses responsabilités. Une telle intervention serait la meilleure manière pour la France d'assurer la sauvegarde de ses intérêts dans toute l'Afrique francophone et d'éviter que la Côte d'Ivoire ne sombre dans le chaos.

M. François Rochebloine s'est interrogé sur les perspectives de réouverture des établissements scolaires français.

M. Jacques Godfrain a fait savoir que ces établissements étaient complètement détruits. Le paradoxe veut que les personnes qui ont soutenu plus ou moins implicitement les actes de pillage de ces écoles et de ces lycées en demandent aujourd'hui la réouverture rapide afin notamment d'y scolariser leurs enfants.

Le Président Edouard Balladur a considéré qu'il sera nécessaire d'interroger le prochain ministre des Affaires étrangères sur la politique que la France entend mener en Afrique, notamment francophone.

Compte rendu du déplacement effectué en Autriche, Bulgarie et Roumanie

M. François Rochebloine a déclaré que la mission qu'il avait effectuée en Autriche, Bulgarie et Roumanie avait été conduite au titre du rapport budgétaire consacré aux relations culturelles extérieures et à la francophonie. Dans chacune des villes visitées, la mission a porté son attention sur les établissements de l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger (AEFE), les centres culturels et les établissements d'enseignement supérieur francophones.

A Vienne, le lycée français, qui a été construit après guerre, constitue un établissement tout à fait exemplaire par son dynamisme. Des accords entre la France et l'Autriche permettent aux élèves autrichiens et binationaux de préparer dans cet établissement un baccalauréat reconnu par les deux pays. Grâce à cet accord, le lycée, qui dispense des enseignements allant de la maternelle à la terminale, n'est pas affecté par le départ des élèves non français à l'approche du baccalauréat, à la différence de ce qui se produit dans la plupart des établissements du réseau. La répartition des élèves par nationalité est la suivante : 55 % d'élèves autrichiens, 25 % d'élèves français et binationaux et 20 % d'élèves d'autres nationalités. Grâce à son ouverture sur la société autrichienne, le lycée français constitue un pôle d'attractivité pour l'enseignement supérieur français, puisque 20 % des élèves autrichiens qui y sont inscrits poursuivent leurs études en France.

Si le lycée français de Vienne constitue sans aucun doute un exemple à suivre pour l'ensemble des établissements du réseau de l'AEFE, il faut cependant tirer la sonnette d'alarme en raison de l'état déplorable des bâtiments. Outre le fait que le lycée est implanté sur deux sites, ce qui accroît les coûts de fonctionnement, l'état général du bâtiment constitue une menace pour la sécurité du personnel et des usagers. Il y a de nombreuses fissures, les portes et fenêtres ne sont pas aux normes, les façades tombent en morceaux. Alors que les coûts de fonctionnement du lycée de Vienne sont autofinancés à 79 %, l'Etat français n'a même pas dégagé les sommes nécessaires à la réalisation d'études sur la rénovation du bâtiment, alors même que l'AEFE n'a pas d'autonomie budgétaire dans le domaine immobilier, qui relève du titre V. Il conviendra d'être particulièrement vigilant au moment de l'examen des crédits pour que les budgets nécessaires à la réhabilitation complète de cet établissement soient dégagés (ceux-ci sont estimés à 7 millions d'euros).

S'agissant des établissements d'enseignement supérieur, il convient ici de saluer le travail accompli par l'Académie diplomatique de Vienne, qui a mis en place un programme de formation trilingue en Allemand, Anglais et Français avec l'aide de l'Agence internationale de la Francophonie. Le renforcement du pôle d'études francophones de cette institution doit être soutenu par les pouvoirs publics.

Enfin, l'Université d'Innsbruck dispose d'un pôle d'études françaises qui contribue au rayonnement de notre langue et de notre culture. Un accord entre l'Université et notre Ambassade permet de financer à hauteur de 30 600 euros par an des acquisitions d'ouvrages en langue française et des programmes de coopération scientifique. Malheureusement la rigidité de nos procédures comptables et la régulation budgétaire nuisent à la lisibilité de notre action et sont mal perçues par nos partenaires autrichiens.

M. François Rochebloine a ensuite présenté l'action du réseau culturel français en Bulgarie. Ce réseau se compose d'un centre culturel et de coopération et de huit Alliances françaises, implantées en province. Les crédits de programmation de ce réseau pour 2005 s'élèvent à 1 780 000 euros. Ces crédits sont orientés de manière prioritaire vers la coopération technique en vue de l'accompagnement de la Bulgarie sur le chemin de l'adhésion à l'Union européenne.

L'appartenance de la Bulgarie à la Francophonie est tout à fait justifiée compte tenu de la place du français dans le système éducatif et dans la société bulgares, même si notre langue est aujourd'hui en très fort recul par rapport à l'anglais. Les cours de langue dispensés par le réseau culturel français attirent annuellement 5 000 personnes. Le français vient en 4ème position des langues étrangères enseignées derrière l'anglais, le russe et l'allemand ; 100 000 élèves apprennent le français, soit environ 10 % des élèves de l'enseignement secondaire général. Le système éducatif bulgare comporte par ailleurs des lycées bilingues qui proposent des cours en langue étrangère dans des disciplines non linguistiques (par exemple la physique ou l'histoire). L'enseignement bilingue francophone concerne aujourd'hui environ 11 000 élèves dans 48 établissements, dont 23 sont agréés par le ministère français de l'Éducation nationale.

Grâce à cette forte présence du français dans le système éducatif, près de 3 000 étudiants bulgares font leurs études en France, tous cycles confondus. Les pays germanophones arrivent très nettement en tête en terme d'attractivité pour les étudiants bulgares. Ceci s'explique notamment par le coût de la vie très élevé à Paris, surtout pour le logement, et par le faible nombre de bourses : 178 bourses d'études en tout, dont 121 bourses Erasmus.

S'agissant du lycée français de Sofia, il s'agit d'un établissement dynamique, qui est passé de 210 à 350 élèves en 4 ans. Le nombre d'élèves bulgares y est de 45. Compte tenu des coûts de scolarité (entre 2 500 et 2 900 euros par an), l'établissement attire davantage les élèves issus de familles récemment enrichies, plutôt que ceux présentant un fort potentiel académique. Une plus grande ouverture de l'établissement sur le public bulgare nécessiterait une politique d'exonération à laquelle le conseil d'établissement est actuellement opposé. Il apparaît qu'une étude prospective est nécessaire pour développer le lycée dans la perspective de l'adhésion de la Bulgarie à l'Union ; il va cependant de soi que ce développement ne doit pas se faire au détriment des établissements bulgares bilingues qui offrent un enseignement en français.

Enfin, il convient de saluer l'action du Poste pour diffuser la culture française contemporaine, afin d'attirer des publics jeunes et diversifiés qui sortent des cercles francophones traditionnels. Le centre culturel a ainsi organisé plusieurs manifestations en partenariat avec des institutions culturelles bulgares qui ont connu un vif succès. Il convient de poursuivre dans cette voie et d'être vigilant sur les moyens alloués en faveur du rayonnement culturel de notre pays, dont on ne peut que déplorer la baisse constante depuis plusieurs exercices.

M. François Rochebloine a ensuite abordé la situation du français en Roumanie en indiquant qu'elle demeurait privilégiée, même si elle avait tendance à s'effriter. La perspective du prochain sommet de la Francophonie qui doit se tenir à Bucarest en 2006 constitue une occasion de mobiliser les différents acteurs de la francophonie dans ce pays. Le nombre de francophones en Roumanie est actuellement estimé à 20 %, dont 5 % d'excellents locuteurs. Chaque année le nombre d'élèves apprenant le français recule de 2 % au bénéfice de l'anglais. Ainsi, le nombre d'élèves apprenant le français est passé entre 1997 et 2002 de plus de 57 % à moins de 45 %.

Afin de répondre à cette situation, les actions de formation linguistique ont été renforcées. Les cours de français pour les adultes dispensés par notre réseau culturel connaissent une hausse continue avec 4 000 inscriptions en 2004. Il conviendrait cependant d'investir pour répondre à la demande qui se heurte aujourd'hui à une pénurie de locaux. Une politique de coopération linguistique et éducative a été mise en œuvre dans l'enseignement pré-universitaire, afin de moderniser les contenus et les méthodes d'enseignement. Les instances de la Francophonie soutiennent ces actions, notamment en termes de formation des formateurs. Les établissements bilingues roumains sont ainsi soutenus activement par notre réseau qui met à disposition des lecteurs français. Cela dit, le budget de coopération linguistique et éducative ne permet pas d'affecter des lecteurs dans les autres établissements enseignant le français, alors qu'une forte demande existe.

La coopération universitaire est dense : la France accueille aujourd'hui 4 600 étudiants roumains, soit le 3ème rang après l'Allemagne et l'Italie. L'Agence universitaire de la francophonie est impliquée dans ces échanges et elle a financé un pôle informatique et documentaire très performant. La complémentarité entre l'action des pouvoirs publics français et la Francophonie est sur ce point opérante. Malheureusement, la situation économique de la Roumanie est si difficile, que bon nombre d'étudiants souhaitent émigrer définitivement. Par ailleurs, les métiers de l'enseignement sont totalement dévalorisés et le corps enseignant va très rapidement souffrir de l'absence de renouvellement. Dans ce contexte, le risque est fort que la position encore confortable du français en Roumanie ne connaisse un très fort décrochage à moyen terme, faute d'une nouvelle génération de professeurs.

La présence des médias français en Roumanie est insuffisante. Plusieurs intellectuels et enseignants rencontrés ont fait part de leur souhait de pouvoir recevoir Arte et beaucoup de francophones ont déploré la mauvaise diffusion de TV 5.

Enfin, un projet de construction d'un nouveau bâtiment pour le lycée français a été retenu par le conseil d'établissement avec le soutien actif de l'Ambassadeur de France. Il conviendra là encore que notre Commission soutienne ce projet et veille au dégagement des crédits nécessaires à cette réalisation importante pour le rayonnement de notre pays dans un Etat qui a vocation a adhérer très prochainement à l'Union européenne.

M. François Rochebloine a conclu son propos en rendant hommage aux personnels du réseau culturel et scientifique, qui font preuve d'une grande motivation et qu'il convient de soutenir en leur donnant les moyens d'agir.

Le Président Edouard Balladur a estimé que le rapport sur la situation du français en Bulgarie et en Roumanie faisait état d'une situation extrêmement préoccupante. La défense de la langue française en Europe fait partie des tâches régaliennes de l'Etat et il convient d'y consacrer les moyens nécessaires. En outre, il est regrettable que l'Etat dégage des crédits d'investissement qui ne sont pas accompagnés des crédits de fonctionnement nécessaires.

M. Bruno Bourg Broc a également estimé que le rapport qui venait d'être fait était particulièrement préoccupant, même si le ton se veut optimiste. L'action conduite en faveur du rayonnement de la langue française à Vienne est essentielle en raison du statut de capitale internationale de cette ville. Il est regrettable que les droits d'inscription dans les établissements de l'AEFE soient aussi élevés, ce qui exclut bon nombre d'élèves intéressés par l'apprentissage du français. La diffusion d'Arte et de TV 5 doit être améliorée, notamment en Roumanie, où le français recule de manière inquiétante. La présence de la presse française pose également problème : elle est mal diffusée, elle est chère et elle arrive souvent tardivement.

M. François Rochebloine a indiqué qu'il avait cherché à faire un rapport objectif de la situation et que son optimisme relatif provenait de la motivation des personnels du réseau, ce qui n'enlève rien au caractère préoccupant de la situation du français dans les pays visités. La diffusion de la presse et des chaînes de télévision constituent un sujet sur lequel il convient de se pencher.

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