COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 novembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187)

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Loi de programmation militaire 2003-2008 : audition de M. Michel Barnier, commissaire européen, sur le contexte européen de la programmation militaire et la défense européenne.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Michel Barnier, commissaire européen, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 (n° 187).

M. Michel Barnier a indiqué que, nommé commissaire européen il y a trois ans, il était en charge de la politique régionale, ainsi que des questions institutionnelles, qu'il avait déjà suivies en tant que négociateur français du traité d'Amsterdam. À l'issue des négociations concernant le traité de Nice, il était apparu que l'Union devait se réformer pour faire face au défi de l'élargissement. Alors que la présentation du traité de Maastricht aux parlementaires nationaux était intervenue seulement une fois celui-ci rédigé, les méthodes de négociation ont profondément changé. Déjà, pour l'élaboration du traité d'Amsterdam, le gouvernement français avait présenté à huis clos l'évolution des travaux aux commissions parlementaires compétentes tous les mois. Désormais, ce sont 105 conventionnels, réunis au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe, représentant les parlements nationaux et européens, les gouvernements et la Commission européenne, qui se livrent en toute transparence à un travail de véritable refondation des traités, conformément au mandat assigné par le Conseil européen de Laeken.

Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe ont débuté par des débats généraux. Désormais, dix groupes de travail thématiques, plus opérationnels, réfléchissent aux contenus précis du traité, l'objectif étant de présenter un projet de traité constitutionnel au printemps prochain aux chefs d'Etat et de gouvernement, qui devront décider fin 2003 d'une nouvelle conférence intergouvernementale. Il s'agit de refonder l'ensemble des traités actuels et chaque Etat membre devra approuver le nouveau texte.

Il a été décidé de créer un groupe de travail sur la défense distinct de celui sur les affaires étrangères, présidé par M. Jean-Luc Dehaene. Sa présidence a été confiée au commissaire européen chargé des politiques régionales et des questions institutionnelles, non en sa qualité de membre de la Commission européenne, mais parce qu'il appartient au Praesidium de la Convention. La réflexion du groupe de travail sur la défense a porté sur les textes existants et elle a été nourrie par de nombreuses auditions de responsables politiques, militaires et industriels du secteur de la défense.

En l'état actuel, les traités européens comportent des dispositions potentiellement ambitieuses, à l'image de l'article 17 du traité sur l'Union européenne, qui précise que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) inclut les questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui pourrait conduire à une défense commune. Cette politique de défense comprend les missions dites de Petersberg, qui consistent à assurer le maintien de la paix et qui sont acceptées de manière consensuelle comme l'une des missions fondamentales de l'Union européenne. Alors que quatre Etats membres de l'Union sont neutres, ce sont la Suède et la Finlande elles-mêmes qui ont proposé d'inclure ces missions dans les traités. La principale difficulté réside dans la perception par chaque Etat de la manière d'assurer ces tâches.

Le groupe de travail sur la défense a également dressé un état des lieux lucide sur les capacités militaires des Etats membres de l'Union européenne. Outre les disparités capacitaires importantes entre Etats européens, il existe un décalage entre l'effort global des Quinze en faveur de la défense et celui des Etats-Unis, ce qui se traduit par des écarts de capacités pour la projection et l'équipement des forces, sans parler des différences de conception en matière de professionnalisation des armées ou de doctrines d'engagement. Il reste que les Etats membres ont démontré leur capacité et leur responsabilité politique dans la conduite des opérations de maintien de la paix sur le continent, que ce soit en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo ou en Macédoine : 40 000 soldats européens sont actuellement engagés dans les Balkans, alors que les Etats-Unis n'en ont déployé que 9 000. Des initiatives politiques fondamentales ont récemment été prises, telles que la déclaration franco-britannique de Saint-Malo ou la décision prise lors du Conseil européen d'Helsinki visant à pouvoir déployer une force européenne de 60 000 hommes sur un théâtre d'opérations. Cet état des lieux passe également par la prise en compte des attentes de l'opinion, qui, en dépit de la faiblesse des réalisations, sont très fortes en matière de défense européenne.

Il est difficile de présider un groupe de travail très hétérogène, regroupant des pays aux situations très diverses. Tous les Etats membres n'appartiennent pas à l'OTAN, certains sont neutres, d'autres relancent leur effort de défense ou au contraire veulent le réduire. Les pays candidats participent également aux travaux de la Convention et, ayant déjà fait des efforts considérables pour entrer dans l'OTAN, voient parfois davantage dans l'Europe une zone de libre-échange qu'un instrument politique.

Un certain consensus apparaît néanmoins sur la nécessité de moderniser les missions de Petersberg. Au cœur de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), elles doivent être actualisées pour accroître la vocation stabilisatrice de l'Union européenne. En s'élargissant aux pays d'Europe centrale, orientale, méditerranéenne et baltique, l'Union européenne va se rapprocher de zones beaucoup moins stables et beaucoup plus pauvres. Cet élargissement est une nécessité, car l'adhésion de ces pays permet de relever leur niveau de développement et de reporter plus loin les risques d'instabilité.

Dans le même temps, notre partenariat transatlantique n'a plus le même contenu depuis le 11 septembre 2001, la sécurité de l'Europe n'étant plus autant une priorité pour les Etats-Unis. Au-delà de ce désengagement américain, il est également nécessaire de tenir compte des nouvelles menaces et des incertitudes stratégiques en renforçant les capacités liées aux missions de Petersberg. La prise en compte de la sécurité dans sa dimension globale (judiciaire, politique, militaire) pourrait se concrétiser par la modification de l'article 17 du traité et par la mise en place d'une capacité de stabilisation des crises en dehors de l'Union européenne, mais éventuellement aussi à l'intérieur de celle-ci.

Il est certain qu'il ne sera pas possible d'atteindre tous les objectifs politiques avec l'ensemble des pays membres. Une forme spécifique de coopération, plus flexible, dans le domaine militaire devra donc être trouvée afin de permettre aux pays qui le désirent d'aller plus loin, tout en respectant la souveraineté des autres.

Parmi les orientations qui pourront être proposées, mais qui ne sont pas arrêtées à l'heure actuelle, figure notamment l'incitation à un effort budgétaire des Etats membres en matière de défense, assortie d'objectifs de convergence. Cette incitation est notamment nécessaire dans le domaine de la recherche. Actuellement, il existe en la matière un différentiel de un à quatre entre l'Europe et les Etats-Unis. La faiblesse des crédits budgétaires affectés à la recherche pénalise le tissu économique européen et menace à terme des centaines de milliers d'emplois civils. La coopération européenne pourrait s'organiser autour d'une agence européenne de l'armement, en tenant compte de la démarche déjà entreprise avec l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR). Des mesures pourraient également être prises à propos de l'entraînement des forces. Une simplification des procédures de décision est étudiée, afin de prendre en compte l'expérience de l'intervention dans les Balkans. Enfin, dans un domaine qui reste intergouvernemental, il faudra renforcer le contrôle politique des parlements nationaux.

Il est nécessaire pour l'Union européenne de parler d'une seule voix sur la scène internationale, afin de devenir une véritable puissance politique et de favoriser un meilleur équilibre international. La fusion du poste de haut représentant pour la politique étrangère et de celui de commissaire européen aux relations extérieures serait souhaitable : un secrétaire aux affaires étrangères de l'Union européenne, qui serait l'homologue européen du secrétaire d'Etat américain, pourrait être nommé auprès de la Commission européenne avec l'accord du Conseil des ministres et être responsable devant lui ; il détiendrait un pouvoir d'initiative et disposerait d'un poids considérable sur la scène internationale.

La création d'un autre poste spécifique auprès du Conseil des ministres et sur le modèle du haut représentant, compétent pour les questions militaires, serait également positive et pourrait notamment favoriser la concertation entre les ministres de la défense européens.

Le président Guy Teissier a rappelé que d'importants efforts avaient été réalisés pour permettre la création du pôle aéronautique européen EADS et a souligné qu'un accord sur le programme A 400 M était indispensable et urgent, sans quoi des partenaires, tels que le Royaume-Uni, pourraient se désengager. L'intervention de l'Union européenne ne pourrait-elle pas favoriser le lancement effectif de ce programme ?

M. Michel Barnier a indiqué que ce sujet n'entrait pas dans les compétences communautaires, ce qui constitue une des limites du système actuel. La création d'une structure nouvelle, telle qu'une agence européenne de l'armement réunissant les Etats volontaires, serait à cet égard souhaitable, en s'appuyant sur l'expérience tirée de l'OCCAR. Un avion de transport est aujourd'hui indispensable pour assurer la projection des forces.

M. Pierre Lang s'est interrogé sur la pertinence de la définition d'une politique de défense commune avant la mise en oeuvre d'une politique étrangère européenne, alors que la défense constitue un outil au service de cette dernière. Une politique de défense commune rassemblant des pays aux traditions militaires très différentes ne rencontrera-t-elle pas des difficultés considérables en raison de la diversité de leurs approches, comme l'illustre l'exemple de la dissuasion nucléaire ?

M. Michel Barnier a souligné l'existence d'un lien solide entre une politique étrangère de sécurité et une politique de défense communes : une capacité de défense assoit la crédibilité de la politique extérieure ; en outre, les crises peuvent survenir à tout moment, avant la mise en place d'une politique étrangère commune. La création d'un haut représentant, dont l'idée, émise par la France et l'Allemagne, avait suscité des réticences, a permis de constituer une culture diplomatique commune et de créer des synergies. Il est indispensable de faire avancer conjointement la politique étrangère et la politique de défense communes. Si un accord peut être trouvé entre tous les pays de l'Union sur les missions de Petersberg, les autres domaines de défense doivent faire l'objet d'une approche flexible, réunissant les Etats les plus déterminés.

M. René Galy-Dejean a souligné qu'il était paradoxal que de grands chantiers européens tels que la Communauté européenne du charbon et de l'acier ou la politique agricole commune aient été mis en place avec succès dans un contexte d'hostilité à l'idée européenne, et qu'aujourd'hui les partenaires européens ne parviennent pas à construire de grands projets en matière de défense, alors même que l'opinion publique y est plus favorable. Si l'A 400 M constitue un chantier fondamental, le domaine spatial est plus important encore. La présence européenne dans ce secteur aujourd'hui en crise est cruciale. Ne serait-il pas possible d'envisager une présence communautaire dans l'espace par le biais de grands projets, afin de sauvegarder les capacités des industries européennes ?

M. Michel Barnier a souligné la nécessité pour l'Europe d'une volonté politique forte en matière spatiale. La Commission européenne est très motivée. Si le traité ne faisait pas directement référence à une compétence spatiale communautaire, il conviendrait que l'agence européenne d'armement s'intéresse à ce domaine.

Relevant que les déclarations comme celles d'Helsinki et de Laeken n'étaient pas toujours suivies d'effets, M. Bernard Deflesselles a regretté que l'industrie européenne d'armement soit à géométrie variable. Il est également dommage que l'insertion dans le traité d'une clause de sécurité collective ne figure pas au cœur des préoccupations de l'Union européenne.

Soulignant la nécessité de disposer de temps et de respecter les différences nationales, M. Michel Barnier a déclaré que les conceptions en matière de défense évoluaient, notamment parmi les pays européens neutres. Certains d'entre eux ont d'ailleurs souhaité que les tâches définies par la déclaration de Petersberg soient incluses dans le traité. Or, toutes les interventions militaires qui se sont déroulées en Europe au cours des dernières années sont couvertes par cette déclaration. Même si les attentats de septembre 2001 ont fait évoluer certaines positions, il est nécessaire de ne pas heurter la sensibilité de pays dont la neutralité est un des fondements. Dans le domaine de la défense européenne, il faut accepter de n'avancer, dans un premier temps, qu'avec les pays qui le souhaitent.

Mme Patricia Adam a noté que les attentats du 11 septembre 2001 et les menaces asymétriques avaient modifié la vision de l'Europe de la défense. Un inquiétant fossé se creuse entre l'Union européenne et les Etats-Unis, la première préférant s'en remettre à la diplomatie et les seconds à leur capacité de frappe immédiate. On peut s'interroger sur l'adaptation des programmations militaires européennes face aux nouveaux risques. La priorité donnée par la France à la dissuasion nucléaire est-elle encore opportune ? Il faut regretter certaines décisions britanniques et françaises peu propices à l'accroissement des coopérations européennes, notamment en matière de porte-avions. Une réflexion est-elle menée au niveau européen dans le domaine de la sécurité civile ?

M. Michel Barnier a indiqué que ses fonctions de commissaire européen ne l'autorisaient pas à commenter les décisions politiques nationales. Il a considéré que la stratégie de dissuasion de la France restait valide, pour un coût relativement modeste par rapport à l'ensemble de la loi de programmation militaire. Les tâches de Petersberg comprennent également des missions de protection civile. En la matière, il est regrettable de constater parfois certaines redondances et le manque de coopération européenne. Dans les prochaines années, il conviendra d'améliorer l'interopérabilité et la coordination des moyens existants.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé si la mission confiée à la convention présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing allait apporter des éléments sur la défense de l'Union européenne. L'Union européenne participe-t-elle déjà au financement de la défense européenne, notamment de l'Eurocorps ? Par ailleurs, ne faudrait-il pas s'interroger sur le relatif manque d'intérêt que les Américains semblent désormais témoigner à l'égard de l'OTAN, afin de promouvoir une défense européenne commune ?

M. Michel Barnier a répondu que dix groupes de travail avaient été mis en place dans le but de soumettre des propositions au Praesidium et à la Convention elle-même. Le groupe chargé des questions de défense présentera ses propositions en matière de défense européenne à la fin du mois de décembre.

Il a indiqué qu'à l'occasion de l'un de ses récents déplacements à Londres, il avait pu constater que le gouvernement britannique insistait sur le fait que l'esprit de Saint-Malo consistait à promouvoir la mise en place d'une force européenne complémentaire et autonome de l'OTAN. Cependant, il n'est pas pour autant question de privilégier l'autonomie sur la complémentarité.

Actuellement, il n'existe pas de financement communautaire des dépenses concernant la défense. Les investissements sont essentiellement intergouvernementaux, comme pour l'Agence spatiale européenne par exemple.

M. Antoine Carré a demandé si l'effort supplémentaire consenti par la France en faveur de sa défense dans le projet de loi de programmation militaire aurait une incidence positive sur les choix budgétaires des autres pays européens.

M. Michel Barnier s'est déclaré convaincu que les montants financiers prévus dans le projet de loi de programmation militaire suscitent d'ores et déjà davantage d'écoute de la part des partenaires de la France à l'égard des prises de position françaises. Cela encourage également d'autres pays, qui constatent que l'OTAN ne constitue pas toujours le cadre de défense collective le plus approprié et sont inquiets de l'évolution des menaces, à suivre cette voie. La France et l'Allemagne travaillent à une déclaration commune au sujet de la défense, ce qui va dans le même sens. En définitive, l'Union européenne est devant une interrogation essentielle : faut-il qu'elle devienne une puissance politique ou bien doit-elle rester une vaste zone de libre-échange ? M. Michel Barnier a souligné que, pour sa part, il se battait pour l'affirmation politique de la puissance européenne.

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