COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 15

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 novembre 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187)



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Loi de programmation militaire 2003-2008 : audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

Mme Claudie Haigneré a présenté les axes de coopération possibles entre son ministère et le ministère de la défense. La recherche est une composante essentielle de la capacité de développement de systèmes stratégiques. L'identification et la maîtrise de technologies clefs est un enjeu pour la synergie entre actions civiles et militaires qui fait l'objet d'efforts des différentes nations. Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 devrait permettre de combler un certain nombre de retards dans les secteurs-clefs, d'affronter la compétition internationale et de réduire l'écart entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les autres pays d'Europe.

Le Gouvernement travaille à l'utilisation optimale des ressources disponibles afin de tirer, pour la défense, les bénéfices de technologies duales ou susceptibles d'être étudiées, approfondies et développées par les structures placées sous la tutelle du ministère de la recherche. Ces projets sont développés à la demande du ministère de la défense, en accord et en coopération avec lui. Le délégué général pour l'armement, M. Yves Gleizes, a d'ailleurs souligné lors de son audition par la commission de la défense nationale et des forces armées que la délégation générale pour l'armement (DGA) s'est fixé des objectifs précis en matière de recherche et de technologie, incluant le recours au développement de démonstrateurs technologiques et le renforcement de la coordination entre les travaux de recherche des ministères civils et les travaux financés par la défense.

L'amélioration de cette coordination fait partie des préoccupations des ministres de la défense et de la recherche. Sous leur impulsion, leurs administrations respectives travaillent à l'élaboration de lignes directrices et de contenus précis qui permettraient de tirer le meilleur bénéfice de leurs ressources et capacités respectives.

Ce partenariat s'inscrit dans la perspective de construction d'une Europe politique et technologique. C'est une dimension désormais très ancrée au sein du monde de la recherche. A l'occasion de l'élaboration du 6ème programme cadre de recherche-développement (PCRD), le ministère de la recherche travaille à une redéfinition de la politique de recherche au niveau européen. La construction de l'Europe spatiale, dans sa dimension politique, pose des questionnements similaires à ceux que suscite la création d'une Europe de la défense. Il s'agit d'un domaine stratégique qui renvoie à des notions d'indépendance et d'intérêts propres à chacun des Etats. Le ministère de la recherche a la volonté de participer activement à cette construction d'une politique spatiale européenne ambitieuse. A cet effet, le centre national d'études spatiales (CNES), dont le ministère de la recherche partage la tutelle avec le ministère de la défense, est un outil essentiel pour la mise en œuvre des impulsions de la France.

Les ministères de la défense et de la recherche travaillent aussi ensemble dans d'autres domaines. Un protocole d'accord entre la direction de la technologie et la DGA a été signé le 29 janvier 2001 ; un dialogue entre la direction de la recherche et la DGA s'est engagé de manière similaire depuis juillet 2002. Dans ce cadre, une concertation a eu lieu sur la définition des politiques de recherche technologique et des groupes d'experts scientifiques identifiés apportent une contribution active à l'élaboration de la politique de la DGA. Cette dernière prend également une part croissante au sein de certains réseaux technologiques du ministère de la recherche, comme le réseau « terre et espace » ou le réseau « recherche sur le supersonique ».

D'autres coopérations entre la DGA et le ministère de la recherche sont appelées à s'intensifier. Un des exemples les plus concrets est l'appel à proposition « bio sécurité - ressources biologiques », conjoint aux ministères de la défense, de la recherche et de la santé, qui a pour but de renforcer la capacité à prévenir les situations d'urgence que constituent les attaques biologiques terroristes. De nouvelles thématiques pourraient faire l'objet d'actions conjointes, dans le cadre de réseaux ou au travers d'actions incitatives concertées pour les matériaux et les procédés, le traitement de la langue pour l'intelligence et le renseignement, la lutte contre le terrorisme sur les réseaux d'information, le cryptage et le décryptage, entre autres. Un dialogue est aussi engagé dans le cadre des journées « Science et défense ».

L'espace est un secteur où les actions communes entre les ministères de la défense et de la recherche sont nombreuses. Il en est ainsi du développement du programme d'observation de la terre Pléiades ou la participation de la DGA et du CNES à la définition des contraintes de sécurité du programme Galileo. Ce dernier a surmonté quelques difficultés de mise en œuvre pour des raisons de partage industriel et financier. Il reste à régler la question de la sécurité du système, au sujet de laquelle la difficulté des négociations menées avec les Etats-Unis montre bien le caractère stratégique de ce projet. Néanmoins, l'appui de l'administration américaine au secteur spatial, à travers la recherche-amont et des commandes dix fois supérieures dans le domaine de la défense à celles dont il peut bénéficier en Europe, crée un véritable handicap pour la capacité de recherche des Etats membres de l'Union européenne en la matière et leur compétitivité industrielle.

Pour aller plus loin dans les synergies entre le ministère de la recherche et le ministère de la défense, il apparaît nécessaire de mettre en place certaines structures et de définir, puis de porter les enjeux. La phase actuelle consiste à mettre sur pied un cadre de coopération et d'écoute des besoins exprimés par la défense en matière d'infrastructures, de méthodologies et de réseaux, de façon à pouvoir élaborer des processus de réponse communs.

Remarquant que la recherche en France s'était illustrée successivement grâce à de grands chercheurs, puis par la consécration de travaux effectués en équipe et les progrès réalisés par les petites et moyennes entreprises ou industries (PME-PMI), le président Guy Teissier a souhaité savoir si la France avait les moyens de continuer à financer ces trois types de recherche.

Mme Claudie Haigneré a répondu que la politique française en matière de recherche s'adresse d'abord à une activité de recherche publique, aux orientations clairement définies, qui passe par le soutien apporté au travail individuel de certains chercheurs, mais qui s'organise également autour d'équipes structurées. Un effort de gestion commune des projets en interdisciplinarité est actuellement mené afin d'éviter les redondances entre les grands organismes de recherche. Cette activité de recherche publique est également réorganisée afin de favoriser les synergies avec les entreprises privées, quelle que soit leur taille, en concertation avec le ministère de l'industrie. Des mesures incitatrices en faveur des PME innovantes sont notamment envisagées. Il est clair que l'objectif affiché de consacrer 3% du produit intérieur brut (PIB) à la recherche ne pourra être atteint sans l'implication de l'ensemble des partenaires. Une réflexion est engagée avec les entreprises sur les moyens de dynamiser fiscalement et administrativement l'effort de recherche et de le rendre plus efficace, notamment par l'externalisation de certaines activités. Enfin, il convient de favoriser l'effet de levier que procure la dualité de certains types de recherche, notamment dans le domaine des télécommunications, des nanotechnologies et de l'espace.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité connaître les retombées militaires des quelque 190 millions d'euros constituant la contribution du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement (BCRD) et destinés exclusivement au financement du CNES. Il a également demandé quel était le sentiment de la ministre déléguée au sujet de la mainmise américaine sur les compétences et les technologies spatiales russes, au détriment des capacités européennes.

Mme Claudie Haigneré a indiqué que, dans un souci de lisibilité, le ministère, avec le CNES, avait essayé d'identifier l'origine des crédits engagés pour chaque programme dual, les principaux étant Ariane V, Galileo, Metop, Artes, Spot IV et V, Jason, Stentor et Pléiades, en coopération avec les Italiens, sans oublier les télécommunications du futur, la plate-forme Alphabus, les micro-satellites, et la recherche sur les systèmes orbitaux et les lanceurs. La contribution du ministère de la défense à des activités pouvant être considérées comme d'intérêt « dual » équivaut, en moyenne, à un tiers des sommes investies par le BCRD.

En ce qui concerne le domaine spatial, une ouverture de l'Europe à des partenariats avec la Russie est indispensable. De nombreuses actions sont déjà engagées en commun, notamment sur les vols, qu'ils soient habités ou non. La France a choisi de privilégier ses liens avec la Russie dans la conduite du programme de la station spatiale internationale. Quant aux lanceurs, il est important de poursuivre l'exploitation commerciale de Soyouz grace à Starsem et d'envisager son lancement de Kourou. Le développement en commun de nouveaux lanceurs devra se concrétiser par la mise en place de partenariats, déjà engagés par Snecma.

Rappelant que les investissements militaires ont longtemps soutenu la recherche, M. René Galy-Dejean a demandé si le laser mégajoule avait pour seule justification de maintenir la dissuasion nucléaire au meilleur niveau de fiabilité ou si des retombées en faveur de l'industrie et du secteur civil ne justifiaient pas également son existence. Par ailleurs, n'existe-t-il pas d'importants risques de rupture technologique par rapport à la recherche américaine et le ministère de la recherche a-t-il mis en place une cellule chargée d'évaluer ce risque ?

Mme Claudie Haigneré a souligné l'intérêt d'infrastructures et d'équipements qui permettent une dualité de recherche, à la fois militaire et civile. Le laser mégajoule est utilisé pour la recherche relative à la production d'énergie à partir de la fusion de noyaux par laser et l'ensemble des résultats contribue à faire progresser différents secteurs civils. Les retombées potentielles vont donc bien au-delà du simple domaine militaire.

Ce n'est pas le ministère de la recherche, mais la DGA qui, en s'appuyant sur ses experts, évalue les possibilités de décrochage technologique. Ce risque de décrochage existe, par exemple en matière de brouillage des capacités de communication, et il fait l'objet d'un suivi prospectif à dix-douze ans.

M. Gérard Charasse a attiré l'attention de la ministre sur les difficultés rencontrées par les industriels de l'aéronautique et de l'espace, en raison de la baisse des commandes publiques et de la concurrence déloyale d'entreprises étrangères, dont la recherche est financée par des subventions déguisées de certains Etats. La recherche, qu'elle soit publique ou privée, est fondamentale pour que l'Europe conserve son autonomie en matière de défense. Les pays de l'Union européenne, et tout particulièrement la France, se donnent-ils les moyens de poursuivre cet objectif ?

Mme Claudie Haigneré a reconnu que la recherche était fortement soutenue aux Etats-Unis par le ministère de la défense, puisque l'effort, notamment dans le domaine militaire, y est dix fois plus important que celui des pays européens. Compte tenu de la surcapacité des lanceurs à l'échelle mondiale, une réflexion a été engagée au sein de l'agence spatiale européenne pour permettre à la filière Ariane de surmonter ses difficultés actuelles. Un soutien gouvernemental plus important concernant les infrastructures de lancement ou les coûts de développement pourrait être mis en place. Même si leurs budgets européens sont incomparables avec le montant des crédits que les Etats-Unis consacrent à la recherche-développement, les Etats membres de l'Union européenne ont la volonté d'agir pour préserver leurs compétences dans ce secteur clef. En l'absence de revalorisation budgétaire, une meilleure mise en cohérence et une synergie accrue entre les ministères de la recherche et de la défense permettront d'optimiser les moyens disponibles. Les pouvoirs publics pourraient également s'engager davantage dans certains grands programmes concernant les télécommunications ou les biotechnologies, où la France n'est pas en avance et ne doit pas se laisser distancer.

M. Jean-Louis Bernard a évoqué la grave crise que traverse actuellement l'industrie spatiale, ainsi que les perspectives de restructuration du secteur des fabricants de satellites et de lanceurs. La forte baisse des lancements de satellites depuis quelques années est inquiétante et il y a aujourd'hui urgence à régler le problème d'un marché commercial accessible qui est passé de vingt satellites à lancer, chaque année, à seulement cinq ou six exemplaires. Il a demandé des précisions sur la motion de défiance déposée à l'encontre du président du CNES et sur le programme MARS.

Mme Claudie Haigneré a rappelé que le paysage spatial a été profondément bouleversé ces dernières années. Les industriels européens du secteur ont déjà été porteurs de restructurations importantes, de telle manière que les bases existantes sont désormais bonnes. Les sociétés Alcatel Space et Astrium mènent un dialogue afin de faire converger leurs efforts, notamment en matière de recherche technologique ainsi que de développement. Un rapprochement de leurs activités commerciales apparaît en revanche plus difficile. Il n'empêche cependant qu'une européanisation de l'industrie spatiale nationale est sans doute souhaitable, notamment pour faire face à la concurrence américaine et à l'émergence des nouveaux acteurs, tels que la Chine ou le Japon.

Dans ce contexte en mutation, le CNES a actuellement des difficultés à trouver sa place. Une gouvernance insuffisamment unie ces dernières années a entraîné une dégradation du climat interne et suscité une atmosphère de défiance. Le CNES doit rester un acteur important de la politique spatiale européenne, avec des compétences reconnues et pouvant assurer la promotion d'idées porteuses pour l'avenir. Une commission de réflexion sur l'évolution de la politique spatiale européenne et l'avenir, ainsi que la place du CNES dans ce contexte, a été mise en place. Le ministère de la recherche a conscience de l'acuité de la situation et de la nécessité de sortir par le haut de la crise qui secoue actuellement le CNES.

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