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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 18 janvier 2006

(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Son Exc. M. Fathallah Sijilmassi, Ambassadeur du Royaume du Maroc en France

- Informations relatives à la Commission

  

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Audition de Son Exc. M. Fathallah Sijilmassi, Ambassadeur du Royaume du Maroc

M. Roland Blum, Vice-Président, a accueilli l'ambassadeur du Royaume du Maroc en France en rappelant l'amitié profonde qui unissait les deux pays, saluant à cet égard l'action de M. Jean Roatta, président du groupe d'amitié France-Maroc.

M. Fathallah Sijilmassi, ambassadeur du Royaume du Maroc, a déclaré que c'était un grand honneur pour lui de pouvoir intervenir devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Cette invitation reflète l'amitié singulière qui unit la France et le Maroc. Cette amitié s'exprime aussi par le fait que près du tiers des députés composant la Commission des Affaires étrangères sont également membres du groupe d'amitié avec le Maroc. La rencontre de ce jour est sans doute plus que justifiée alors que le Maroc célèbre cette année le cinquantième anniversaire de son indépendance. Un demi-siècle s'est écoulé durant lequel le Maroc a fait le choix de s'engager, sous l'impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans de profonds changements qui touchent l'ensemble de la vie de la nation. Le Royaume est ainsi devenu un vaste chantier de réformes qui se caractérise par une triple évolution : politique, économique et sociale.

Concernant l'évolution politique, plusieurs réalisations sont à mettre aujourd'hui à l'actif du Maroc. Il s'agit notamment de l'élargissement de l'espace des libertés publiques, la réforme du code électoral, du code du travail, du code de la presse, de la restructuration du champ religieux ou encore la réforme de la moudawana ou code de la famille instaurant un acquis de premier ordre en matière de droits de l'homme. L'expérience marocaine constitue une référence intéressante. Il convient de rappeler à ce sujet que la France vient de suivre l'exemple du Maroc en faisant passer l'âge légal du mariage de quinze à dix-huit ans.

Véritable modèle dans le monde arabe, la mise en place de l'Instance Equité et Réconciliation (IER) constitue un acquis supplémentaire en matière de droits de l'homme et de modernisation de la société marocaine. Créée en janvier 2004 à un moment décisif de l'histoire récente du Maroc, l'IER a présenté à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 16 décembre 2005, son rapport final qui contient les résultats et les conclusions de vingt-trois mois d'enquête sur le terrain et d'investigations visant à établir les faits des violations des droits de l'homme commises entre 1956 et 1999, réparer les préjudices, préserver la mémoire nationale et réaliser une réconciliation sociétale. C'est ainsi que l'Instance Equité et Réconciliation, qui constitue une expérience inédite et un événement historique exceptionnel, préconise, dans son rapport final, une série de propositions et de recommandations adoptées par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI qui, lors d'une cérémonie officielle organisée le 6 janvier 2006 en présence des familles des victimes, a personnellement appelé à se prémunir contre de pareils écarts afin de consolider le processus de réformes dans lequel le Maroc s'est résolument inscrit.

Véritable radioscopie du Maroc d'aujourd'hui, un second rapport général sur le développement humain a présenté sans complaisance les différentes réalités de la situation socio-économique du Maroc.

Plus qu'une rétrospective d'une période révolue, ces deux rapports, rendus publics dernièrement, portent un regard sur l'évolution du Maroc dans les domaines politique et économique depuis l'indépendance, mettent en évidence les problèmes et les handicaps auxquels se heurte le pays, dans le but de les soumettre au débat public, avec la participation des différentes forces politiques et de la société civile et jettent les jalons du développement futur du Royaume dans la perspective d'établir une « feuille de route » du Maroc à l'horizon 2025.

En dépit des défis encore nombreux et des poches de résistance qui ne manquent pas, l'ambassadeur a tenu à souligner que toutes ces initiatives ont résolument inscrit le Royaume du Maroc dans le mouvement vers l'enracinement de la démocratie, l'approfondissement des réformes, l'élargissement des libertés et la modernisation de la société.

S'agissant de l'évolution économique, les indicateurs économiques et financiers du Maroc témoignent des résultats encourageants résultant des réformes structurelles importantes intervenues depuis ces dernières années grâce à une politique financière rigoureuse et une politique économique volontariste, dans le cadre d'une option résolument libérale et ouverte aux investisseurs étrangers. Le Maroc change, chaque jour davantage, et s'attelle au renforcement de ses infrastructures, à travers son ambitieux programme routier et autoroutier, son réseau aéroportuaire et ferroviaire en développement, ses nouveaux ports en construction, en particulier Tanger Méditerranée, ses nouvelles connexions électriques et ses réseaux de communication, à s'arrimer toujours plus étroitement à l'Europe élargie, notamment à ses voisins méditerranéens, et en particulier à la France. A titre d'illustration, il y actuellement une centaine de vols réguliers entre le Maroc et la France.

Tout en consolidant ses institutions démocratiques et en développant la toile de ses infrastructures, le Royaume est déterminé à résorber ses déficits sociaux, notamment en matière de santé, d'éducation et de logement. A cet égard, l'Initiative Nationale pour le Développement Humain, lancée par Sa Majesté le Roi en mai 2005, se veut un engagement national de longue haleine, une grande et vaste entreprise dont l'objectif ultime est d'éradiquer à court et moyen terme les poches de pauvreté et d'exclusion.

L'ambassadeur a insisté sur le fait que le Maroc était en mouvement et que, dans ce mouvement, le partenariat avec la France occupait une place primordiale. Les liens entre le Maroc et la France sont si étroits qu'il n'est pas aisé de les qualifier. Certains parlent de partenariat d'exception, d'autres qualifient ces relations de privilégiées ou encore d'exemplaires. Les qualificatifs ne manquent pas, c'est dire l'importance des relations qui unissent les deux pays. Au Maroc, la France est première et ce dans tous les domaines, premier partenaire commercial avec 30 % des échanges extérieurs nationaux et 50 % des échanges avec l'Union européenne, le premier investisseur dans le Royaume, le premier pourvoyeur de touristes et le premier partenaire culturel. De plus, actuellement, sur les 3 millions de Marocains qui résident dans le monde, près d'un million vivent en France et plus de 30 000 Français sont aujourd'hui installés au Maroc. Par ailleurs, l'existence d'une importante communauté franco-marocaine dont il faut souligner le dynamisme et la vitalité constitue un atout incontestable dans les relations entre nos deux pays.

Parallèlement à ses relations avec la France, le Royaume accorde un intérêt ancien et prioritaire au développement de ses liens avec l'Europe voisine ainsi qu'au renforcement du partenariat euro-méditerranéen engagé depuis prés de dix ans à Barcelone. Les relations entre le Maroc et l'Union européenne ont, dans ce cadre, vocation à se renforcer encore davantage. La nouvelle politique de voisinage, que le Maroc a accueilli favorablement dans son principe, s'inscrit parfaitement dans la volonté du Royaume d'ériger en statut avancé sa relation avec l'Union européenne à condition toutefois que cette politique commence à être définie avec plus de précision dans ses objectifs stratégiques. Le processus de Barcelone, qui réunit aujourd'hui trente cinq pays, constitue un cadre régional unique, original et cohérent qu'il faut préserver mais qu'il convient néanmoins de consolider et de redynamiser au sein d'une région porteuse de potentialités importantes et d'intérêts croisés en vue de l'adapter au nouveau contexte international et régional.

Le Maroc et la France, vieux pays méditerranéens s'il en est, sont plus que jamais attachés à la paix, à la sécurité et à la stabilité dans cette partie du monde.

Au Maghreb, le Maroc continue d'en appeler à une relance effective et crédible de l'Union du Maghreb Arabe, à même de répondre aux véritables et multiples défis qui se posent à notre région. Le Maroc demeure, à cet égard, sincèrement et pleinement disponible, s'agissant de la question du Sahara occidental, à négocier avec l'ensemble des parties, dans le but d'aboutir, dans le cadre des Nations unies, à une solution politique, définitive et acceptable par tous qui respecte le principe intangible, pour les Marocains, de l'intégrité territoriale du Royaume du Maroc.

En Afrique enfin, l'attachement de la France et du Maroc au continent, suppose que nos deux pays demeurent solidaires du devenir des populations africaines, attentives à la précarité de leur situation, partageant, dans un même esprit de solidarité et de fraternité, leurs espérances. C'est là sans doute un domaine dans lequel la France et le Maroc se doivent de déployer une action commune plus vigoureuse. Le dernier sommet Afrique France qui a eu lieu à Bamako au début de décembre 2005 a identifié, à cet égard, des pistes intéressantes à explorer.

Par ailleurs, concernant la question de l'immigration, l'ambassadeur a estimé qu'il était aujourd'hui important, voir nécessaire, d'aborder ce sujet sans aucune forme de tabous tout en prenant en considération les différentes et multiples dimensions du problème : la lutte contre l'immigration clandestine et ses corollaires sécuritaires, le traitement des questions liées aux immigrés légalement installés dans les pays d'accueils ainsi que la problématique de fond des questions liées au développement socio-économique qui sont à l'origine des flux migratoires.

Entre le Maroc et la France il existe déjà une très bonne coopération en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Cette coopération prend aujourd'hui la forme d'un partenariat trilatéral de plus en plus efficace avec l'Espagne. A ce titre, une conférence euro-africaine sur la migration et le développement est prévue au Maroc en juin 2006 et le Maroc espère que d'autres pays de la région et en particulier l'Algérie, important pays de transit, pourront s'inscrire dans cette dynamique de coopération.

D'une manière plus globale, sur les grandes questions internationales comme la lutte contre le terrorisme, le processus de paix au Moyen-Orient, la diversité culturelle, la francophonie etc., on peut affirmer que le Maroc et la France ont toujours eu une tradition de dialogue politique régulière, et ce, au plus haut niveau avec, il est vrai, une certaine convergence de vues se traduisant parfois même par une action commune.

En conclusion, l'ambassadeur a tenu à saluer et à rendre un hommage particulier à M. le député Jean Roatta pour le travail effectué depuis toutes ces années au sein du groupe d'amitié France-Maroc. Il a souligné son entière disponibilité et son implication dans la préparation d'une visite de députés au cours de cette année au Maroc, visite qui témoigne une fois de plus de l'exceptionnelle qualité, de la richesse et de la densité des relations qui unissent nos deux pays. Il a enfin remercié l'ensemble des membres de la Commission des Affaires étrangères de lui avoir permis d'instaurer cet échange de vue franc et, a-t-il espéré, régulier avec les parlementaires français.

Evoquant une mission qu'il avait effectuée en 2003 en Algérie concernant l'avenir du processus Euro-Méditerranée, M. Roland Blum a interrogé l'ambassadeur du Maroc sur la question du Sahara occidental. Expliquant qu'il avait été frappé à cette occasion par le ton agressif de ses interlocuteurs algériens, il a souhaité connaître le point de vue du Maroc sur ce sujet.

M. Fathallah Sijilmassi a expliqué que la question du Sahara occidental représentait non seulement le sujet le plus important pour la politique extérieure du Maroc mais que ce sujet, vital pour le Maroc, revêtait en outre une très forte dimension intérieure : il s'agit d'une question sur laquelle le peuple marocain dans son ensemble est mobilisé, ce qui implique d'ailleurs une gestion intérieure d'éventuelles évolutions politiques.

M. Fathallah Sijilmassi a indiqué que, depuis son avènement, le roi du Maroc avait accepté le principe d'une solution politique négociée qui prendrait la forme d'une autonomie octroyée aux populations du Sahara occidental, dans le respect de l'intégrité territoriale du Maroc. Il abordait ce sujet dans un esprit de compromis, désireux de trouver une solution politique à un conflit qui n'avait que trop duré entre deux pays qui ont d'autres priorités à traiter, à commencer par les défis socio-économiques auxquels ils sont confrontés et qui doivent inscrire leurs relations bilatérales dans une nouvelle phase, en se plaçant qui plus est dans une perspective d'intégration régionale. Le Maroc a donc fait connaître sa disponibilité à trouver une solution juste, définitive et acceptable par tous au problème du Sahara occidental, de façon à faire entrer le dialogue régional dans un cercle vertueux.

L'Ambassadeur du Maroc a fait valoir que, malheureusement, le Maroc s'était heurté au refus de l'Algérie d'entrer dans ce dialogue : il n'existe pas, en Algérie, de disponibilité politique pour entamer un dialogue direct, après l'échec des deux plans proposés respectivement en juin 2001 et juillet 2003 par l'envoyé spécial mandaté par l'ONU. L'Algérie persiste en effet à se prétendre « partie non concernée », alors même que le Front Polisario a son siège sur le territoire algérien, ce qui en fait, par définition, une partie concernée.

Se référant aux propos de M. Roland Blum sur l'intransigeance des autorités algériennes, M. Fathallah Sijilmassi a répété que le Maroc avait, au contraire, constamment fait part de sa disponibilité, ainsi que l'avait montré le fait que, lors du dernier sommet de la Ligue arabe, le Roi Mohammed VI s'était entretenu à trois reprises avec le Président algérien. Le Maroc croit à la possibilité d'un dialogue sérieux avec l'Algérie, qu'il est temps de mettre en œuvre, au regard des très nombreux autres sujets qu'ils doivent traiter ensemble.

M. Jean Roatta a rappelé qu'en sa qualité de Président du groupe d'amitié France-Maroc, il avait de nombreuses occasions de constater que les relations économiques entre la France et le Maroc étaient denses - 60 collectivités territoriales et 44 chambres de commerce travaillent avec le Maroc. Il a toutefois regretté que les différents acteurs impliqués ne mettent pas leurs forces en commun, au contraire de ce qui se passe pour les Espagnols, dont les relations économiques avec le Maroc s'accélèrent. Certes, plus d'un million de touristes français se sont rendus au Maroc en 2005, contre 400 000 Espagnols et 300 000 Italiens, la dimension culturelle des relations franco-marocaines reste très forte mais, en matière économique, la coopération doit être améliorée. M. Jean Roatta a donc émis le vœu que de nombreux députés se rendent au Maroc en 2006, afin de constater l'importance de ce sujet. Il a ensuite interrogé l'Ambassadeur du Maroc sur les nouvelles règles régissant les partis politiques introduites dans le droit marocain à l'automne 2005 et lui a demandé quelles étaient les perspectives de recomposition du paysage politique marocain.

L'Ambassadeur du Royaume du Maroc a rappelé que la dimension économique de la relation franco-marocaine était fondamentale : citant un seul chiffre, il a répété que 30 % des échanges extérieurs du Maroc s'effectuaient vers la France, contre 12 à 14 % vers l'Espagne ou 4 % vers les Etats-Unis. Il a estimé que deux lectures pouvaient être faites de ces chiffres : la France bénéficie d'une très confortable avance ; il existe par ailleurs une dynamique d'ouverture à l'œuvre au Maroc, conséquence de l'entrée du Maroc dans l'Organisation mondiale du Commerce, de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc et des nombreux accords de libre-échange conclus notamment avec les Etats-Unis ou la Turquie. Par conséquent, il est certain que l'acquis très important de la France doit être, dans ce monde très compétitif, consolidé et renforcé. M. Fathallah Sijilmassi a rappelé à cet égard que les prochains mois verraient le MEDEF et plusieurs centaines d'entreprises françaises se rendre au Maroc ; il a mentionné en outre qu'il était pour sa part à l'initiative de l'opération « Maroc-Hexagone », qui le conduirait en 2006 à sillonner la France pour promouvoir le Maroc, notamment auprès des petites et moyennes entreprises françaises.

S'agissant de la recomposition du paysage politique au Maroc, M. Fathallah Sijilmassi a répondu que, dans un pays démocratique, il était par définition impossible de répondre à une telle question. Il a rappelé que le seul constat qui pouvait être fait à cet égard concernait l'éparpillement manifeste des partis politiques au Maroc, qui les affaiblissait globalement. Les nouvelles règles relatives au financement des partis politiques, aux règles de représentativité au Parlement ou à la constitution de groupes politiques parlementaires - pour beaucoup inspirées de l'exemple français - visent donc à favoriser l'émergence d'un paysage politique propice à la constitution de coalitions dans la perspective des élections législatives de 2007.

M. Jacques Myard a abordé la question majeure des conséquences économiques et politiques résultant de la croissance démographique du Maroc. En effet, le Maroc est, avec l'Algérie, le pays du Maghreb ayant le plus fort taux de croissance démographique annuel, environ 2,4 % ; cette vitalité démographique constitue-t-elle un problème pour le gouvernement marocain ? M. Jacques Myard a également souhaité savoir comment le gouvernement jugeait et entendait lutter contre une certaine dérive extrémiste de l'Islam au Maroc, tout en soulignant qu'elle n'était pas partagée par la majorité des Marocains.

S'agissant de la croissance démographique, M. Fathallah Sijilmassi a indiqué que le Maroc se trouvait aujourd'hui au commencement d'un cycle de limitation forte des taux de fécondité et de natalité du fait notamment d'effets naturels comme l'émancipation de la femme, de l'arrivée à un âge plus avancé au mariage, tous phénomènes de société qui donnent d'ores et déjà de premiers résultats s'agissant de la projection sur les dix à trente ans à venir.

Par ailleurs, le Maroc subit les conséquences de la très forte croissance démographique des trente dernières années avec l'arrivée sur le marché du travail et dans la vie active des générations du baby boom marocain des années soixante-dix et quatre-vingt. Et ceci pose problème à plus d'un titre. Tout d'abord une certaine pression s'exerce actuellement sur le marché du travail, mais ensuite la faiblesse actuelle de la croissance démographique ne sera pas sans poser des problèmes de sécurité sociale et de gestion des retraites pour les trente prochaines années. C'est pourquoi le Maroc observe avec beaucoup d'intérêt ce qui se passe en France et en Europe sur ces questions afin notamment de ne pas commettre les mêmes erreurs si erreurs il y avait.

La société marocaine se trouve donc dans une situation de transition car il lui faut à la fois gérer les conséquences d'un premier cycle de forte croissance démographique mais également anticiper les conséquences d'un deuxième cycle à venir de limitation de la croissance. A titre d'exemple, l'Ambassadeur a indiqué que la population était passée de 10 millions d'habitants en 1955 à 30 millions en 2004, auxquels il faut ajouter les 3 millions de Marocains qui résident à l'étranger. Par ailleurs, l'augmentation annuelle de la population totale était de 2,58 % en 1960 contre 1,38 % aujourd'hui, alors que la population rurale croît de 0,59 % par an et la population urbaine de 2,07 %. Tel est le défi auquel est confronté le Maroc.

Concernant la dérive islamique, M. Fathallah Sijilmassi a indiqué que M. Jacques Myard avait eu raison de souligner le fait que la présence islamiste, voire extrémiste, était très loin d'être majoritaire au Maroc. Il est clair qu'il y a un courant islamiste incarné par un parti politique, le PJD - Parti Justice et Développement - qui détient 42 sièges à la Chambre des Représentants. Ce parti, qui était le troisième parti en termes de résultats aux élections de 2002, devrait, selon certaines analyses, améliorer encore son score lors des prochaines législatives de 2007.

La première réponse apportée par le Maroc est de nature démocratique. Contrairement à certains autres pays confrontés au même problème, le Maroc ne croit pas à l'option consistant à interdire et à bannir. Le monde est entré dans un nouveau siècle et ces pratiques ne sont plus d'aujourd'hui. Par ailleurs il n'est pas évident qu'elles soient efficaces.

En outre, le Maroc a choisi la voie des résultats sur le terrain en améliorant la santé, l'éducation, en luttant contre la pauvreté, en instaurant un meilleur aménagement du territoire afin de répondre aux besoins de la population. Par définition, cette politique « coupera l'herbe sous le pied » aux discours populistes et démagogiques.

Enfin, sur le plan sécuritaire, le Maroc prend ses responsabilités à la fois en termes de vigilance sécuritaire et de justice afin de garantir la paix et la stabilité du pays. Il ne faut pas oublier que le Maroc a lui-même été victime du terrorisme en mai 2003 lorsqu'un attentat a coûté la vie à 45 personnes.

M. Paul Quilès a déclaré qu'il mesurait les progrès exceptionnels accomplis par le Maroc dans la période récente. Il a souhaité obtenir des informations sur le processus d'équité et de réconciliation : l'instance chargée de ce processus a établi un constat des exactions commises, devant déboucher sur une compensation accordée aux victimes ; mais ne manque-t-il pas un volet permettant de poursuivre les responsables de ces exactions, dont certaines sont très graves ?

L'Ambassadeur du Maroc a déclaré que la voie choisie par le Maroc avait été de constituer une Commission composée essentiellement d'anciens prisonniers politiques, dont le Président, M. Driss Benzekri, avait passé dix-sept années en prison. L'objet du processus est de donner aux victimes des exactions passées la possibilité de s'exprimer ; les auditions effectuées par la commission sont publiques et certaines d'entre elles sont même télévisées. Le processus se fonde sur un état des lieux des exactions commises, consistant en une identification des victimes et une évaluation des dommages qu'elles ont subis ; la responsabilité de l'Etat marocain en la matière ayant été reconnue, les dommages subis doivent donner lieu à une indemnisation. Ce processus n'empêche nullement les victimes d'intenter des actions en justice, afin de poursuivre les personnes jugées coupables. Le travail de l'Instance Equité Réconciliation s'inscrit dans un cadre différent de celui d'autres pays tels que l'Afrique du Sud : là où le processus sud-africain était marqué par la rupture avec le système politique précédent, le processus marocain s'inscrit pour sa part dans le cadre d'une certaine continuité institutionnelle. Son objectif d'établir la vérité sur le passé, afin de permettre à la société marocaine de tourner la page et de regarder vers l'avenir.

M. Richard Cazenave a fait état de la situation des camps de réfugiés sahraouis de Tindouf qui sont administrés par le Front Polisario. Il s'est ému de l'absence de liberté d'aller et venir dans ces camps, de la situation précaire des enfants qui s'y trouvent, notamment en termes d'éducation. Il a également souhaité savoir s'il y avait toujours des prisonniers de guerre marocains détenus dans la région de Tindouf en rappelant que cette situation constituait une violation des conventions de Genève.

L'Ambassadeur du Maroc a fait observer qu'il n'y avait pas de chiffres fiables permettant d'évaluer la population des camps de Tindouf : les différents recensements opérés dans les camps de réfugiés aboutissent à des résultats variant entre 165 000 et 90 000 personnes, l'hypothèse la plus basse ayant été dernièrement retenue par le HCR. L'inflation des chiffres a permis de majorer l'aide humanitaire octroyée par les organisations multilatérales, alors même qu'une fraction importante de cette aide a fait l'objet de détournements. La population de ces camps a vocation à revenir sur le territoire du Sahara occidental dans le cadre d'une solution politique qui reconnaisse à ce territoire une autonomie permettant la cohabitation des différentes populations. Il est extrêmement difficile pour les observateurs étrangers de se rendre dans ces camps, car il faut au préalable obtenir le feu vert des autorités algériennes ; sur place, il est par ailleurs impossible d'effectuer des visites libres, dans le but de se faire une idée de la situation régnant dans ces camps. Ce manque de transparence et l'absence de libertés publiques dans ces camps sont tout à fait regrettables. Certains des prisonniers de guerre marocains ont été détenus dans la région de Tindouf pendant trente ans. Récemment, les 404 derniers prisonniers de guerre marocains détenus ont été libérés ; certains d'entre eux ont de graves problèmes de santé : il n'est pas admissible que ces prisonniers aient été libérés au compte-gouttes pour peser sur le règlement politique de la situation du Sahara occidental et il aurait fallu déconnecter les aspects humanitaires et les aspects politiques de ce dossier.

M. Loïc Bouvard a souhaité savoir quelle était la position de la Mauritanie à l'égard du Sahara occidental ; il s'est également interrogé sur le sens des revendications de l'Algérie sur ce territoire.

L'Ambassadeur du Maroc a indiqué que les relations entre le Maroc et la Mauritanie étaient excellentes et qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'une évidente continuité territoriale entre les deux Etats. Il importe de préserver cette stabilité. S'agissant de la position de l'Algérie, elle s'explique par l'état des relations entre les deux Etats ; ceux-ci doivent entrer dans une nouvelle ère de leurs relations et rompre avec une approche court-termiste marquée par le statu quo pour aller vers une plus grande intégration régionale et un développement économique plus fort ; un tel changement est toutefois conditionné par une évolution des mentalités.

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Informations relatives à la Commission

Mme Geneviève Colot a été nommée rapporteure sur les projets de loi suivants :

· projet de loi n° 2755 autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les successions et les donations.

· projet de loi n° 2756 autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

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· Maroc


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