COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 25 septembre 2002
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187)


2

   

Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008, adopté en conseil des ministres le 11 septembre dernier, organise le redressement de l'effort de défense de la France et s'inscrit dans la suite des décisions prises par le Président de la République en 1996 pour la réalisation d'un modèle d'armée 2015.

La première étape de réalisation de ce modèle, la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002, a permis de mener à bien la professionnalisation des forces armées. Les effectifs ont été réduits de 24 % en six ans, ce qui constitue l'une des plus grandes transformations administratives jamais réalisées et l'une des grandes réformes de l'Etat. Cependant, les insuffisances constatées dans la modernisation des équipements ont assombri le bilan. Dans la même période, le pouvoir d'achat du ministère de la défense a régressé de 6 % tandis que les crédits d'équipement ont baissé de 14 %. Cela a créé une situation particulièrement tendue, notamment sur la disponibilité des matériels dont, pour certains d'entre eux, le taux a pu descendre à moins de 50 % et sur les capacités opérationnelles de nos armées.

Le budget de la défense a trop souvent été considéré comme une variable d'ajustement. Le souhait du Gouvernement est que la défense redevienne une priorité de la Nation.

Un tel redressement correspond d'abord à des exigences de sécurité. Alors qu'après la chute du mur de Berlin, on avait cru pouvoir à terme percevoir les « dividendes de la paix », les crises régionales se sont multipliées partout dans le monde. Les événements du 11 septembre 2001 ont confirmé une montée du terrorisme que la France connaissait pour l'avoir déjà éprouvée sur son territoire national et qui l'a encore frappée le 8 mai 2002 à Karachi. Le projet de loi de programmation militaire tient compte de ces données qui étaient déjà intégrées dans le modèle d'armée 2015.

Le projet traduit également les ambitions de la France en Europe et sur la scène internationale. Membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, la France doit restaurer sa crédibilité en matière de défense.

Enfin, le redressement de l'effort de défense français est rendu nécessaire par le souci de disposer de forces efficaces et disponibles. Le malaise qui s'est développé dans les armées ces dernières années tient avant tout à la dégradation de l'outil de travail des militaires. Le remettre en état, c'est restaurer la confiance entre les armées et la Nation.

Le projet de loi de programmation est la traduction de ces trois exigences : sécurité, crédibilité, efficacité.

La ministre de la défense a ensuite présenté les crédits d'équipement prévus par la loi de programmation militaire. L'annuité moyenne des crédits d'équipement entre 2003 et 2008 est portée à 14,64 milliards d'euros 2003. Le total des crédits d'équipement sur la période s'élève à 88,87 milliards d'euros, ce qui représente une hausse de 5,5 milliards d'euros par rapport au projet de loi de programmation militaire préparé par le précédent gouvernement. Cet accroissement sera engagé dès l'année prochaine, ce que traduit le projet de loi de finances pour 2003 adopté en Conseil des ministres ce matin.

Le projet de loi de programmation ajuste par ailleurs certains besoins opérationnels, notamment en prenant en compte les enseignements des engagements récents sur les théâtres extérieurs et dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, des moyens nouveaux sont affectés à la protection du territoire et à celle des intérêts vitaux de la France en dehors de son territoire.

Ce projet de loi vise trois objectifs prioritaires : rétablir la disponibilité des matériels ; moderniser les équipements et préparer l'avenir pour faire face aux menaces et permettre à la France de jouer un rôle moteur dans la construction de la politique européenne de sécurité et de défense ; enfin, consolider la professionnalisation des armées en ajustant les effectifs et en garantissant l'attractivité des métiers de la défense.

Le rétablissement de la disponibilité des matériels passe par une annuité moyenne d'entretien programmé des matériels de près de 2,4 milliards d'euros. Cet effort financier se doublera d'une amélioration des méthodes dans ce domaine : renforcement du contrôle de gestion, montée en puissance des nouveaux services mixtes d'entretien et contractualisation du soutien avec les industriels. Par ailleurs, des objectifs chiffrés d'entraînement des forces sont fixés en cohérence avec le redressement de la disponibilité des matériels.

La modernisation des équipements tend à éviter une rupture capacitaire et à préparer l'avenir pour faire face aux menaces et permettre à la France de jouer un rôle moteur dans la construction de la politique européenne de sécurité et de défense. A cette fin, l'accent est mis plus particulièrement sur les fabrications d'équipements destinés aux quatre fonctions stratégiques que sont la dissuasion, la prévention, la projection-action et la protection. La modernisation de la dissuasion sera poursuivie avec la construction des deux derniers sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), la poursuite des programmes du missile stratégique M 51 et du missile air-sol nucléaire ASMP-A, ainsi que la réalisation du laser mégajoule. Des moyens nouveaux de commandement, de communication et de conduite des opérations aux niveaux stratégique, opératif et tactique, seront acquis. Ils permettront à la France de jouer le rôle de nation-cadre pour une opération européenne. Des moyens de renseignement et d'appréciation autonome de situation seront développés, afin de rendre plus efficace la lutte contre le terrorisme international et de conforter la capacité d'autonomie de la France dans des actions en coalition ; il s'agit en l'occurrence des satellites d'observation Helios II, des drones, d'un bâtiment d'écoute et de nacelles de reconnaissance de nouvelle génération. Le déficit capacitaire existant dans les domaines de la projection et de la mobilité des forces sera également réduit grâce à la commande d'un second porte-avions et des avions de transport A 400 M, ainsi que par des actions de rénovation de la flotte des ravitailleurs, la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC), la rénovation d'hélicoptères Cougar et Puma, ainsi que la commande d'hélicoptères NH 90 pour l'armée de terre. Les capacités d'action et de frappe dans la profondeur seront elles aussi accrues avec la livraison de Rafale à l'armée de l'air et à la marine, l'acquisition de munitions air-sol modulaire (AASM), de nacelles de désignation laser, de missiles de croisière Scalp-EG, d'hélicoptères Cougar Mk 2 pour les forces spéciales et la commande de missiles de croisière navals. L'accent sera particulièrement mis sur l'amélioration de la cohérence des différents programmes, qui s'avère nécessaire pour une meilleure maîtrise des milieux aéroterrestre (hélicoptère Tigre, char Leclerc et véhicule blindé de combat d'infanterie
- VBCI - notamment), aéromaritime (frégates anti-aériennes Horizon, avions de guet Hawkeye, hélicoptères NH 90, frégates multimissions et sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda), et aérospatial (avions Awacs, missiles MICA et Météor, systèmes sol-air moyenne portée et développement d'une capacité de défense anti-missile balistique de théâtre). Enfin, les moyens de protection seront renforcés, notamment avec la livraison des systèmes Félin et des radars Girafe, la modernisation du réseau des sémaphores et la mise en service d'hélicoptères de sauvetage au combat Cougar Resco. A ces actions, il convient d'ajouter l'effort au profit de la sécurité intérieure qui se traduira par une enveloppe de 3,2 milliards d'euros en faveur de la gendarmerie. Ces crédits permettront de commander des hélicoptères de surveillance, des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) de nouvelle génération, de renouveler les cars de transport et les fourgons, et de construire 10 000 unités-logements. Par ailleurs, l'ensemble des brigades sera relié en réseau informatique.

Grâce à toutes ces dispositions, en 2008, les déficits capacitaires des armées seront comblés en partie, conformément aux priorités arrêtées avec nos partenaires de l'Union européenne dans le cadre du plan d'amélioration des capacités (ECAP) de chaque Etat membre. Ce rattrapage s'inscrit aussi dans un processus identique et complémentaire qui a lieu au sein de l'OTAN. Par ailleurs, un certain nombre de développements nouveaux, dont le financement est prévu par le projet de loi, pourront donner lieu à des coopérations européennes. S'il s'agit actuellement d'une hypothèse pour le second porte-avions, ce sera bien le cas pour l'A 400M, les satellites d'observation tout temps successeurs d'Helios, les drones de moyenne altitude longue endurance et le missile Météor.

Enfin, le projet de loi de programmation militaire prépare aussi l'avenir en rétablissant un certain niveau d'effort de recherche pour combler les retards dans les secteurs-clés, affronter la compétition internationale et réduire le fossé qui s'est constitué entre les Etats-Unis et l'Europe d'une part, le Royaume-Uni et la France d'autre part. Les crédits d'études amont seront portés à 3 815 millions d'euros, tandis que l'effort de recherche de la défense, hors budget civil de la recherche, se montera à 7 073 millions d'euros.

Le troisième et dernier objectif du projet de loi de programmation militaire est de consolider la professionnalisation, désormais acquise. Le projet de loi arrête les effectifs des armées à 446 653 personnes pour 2008. Il en résultera donc par rapport à la loi de finances initiale pour 2002 une création de 10 432 postes, dont 7 000 pour la gendarmerie, 2 500 pour l'armée de terre (dont 2 000 par transformations d'emplois de volontaires en engagés), 220 médecins et 350 infirmiers pour le service de santé des armées et une centaine de recrutements pour les secteurs du renseignement et de la protection nucléaire radiologique, biologique et chimique (NRBC).

Le ministère de la défense étant désormais le premier recruteur national avec 30 000 engagements chaque année, dont 28 000 militaires, les armées françaises doivent, comme les autres armées professionnelles, relever le défi permanent du marché du travail concurrentiel. C'est la raison pour laquelle le projet de loi de programmation prévoit des mesures d'attractivité et de fidélisation, avec notamment la création d'un fonds spécifique doté de 573 millions d'euros. Les attentes manifestées au début de l'année 2002 par les personnels, puis exprimées par les conseils de la fonction militaire, ont été prises en compte dès l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2002 et les mesures destinées à compenser les contraintes spécifiques de la condition militaire sont confirmées. Leur mise en _uvre s'étendra jusqu'en 2008, l'essentiel étant réalisé en 2005.

Enfin, la réserve est un élément complémentaire et indispensable. Le projet de loi prévoit que son effectif se montera dès 2008 à 82 000 réservistes pour un effectif final fixé par le modèle d'armée 2015 à 100 000. Un montant de 86 millions d'euros est inscrit dans le projet de loi de programmation à cette fin.

La ministre de la défense a conclu en soulignant que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 se traduisait par un accroissement exceptionnel des ressources affectées à la défense. Il répond aux nécessités de sécurité qui découlent du nouveau contexte international et stratégique : les Français comprennent que des mesures fortes en faveur de la défense doivent être prises. Il conforte aussi le rôle de modèle du ministère de la défense dans la réforme de l'Etat. Enfin, il préserve le rôle de la France dans la construction de l'Europe de la défense et lui permet de respecter ses alliances et ses engagements internationaux et de tenir sa place dans le monde.

Après l'exposé de la ministre, le président Guy Teissier a estimé que ce projet de loi représente une bonne nouvelle pour la défense et la sécurité de la France. Puis, il a évoqué les crédits prévus pour les réserves qui s'élèvent à 85,83 millions d'euros et sont destinés à l'amélioration de la formation et de l'attractivité des réserves, jusqu'ici insuffisantes comme l'a noté un récent rapport du Conseil supérieur de la réserve militaire. Il est ainsi prévu de porter à vingt-cinq ou trente jours par an leur entraînement. Néanmoins, les ressources prévues seront-elles suffisantes pour atteindre l'objectif affiché de 82 000 réservistes ?

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que les sommes prévues n'avaient pas pour objet principal d'être consacrées à des rémunérations supplémentaires et que l'amélioration de la situation des réserves pouvait passer par d'autres formes d'actions. Il pourrait ainsi s'agir de motiver davantage les entreprises où travaillent des réservistes, tout particulièrement les entreprises travaillant directement ou indirectement pour le ministère de la défense. Rétablir la motivation des réservistes, créer un état d'esprit favorable, notamment en veillant à l'intérêt des tâches proposées, est un autre objectif. Les réservistes n'ont pas vocation à occuper des emplois peu valorisants qui peuvent de surcroît être externalisés. Si les crédits prévus apparaissaient insuffisants, le processus de globalisation des crédits prévu par la loi organique relative aux lois de finances permettrait d'obtenir la souplesse nécessaire pour remédier aux carences éventuelles.

Le président Guy Teissier a ensuite évoqué la question du second porte-avions. Le choix d'une propulsion classique ou nucléaire, l'éventualité d'une coopération avec les Britanniques auront un impact direct sur les coûts et la durée du programme. Le projet de loi de programmation militaire prévoit une commande en 2005 et 550 millions d'euros de crédits : comment ces éléments pourront-ils être ajustés en fonction des choix techniques qui seront effectués ?

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que les études récentes ne semblaient pas conclure à une dérive des coûts et que l'arbitrage retenu dans le projet de loi de programmation militaire devait permettre de répondre aux besoins quelles que soient les modalités techniques finalement retenues. Le choix des caractéristiques du futur porte-avions ne doit reposer sur aucun dogmatisme, tous les paramètres, qu'il s'agisse du coût d'achat, du coût d'entretien, de la permanence à la mer et du coût de fonctionnement doivent être pris en compte. Dès que la loi de programmation militaire aura été promulguée, un groupe d'études sera créé pour apprécier l'ensemble de ces questions et la commission de la défense sera informée de ses conclusions. Quoi qu'il en soit, le Royaume-Uni ne décidera qu'en janvier prochain s'il choisit pour ses avions embarqués le décollage vertical ou le catapultage. Ce dernier permet d'envisager une coopération. C'est donc vers la fin du premier semestre 2003 que l'ensemble des critères de choix sera disponible.

Après avoir fait part de la satisfaction des habitants du Finistère eu égard aux orientations du projet de loi de programmation militaire, Mme Marguerite Lamour a souligné que le choix du mode de propulsion du deuxième porte-avions et l'éventualité d'une coopération avec les Britanniques auront d'importantes répercussions pour DCN. Malgré l'importance des commandes actuelles de la marine, la construction du porte-avions est vitale pour cette entreprise. La garantie d'un plan de charge suffisant pour DCN ne doit-elle pas prévaloir dans le choix final ?

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que des garanties minimales de plan de charge figuraient déjà dans le plan de transformation de DCN en société. DCN dispose certainement de la capacité et de l'expertise lui permettant d'être un très bon concurrent dans le marché de construction du porte-avions.

M. Richard Mallié a souligné que la capacité aéromobile de l'armée de terre était largement entamée par la faiblesse du taux de disponibilité des Puma et des Cougar, dont le vieillissement justifiait leur remplacement par le NH 90. Ce dernier ne devant être livré à l'armée de terre qu'en 2011, alors que la fin de vie des Puma devrait intervenir à partir de 2005, une rénovation des Puma et des Cougar est prévue. Toutefois, ce programme correspond au coût d'environ quinze NH 90 neufs. Pourquoi ne pas accélérer la dotation en matériels neufs de l'armée de terre, en alignant la date du début de livraison de ses NH 90 sur celle prévue pour la marine, soit 2005 ?

Mme Michèle Alliot-Marie a convenu que lorsque les équipements sont vieillissants, leur entretien est plus coûteux. Mais il n'est pas possible de modifier les contrats passés dans un cadre international pour modifier le rythme des livraisons. Pour la réalisation d'une loi de programmation militaire, les baisses, les annulations et les reports de crédits se traduisent par des lacunes capacitaires qu'il faut ensuite combler par des procédés peu satisfaisants.

Cependant, le projet de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 rompt pour l'avenir avec cette approche. Ainsi, des autorisations de programme supplémentaires seront inscrites au projet de loi de finances rectificative à venir pour un montant de 4,4 milliards d'euros, ce qui permettra de mettre en _uvre dès le tout début de l'année 2003 des programmes qui ont été retardés.

En réponse au président Guy Teissier qui s'interrogeait sur la possibilité d'une solution de compromis, la ministre de la défense a précisé que la réalisation de commandes anticipées se heurterait de toute façon au plan de charge de l'industriel.

S'exprimant au nom des commissaires socialistes, M. Jean-Michel Boucheron a reconnu que les objectifs fixés par la loi de programmation militaire s'inscrivent dans la réalisation du modèle d'armée 2015, lequel a été approuvé par le groupe socialiste ; à ce titre, les choix stratégiques fixés par la loi de programmation font l'objet d'un consensus. En revanche, des divergences existent quant à la sincérité des chiffres. Il est inquiétant pour l'exécution à venir de la loi de programmation de constater que les crédits votés le 1er août 2002 pour l'entretien des matériels ont été gelés le 12 août 2002. Si les objectifs fixés par la loi de programmation pour la période 2003-2008 ne trouvaient pas leur réalisation budgétaire annuelle, la crédibilité de la France pourrait être affaiblie. M. Jean-Michel Boucheron a conclu en soulignant que la réflexion, au sein du groupe socialiste, se poursuit sur ce projet et que le sens du vote final du groupe n'est pas acquis à ce jour.

Puis, il a évoqué des questions ponctuelles.

Il a demandé ce qui justifie l'augmentation du nombre de commandes de chars Leclerc par rapport à la loi de programmation militaire précédente, alors même que l'état-major de l'armée de terre ne semble pas en avoir exprimé le besoin, et ce qui explique la hausse de 200 millions d'euros des crédits consacrés à la dissuasion, alors que les programmes n'ont pas été modifiés. Il a ensuite souhaité connaître l'analyse de la ministre sur l'incidence des récentes élections en Allemagne sur le programme A 400 M, en manifestant la crainte que la position allemande affaiblisse et déstabilise l'Europe. Enfin, il a demandé comment les dépenses programmées dans le projet de loi s'articulent avec le pacte européen de stabilité, alors que le Président de la République a évoqué l'idée d'exclure les dépenses d'investissement consacrées à la défense de l'Europe du périmètre de ce pacte.

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que la crédibilité de la loi de programmation militaire vient de ce qu'elle traduit une volonté politique forte du Président de la République et du Gouvernement qui s'est déjà manifestée à travers la loi de finances rectificative adoptée en août 2002 et se traduira de nouveau dans le projet de loi de finances initiale pour 2003 et le projet de loi de finances rectificative à venir. Cette crédibilité se marque aussi par la clarification du budget de la défense, qui exclut désormais le fonds destiné à la Polynésie et le fonds de démantèlement, ainsi que le budget civil de recherche et développement (BCRD). Quant au gel de crédits intervenu en août 2002, il concerne des crédits qui n'avaient pas été consommés pendant le premier semestre. Le Premier ministre a donné son accord pour que ces crédits soient de nouveau rendus disponibles au fur et à mesure de l'apparition des besoins.

La ministre a ensuite indiqué qu'il n'y avait pas de commandes supplémentaires de chars Leclerc. La dernière commande de 52 chars a été passée par le précédent gouvernement. Le projet de loi de programmation militaire prévoit ainsi la livraison des 117 derniers chars attendus par l'armée de terre. Par ailleurs, la hausse apparente des crédits consacrés à la dissuasion semble résulter de demandes des industriels afin, selon eux, de rétablir la vérité des prix. Mme Michèle Alliot-Marie a manifesté sa désapprobation concernant ces pratiques, un industriel devant savoir réaliser un devis.

En ce qui concerne la position de l'Allemagne, la ministre a indiqué que les déclarations du chancelier Schröder et de son ministre de la défense sur l'Europe de la défense avaient été très claires et que l'intention de l'Allemagne d'acheter les 73 A 400 M avait été confirmée par le chancelier Schröder lors de la réunion de Schwerin. Elle a réaffirmé ensuite l'inscription de la loi de programmation militaire dans le cadre du pacte de stabilité.

Le président Guy Teissier a indiqué à cette occasion son intention de rencontrer rapidement son homologue allemand au sein du nouveau Bundestag, afin d'évoquer notamment avec lui la question de l'A 400 M.

M. Jérôme Rivière a insisté sur l'importance de la crédibilité budgétaire. Il s'est interrogé sur la pertinence de la durée de la loi de programmation, alors que la gestion des crédits est annuelle, et sur l'impact de la loi organique de 2001 relative aux lois de finances sur le concept de programmation militaire.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu qu'avec les lois de programmation, un point d'équilibre à moyen terme avait été trouvé entre l'annualité des lois de finances et les objectifs à long terme du modèle d'armée et qu'il était difficilement envisageable de faire une loi de programmation sur une période plus longue et d'en obtenir l'exécution.

En ce qui concerne les nouvelles procédures introduites par la loi organique sur les lois de finances, elle a indiqué son espoir d'aboutir à une situation où le ministère de la défense aurait une meilleure maîtrise de ses propres crédits, notamment grâce à la possibilité de réaffecter des crédits économisés par une bonne gestion.

Indiquant que la loi de règlement serait le meilleur moyen de juger de la sincérité budgétaire, M. François Lamy a ensuite demandé pourquoi il fallait attendre 2005 pour lancer la commande du second porte-avions, indépendamment des délais inhérents au choix de sa propulsion et des modalités de coopération avec les Britanniques. Il a également demandé des précisions sur la doctrine retenue en matière de dissuasion, relevant des ambiguïtés entre le discours du Président de la République devant l'IHEDN en juin 2001 et le concept de non-emploi.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que les études ne pourraient commencer qu'après la promulgation de la loi de programmation, qu'elles dureraient quatre ou cinq mois et qu'il fallait ensuite deux ans pour négocier un contrat, délai qui pourrait être ramené à dix-huit mois. S'agissant de la dissuasion, il n'existe ni contradiction, ni ambiguïté dans le discours du Président de la République, qui a rappelé la définition même de la dissuasion.

Relevant la place importante consacrée au renseignement dans la nouvelle loi de programmation, M. Axel Poniatowski a demandé des précisions sur les moyens accordés au renforcement des capacités de renseignement humain.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que la France était l'un des rares pays occidentaux à avoir conservé une forte capacité de renseignement humain, à l'inverse de certains autres pays ayant privilégié le renseignement matériel. Par conséquent, ce sont principalement les moyens de renseignement matériel qui doivent être renforcés, les moyens humains étant seulement confortés, dans le domaine linguistique par exemple.

M. Axel Poniatowski a alors interrogé la ministre de la défense sur la situation en Côte d'Ivoire. Il a notamment demandé si, au regard des intérêts économiques et financiers de la France dans ce pays, la politique de non-intervention restait pertinente.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que la non-intervention dans la politique intérieure des Etats restait un principe fort et que l'accord de défense liant la France à la Côte d'Ivoire ne prévoyait d'intervention qu'en cas d'agression extérieure.

La France a cependant le droit et le devoir de protéger ses ressortissants, ainsi que ceux de ses alliés européens ou américains. C'est pourquoi les forces françaises en Côte d'Ivoire ainsi que dans d'autres pays africains ont été placées en état d'alerte. Un détachement français se tient prêt à évacuer une mission américaine située à Bouaké. Les forces françaises sont prêtes à s'interposer pour protéger les ressortissants, même si aucune demande d'évacuation n'est parvenue pour l'instant. De nouveaux renforts arrivés aujourd'hui même contribuent à la protection des sites français à Abidjan et notamment à celle de l'ambassade de France. Toutefois, dans cette ville, la situation reste relativement calme.

M. Robert Pandraud a remercié la ministre pour les efforts qu'elle déploie pour maintenir le budget de nos armées. Il a mis en garde contre les dangers qu'il y aurait à construire un porte-avions commun à la France et au Royaume-Uni, en particulier en cas de divergence politique lors d'une opération extérieure.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu qu'il ne s'agissait pas de construire un porte-avions commun, mais d'adopter, le cas échéant, le même modèle de façon à réaliser d'importantes économies d'échelles.

M. Jean-Yves Le Drian a interrogé la ministre sur la proposition américaine de créer une force de réaction rapide propre à l'OTAN (FRO). Il a demandé quelle en serait l'articulation avec celle que l'Europe essaie de mettre en place.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que, lors de la réunion des ministres de la défense des Etats membres de l'OTAN qui s'est tenue à Varsovie, a effectivement été évoquée l'idée de créer une force de réaction rapide de 20 000 hommes, capable d'intervenir sous faible préavis, de deux à cinq jours, et qui aurait pour missions de porter secours à des ressortissants, d'engager une action préventive dans des conflits locaux et de se déployer préalablement à la mise en place d'une force plus importante au bout d'un an. Néanmoins, la mise sur pied d'une telle force appelle plusieurs précisions : son emploi doit relever d'une décision politique et non administrative ; son champ d'intervention doit se limiter au cadre géographique de l'OTAN.

La réunion de Varsovie, qui était de caractère informel, a également permis d'aborder d'autres questions, notamment les perspectives de réforme des structures de l'Alliance.

M. Georges Siffredi a demandé si les programmes d'armement terrestre prévus par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 étaient de nature à garantir à Giat-Industries un plan de charge permettant de limiter les difficultés prévisibles de ce groupe.

Mme Michèle Alliot-Marie a observé que la situation économique de Giat-Industries est difficile dans la mesure où les plans successifs ont surestimé ses plans de charge et sous-estimé les efforts à faire en matière de plans sociaux. Alors que les livraisons du char Leclerc à l'armée de terre arrivent à échéance, les perspectives à l'exportation restent incertaines et ne fourniraient pas plus de deux à trois années de plan de charge. Par ailleurs, si les programmes VBCI et Félin peuvent concerner Giat Industries, ils ne suffiront pas à garantir la stabilisation du format de l'entreprise. Néanmoins, la société nationale possède des compétences qu'elle doit continuer à faire valoir, notamment dans les domaines de l'entretien des chars Leclerc et des munitions. La direction évalue actuellement les mesures à mettre en _uvre pour la survie de l'entreprise. Il ne faut pas pour autant se cacher que le potentiel de Giat Industries est plus limité que celui de DCN. En tout état de cause, les personnels ont d'abord un besoin de visibilité et de vérité quant à leur avenir.

M. Jean-Louis Bernard a rappelé les difficultés de l'Europe de l'armement, citant notamment l'exemple de l'avion de transport futur. En ce qui concerne les avions de combat, le Rafale et l'Eurofighter sont aujourd'hui menacés par le F 35 américain, dont une large part de crédits d'études provient d'Etats européens. La bataille pour la construction d'un avion de combat européen est-elle d'ores et déjà perdue ?

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que le Rafale est apprécié comme un excellent avion par les pilotes, mais que le programme a subi dix ans de retard en raison du report des commandes. A l'époque, il était le seul avion dans sa catégorie ; aujourd'hui il doit faire face à la concurrence de l'Eurofighter, ainsi qu'à celle, encore potentielle, du F 35. Le prix du Rafale est actuellement équivalent à celui de l'Eurofighter, mais, eu égard à la concurrence, le nombre d'exemplaires restera trop réduit pour espérer une diminution des coûts. Le F 35 n'est pas pour l'instant disponible, mais les Etats-Unis exercent une forte pression pour que le plus grand nombre possible d'Etats s'engage dans l'effort de recherche et par là même effectue plus tard des commandes fermes. Au travers des contreparties économiques proposées et des pressions politiques apparaît une volonté américaine de disposer du monopole dans la maîtrise et l'industrialisation de ce type d'armement. Les avions de combat de cette génération auront une durée de vie de vingt ans. A cette échéance, avec qui la France pourra-t-elle développer un programme d'avion de combat ? Elle devra trouver les moyens de le faire, car c'est une compétence qu'elle doit garder, mais, si on a le diagnostic, on n'a pas forcément les solutions.

M. Pierre Lang a fait part de ses préoccupations à propos de la situation de Giat-Industries et de DCN. Des critiques sévères ont été portées à l'encontre de la productivité du personnel, notamment de DCN, tandis que la marine s'est plaint du délai des réparations et du manque de pièces, contraignant dans certains cas à la « cannibalisation » des navires. Le projet de loi de programmation militaire apparaît pleinement satisfaisant, mais l'afflux des crédits ne risque-t-il pas de masquer les difficultés de fonctionnement de ces établissements et de différer les évolutions nécessaires ?

Mme Michèle Alliot-Marie a fait part de son souci d'assurer une transition vers le nouveau statut de DCN dans de bonnes conditions. Aussi bien Giat-Industries que DCN disposent d'une belle capacité d'expertise, qui coexiste malheureusement avec un laxisme qui a pu mener dans certains cas à l'infraction pénale. Il convient de faire le maximum en amont pour que DCN aborde l'inévitable concurrence avec toutes les chances de succès. La simple nécessité de répondre aux obligations liées au statut de société ne suffit pas et devra s'accompagner de la poursuite de l'amélioration de la gestion.

M. Etienne Mourrut a jugé qu'il convenait également de parler des hommes et des femmes qui _uvrent dans les forces armées et a souhaité connaître la fonction du fonds de consolidation de la professionnalisation dont la constitution est prévue.

Mme Michèle Alliot-Marie a estimé nécessaire que le ministère de la défense puisse disposer des personnels les plus compétents et les plus adaptés aux missions. Dans certains cas, pour certains métiers et spécialités, il est en concurrence directe avec le secteur privé pour le recrutement, mais aussi pour la fidélisation des personnels. Le fonds de consolidation a donc pour objet d'agir sur les rémunérations, afin de garantir un niveau et une qualité de recrutement à la hauteur des attentes.

M. Bernard Deflesselles a demandé quels sont les régiments ou les missions qui seront dotés en priorité des 14 000 équipements Félin dont le projet de loi de programmation prévoit la livraison.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les troupes subissant les plus forts risques d'exposition aux menaces, notamment sur les théâtres d'opérations extérieures, seraient bien entendu prioritaires.

--____--


© Assemblée nationale