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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 25 janvier 2006
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

  

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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

Après avoir remercié le Ministre des Affaires étrangères pour sa présence devant la Commission des Affaires étrangères, le Président Edouard Balladur a souhaité que soient notamment abordées, à l'occasion de cette audition, d'une part, la question de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne et, d'autre part, celle de l'Iran et de son programme nucléaire.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a tout d'abord observé que cette audition intervenait quelques jours à peine après le décès du Président Ibrahim Rugova, grand dirigeant politique et homme de paix qui aura durablement œuvré pour la réconciliation au Kosovo. Sa disparition, alors que se sont engagés les pourparlers sur la question du statut final, n'en est que plus tragique. Aussi, le Ministre a-t-il souhaité commencer cette audition en faisant le point sur les négociations en cours pour bâtir l'avenir du Kosovo. Il a indiqué qu'il aborderait ensuite le dossier nucléaire iranien, dossier qu'il a eu l'occasion d'évoquer en particulier avec son homologue russe M. Sergueï Lavrov, lors de son déplacement récent à Moscou.

Il a indiqué qu'il évoquerait dans un troisième temps la situation en Côte d'Ivoire, après la réunion du Groupe de travail international qui s'est tenue à Abidjan le 15 janvier 2006, puis la situation au Proche-Orient, une région qui reste marquée par une grande incertitude.

Les négociations sur le futur statut du Kosovo ont véritablement commencé fin novembre 2005, avec la première tournée dans la région de M. Martti Ahtisaari, l'ancien président finlandais, envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU. Ce premier tour d'horizon a été sans surprise ; comme le Ministre a pu le constater lui-même en se rendant sur place en décembre, l'opposition profonde qui existe entre Belgrade et Pristina rend très délicate la recherche négociée d'une solution de compromis.

Les autorités serbes en restent à la formule : « plus que l'autonomie, moins que l'indépendance ». Mais les dirigeants kosovars albanais, qui sont soutenus par 90 % de la population, n'envisagent aucune autre option que l'indépendance. La mort du Président Rugova ajoute aujourd'hui une incertitude supplémentaire quant au déroulement de ce processus. Elle retarde d'abord le début d'un cycle de discussions directes prévu à Vienne sur la décentralisation - un sujet central par rapport à la protection de la minorité serbe au Kosovo. Ensuite, cette disparition fait peser un risque de fragmentation du camp albanais où personne n'est de taille à assumer seul l'héritage d'Ibrahim Rugova. On peut néanmoins espérer une forme d'unité nationale qui permettra, au moins pendant quelques semaines, voire quelques mois, de maintenir un consensus entre les différentes mouvances politiques kosovares.

La France insiste actuellement auprès des Kosovars albanais pour qu'ils s'engagent sans ambiguïté à prendre des mesures concrètes, afin d'assurer à la minorité serbe des droits et une sécurité l'autorisant à vivre dignement au Kosovo. Il ne saurait y avoir de démarche indépendantiste crédible si cette condition n'est pas mise en œuvre, Il en va de la stabilité de la région tout entière. On note d'ailleurs, de ce point de vue, quelques progrès dans les dispositions affichées par la partie kosovare.

Les dirigeants serbes, au premier rang desquels le Premier Ministre, M. Vojislav Kostunica, et le Président de la République, M. Boris Tadic, insistent pour leur part sur leur refus de la perte de souveraineté serbe sur le Kosovo Ils se fondent, pour cela, essentiellement sur une argumentation juridique, ainsi que sur des considérations de politique intérieure en agitant la menace d'un retour au pouvoir des ultra-nationalistes en Serbie, en cas de perte du Kosovo.

Ces éléments doivent être pris en considération, mais le Président Jacques Chirac, en recevant le Président serbe en décembre 2005, et le Ministre des Affaires étrangères lors de sa visite à Belgrade, ont appelé les Serbes à adopter une attitude plus constructive et réaliste : c'est à ce prix que l'on trouvera une issue favorable au processus qui s'engage.

Les Serbes doivent adopter une attitude constructive : cela signifie que la France est prête à soutenir Belgrade dans la défense de la minorité serbe au Kosovo, dans la mesure où celle-ci doit pouvoir bénéficier de droits étendus par un mécanisme de décentralisation poussée. La Serbie doit aussi adopter une position réaliste, car l'option d'une certaine forme d'indépendance, encadrée par la communauté internationale, semble émerger de façon inéluctable dans toutes les capitales. L'immense majorité de la population kosovare, qui est à 90 % albanaise, la revendique, et Belgrade a, de fait, perdu déjà tout contrôle sur la province depuis la guerre de 1999.

L'important à ce stade, au moment où s'engage le processus politique, est de canaliser la négociation selon les « principes directeurs » qui ont été élaborés par le Groupe de contact et endossés par l'envoyé spécial de l'ONU. Ces principes permettront de baliser efficacement l'exercice, en excluant certaines options comme la partition, le statu quo préalable à 1999 et le rattachement à un Etat tiers - ce qui exclut toute « Grande Albanie ». Ils mettront aussi en évidence la nécessité d'une forte décentralisation, d'une protection renforcée du patrimoine orthodoxe et du maintien d'une présence internationale, et cela, quel que soit le statut futur du Kosovo.

Le deuxième sujet qu'il convient d'aborder est le dossier nucléaire iranien, en particulier dans la perspective de la réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) qui se tiendra les 2 et 3 février 2006. C'est en 2002 que la communauté internationale a pris connaissance du programme nucléaire clandestin, que l'Iran avait omis de déclarer à l'Agence. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont alors décidé d'engager une négociation diplomatique, avec le soutien de la communauté internationale. Cette démarche a connu un certain succès puisque cette négociation a abouti en novembre 2004 à l'accord de Paris, par lequel les Iraniens acceptaient de suspendre toutes leurs activités nucléaires sensibles. Puis, de manière unilatérale, les Iraniens ont décidé de reprendre ces activités nucléaires : d'abord en août 2005 avec les activités de conversion à Ispahan, ensuite, au début de janvier 2006, avec les activités d'enrichissement à Natanz. Le 12 janvier 2006, lors de la rencontre qui réunissait à Berlin les ministres des Affaires étrangères allemand, britannique et français, ainsi que M. Javier Solana, il a été pris acte de ces décisions qui refermaient la parenthèse ouverte en 2003 et il a été demandé que le Conseil des gouverneurs de l'AIEA se réunisse en session extraordinaire et charge le directeur de l'Agence, M. Mohamed El Baradei, de faire un rapport au Conseil de sécurité.

Le Conseil des gouverneurs extraordinaire se réunira donc le 2 février 2006 et la France est résolue, à côtés de ses partenaires, à défendre fermement ses positions, car une absence de réaction face à cette décision de l'Iran ne saurait être envisagée. Un message clair est désormais nécessaire. L'objectif de la France est de donner aux demandes de l'AIEA l'autorité politique du Conseil de sécurité, ni plus, ni moins. Il n'est pas de rechercher la confrontation, l'AIEA n'étant d'ailleurs pas dessaisie. Enfin, le processus au Conseil de sécurité est réversible : il suffirait que l'Iran rétablisse la suspension intégrale de ses activités sensibles pour que l'on puisse reprendre le cours des discussions.

Dans cet effort pour dénouer le dossier iranien, il existe un facteur essentiel : c'est l'unité de la communauté internationale. Les directeurs politiques des trois ministères des Affaires étrangères européens ont rencontré mi-janvier 2006, à Londres, leurs homologues américain, russe et chinois ; ils se rendront très prochainement dans plusieurs pays clés pour préparer la réunion du Conseil des gouverneurs. Cette question a également été évoquée par le Ministre avec M. Sergueï Lavrov lors de sa visite à Moscou la semaine dernière. Les Russes sont favorables à une déclaration très ferme du Conseil des gouverneurs du 2 février 2006 et à une information du Conseil de sécurité - information qui ne prendrait pas d'ailleurs nécessairement la forme d'un rapport. La phase suivante commencerait ensuite avec le Conseil des gouverneurs ordinaire, prévu au début du mois de mars. Il y aurait donc une démarche progressive, visant à faire pression sur les autorités iraniennes de manière graduelle. Pour l'heure, la concertation se poursuit avec l'ensemble des partenaires de la France. Le plus important, à ce stade du dossier, est en effet de parvenir à une position à la fois ferme et unie de la communauté internationale.

Abordant ensuite la situation en Côte d'Ivoire, à la suite de la dernière réunion du Groupe de travail international (GTI) qui s'est tenue à Abidjan le 15 janvier 2006, le Ministre a indiqué que deux points essentiels avaient été précisés à l'occasion de cette troisième réunion. Le mandat de l'Assemblée nationale, qui a formellement expiré le 16 décembre 2005, n'a pas été prolongé. Mais des missions ponctuelles pourront être confiées aux députés sortants par le Premier ministre ivoirien. La commission électorale indépendante devrait devenir opérationnelle le plus rapidement possible afin de pouvoir lancer le processus électoral. Ces décisions ont fourni le prétexte à quatre jours de manifestations violentes orchestrées par le camp présidentiel au cours desquelles les Nations unies ont été prises comme cible prioritaire. Les soldats de I'ONUCI, sous la pression, ont évacué leur poste de commandement à Guiglo dans l'Ouest, laissant ouvert le risque de nouveaux affrontements dans cette zone fragile. Afin de ramener l'ordre, le Président de l'Union africaine, M. Olusegun Obasanjo, s'est rendu à Abidjan pour clarifier la situation. Depuis, le calme y est revenu, en tout cas pour le moment.

Ces « troubles orchestrés » ont mis en évidence la difficulté actuelle pour le Premier ministre de la Côte d'Ivoire d'asseoir durablement son autorité sur les forces de défense et de sécurité et sur la Radio Télévision Ivoirienne. C'est pourquoi la communauté internationale entend aujourd'hui continuer de manifester son soutien au Premier Ministre, M. Konan Banny. C'est là le rôle du Groupe de travail international, garant et arbitre de la mise en œuvre du processus de paix. La prochaine étape, essentielle, doit être celle de la mise en route effective de la commission électorale indépendante, indispensable au démarrage concret de l'organisation des élections prévues d'ici octobre 2006, afin de permettre à la population ivoirienne de s'exprimer librement. C'est tout l'enjeu du processus engagé depuis trois ans et l'objectif prioritaire de la communauté internationale.

Dans ce cadre, celle-ci est fermement décidée à accompagner le processus jusqu'à son terme. A New York, le Conseil de sécurité a adopté une déclaration présidentielle de soutien au Groupe de travail international qui condamne les responsables de violence comme, d'une manière générale, tous ceux qui font obstacle au processus. Par ailleurs, le processus d'imposition de sanctions est engagé : le Comité des sanctions s'est réuni le 23 janvier 2006 et poursuit ses travaux pour trouver un accord sur la mise en œuvre de premières sanctions contre plusieurs Ivoiriens responsables des récentes violences. L'appui des Africains dans cette démarche sera déterminant. Enfin, au Sommet de Khartoum, l'Union africaine a adopté une résolution qui va dans le même sens.

Pour terminer, le Ministre a souhaité évoquer la situation au Proche-Orient, une région aujourd'hui en pleine incertitude, marquée par la disparition de M. Ariel Sharon de la scène politique et les échéances électorales en Israël et dans les Territoires palestiniens, où l'on vote ce mercredi 25 janvier. Le retrait de la vie politique de M. Ariel Sharon est intervenu alors qu'il dominait la campagne électorale et apparaissait aux yeux de ses concitoyens comme le seul capable de garantir leur sécurité, de tracer aussi une perspective de sortie de conflit, sur le modèle du désengagement de Gaza. Pour l'instant, les intentions de vote aux législatives du 25 mars 2006 indiquent une avance significative du parti Kadima, dirigé désormais par le Premier ministre par intérim, M. Ehoud Olmert. Cela tendrait à prouver que ce parti, par son discours centriste et sa préférence pour l'unilatéralisme, répond à une attente de l'électorat israélien. La France devra en tenir compte dans l'élaboration de la stratégie qu'elle adoptera dans les prochaines semaines pour tenter de relancer le processus politique.

Elle devra veiller à être entendue par les autorités israéliennes, tout en plaidant avec force pour une solution négociée basée sur le droit international et une feuille de route actualisée, faute de quoi il n'y aura d'avancées que celles consenties par la partie la plus forte, c'est-à-dire Israël. Car dans le même temps, l'Autorité palestinienne est affaiblie. Sans préjuger des résultats du scrutin législatif qui se déroule ce jour, ils devraient vraisemblablement faire apparaître une nouvelle poussée du Hamas qui, dans les enquêtes d'intention de vote, fait pratiquement jeu égal avec le Fatah. Pour l'heure, il convient de se réjouir de la vigueur de la démocratie palestinienne, dans une région où les exemples d'élections pluralistes ne sont pas légion.

L'Union européenne doit également jouer un rôle important, comme elle a commencé de le faire à Gaza, en permettant à l'entité palestinienne de se développer économiquement, condition essentielle pour l'amélioration des relations avec Israël.

Notons enfin que la participation du Hamas est en soi une avancée positive, dans la mesure où elle marque une certaine reconnaissance de l'esprit d'Oslo et, il faut le souhaiter, une évolution stratégique du Hamas. Aujourd'hui, M. Mahmoud Abbas a pour projet d'amener toutes les composantes de la société palestinienne à privilégier la voie politique plutôt que la violence terroriste. Les prochains mois viendront confirmer ou non cet espoir. La France est, pour sa part, résolue : elle continuera de soutenir l'Autorité palestinienne dans la mise en œuvre de son processus de réformes et favorisera, avec l'Union européenne, à la fois le développement économique, notamment à Gaza, et la poursuite de la mise en place d'un Etat de droit, en dotant l'Autorité palestinienne d'une justice et d'une police efficaces et à l'autorité reconnue.

Le Ministre des Affaires étrangères ayant, semble-t-il, considéré qu'on ne saurait envisager d'autres solutions que celle de l'indépendance du Kosovo, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir si, dans cette perspective, il fallait s'attendre au sein des Balkans à une demande d'adhésion du Kosovo à l'Union européenne.

S'agissant de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, prévue pour le 1er janvier 2007, il a plaidé pour que le Gouvernement français engage dès à présent, sans attendre la publication du rapport de la Commission européenne le 17 mai prochain, les procédures administratives préalables au dépôt du projet de loi autorisant la ratification, ce qui permettrait de respecter le calendrier juridique et la date du 1er janvier 2007. En effet, près d'une dizaine de pays ont d'ores et déjà accompli les procédures de ratification. En outre, il est à redouter que la France perde de son crédit auprès de ce pays francophone et francophile, d'autant que le prochain sommet de la francophonie se tiendra à Bucarest en septembre 2006.

Le Président Edouard Balladur a ensuite interrogé le Ministre des Affaires étrangères sur les positions respectives de la France et de l'Allemagne concernant la réforme des institutions européennes.

Enfin, rappelant que la conduite de la France dans l'affaire du Rwanda n'avait pas été épargnée par la polémique, il a souhaité obtenir des information sur la situation de l'armée française au cas où les choses s'envenimeraient en Côte d'Ivoire. Ne faudrait-il pas saisir la communauté internationale et l'appeler à prendre toutes ses responsabilités ?

Le Ministre des Affaires étrangères a apporté les éléments de réponse suivants :

-  la France souhaite respecter le processus politique en cours au Kosovo et sa position ne doit pas préjuger du résultat de la négociation ; il est clair que la Serbie ne pourra retrouver sa souveraineté sur le Kosovo dans les mêmes conditions qu'avant 1999 ; le Kosovo comporte aujourd'hui une population à 90 % albanaise et il faut tenir compte de cette réalité démographique ; certains Etats comme la Grande Bretagne ou l'Italie se sont publiquement prononcés en faveur d'une indépendance conditionnelle du Kosovo ; celle-ci pourrait être subordonnée à une garantie effective des droits des minorités serbes et de leur patrimoine religieux, permise par le maintien de la présence internationale ; elle devrait aboutir à une organisation décentralisée du Kosovo sans partition avec la Serbie, ni rattachement avec l'Albanie ;

-  la phase administrative du processus de ratification du traité d'adhésion de la Roumanie a été lancée ; les différents ministères sont entrés dans la phase de consultation et une décision interministérielle devrait être rendue début mars ; le Conseil d'Etat sera ensuite saisi et le projet de loi autorisant la ratification du traité sera présenté en Conseil des ministres en mai, ouvrant ainsi la phase politique d'examen de l'adhésion après l'avis rendu par la Commission européenne ; il est normal d'attendre que la Commission européenne se soit prononcée sur la date d'adhésion de la Roumanie, d'autant que des problèmes demeurent dans les domaines de la sécurité alimentaire, de la justice et des affaires intérieures ; il n'est pas logique de dire que l'adhésion de certains pays doit être subordonnée à l'avis de la Commission et d'affirmer qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte pour d'autres ;

-  l'état des relations franco-allemandes ne correspond pas aux comptes rendus qu'en font les médias ; les deux pays sont parvenus à des accords importants sur les politiques à conduire au niveau européen dans le domaine de la recherche, de l'énergie, de la zone euro, de la défense ou de la politique étrangère ; il existe également un accord sur la nécessité pour l'Union européenne de réfléchir à ce que doit représenter pour les membres de l'Union la capacité d'absorber de nouveaux pays avant toute nouvelle adhésion ; il est vrai que le Parlement allemand a accepté la ratification du traité constitutionnel et que les électeurs français l'ont refusée, cela ne doit pas empêcher les deux pays d'examiner les moyens de mieux faire fonctionner l'Union sur la base des traités existants ;

-  en Côte d'Ivoire l'action de la communauté internationale vise à permettre la tenue des élections au plus tard en octobre prochain ; à cette fin le processus de désarmement des milices se poursuit et le retour de l'administration dans l'ensemble du pays doit être effectif ; la France participe à ce processus en apportant son soutien au Premier ministre ivoirien et par l'action de la force Licorne ; le Conseil de sécurité est, pour sa part, saisi de la question d'éventuelles sanctions contre le régime ivoirien et il doit se décider sur ce point à brève échéance ; il est essentiel qu'il y ait une unité de vues entre l'Union africaine et l'ONU sur ce dossier pour qu'il y ait des avancées concrètes en Côte d'Ivoire.

S'agissant de la crise iranienne, M. Axel Poniatowski a souhaité obtenir des éclaircissements sur le lien entre la saisine du Conseil de sécurité et le rôle de l'AIEA : fallait-il notamment considérer que l'AIEA se trouvait dessaisie de ce fait ? Puis il a demandé quelle serait la position de la France si certains membres du Conseil demandaient des sanctions contre l'Iran.

Il a ensuite souhaité savoir quels étaient la nature et le rôle exacts de la mission de l'Union européenne présente dans les territoires palestiniens à l'occasion des élections législatives ; notamment, aurait-elle des contacts politiques, y compris avec le Hamas ? Enfin, il a évoqué le problème des conditions d'accès des citoyens français aux Etats-Unis : seule parmi les vingt-sept pays dont les ressortissants sont exemptés de visas pour entrer sur le territoire américain, la France ne dispose toujours pas de la capacité d'établir des passeports biométriques du fait du recours des syndicats de l'Imprimerie nationale désireux de se voir reconnaître un monopole en la matière. Qualifiant cette situation de « grotesque », il a souhaité savoir quelles étaient les perspectives de déblocage, de façon à répondre aux demandes de nos concitoyens, soumis à des procédures longues, et qui ne manquaient pas de solliciter le Président du groupe d'amitié France-Etats-Unis qu'il était sur le sujet.

M. Jean-Jacques Guillet a interrogé le Ministre des affaires étrangères sur l'évolution possible du régime syrien, notamment à la suite des déclarations de l'ancien vice-président Abdel Halim Khaddam, qui résidait en France, personnalité que la Syrie accusait d'être manipulée par la France.

Evoquant ensuite la rupture du gazoduc entre la Géorgie et la Russie et les hypothèses que l'on pouvait avancer pour l'expliquer -action délibérée de la Russie, accident ou attentat -, il s'est demandé s'il fallait y voir une tentative de reprise en main par la Russie de son Hinterland traditionnel.

Enfin, il a souhaité avoir des éléments d'information sur la politique française en Amérique du Sud, alors que le Président de la République avait reçu le Président du Venezuela, ainsi que son homologue nouvellement élu à la tête de la Bolivie, à l'investiture duquel la France était d'ailleurs représentée, à travers la Ministre déléguée à la coopération.

Revenant sur la question de l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, M. Jacques Myard a estimé que, nonobstant le rapport administratif de la Commission, la décision d'accueillir la Roumanie dans l'Union européenne était in fine de nature exclusivement politique et qu'à cet égard, il en allait du crédit de la France en Roumanie, alors que ce pays flirtait de plus en plus avec les Etats-Unis. Il a donc exprimé son plein accord avec la position exprimée par le Président Edouard Balladur et a lui aussi plaidé en faveur d'une attitude beaucoup plus allante de la France sur ce dossier.

Se référant ensuite aux propos du Ministre des affaires étrangères sur le Kosovo, il s'est dit pris de vertiges : s'il pouvait pleinement souscrire à une approche en termes de realpolitik, il ne pouvait cependant qu'exprimer les plus fortes réserves concernant le précédent d'irrédentisme - ô combien dangereux - que la communauté internationale allait créer en cas de reconnaissance de l'indépendance du Kosovo. Il a estimé que, dans ce cas de figure, les Serbes n'auraient de cesse de récupérer une terre qu'ils jugent être la leur, qu'existerait un risque réel d'Anschluss tel que l'Europe en avait connu dans le passé et que, loin d'être la solution, l'indépendance du Kosovo portait en germe des conflits futurs.

Concernant l'Iran, il a estimé qu'il s'agissait d'un problème difficile, démultiplié par le rôle actuel de ce pays en Irak : c'était aujourd'hui l'Iran qui avait la haute main sur l'évolution de l'Irak. Il a jugé qu'il n'existait par conséquent pas de possibilité de coercition internationale sur l'Iran.

Abordant la question adjacente des Etats disposant de l'arme nucléaire sans avoir signé le traité de non-prolifération (TNP), et mentionnant Israël et le Pakistan, il a jugé qu'il était désormais temps de définir un statut pour ces Etats, sous peine de voir le TNP s'effondrer et afin d'éviter de voir ces pays faire cavaliers seuls.

M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des affaires étrangères, a apporté les éléments de réponse suivants :

-- il existe un consensus général pour considérer que, sur le dossier iranien, l'intervention du Conseil de sécurité des Nations unies et l'action de l'AIEA seront complémentaires, la seconde agissant comme sous-traitante du premier dans le plein exercice de ses attributions ; la question des sanctions est prématurée puisque l'heure est à la mise en œuvre d'une stratégie de réponse graduelle, qui maintienne l'unité de la communauté internationale : de fait, une résolution trop ferme, qui n'aurait pas de majorité ou susciterait des divisions au sein de la communauté internationale, romprait l'isolement de l'Iran, qui est précisément inacceptable pour Téhéran ; à ce jour, les Russes, notamment, sont sur une ligne ferme, c'est-à-dire la désapprobation de la reprise des activités d'enrichissement par l'Iran, la demande d'un maintien de la présence de l'AIEA en Iran et la transmission, pour information, du rapport du secrétaire général de l'AIEA au Conseil de sécurité ; ce qui pourrait être considéré comme une certaine lenteur est lié à la nécessité de maintenir le consensus de la communauté internationale sur cette question ;

-- la mission de l'Union européenne dans les territoires palestiniens est une mission de surveillance électorale ; s'agissant du Hamas, crédité de 30 à 40 % des voix, il devient un élément essentiel de la scène politique palestinienne, du fait de son enracinement de longue date dans la société palestinienne et de l'affaiblissement du Fatah ; cela résulte de la décision stratégique qu'il a prise en 2005 de privilégier l'action politique par rapport à la violence ; alors que le Hamas a, pour l'essentiel, respecté la trêve, l'objectif du Président Mahmoud Abbas est de pérenniser cette trêve et d'utiliser l'aiguillon que représente le Hamas pour éviter la mainmise du Fatah sur l'autorité palestinienne ; c'est pourquoi même les autorités israéliennes envisageraient l'hypothèse d'une discussion avec le Hamas, 50 % des Israéliens souhaitant la reconnaissance réciproque d'Israël et du Hamas selon un sondage récent ; dans ce contexte, l'Union européenne va, elle aussi, devoir décider, d'une part, si elle ouvre une discussion politique avec le Hamas, d'autre part, si elle poursuit ou non sa coopération avec l'Autorité palestinienne dans l'hypothèse où le Hamas serait représenté dans le gouvernement palestinien ; trois solutions s'offrent à elle : l'ostracisme complet, qui aurait de graves conséquences humanitaires et politiques, l'Union européenne abdiquant dès lors tout rôle politique dans la région ; le refus de contacts politiques avec le Hamas mais le maintien de l'assistance à l'Autorité palestinienne, ce qui signifierait le retour à la situation d'il y a trois ou quatre ans, lorsque l'Union européenne était confinée dans un rôle d'assistance financière, sans possibilité de pression politique ; la définition de conditions à l'engagement du dialogue politique avec le Hamas, qui devraient être, dans l'immédiat, la reconnaissance d'Israël, la validation des accords d'Oslo et le renoncement à la violence armée ;

-- la question des passeports biométriques relève de la compétence du ministère de l'Intérieur, avec lequel le ministère des Affaires étrangères entretient au demeurant une coopération excellente ;

-- les déclarations du vice-président Abdel Halim Khaddam n'engagent que lui ; pour le reste, la France n'a aucun agenda caché sur le dossier des relations entre la Syrie et le Liban, son objectif restant de connaître la vérité sur l'assassinat de M. Rafic Hariri ;

-- en Amérique latine, la France souhaite avoir, avec les dirigeants des nouveaux gouvernements élus, des relations conformes aux principes de sa diplomatie : dialogue, respect du droit et respect de l'indépendance des pays concernés ; elle est également désireuse d'accroître ses relations économiques avec ces pays et cherche à y améliorer la sécurité des investissements français pour développer une présence encore trop discrète si on la compare à celle de l'Espagne ;

-- la question de l'énergie représente un passage obligé du dialogue avec la Russie, d'autant plus qu'elle a été érigée en priorité par le G8 que préside la Russie ; la question des négociations gazières entre la Russie et l'Ukraine a figuré au nombre des thèmes abordés par le Ministre des affaires étrangères lors de sa récente visite à Moscou : la France y a fait savoir par sa voix qu'elle souhaitait que l'interruption des livraisons de gaz russe à l'Ukraine et ses répercussions sur l'Union européenne, ne se reproduise pas et qu'il en allait de la crédibilité du fournisseur qu'était la Russie ; s'agissant des relations entre la Géorgie et la Russie, marquée en 2005 par la conclusion de l'accord sur le stationnement des troupes russes, elles étaient également marquées par des tensions en matière gazière ; sur ce dossier, la France a également fait connaître ses préoccupations en matière de sécurité de ses approvisionnements énergétiques.

-- il est évident que la Roumanie doit entrer dans l'Union européenne. La France a toujours plaidé pour cela, mais c'est aussi son devoir d'ami que de dire à ce pays de faire un dernier effort en vue d'obtenir un bon rapport de la Commission européenne. Dans l'immédiat, les services du ministère des Affaires étrangères travaillent à la rédaction du projet de loi autorisant la ratification et la phase administrative devrait être achevée d'ici trois mois environ ;

-- l'indépendance du Kosovo devra s'inscrire dans un processus très encadré par la communauté internationale. En même temps, il faut faire comprendre aux Serbes qu'il importe désormais de privilégier une solution négociée afin d'éviter tout esprit de revanche de leur part. Il faut être conscient que le statu quo est dangereux. ;

-- s'il faut sans doute moderniser le TNP pour tenir compte de la nouvelle situation, il ne faut pas perdre de vue que le but premier de ce traité est de favoriser l'énergie nucléaire civile et de renoncer à l'usage militaire. Dans le cas de l'Iran, c'est un problème de confiance qui se pose avec, en corollaire, les capacités de contrôle par l'AIEA.

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