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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 51

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 juin 2006
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Réunion de travail avec une délégation de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag

  
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Réunion de travail avec une délégation de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag

Après avoir déclaré qu'il était extrêmement heureux d'accueillir les membres de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag à Paris, M. Edouard Balladur, Président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, a rappelé que, depuis la réunion commune qui s'était déroulée à Berlin en 2003 à l'occasion du quarantième anniversaire de la signature du traité franco-allemand de l'Élysée et qui avait été, en grande partie, consacrée à la guerre en Irak, les deus commissions s'étaient réunies chaque année pour traité de l'actualité internationale. Il a indiqué qu'il attendait avec beaucoup d'intérêt de connaître les vues de ses collègues allemands sur les trois sujets à l'ordre du jour : l'avenir de l'Union européenne ; la question nucléaire en Iran ; les problèmes énergétiques.

M. Ruprecht Polenz (groupe CDU/CSU), Président de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag, a remercié le Président Edouard Balladur pour l'accueil réservé à la délégation allemande. Exprimant son plaisir d'être à Paris ce jour, il a évoqué l'ambiance formidable qui régnait en Allemagne avec l'organisation de la Coupe du monde de football et a félicité la France pour sa brillante victoire face à l'Espagne. Il a considéré que les séances de travail communes entre les deux Commissions des Affaires étrangères renforçaient les liens entre l'Allemagne et la France et permettaient, le mieux possible, d'harmoniser les positions entre les deux pays et de dégager des possibilités d'action.

Après avoir indiqué qu'il allait faire état de réflexions personnelles, la Commission des Affaires étrangères n'ayant pas adopté de position officielle sur ce sujet, le Président Edouard Balladur a considéré que, pour l'avenir de l'Union européenne, un accord franco-allemand était absolument indispensable. Le calendrier de la présidence de l'Union européenne - exercée par l'Allemagne au premier semestre 2007 puis par la France au second semestre 2008 - le permettra sans doute, sachant qu'il est souhaitable de définir l'avenir de l'Union européenne le plus tôt possible. Après le rejet par la France et les Pays-Bas du traité établissant une Constitution pour l'Europe, il paraît extrêmement improbable que la question de la ratification de ce traité soit reposée à ces deux peuples dans les mêmes termes. Certains envisagent le retrait de la troisième partie du traité constitutionnel avant de le soumettre à nouveau au vote ; ce n'est pas la meilleure formule. On observe d'ailleurs que de grands pays européens ne se sont pas prononcés sur ce traité ; il n'est pas certain qu'ils le ratifient. Il serait en réalité plus avisé de mieux déterminer, avant toute chose, l'idée que nous nous faisons de l'avenir de l'Europe.

Il nous faut rassembler les pays européens dans l'ordre et l'efficacité. Ce n'est pas actuellement le cas. Nous avons ainsi déjà éprouvé beaucoup de difficulté à nous mettre d'accord sur les perspectives financières pour 2007-2013. Prendre des décisions à vingt-sept membres, voire plus, sera, par définition, plus compliqué qu'à quinze. Il faut donc trouver des solutions pour éviter la paralysie.

Le Président Edouard Balladur s'est déclaré favorable à l'extension des domaines dans lesquels le Conseil de l'Union peut statuer à la majorité qualifiée. Mais cela suppose alors que l'on tienne un compte plus juste du poids démographique et économique respectif des Etats membres. Des différences notables existent aujourd'hui entre les Etats puisque, par exemple, en ordre de grandeur, l'Allemagne compte un député européen pour plus de 800 000 habitants et Malte un député pour 80 000 habitants.

Par ailleurs, il n'est pas possible que tous les Etats membres de l'Union progressent du même pas dans tous les domaines. C'est pourquoi il faut développer les coopérations spécialisées entre les Etats membres qui les souhaitent, comme c'est le cas aujourd'hui en matière de défense ou même monétaire avec la zone euro.

Le Président Edouard Balladur a considéré que, tant que l'Union n'aura pas résolu ses problèmes de fonctionnement interne, il sera imprudent d'aller plus loin dans la voie de l'élargissement pour des raisons institutionnelles, économiques et budgétaires. Les parlementaires français s'expriment très régulièrement pour qu'une pause soit marquée dans l'ouverture de l'Union ; or au plan européen, on semble poursuivre dans la voie de l'élargissement sans tenir compte de telles mises en garde. Il est temps d'adopter une attitude plus cohérente.

M. Eckart von Klaeden, porte-parole du groupe CDU/CSU, a constaté que les peuples se faisaient entendre à retardement, indiquant que la Commission européenne admettait aujourd'hui que le fait de s'être engagé sur une date pour l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne - indépendamment de l'évaluation de critères qualitatifs - avait été une erreur. Il a ensuite indiqué qu'il existait en Allemagne une conscience de plus en plus forte du défi que représente pour l'Europe le développement du continent asiatique. Dans ce contexte, il faut convaincre les citoyens que l'idée européenne doit progresser ; cela suppose de se tourner vers le futur plutôt que vers le passé.

En ce qui concerne l'avenir du traité constitutionnel européen, M. Eckart von Klaeden a regretté le caractère trop technique du débat lors de la campagne référendaire en France. Au-delà d'un traité fondamental, il serait souhaitable de s'accorder sur une déclaration politique qui mette en avant l'existence de l'Union européenne. Il faut éviter en effet se concentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire un contenu politique.

S'exprimant sur l'élargissement, il a salué les progrès accomplis par l'Union européenne depuis 1989, grâce aux élargissements successifs. L'Union européenne a joué un rôle décisif dans l'évolution des pays d'Europe centrale et orientale, qui sont devenus des démocraties stables respectueuses des règles de l'économie de marché. Il a insisté sur la responsabilité des élites, en particulier dans les Balkans, pour convaincre les populations de la nécessité des réformes. Puis il a estimé qu'il ne fallait pas conditionner les élargissements futurs au règlement préalable des problèmes internes à l'Union, car cela pourrait donner le sentiment aux pays concernés que l'Europe leur ferme la porte. Tout en plaidant pour une évolution de la politique européenne de voisinage, il a rappelé les conclusions du Conseil européen qui, au début des années 1990, a reconnu à tous les pays géographiquement européens la vocation de rejoindre l'Union.

Il est nécessaire de faire preuve de flexibilité dans le fonctionnement de l'Europe élargie, ce qui pourrait conduire à l'instauration de coopérations renforcées et à l'émergence de « cercles concentriques ». Dans cette hypothèse, il conviendra toutefois de veiller à ce que le cercle initial soit le plus large possible.

S'exprimant sur l'avenir des institutions, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir quelle était la position de l'Allemagne sur une éventuelle modification du Traité constitutionnel, notamment dans sa 3ème partie. Puis il a précisé sa position sur l'élargissement en indiquant qu'il ne souhaitait pas fermer la porte à de nouveaux pays mais qu'il demandait seulement de surseoir à tout nouvelle adhésion dans l'attente d'un règlement du problème institutionnel, qui pourrait intervenir dans les deux prochaines années. L'élargissement aux pays des Balkans n'est pas envisageable avec les règles institutionnelles actuelles ; en tout état de cause, aucune adhésion nouvelle - mis à part la Bulgarie et la Roumanie - n'est prévue dans un avenir proche.

M. Harald Leibrecht (groupe FDP) a estimé qu'il fallait accepter le résultat du référendum français du 29 mai 2005, que la France avait eu le courage d'organiser, remarquant qu'il était loin d'être certain qu'une procédure similaire en Allemagne eût conduit à la victoire du oui et que, nonobstant l'impossibilité constitutionnelle de recourir à cette procédure, l'Allemagne avait en quelque sorte contourné l'obstacle. Il a jugé que le traité constitutionnel avait représenté une occasion manquée pour l'Union européenne de convaincre certains citoyens européens de dépasser leurs peurs. S'agissant de l'hypothèse avancée par certains de supprimer la troisième partie du traité, il l'a estimée difficile à défendre, en ce qu'elle impliquait, pour les pays qui avaient déjà ratifié le traité, de reprendre toute la procédure ; dans le même temps, il a convenu que la France et les Pays-Bas ne sauraient soumettre à leurs peuples un projet de traité strictement identique, faisant observer l'extrême difficulté, dans ces circonstances, de trouver une solution.

Concernant l'élargissement de l'Union, il a fait part de ses réserves sur l'entrée de la Turquie dans l'Union, qui suscitait d'importants débats en Allemagne, et expliqué, s'agissant de l'Ukraine, de la Biélorussie et de la Géorgie, que, alors que leurs perspectives d'adhésion étaient encore très éloignées, il fallait néanmoins leur donner des perspectives dans la mesure où ils souhaitaient se découpler de la Russie sans être pour autant prêts à rejoindre l'Union. Il a reconnu la difficulté qui existait de faire accepter ce projet aux citoyens de l'Union, les citoyens allemands n'ayant, pour leur part, pas encore assimilé le fait que dix nouveaux pays d'Europe centrale et orientale avaient rejoint l'Union européenne. Il a expliqué que son groupe (FDP) avait pris position en faveur d'un ralentissement de l'élargissement de l'Union européenne, au profit d'un recentrage sur les questions internes.

M. Pierre Lequiller, rejoignant l'analyse du Président Edouard Balladur, a estimé que la position consistant à affirmer le rôle déterminant de « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution » posait des difficultés à la France : sans qu'il soit question de quelque arrogance que ce soit, il importait de prendre en compte la réalité. Il a souhaité savoir si l'Allemagne comptait profiter de ce qu'elle exercerait la présidence du conseil européen pour faire progresser de manière déterminante le débat institutionnel européen : évoquant la proposition de Mme Angela Merkel d'adjoindre un protocole social au projet de traité constitutionnel et les suggestions visant au retrait de la troisième partie de ce projet, il a demandé si, pendant sa présidence, l'Allemagne pourrait envisager de proposer à ses partenaires des solutions institutionnelles alternatives qui pourraient être discutées jusqu'à la présidence française.

Mentionnant ensuite l'appétit extraordinaire des pays candidats pour rejoindre l'Union, et faisant à ce propos référence au débat sur l'élargissement de l'Union à la Roumanie et la Bulgarie qui s'était tenu à l'Assemblée nationale le mardi 27 juin, lors de l'examen des projets de loi de ratification des traités afférents, il a regretté que, de son côté, l'Union européenne ne se pose jamais la question de son intérêt à absorber de nouveaux pays. S'agissant de la question de la capacité d'absorption de l'Union européenne, il a estimé que si l'Europe avait eu intérêt à sa réunification, l'Union européenne n'avait en revanche pas intérêt à un élargissement continu et devait se poser la question de ses limites. Une réflexion de fond devait être menée sur les frontières de l'Europe. Or, si l'Union accepte la Turquie en son sein, pourquoi refuser l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie, voire l'Arménie ? M. Pierre Lequiller, se déclarant hostile à l'élargissement de l'Union à la Turquie, a jugé nécessaire d'approfondir la notion de partenariat privilégié, d'ailleurs présente dans le traité de projet constitutionnel, qui permettait de fonctionner comme un sas d'entrée non automatique dans l'Union européenne. Il s'est déclaré favorable, en complément, à un approfondissement de la politique européenne de voisinage pour répondre à l'aspiration des nombreux pays qui souhaitent nouer des liens formels avec l'Union européenne.

Faisant écho à ces propos, le Président Edouard Balladur s'est enquis de savoir si l'Allemagne entendait dresser la liste des questions en suspens et proposer des solutions alternatives lors de l'exercice de sa présidence, envisageait de réfléchir au problème des frontières de l'Europe et de son intérêt propre à l'élargissement, et enfin si l'Allemagne souhaitait lancer une réflexion sur l'organisation des partenariats privilégiés.

M. Gert Weisskirchen, porte-parole du groupe SPD, a estimé qu'il était difficile de répondre à ces questions dans la phase actuelle de réflexion que connaissait l'Allemagne concernant le contenu et les objectifs de sa présidence : quelles initiatives lancer ? Quel profil donner à cette présidence ? C'est du dialogue avec la France que pourront être dégagés les contours de la présidence allemande du Conseil européen. Il a néanmoins souligné qu'un message clair s'imposait à l'égard des citoyens concernant l'avenir institutionnel de l'Union, alors que quinze pays s'étaient prononcés sur le projet de traité constitutionnel, sous des formes diverses, et qu'il était probable que seule une minorité de pays le refuseraient in fine. Dans cette situation difficile, la coopération franco-allemande s'imposait d'autant plus que le projet européen était privé d'avenir sans elle. Il a jugé que la première réponse claire pour répondre aux préoccupations des citoyens consistait à souligner le grand succès que représentait le moment historique que nous vivions avec la construction européenne. La seconde réponse consistait à définir clairement le projet européen, au-delà des sujets abstraits contenus dans le traité. Le résultat du référendum français s'expliquant largement par des peurs liées à la vie quotidienne et aux questions sociales, c'est à cela qu'il importait de répondre de manière constructive, en complément au projet de traité constitutionnel. Il a espéré que le cinquantième anniversaire du traité de Rome en 1957 serait célébré à la hauteur de l'événement et que cela permettrait de dépasser les difficultés actuelles, en remettant la construction européenne au cœur du débat.

M. Jacques Myard a tout d'abord indiqué qu'il avait voté non au référendum sur la constitution européenne, qu'il pensait être dans le vrai, et s'est dit convaincu que l'élargissement est inéluctable. Par ailleurs, il a estimé que le projet européen tel qu'il est conçu actuellement est un projet d'intégration, une forme de jacobinisme bruxellois. Or l'Europe doit appliquer le principe de la subsidiarité ; on ne peut gouverner à 27 membres comme on le faisait à six. L'Europe s'étant élargie, elle doit maintenant s'amaigrir et s'en tenir à l'essentiel. La nécessité d'une refondation intellectuelle s'impose si le projet européen ne veut pas mourir.

M. Norman Paech, porte-parole du groupe Die Linke, s'est dit très heureux que les peuples français et néerlandais aient dit non au référendum sur la constitution européenne, non pas tout simplement pour des raisons de réforme institutionnelle mais de vie quotidienne, économique et sociale. Par ailleurs, ce n'est pas en éliminant la troisième partie de cette constitution européenne que l'on résoudra le problème. Il faut retrouver les bases, la philosophie de ce traité. Il faut débattre du caractère néolibéral de notre système économique et du peu de place donnée aux aspects sociaux dans le traité, tout comme de la constitution d'une structure militaire distincte de l'OTAN. S'agissant de l'élargissement, la Turquie ne doit pas rester à l'extérieur de l'Union européenne. Il est essentiel de reconnaître l'évolution démocratique dont elle a fait preuve depuis dix ans.

Le Président Edouard Balladur a tenu à préciser qu'il n'avait pas exprimé le souhait de retirer du traité constitutionnel européen la troisième partie pour reprendre ce traité tel quel, mais qu'il s'agissait là d'une thèse développée par certains. Il a considéré qu'il était nécessaire de revoir les règles du calcul à la majorité et la répartition des voix attribuées à chaque pays.

Le Président Ruprecht Polenz a ensuite abordé le deuxième thème de discussion consacré au nucléaire iranien. Depuis longtemps, la question de l'Iran est fondamentale dans la politique de sécurité européenne dans la mesure où si l'Iran n'envisage pas de se doter d'un seul programme nucléaire civil mais envisage de se doter de l'arme atomique, il s'agit d'une course aux armements et cela constitue une menace pour Israël mais aussi pour l'Europe. Actuellement, la proposition de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne est sur la table et bénéficie de l'appui de l'Union européenne, de la Chine, de la Russie et des Etats-Unis. Cette proposition contient un message clair : l'Iran doit choisir entre une coopération sur la base de cette offre ou l'isolement. Par ailleurs, rien ne peut se faire sans les Etats-Unis qui, fait notable, ont changé d'orientation, si bien que la proposition actuellement sur la table offre la possibilité de dépasser ce débat sur l'énergie nucléaire pour arriver à une détente dans la région du Moyen-Orient où la relation entre Téhéran et les Etats-Unis est très tendue. Revenant sur son récent voyage en Iran, où il a eu la possibilité de rencontrer les principaux représentants politiques iraniens, le Président Ruprecht Polenz a souligné à cet égard combien la communauté internationale ne percevait pas vraiment qu'il ne s'agit pas seulement, en Iran, d'un conflit entre les Etats-Unis et l'Iran, mais d'un conflit entre l'Iran et la communauté internationale. C'est cette perception différente des choses en Iran qui rend importante la nécessité pour la communauté internationale de serrer les rangs. La Russie et la Chine elles non plus ne veulent pas de l'arme nucléaire en Iran et souhaitent le respect du traité de non prolifération (TNP). Il faut, dans les négociations, obtenir des garanties objectives quant à l'utilisation civile de l'énergie nucléaire, tout comme il faut que l'Iran renonce pour une période à déterminer à boucler le cycle d'enrichissement de l'uranium et à utiliser l'énergie nucléaire au plan militaire. Depuis l'époque de la guerre contre Saddam Hussein, l'Iran a développé une tendance, un goût pour l'autonomie, l'autarcie qui passe par la maîtrise de la totalité du cycle nucléaire. Celle-ci est synonyme d'indépendance. Si l'Iran n'est pas disposé à réapposer des scellés sur la centrale de Natanz, il y a toutefois une volonté de prendre en compte les réserves et les objections de la communauté internationale et de discuter de contrôles effectués par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Mais l'Iran se refuse à renoncer à la capacité d'enrichir de l'uranium et se sent en position de force : des sanctions économiques seraient sans effet eu égard aux réserves d'énergie dont le pays dispose, et par ailleurs la Russie, la Chine et éventuellement le Japon, sont réservés sur la possibilité d'exercer de telles sanctions. Dans ces conditions, et si l'Iran refuse d'accepter les conditions préalables telle que la poursuite du programme d'enrichissement, le Conseil de sécurité de l'ONU va être saisi, mais l'adoption d'une résolution avec l'abstention de la Chine et de la Russie sera perçue comme un soutien et n'impressionnera pas l'Iran. Si cette phase de confrontation arrive, notre intérêt est que l'Iran ne puisse pas présenter ce conflit comme un conflit entre lui-même et les Etats-Unis, c'est-à-dire l'Occident, car cela ferait le jeu de Téhéran. Il faut tout faire pour conserver la Chine et la Russie à nos côtés et isoler politiquement l'Iran. S'agissant du calendrier, si l'Iran est proche de la bombe, il lui resterait encore cinq à dix ans pour en disposer totalement.

Le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il avait l'impression que les réactions iraniennes aux propositions faites par la Communauté internationale étaient divergentes. Certaines sont clairement opposées à toute évolution des positions iraniennes, d'autres apparaissent ouvertes à une discussion sur la base de la proposition occidentale. Il a demandé au Président Polenz son impression sur l'influence respective de ces différentes opinions en Iran.

Le Président Ruprecht Polenz a rappelé que c'était l'ayatollah Khamenei qui avait le dernier mot dans ce domaine et que l'on assistait à une lutte entre les différents courants pour l'influencer. Il ne revient donc pas au président Ahmadinejad de prendre la décision dans ce domaine. Son refus du dialogue s'explique par sa volonté de maintenir la pression internationale contre l'Iran afin d'unir les électeurs autour de lui et de consolider le régime. Les proches de M. Rafsandjani sont plus modérés et disposés à la négociation, même si M. Rafsandjani lui-même, en visite à Berlin, il y a quelques jours, s'est prononcé contre la fermeture de l'usine de Natanz. Les hommes d'affaires, qui souhaitent l'intégration de l'Iran dans la mondialisation économique ne sont pas non plus partisans d'un conflit et le parti d'opposition autorisé, que dirige le frère de l'ancien président, considère, dans un document dont la distribution est interdite en Iran, que la proposition occidentale formulée en 2005 était acceptable. Pour ce parti, la question du nucléaire est utilisée par le pouvoir pour éviter d'autres sujets qui mériteraient d'être débattus.

Le Président Ruprecht Polenz a rappelé que le Groupe de crise internationale (International Crisis Group, ICG) avait formulé une proposition différente de celle du Groupe des Six afin de tenir compte du rejet iranien de celle-ci : l'ICG considère que le conflit peut être résolu si l'Iran accepte la mise en œuvre des modalités de contrôle prévues par le protocole additionnel, la poursuite, aux conditions et sous le contrôle de l'AIEA, du fonctionnement des cent soixante quatre centrifugeuses qui existent déjà, et le renoncement à toute activité liée au développement d'un programme nucléaire militaire. La France comme l'Allemagne sont apparues hostiles à cette proposition. Quelle est l'opinion des membres de la Commission ? Quelle forme pourrait, selon eux, prendre la « pression commune » susceptible d'être exercée sur l'Iran ?

Le Président Edouard Balladur a estimé qu'exercer une « pression commune » était possible à condition que les Etats concernés en aient la volonté et la jugent utile. Or, il semble que l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne soient pas unanimement convaincus de son utilité, tandis que la Chine et la Russie apparaissent pour le moins réservées. Les expériences passées de sanctions internationales permettent en outre d'émettre des doutes quant à la réalité de leur efficacité. Force est de constater que la seule sanction vraiment efficace est la guerre, et encore ne l'est-elle qu'à court terme ; l'expérience de la guerre en Irak ne peut que conduire à la prudence. La présence, en Iran même, de partisans de la négociation permet d'espérer une solution pacifique, en particulier si la Russie se prononce clairement en sa faveur.

M. Otto Schily (groupe SPD) a souligné l'importance des enjeux de la crise iranienne. On peut craindre que des sanctions économiques entraînent l'emballement du processus. Alors que la France est connue pour avoir accueilli, à toutes les époques, un grand nombre d'opposants iraniens, ne dispose-t-elle pas de la possibilité d'exercer une influence à travers eux ? Il aurait certainement fallu régler ces problèmes lorsque M. Khatami était au pouvoir, mais il semble qu'il reste possible d'utiliser les incohérences du système politique iranien pour faire aboutir la négociation.

M. Otto Schily a dit partager le scepticisme du Président Edouard Balladur quant à l'efficacité des sanctions économiques qui auraient pour effet principal de renforcer la position du Président Ahmadinejad. M. Khatami lui-même est récemment apparu à ses côtés. L'optimisme qui a prévalu à la suite de la rencontre de Shanghaï doit être tempéré, car les réunions bilatérales qui se sont tenues depuis ont mis en évidence la persistance de désaccords.

Le Président Edouard Balladur a jugé que la capacité d'influence de la France, tout comme celle de l'Allemagne, ne devait pas être surestimée. Il n'est plus guère de pays qui puissent exercer une influence directe sur les autorités d'un autre Etat !

M. Jacques Myard a déclaré que les Occidentaux se trompaient lorsqu'ils doutaient de la pérennité du régime iranien ; en fait, les opposants sont réduits à l'impuissance. Pour ce qui est du programme nucléaire, la question principale est celle de la localisation, en Iran ou à l'étranger, de l'enrichissement de l'uranium. Le 6 avril 2006, l'ambassadeur d'Iran auprès de l'Organisation des Nations unies a indiqué que son pays serait prêt à accepter l'application du protocole 93 qui renforce les contrôles sur les installations nucléaires et les inspections relatives à l'utilisation de l'uranium enrichi. Mais il n'a pas abordé la question du lieu de l'enrichissement. En fait, le traité de non-prolifération autorise les Etats signataires à enrichir l'uranium sur leur territoire à condition qu'il soit utilisé exclusivement dans le domaine civil. La diplomatie allemande a-t-elle considéré que cette lettre du 6 avril 2006 constituait une proposition sérieuse ?

Le Président Edouard Balladur a rappelé que l'Iran pouvait, en tant que signataire du traité sur la non-prolifération, enrichir de l'uranium à des fins civiles, pour peu que ce pays se soumette à tous les contrôles prévus par le traité. Or l'Iran ne s'est jamais soumis réellement à ces contrôles, et n'a pas non plus manifesté l'intention de le faire.

Le Président Ruprecht Polenz a ajouté que le traité ouvrait droit à l'enrichissement de l'uranium sous réserve qu'il soit renoncé à tout objectif militaire. Or, concernant l'Iran, tous les doutes sont possibles. On a découvert dans ce pays, en 2002, des programmes qui confortaient ces doutes. Un tel enrichissement paraît justifié dès lors qu'on a besoin de mettre en réseau dix centrales nucléaires, ce qui n'est pas le cas de l'Iran. Il est ainsi curieux de se doter d'uranium enrichi alors qu'on n'en a pas, pour l'heure, l'utilité d'un point de vue civil.

On constate aussi que l'Iran a enterré ses installations nucléaires avec des précautions peu courantes pour des installations qui devraient être purement civiles. On observe, en outre, que l'Iran entend développer des installations à eau lourde alors que celles-ci sont remplacées partout ailleurs par des réacteurs à eau légère, hormis une seule exception au Canada. Ce fait est troublant lorsque l'on sait que cette technologie est précisément celle qui permet de produire du plutonium, indispensable pour fabriquer des armes nucléaires. Un autre fait significatif est le développement par l'Iran de missiles balistiques ayant une portée de 1500 km, dont l'intérêt stratégique repose principalement sur la capacité de les doter d'ogives nucléaires.

La résolution du Conseil des gouverneurs de l'AIEA montre que plusieurs autres questions ne sont pas éclaircies. Pourquoi, par exemple, l'Iran s'intéresse-t-il à l'uranium sous forme de métal, ce qui est sans intérêt pour une utilisation à des fins civiles ? Les contrôles effectués par l'AIEA ont permis cependant de résoudre certaines questions. On a pu ainsi déterminer que les traces d'uranium enrichi à 80 ou 90 % sur certaines centrifugeuses installées en Iran s'expliquaient par le fait que ces matériels provenaient du Pakistan où ils n'avaient pas été correctement dépollués.

Le traité sur la non-prolifération connaît d'évidentes faiblesses. En Allemagne, on dit parfois que l'on peut plus facilement dénoncer ce traité que se séparer d'un salarié. Le risque est bien que l'Iran - faute d'une confiance réciproque restaurée - développe des armes en se retirant du traité. Ce pays n'a pas respecté jusqu'à ce jour le principe de transparence qui s'attache à l'application de ce texte international. Il devra assumer les conséquences d'une telle attitude.

Soulignant le lien avec la question du nucléaire en Iran, le Président Edouard Balladur a alors ouvert la discussion sur le thème de la politique européenne de l'énergie et a mentionné la création, par la Commission des Affaires étrangères, d'une mission d'information sur la géopolitique de l'énergie.

M. Paul Quilès a tout d'abord indiqué qu'il revenait d'un séjour aux Etats-Unis où il avait rencontré des responsables américains du Département d'Etat et du ministère de la Défense ainsi que des scientifiques. Il a fait part du pessimisme de ses interlocuteurs quant à la possibilité d'un règlement de la crise iranienne. Or le passage du nucléaire civil au nucléaire militaire peut s'opérer en quelques années seulement. Une solution militaire n'aurait aucun sens au vu des risques encore plus importants qu'en Irak. Quant à l'option de sanctions commerciales, elle n'est pas prise au sérieux par l'Iran qui peut compter sur le soutien de la Chine pour s'y opposer au Conseil de sécurité des Nations Unies. L'Iran est en effet le premier fournisseur de pétrole de la Chine. Puis il a rappelé que le Pakistan, l'Inde et Israël, qui n'ont pas signé le traité de non prolifération nucléaire (TNP), disposent officiellement ou officieusement de l'arme nucléaire. La seule note optimiste réside dans les failles qui existent dans la sphère politique iranienne alors même que la question nucléaire - civile et militaire - fait consensus au sein de la société iranienne. Les positions publiques exprimées par le Président iranien sont de nature idéologique et rassemblent le peuple iranien.

M. Paul Quilès a ensuite évoqué le contexte énergétique mondial, exprimant sa conviction que le prix de l'énergie restera durablement élevé. La crise actuelle n'est pas cyclique mais durable, et il faut en mesurer les conséquences économiques, sociales, climatiques et diplomatiques. La Commission européenne a publié au printemps dernier un Livre vert sur l'énergie qui, tout en analysant parfaitement la situation actuelle, n'est qu'un recueil de vœux pieux. Rappelant que la construction européenne s'était d'abord faite avec le charbon, l'acier et l'atome, il s'est demandé si l'Europe pouvait aujourd'hui se relancer autour d'une politique de l'énergie - une nouvelle Communauté Européenne de l'Energie - aux dimensions multiples : recherche et développement, relations extérieures, incitations règlementaires à l'égard des particuliers et des entreprises. Au cours des prochaines années, l'énergie devrait être un thème structurant pour l'Europe.

M. Paul Quilès a ensuite souhaité savoir si la position de l'Allemagne avait évolué sur la question nucléaire et si, au-delà des questions énergétiques, l'Allemagne considérait la Russie comme un partenaire fiable de l'Union européenne.

Le Président Ruprecht Polenz a rappelé qu'il n'existait pas de consensus en Allemagne sur la question de l'énergie nucléaire. Il a considéré que la crise de l'énergie étaitt effectivement structurelle : en matière pétrolière, les besoins mondiaux étaient, il y a dix ans, inférieurs de 10 à 15 % à l'offre ; aujourd'hui, ce taux est de 1 %, ce qui signifie que le moindre choc, réel ou supposé, entraîne une forte tension sur les marchés et des hausses de prix. Par ailleurs, l'Union européenne est confrontée à une croissance de ses besoins énergétiques (pétrole, gaz naturel) et à la réduction prévue de la production des énergies fossiles en Europe, ce qui impose la croissance, et la diversification, de l'approvisionnement énergétique extérieur de l'Union ; dans ce contexte, la Russie apparaît évidemment essentielle pour la sécurité d'approvisionnement de l'Union. Il faut noter que, même durant la guerre froide, la Russie a toujours été un partenaire énergétique fiable. Il n'en reste pas moins que la diversification des fournisseurs de l'Union est nécessaire, par exemple en Afrique ou au Moyen-Orient.

Il a estimé que la question d'une politique énergétique européenne posait d'un côté la question de la compétence de l'Union par rapport aux pays membres, d'un autre côté celle de l'Union comme espace d'approvisionnement unifié. Il est certain qu'un tel espace, alors que notre dépendance pétrolière et gazière va croissant, nous permettrait de peser davantage à l'égard des fournisseurs. Les États membres doivent en outre mener une politique active d'économies d'énergie et développer les énergies renouvelables, même si aucune de ces solutions ne fera disparaître la dépendance énergétique de l'Union.

M. Jürgen Trittin (groupe Bündnis 90/die Grünen) a estimé que, pour garantir la sécurité des approvisionnements de l'Union européenne, la diversification représentait une nécessité, même s'il fallait continuer de travailler avec la Russie en raison de la concordance des scénarios montrant l'inéluctable hausse de la demande européenne en gaz naturel. L'imbrication des économies européennes et russes permettra d'ancrer la Russie dans la stabilité, ce qui est dans notre intérêt. Tel est l'un des enjeux du prochain sommet du G 8 de Saint-Pétersbourg. Il a jugé que le livre vert publié le 8 mars dernier par la Commission européenne visait à surmonter les points noirs de la politique énergétique des États membres, notamment en insistant sur la nécessité de traiter la question énergétique dans les transports, en termes d'efficacité énergétique tout particulièrement. Il a estimé que, si les constructeurs automobiles européens ne tenaient pas leurs engagements en matière d'émissions de gaz à effet de serre, des mesures devraient être prises au plan européen.

M. André Schneider a rappelé qu'il avait récemment présenté au nom de la Délégation pour l'Union européenne, un rapport intitulé « L'après-pétrole en Europe » visant à répondre aux questions posées par le Livre vert de l'Union européenne sur l'efficacité énergétique. Les experts sont unanimes pour estimer que les réserves mondiales de pétrole correspondent à environ 40 années de production, les réserves de gaz entre 60 et 80 années de production et celles de charbon de l'ordre de 200 années.

A l'issue d'une série d'auditions, il est apparu que tous les Etats européens étaient plus moins réticents à une politique européenne de l'énergie qui entraînerait pour chacun d'eux une perte d'autonomie, voire d'indépendance. L'Allemagne a décidé de cesser de produire de l'électricité nucléaire, mais la centrale de Wesenheim vend une partie de sa production outre Rhin. Il est à craindre que le développement des énergies renouvelables ne progresse guère tant que les constructeurs automobiles et le monde agricole ne parviendront pas à s'entendre.

Les Français comme les Allemands ont fait des efforts en matière d'économie d'énergie qui ont permis de réduire la consommation par habitant à un niveau de 3,8 fois inférieur à celui de la population des Etats-Unis. Une directive européenne non contraignante prévoit d'économiser 20 % de la consommation énergétique européenne en 20 ans. Il est tentant de demander que cet objectif soit transformé en obligation mais la respecter sera particulièrement difficile pour les Etats qui, comme la France ou l'Allemagne, ont déjà amélioré leur efficacité énergétique. Il ne fait guère de doute que l'énergie du futur, ce sera l'économie d'énergie.

Se félicitant de l'intérêt des débats, le Président Edouard Balladur a conclu que les Commissions des Affaires étrangères des deux parlements devraient se rencontrer plus souvent, tant les questions d'intérêt commun sont nombreuses et difficiles à résoudre.

Le Président Ruprecht Polenz a applaudi cette proposition et invité la Commission pour une prochaine réunion commune à Berlin. Parallèlement à ces rencontres bilatérales, pourraient être organisées dans l'avenir des réunions tripartites avec la Commission des Affaires étrangères de la Diète polonaise.

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