COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 juillet 2002
(Séance de 15 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure

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- Examen, pour avis, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité
intérieure - n° 36 (M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur pour avis)

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Audition de M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

M. Pierre Mutz a estimé que le mandat que les Français venaient de fixer aux pouvoirs publics à l'occasion des dernières élections accordait la première place au rétablissement de la sécurité sur la totalité du territoire national. Pour assurer cette mission, le Gouvernement dispose à titre principal de deux forces qui sont la police et la gendarmerie nationales. La gendarmerie nationale assume des missions d'essence civile avec des personnels à statut militaire. Cette spécificité constitue un avantage que la gendarmerie nationale continue à mettre au service du citoyen pour promouvoir, dans le respect de son éthique, les valeurs républicaines qu'elle a contribué à établir sur l'ensemble du territoire au cours des deux siècles écoulés.

Conscient du potentiel humain et technique de l'arme, le Gouvernement, dès les premières semaines de sa constitution, a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour rendre sa cohérence à l'architecture générale des forces de sécurité. Ainsi, le 15 mai 2002, le Président de la République a pris un décret donnant au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales la responsabilité de l'emploi des services de la gendarmerie nationale. Le chef de l'Etat a, dans le même temps, choisi d'assumer la présidence du conseil de sécurité intérieure. Ces décisions visent à assurer la cohérence politique et opérationnelle du dispositif national de lutte contre l'insécurité et à éviter les actions redondantes et contre-productives. Les choix de répartition seront désormais arrêtés en fonction des zones de responsabilité respectives, mais aussi en tenant compte des pôles d'excellence de chacune des forces. En l'espèce, la gendarmerie nationale pourra valoriser ses points forts que sont, entre autres, la densité de son implantation territoriale, sa pratique quotidienne de la proximité et la continuité de son service dans le temps et dans l'espace. La disponibilité de la gendarmerie découle de son statut militaire, qu'elle applique aussi bien dans la lettre que dans l'esprit. Ce cadre d'action renouvelé est propice à libérer les énergies que recèle la gendarmerie nationale, afin de relayer l'action de l'Etat dans la profondeur du pays. Cependant, il existe des freins empêchant l'institution d'atteindre son plein rendement et les principaux obstacles ne peuvent être levés qu'avec l'aide du Parlement.

La première annexe du projet de loi d'orientation et de programmation détaille les orientations de la politique de sécurité intérieure. La rationalisation de l'activité opérationnelle de la gendarmerie s'ordonne autour de trois idées : la répartition géographique des forces, la mise en réseau des brigades et l'emploi de la gendarmerie mobile.

Les redéploiements envisagés par le projet de loi procèdent de la même volonté de « coller » à la réalité locale en déconcentrant l'élaboration des réorganisations. Ces dernières devront répondre à deux préoccupations différentes. D'une part, chaque institution, police et gendarmerie, devra prendre toutes ses responsabilités en matière de sécurité publique dans sa zone. D'autre part, des transferts réciproques de zones de compétence seront proposés par les préfets, en concertation étroite avec les élus et les acteurs locaux, avec le souci d'équilibrer les charges et les responsabilités, par rapport au nombre d'habitants, entre la police et la gendarmerie.

L'organisation territoriale de la gendarmerie nationale sera adaptée à la réalité sociale et démographique du pays. Le but poursuivi est de soutenir l'effort d'aménagement du territoire en favorisant un service au plus près de la population. Le concept de communauté de brigades vise à placer sous un commandement unique les brigades territoriales situées dans un périmètre présentant une cohérence géographique et opérationnelle. Chacune des unités gardera ses prérogatives de proximité, tout en profitant de la mutualisation des moyens communs, ce qui suppose la mise en réseau des brigades.

La gendarmerie reste donc simplement en phase avec son environnement, puisqu'elle adopte la philosophie des communautés de communes. Cette réforme lui permettra d'assumer l'accroissement prévisible de la population dans sa zone de responsabilité (+9,2% à l'horizon 2015), de prendre en compte le phénomène périurbain et de faire face à la mobilité saisonnière.

Dès l'automne prochain, les 123 escadrons de gendarmerie mobile ordinairement disponibles pour le maintien de l'ordre seront prioritairement utilisés dans leur région de résidence, là où la responsabilité de la sécurité publique incombe à la gendarmerie départementale. L'effort portera également sur la déconcentration du cadre d'emploi, pour mieux suivre les fluctuations conjoncturelles de la sécurité locale. Cette inflexion considérable s'effectuera sans obérer la spécialisation dans le maintien de l'ordre de ces unités et en renforçant l'entraînement et la formation des quelque 17000 gendarmes mobiles.

La gendarmerie s'est engagée depuis déjà plusieurs années dans la déconcentration de la décision, notamment en matière de ressources humaines, et parallèlement dans l'octroi de responsabilités nouvelles à ses responsables locaux. Pour autant, certains échelons sont parfois mal identifiés. La réorganisation en communautés de brigades va permettre de clarifier la correspondance de la brigade au canton, de la compagnie à l'arrondissement et du groupement au département. De même, le niveau de la région économique redevient perceptible avec les groupements d'intervention régionaux. Enfin, la région de gendarmerie s'impose, car elle correspond à la zone de défense, dont les moyens ont été renforcés en janvier 2002.

Les mesures financières portent au total sur 1166 millions d'euros d'autorisations de programme et 1020 millions d'euros de crédits de paiement qui sont mobilisés sur les cinq annuités de la loi, de 2003 à 2007.

Le facteur humain étant décisif, les 7000 femmes et hommes supplémentaires qui gagneront les rangs de l'institution dans les cinq ans à venir, au-delà du renouvellement normal du personnel, permettront d'abord d'assurer la réalité des effectifs sur le terrain en dimensionnant correctement l'appareil de formation.

Le premier objectif vise à rétablir les capacités opérationnelles qui ont été altérées du fait de l'application incomplète de la dernière loi de programmation militaire. Il convient sans plus attendre de remettre à niveau l'armement individuel, notamment en réglant le problème des armes de poing, qui ont dû être retirées du service après que leur fiabilité a été mise en cause. Cet épisode a beaucoup affecté les gendarmes, très attachés à leur arme individuelle. Tous programmes confondus, 150 000 armes seront acquises pour un montant d'environ 106 millions d'euros.

Par ailleurs, un peu plus de 153 millions d'euros sont destinés à doter les effectifs supplémentaires de l'équipement courant et de l'environnement technique élémentaire. Cette somme financera aussi bien l'équipement individuel d'intervention que celui qui permet au militaire d'entretenir son matériel quotidiennement. L'effort porte à la fois sur les matériels individuels de toute nature et sur les moyens de déplacement et de transmissions, indispensables à l'accomplissement journalier des missions. Cette enveloppe comprend aussi l'ergonomie du poste de travail au sein des brigades. La protection indispensable des personnels confrontés à des situations de plus en plus dangereuses sera assurée par la mise en place de 84 000 gilets à port discret, pour un coût de l'ordre de 22 millions d'euros. Il va être désormais possible de procéder à une rénovation complète de la tenue individuelle des gendarmes afin de faciliter l'intervention quotidienne. La demande d'attribution d'une tenue d'intervention conçue spécifiquement à cet effet est forte.

Le retard doit être également comblé pour le programme des véhicules blindés à roues de la gendarmerie. Le renouvellement de ces véhicules, indispensables au maintien de l'ordre, représente un investissement de 145 millions d'euros pour 118 acquisitions. Le coût unitaire peut sembler élevé, mais il s'explique par les besoins très particuliers auxquels ces véhicules doivent répondre et qui excluent d'utiliser des modèles militaires traditionnels.

Enfin, les nouvelles technologies de l'information et de la communication constituent une chance et un défi pour les militaires de la gendarmerie, afin de se former et de s'adapter, mais aussi de mieux coopérer entre unités grâce à l'extension des connections informatiques et à l'amélioration des commutateurs téléphoniques. Il s'agit aussi de mettre les capacités d'enquête au niveau des performances de la technologie moderne : pour cela des équipements spécifiques seront acquis sur une enveloppe de 1,9 million d'euros. Le retard en réseaux intranet doit être comblé, aussi bien pour des raisons opérationnelles que pour pallier le sentiment d'isolement de certaines brigades.

En liaison avec l'amélioration de l'organisation territoriale de 1'institution, une attention particulière sera accordée au renouvellement du parc d'hélicoptères, très âgés, et aux véhicules tant de la gendarmerie départementale que de la gendarmerie mobile, afin de faciliter notamment l'exécution des nouvelles missions de sécurité de proximité de cette dernière et d'adapter la dotation à la nouvelle structure quaternaire des escadrons.

Les dépenses d'infrastructure sont très sensibles dans une institution qui confond, de par son statut même, lieux de vie et de travail. De fait, l'obligation de disponibilité du militaire s'étend à toute sa famille. L'Etat se doit dès lors de fournir aux gendarmes des logements de qualité, confortables et sûrs. Aussi, les programmes immobiliers doivent-ils être une composante majeure de la reconnaissance accordée aux militaires de l'arme. Le Gouvernement a parfaitement perçu cette dimension en provisionnant 520 millions d'euros pour l'infrastructure de la gendarmerie nationale, dont 68 millions d'euros seront consacrés à la maintenance.

M. Pierre Mutz a ensuite évoqué l'articulation entre le présent projet de loi et la future loi de programmation militaire. La gendarmerie a mené une réflexion stratégique au premier semestre de cette année pour concevoir son fonctionnement de manière globale en intégrant ce qu'on peut percevoir du futur proche. Il s'agit d'assurer la pérennité d'une institution qui donne satisfaction à nos concitoyens, tout en la renouvelant en profondeur. Les bases financières déjà acquises dans le projet de loi de programmation militaire doivent être consolidées et la représentation nationale exercera sans aucun doute sa vigilance sur ce point capital.

En conclusion, M. Pierre Mutz a souhaité faire partager l'enthousiasme et la détermination des personnels placés sous sa responsabilité, qui adhèrent sans équivoque au projet républicain de lutte contre l'insécurité et feront tout pour relever le défi de la protection des personnes et des biens partout et pour tous, sans rien sacrifier des principes de droit. Le projet soumis à l'approbation du Parlement donnera à la gendarmerie nationale les moyens indispensables à la concrétisation de sa vocation de service public de proximité.

Après avoir exprimé son accord sur les grandes lignes du nouveau concept de communauté de brigades, qui est destiné à devenir l'instrument essentiel d'organisation du travail entre les brigades de gendarmerie, le président Guy Teissier a demandé des précisions sur le calendrier de mise en _uvre de ce dispositif et sur la date où les premiers effets en seraient perceptibles.

M. Pierre Mutz a souligné que les communautés de brigades ne constituaient pas une révolution complète : le travail par sectorisation déjà en place dans certaines régions de gendarmerie préfigure les communautés de brigades. En revanche, il a insisté sur la différence entre cette démarche et les propositions, demeurées sans suite, contenues dans le rapport Carraz-Hyest. Ce dernier correspondait à une approche centralisatrice. Au contraire, les communautés de brigades relèvent d'une conception pragmatique qui tiendra compte des initiatives de terrain et des réalités locales.

Il a justifié la réforme par l'insuffisance des effectifs de certaines brigades actuelles, de l'ordre d'une demi-douzaine de sous-officiers, ce qui ne permet pas de maintenir à coup sûr une patrouille de jour et de nuit. Le travail par communautés de brigades, où chaque communauté compterait au minimum 18 gendarmes, permettra d'assurer en permanence l'intégralité des missions de la gendarmerie, notamment en matière de prévention. La mise en _uvre des communautés de brigades pourra varier selon les situations en zone rurale, en zone périurbaine ou en zone urbanisée. Ainsi, en zone urbanisée, les gendarmes seront amenés à se spécialiser, au sein de brigades à effectif élevé dans une configuration proche de celle de la police nationale. Dans les zones rurales, à faible densité de population, les communautés de brigades permettront surtout une meilleure organisation du travail.

M. Pierre Mutz a ensuite présenté le calendrier de mise en _uvre des communautés de brigades. La validation centrale de projets élaborés sur le terrain devrait avoir lieu avant la fin de 2002 et sera suivie d'une relance du dialogue avec les élus locaux. L'expérimentation débuterait en 2003 et une validation gouvernementale interviendrait au deuxième semestre 2003. La réforme supposant l'implication des acteurs locaux, les préfets, auxquels sera présenté dès le 24 juillet le projet de mise en _uvre des communautés de brigades, joueront un rôle actif dans l'organisation de la concertation. La mise en _uvre de ces communautés de brigades sera progressive, en fonction des différentes situations, la politique de sectorisation permettant du reste d'envisager sereinement la réalisation d'une réforme dont une partie des éléments est d'ores et déjà entrée en vigueur dans un certain nombre de cas.

M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur pour avis, a demandé si, en complément des mesures d'envergure proposées, des mesures de bon sens ne seraient pas envisageables pour améliorer la qualité du travail des brigades de gendarmerie, en limitant les tâches administratives, en allégeant les gardes statiques et en attribuant la charge des transfèrements judiciaires à l'administration pénitentiaire, ce qui permettrait de dégager des effectifs.

M. Pierre Mutz a convenu que les gendarmes étaient amenés à s'acquitter de tâches administratives très diverses, au point que, dans certains cas, ils remplissaient en quelque sorte une fonction de juge de paix. Deux pistes sont d'ores et déjà explorées par la direction générale de la gendarmerie nationale : alléger des tâches de courrier, notamment grâce à la mise en réseau des brigades, et faire preuve d'une vigilance plus grande à l'égard de transferts récurrents vers la gendarmerie de la part de personnels ou d'officiers de justice assermentés de tâches leur incombant, telles que des enquêtes en matière de chasse.

Comme l'a souligné à bon escient le rapporteur, les gardes statiques, qui ne devraient pas réellement requérir la présence des gendarmes, mobilisent des effectifs importants. À titre d'exemple, le filtrage à l'entrée du Palais de justice de Paris, la sécurité des chambres de l'instruction et les extractions mobilisent chaque jour trois escadrons de gendarmerie mobile.

Le même constat vaut pour les transfèrements de détenus. Ainsi, la simple garde des détenus hospitalisés mobilise l'équivalent de 150 policiers par jour à Paris et de 15 à 25 dans une ville comme Limoges. La suppression des tâches de transfèrement libérerait pour d'autres missions 1 000 gendarmes environ par jour. En la matière, le recours à la gendarmerie n'est vraiment justifié que pour le transfert de détenus particulièrement dangereux ou lourdement condamnés.

M. Robert Pandraud ayant évoqué la possibilité que ce soient désormais les juges d'instruction qui se déplacent en vue d'entendre les détenus à l'intérieur des établissements pénitentiaires, M. Pierre Mutz a estimé que cela pourrait en effet être une solution.

M. Jean-Michel Boucheron a évoqué l'articulation entre la loi de programmation militaire et le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Il a demandé si les montants présentés dans cette dernière venaient en supplément par rapport à ceux de la loi de programmation militaire ou s'ils étaient déjà inclus dans les prévisions figurant dans celle-ci.

Il a interrogé le directeur général sur le lien de subordination de la gendarmerie au ministre de l'intérieur qui peut « employer » cette arme : cette situation est-elle aussi novatrice qu'on veut bien le dire ?

Enfin, évoquant le très grand intérêt porté par les élus à l'organisation de la gendarmerie, il a demandé si le directeur général n'envisageait pas de donner pour instructions à ses commandants de groupements d'informer les élus et au premier chef les députés des changements en cours et prévus.

M. Pierre Mutz a apporté les précisions suivantes :

- la loi de programmation militaire prévoit pour la gendarmerie 2,12 milliards d'euros de crédits d'équipement sur six ans ; elle comporte comme pour les autres armées une clef de progression de 0,8 % par an ; les crédits mis en place à l'occasion de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure viennent en supplément des crédits prévus pour la loi de programmation militaire ;

- le fait que la gendarmerie soit placée pour emploi auprès du ministre de l'intérieur n'entraîne aucune modification dans les modes de réquisition par celui-ci de la gendarmerie. Le décret organique de 1903 précisait déjà que le ministre de l'intérieur donnait des ordres à la gendarmerie. En revanche, une meilleure visibilité de l'institution est instaurée pour les ministres. À une situation où le ministère de la défense payait, mais employait peu, où le ministère de l'intérieur employait, mais seulement en cas de nécessité et où le ministère de la justice exerçait une supervision assez lointaine, succède ainsi une organisation où le directeur général de la gendarmerie nationale fait quotidiennement rapport au ministre de l'intérieur sur les activités et les difficultés de la gendarmerie. Une chaîne hiérarchique plus claire est donc instaurée ;

- le processus de mise en place de la nouvelle organisation ne sera approuvé qu'après vérification de la qualité de la concertation avec les élus locaux et nationaux. De façon générale, il sera veillé à ce que la meilleure information soit prodiguée aux élus et que les commandants de groupement de gendarmerie fassent preuve de plus d'initiative dans leur communication avec les élus.

Evoquant un propos récent du Président de la République sur un futur toilettage du statut général des militaires, datant de 1972, M. Charles Cova a demandé si, à l'occasion de cette réforme, une harmonisation des statuts de la gendarmerie et de la police serait envisagée, par exemple en matière de représentation et d'expression.

M. Pierre Mutz a indiqué qu'après la tenue des instances consultatives militaires où cette question avait été longuement examinée, la ministre de la défense avait réaffirmé le statut militaire de la gendarmerie et qu'en conséquence aucun projet n'avait été lancé dans ce domaine. En revanche, des mesures catégorielles seront prises, telles que l'incorporation de l'indemnité spéciale de sujétion de police pour le calcul de la retraite ou encore une revalorisation substantielle de la prime d'officier de police judiciaire, de façon à rendre plus attractives les évolutions de carrière pour les gendarmes.

Le président Guy Teissier a rappelé que le mouvement de revendication des gendarmes, en décembre 2001, reposait largement sur des demandes en moyens supplémentaires. Il a observé à cet égard que le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure rétablira un certain équilibre entre la gendarmerie et la police nationale, tout en insistant sur le fait que l'appartenance des gendarmes au statut militaire comportait également des contraintes en contrepartie.

M. François Lamy a regretté les conditions de l'examen par la commission du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, en déplorant que celui-ci intervienne aussi rapidement après son passage en conseil des ministres et au moment même où le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, en exposait les grandes lignes devant les commissions des lois et des finances réunies.

Il a demandé s'il est possible de satisfaire les attentes des gendarmes en matière d'aménagement du temps de travail dès lors que leur statut militaire est maintenu. Les contraintes d'organisation et le fort degré de syndicalisation de la police étant ce qu'ils sont, la gendarmerie ne risque-t-elle pas de devenir le supplétif de la police nationale ? Il convient également de ne pas perdre de vue l'utilité de la participation de la gendarmerie aux opérations extérieures, notamment en raison de son expertise en matière de maintien de l'ordre dans des situations auxquelles les armées sont de plus en plus souvent confrontées.

M. Pierre Mutz a fait valoir que la création des communautés de brigades, en mutualisant les moyens et les effectifs, permettra de favoriser les temps de récupération des gendarmes. La gendarmerie ne deviendra pas le supplétif de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale s'attache à la mise en place d'une bonne répartition géographique des compétences de la police et de la gendarmerie, qui d'ores et déjà coopèrent sur le terrain dans un climat de confiance entre services. De même, la participation de la gendarmerie aux opérations extérieures sera maintenue, les gendarmes ayant démontré, notamment au Kosovo, leur compétence pour la gestion de situations conflictuelles qui ne relèvent pas pour autant d'un état de guerre.

Après s'être déclaré sensible aux propos tenus par le directeur général de la gendarmerie nationale au sujet du maillage territorial de la gendarmerie, notamment en raison de l'existence d'une délinquance de plus en plus itinérante, M. Philippe Folliot a attiré l'attention sur l'état de dégradation avancée de certains locaux de casernement et sur la nécessité d'inciter les collectivités territoriales, et notamment les départements, à accélérer les programmes de modernisation des bâtiments mis à la disposition des brigades. Il a également demandé si l'existence de zones de compétence très vastes, en raison de la faible densité de population ou des contraintes géographiques, impliquant des délais d'intervention très longs, était prise en considération dans le maillage des communautés de brigades.

M. Pierre Mutz a reconnu que les communautés de brigades ne seront une réussite que si la définition de leurs contours se fonde sur une étroite concertation avec les élus locaux. Il est exact que certains logements sont dans un état très dégradé et il est nécessaire de dégager des subventions aux collectivités territoriales, s'élevant en moyenne à 25 millions d'euros chaque année, pour mener des actions de construction et d'entretien du foncier. La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure apportera de larges moyens supplémentaires en ce qui concerne le financement du parc domanial.

M. Michel Sordi a indiqué qu'il faisait partie des maires qui ont financé la construction de nouvelles casernes de gendarmerie et qui ont dû faire face à des impayés de loyers. Il a souligné l'effet dissuasif pour les collectivités locales d'une telle situation. Il a également souhaité que le rythme des mutations au sein des brigades soit un peu moins soutenu, afin de permettre une bonne implantation des gendarmes et, partant, leur meilleure efficacité face à la délinquance.

M. Pierre Mutz a souligné que le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure prévoit un rebasage des crédits, afin d'assurer le paiement des loyers à hauteur de 50 millions d'euros. Une certaine stabilité des effectifs est certes nécessaire, mais il est difficilement concevable d'empêcher les gendarmes de passer des concours ou de poursuivre leur carrière. La direction générale de la gendarmerie nationale essaie de planifier au mieux la gestion des mouvements d'effectifs, même s'il s'agit d'une tâche de grande ampleur.

M. Jérôme Rivière a justifié les conditions d'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure par l'urgence de la situation et la volonté de la majorité de mettre en _uvre le plus rapidement possible le programme sur lequel elle a été élue. Pour accroître l'efficacité de la gendarmerie, il est effectivement nécessaire de mieux répartir ses brigades sur le territoire, mais l'implantation en zones urbaines devra toutefois être maintenue dans certains cas. Le transfert de la gendarmerie sous la responsabilité d'emploi du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales permet d'espérer une efficacité opérationnelle accrue, tandis que le maintien du statut militaire des gendarmes garantit que la gendarmerie ne sera pas le supplétif de la police.

Il a demandé s'il ne fallait pas rouvrir la possibilité de recrutement des officiers de gendarmerie par l'intermédiaire de l'école des officiers de Saint-Cyr Coëtquidan, afin de renforcer le lien entre la gendarmerie et les autres armées. Il a enfin précisé qu'il présenterait un amendement visant à ajouter les opérateurs spécialisés à la liste des organismes, compagnies d'assurances et constructeurs, devant contribuer à la recherche et à la localisation des véhicules volés.

M. Pierre Mutz a indiqué que certaines brigades de gendarmerie resteraient en zones urbaines, afin notamment d'assurer le prolongement des enquêtes judiciaires en zone de police nationale. Par ailleurs, le recrutement des officiers ne peut que s'enrichir d'une certaine diversité. En tout état de cause, le recrutement d'officiers de gendarmerie au grade de capitaine à partir des armées est maintenu. En ce qui concerne l'aide aux démarches entreprises par la gendarmerie pour lutter contre le vol de véhicules, tout dispositif qui facilite la recherche des auteurs de ce type de délits ne peut être que le bienvenu et, à cet égard, la direction générale de la gendarmerie nationale examine avec intérêt les développements du système « traqueur ».

M. Bernard Deflesselles a souhaité avoir le sentiment du directeur général de la gendarmerie nationale sur l'évolution du moral des gendarmes depuis leur mouvement de revendication.

M. Pierre Mutz a indiqué que, s'il avait constaté de réels besoins matériels au sein de la gendarmerie à l'occasion de sa prise de fonction, il avait le sentiment que le moral des effectifs se rétablissait, même si un certain attentisme, compréhensible, était perceptible quant à la mise en _uvre des mesures promises. Les gendarmes restent des serviteurs désintéressés de la Patrie, mais ils attendent en retour de cette dernière la considération qu'ils méritent.

M. Axel Poniatowski a demandé où en était la concrétisation des promesses faites par le précédent gouvernement sur l'amélioration de la condition de gendarme, le dispositif temps d'activité et d'obligations professionnelles des militaires (TAOPM) et la prime d'officier de police judiciaire.

M. Pierre Mutz a répondu que les engagements pris étaient tous mis en _uvre ou sur le point de l'être.

Sécurité intérieure (avis)

La commission a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Alain Moyne-Bressand, le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure - n° 36.

M. Alain Moyne-Bressand, rapporteur pour avis, a rappelé que la volonté de lutter contre l'insécurité avait été placée au centre du débat politique par les Français. Le Gouvernement a répondu rapidement à cette attente en déposant un ambitieux projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. La gendarmerie, qui reste dans le périmètre budgétaire du ministère de la défense, est associée, à parité avec la police nationale, à l'ensemble des mesures qui sont proposées.

Le projet prévoit certes des moyens nouveaux considérables, mais il pose aussi la question des résultats. De ce point de vue, il est significatif qu'une clause d'évaluation indépendante ait été prévue.

Le projet de loi comporte trois priorités :

- l'amélioration des effectifs, aussi bien quantitativement que qualitativement ;

- la volonté de donner aux forces de gendarmerie les moyens d'agir ;

- plus largement, l'approfondissement de la coopération entre les différents acteurs de la sécurité.

Les mesures portant sur les effectifs sont spectaculaires, avec 7 000 créations de postes dans la gendarmerie sur la période de programmation. L'essentiel de ces nouveaux postes sera consacré à l'amélioration de la sécurité de proximité. Les financements prévus à cet effet représentent 1,13 milliard d'euros.

Le projet vise aussi à mieux utiliser les effectifs disponibles. Ainsi, l'article 4 permet sous certaines conditions, pour une partie des officiers et sous-officiers de la gendarmerie, de prolonger d'un an la durée d'activité, ce qui devrait permettre le maintien en poste de personnels expérimentés et qualifiés. Il est également prévu de revoir la doctrine d'emploi des forces de gendarmerie mobile, afin de les affecter prioritairement à des actions ayant lieu dans le ressort territorial des régions où elles sont implantées.

Une réforme importante de la répartition et de l'organisation territoriales de la gendarmerie est amorcée. Le Gouvernement souhaite parvenir à un redéploiement rationnel et équilibré entre les zones de compétence territoriale de la police et de la gendarmerie afin de corriger, par le biais d'échanges compensés, les situations qui présentent localement un manque de logique opérationnelle. Par ailleurs, des redéploiements doivent être poursuivis et amplifiés au sein des zones couvertes par la gendarmerie. Le nouveau concept de communauté de brigades constitue à cet égard un des éléments importants d'amélioration de l'organisation du service, au travers de la mutualisation des moyens. L'objectif est de parvenir à un effectif suffisant, afin d'orienter le service de jour et de nuit vers la surveillance générale, la prévention et l'intervention rapide.

Le rapporteur pour avis a souligné que la volonté de recentrage sur les activités régaliennes constituait à ses yeux un point essentiel du projet. Pour les gardes statiques, des efforts significatifs peuvent être accomplis. Le recours à des solutions alternatives ou l'abandon de certaines missions permettent d'envisager un gain d'effectifs variant de 600 à 700 militaires, pour l'ensemble de la gendarmerie. Le recentrage de la gendarmerie sur ses missions propres doit être également mis en _uvre activement en ce qui concerne les extractions et transfèrements des détenus, tâches particulièrement lourdes qui mobilisent des effectifs considérables. Une réflexion est annoncée sur la possibilité d'un transfert à l'administration pénitentiaire de cette mission, les premières propositions devant être faites dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi.

Le rapporteur pour avis a jugé nécessaire que cette réflexion aboutisse rapidement à des mesures concrètes, susceptibles de dégager des effectifs de gendarmes au profit de la lutte contre la délinquance et la criminalité.

Il lui a aussi semblé souhaitable d'aller dans le sens d'une profonde simplification des nombreuses activités purement administratives qui se sont accumulées au fur et à mesure des années et qui amputent le temps de travail utile des gendarmes.

Le projet vise ensuite à donner aux forces de sécurité les moyens d'agir, au travers d'une remise à niveau générale des équipements et des infrastructures, 1 020 millions d'euros devant y être affectés sur la durée de la période de programmation.

L'ampleur des besoins immobiliers justifie la programmation de 95 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires par an pour la gendarmerie, soit 46,6 % de l'ensemble des crédits d'équipement programmés. L'intégralité de ces moyens sera affectée au titre V. Cela représente une croissance de 81 % par an par rapport aux crédits initiaux votés pour 2002. Afin de parvenir à consommer ces crédits, il apparaît nécessaire de moderniser et d'assouplir les procédures de gestion immobilière, de nouveaux dispositifs devant permettre d'engager plus rapidement et dans de meilleures conditions les projets immobiliers.

Le projet prévoit d'affecter également 545 millions d'euros de crédits de paiement à l'équipement des services sur la durée de la période de programmation, dont environ 150 millions d'euros pour la modernisation informatique et technique des services, 200 millions d'euros au titre de la remise à niveau du parc automobile et 200 millions d'euros pour l'adaptation de l'équipement et de la protection individuelle des personnels.

Toujours au titre du renforcement des moyens, l'amélioration des capacités d'investigation judiciaire n'a pas été oubliée. Il est ainsi prévu que chaque compagnie bénéficie d'une brigade de recherches et que chaque groupement dispose d'une plate-forme judiciaire, afin de soutenir ses activités.

La philosophie de ce projet consiste à approfondir la coopération entre les acteurs de la politique de sécurité. C'est tout le sens de la création du ministère de la sécurité intérieure, responsable des forces de la police nationale aussi bien que de la tutelle opérationnelle de la gendarmerie nationale. Cette association des forces a déjà pris une forme concrète avec la création des groupes d'intervention régionaux. Plus largement, cette association devra être mise en _uvre tant du point de vue des moyens techniques que des moyens juridiques.

Il est également prévu que le travail des deux principales forces de sécurité fasse l'objet d'une information beaucoup plus précise et régulière des élus locaux, au travers des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Par ailleurs, la participation des collectivités territoriales aux besoins immobiliers considérables de la gendarmerie est encouragée. Les opérations de construction et de rénovation menées en concertation avec l'Etat en vue d'une mise à disposition de la police, de la justice ou de la gendarmerie, à titre gratuit, pourront donner lieu à une attribution du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), dérogeant en cela aux règles actuelles d'éligibilité.

Dans ses grandes lignes, le projet fait confiance à l'ensemble des acteurs, mais leur demande également d'obtenir des résultats à la mesure des moyens alloués. De ce point de vue, la commission de la défense suivra avec la plus grande attention les crédits inscrits dans les prochains budgets, afin de veiller à ce que soit respectée la programmation.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

Revenant sur la question des transfèrements de détenus, le président Guy Teissier a indiqué que, pour la prison des Baumettes, ce sont les membres de l'administration pénitentiaire qui les assurent. Mais les transfèrements ne sont pas prévus dans le statut des surveillants de prison et ces derniers ne portent pas d'arme. Dans la mesure où les délinquants sont de plus en plus violents, est-ce que leur transfèrement ne demeure pas une tâche devant relever de la police et de la gendarmerie ?

Le président Guy Teissier a également évoqué la question de la surveillance des détenus hospitalisés, qui mobilise un grand nombre de policiers et de gendarmes dans des hôpitaux pas toujours sécurisés.

M. Michel Sordi a proposé de demander aux magistrats de se déplacer en prison, de manière à réduire autant que possible les transfèrements.

M. Charles Cova a suggéré qu'un amendement en ce sens soit déposé à l'occasion du prochain examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.

M. Jérôme Rivière a fait remarquer que les textes actuels prévoient que les personnes retenues aux frontières soient entendues sur place par les magistrats. Des locaux, qui n'ont d'ailleurs jamais été utilisés, ont été aménagés à cette fin, par exemple dans l'aéroport d'Orly. Toutefois, ce sont les services de la police aux frontières qui continuent à assurer les transfèrements.

Il a ensuite estimé que les transfèrements de détenus devaient continuer à être effectués par l'Etat et non par le secteur privé, dans la mesure où cette activité comporte un risque pour la sécurité publique. Mais il a également considéré que la magistrature devait s'adapter et que les juges devaient faire un effort pour se déplacer.

M. Axel Poniatowski a considéré que la question de la nature régalienne ou non de l'activité de transfèrement était complexe, mais que la délégation de cette mission à des sociétés privées paraissait plus économique et revaloriserait la fonction des policiers et des gendarmes.

Il a ensuite évoqué la répartition géographique entre les zones de police et de gendarmerie qui n'a pas été revue depuis les années 50. Qu'en est-il de sa révision, notamment pour ce qui concerne les zones périurbaines, traditionnellement situées à la limite entre les deux forces de l'ordre ?

M. Daniel Mach a demandé s'il n'était pas possible de différencier les détenus en fonction de leur dangerosité et, éventuellement, de déléguer à des sociétés extérieures les transfèrements des détenus les moins dangereux.

Expliquant que c'étaient les gardiens de prison qui connaissaient le mieux les détenus, M. Richard Mallié a considéré que c'était à eux d'assurer les transfèrements.

M. Christian Ménard a indiqué que les opérations liées à l'établissement des procurations de vote occasionnaient également une surcharge de travail pour les forces de police et de la gendarmerie. Il a demandé s'il était envisageable d'alléger les tâches administratives des forces de l'ordre.

En réponse aux intervenants, le rapporteur pour avis a formulé les observations suivantes :

- le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a pour objectif de déployer un maximum de forces de l'ordre sur le terrain et il réfléchit par conséquent à la réduction des tâches administratives de la police et de la gendarmerie ;

- le choix de confier à l'administration pénitentiaire la charge des transfèrements suppose de faire évoluer le statut des gardiens de prison et de leur donner de nouveaux moyens financiers ;

- d'autres tâches, comme les enquêtes de personnalité réalisées avant les remises de décorations, entrent dans le cadre des activités administratives de la gendarmerie. Le rôle des élus est justement de les remettre à plat. L'attribution de 3,6 milliards d'euros prévus dans le futur projet de loi sur la justice pourrait conduire les magistrats à faire davantage d'efforts en ce sens ;

- le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ne prendra aucune décision autoritaire sur la révision des zones, mais va entamer une large concertation avec les élus locaux, en collaboration avec les préfets. En tout état de cause, aucune décision ne sera prise avant la fin de l'année.

La commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.

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