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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 21 juin 2006
(Séance de 9 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur,

Président de la Commission des Affaires étrangères

et de M. Jean-Michel Dubernard,

Président de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales

SOMMAIRE

 

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- Table ronde, ouverte à la presse, avec la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la coopération en matière sanitaire

  

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Table ronde, ouverte à la presse, avec la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la coopération en matière sanitaire

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères : M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et moi-même avons souhaité organiser cette table ronde ouverte à la presse et au public, avec les principaux acteurs qui participent à la définition et à la mise en œuvre de la politique de coopération internationale en matière sanitaire. M. le ministre des affaires étrangères, que je remercie, a bien voulu ouvrir nos travaux sur ce sujet qui lui est cher.

Je salue également la présence de nombreux représentants d'organisations non gouvernementales (ONG), d'entreprises et d'institutions impliquées au niveau international dans la coopération sanitaire.

L'état de santé des populations vivant dans les pays les plus pauvres de la planète s'est dégradé au cours des dernières années. L'Afrique reste le continent le plus meurtri par les fléaux du sida, du paludisme et de la tuberculose qui tuent chaque année six millions de personnes. Beaucoup de ces morts pourraient cependant être évitées, si chacun disposait d'un égal accès aux soins. Cette inégalité est de moins en moins tolérable et rend indispensable un effort supplémentaire dans le cadre de notre politique de coopération sanitaire, tant au niveau bilatéral entre la France et chacun des pays concernés, que multilatéral pour atteindre les « Objectifs du Millénaire pour le Développement » (OMD).

Des initiatives ont récemment été annoncées à l'instar du programme qui vise à faciliter l'accès des plus démunis aux médicaments et à renforcer les systèmes de santé publique des pays en développement, mais nous devons poursuivre la réflexion sur de nouvelles sources de financement.

La coopération sanitaire est indissociable de la politique d'aide au développement, car l'amélioration de la santé des individus, qui va de pair avec une politique d'éducation à la santé, est un préalable au progrès économique et social. Dans le domaine sanitaire, notre pays dispose d'un savoir faire mondialement reconnu qui fait peser sur nous une responsabilité particulière. Or, paradoxalement, la santé ne représente que 4 % de l'aide publique française au développement, contre 11 % pour les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

La mondialisation n'est pas seulement économique, elle est aussi sanitaire. En quelques années, les opinions publiques du monde entier ont découvert l'omniprésence du risque sanitaire, qu'il s'agisse du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de la grippe aviaire, ou de l'épidémie de chikungunya. Elles ont également été sensibles aux conséquences sanitaires de catastrophes naturelles comme les tsunami ou les cyclones. Les fonds recueillis pour venir en aide aux populations sinistrées ont atteint des montants considérables, mais sur le terrain la coopération sanitaire est confrontée à deux difficultés majeures : la diminution préoccupante du nombre de personnels chargés de mettre en œuvre les politiques de coopération sanitaire - nous devons relever un réel défi en matière de coopération et de gestion des ressources humaines - et les conditions souvent très difficiles dans lesquelles se déploie l'action sanitaire dans des régions du monde en proie à des conflits armés et à des guerres civiles.

Pour évoquer ces questions, le président Jean-Michel Dubernard et moi-même remercions les trois grands témoins qui ont accepté de venir nous faire part de leurs analyses et de leurs propositions : Mme Michèle Barzach, ancienne ministre de la santé et présidente de la fondation GlaxoSmithKline, M. Marc Gentilini, ancien président de la Croix-Rouge Française et rapporteur pour le Conseil économique et social d'un avis adopté à l'unanimité sur la coopération sanitaire française dans les pays en développement, et Mme Dominique Kerouedan, vice-présidente de l'Association des professionnels de santé en coopération (ASPROCOP).

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères : Le sujet qui nous intéresse ce matin est un enjeu de premier ordre, un enjeu moral, mais aussi politique et diplomatique.

Aujourd'hui, quarante millions de personnes sont touchées par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), dont vingt-cinq millions en Afrique. Cinq millions de nouvelles infections sont constatées chaque année, soit une toutes les six secondes. Sur six millions de personnes ayant besoin d'un traitement urgent - c'est-à-dire dans les trois mois -, seul un million y a accès. Un à trois millions de personnes meurent du paludisme chaque année. Quant à la tuberculose, ce sont neuf millions de nouveaux cas par an et deux millions de morts pour une maladie que l'on sait prévenir et qui se traite en six mois.

La « fracture sanitaire » entre le Nord et le Sud est un élément décisif pour la paix et la stabilité des Etats. Un pays qui n'a pas de politique de santé, de politique de prévention, ou d'accès aux médicaments est un pays fragilisé qui peut être sujet à toutes les déstabilisations, à tous les conflits. La santé est au cœur de l'aide au développement.

Le rapport que le professeur Gentilini a remis au Conseil économique et social, mais aussi celui du professeur Kourilsky, nous fournissent un état des lieux de la politique de coopération en la matière. Je crois comme eux qu'il convient de sanctuariser le domaine de la santé, d'accentuer les actions communes menées par les instituts qui travaillent en Afrique, et de livrer une véritable bataille pour l'accès aux soins et aux médicaments, en associant tous les acteurs, les ministères de tutelle mais aussi les acteurs privés.

Contrairement aux Etats-Unis, la France a choisi de privilégier le multilatéralisme, non par idéologie, mais par pragmatisme et réalisme. Certains le contestent, d'autres le récusent, mais revenir à une conception uniquement bilatérale de notre coopération sanitaire serait peu conforme à nos engagements internationaux et mal compris. C'est d'ailleurs vous, Monsieur Edouard Balladur, qui avez tracé le chemin, alors que vous étiez Premier ministre, avec M. Alain Juppé comme ministre des affaires étrangères, en privilégiant les relations multilatérales aux bilatérales, ce qui n'est pas sans poser problème, surtout lorsque la France est en relation directe avec un pays africain, par exemple. La France doit cependant conserver son rang dans le multilatéralisme ; toutefois, nous ne figurons pas parmi les premiers contributeurs car certains pays européens donnent beaucoup plus que nous.

Ce choix du multilatéralisme nous a permis d'être plus visibles au niveau international, sans abandonner pour autant nos actions bilatérales. La France occupe maintenant le deuxième rang pour le financement du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, avec une contribution de 225 millions d'euros en 2006 qui sera portée à 300 millions en 2007. Mme Michèle Barzach sait bien l'importance que nous accordons à un organisme qui a permis à 400 000 malades du sida de bénéficier des traitements antirétroviraux, dont 225 000 en Afrique. C'est un engagement financier sans précédent qui procède d'un choix stratégique en matière de gestion du risque sanitaire mondial.

La France sera prochainement le deuxième contributeur de l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI) à hauteur de 100 millions d'euros par an pendant vingt ans. Aux côtés du Brésil, du Chili, de la Norvège, du Royaume-Uni et, depuis une semaine, de la Corée du Sud, mais aussi de la Côte-d'Ivoire, de l'île Maurice, de Madagascar, etc., nous avons créé Unitaid. Je suis allé présider une réunion à Genève le 22 mai à laquelle participait une quarantaine de pays. Je me suis rendu avec M. Kofi Annan le 2 juin à New York, pour organiser cette « facilité internationale pour l'achat des médicaments » (FIAM) en direction des pays du Sud.

Financé grâce à la contribution de solidarité sur les billets d'avion, qui entre en vigueur le 1er juillet, l'Unitaid, nouveau mécanisme d'achat de médicaments à faible coût, travaillera en étroite coordination avec les organismes agissant déjà dans le domaine du médicament : Organisation mondiale pour la santé (OMS), Fonds des Nations-Unies pour l'enfance (UNICEF), Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

En France, ce financement innovant doit permettre de rassembler 200 millions d'euros. J'attends de la démarche citoyenne mondiale et de la campagne d'opinion qui est lancée une mobilisation des Etats autour de cette ambition.

L'influence des positions françaises dans les grandes organisations internationales est tangible. Parce que nous devons répondre aux fractures planétaires par des moyens massifs et aux pandémies par des compétences partagées, je veille à maintenir notre présence au sein des grandes instances multilatérales agissant dans le domaine de la santé. Aujourd'hui, nombre de nos assistants techniques sont placés auprès de ces grandes organisations agissant dans le domaine sanitaire : sept sont en poste auprès de l'OMS, dix-huit devraient les rejoindre au sein de plateformes régionales communes France-OMS. Il ne s'agit pas de diluer notre influence, mais de la renforcer au service des objectifs de santé que la communauté internationale s'est fixés pour les années à venir.

À cette fin, il est indispensable que les financements et l'assistance technique mis en œuvre par la France au service de ces organisations internationales soient disponibles et visibles sur le terrain, au service des populations malades. Pour faciliter les décaissements du Fonds mondial, quatre plateformes seront créées dès 2006, trois en Afrique - Ouagadougou, Libreville, Nairobi - et une en Asie - Bangkok ou Manille. Elles disposeront chacune de quatre assistants techniques français. Par ailleurs, la France vient d'intégrer le secrétariat de l'Alliance pour les ressources humaines en santé créé récemment par l'OMS. En effet, sans système de santé structuré sur le terrain, il n'y a pas d'action efficace et durable pour les grands fonds mondiaux ; sans personnels de santé formés, il n'y a pas de système de santé viable.

Enfin, nous devons accentuer la coordination et la mise en œuvre de nos actions afin de rendre visibles les interventions françaises. C'est dans cet esprit que j'ai lancé le 15 mai dernier l'Alliance pour le développement, entérinée par la réunion du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, qui s'est tenu à Matignon avant-hier sous la présidence du Premier ministre. Deux grandes entreprises françaises, Sanofi-Aventis et Veolia, ont accepté de construire ce partenariat public-privé. L'Institut Pasteur, acteur de la recherche mondialement reconnu, ainsi que l'Agence française de développement (AFD) font naturellement partie de cette Alliance.

Face à ces enjeux de santé publique, il s'agit aussi de mobiliser les autorités nationales des pays en développement, le système hospitalier français et les organisations internationales. À cet égard, je voudrais signaler l'importante activité menée dans le domaine de l'accès au traitement du VIH par le Groupement d'intérêt public « Ensemble pour la solidarité thérapeutique » (GIP ESTHER), présent dans plus de vingt pays.

En cohérence avec les axes majeurs de notre action, l'AFD a renforcé son effort avec 60 millions d'euros par an pour les activités bilatérales dans le domaine de la santé. Sur le terrain, l'AFD conduit l'assistance technique dans ce secteur avec l'appui de près de 80 assistants techniques. J'en profite pour signaler que notre apport en assistance technique est généralement très apprécié des pays bénéficiaires et des organisations internationales, et saluer la représentante de nos assistants techniques en matière de santé, Mme le docteur Dominique Kerouedan. À mes yeux, il n'y a donc aucune concurrence entre les missions du Département et celles de l'AFD, au contraire.

Nous partageons les mêmes préoccupations en matière de santé et de développement, la même volonté de renforcer la spécificité de l'action de la France. Face aux grandes pandémies, à une fracture sanitaire grandissante, entraînant des migrations continentales et un risque d'instrumentalisation du désespoir et de la misère, nous avons tous un devoir de solidarité internationale. C'est tout l'enjeu du projet Unitaid : par un financement de longue durée, il s'agit d'assurer à l'industrie pharmaceutique des débouchés à moyen et long terme, et donc de casser les prix. C'est ce qu'a entrepris depuis plusieurs années la Fondation Clinton, en obtenant des résultats significatifs.

Je suis certain que les Etats et les grandes organisations internationales ont pris la mesure de cet enjeu. Parce que la santé est une condition du développement, il est dans l'intérêt de tous les Etats d'en faire une « nouvelle frontière » de l'action diplomatique. On dit de la France qu'elle est le pays des droits de l'Homme, mais les enfants qui sont morts depuis le début de cette réunion ont-ils la même valeur pour nous que nos propres enfants ?

Mme Michèle Barzach, ancienne ministre de la santé, présidente de la fondation GlaxoSmithKline : Mon intervention portera sur la coopération française pour la lutte contre le sida, et je commencerai par compléter l'état des lieux fourni par M. le Ministre des affaires étrangères. Quatre femmes séropositives sur cinq vivent en Afrique et 2,8 millions de personnes meurent du sida chaque année, dont 600 000 enfants. Il y a 15 millions d'orphelins dans le monde. Les disparités régionales sont importantes : dans de nombreuses régions, les contaminations par le sida continuent d'augmenter. Les actions entreprises commencent juste à porter leurs fruits.

Depuis dix ans, la question du sida a été mise à l'ordre du jour politique et l'on a pris conscience que le sida n'était pas seulement une maladie mais aussi que ses conséquences socio-économiques rendaient indispensable la mobilisation des politiques.

Les assemblées internationales se sont mobilisées - ONU, G8, etc. - d'où une modification importante du contexte international, avec l'apparition des grands organismes et des programmes internationaux de lutte contre le sida : ONUsida en 1996, GAVI en 2000, programme multi-pays VIH/SIDA (MAP) de la Banque Mondiale en 2000, Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme en 2002, PEPFAR (President's Emergency Plan For Aids Reliefs) en 2003 - ainsi que la multiplication des accords internationaux - Objectifs du Millénaire pour le développement en 2000 avec l'engagement de réduire la pauvreté dans le monde en 2015, tout en sachant que si rien n'évolue ces objectifs ne seront atteints qu'en 2100, Accords de Doha en 2001 (qui ont intégré le nouveau concept d'« urgence sanitaire »), contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion et Unitaid.

L'arrivée des trithérapies en 1996 a également changé la donne, avec la confirmation qu'il ne fallait plus seulement prévenir, mais aussi traiter la maladie : des études ont montré que si les traitements coûtaient cher, ils avaient permis d'endiguer la chute économique des régions où ils avaient été délivrés. L'initiative Access a permis, grâce à des contrats passés entre l'industrie pharmaceutique et un certain nombre de partenaires, de faire baisser les prix des médicaments. L'accès aux médicaments génériques et la FIAM ont également bouleversé le paysage.

La question des financements a également changé en dix ans. Depuis 2001, les financements consacrés à la lutte contre le sida augmentent considérablement - 8,3 milliards de dollars ont été réunis en 2005 contre 1,7 en 2001 - sans parler de l'implication croissante du secteur privé et des fondations dans la lutte contre le sida.

Entre la prévention, les soins et les traitements, les orphelins et les personnes vulnérables, les programmes et les ressources humaines, les besoins à couvrir sont estimés à 14,9 milliards de dollars en 2006, 18,1 milliards en 2007 et 22,1 milliards en 2008.

Les sommes apportées par le Fonds mondial, le PEPFAR, la Banque mondiale, les financements bilatéraux et les contributions des pays permettraient de couvrir ces besoins à hauteur de 8,9 milliards de dollars en 2006, 10 milliards en 2007 et en 2008. Il resterait 6 milliards à couvrir pour 2006, un peu plus de 8 milliards pour 2007 et environ 12 milliards pour 2008.

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose, et le paludisme a rassemblé 3,4 milliards de dollars de contributions entre 2001 et 2004, 1,4 milliard en 2005 et 253 millions en 2006, auxquelles s'ajoute 1,9 milliard de promesses de contributions par les gouvernements, ces promesses n'étant malheureusement pas toujours faciles à faire tenir.

L'an dernier se sont tenues des réunions de reconstitution du Fonds mondial pour pérenniser les ressources et assurer leur prévisibilité. Les réunions de 2005 ont établi que pour 2006 et 2007 seraient réunis 3,7 milliards de dollars ; la prochaine réunion se tiendra en juillet 2006 en Afrique du Sud.

La France a joué avec une rare constance politique un rôle moteur et précurseur dans la lutte contre le sida sur le plan de la coopération internationale. Elle a plaidé avec force pour l'accès aux traitements, notamment en Afrique, à une époque où personne n'y croyait. Cela a débouché sur la Déclaration d'Abidjan en 1997, adoptée lors de la Xè Conférence internationale sur le sida et les maladies sexuellement transmissibles en Afrique, suivie de la création du Fonds de solidarité thérapeutique internationale (FSTI).

La France a soutenu les activités et les financements du Fonds mondial, et elle a lancé une réflexion sur de nouvelles sources de financement - contribution de solidarité sur les billets d'avion. Enfin, elle a soutenu la mise en œuvre d'Unitaid.

Elle a renforcé sa politique de lutte contre le sida et accru son soutien financier au Fonds mondial, ce qui s'est traduit par un renforcement de l'aide multilatérale. Elle a recentré le rôle d'opérateur de l'Etat sur l'AFD et elle a aidé au développement en soutenant des actions à impact durable par une approche globale et intégrée de l'organisation des soins et le renforcement des systèmes de santé, mais aussi par la recherche de systèmes de financements durables.

Les intervenants de cette politique sanitaire de lutte contre le sida sont le ministère des affaires étrangères, le ministère de la santé, le ministère de l'industrie, de l'économie et des finances, le ministère de l'éducation nationale, l'AFD, l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le GIP ESTHER.

Cela étant, si nous claironnons que nous sommes très engagés, seuls 4 % de l'aide publique au développement (APD) en France sont effectivement consacrés au secteur de la santé soit moins que la moyenne des pays membres du Comité d'aide au développement (CAD) qui s'élève à 11 %.

La lutte contre le sida représente environ 65 % de l'aide « Santé ». L'aide multilatérale représente les deux tiers de l'aide au développement dans le domaine de la santé. Cette situation est en partie liée à la forte contribution de la France au Fonds mondial dont elle est le second donateur.

C'est vrai que nous avions fait au départ le choix d'une politique essentiellement bilatérale, mais la mondialisation des questions de santé nous a orientés vers une politique multilatérale. Cela étant, aussi bien au niveau multilatéral que bilatéral, nous sommes loin d'être les meilleurs, les pays du Nord nous dépassant largement en la matière.

Un consensus international s'est réalisé autour des Objectifs du Millénaire pour le développement, dont trois se rapportent à la santé et au sida. Nous venons par ailleurs de signer au dernier G8 un engagement pour l'accès universel au traitement - en 2010, les malades devront accéder gratuitement aux traitements contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Si la communauté internationale veut tenir ces objectifs, elle devra mettre en place des financements garantis à un niveau satisfaisant sur une longue période.

Afin de tenir nos engagements, nous devons recentrer la stratégie de l'aide sur les Objectifs du Millénaire : nous sommes aujourd'hui fortement engagés sur l'objectif 6 relatif à la lutte contre les pandémies et dans la lutte contre la pauvreté, mais assez faibles sur les objectifs 4 et 5 qui visent à réduire de trois quarts la mortalité infantile et maternelle.

Nous devons accompagner des projets financés par le Fonds mondial - dont nous sommes le deuxième contributeur -  par des aides bilatérales mieux ciblées. Il faut renforcer l'efficacité de notre action par l'envoi d'experts français sur le terrain ; il est également important de privilégier une approche plus transversale et moins géographique. Nous devons aussi continuer à soutenir le GIP ESTHER, ONUSIDA, l'OMS ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG), et favoriser la création de partenariats avec les entreprises. Nous devons, en outre, soutenir les réflexions sur la mise en œuvre de nouveaux financements pour le développement, promouvoir dans le monde la contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion, favoriser l'accès aux traitements et mettre en œuvre la FIAM.

Ces actions doivent être évaluées par des critères de performance fondés sur la qualité et la cohérence des politiques sectorielles, la capacité d'absorption, l'expertise, la politique de soutien à moyen et long termes. L'engagement n'est pas seulement politique, il est aussi moral car l'on ne saurait interrompre un traitement commencé avec un malade.

Bien sûr se pose l'éternelle question de notre participation dans les organisations internationales de santé - agences de l'ONU, Fonds mondial et Banque mondiale - en termes financiers ou de personnels. Des opportunités devraient prochainement se présenter et peut-être devrions-nous les saisir.

Des obstacles importants restent cependant à surmonter. Nous devons cibler les populations à risques et réduire la stigmatisation, en particulier des femmes, des enfants, des homosexuels, des consommateurs de drogue et des professionnels du sexe.

Nous devons améliorer la connaissance des individus sur le VIH et leur statut sérologique, renforcer les capacités humaines et améliorer la gestion des approvisionnements dans l'accès aux traitements.

Les défis à relever sont importants et nous devrons faire des efforts sur le long terme, tout en impliquant la société civile. Les responsables politiques doivent comprendre que le sida n'est pas qu'une question de santé, mais qu'il a des conséquences sur tous les secteurs de la société.

M. Marc Gentilini, ancien président de la Croix-Rouge Française, membre du Conseil économique et social : Si je ne suis pas sûr d'être un grand témoin, je suis sûr d'être un vieux témoin - ce qui n'est pas forcément une tare -  mais aussi un témoin qui ne partage pas entièrement l'analyse qui a été exposée. J'ai un grand respect pour les fonctionnaires qui s'engagent dans la coopération ; je sais toute la difficulté de leur travail et les résultats obtenus et si je viens témoigner, c'est avec beaucoup de modestie. Avant de présider la Croix-Rouge pendant sept ans, j'ai exercé pendant trente ans des fonctions d'enseignement, de recherche et de soins en santé publique, dans le domaine des maladies tropicales et infectieuses. J'ai voyagé et j'ai constaté la situation sur le terrain : tout ce qui a été dit à ce sujet est vrai et j'adhère sans réserve aux propos de M. Balladur. En revanche, M. Douste-Blazy, qui sait le respect et l'amitié que je lui porte, a écarté certaines conclusions du rapport du Conseil économique et social consacré à la coopération sanitaire française dans les pays en développement, comme l'avait fait avant lui Mme Girardin devant le Conseil, et sur ce point je ne suis pas tout à fait d'accord car en cette matière les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des efforts considérables consentis par la France.

Quelque chose ne va pas. Notre image n'est pas perçue comme elle devrait l'être et il existe un profond malaise chez nos partenaires comme chez les coopérants. Je fais partie de ceux qui prônaient une réforme de la coopération sanitaire, car elle était indispensable mais, à mon sens, elle demeure inachevée, car la dommageable dichotomie actuelle ne doit pas être maintenue. Les choses seraient plus claires si une agence de coopération était chargée de tout, au lieu que les tâches soient partagées entre le ministère des affaires étrangères pour ce qui a trait à la recherche et la formation et l'Agence française de développement pour ce qui touche à la santé publique. Je ne vois pas la logique de cette organisation. J'ai compris qu'il n'est pas de bon ton d'insister et je n'insisterai donc pas aujourd'hui, mais je continuerai de faire valoir mes arguments, car je crois en la coopération sanitaire.

Pourquoi la privilégier ? En premier lieu, parce qu'elle est non marchande : elle nous rapporte, un peu, en prestige, mais elle rapporte surtout à ceux à qui elle est offerte. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un secteur dans lequel le savoir-faire de la France est internationalement reconnu et qu'il est en train de disparaître, car le relais n'est pas assuré sur le terrain : les personnels administratifs sont certes très compétents, très actifs et très efficaces mais ils n'ont pas le charisme attendu des coopérants en matière sanitaire.

Voilà pourquoi les propositions qui figurent dans l'avis adopté par le Conseil économique et social méritent d'être examinées. Je sais que l'on n'est pas bien vu quand on dit les choses trop tôt, mais il est déjà arrivé que de petits témoins prennent position et disent à de grands chefs dans quelle voie il faudrait s'engager. Bien avant la création du GIP ESTHER, nous avions, avec une petite ONG, sensibilisé celui qui était à l'époque le maire de Paris à ces questions, et il nous avait écoutés. C'est pourquoi, indépendamment de toute considération politique, j'éprouve une profonde reconnaissance à l'égard du Président de la République pour son engagement ancien en faveur de la coopération sanitaire internationale. À l'époque, lorsque je me tournais vers la Commission européenne et parlais d'aller porter des médicaments en Afrique pour soigner ce que l'on appelait alors les maladies opportunistes, je me faisais traiter d'excité sinon de fou. « C'est déraisonnable ! En Afrique, seule vaut la prévention », m'expliquaient des fonctionnaires qui, ayant depuis pris du galon, s'offrent maintenant le luxe de dire le contraire.

À quoi sert de porter témoignage si les choses ne changent que lentement, très lentement, tardivement ? À l'origine de combien de morts sont les retards des organisations internationales ? Heureusement que des gens continuent de se battre ! Vous pardonnerez à un vieil universitaire de vouloir dire les choses, et je remercie les présidents Balladur et Dubernard de m'en avoir donné l'occasion en provoquant cette réunion. Nous devons informer, dire que des réformes peuvent être engagées qui ne sont pas onéreuses : le Conseil économique et social ne demande que 50 millions à l'Etat pour rendre notre coopération sanitaire plus efficace ! Si l'Agence française de développement disposait immédiatement de ces fonds supplémentaires, elle pourrait conduire des actions de bien meilleure qualité.

Nous ne sommes pas opposés au multilatéralisme, tant s'en faut, et le Conseil économique et social souligne que c'est un très bon choix. Mais l'entrisme s'impose dans les institutions internationales, comme s'impose la traçabilité des versements. Nous voulons savoir à quoi est utilisé l'argent versé, avoir l'assurance qu'il sert bien aux populations démunies, et nous sommes inquiets de versements à certains politiques locaux, car si l'intention est respectable, les résultats sont douteux en certains lieux.

D'autre part, le bilatéralisme ne doit pas faire les frais du multilatéralisme ; l'engagement français en matière de coopération sanitaire doit se traduire par l'addition des financements et non par une soustraction. Mais nous entrons en période électorale, et l'on me dit que l'avis du Conseil économique et social sera oublié. Je serai reconnaissant à MM. les présidents des commissions des affaires étrangères et des affaires sociales de me démontrer le contraire. Des objectifs doivent être définis qui séduisent les jeunes de toutes origines et les poussent à s'engager ; il existe une très forte demande en ce sens, comme j'ai pu le constater à la Croix-Rouge et dans d'autres associations. C'est une autre raison pour laquelle le Conseil économique et social propose de recréer un vivier d'acteurs de terrain, puisqu'il faut une présence française sur le terrain et pas seulement dans les bureaux.

Notre absence de visibilité tient à ce que l'on nous a reproché de faire de la coopération de substitution, jugée vieux jeu. Il faut partir, nous a-t-on dit, et laisser les gens sur place prendre les postes : ils l'ont fait, mais ils doivent les tenir, et nous devons les y aider. Lorsque, après l'indépendance de la Guinée, je suis allé retirer le matériel, j'ai vécu cela douloureusement ; c'était une cassure, et elle n'a pas été comprise. Les coopérants ne doivent pas s'enfuir, ils doivent rester et faire des choix. C'est ce à quoi tendent mes propositions, qui tiennent compte à la fois de ce que les compétences existent et du caractère sain - ou saint, comme il vous plaira de l'entendre - de la coopération sanitaire.

Tous les hommes politiques, dans le monde entier, changent de ton. Tous parlent de santé, qu'ils aient un mandat ou qu'ils n'en aient plus - et, dans ce cas, ils créent des fondations. Or, la France a une antériorité certaine en cette matière et un savoir-faire qui est malheureusement en voie de perdition. Il est grand temps de rectifier le tir, ce qui n'est ni impossible ni même vraiment onéreux, même si ça l'est un peu, car rétablir le service civique coûterait quelque chose.

Examinons maintenant les conclusions du rapport du professeur Kourilsky consacré à l'optimisation de l'action de la France pour améliorer la santé mondiale. Que dit-il ? Que la coordination fait défaut, que nos centres de recherche sont très performants mais que nous les laissons mener leur politique comme bon leur semble. Une fausse concertation s'exerce, ce qui est dramatique, car si elle était réelle et organisée, notre force de frappe internationale serait beaucoup plus importante.

Les décideurs politiques doivent prendre la décision de bon sens de coordonner et d'évaluer l'action des différentes structures de coopération mais aussi de chercher à mobiliser tous ceux qui s'y engagent. Actuellement, comme nous sommes individualistes, chacun y va de sa petite subvention. À cet égard, on sait le poids de la coopération décentralisée, la « politique étrangère » des conseils généraux et régionaux. Le plus souvent, elle est de qualité mais, quand on s'engage « au coup de cœur », elle est parfois désordonnée. L'indispensable cohérence de l'action suppose que la coopération décentralisée, qui a des moyens, soit également coordonnée et évaluée. Il faut aussi valoriser les compétences des collectivités d'outre-mer, et l'annonce de la création d'un centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes à visée régionale à la Réunion est un exemple de ce qui pourrait être reproduit ailleurs.

En conclusion, il me semble que les propositions contenues dans l'avis adopté par le Conseil économique et social méritent d'être examinées et non pas brutalement écartées. Un autre rapport, qui porte sur les sources de financement innovantes, est en cours d'élaboration au Conseil. Le délabrement de la situation sur le terrain est plus grand qu'on ne le dit, mais il est encore temps de réagir, d'autant qu'il y a là une perspective à offrir à la jeunesse de notre pays, et qu'elle l'attend.

Mme Dominique Kerouedan : Je vous remercie d'avoir associé l'Association des professionnels de santé en coopération (ASPROCOP) à cette discussion. Fondée en 1992, elle réunit des assistants techniques français, des praticiens du terrain, dits « coopérants», certains administrateurs de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) à Paris et dans les postes diplomatiques, et quelques experts de la division « santé » de l'AFD. L'assise associative s'est progressivement élargie en attirant les experts européens des coopérations bilatérales et multilatérales, ainsi que les experts européens des bureaux d'études et des universités. Notre vivier d'experts rassemble aujourd'hui près de 600 personnes, dont près de 300 adhérents. L'association a pour objectif de contribuer à la réflexion politique et stratégique dans le domaine de la coopération sanitaire, en France mais aussi dans les institutions de coopération internationale chaque fois qu'elle le peut, à la Commission européenne par exemple.

Nous organisons, en relation avec la DGCID, des stages de formation continue, des forums sur les stratégies internationales de santé et développement, et des rencontres annuelles des assistants techniques du secteur de la santé avec leurs correspondants à Paris. Par ailleurs, nous contribuons à la réflexion politique et stratégique sur la coopération sanitaire française. Au cours des dix dernières années, nous avons pris position sur la stratégie de lutte contre le sida et sur la coopération hospitalière, participé aux travaux du HCCI et contribué à l'élaboration du rapport du professeur Kourilsky.

Nous sommes restés très vigilants sur les modalités de mise en œuvre de la réforme du dispositif de la coopération et nous avons récemment alerté le ministre des affaires étrangères, la ministre déléguée à la coopération, à la francophonie et au développement, le directeur général de la DGCID et les services de l'AFD sur certains points. En premier lieu, nous avons fait observer que les ambassadeurs de France en poste en Afrique n'ont pas inscrit le secteur de la santé au rang des priorités lorsqu'ils ont procédé au choix des trois secteurs prioritaires. La même insuffisance s'observe pour les délégations de la Commission européenne en Afrique. Pourtant, la considération humaniste ne se discute pas et nous sommes un peu surpris par le tour des événements, alors que le président de la République, le ministre des Affaires étrangères et la ministre déléguée ont tous dit leur engagement. Que se passe-t-il ? Une incitation politique plus puissante auprès des ambassadeurs de France à l'étranger n'est-elle pas concevable ?

Nous les avons aussi alertés sur le fait que l'élaboration des documents-cadre de partenariat (DCP) ne semble pas systématiquement associer les ministères techniques - dont le ministère de la santé - des pays considérés, mais la seule primature. Le rôle des conseillers régionaux de la santé et de nos ambassades n'est-il pas d'informer les ministères techniques des choix de la France ? Certes, nous ne sommes pas responsables des modalités de gouvernance des pays et du manque de dialogue interministériel, entre le ministère des finances et le ministère de la santé par exemple, mais ces échanges pourraient être facilités.

Enfin, nous sommes inquiets des modalités de recrutement de l'assistance technique par l'AFD. L'Agence prévoit en effet que ce sont les pays bénéficiaires des subventions ou des dons qui vont recourir à des appels d'offre pour recruter l'assistance technique dont ils ont besoin. Or, la Commission européenne a procédé de pareille manière et il en est résulté des difficultés sans nombre. Il faut tenir compte de cette expérience et nous souhaitons être rassurés sur les gardes fous que l'AFD se propose de mettre en place pour éviter de sombrer dans les mêmes difficultés.

Nous apprécions le dialogue qui s'est instauré sur ces sujets, précieux pour nous mais aussi pour le ministère et pour l'AFD, puisque nous sommes les témoins directs de l'application de la réforme.

Quel est le rôle de l'assistance technique française et européenne ? Au lendemain des indépendances, de nouvelles instances ont dû se substituer à celles exerçant précédemment des compétences nationales. Comme l'a constaté M. le député Pierre Morange, l'expertise technique et médicale française, de très haute volée, est très appréciée des pays qui en bénéficient, et elle est souvent utilisée par des institutions internationales. L'assistance technique bilatérale doit absolument être maintenue, car la France ne pourra s'assurer de l'efficacité des financements multilatéraux qu'elle a choisis de privilégier s'il n'y a pas de professionnels sur le terrain. Leur présence est un préalable au succès des initiatives mondiales, dont les projets financés par le Fonds mondial, et elle permet aussi de s'assurer de l'aspect qualitatif de l'aide en santé publique.

En matière de coopération sanitaire, le rapport Gentilini regrette le sabordage de la politique de formation et de recherche, et le rapport Kourilsky formule des recommandations pratiques tendant à ce que la France se trouve en bonne place au niveau mondial. Nous insistons pour que ces propositions soient prises en considération au plus vite, car il y a urgence.

Aujourd'hui, le rôle de l'assistance technique française et européenne est d'inciter les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement (APD) dans le secteur de la santé à utiliser rapidement les nouveaux instruments de financement, en les aidant à les mobiliser, à les mettre en œuvre de manière efficace et à évaluer la performance des programmes. Le ministère des affaires étrangères l'a compris et a décidé de missionner des experts à cette fin, mais nous déplorons que cet appui ne soit effectif qu'en 2006, alors que le Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé (CREDES) y exhortait il y a deux ans déjà. Nous constatons les mêmes carences dans le soutien technique et l'accompagnement des projets sur le terrain de la part de l'Union européenne. La France devrait interpeller la Commission à ce sujet.

La France est le plus gros contributeur du Fonds européen de développement (FED), auquel elle participe à hauteur de 25 %. Mais si elle siège aux réunions du comité directeur des projets, ni elle, ni les autres Etats membres ne sont jamais informés en retour de la performance des projets financés par le FED en appui au secteur de la santé. La France doit suivre de près l'utilisation de ce Fonds, dont elle est, je le répète, le premier contributeur.

D'autre part, la représentation des experts français au sein des institutions internationales est très faible : il n'y pas d'expert national français détaché auprès de la Commission européenne dans ce secteur, et peu de Français à des postes stratégiques au secrétariat du Fonds mondial. La France ne sait pas placer ses experts dans les sièges des institutions internationales ni, ce qui est plus triste, les garder ; on laisse ainsi partir d'excellents architectes, médecins ou encore des pharmaciens, ce qui est regrettable au regard de l'expérience qu'ils ont acquise. De plus, la France forme d'excellents médecins et professionnels de santé, mais pas suffisamment d'experts en santé publique internationale répondant aux profils exigés par ces institutions et dotés des compétences spécifiques nécessaires, dont la parfaite maîtrise de la langue anglaise pour faire passer les idées dans les différentes instances. La formation technique française de coopération internationale doit s'adapter à ce qu'attendent les pays. Si nous ne le faisons pas, notre influence diminuera.

La fonction et le métier ont donc changé. Comme le soulignait le rapport du Haut conseil pour la coopération internationale (HCCI) en 2002, « la demande a évolué et porte sur une fonction d'appui institutionnel et d'aide à l'organisation du changement social ». Les instruments de l'APD sont nombreux, mais quels sont ceux de nos assistants techniques qui savent les manier ? Au début des années 1990, j'avais eu l'occasion de rencontrer M. Douste-Blazy, alors ministre de la santé, à Abidjan, et je lui avais fait part de nos inquiétudes sur les lacunes de l'enseignement français en santé publique internationale, lacunes qui nuisent à l'influence française sur le terrain et dans les instances mondiales et multilatérales et qui nuisent aussi à l'efficacité de financements très importants. « Nous y travaillons », m'avait-il répondu à l'époque. Ensuite, M. Bernard Kouchner a aussi travaillé à cette question, et la loi relative à la politique de santé publique a été promulguée en août 2004. Nous demandons instamment que l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) prévue par ce texte devienne réalité, et nous plaidons en faveur de la création en son sein d'un pôle international de formation initiale et continue et de recherche en santé internationale, indispensable au maintien de la présence française.

Enfin, par un terrible paradoxe, au moment même où la France décide de diminuer de manière significative son assistance technique sur le terrain - environ 200 postes, contre 450 postes il y a dix ans -, on assiste dans les pays du Sud à une véritable désertion des personnels de santé du secteur public, dont les recrutements et les salaires sont bloqués depuis des années par les politiques d'ajustement structurel contraint. La place de l'assistance technique française doit être totalement révisée au regard de cette crise des ressources humaines dans les pays en développement. La France est d'autant mieux placée pour faire des recommandations dans ce domaine qu'elle n'est pas le principal pays responsable du départ des experts scientifiques des Etats du Sud, à la différence du Royaume-Uni, qui vide les Caraïbes de ses professionnels de santé : la Guyana, en particulier, forme des personnels paramédicaux qui partent par flots. Pourtant, au regard des propositions formulées par le Conseil national du sida en juin 2005, les contributions de la France à la réflexion internationale à ce sujet restent modestes. La Commission européenne a bien mis une stratégie au point mais elle n'a pas d'effets perceptibles, et ses représentants ne sont pas à l'abri des contradictions. Ainsi, l'association Santé Sud vient de se voir rejeter une requête de financement alors qu'elle propose, dans plusieurs pays, des alternatives efficaces à la disparité d'offre de soins entre villes et campagnes.

Nous espérons que la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) facilitera le débat démocratique sur les choix et les priorités de l'aide publique au développement et permettra de mieux rendre compte des performances des financements publics.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Je vous remercie d'avoir ainsi posé les bases d'une discussion que je souhaite vive, directe et complémentaire.

Je vais tout d'abord demander à M. Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement, de nous donner son avis sur ces interventions.

M. Philippe Etienne : Merci de me donner la parole, car je dois bientôt vous quitter pour accompagner la ministre déléguée à la coopération, Mme Brigitte Girardin, au Cameroun, où elle va signer un document-cadre de partenariat (DCP) dont le premier secteur prioritaire est la santé et la lutte contre le sida.

Je remercie les grands témoins qui nous ont fait part de leurs préoccupations, que nous partageons. S'agissant de la part de 4 % de l'aide publique française affectée à la santé, ce taux correspond à la situation d'il y a deux ans, et je crois qu'il a augmenté depuis, notamment du fait des nouvelles initiatives qui vous ont été présentées ce matin.

Par ailleurs, il est vrai que la santé n'est pas suffisamment retenue parmi les secteurs prioritaires de notre aide bilatérale, mais elle est retenue dans vingt-cinq documents cadres de partenariats déjà établis, et dans trois autres en cours de signature. Parmi les pays africains, je citerai ainsi le Bénin et le Niger.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Vous donnez l'impression d'être satisfait de l'action de votre direction...

M. Philippe Etienne : Au contraire, je reconnais qu'elle n'est pas suffisante, mais avons décidé au sein de la communauté internationale de ne pas tous faire la même chose ; c'est cela notre approche.

Nous essayons d'améliorer le lien entre le multilatéral et le bilatéral grâce à la mise en place de plateformes d'assistance technique, car nous sommes conscients du manque de visibilité et de la nécessité de vérifier l'efficacité des fonds multilatéraux.

Nous devons également améliorer la coordination entre les acteurs. Le ministre a cité certaines de nos initiatives, même si elles sont encore trop modestes. L'Institut Pasteur et l'AFD viennent ainsi de signer une coopération très importante en Asie du Sud-Est.

Par ailleurs, c'est vrai que nous risquons de perdre notre savoir-faire, du fait notamment du manque d'un instrument approprié de formation. De surcroît, nous avons atteint le plafond d'emploi de la LOLF avec nos assistants techniques. Quant à l'AFD, elle utilise ses propres procédures, ce qui nous empêche d'envoyer directement nos assistants techniques. Pour ces raisons, nous essayons de maintenir quelques points forts, comme à l'hôpital principal de Dakar ou à l'hôpital Calmette de Phnom Penh.

Cela étant, se pose également le problème du renouvellement en France même de ce vivier, d'où l'importance de la formation. Nous sommes favorables aux programmes de volontaires. Le Parlement a voté l'an dernier une loi relative au contrat de volontariat et de solidarité internationale que nous essayons d'exploiter au mieux.

Nous faisons également tout notre possible pour favoriser la montée en puissance des organisations non gouvernementales dans ce secteur, comme la chaîne de l'espoir à Kaboul ou à Phnom Penh. Enfin, nous sommes parfaitement conscients de l'importance de la formation délivrée sur place et du maintien dans le pays des compétences françaises.

M. Jen-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles : C'est parce que je souhaite un débat tonique et actif que je me permets parfois d'être quelque peu abrupt.

Pourquoi cette table ronde ? En tant que médecin hospitalier, j'ai souvent été témoin de l'inquiétude de médecins étrangers sur la situation de leur pays. Puis, un jour, Marc Gentilini est venu présenter à une ONG, « Equilibre et populations », les prémices de son rapport, qui faisait suite à ceux de MM. Kourilsky et Morange. L'idée d'une table ronde m'est alors venue, et elle a été acceptée par M. Balladur.

Alors que l'intérêt de cette réunion est de débattre en toute franchise, nous avons malheureusement l'impression que l'administration évoque toujours des facteurs extérieurs pour justifier d'éventuels échecs.

M. Philippe Etienne : Vous êtes injuste, car j'ai reconnu à deux ou trois reprises que tout ne fonctionnait pas bien, et je rappelle que ma prise de fonction à la DGCID est encore très récente et que mon expérience est en conséquence plus limitée que ne peut l'être la vôtre, en tant que médecin. Nous partageons les préoccupations des grands témoins et nous voulons chercher avec eux des solutions, mais ce n'est pas refuser un débat tonique que de rétablir parfois la vérité.

M. Bernard Debré : Je suis moi aussi allé sur le terrain, comme Marc Gentilini ou Jean-Michel Dubernard, et à force d'être submergé de plaintes et de récriminations, j'en suis venu à me demander si la France s'intéressait encore aux pays pauvres. Le monde même s'intéresse-t-il encore aux pays pauvres ? C'est vrai qu'il est préférable de faire la guerre, qui coûte beaucoup plus cher et tue bien davantage ! L'argent de la guerre n'ira pas à la paix, ne soyons pas utopiques, nous ne pourrons pas jouer aux vases communicants.

L'argent et la volonté manquent, le fossé humanitaire se creuse chaque jour davantage. L'espérance de vie diminue sévèrement dans certains pays. Des régions entières sont touchées par des épidémies ou des famines que nous pourrions éviter. Imaginez ainsi l'épidémie de grippe aviaire en Afrique, alors que le poulet représente la principale source de revenus et de la nourriture : nous tuons tous les cheptels de poulet, et sans trop d'émotions, car nous préférons l'illusion humanitaire, comme en témoigne l'hôpital pour enfants de Kaboul qui ne sert à rien, si ce n'est à faire plaisir à quelques personnes. Il a été construit à côté de l'ancien hôpital pour enfants, certes un peu ancien mais que nous aurions pu rénover. Nous avons tellement peu les capacités de le financer qu'une fois construit, nous le donnons à l'Aga Khan ! Mais c'était bien, c'était beau, nous avons bien pleuré et il y a eu des émissions de télévision. Bien sûr que cet hôpital permettra de sauver quelques enfants, mais avec tant d'argent nous aurions pu en sauver 50 000 !

Et il en va de même de l'hôpital Calmette de Phnom Penh. Là encore, nous avons eu droit à moult émissions émouvantes qui nous montraient ces enfants que l'on amène à l'hôpital avec tout le cérémonial khmer. Qui paie maintenant ? Le pays, même si les autorités doutaient de l'efficacité d'une telle action.

Je le répète, mes propos sont provocateurs, mais pas complètement faux.

Nous manquons d'argent en France et dans le monde, mais les organisations internationales se multiplient.

Alors que j'étais ministre de la coopération, nous avons organisé le 1er octobre 1994 une réunion internationale des chefs de gouvernement où nous avons lancé l'idée du Fonds Mondial, reprise plus tard. Je me méfie des organisations internationales car je me souviens de la réunion de l'OMS à Alma-Ata en 1974, qui promettait la santé pour tous en l'an 2000. Nous sommes en 2006, et la santé est au contraire accessible à de moins en moins de monde ! Et aujourd'hui, l'on nous promet l'éducation ou la santé pour le monde entier dans quinze ans : ce sont des phrases creuses qui ne satisfont qu'un certain nombre de fonctionnaires, car lorsque nous nous rendons sur place, nous ne pouvons qu'être saisis d'une immense tristesse.

L'argent dépensé n'est soumis sur place à aucune vérification. La gabegie est incroyable, et je suis désolé de vous dire que certains comptes ouverts dans les îles Caïman, au Luxembourg, en Suisse, progressent avec les flux d'argent que les pays riches envoient dans les pays pauvres. C'est inacceptable. Le fait de signer en grande pompe devant les caméras de télévision des protocoles, dont ils savent qu'ils ne serviront à rien, semble suffire aux organisations internationales ou aux ministres français.

Ne soyons pas pessimistes pour autant, car à votre niveau, les uns et les autres, vous faites parfois du bon travail - je pense notamment aux centres de traitement ambulatoires de M. Gentilini -, mais ce ne sont malheureusement que des gouttes d'eau, quand ils ne sont pas détruits par les guerres.

Que faire ? Que les pays riches donnent plus d'argent, sans se défausser sur le privé comme le fait l'Etat avec les taxes sur les billets d'avion. L'aide aux pays pauvres relève de la responsabilité des Etats qui doivent prendre sur leur budget, et non imposer encore les personnes qui voyagent. Je ne suis pas certain que cette idée généreuse soit efficace.

Nous devrions instaurer un impôt international sur les budgets de toutes les nations, qui serait versé à un organisme international, lequel pourrait passer des contrats de délégation internationale de service public avec les pays pauvres : ces derniers délégueraient temporairement leur responsabilité en matière de santé, car sans santé, ni instruction, il n'y a pas de démocratie.

Par ailleurs, nous devrions mettre en place un service civique pour que les hommes et les femmes des pays riches puissent aller servir dans ces pays qui nous réclament. De cette manière, peut-être pourrons-nous réduire le fossé humanitaire, source des conflits et de l'immigration non contrôlée, et véritable injure à l'éthique humaine. Nous avons le devoir de partager, et ce n'est pas ce que nous sommes en train de faire.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Cette pensée pour l'établissement Calmette me va droit au cœur, comme elle doit certainement toucher tous ceux qui connaissent cette université francophone, où les cours seront bientôt délivrés en anglais, malheureusement...

M. Marc Gentilini : Bernard Debré a dit beaucoup de choses, avec l'autorité qu'il a dans cette enceinte, et que je n'ai pas. Je regrette par ailleurs le départ de M. Philippe Etienne car il aurait pu persuader sa ministre de ne plus rejeter mes propositions.

Nous demandons que la santé soit inscrite comme matière obligatoire dans les DCP. Cette demande est légitime car c'est l'argent de nos contribuables que nous apportons. Certains estiment qu'il s'agirait là d'une ingérence irrecevable, mais j'estime que nous pouvons peser sur les politiques locaux à partir du moment où nous leur donnons l'argent de nos compatriotes.

Par ailleurs, comment imaginer qu'un pays comme la France ne soit pas capable de donner cinquante millions d'euros dès cette année à l'Agence française de développement ? Nous devons bien pouvoir trouver cette somme qui ne représente que le tiers du budget de l'Olympique lyonnais ! Concernant la coordination, Philippe Kourilsky pourrait vous dire qu'en dehors de la volonté, elle ne coûte rien ! Nous devons pouvoir nous réunir autour d'une table pour nous mettre d'accord sur un plan de coopération sanitaire cohérent.

Quant à l'Union européenne, il est dommage qu'il n'y ait pas d'Europe sanitaire, sous prétexte que la politique sanitaire relève de la compétence des Etats membres. Enfin, je suis favorable à la mise en place de pôles de haute technicité dans les pays pauvres. Nous avons besoin de centres, de pôles de fixation, pour que les cerveaux locaux restent sur place - je pense à l'hôpital principal de Dakar et à l'hôpital Calmette de Phnom Penh.

Mme Michèle Barzach : Des pays comme le Botswana ou ceux de l'Afrique Australe peuvent perdre en un an seize ans d'espérance de vie ! En un an, ce sont ainsi quinze ou vingt ans d'efforts de développement qui s'envolent.

L'on nous a dit que la priorité serait donnée à la santé, et que les remises de dettes seraient même destinées au social et au sanitaire. J'attends de voir.

C'est vrai qu'aujourd'hui les DCP n'accordent pas toujours la priorité à la santé, et rendre obligatoire l'inscription de la santé parmi les priorités pourrait être une solution.

Pour ce qui est du manque d'argent, je suis d'accord que 50 millions d'euros ne représentent pas grand-chose pour la France, tout comme 6 millions de dollars ne sont rien à l'échelle du monde - je vous renvoie aux besoins de financements de la lutte contre le sida.

Cela étant, je ne partage pas le pessimisme de Bernard Debré et de Marc Gentilini. Depuis ces dix dernières années, la santé a été classée bien public mondial, bien commun. Elle est devenue un droit fondamental, qui appelle à la mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale. Nous avons accepté ce nouveau paradigme, et nous devons aujourd'hui aboutir à du concret, sans pour autant balayer d'un revers de main les dispositifs qui se sont construits au fil du temps, et qui ont pu faire preuve d'efficacité, comme en témoignent les résultats. Aujourd'hui, un million et demi de personnes sont sous traitement. Nous sommes encore loin du compte, mais nous avons tout de même progressé, car de plus en plus de malades sont pris en charge.

Malheureusement, nous n'avons pas les moyens de transformer tout ce dont nous disposons - constructions, financements - en actions pragmatiques à même de sauver la vie des gens. Il manque des personnes compétentes sur le terrain: nous sommes passés de 20 000 ou 25 000 assistants techniques à 2 000 ou 2 500. Il est urgent d'inverser la tendance.

Enfin, s'agissant de la taxe sur les billets d'avion, je ne suis pas d'accord avec Bernard Debré, car la solidarité nationale ne saurait relever du seul secteur public. Nous devons au contraire développer les partenariats entre le privé et le public à tous les niveaux.

M. Philippe Kourilsky : Je suis professeur au collège de France et ancien directeur de l'Institut Pasteur. Chargé de rédiger un rapport sur les maladies infectieuses, j'ai pris conscience qu'il n'était pas possible de traiter correctement le sujet sans l'envisager dans sa globalité. Un certain nombre de mots clés viennent alors à l'esprit.

Le premier est sans conteste celui de « gravité ». L'auto-flagellation étant devenue une sorte de sport national, nous avons parfois perdu le sens des réalités, mais en l'espèce, la situation est grave.

Le deuxième est celui d'« absurdité ». Au moment où la santé publique devient un enjeu politique de première grandeur, nous baissons les bras et nous perdons du terrain y compris là où nous sommes espérés, attendus, notamment dans nombre d'espaces francophones.

Le troisième terme est celui de « sincérité ». Nous devons être clairs sur les paramètres financiers, et les chiffres méritent d'être analysés avec un minimum d'esprit critique. Inclure l'allègement de la dette dans les chiffres de l'aide publique au développement diminue d'autant les liquidités qui arrivent effectivement sur le terrain. De surcroît, comment, une fois la dette de ces pays éclusée, réunirons-nous suffisamment d'argent pour compléter l'APD ?

L'objectif de 0,7 % paraît difficile à atteindre, d'autant plus que nous n'atteignons pas le 0,4 % affiché aujourd'hui. Incidemment, il est important et intéressant de voir comment cela se traduit dans la loi de finances, puisque la LOLF donne théoriquement les moyens de vérifier les conditions de mise en œuvre des priorités définies par l'Etat, mais que certaines n'y figurent pas explicitement. Consacrer 4 % de notre APD à la santé, c'est peu au regard des 11 % de la moyenne des pays de l'OCDE et des 17 à 21 % du Royaume Uni, qui a établi des priorités nettes. Non seulement nous manquons singulièrement de stratégie, mais il y a un malentendu sur le terme. Il n'est de véritable stratégie que celle qui consiste à traduire des objectifs dans la réalité, et les innovations ne sont d'aucun secours si elles ne sont pas transcrites dans la pratique. Or, en cette matière, il y a bien des objectifs et des choix globaux, mais les moyens pour les appliquer sont dramatiquement insuffisants. Cela donne un sentiment d'absurdité d'autant plus fort que la qualité des acteurs - acteurs de terrain et fonctionnaires - est extraordinaire. L'un des problèmes tient à ce que l'architecture du système est défectueuse ; il s'ensuit un gâchis phénoménal. Sans nul doute les relations entre le ministère des affaires étrangères et l'AFD devraient-elles être modifiées.

Pour ce qui est de la recherche et de la surveillance des maladies tropicales, la distribution des rôles n'est pas lisible. Il en résulte, sur le terrain, un joyeux désordre qui n'est pas un gage d'efficacité. Il faut redistribuer les rôles, ce qui suppose de redéfinir les priorités mais, comme cela a été dit très justement, ce n'est pas en tenant une ou deux réunions par an que l'on peut élaborer une stratégie, laquelle doit être l'aboutissement de décisions prises au plus haut niveau.

Pour une part, le problème tient à notre organisation. Il n'est pas nécessaire de prévoir beaucoup plus de moyens, il faut ventiler différemment les moyens existants. La lucidité commande de s'interroger sur les modalités de l'expatriation, de se demander s'il est judicieux d'avoir un « corps » d'expatriés. Le dispositif britannique est beaucoup plus souple que le nôtre, qui peut avoir des effets pervers. Savoir qu'il existe un tel « corps » dispense ceux qui n'en font pas partie de s'impliquer ; les expatriés s'isolent, et peuvent finir par perdre de leur agressivité, entendue au bon sens du terme, et de leur efficacité.

S'agissant de la formation, on peut faire beaucoup mieux à moyens constants. J'appelle moi aussi de mes vœux l'ouverture de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), et d'une section internationale en son sein. Cela ne coûterait pas plus cher, mais il y faut une volonté politique.

Je suis très favorable aux partenariats public-privé, pour deux raisons. D'abord, quand il s'agit de problèmes aussi graves, il est normal et essentiel que tous les acteurs se rassemblent pour débattre de l'optimisation de la stratégie ; il est donc indispensable de renforcer le dialogue, comme l'a fait M. Douste-Blazy, entre les entreprises privées, les ONG et les pouvoirs publics. Ensuite, je ne suis pas sûr que les systèmes publics soient capables d'évoluer tout seuls. On constate des blocages, une perte de la culture de projet, et l'on voit ce que le secteur privé peut injecter de réalisme dans un dispositif qui en a beaucoup perdu. Je siège au GAVI, l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, qui est un partenariat public-privé, et je constate les immenses mérites de cette fertilisation culturelle. Je milite donc en faveur d'une redéfinition de la stratégie en santé publique associant secteur public et secteur privé.

Mme Henriette Martinez : Comment s'organise l'utilisation du Fonds mondial ? Quelle part respective des ressources est consacrée aux ressources humaines, aux systèmes de santé, aux femmes ? La question des femmes n'a pas été spécifiquement abordée, alors que la féminisation de la contamination par le VIH dans les pays en développement est un problème majeur et que les femmes ne peuvent s'en prémunir car leurs droits sexuels ne sont pas reconnus. Il faut mettre à leur disposition les moyens de se protéger. Par ailleurs, ne conviendrait-il pas d'englober la lutte contre la pandémie de sida dans une approche plus générale, celle de la santé de la reproduction ?

Mme Marie-Odile Waty, chef du bureau « santé » de l'Agence française de développement : Nous ne pouvons que nous réjouir du plaidoyer en faveur d'une plus grande place pour la santé dans les documents cadre de partenariat, à condition que des ressources nouvelles s'ajoutent à l'enveloppe existante, qui est de 350 millions d'euros pour l'ensemble des missions de l'AFD. S'il en allait autrement, ce serait ingérable, car nous avons aussi de forts engagements dans d'autres secteurs : l'eau, l'éducation...

Les problèmes de recrutement et de renouvellement de nos équipes d'experts évoqués par Mme Kerouedan sont réels, et je pense, comme M. Kourilsky, que nous devons être plus flexibles. Etant donné l'absence de renouvellement des « professionnels de l'expatriation », nous devons permettre aux professionnels de santé d'exercer un temps dans des pays en développement et de retrouver ensuite une place dans le système français. Les pays concernés demandent des experts ayant de dix à quinze ans d'expérience, mais ceux-ci sont de moins en moins nombreux, et beaucoup n'acceptent pas d'aller travailler dans des pays « difficiles » tels qu'Haïti, l'Afghanistan, la République centrafricaine ou le Tchad. Permettre de partir deux ans et de revenir travailler en France contribuerait à élargir considérablement le vivier.

M. Robert Toubon, directeur de la stratégie d'Équilibres et Populations : J'insisterai sur la crise des ressources humaines dans le secteur de la santé dans les pays du Sud. Des travaux importants ont été conduits, des engagements très fermes ont été pris, mais l'on ne passe pas aux actes. Devant l'ampleur du désastre, le Conseil national du sida, il y a deux ans déjà, a formulé des recommandations. J'en rappellerai certaines. Le Conseil suggère d'abord d'améliorer les conditions d'exercice et les salaires des personnels de santé. Il souligne aussi qu'il faut arrêter de faire la fine bouche et que, compte tenu du manque de médecins, il faut déléguer certaines tâches médicales à des personnels paramédicaux correctement formés. Si l'on s'obstine à dire que les césariennes ne peuvent être faites que par des gynécologues-obstétriciens, les Africaines continueront de mourir faute de césariennes. Enfin, il faut assurer le retour massif d'une coopération que le Conseil a osé appeler « de substitution ».

Ces recommandations, je l'ai dit, datent de deux ans. Aujourd'hui, la Banque mondiale et l'AFD travaillent à ces questions. Mais combien de temps encore va-t-on réfléchir avant d'appliquer ces idées simples et de bon sens qui, surtout, correspondent à la réalité ?

M. Bernard Debré : Il faut des personnels compétents sur place, car si l'argent existe mais que l'on ne sait pas à quoi il sert, il y en aura de moins en moins. C'est pourquoi j'insiste pour que la santé figure au nombre des priorités inscrites dans les documents cadre de partenariat. Il y a énormément de bonne volonté et d'altruisme, mais la mauvaise utilisation des énergies et des fonds conduit à un gigantesque gâchis. M. Gentilini a plaidé en faveur de la création de structures de haute technicité dans les pays en développement. J'en suis d'accord, mais seulement s'il y a de l'argent. Quand on a construit un tel centre à Phnom Penh et que le Cambodge a donné, à l'époque, 100 000 francs pour cela, c'était autant en moins dans le budget national, et ensuite le pays a dû assumer les frais de fonctionnement. Pendant ce temps, comment l'Etat cambodgien faisait-il pour soigner rougeole et rubéole, maladies peu spectaculaires mais dont les conséquences sont dramatiques ? C'est bien pourquoi, en Afghanistan, le président Karzaï a refusé une prise en charge de ce type. L'efficacité doit primer sur le spectaculaire, et secteurs public et privé doivent évidemment conjuguer leurs efforts.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Le ministre de la santé me fait savoir que, retenu plus longtemps qu'il ne l'avait pensé, il est empêché de participer à nos travaux. Le texte de l'allocution qu'il comptait prononcer sera distribué aux participants et annexé au compte rendu de cette table ronde.

J'observe que l'institution d'un service civique est unanimement proposée, à droite et à gauche, mais je ne suis pas certain que ce soit une solution idéale. Quel en sera le coût ? Qui y participera, et comment en matière de coopération technique de santé ? Tout cela reste flou.

Mme Béatrice Vernaudon : Quel a été l'effet de la suppression du service national obligatoire sur la coopération sanitaire ? L'institution d'un service civique serait-elle de nature à apporter des solutions aux problèmes que nous évoquons ? Sur un autre plan, je plaide en faveur de l'association des collectivités françaises d'outre-mer, sociétés interculturelles, aux réseaux de coopération qui se mettent en place. Ce n'est pas le cas pour l'instant, notamment pour ce qui concerne le réseau diplomatique qui se met en place avec les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle Guinée, où nous aurions pourtant notre place en notre qualité d'océaniens français. Que l'on n'oublie pas, dans l'architecture repensée de la coopération sanitaire, que la France est présente partout dans le monde.

M. Bernard Debré : C'était l'une de mes préoccupations lorsque j'étais ministre de la coopération, et j'avais demandé qu'une partie du budget de la coopération soit déléguée au ministère de la recherche pour assurer une coopération décentralisée - mais cela n'a pas bien marché, car tout ministre veut garder son budget...

M. Marc Gentilini : L'observation de Mme Vernaudon est particulièrement pertinente. Elle rejoint l'une de recommandations de l'avis adopté par le Conseil économique et social, par laquelle il suggère d'utiliser les structures de l'outre mer français comme base avancée de coopération sanitaire et d'envisager la création de plates-formes permanentes de coopération entre elles et les pays voisins.

Mme Marie-Odile Waty : L'AFD, qui avait le mandat historique d'être la banque de développement des collectivités françaises d'outre-mer, soutient les actions de coopération régionale. C'est ainsi qu'un projet a été conduit aux Comores avec du personnel venu de l'île de la Réunion. Nous réfléchissons actuellement, en collaboration avec d'autres organismes, à la mise au point d'un projet sur les risques émergents. Nous souhaitons donc développer la coopération régionale et la structurer en fonction d'objectifs communs.

M. Philippe Kourilsky : Il convient de rationaliser des réseaux, diplomatiques et de recherche, dont la dispersion entraîne une déperdition de moyens. Une meilleure architecture est nécessaire, qui suppose un peu de courage politique.

Mme Michèle Barzach : Mme Kerouedan et M. Kourilsky ont abordé la question de l'addition des moyens, sujet crucial car, en matière de coopération, nous sommes familiers des tours de passe-passe. Il est déjà arrivé que l'on parle d'une hausse vertigineuse de l'aide au développement pour parvenir aux objectifs fixés. Mais si les remises de dettes sont comptées dans ce calcul, cela réduit d'autant ce dont on peut réellement disposer. Les nouveaux financements doivent donc être sécurisés et pérennes, mais ils doivent aussi s'additionner aux ressources existantes, et ne pas être affectés à d'autres objectifs.

Le service civil est un moyen parmi d'autres de trouver une solution aux problèmes pendants. Actuellement, les appels d'offres sont d'une grande exigence : on demande une expertise très étendue et une expérience de quinze ans, et très peu nombreux sont ceux dont le profil correspond à cela. Pourtant, l'éventail des compétences nécessaires pour faire face à des besoins très divers est très large. Il faudrait donc à la fois revoir le niveau d'exigence des appels d'offres et être beaucoup plus flexible, en permettant des années sabbatiques et des mises à disposition d'experts pour un an ou deux. Ainsi réalimenterait-on le vivier de l'expertise de terrain.

Il est exact qu'actuellement plus de femmes que d'hommes sont contaminées par le VIH-SIDA, et quatre femmes sur cinq contaminées sont en Afrique. La situation est dramatique et, comme l'a souligné Mme Henriette Martinez, leur protection est directement liée à leur statut ; s'il n'évolue pas, leur santé n'évoluera pas non plus. Si elles ne sont pas économiquement indépendantes, elles n'iront pas se faire dépister, elles ne pourront choisir leur sexualité, elles ne pourront acheter de spermicide. D'autre part, la protection contre la transmission mère-enfant est un des moyens les plus efficaces de lutte contre la contamination, mais moins de 5 % des femmes peuvent bénéficier de tels programmes en Afrique. Il en résulte que le risque de transmission materno-infantile y est de 30 % et de 1 % en France. Or l'action nécessaire n'est pas coûteuse, et il y a une obligation morale de prendre en charge le traitement de suite. De même, le risque de contamination de l'enfant par allaitement est de 30 %. On pourrait donc le réduire par l'allaitement artificiel, mais certains comportements sont très ancrés, notamment à l'UNICEF, où l'on explique qu'on ne va pas recommander l'allaitement artificiel après avoir encouragé l'allaitement maternel pendant des années... En résumé, on pourrait faire mieux, davantage et plus efficacement, mais cela ne se fera que sous la pression constante de ceux qui sont conscients que cela passe par l'amélioration du statut des femmes.

Mme Henriette Martinez a demandé comment est utilisé le Fonds mondial. Il sert à réaliser les programmes décrits dans les DCP. Son budget est de 8 milliards de dollars ; des accords de programmes ont été signés pour 5 milliards, et il a décaissé un peu plus de 2,5 milliards. Les frais de fonctionnement de son secrétariat sont financés par les intérêts produits par les fonds versés. Le Fonds, qui n'est pas une agence onusienne, a mis au point des procédures d'évaluation propres. Il faudrait les uniformiser pour renforcer la transparence et lever ainsi les doutes permanents.

M. Paul-Henri Cugnenc : On constate l'illisibilité de notre stratégie. C'est profondément regrettable car un grand nombre d'experts et de personnalités se sont investis sans réserve et ont fait des réalisations exemplaires, mais l'efficacité globale n'est vraiment pas à la hauteur de ce que l'on pourrait espérer. Le schéma d'ensemble manque de cohérence, ce qui suscite des critiques réciproques et nous affaiblit terriblement. L'ambition politique, au moins celle du Parlement, doit être de mieux articuler la politique de coopération sanitaire. Je vous ferai part à ce sujet d'anecdotes éloquentes. Au début des années 1990, à mon arrivée, en qualité de conseiller technique, au cabinet de M. Bernard Debré, alors ministre de la coopération, j'ai pu constater que les travaux d'extension de l'hôpital de référence de N'Djamena avaient commencé, alors que, faute d'eau courante dans l'hôpital, les malades étaient dirigés depuis un an vers un autre établissement... De même a-t-on financé, en Côte d'Ivoire, la construction de deux salles d'opération à Adjamé, alors qu'on en fermait deux autres, parfaitement utilisables, à Cocody, à 3 kilomètres de là, faute de chirurgiens... Et dix ans plus tard, dans le cadre d'une mission chirurgicale au Gabon, nous avons constaté qu'il n'y avait plus de chirurgien à l'hôpital de Franceville et que le seul coopérant français qui restait était un administratif, le directeur de l'hôpital.

Nous serions en droit d'exiger davantage de cohérence et de bon sens, mais je sais que c'est difficile - ainsi, les ONG qui reçoivent des subventions d'un conseil général n'en font même pas état tant elles craignent de ne plus rien recevoir d'autres instances. Or, stratégiquement et politiquement, nous avons besoin de transparence et de lisibilité. Si nous réglons cette quadrature du cercle, nous aurons fait un grand pas.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Je vous remercie pour ces propos pleins de bon sens.

M. Marc Gentilini : Je suis d'accord, moi aussi, avec ces propos. Avec les moyens dont nous disposons, nous devons faire mieux, grâce à une meilleure coordination, au besoin imposée, et à une meilleure lisibilité. C'est vrai que le problème des ressources humaines est capital, et nous insistons sur le rétablissement d'une forme de service civique national.

Je reviens par ailleurs sur le problème des médecins étrangers en France. Membre de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), j'ai appelé l'attention sur ce point pour ne pas aggraver la situation des pays dont les nationaux partent, attirés par des salaires largement supérieurs à ceux qui leur sont offerts sur place. Le Malawi a un médecin pour 100 000 habitants, et sur les 70 inscrits pour un stage à l'extérieur, moins de la moitié sont revenus. La situation est tout aussi dramatique aux Philippines. Réglons les problèmes de disparité entre les médecins qui exercent en France, mais n'aggravons pas la situation. C'est un véritable détournement de cerveaux.

Mme Michèle Barzach : Il y a davantage de médecins béninois en France qu'au Bénin.

M. Marc Gentili : Il y a cinq médecins anesthésistes tchadiens en France, il n'y en a pas un seul à N'Djamena.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Récemment, des députés de la commission ont débattu de cette question, et ils partagent vos préoccupations. Malheureusement, ces mesures xénophiles risquent d'apparaître xénophobes, et le problème semble difficile à régler.

Mme Dominique Kerouedan : Permettez-moi de revenir sur la question de la féminisation du sida en Afrique, où 75 % des jeunes entre 15 et 24 ans infectés sont des filles. J'estime que cette question n'est pas suffisamment abordée par les documents de projets élaborés par les pays. Les groupes à risques ont été ciblés mais les femmes oubliées. Lorsqu'un pays demande à accéder au Fonds mondial, il devrait adapter son projet et ses priorités à sa situation.

Pourquoi les ambassadeurs ou les membres de la Commission européenne s'intéressent-t-il si peu à ces questions de santé ? C'est dès leur formation, à l'ENA, à Sciences Po ou ailleurs, que ces futurs diplomates doivent être sensibilisés aux questions de développement en général et à la coopération sanitaire en particulier. Il convient aussi de sensibiliser l'opinion publique. Des journalistes du Monde, en particulier M. Jean-Yves Nau, m'ont ainsi expliqué qu'ils ne traitaient pas de la coopération sanitaire parce qu'elle n'intéressait personne. Or, n'est-ce pas le rôle des journalistes d'éveiller l'intérêt de l'opinion à ces questions ? Je pense que les députés peuvent nous aider à sensibiliser l'opinion publique sur ce sujet.

Je terminerai en citant le docteur Michel Marquis : « Il me semble que la coopération exige une confiance mutuelle qui ne s'acquiert pas en un jour. Seuls les hommes qui se connaissent peuvent s'apporter mutuellement quelque chose et l'on ne peut se connaître sans rester un minimum de temps ensemble, à essayer de résoudre les problèmes. Seule la durée permet de modifier les hommes et les structures. Seul un technicien ayant une expérience suffisamment longue de terrain dans les pays en développement pourra faire un expert efficace pour des missions courtes ou moyennes. Il faut maintenir les postes de longue durée qui donneront des professionnels ayant l'expérience pour faire de bons experts. C'est à ce prix qu'un bon vivier d'experts sera maintenu. Coopérer, c'est opérer avec. Tout ce qu'un pays ne peut faire seul, peut faire l'objet de coopération et cela comprend les assistants techniques. Si l'aide ne sert qu'à aider les pays à faire seul, c'est de l'assistance ou de l'aide, mais pas de la coopération ».

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales: Nous avons eu raison d'organiser cette table ronde, et nous devons continuer à travailler ensemble pour améliorer cette situation, qui est grave. Les chiffres cités sont dramatiques.

Par ailleurs, comme l'a souligné Robert Toubon, nous devons revenir à une coopération significative, une véritable assistance technique, éventuellement sous forme de service civil ou civique. Nous devons mieux coordonner le désir, l'envie, de chacun des membres des professions de santé de mieux coopérer. Citez-moi un étudiant à l'école de sages-femmes, à l'école d'infirmières, à l'université de médecine qui n'ait pas envie de rendre service aux autres. Lors d'un débat, quelqu'un a un jour osé me dire que nous voulions envoyer nos élèves en Afrique pour qu'ils se forment ! C'est tout le contraire !

Nous devons revoir les réformes déjà entreprises : sont-elles adaptées aux besoins des populations qui souffrent ? Je n'en suis pas sûr. Michèle Barzach l'a dit, nous avons besoin d'efforts, d'actions et de financements durables et nous devons poursuivre notre action.

S'agissant de la Commission européenne, nous, députés, devons essayer d'intervenir. Mais ce qui me désespère le plus, moi qui suis allé sur le terrain, c'est que l'image de la France s'atténue, s'affadit, sans pour autant être remplacée par une autre image, européenne cette fois. Et pendant ce temps, des gens meurent.

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Annexe

Intervention de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités  (1)

Monsieur le Premier ministre,

Madame le Ministre,

Monsieur le Président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,

Mesdames, Messieurs les députés,

Mesdames, Messieurs,

La richesse d'un tel thème ne saurait être résumée en un discours. Pourtant, je voudrais remercier les organisateurs et les participants à cette manifestation, Edouard Balladur et Jean-Michel Dubernard, Philippe Douste-Blazy, Michèle Barzach, Dominique Kerouedan et Marc Gentilini d'avoir ainsi abordé les nombreux aspects de cette question. Deux constats simples doivent guider notre action en matière de coopération sanitaire : premièrement les virus ne connaissant pas les frontières, la sécurité sanitaire doit être un enjeu partagé ; deuxièmement la santé est un bien public mondial, une composante essentielle du développement durable. C'est pourquoi, la coopération sanitaire est une des priorités d'actions de mon Ministère : face aux maladies émergentes et aux grandes pandémies ; pour une recherche mutualisée et l'espoir de trouver plus vite les médicaments de demain ; dans l'urgence d'une catastrophe sanitaire comme encore récemment le tremblement de terre à Java ; dans la longue durée, pour accompagner les pays en développement dans la construction d'un système sanitaire de qualité. Cette coopération sanitaire, nous la voulons multilatérale et surtout européenne, s'appuyant sur les organisations internationales.

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Premièrement, nous devons bâtir des réponses communes face aux grandes pandémies et aux maladies émergentes.

L'épidémie de SRAS, puis la menace de pandémie de grippe aviaire, ont été à l'origine d'une prise de conscience mondiale sur la nécessité d'une réponse coordonnée et multilatérale aux risques sanitaires majeurs. C'est la stratégie mise en œuvre dans le cas de la grippe aviaire car il est évident que c'est seulement en aidant aujourd'hui les pays touchés par l'épizootie et la maladie que nous arriverons à prévenir la pandémie. Ainsi, à la Conférence de Pékin en janvier 2006, la France a mobilisé plus de 26 millions d'euros, soit plus de 10 % des dons réalisés, pour contribuer à une préparation au niveau mondial. Fidèles à notre logique multilatérale, nous avons consacré 10 millions d'euros pour les organisations internationales, le reste allant directement aux pays touchés, pour l'essentiel en Asie. Il est désormais nécessaire d'aller plus loin, notamment en matière d'aides à l'Afrique, qui est actuellement dans une situation dangereuse tant par l'extension de l'épizootie que par le manque de moyens pour l'endiguer.

Depuis le début de l'épidémie, la France a souhaité entretenir des relations privilégiées avec l'OMS et plus généralement avec les organisations internationales, aussi bien par une coopération technique que financière.

Au niveau communautaire, la France s'est engagée pour un renforcement général de la coordination qui passe par des exercices européens tels que le Common Ground et par la proposition que j'ai fait de créer un stock stratégique européen d'antiviraux. Enfin, la France a apporté son soutien aux pays touchés en proposant l'intervention d'experts : en Turquie, au Nigeria et au Niger. Par ailleurs, une mission a été dépêchée en Egypte afin d'étudier la prise en charge des patients.

La gestion des risques sanitaires doit reposer aujourd'hui sur les principes d'anticipation et de transparence. Le XXIè siècle ne sera pas un siècle de certitudes en matière de sécurité sanitaire. Dans ce contexte, la veille sanitaire joue un rôle central, et ne peut rester uniquement nationale. Nous l'avons vu dans les Antilles ou dans l'Océan Indien cette année. La solidarité et la coopération internationales sont plus que jamais nécessaires pour répondre à des réalités globales. À cet effet, nous allons créer un Centre régional de recherche et de veille sur les maladies émergentes, basé à La Réunion et à Mayotte, qui permettra d'orienter la surveillance sanitaire, de susciter les recherches décisives et de mieux nous préparer à gérer les crises de demain.

D'une manière plus générale, je veux souligner la part prise par la France pour la mise en œuvre anticipée d'un outil de surveillance à l'échelle mondiale, le règlement sanitaire international (RSI). La France l'appliquera dès le mois de septembre de cette année. Avec la déclaration obligatoire de tous les évènements pouvant constituer un risque de diffusion internationale des maladies infectieuses, il garantit non seulement la transparence pour chaque Etat, mais aussi entre les Etats. Par ailleurs, la France participe à l'Initiative sur la sécurité sanitaire mondiale, qui vise à renforcer la capacité de réponse à ces risques, à développer les réseaux de laboratoires, à multiplier les exercices. Dans ce cadre, j'ai proposé, le 18 novembre dernier, la création d'une Université mondiale de la Sécurité sanitaire située en France, qui fonctionnerait en réseau, et permettrait l'échange des connaissances et des expériences. Le ministère de la santé a d'ores et déjà débloqué un million d'euros pour développer le pôle OMS de Lyon et jeter les bases de cette future université.

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Deuxièmement, nous devons mutualiser nos énergies pour faire progresser la recherche et l'accès aux médicaments au niveau mondial.

Pour certaines pathologies, nous n'avons pas encore de traitements ; pour d'autres affections, nous avons des traitements, mais la majorité des malades n'y a pas accès. C'est pour cela que nous travaillons sur ces deux axes de la recherche et de l'accès aux thérapies.

Face aux maladies émergentes ou réémergentes, nous sommes parfois dépourvus de réponses thérapeutiques efficaces. C'est pourquoi nous devons accentuer nos efforts de recherche sur ces maladies infectieuses, afin de préparer les traitements de demain. J'ai à cet égard proposé la création d'un Fonds international de recherche sur toutes les maladies infectieuses, connues ou émergentes, car les maladies qui ne nous concernent pas encore sont celles auxquelles nous aurons peut-être à faire face demain.

La mutualisation indispensable des moyens de la recherche au niveau européen constitue un espoir important de voir des thérapeutiques nouvelles émerger. C'est pourquoi a été lancée, à l'initiative de la France, l'Alliance européenne contre le cancer, dont les premières réalisations apparaissent. Par exemple une tumorothèque européenne se met en place ; elle permettra à terme d'importants progrès dans la recherche en génomique et en protéomique. Sur le même modèle, la création d'une Initiative contre les maladies rares a été évoquée. En rassemblant ainsi les énergies sur ces affections qui ne touchent que peu de patients dans chaque pays, nous avons des chances d'aboutir plus vite à des résultats probants.

La réglementation européenne constitue aussi un puisant vecteur d'incitation à la production de traitements, comme l'a montré l'adoption du règlement relatif aux médicaments utilisés en pédiatrie. À l'heure actuelle, en Europe, 80 % des médicaments utilisés jusqu'à présent pour les enfants n'ont pas été testés ou autorisés pour cet usage particulier. Le nouveau règlement va inciter les laboratoires pharmaceutiques européens à développer des formes pédiatriques de médicaments. Ce sont enfin des médicaments spécifiques, totalement efficaces et adaptés, qui pourront être conçus pour traiter les enfants. Cela concernera bien sûr les médicaments qui permettent de lutter contre les trois grandes pandémies que sont le sida, le paludisme et la tuberculose.

C'est justement pour résoudre les difficultés d'accès aux médicaments pour les millions d'habitants de la planète touchés par ces trois grandes pandémies qu'a été conçu UNITAID, présenté par Philippe Douste-Blazy le 31 mai dernier. Ce projet concrétise l'idée de facilité internationale d'achat de médicaments, lancée par les présidents Lula et Chirac. Avec la contribution internationale de solidarité, avec les systèmes des achats groupés et des enchères inversées, nous disposons de tous les outils innovants et de tous les financements pérennes pour donner accès à tous, quels que soient son pays et son niveau de vie, aux médicaments existants qui permettent de traiter ces trois grandes pandémies.

C'est une contribution importante à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) de l'ONU, qui nous rappellent que la santé est un bien public mondial. Je voudrais d'ailleurs à cette occasion souligner la qualité du travail accompli par Pierre Morange dans son rapport consacré à l'évaluation de l'action de la France dans la réalisation des OMD dans le domaine de la santé.

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Troisièmement, nous devons accompagner les pays en développement dans la mise en place de véritables stratégies sanitaires.

Le développement durable d'un pays, c'est parvenir à un système de santé de qualité avec des professionnels bien formés et en nombre suffisant. C'est l'un des axes majeurs de notre coopération sanitaire.

En ce qui concerne le développement de structures de soins pérennes par la coopération, je souhaite insister sur l'action exemplaire du GIP ESTHER. Ce réseau dans le domaine de la lutte contre le VIH met en place, grâce à des jumelages hospitaliers, des actions de coopération en matière de prévention, d'accès aux médicaments, de soutien social, et surtout d'organisation du système de soins. Il intervient dans quatorze pays, principalement en Afrique, et 45 hôpitaux français y participent. Le GIP ESTHER est un modèle de coopération sanitaire qui développe des compétences sur place ; il s'inscrit parfaitement dans la nouvelle logique des ressources humaines dans le domaine de la santé mondiale.

En effet, il ne suffit pas de fournir des médicaments, développer des structures dans les pays en développement ; encore faut-il qu'il y ait des professionnels de santé en nombre suffisant pour les distribuer, les prescrire. C'est pourquoi la France soutient l'alliance mondiale de l'OMS pour les ressources humaines en santé, en portant ce sujet dans les différentes enceintes internationales comme la session spéciale de l'Assemblée des Nations Unies consacrée au sida le 2 juin dernier à New York ou la réunion des ministres de la santé du G 8 à Moscou, le 28 avril.

Les ressources humaines en santé doivent être prises en compte dans toutes les actions de coopération en matière de santé. La France cherche ainsi à permettre aux professionnels de santé de se former dans leur pays, au plus proche de la population, au plus proche des besoins sanitaires locaux.

L'accueil de professionnels de santé de pays en voie de développement n'a de sens que s'il se fait dans les spécialités qui correspondent aux besoins de santé locaux et débouchent sur un emploi local. C'est ce qui se fait d'ores et déjà avec certains pays, comme l'Arabie Saoudite. Mais dans d'autres pays, les professionnels formés ne trouvent pas sur place des conditions de travail décentes. C'est pourquoi la réflexion sur la démographie médicale mondiale est indissociable de celle sur l'édification de systèmes de santé viables et financés dans les pays en développement.

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Enfin, nous devons construire des réponses efficaces aux situations de catastrophe sanitaire.

Tremblements de terre, ouragans, tsunami, telles sont les différentes catastrophes qui touchent régulièrement notre planète. Chaque jour nous devons nous préparer à réagir à une nouvelle crise. Tous les jours des personnes décèdent des suites d'une catastrophe naturelle qui devient catastrophe sanitaire. Le récent tremblement de terre à Java, comme celui survenu au Pakistan il y a quelques mois, a renforcé ma détermination à créer très prochainement, en lien avec le ministre des affaires étrangères, une force française d'aide médicale humanitaire. Car notre modèle d'urgence, très spécifique par ses capacités de projection et sa volonté de traiter le patient sur place, suscite beaucoup d'intérêt ; la France fait partie des pays a qui l'on demande son expertise médicale. Nous exportons ainsi dans plusieurs pays nos services d'aide médicale urgente (SAMU) et notre savoir-faire en médecine. Par exemple, actuellement, nous aidons les services médicaux d'urgence chinois dans le cadre de la préparation des jeux olympiques à Pékin, afin de mettre en place un service médical d'urgence, et nous menons une coopération avec le Maroc afin de mettre en place des SAMU et structurer leurs urgences.

Ces réponses efficaces aux situations d'urgences peuvent aussi se bâtir au niveau européen. Le rapport de Michel Barnier sur la force de protection civile souligne l'importance de nous préparer à des crises de protection civile qui peuvent devenir rapidement des crises de santé publique. Je tiens à remercier personnellement Michel Barnier pour la qualité de ce travail à la fois concret, réaliste et imaginatif. Et je pense qu'il y a une place à prendre dans EuropeAid pour l'action sanitaire d'urgence.

Je voulais d'ailleurs rappeler que les coopérations sanitaires commencent à l'échelle de l'Union, à nos frontières. L'Europe de la santé - et particulièrement les coopérations transfrontalières - favorise la circulation des patients et des personnels de santé et assure un accès plus rapide à des soins de qualité en organisant de façon cohérente l'offre de soins dans des espaces aujourd'hui largement ouverts et intégrés. Les accords transfrontaliers, comme ceux que nous avons signés avec la Belgique, l'Allemagne, et que nous souhaitons signer avec l'Italie ou l'Espagne, apportent la preuve, au quotidien, de ce que l'Europe peut changer pour ses citoyens.

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·coopération sanitaire

1 () distribuée aux commissaires.


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