COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 décembre 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

  

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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

Le Président Edouard Balladur a souhaité la bienvenue au Ministre en indiquant que, sans revenir sur le détail des négociations sur les perspectives financières européennes, puisqu'un débat s'était tenu en séance la veille avant le Conseil européen de Bruxelles, il serait souhaitable que la Commission puisse être informée des tous derniers développements de ces négociations, et notamment des propositions faites ce jour par la présidence britannique de l'Union.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a, tout d'abord, souligné que cette audition intervenait à un moment important, à la veille de la tenue du Conseil européen de Bruxelles qui marquera la fin de la présidence britannique.

L'enjeu principal de ce Conseil européen est le budget communautaire pour la période 2007-2013. Les Européens doivent parvenir à un accord sur le financement de l'Union après 2006, ce qui confère à la présidence britannique de grandes responsabilités ; chaque Etat membre de l'Union en a d'ailleurs conscience.

Ce rendez-vous est, faut-il le rappeler, crucial pour l'avenir de l'Union européenne. Si nous ne parvenons pas à un accord sur le budget, les conséquences risquent d'en être le gel des politiques communautaires entre 2007 et 2013 et la fin du processus d'intégration économique des nouveaux Etats membres. Pour continuer à progresser, l'Europe a besoin de perspectives financières claires ; c'est l'objectif de la France, que le Ministre des Affaires étrangères n'a cessé de réaffirmer, avec la Ministre délégué aux Affaires européennes, à chacune des réunions ministérielles de ces dernières semaines.

Les nouveaux pays membres ont besoin de connaître au plus vite le montant des fonds structurels qui leur seront alloués. C'est fondamental pour eux, mais également pour toute l'Europe : comment espérer bénéficier, demain, du développement de ces pays, si nous ne leur donnons pas, aujourd'hui, les moyens d'effectuer leur rattrapage économique et d'assurer ainsi un minimum de cohésion au sein de l'espace européen ?

C'est pourquoi il est urgent que nous parvenions à un accord dans le courant de cette semaine. Comme cela avait été le cas le 17 juin 2005, la France est prête, naturellement, à négocier. Mais si la France veut un accord, elle veut aussi que chaque pays assume ses responsabilités. Or, les dernières propositions britanniques qui datent de ce jour ne laissent guère de doute : le Royaume-Uni refuse toujours obstinément de payer sa juste part du coût de l'élargissement.

La France aborde ce Conseil européen forte de trois convictions.

Le budget doit d'abord respecter le principe de solidarité car l'intégration économique et sociale des nouveaux Etats membres est en jeu. La présidence britannique a proposé une réduction de 8 % des fonds structurels à destination de ces pays, avec une légère hausse dans la proposition de ce jour d'un montant de 2 milliards. Cette solution ne répond pas à cette exigence de solidarité.

En deuxième lieu, le budget doit respecter un principe d'équité. La France a accepté, en juin dernier, d'augmenter de 11 milliards d'euros sa contribution au budget européen pour 2007-2013. Elle a aussi accepté une réduction substantielle des montants lui revenant au titre des fonds européens. C'est là un effort considérable qui mérite d'être partagé par les autres pays riches de l'Union. Or les Britanniques refusent obstinément d'assumer leur part du coût de l'élargissement qu'ils ont pourtant si ardemment défendu. Ils proposent, en effet, à ce stade, pour solde de tout compte, un effort financier de 8 milliards d'euros là où leur contribution devrait normalement avoisiner 14 à 15 milliards. En outre, le Royaume-Uni se refuse toujours à revoir, sur une base permanente, le mode de calcul de son rabais, ce qui signifie que le débat actuel ne serait pas tranché et devrait reprendre à chaque nouvel élargissement. Alors que le Gouvernement britannique savait pertinemment que ses propositions du 5 décembre 2005 ne permettraient pas un accord, il a fait le choix de les confirmer quasiment à l'identique à la veille du Conseil européen de Bruxelles.

Enfin, la France défendra aussi à Bruxelles la fidélité à la parole donnée, en particulier pour la politique agricole commune (PAC). Aujourd'hui, les Britanniques mettent en question son avenir, alors même que son financement a fait l'objet d'un accord qui vaut jusqu'en 2013. Ils proposent aussi une nouvelle baisse de deux milliards pour les dépenses de marché de la PAC, et enfin, une diminution d'environ sept milliards de crédits au détriment du développement rural. Ce n'est pas acceptable. A Bruxelles, comme à Hong Kong, la France défendra la même position : elle souhaite un accord, mais n'acceptera pas celui qui obligerait l'Europe à engager une nouvelle réforme de la PAC. Là comme ailleurs, le Gouvernement demandera un accord global et équilibré, c'est-à-dire équitable, qui prenne en compte de manière juste les intérêts des uns et des autres.

La quasi-totalité des pays de l'Union a jusqu'à présent demandé à la Présidence britannique de présenter une nouvelle proposition de budget en vue du Conseil de Bruxelles. Trois pays, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, ont même adressé il y a deux semaines une lettre au Premier Ministre Tony Blair. Ils y soulignent la contradiction qu'il y a, pour la Grande-Bretagne, à refuser de co-financer un élargissement qu'elle a pourtant tellement soutenu. Nous espérons que le Royaume-Uni acceptera de modifier sa position pendant le Conseil européen. Mais il faut reconnaître que ses dernières propositions sont un mauvais signal.

Le Ministre a ensuite abordé la question du statut de candidat à l'adhésion qui pourrait être accordé à l'ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM). Il a déclaré être conscient du grand espoir et du formidable encouragement que représente pour les Balkans occidentaux la perspective de faire partie un jour de l'Union européenne. C'est l'engagement que l'Union européenne a pris à Zagreb, sous présidence française, en 2000. Pour la France, il est plus que jamais nécessaire de confirmer que l'avenir de ces pays réside dans l'Union européenne, car c'est un élément indispensable pour leur stabilisation. Parmi ces pays, l'ancienne République Yougoslave de Macédoine est certainement l'un des plus avancés sur la voie du rapprochement vers l'Union européenne. Elle a signé avec l'Union européenne un accord d'association depuis 2001, dont la mise en œuvre se déroule de manière très satisfaisante. Récemment, elle a accompli des progrès significatifs, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre de l'accord-cadre d'Ohrid. L'Union a de nombreux motifs de satisfaction à l'égard de ce pays et il convient que le Conseil européen salue chaleureusement ces progrès.

Mais il importe aussi de noter que l'octroi du statut de candidat ne signifie pas l'ouverture formelle des négociations d'adhésion qui interviendra plus tard. Il est clair, en effet, que l'Union européenne ne dispose pas encore des solutions qui lui permettront de répondre aux défis que posent les nouveaux élargissements, en particulier sur le plan institutionnel et financier.

Il n'est donc pas illogique de vouloir se donner le temps de la réflexion, dans l'intérêt même du bon déroulement de ce processus et de son acceptation par nos opinions publiques, et donc in fine dans l'intérêt même de ces pays qui veulent rejoindre une Europe forte. Un rendez vous est prévu en 2006, sous présidence autrichienne, pour faire le point sur l'avenir de l'Union européenne. Il faut saisir cette occasion pour poser clairement le débat sur la problématique de l'élargissement et de l'approfondissement. Nos concitoyens attendent qu'on leur dise où va l'Europe et ce qu'elle veut être aujourd'hui.

Concernant l'ARYM, le débat qui s'est tenu à Bruxelles le 12 décembre dernier n'a pas abouti et la Présidence britannique a prévu que le Coreper essaie de trouver un accord entre tous les membres avant que les chefs d'Etat et de gouvernement évoquent cette question au Conseil européen de Bruxelles. La France, pour sa part, veillera à ce que la décision sur un éventuel statut de candidat pour la Macédoine s'inscrive clairement dans le cadre d'un processus maîtrisé et conditionné.

Le Ministre a souhaité évoquer ensuite la question du futur statut du Kosovo où il s'est rendu très récemment.

Les négociations sur le Kosovo ont véritablement commencé à la fin du mois de novembre dernier, avec la première tournée dans la région de M. Martti Ahtisaari, l'envoyé spécial du Secrétaire Général de l'ONU. Ce premier tour d'horizon a été sans surprise ; il a mis en évidence l'opposition profonde qui existe entre Belgrade et Pristina. Les autorités serbes se disent prêtes à un compromis sur la base d'une formule « plus que l'autonomie, moins que l'indépendance ». Mais les dirigeants kosovars albanais, qui sont soutenus par 90 % de la population, n'envisagent aucune autre option que l'indépendance. Si les positions des deux parties sont, en effet, très opposées, le Ministre a toutefois constaté, lors de son déplacement dans les Balkans, une plus grande disposition à la négociation.

Les dirigeants serbes, au premier rang desquels M. Vojislav Kostunica, Premier ministre, et M. Boris Tadic, Président de la République, ont confirmé au Ministre qu'ils n'accepteraient aucune perte de souveraineté serbe sur le Kosovo. Ils se fondent pour cela, essentiellement, sur une argumentation juridique, ainsi que sur des considérations de politique intérieure en agitant la menace d'un retour au pouvoir des ultranationalistes en Serbie en cas de « perte » du Kosovo. Ces éléments doivent être pris en considération, le Ministre ayant néanmoins appelé ses interlocuteurs à adopter une attitude plus constructive et réaliste, seul moyen de trouver une issue favorable au processus qui s'engage. Une attitude constructive signifie que la France est prête à soutenir Belgrade dans la défense de la minorité serbe au Kosovo, dans la mesure où celle-ci doit pouvoir bénéficier de droits étendus, par un mécanisme de décentralisation poussée. Le réalisme s'impose aussi car la pression en faveur d'une certaine forme d'indépendance, encadrée par la communauté internationale, apparaît particulièrement forte. L'immense majorité de la population kosovare, qui est à 90 % albanaise, la revendique, et Belgrade a, de fait, perdu tout contrôle sur la province depuis la guerre de 1999.

Il importe principalement à ce stade de canaliser la négociation selon les « principes directeurs » qui ont été élaborés par le Groupe de contact et endossés par l'envoyé spécial de l'ONU. Ces principes permettront d'encadrer les discussions, en excluant certaines options comme la partition, le statu quo préalable à 1999 et le rattachement à un Etat tiers - ce qui écarte toute idée de « Grande Albanie ». Ils mettront aussi en évidence la nécessité d'une forte décentralisation, d'une protection renforcée du patrimoine orthodoxe et du maintien d'une présence internationale, et cela, quel que soit le statut futur du Kosovo. C'est ce langage que le Ministre a également tenu aux Kosovars albanais à Pristina. Il a insisté, en particulier, sur les devoirs qui sont les leurs en matière de protection des minorités. Il ne saurait y avoir de démarche indépendantiste crédible, si cette condition n'est pas mise en oeuvre. Il en va de la stabilité de la région tout entière. A Belgrade, la visite du Ministre est intervenue au lendemain de l'arrestation du général croate Ante Gotovina. Le Ministre l'a très clairement indiqué à toutes les autorités, de la Serbie comme de l'Etat commun de Serbie-Monténégro : la France sera d'une extrême vigilance concernant la coopération avec le Tribunal pénal international de La Haye. Les derniers fugitifs, en particulier, Ratko Mladic et Radovan Karadzic, doivent être livrés. C'est là une exigence absolue. Le rapprochement européen de la Serbie est à ce prix. Au-delà, c'est également une obligation morale. Aujourd'hui, jour pour jour, il y a dix ans, étaient signés les accords de paix de Dayton-Paris qui ont mis fin à la guerre de Bosnie. Il est intolérable que, dix ans après, ces deux personnes n'aient toujours pas été traduites en justice.

Le Ministre a également tenu à évoquer l'action de la communauté internationale au Liban et l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, au lendemain de l'odieux assassinat de Gebrane Tuéni. La France a immédiatement condamné ce crime qui suscite l'horreur et l'indignation. Le Ministre a indiqué que sa première pensée allait à la famille de la victime, à sa veuve, à son père, à ses enfants. Il a souhaité rendre hommage à la mémoire de Gebrane Tueni, homme éclairé, homme de conviction, défenseur de la liberté d'expression et responsable politique. Face à cette nouvelle épreuve pour le Liban, il faut souligner l'engagement résolu de la France aux côtés des autorités libanaises pour que toute la lumière soit faite. Le gouvernement libanais a décidé de saisir le Conseil de sécurité d'une double requête tendant à élargir le mandat de la Commission Mehlis pour que celle-ci enquête sur tous les assassinats et tentatives d'assassinats perpétrés au Liban depuis la disparition de Rafic Hariri et aussi à mettre en place un tribunal international pour juger les responsables de ces attentats. Ces demandes vont être examinées dans les prochains jours à New York. Dans cette démarche soutenue par la France, il s'agit bien d'en appeler à la justice.

S'agissant du second rapport d'étape de la commission d'enquête internationale, qui rend compte des auditions et des investigations menées par l'équipe d'enquêteurs internationaux, le Ministre a indiqué que ce document ne tirait, à ce stade, aucune conclusion définitive mais qu'il faisait état de plusieurs pistes possibles dans la recherche des suspects et confirmait le caractère extrêmement sérieux de l'enquête en cours. A cet égard, le Ministre a tenu à nouveau à saluer le travail effectué par M. Detlev Mehlis et son équipe, au moment où le juge allemand va laisser la place à un successeur. Il a fait preuve tout au long de son enquête d'une très grande rigueur, de beaucoup de professionnalisme et de courage. Le Conseil de Sécurité doit maintenant débattre de ce rapport et devra, en particulier, tirer toutes les conclusions des éléments rapportés par la Commission d'enquête, et décider de la prorogation du mandat de la Commission à Beyrouth pour une durée de six mois, éventuellement renouvelable, conformément au souhait du gouvernement libanais. Il a déclaré que la France soutenait une telle prorogation.

Comme cela a déjà été souligné, sur ce dossier, il n'existe pas d'agenda caché de la part de la France. Le seul but de notre pays est de parvenir à faire toute la lumière sur l'assassinat de Rafic Hariri. La Gouvernement français ne souhaite en aucun cas une utilisation politique de la résolution 1636, mais attend des autorités de Damas une coopération pleine et entière avec la communauté internationale. Dans le cadre de cette enquête l'impunité serait porteuse de risques politiques bien plus grands que la mise au jour de la vérité.

Le Ministre a conclu en évoquant le 23e sommet Afrique-France qui s'est tenu à Bamako début décembre et la situation en Côte d'Ivoire. L'Afrique est un continent plus que jamais au centre des priorités de la diplomatie française, parce qu'il est au cœur des grands enjeux du XXIe siècle, qu'il s'agisse de la paix, de la sécurité, du développement, mais aussi du commerce international, de la santé ou du terrorisme. Ce 23e sommet s'est inscrit dans un agenda international largement consacré cette année au continent africain : sommet du G8 en juin 2005, sommet du Millénaire à New York en septembre, réunion de l'OMC en cours à Hong Kong.

Le thème retenu pour ce sommet Afrique-France était celui de la jeunesse africaine. Il s'agissait de rappeler que les deux tiers de la population du continent africain ont aujourd'hui moins de 25 ans. Cette écrasante majorité démographique constitue un enjeu social, économique, et politique, majeur. C'est un potentiel considérable, mais à condition de lui fournir des perspectives. Faute de quoi, rien n'arrêtera cette dynamique démographique qui se transformera en menace, pour les Etats africains, comme pour la France et pour l'Europe. A cet enjeu majeur, il faut apporter une réponse globale et concertée avec nos partenaires européens, comme avec nos partenaires du Sud, qu'ils soient pays d'origine ou pays de transit, et souvent les deux à la fois. Une réponse globale, cela signifie trois choses : d'abord, le refus de l'immigration illégale ; ensuite, l'amélioration de l'accueil des immigrants en situation régulière ; enfin, le renforcement du développement des pays d'origine pour diminuer l'incitation au départ de ces populations.

Par conséquent, il est indispensable d'améliorer nos réponses en matière de santé et d'emploi, qui représentent les premiers facteurs d'émigration. Par ailleurs, nous devons également travailler au retour des compétences et des capitaux africains dans leur pays d'origine : c'est toute la problématique du co-développement sur laquelle le Ministre entend conduire dans les mois qui viennent un effort déterminé.

Abordant enfin la situation en Côte d'Ivoire, le Ministre a observé que, trois ans après le début de la crise, on entrait maintenant dans une phase cruciale, celle de la préparation des élections dans un processus encadré par les Nations unies et l'Union Africaine. La réussite de cette démarche démontrerait la capacité d'un grand pays africain, entouré et appuyé par la communauté internationale, à sortir par le haut d'une crise profonde et ancienne. L'essentiel reste à accomplir : assurer le retour d'une administration d'Etat sur l'ensemble du territoire, organiser l'élection présidentielle d'ici au 31 octobre prochain, mettre en œuvre le processus de désarmement. La nomination de M. Charles Konan Banny comme Premier ministre est une étape essentielle, tout comme le retour à Abidjan de M. Alassane Ouattara, après trois années d'absence, même si c'est à l'occasion de circonstances particulièrement douloureuses. Il faut que le processus se poursuive avec patience et détermination.

Le Président Edouard Balladur a tout d'abord interrogé le Ministre des affaires étrangères sur les négociations du budget de l'Union européenne pour la période 2007-2013 : comment évolueraient-elles si le Royaume-Uni abandonnait sa proposition de diminuer les fonds de la politique régionale, qui se traduit par la baisse mécanique du chèque britannique ?

Faisant état du déplacement récent qu'il avait effectué en Roumanie, il a expliqué que les autorités qu'il y avait rencontrées s'étaient déclarées surprises de ce que la France n'avait pas encore entamé la procédure de ratification du traité d'adhésion ; elles ont ainsi soulevé un éventuel problème de calendrier, au motif que le rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre, par la Roumanie, des recommandations européennes, serait publié en mai 2006, ce qui ne laissait qu'un bref délai pour le processus de ratification, alors même que la Roumanie pourrait entrer dans l'Union européenne dès le 1er janvier 2007. Soulignant la nécessité pour la France de ne pas se voir imputer quelque retard que ce soit dans l'adhésion de la Roumanie, le Président Edouard Balladur a donc demandé au Ministre à quel moment le Gouvernement avait prévu d'engager la procédure de ratification des traités d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne. Il a ajouté qu'une mission de l'Assemblée nationale composée de cinq députés, dont, pour la Commission des Affaires étrangères, Mme Geneviève Colot, M. Pierre Goldberg et M. Hervé de Charette, se rendrait en Roumanie au début du mois de janvier 2006.

Se référant aux propos du Ministre relatifs à l'isolement de la France au sein du Conseil européen sur ses positions concernant l'élargissement de l'Union européenne à certains pays des Balkans, il s'est demandé si, plutôt que de se limiter à cette approche géographique, la France ne devrait pas plutôt se référer au principe selon lequel aucun élargissement de l'Union ne pourrait avoir lieu sans une réforme préalable des institutions européennes.

Le Président Edouard Balladur a enfin demandé au Ministre si, concernant la Côte d'Ivoire, la mise en cause de militaires français de haut grade dans une affaire d'homicide pesait sur les discussions entre le Gouvernement français et son homologue ivoirien et, concernant l'Irak, si la position de la France concernant le retrait des troupes étrangères de ce pays avait changé, à l'instar de ce que suggéraient certains articles de presse faisant état de réticences françaises à voir les Etats-Unis quitter rapidement ce pays.

Concernant la négociation des perspectives financières, M. Philippe Douste-Blazy a stigmatisé le caractère toujours plus inacceptable du rabais consenti au Royaume-Uni, qui représentait une dépense pesant à 60 % sur trois Etats membres (France, Espagne, Italie).

Concernant les adhésions prévues de la Roumanie et de la Bulgarie, il a estimé que, pour acquises qu'elles soient, elles ne justifiaient pas pour autant que soit ignoré l'avis de la Commission sur les progrès réalisés par ces pays en vue de leur adhésion : il a d'ailleurs rappelé la demande qu'avait faite la Commission des affaires étrangères de se voir informée régulièrement de l'avis de la Commission sur les négociations d'adhésion avec la Turquie.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que le fait de saisir le Conseil d'Etat du projet de loi d'adhésion, ne conduisait nullement à ignorer les conclusions de la Commission. S'agissant de la comparaison avec la Turquie, il a rappelé qu'un traité d'adhésion avait été conclu avec la Roumanie et la Bulgarie, ce qui n'était pas le cas avec la Turquie.

Le Ministre des Affaires étrangères s'est dit soucieux d'éviter de donner le sentiment que l'octroi du statut de candidat ouvrait automatiquement droit à l'ouverture de négociations d'adhésion. Il a ajouté que les services de son ministère travaillaient actuellement à la rédaction du projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie et que le processus - saisine des autres ministères avec délai de réponse de deux mois, saisine du Conseil d'État, adoption en Conseil des Ministres, dépôt du projet de loi à l'Assemblée nationale - poursuivrait son cours, sans toutefois que cette dernière étape ne précédât la publication du rapport de la Commission précité.

S'agissant du débat sur l'élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, notamment à la Macédoine, M. Philippe Douste-Blazy a rappelé que la question était, non pas celle du bien-fondé de la demande de la Macédoine, mais portait sur l'opportunité pour l'Union d'envisager de nouveaux élargissements. A cet égard, lors du Conseil Affaires générales, les représentants des 24 autres Etats membres ont convenu que l'approfondissement de l'Union était nécessaire avant tout nouvel élargissement.

En réponse aux questions du Président Edouard Balladur sur la Côte d'Ivoire et l'Irak, il a indiqué que :

- la mise en cause de militaires français dans une affaire judiciaire n'avait pas conduit à des prises de position du gouvernement ivoirien, qui avait fait le choix de la discrétion à ce sujet ;

- la France n'avait pas modifié sa position sur le retrait des troupes étrangères du territoire irakien ; elle continuait de plaider pour ce retrait mais il devait avoir lieu avec l'accord des députés irakiens nouvellement élus le 15 décembre ; la définition d'un calendrier en la matière permettrait de donner de nouvelles perspectives au peuple irakien qui, par l'intermédiaire de ses représentants prochainement élus, devait donner son avis à la mi-2006 sur la prorogation du mandat des forces internationales tel que prévu par la résolution 1637 du Conseil de sécurité..

M. Jacques Myard a indiqué qu'il avait été particulièrement sensible aux propos du Ministre sur la priorité donnée à l'Afrique par la diplomatie française. S'agissant du budget européen, il a suggéré que l'on prenne les Britanniques au mot en consacrant le budget communautaire uniquement au financement des dépenses administratives de l'Union et de la politique agricole commune. Dès lors, les fonds structurels devraient être versés dans un cadre bilatéral défini par le biais de protocoles financiers : un tel mécanisme donnerait une plus grande visibilité à notre action et serait plus efficace. Il permettrait en outre de mettre un terme à la dérive budgétaire européenne, alors que les besoins de financement d'une Europe à trente membres sont inquiétants et qu'ils constituent un facteur de préoccupation pour les Français. S'agissant du Kosovo, c'est une affaire dramatique pour l'Europe et ceux qui, comme les Etats-Unis, jouent la carte de l'indépendance de cette province prennent le risque de remettre en cause le principe de l'intangibilité des frontières, ce qui peut se traduire par une déstabilisation de grande ampleur. La France doit se battre face aux anglo-saxons pour ne pas laisser le Kosovo accéder à la pleine souveraineté, ce qui constituerait un dangereux précédent.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu que le Gouvernement français défendait avec la Commission européenne l'idée selon laquelle l'ensemble des régions européennes, qu'elles se trouvent dans les nouveaux ou les anciens Etats membres, puisse bénéficier des fonds structurels. 16 % du montant total de ces fonds doit d'ailleurs être attribué au titre de la nouvelle politique de compétitivité de l'Union. Un milliard ira en conséquence aux régions métropolitaines françaises, tandis que les fonds versés aux départements d'outre-mer seront préservés après 2006. La politique de soutien à l'égard des nouveaux pays membres constitue un facteur de convergence économique et sociale de nature à lutter contre les délocalisations sauvages et le dumping social. Il permet en outre de financer des infrastructures dont la réalisation bénéficie à notre économie, la France étant l'un des tous premiers investisseurs dans plusieurs des nouveaux Etats membres. Aider ces pays, c'est nous aider nous-mêmes et il aurait très certainement fallu faire davantage passer ce message lors de la campagne référendaire.

Le Kosovo pose un problème grave. Il est vrai que l'ex-Yougoslavie a d'ores et déjà éclaté entre plusieurs nouveaux Etats. Il est essentiel qu'un processus politique fondé sur le dialogue entre les parties se mette en place, car faute d'un accord tous les ingrédients d'un redémarrage du conflit sont présents.

Le Président Edouard Balladur a déclaré qu'il était toujours resté sceptique face à la construction quelque peu artificielle de la Bosnie-Herzégovine, qui regroupe trois communautés distinctes au sein d'une association de deux Etats, car une telle architecture ne lui semblait pas viable dans la durée. Il a demandé au Ministre quelles étaient les solutions envisageables pour l'avenir.

Le Ministre des Affaires étrangères a déclaré qu'il allait s'entretenir sur ce point avec son homologue de Bosnie-Herzégovine. Il convient d'être particulièrement vigilant sur ce qui se passe dans cette région de l'Europe, où se pose la question de la possibilité pour plusieurs religions de coexister. Il faut retrouver la Sarajevo cosmopolite, multiethnique et tolérante d'autrefois. Il ne faut pas en revanche accepter la montée en puissance du communautarisme, car il remet en cause les valeurs fondamentales auxquelles la France est tout particulièrement attachée.

M. Richard Cazenave a estimé que la désignation d'un nouveau Premier ministre en Côte d'Ivoire constituait une occasion de faire aboutir le processus politique et de parvenir à la tenue d'élections organisées sous la supervision de l'ONU et de l'Union africaine. Il est en revanche incertain que le désarmement qui doit se dérouler parallèlement puisse être mené à bien, ce processus ayant jusqu'à maintenant échoué. Cela est-il de nature à remettre en cause la tenue des élections selon le nouveau calendrier retenu ?

Le Ministre des Affaires étrangères a rappelé que les élections ivoiriennes devraient avoir lieu au plus tard le 31 octobre prochain et qu'il ne faudrait pas manquer cette échéance. Le Conseil de sécurité de l'ONU va bâtir un calendrier très précis et tout le processus politique doit désormais être tourné vers la tenue d'élections transparentes. Il convient que le désarmement soit mené à bien d'ici là, mais, en tout état de cause, cela ne doit pas conduire à un nouveau report des opérations électorales.

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● Kosovo

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