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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 56

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 septembre 2006
(Séance de 10 h 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Mohammad Yunus Qanoni, Président de la Wolesi Jirga (Assemblée nationale) de la République islamique d'Afghanistan

- Informations relatives à la commission



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Audition de M. Mohammad Yunus Qanoni, Président de la Wolesi Jirga (Assemblée nationale) de la République islamique d'Afghanistan

Le Président Edouard Balladur a déclaré que la commission des Affaires étrangères était honorée de recevoir M. Mohammad Yunus Qanoni, Président de la Wolesi Jirga de la République islamique d'Afghanistan, un an après le Président Hamid Karzaï. Il lui a demandé quelles étaient, à son avis, les causes de la dégradation de la situation en Afghanistan et les perspectives d'amélioration que les amis de ce pays, dont la France fait partie, sont en droit d'espérer.

M. Mohammad Yunus Qanoni, Président de la Wolesi Jirga de la République islamique d'Afghanistan, après avoir salué et remercié les membres de la commission pour leur accueil, a confirmé que la situation en Afghanistan avait notablement évolué. Le terrorisme, qui met en péril la stabilité du pays, reste très vivace ; le processus de Bonn et par là même le processus de démocratisation de l'Afghanistan traversent une phase de turbulences. L'instabilité a par ailleurs eu pour conséquence de favoriser le développement de la culture du pavot. Les représentants du peuple afghan au sein du nouveau Parlement sont évidemment très préoccupés par cette situation, qui s'explique par deux raisons.

La première, et principale, est d'ordre externe : elle tient au comportement de puissances voisines - pour parler clair, du Pakistan - qui ne tiennent absolument pas à ce que quelque stabilité que ce soit s'instaure en Afghanistan. Les talibans et Al-Qaida bénéficient d'une solidarité sans faille de la part du gouvernement pakistanais. Les principaux facteurs d'instabilité sont donc à rechercher au-delà des frontières afghanes.

La deuxième raison est d'ordre interne. Le gouvernement afghan n'a sans doute pas pu profiter comme il le fallait de la présence et du soutien massif de la communauté internationale depuis quatre ans et demi. La situation économique ne s'est en rien améliorée, pas plus que les conditions de vie quotidiennes des populations, cependant que la corruption continue de sévir.

Outre le fait que le terrorisme continue à représenter un réel danger en Afghanistan, cette évolution particulièrement négative a une deuxième conséquence : la culture du pavot s'y est considérablement développée. Or les forces de défense et de police afghanes n'ont pas encore la maturité suffisante pour jouer véritablement leur rôle et une bonne part des responsabilités dans ce domaine continue à peser sur le dos des forces de l'OTAN et de la communauté internationale. Les représentants du peuple afghan souffrent dans leur chair et dans leur âme en voyant les fils des pays occidentaux et particulièrement de la France tomber pour leur pays.

Les solutions peuvent être recherchées dans deux directions différentes. Premièrement, l'arrêt total et inconditionnel de certaines menées étrangères en Afghanistan, victime du jeu stratégique régional. Le Président Qanoni a appelé la communauté internationale et particulièrement la France, dont l'aide et l'assistance n'ont jamais fait défaut, y compris dans les heures les plus sombres de l'histoire afghane, à faire pression sur le plan politique et diplomatique afin que lesdites menées cessent le plus rapidement possible. Ainsi que l'avait prédit en son temps le commandant Massoud, un Afghanistan abandonné à lui-même est voué à devenir un bastion du terrorisme.

La deuxième solution est à rechercher dans le développement des capacités propres de la population afghane. Ce serait une erreur pour les Afghans de penser que tout doit être fait par leurs amis étrangers ; c'est d'abord à eux de faire le nécessaire pour se doter d'institutions et d'une administration dignes de ce nom. L'aide internationale n'est pas éternelle ; on ne saurait en tout cas la concevoir ainsi. Le soutien de la communauté internationale dure depuis déjà quatre ans et demi ; il faut l'en remercier, même si l'exécutif n'a peut-être pas pu l'utiliser comme il l'aurait fallu.

En conclusion, le Président Qanoni a avancé une idée qui, à ses yeux, pourrait participer à l'élaboration d'une solution. Les exécutifs, tant afghan que pakistanais ou iranien, s'étant révélés incapables de trouver un moyen de régler le problème interne de l'Afghanistan, il est permis de penser que les représentants des peuples au sein des différents parlements pourraient s'entendre pour faire pression sur leurs gouvernements respectifs. La France, et singulièrement la commission des Affaires étrangères, aurait un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre de cette idée de coopération des parlements nationaux.

Le Président Edouard Balladur a relevé que le Président Mohammad Yunus Qanoni attribuait clairement au Pakistan la responsabilité des troubles en Afghanistan, en demandant toutefois quel intérêt a ce pays à maintenir son voisin en état d'instabilité. Faut-il y voir une volonté délibérée du gouvernement pakistanais ou celui-ci laisse-t-il faire à défaut de pouvoir faire autrement ? Faisant observer que l'Iran n'avait pratiquement pas été mentionné, il a demandé au Président quel rôle, positif ou négatif, jouait ce pays.

M. Mohammad Yunus Qanoni a rappelé que, depuis 1947, les relations avec le Pakistan ont toujours été très troublées. Depuis sa naissance, cet État, victime de la concurrence non dite que se livrent l'Inde et le Pakistan, poursuit une stratégie bien particulière à l'égard de son voisin afghan. Le Pakistan a toujours considéré l'Afghanistan comme une zone de repli en cas de nécessité.

À cette réalité historique sont venues depuis s'ajouter d'autres considérations. Pour commencer, le fait que les États-Unis soient aux côtés des Afghans, et de manière significative, est pour les dirigeants pakistanais un sérieux sujet de préoccupation, d'autant que, parallèlement, les Américains ne ménagent pas leurs efforts pour se rapprocher de l'Inde. Sur le plan économique, l'accès aux sources d'hydrocarbures d'Asie centrale, nécessité vitale pour le Pakistan, passe par l'Afghanistan. Dès lors, le Pakistan a tout intérêt, pour se retrouver en situation d'hégémonie, à troubler au maximum la situation chez son voisin afin que les troupes alliées se retirent le plus rapidement possible du terrain. Pour ce faire, l'outil le plus redoutable dont il dispose restent les talibans. L'idée est de précipiter le départ des forces alliées, puis de s'entendre avec les Américains pour se voir confier la gestion des affaires afghanes, à travers un gouvernement plus sensible aux intérêts pakistanais que ne le serait un gouvernement issu de la volonté du peuple afghan. Le Parlement afghan est évidemment à l'opposé d'une telle vision et défend l'idée d'une coexistence pacifique des deux pays.

Si l'Iran a également des intérêts en Afghanistan, sa stratégie est bien différente. Certes, une présence aussi massive de la communauté internationale n'est pas sans lui causer quelque souci, mais un Afghanistan instable nuirait beaucoup plus à ses intérêts vitaux qu'à ceux du Pakistan. L'Iran soutient activement la communauté chiite afghane, même si rien ne permet de présupposer qu'il intervient directement dans les affaires intérieures du pays. En fait, chaque État voisin a ses intérêts propres en Afghanistan ; c'est bien parce qu'ils en ont conscience que les représentants du peuple afghan défendent l'idée d'une coopération régionale afin de sortir de cette situation.

Le Président Edouard Balladur a déduit de ces propos l'idée que l'Iran a moins d'intérêt à l'instabilité de l'Afghanistan que le Pakistan, et que la responsabilité de cette situation est à rechercher non pas du côté de tel ou tel groupe de la société pakistanaise, mais bien du côté du gouvernement de ce pays.

M. Mohammad Yunus Qanoni a répondu au Président Edouard Balladur qu'il avait parfaitement compris la situation, tout en précisant que les talibans ont également des soutiens au sein même de la société pakistanaise.

M. Richard Cazenave s'est particulièrement réjoui de la visite du Président Mohammad Yunus Qanoni, qui fait écho à celle dont le commandant Massoud avait honoré l'Assemblée nationale en avril 2001, juste avant de lancer son appel à Strasbourg. Président du Parlement, symbole d'un Afghanistan qui a retrouvé des institutions démocratiques, M. Mohammad Yunus Qanoni est également l'héritier politique du commandant Massoud. Il a estimé que l'on aurait tort d'oublier l'Afghanistan dans l'actualité internationale et qu'il faut au contraire poursuivre les efforts engagés. La rencontre organisée par le Président Edouard Balladur apparaît à cet égard particulièrement bienvenue.

Observant que le peuple afghan a du mal à percevoir le fruit des efforts de la communauté internationale, l'orateur a demandé si cela était lié à la complexité des règles d'intervention ou si l'Afghanistan éprouvait de réelles difficultés à absorber cette aide et à la mettre en œuvre. Comment accélérer le processus ?

M. Hervé de Charette a dit avoir d'autant plus apprécié l'intervention du Président Mohammad Yunus Qanoni qu'il y développe une thèse forte, et à certains égards paradoxale : la Pakistan, allié de l'Occident et particulièrement des États-unis, intervient de façon négative en Afghanistan cependant que l'Iran, présenté comme l'ennemi de l'Occident, soutiendrait indirectement les efforts américains !

Force est de constater, au bout de cinq ans, que la communauté internationale a doublement échoué : sur le plan militaire, la situation est pire que ce qu'elle était au début de l'intervention occidentale ; parallèlement, l'Afghanistan est devenu le premier producteur de pavot à opium du monde. Plutôt que la poursuite des efforts, cette situation n'appelle-t-elle pas une révision de fond en comble des conditions de la présence internationale ? L'Afghanistan étant effectivement appelé à devenir un lieu de transit du pétrole de l'Asie centrale, pourrait-on espérer que les États alentour s'entendent entre eux pour stabiliser la situation chez leur voisin ?

M. Axel Poniatowski a tenu à remercier le Président Mohammad Yunus Qanoni pour son exposé et pour son franc-parler. Revenant d'une visite en Iran, il a observé que les opinions publiques iranienne et pakistanaise étaient aussi bien l'une que l'autre opposées au régime en place. Il a ensuite demandé quelle part du territoire afghan restait totalement sous contrôle des forces gouvernementales et de leurs alliés, et quelle part était tombée aux mains des talibans. Il s'est enquis de l'état des forces alliées et des actions à mettre en œuvre pour récupérer les territoires perdus. Rappelant qu'Oussama Ben Laden restait introuvable depuis cinq ans malgré l'ampleur des moyens déployés, il s'est enfin interrogé sur le possible rôle du Pakistan dans cette affaire.

En réponse aux différents intervenants qu'il a remerciés pour leurs questions, M. Mohammad Yunus Qanoni a apporté les précisions suivantes :

Les responsables afghans sont toujours émus en constatant à quel point le souvenir de leur héros national, le commandant Massoud, reste vivace en France. Un départ précipité de la communauté internationale, lassée par l'évolution de la situation, ferait revivre au pays les moments les plus sombres de son histoire. Soucieux de tout faire pour que ce cauchemar ne se reproduise pas, les autorités afghanes se sont employées à accompagner les efforts de la communauté internationale. L'Afghanistan a désormais un Parlement, un président élu au suffrage universel, et s'est efforcé, conformément aux engagements pris, de progresser sur la voie de la démocratie : ainsi, 26 % des membres du Parlement sont des femmes. Il n'est pas question de tout attendre de la communauté internationale. Reste à préparer et à mettre en place un système à même de répondre à ses exigences. Il aurait été hautement souhaitable que le gouvernement afghan apprenne plus tôt l'art de pêcher au lieu de recevoir des poissons.

Le Pakistan a une très grande influence en Afghanistan, et celle-ci peut agir dans un sens comme dans l'autre. Contrairement aux autres États voisins, il a une stratégie bien définie, et de longue date, pour y entretenir l'instabilité, et surtout il dispose d'une arme pour parvenir à ses fins : les talibans présents sur son territoire. L'Iran non plus ne voit pas d'un bon œil la présence de la communauté internationale en Afghanistan ; toutefois, à la différence du Pakistan, il ne souhaite pas « faire » le gouvernement afghan, mais seulement l'influencer. Soucieux de défendre ses intérêts premiers, il cherche à s'assurer la bienveillance d'une communauté chiite pour la première fois dans l'histoire très présente dans le gouvernement afghan et la vie du pays. Dès lors, l'Iran craint par-dessus tout qu'une faiblesse du pouvoir central n'entraîne le retour d'un gouvernement extrémiste. Il préférera un gouvernement à forte composante chiite à un gouvernement sunnite de type taliban.

Il est évident que pas plus les Afghans que la communauté internationale n'ont réussi à mettre un terme à la guerre ni à éradiquer la culture du pavot. Les deux sont liés, dans la mesure où le terrorisme se finance principalement par le commerce du pavot. Et tant que la guerre perdurera, la culture du pavot continuera à prospérer.

La conférence de Londres de janvier-février 2006 avait scellé l'engagement de la communauté internationale à aider l'Afghanistan, et réciproquement celui du gouvernement afghan à tout faire pour restaurer la stabilité. Le règlement du problème afghan ne saurait être trouvé par les seuls moyens militaires : les solutions doivent être trouvées par les voies diplomatique et politique. Il faut effectivement encourager les États voisins à s'entendre entre eux sur l'Afghanistan. Malheureusement, il est difficile de les changer... D'où l'idée d'une collaboration entre les parlements nationaux - mais ce n'est encore qu'une idée.

On ne peut qu'être heureux de constater que la plus grande partie du territoire afghan est contrôlée par le gouvernement central et ses alliés. Les talibans ne sont présents que dans le sud et dans les régions frontalières avec le Pakistan. On ne peut accepter d'entendre dire qu'ils auraient une base populaire en Afghanistan. Ils bénéficient en revanche d'un soutien inconditionnel du Pakistan et l'on ne peut que regretter de voir le gouvernement central afghan aussi éloigné des préoccupations des populations opprimées des zones frontalières du Sud. La solution passe d'abord par la disparition de la protection pakistanaise dont bénéficient les talibans, ensuite par la mise en place de réformes capables de répondre aux besoins de la population afghane.

La question de savoir pourquoi l'on ne parvient pas à capturer Oussama Ben Laden est ouvertement posée au sein même de la représentation nationale afghane, qui s'est légitimement étonnée en voyant comment le gouvernement pakistanais pouvait, en un temps record, repérer le dirigeant baloutche Akbar Bugti dans les montagnes et le liquider, alors qu'il est incapable depuis cinq ans de mettre la main sur Oussama Ben Laden... Force est d'en conclure qu'il n'en a pas réellement la volonté. Si Oussama Ben Laden était arrêté d'ici aux prochaines élections américaines, ce serait un excellent gage de succès pour certains candidats, mais surtout la meilleure nouvelle que les Afghans puissent espérer.

Le Président Edouard Balladur a vivement remercié le Président Mohammad Yunus Qanoni pour la franchise et la précision de ses réponses à des questions qui témoignent de l'amitié que la France nourrit à l'égard de l'Afghanistan - amitié ancienne et parfaitement désintéressée, marquée par une présence essentiellement culturelle. Au nom de la commission et, plus largement, de l'Assemblée nationale, il l'a assuré que la France ferait tout pour aider son pays à traverser cette période particulièrement difficile.

M. Mohammad Yunus Qanoni a remercié à son tour le Président Edouard Balladur et les membres de la commission pour la pertinence de leurs propos et les a assurés de sa volonté de poursuivre la démarche entreprise. Les représentants du peuple afghan se découvrent nombre de points communs avec le Parlement français et aimeraient continuer à bénéficier de l'expérience et du soutien de leurs collègues. Il a conclu en invitant la commission des Affaires étrangères à venir visiter l'Afghanistan.

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Informations relatives à la commission

Ont été nommés, le mardi 20 septembre 2006 :

- M. Yves Nicolin, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole du 27 novembre 2003 établi sur la base de l'article 43, paragraphe 1, de la convention portant création d'un Office européen de police (convention Europol) modifiant ladite convention (n° 3191) ;

- M. Bruno Bourc-Broc, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation du protocole n°2 à la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (n° 3194) ;

- M. Jacques Remiller, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, pour lutter contre la fraude et toute activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers (n° 3195) ;

- M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française, le Gouvernement du Royaume de Norvège et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la propriété commune d'un système de sauvetage sous-marin (n° 3196) ;

- M. François Loncle, rapporteur sur le projet de loi n° 3274 autorisant l'approbation de l'accord entre la France et les Etats-Unis du Mexique sur le mécanisme de développement propre dans le cadre du protocole de Kyoto ;

- M. Jean Roatta, rapporteur sur le projet de loi n° 3276 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc relatif au statut de leurs forces.

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Constitution d'une mission d'information sur l'organisation et le financement de l'audiovisuel extérieur composée de six membres : MM. Bruno Bourg-Broc, Jean-Pierre Kucheida, Jean-Claude Lefort, Axel Poniatowski, Eric Raoult, François Rochebloine.

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