COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 mars 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur la formation des cadres dans les écoles militaires (M. Jérôme Rivière, rapporteur)


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Formation des cadres dans les écoles militaires (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de M. Jérôme Rivière sur la formation des cadres dans les écoles militaires.

M. Jérôme Rivière, rapporteur, a souligné que le précédent rapport sur la formation des cadres avait été réalisé en 1995, alors que les armées n'avaient pas encore connu la grande mutation liée à la professionnalisation.

Depuis lors, l'outil de formation des cadres a connu un mouvement de réduction d'effectifs et de rationalisation. Ces efforts, réalisés sur une courte période, marquent aujourd'hui un palier et seule l'harmonisation des différents cursus permettra d'aller plus loin en matière de formation interarmées.

Le second constat est que les principaux responsables de la formation ont bien pris en compte les effets pervers éventuels de la professionnalisation, qui risquait de renfermer les armées sur elles-mêmes. Pour pallier ce risque, les recrutements ont été élargis. L'effort est mis sur la qualité scolaire des recrues, l'acculturation militaire étant accomplie pendant le cursus. Tout aussi significative est la volonté d'ouverture des formations vers l'extérieur, qu'il s'agisse de la société civile ou de l'international, pour les officiers comme pour les sous-officiers, mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions, comme l'indiquent certaines carences significatives, en anglais tout particulièrement.

En huit ans, les formations ont été réformées ou sont en train de l'être. La volonté est clairement affichée de fournir de jeunes cadres prêts à assumer leur premier emploi, mais il arrive que ce soient les moyens qui viennent à manquer, en particulier pour les sous-officiers de l'armée de terre et de la gendarmerie, en raison d'un flux de recrutement très important. L'outil de formation est placé en situation d'extrême tension et les marges de manœuvre n'existent quasiment plus, particulièrement pour la formation des sous-officiers. Si les budgets commencent à retrouver quelque consistance, ils avaient été fortement réduits au début de la professionnalisation.

L'armée de terre et la gendarmerie connaissent à cet égard des contraintes particulières. Les effectifs du commandant de la formation de l'armée de terre ont été réduits de moitié depuis 1997, alors que dans le même temps, les flux de formation, notamment en raison de besoins en sous-officiers s'accroissaient. Pour la gendarmerie, la situation est plus inquiétante encore. Entre 1998 et 2001 ce sont 35 % de stagiaires supplémentaires qui ont dû être formés. Les demandes en formations spécialisées exprimées par les unités ne sont pas satisfaites. Plus grave encore, en raison des 1 400 emplois supplémentaires par an en moyenne prévus par la LOPSI (loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure), c'est un problème général de capacité de formation initiale qui est posé. Afin d'y répondre, la durée de la formation initiale a été réduite. Au total, ce sont au moins deux promotions qui auront une durée de formation ramenée à six ou neuf mois. Les gendarmes ayant subi cette réforme d'urgence feront donc l'objet d'un suivi dans le cadre de la préparation au certificat d'aptitude technique (CAT) et c'est seulement dans deux ans qu'il sera possible de constater les éventuelles conséquences sur leur niveau.

Pour répondre à ces problèmes, l'une des voies qui s'impose est le rapprochement des structures de formation, par l'accroissement des enseignements interarmées.

En tout, près de 450 formations ont un caractère interarmées aujourd'hui, ce qui recouvre surtout des actions mutualisées, c'est-à-dire réalisées sur un même site en rationalisant les moyens, plutôt que des actions de formations réellement fusionnées. Un comité de coordination de la formation a été mis en place il y a cinq ans, dont la présidence est assurée à tour de rôle par chacune des armées. Il vise désormais à permettre une meilleure connaissance réciproque des formations dispensées par les différentes armées, qui bien souvent coûtent moins cher que le recours à l'externalisation.

L'interarmisation rencontre de fait des limites. Ainsi, même si les missions communes entre police et gendarmerie doivent permettre de rechercher quelques formations communes, il n'apparaît pas souhaitable de rapprocher les formations initiales de la police et de la gendarmerie, afin de préserver le caractère militaire de cette dernière. Dans d'autres cas, il faut vaincre certaines réticences internes. Comment expliquer que, lors du déploiement d'un niveau matériel comme le NH90, la formation des sous-officiers pour la maintenance de ces appareils soit dispensée à Dax pour l'aviation légère de l'armée de terre et à Rochefort pour l'armée de l'air et l'aéronautique navale ?

En ce qui concerne le déroulement et le contenu des scolarités, toutes les armées ont réagi de manière rapide et positive. Aux voies classiques des concours externes et internes sont désormais ajoutés des recrutements sur titre, à différents stades du cursus scolaire. Les formations initiales des officiers ont été rallongées par l'armée de terre et la marine. L'armée de l'air n'a pas suivi ce mouvement général, compte tenu des limites d'âge précoces imposées au personnel navigant.

A l'occasion de la réforme de l'internat, prévue pour 2004, le service de santé des armées (SSA) a fait le choix d'une spécialisation plus précoce, permettant d'accélérer la mise à disposition des spécialistes dans les unités. Le délai sera ainsi en moyenne raccourci d'environ huit années. Pour pallier l'éloignement évident par rapport aux forces qui pourrait en résulter, il est envisagé de mettre davantage l'accent sur la formation militaire.

Les différents cursus ont été très largement ouverts sur l'extérieur. Le recours aux cours magistraux est limité, la pédagogie faisant davantage appel à l'autonomie et aux travaux dirigés.

Des efforts d'ouverture ont été réalisés vers le secteur privé et les autres administrations au moyen de stages. Les supports pédagogiques ont évolué, certains cours, notamment dans l'armée de l'air, sont désormais accessibles pour les stagiaires par le biais de réseaux informatiques ou CD ROM. Ce type d'outil pourra à terme être mis à disposition sur le réseau intranet de l'armée de l'air, voire, plus tard, dans le cadre d'une base de données interarmées.

Par ailleurs, certaines formations dispensées par les armées peuvent intéresser des sociétés privées ou d'autres administrations d'Etat. Il convient de réfléchir aux moyens de répondre à cette demande.

En ce qui concerne l'ouverture à l'international, le rapporteur a fait part de sa satisfaction, même si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions avancées.

L'armée de l'air est en pointe en ce qui concerne l'enseignement des langues, l'anglais étant la langue de la navigation aérienne. Cette culture est également perceptible au niveau de ses sous-officiers, pour lesquels une formation en immersion d'une à deux semaines est réalisée. Ce besoin est également pris en compte par la marine comme par l'armée de terre.

Si la volonté d'échange international existe, les différentes actions gardent malgré tout un caractère symbolique au regard du petit nombre de stagiaires concernés. Elle pourrait être confortée par la construction d'un bâtiment école franco-allemand, voire européen. Ce bâtiment pourrait ainsi succéder à la Jeanne d'Arc, qui, en raison de son âge, ne permet plus d'assurer dans de bonnes conditions sa mission de bâtiment école, notamment les longues croisières d'instruction, et dont le coût d'entretien croît fortement. Techniquement, il est possible d'envisager une construction à un coût modéré, assortie éventuellement d'un co-financement par les industriels intéressés.

La création d'un bâtiment école multinational présente toutefois des difficultés. Pour des raisons financières, l'Allemagne ne semble pas prête à investir dans la construction d'un tel navire. Par ailleurs, même si le financement est multinational, les formations resteraient séparées. Un bâtiment école franco-allemand permettrait de faire deux campagnes annuelles de 150 jours chacune, l'une majoritairement française, l'autre allemande, avec changement de pavillon.

Dans l'attente d'une telle décision il convient de renforcer les échanges mutuels en élargissant les échanges de formation tels qu'ils existent actuellement de façon trop limitée entre les armées françaises et européennes.

Après avoir fait part de son optimisme au vu des progrès enregistrés en matière de formation des cadres, le rapporteur a fait état des difficultés les plus marquantes.

En matière d'apprentissage des langues, si les réformes de la formation initiale ont mis davantage l'accent sur les langues, et tout particulièrement l'anglais, il est nécessaire que l'effort d'enseignement soit maintenu tout au long de la carrière, aussi bien pour entretenir les connaissances que pour améliorer le niveau. C'est d'autant plus nécessaire que, dans le cadre d'opérations multinationales, la maîtrise de l'anglais par les officiers, subalternes et supérieurs, conditionne leur crédibilité. Or, l'ampleur de la tâche en la matière ne doit pas être minimisée, même pour les plus brillants éléments des armées. Les cadres militaires ne doivent dans leur grande majorité compter que sur eux-mêmes pour se perfectionner en langues. Par ailleurs, l'une des difficultés rencontrées pour opérer de véritables remises à niveau réside dans la difficulté à obtenir des créneaux de plus de quinze jours pour les personnels. Il convient sans doute de réfléchir, dans le cadre de la réforme du statut militaire, à la création d'une position statutaire du militaire en formation. Ce statut qui doit être applicable à tous les moments d'une carrière, serait essentiellement destiné à faciliter l'organisation de stages longs en France ou de séjours linguistiques à l'étranger.

M. Charles Cova a regretté que les difficultés évoquées par le rapporteur n'incitent pas à l'optimisme pour le remplacement de la Jeanne d'Arc par un navire école franco-allemand. Il a ensuite demandé si, dans les écoles d'officiers, notamment l'école navale, des cours de « management » avaient été mis en place. En effet, dans le rapport d'information qu'il avait élaboré avec M. Bernard Grasset sur le lien entre la Nation et son armée, il avait pu noter les très importantes lacunes dans ce domaine. Des évolutions ont-elles eu lieu ? Sont-elles sensibles ? Apprend-on désormais aux élèves-officiers à comprendre les hommes autant qu'à maîtriser le matériel ?

Le rapporteur a souligné que l'obstacle à la construction d'un navire école franco-allemand était essentiellement budgétaire, car il n'existe aucune opposition de nature politique des autorités allemandes à la création d'un tel bâtiment.

La visite de l'école navale a permis de voir combien celle-ci était en profonde mutation. La formation au « management » fait désormais partie des enseignements qui y sont dispensés. La volonté d'ouverture y est d'ailleurs manifeste, tout comme dans l'ensemble des écoles de formation d'officiers.

M. Jean-Michel Boucheron a fait observer que la période difficile que connaissait l'Europe de la défense était temporaire et due avant tout aux positions britanniques, alignées sur la politique des Etats-Unis. Il ne faut donc pas cesser de formuler des propositions de constitution d'organismes communs dans tous les domaines où cela est crédible.

La proposition de créer un navire école commun franco-allemand est une très bonne idée. Elle a un précédent avec l'école commune franco-allemande de formation au pilotage de l'hélicoptère Tigre. Les difficultés budgétaires militent aussi pour le développement de tels organismes communs.

Il a ensuite suggéré que la commission de la défense fasse tout au long de l'année des propositions de ce type. Après le navire-école franco-allemand, elle pourrait proposer la création d'un parc commun d'appareils de transport militaire. Si l'A 400 M permettra de répondre à la quasi-totalité des besoins de projection, quelques Antonov 124 seront toujours nécessaires pour les équipements les plus volumineux. Aujourd'hui, ces appareils sont loués dans des conditions opérationnelles toujours complexes à des compagnies biélorusses, ukrainiennes ou ouzbèques. La possession en commun de six ou sept Antonov 124 rendrait les opérations plus faciles, à un coût qui serait certainement modeste.

La mise en commun de l'imagerie satellitaire pourrait être une autre proposition : l'actualité internationale témoigne de ce que les autorités de chaque Etat s'intéressent au même type d'images au même moment.

Par la formulation, tout au long de l'année, de propositions d'avancées concrètes, la commission pourrait ainsi contribuer à la progression effective de l'Europe de la défense.

Le président Guy Teissier a approuvé cette démarche, soulignant qu'il fallait faire progresser l'Europe dans tous les domaines.

Le rapporteur a ajouté que ces propositions pourraient être accompagnées de suggestions de financements innovants. Il est par exemple possible d'envisager que l'armement du navire école et les systèmes de simulation soient financés pour partie par les industriels de l'armement, qui bénéficient des retombées commerciales des croisières réalisées pour l'instruction.

Le président Guy Teissier a fait observer qu'une telle démarche avait ses limites.

Rappelant les décisions prises par le précédent gouvernement en matière de formation des officiers de gendarmerie, M. Michel Voisin a demandé au rapporteur s'il pouvait faire le point de la situation actuelle.

Le rapporteur a répondu que, conformément au vœu exprimé par la commission, le recrutement des officiers de gendarmerie à partir des grandes écoles militaires serait maintenu et que la réforme adoptée par le précédent gouvernement n'aurait de fait pas le temps de s'appliquer. L'école spéciale militaire de Saint-Cyr, entre autres, continuera à offrir des places pour servir dans la gendarmerie lors du classement de sortie. Ce retour au système traditionnel n'est cependant pas exclusif du recrutement par concours au niveau maîtrise, qui s'avère d'excellente qualité, même si la proportion des candidats disposant d'une formation juridique est peut-être un peu trop prononcée.

Insistant sur l'importance de la connaissance des langues étrangères dans le cadre de la construction de l'Europe de la défense et de l'intéropérabilité des forces, M. Yves Fromion a demandé s'il n'était pas concevable que des élèves officiers, à l'instar de ce qui se fait dans les grandes écoles civiles, partent étudier une année dans un pays étranger.

Le rapporteur a répondu que la mise en œuvre de stages linguistiques de longue durée s'inscrivait déjà pleinement dans les réformes en cours ou à venir. A titre d'exemple, il est possible de noter que l'école navale réalise un tel effort en organisant un projet de recherche à l'étranger, suivi de la présentation d'un mémoire en anglais. La principale difficulté est d'ordre financier : les élèves ont un statut militaire et tout séjour à l'étranger a un impact sur le régime indemnitaire. Sur ce plan, une évolution du statut des élèves serait souhaitable.

Le président Guy Teissier a suggéré que la commission formule une proposition en ce sens, d'autant plus qu'une modification du statut général des militaires est à l'ordre du jour. Par ailleurs, 60 % des sous-officiers en service dans les armées sont sous contrat, ce qui représente un statut précaire. Il serait souhaitable de donner à ces sous-officiers, après la sortie de l'école d'application et au bout d'une année de service, la possibilité de bénéficier d'un statut plus stable, semblable à celui de leurs officiers.

La suppression du passage des médecins généralistes militaires pendant trois ans dans les unités, avant leur spécialisation, risque de faire oublier à ces derniers les spécificités de la condition militaire. Or, l'exemple du rôle des médecins embarqués à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins démontre la nécessité de bien connaître les hommes et leur milieu. De la même manière, à trop vouloir rapprocher la formation des gendarmes de celle des policiers, le risque existe de voir s'amoindrir la conscience de la spécificité du métier militaire.

M. Yves Fromion a ajouté que la réforme des études médicales du service de santé des armées, destinée à éviter le retard dans le démarrage de la spécialisation des médecins militaires, n'allait pas permettre de résoudre le déficit en médecins généralistes au sein des services médicaux des unités.

Le rapporteur a répondu que les élèves médecins des écoles du service de santé des armées ne désiraient pas tous être spécialistes. L'objectif de la réforme prévue est de permettre une spécialisation plus précoce. Elle a été rendue nécessaire par l'évolution du cursus universitaire civil et répond également à une demande opérationnelle de pouvoir disposer plus rapidement de spécialistes. Le service de santé des armées a également permis l'entrée de médecins à différents niveaux du cursus (début des second et troisième cycles d'études médicales, thésards) ou sous contrat et prévu à cet effet un comité de sélection, suffisamment rigoureux pour s'assurer que les postulants répondent aux exigences des armées.

S'agissant de la gendarmerie, il faudra veiller à ce que la formation des sous-officiers revienne à douze mois aussi vite que possible. Il est en effet très difficile de garantir en six mois une formation complète de qualité, à la fois juridique et militaire.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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