COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 janvier 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen, pour avis, du projet de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Bulgarie, de la République d'Estonie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la Roumanie, de la République slovaque et de la République de Slovénie - n° 1107 (M. Richard Mallié, rapporteur pour avis)




2

- Audition du général Richard Wolsztynski, chef d'état-major de l'armée de l'air, sur l'Europe de la défense


5

Accession de sept pays au traité de l'Atlantique Nord (avis).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Richard Mallié, le projet de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Bulgarie, de la République d'Estonie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la Roumanie, de la République slovaque et de la République de Slovénie (n° 1107).

M. Richard Mallié, rapporteur pour avis, a souligné les différences de capacités militaires des sept Etats invités à faire partie de l'organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

En ce qui concerne les budgets de défense, les disparités sont importantes. Si des Etats comme la Bulgarie et la Roumanie y ont consacré respectivement 2,7 % et 2,5 % de leur PIB en 2003, les Etats baltes dépensent de l'ordre de 2 %, tandis que les crédits militaires de la Slovénie ont atteint seulement 1,55 % de son PIB. Ces chiffres doivent toutefois être mis en regard de l'ensemble des dépenses de défense de l'Union européenne à vingt-cinq, qui s'élève à seulement 1,63 % du PIB.

Par ailleurs, la taille des outils de défense est particulièrement variable. Si l'on prend en compte l'ensemble des effectifs militaires en 2003, trois Etats disposent d'armées aux effectifs relativement importants : la Slovaquie (22 000 hommes), la Bulgarie (51 000 hommes) et la Roumanie (97 200 hommes). Les armées des autres Etats sont d'une taille bien plus modeste, allant de 12 700 hommes en Lituanie à 4 880 hommes en Lettonie.

Les sept pays invités sont d'ores et déjà engagés dans de nombreuses opérations militaires extérieures telles que les forces de stabilisation en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, sous commandement de l'OTAN, la force internationale d'assistance à la sécurité de l'Afghanistan et, dans une moindre mesure, la mission de police en Bosnie-Herzégovine et les opérations Concordia et Proxima en Macédoine, sous l'égide de l'Union européenne.

Les sept nouveaux membres apparaissent comparativement mieux préparés que leurs trois prédécesseurs immédiats (Pologne, Hongrie et République tchèque). Cependant, leur apport capacitaire est limité, tant en raison de la faible taille des forces armées des pays baltes et de la Slovénie que du fait des difficultés rencontrées par la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie pour assurer conjointement la professionnalisation et la modernisation de leurs forces.

Les pays baltes forment un ensemble homogène. Leurs armées sont très largement des armées nouvelles, créées pratiquement de toutes pièces après le retrait des troupes d'occupation soviétiques. Pour des raisons politiques tenant à l'affirmation de l'identité nationale, l'Estonie a décidé de garder un système de conscription. En revanche, la Lettonie et la Lituanie ont décidé de passer à une armée professionnelle, la réforme devant aboutir respectivement en 2007 et en 2008. En termes de capacités militaires, ces pays tendent à se spécialiser tout d'abord dans le déminage maritime. L'Estonie a également développé ses capacités de déminage terrestre, dont certains éléments ont été envoyés en Afghanistan ; elle cherche aussi à pouvoir fournir à l'OTAN des unités de petite taille, mais très spécialisées. En 2002-2003, la priorité pour l'équipement allait aux capacités de réaction rapide et à la surveillance aérienne. Les réformes en matière de sécurité de l'information classifiée ont été menées à terme en 2003. Le principal objectif poursuivi par la Lettonie consiste dans la modernisation de son système de défense et de contrôle aérien ; à l'horizon 2006, elle souhaite renforcer et moderniser un bataillon d'infanterie motorisée capable d'être déployé dans le cadre d'opérations de l'OTAN. Pour la Lituanie, le but est de pouvoir apporter en 2005 un bataillon d'infanterie mécanisée pleinement interopérable, suivi d'un second bataillon en 2008 ; ils feront partie de la brigade de réaction, prévue pour être opérationnelle fin 2010. La Lituanie souhaite également constituer une défense aérienne moderne pour mieux protéger son territoire et envisage l'acquisition, en commun avec ses voisins baltes, de douze aéronefs.

La Slovénie constitue un cas à part, tant par sa situation géographique et historique qu'en raison de la faiblesse de son apport capacitaire à l'OTAN. La réorganisation de l'armée slovène a été menée à bien. Lors d'un déplacement en Slovénie, au titre de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, le rapporteur pour avis a pu constater que, si l'armée slovène faisait preuve d'une forte volonté, elle disposait de peu de matériel. Le système de conscription prendra fin en 2004. Davantage qu'un outil destiné à la projection, la Slovénie souhaite maintenir une capacité solide de défense de son territoire. Le souvenir de la guerre défensive de neuf jours, menée avec succès contre l'armée fédérale yougoslave en 1991, reste présent. Après 2004, les forces mises à disposition de l'OTAN devraient représenter un bataillon d'infanterie, pour une durée de six mois, complété par un second bataillon d'infanterie d'ici à la fin 2006. Toutefois, la capacité de projection des forces armées slovènes reste limitée, en raison de la taille du pays et de la faiblesse des dépenses de défense, qui retarde la modernisation des équipements.

L'adaptation des armées de plus grande taille, davantage marquées par les pesanteurs de l'époque soviétique, apparaît plus difficile.

La Slovaquie a choisi une professionnalisation graduelle des armées, qui doit être achevée en 2006. Cette réforme s'accompagne d'une nouvelle réduction des effectifs. La Slovaquie met à la disposition de l'Alliance des compétences très spécialisées, déjà utilisées sur les théâtres d'opération, telles que le déminage contrôlé à distance et des unités de détection chimique. Dans les années qui viennent, la Slovaquie prévoit notamment de fournir à l'OTAN, en matière terrestre, un groupe de soutien logistique, un bataillon multifonctionnel de réserve et un bataillon de maintenance, tous deux pleinement déployables en 2007, ainsi que deux bataillons de transport. Les ressources affectées aux dépenses de défense (1,83 % du PIB en 2003) restent trop limitées pour permettre dans de bonnes conditions à la fois la professionnalisation et la modernisation des matériels. Ainsi, la question de la modernisation d'une partie de la flotte de Mig 29 et de la flotte vieillissante d'hélicoptères n'a pour l'instant pas été tranchée.

La restructuration de l'armée bulgare a progressé de façon significative. Ses effectifs ont été nettement réduits. L'armée reste presque complètement composée de conscrits, mais la professionnalisation se poursuit et devrait être achevée en 2007, avec pour objectif d'augmenter la part des effectifs déployables en opérations extérieures. Le gouvernement bulgare a annoncé en 2003 un plan de modernisation visant l'ensemble des composantes de l'outil militaire et devant permettre d'atteindre l'interopérabilité avec les forces de l'OTAN. Au total, ce plan devrait représenter 700 millions de dollars d'investissements d'ici à 2007. Malgré ces efforts, les forces bulgares ne seront réellement interopérables avec celles de l'Alliance pour toutes les opérations qu'à un horizon de dix ans. On peut souligner que le problème de la protection rigoureuse des documents classifiés de l'OTAN reste entier, en dépit de nombreuses missions d'experts de l'OTAN au sein des services de sécurité bulgares. De plus, la question de l'élimination des importants stocks d'armes restantes et de munitions obsolètes issues de l'ex-Pacte de Varsovie reste pendante. Leur stockage sécurisé et leur destruction imposeront des coûts importants qui pèseront sur la modernisation des forces.

Le problème se pose d'ailleurs pratiquement dans les mêmes termes pour la Roumanie. Cette dernière a procédé à une profonde réorganisation de ses forces armées. La professionnalisation se poursuit et les effectifs sont toujours en cours de réduction : ils s'élèvent actuellement à 97 200 hommes et devraient être ramenés à 75 000 hommes à l'horizon 2007. Pour l'instant, seules quelques unités terrestres d'élite sont interopérables et participent aux opérations extérieures. L'entraînement et la formation devront être significativement accrus pour atteindre les standards de l'OTAN. En ce qui concerne les capacités apportées à l'organisation, la Roumanie est la seule parmi les nouveaux membres à disposer d'une flotte aérienne de transport stratégique. Ses quatre avions Hercules ont contribué à l'acheminement et au soutien des forces en Afghanistan et en Irak. Dès 2004, la Roumanie devrait être en mesure d'apporter à l'Alliance une contribution significative, formée notamment d'une brigade mécanisée et d'une brigade de montagne, auxquelles devrait s'ajouter une division d'infanterie, d'ici 2012. Les dépenses militaires restent conséquentes, mais comprennent également le financement des opérations extérieures, qui représentent un coût important. L'ampleur de la tâche de modernisation des équipements est grande, tant pour disposer d'une force plus mobile et mieux équipée que pour remettre à niveau les bases militaires. La Roumanie manque de moyens financiers pour renouveler sa flotte aérienne et se concentre sur une remise à niveau et une prolongation de la durée de vie des appareils déjà en service.

En conclusion, le rapporteur pour avis a considéré que le choix de procéder à un nouvel élargissement de l'OTAN était judicieux. Ces pays ont accompli et continuent de mettre en œuvre des réformes de grande ampleur et leur intégration dans l'Alliance contribuera à la stabilité et à la paix en Europe.

M. Michel Voisin a relevé les différences existant aussi bien en matière d'effectifs que d'équipement entre les armées des pays baltes et de la Slovénie, d'une part, et celles de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Slovaquie d'autre part. Les premiers de ces Etats doivent bâtir de toutes pièces une armée, tandis que les autres sont engagés dans un mouvement de réduction d'effectifs et de mise à niveau des infrastructures. Par ailleurs, compte tenu des contraintes économiques et budgétaires pesant sur ces pays, on peut se demander si ces efforts seront réellement accomplis et si les nouveaux Etats membres ne se borneront pas à des adaptations a minima.

Le président Guy Teissier a précisé que les Etats baltes et la Slovénie, devenus indépendants seulement au début des années 90, ont dû créer de toutes pièces des forces armées en moins d'une décennie, ce qui explique la faiblesse des moyens. À l'opposé, la Bulgarie, la Roumanie et la Slovaquie ont pu s'appuyer sur des armées pléthoriques issues du pacte de Varsovie, mais dotées d'équipements obsolètes.

M. Richard Mallié, rapporteur pour avis, a indiqué qu'une dizaine d'années serait probablement nécessaire pour que toutes ces armées atteignent pleinement les standards de l'OTAN, mais que, compte tenu de leur histoire mouvementée, tous les pays candidats étaient désireux d'entrer au plus vite dans l'Alliance afin de bénéficier de sa protection.

Suivant les conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

*

* *

Audition du général Richard Wolsztynski, chef d'état-major de l'armée de l'air, sur l'Europe de la défense.

La commission a entendu le général Richard Wolsztynski, chef d'état-major de l'armée de l'air, sur l'Europe de la défense.

Le général Richard Wolsztynski a abordé trois thèmes : l'environnement stratégique et militaire des interventions de l'armée de l'air ; l'élargissement à l'Europe de la mission principale impartie à l'armée de l'air, c'est-à-dire la protection du territoire et de la Nation ; enfin, les réponses concrètes apportées à la construction d'un dispositif militaire européen.

La fin de la guerre froide a fait passer les postures militaires d'une logique statique à une logique de plus forte réactivité. Les événements du 11 septembre 2001, plan diabolique exécuté suivant des règles militaires, ont mis en évidence la vulnérabilité des démocraties face au terrorisme, vulnérabilité déjà mentionnée dans le livre blanc sur la défense de 1994.

Ces nouvelles postures placent le fait aérien en première ligne. L'efficacité des opérations aériennes suppose que deux fonctions principales soient assurées : la fonction renseignement d'abord, qui met malheureusement en évidence des faiblesses capacitaires à l'échelle de l'Europe, et une fonction consacrée au contrôle et à la gestion de l'espace. Pour cette fonction, la palette des moyens mis en œuvre allant des Mirage 2000 aux dispositifs radars ne suffit pas. Les hélicoptères armés sont également nécessaires pour faire face aux différentes menaces. Leur souplesse d'emploi et leur domaine d'évolution permettent de faire le lien avec les forces de sécurité engagées au sol. Le dispositif de protection du sommet du G8 à Evian, qui a intégré le drone Hunter aux côtés des autres moyens aériens et radars, constitue à cet égard un exemple remarquable.

Aujourd'hui, toutes les opérations sont menées dans un cadre interarmées. Cela implique une complémentarité, acceptée par tous, et le respect d'une chronologie, le fait aérien intervenant en premier. Toutes les opérations sont également multinationales, ce qui suppose l'interopérabilité technique et humaine et aussi la maîtrise de l'anglais, langue technique internationale. Ce fait, qui ne menace pas les langues nationales, s'impose et exige des efforts de formation de l'ensemble des personnels, quel que soit leur niveau. Enfin, il existe désormais un continuum entre les opérations de sécurité intérieures et extérieures.

Les relations militaires entre l'armée de l'air et l'US Air Force sont continues, très anciennes et très confiantes, comme en témoigne la visite du chef d'état-major de l'US Air Force sur la base aérienne de Taverny le 22 décembre dernier.

Il faut en revanche s'interroger sur l'opportunité de suivre les Etats-Unis dans l'effort colossal consenti pour l'acquisition de certaines capacités, notamment dans le domaine de l'information. Les événements du 11 septembre 2001 ont d'ailleurs montré les limites de cette démarche ; la chaîne de traitement de l'information au sein du FBI a très probablement dû faire face à un phénomène de saturation en informations.

De la même manière, il faut s'interroger sur les règles suivies par les Etats-Unis en opérations extérieures. Ainsi, la constitution d'un camp retranché à Djibouti, alors que les structures françaises disponibles offraient de très bonnes conditions d'accueil, est une caractéristique de l'approche américaine ; il faut également remarquer l'absence d'implication des structures locales pour soutenir les forces américaines déployées sur les théâtres d'opération. Cela fut particulièrement vrai au Kirghizistan pour ce qui concerne l'approvisionnement en vivres qui n'a concerné que les forces françaises déployées.

La France est le seul Etat d'Europe à disposer d'une cohérence opérationnelle globale avec une structure autonome de planification et de conduite des opérations, ainsi que d'un outil de formation ouvert sur l'international, en particulier sur l'Europe. Cette situation est directement issue de la décision du général de Gaulle de faire sortir la France de la structure militaire intégrée de l'OTAN. L'ensemble de nos capacités, notamment en matière de conduite et de commandement des opérations, a été développé au lendemain de la guerre du Golfe et nous permet aujourd'hui d'être une nation-cadre au sein des opérations internationales, comme cela fut le cas lors d'Artémis-Mamba. Les Britanniques dépendent davantage des Américains dans ces domaines. L'Allemagne a entrepris une démarche visant à lui permettre d'acquérir des structures analogues aux nôtres, mais le processus sera long.

La mission de protection du territoire, deuxième thème abordé par le chef d'état-major, est la première mission de l'armée de l'air et doit être assurée soit contre une menace directe, soit dans le cadre du traitement de crises extérieures.

La projection sur une carte de l'Europe des trajectoires suivies par les avions au cours des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis fait apparaître que six ou sept Etats européens auraient été concernés, au moins par le vol, au cours d'une attaque équivalente. Or, les pays européens mettent chacun en oeuvre des processus décisionnels différents pour assurer leur sécurité aérienne. La France dispose du système le plus simple, il met en relation directe les contrôleurs aériens, les pilotes de combat et le Premier ministre, de façon à garantir la meilleure réactivité dans la prise de décision. L'expérience d'Evian a aussi montré la nécessité de s'affranchir, au moins en partie, des contraintes résultant des frontières territoriales lors de l'exécution des missions de sûreté aérienne. Un accord avec l'Espagne devrait prochainement permettre à un avion français ou espagnol de poursuivre sa mission d'interception au-delà de la frontière entre les deux pays. Cette démarche, étendue à l'ensemble des pays d'Europe, puis, au-delà, vers les Etats situés de l'autre côté de la Méditerranée, confortera les mesures prises en matière de sûreté aérienne. Ces questions, qui concernent la souveraineté des Etats, n'ont jamais été traitées dans le cadre de l'OTAN.

La mission de protection à l'extérieur, ou de protection « de l'avant », correspond à la capacité de projeter les forces aériennes. La cohérence opérationnelle globale de l'armée de l'air s'affirme dans notre capacité à conduire des opérations militaires à l'extérieur en tant que nation-cadre, comme nous l'avons démontré lors des missions réalisées en Ituri en 2003 et en Asie centrale en 2002. Notre organisation nous assure une grande réactivité : quarante-huit heures après leur atterrissage à Manas, les Mirage 2000 participaient à leur première mission en Afghanistan. S'agissant de l'interopérabilité, l'intégration des structures et des procédures ne pose aucune difficulté à l'armée de l'air. Une attention doit être cependant portée à la protection des communications qui doit tenir compte de la durée de vie très courte des renseignements de situation, qui ne nécessite pas la création de systèmes de cryptage complexes. Ces capacités de conduite et de commandement ont pleinement été utilisées à l'occasion de l'exercice Opéra, conduit en France au cours du mois d'octobre 2003. Dix-sept nations ont participé à cet entraînement dans le cadre d'un scénario opérationnel réaliste conduisant à réaliser quelque 200 à 250 missions aériennes par jour.

S'agissant enfin des réponses concrètes apportées dans la construction de l'Europe de la défense, il convient de souligner l'importance des relations entretenues entre les chefs d'état-major des armées de l'air. Une centaine de contacts ont été établis par le chef d'état-major français avec ses homologues européens au cours de l'année 2003. L'intensité de ces relations n'a nullement été altérée par le retrait de la France du système intégré de l'OTAN.

Plusieurs programmes fédérateurs tendent également à répondre à ce besoin d'Europe. Au premier rang de ceux-ci, figure celui de l'avion de transport A 400M. Les principaux pays acquéreurs, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l' Espagne, privilégient les voies de la coopération, notamment en matière de logistique et de formation des pilotes ; de nombreuses réunions d'états-majors sont programmées sur ces sujets. S'agissant des avions ravitailleurs MRTT (multi-role transport tanker), le Royaume-Uni, dont le besoin en ce domaine s'avère particulièrement urgent, semble intéressé par l'offre d'Airbus, l'avion A 330. Un tel choix britannique serait très positif pour permettre à l'industrie européenne de développer sa propre offre d'avion ravitailleur aux côtés de l'offre américaine, qui s'appuie sur le Boeing 767. Enfin, la France et le Royaume-Uni coopèrent dans le secteur des missiles de croisière et ont développé deux versions très proches d'un même missile, le Scalp EG pour les Français et le Storm Shadow pour les Britanniques.

La France dispose d'un outil de formation très complet, qui, dans la perspective de l'Europe de la défense, peut être mis à la disposition d'Etats, tels que la Belgique et la Hongrie, qui n'ont besoin de former qu'un nombre réduit de pilotes d'avions de combat et n'ont guère d'intérêt à développer un outil de formation propre. Singapour a recours à cet outil et paraît l'apprécier vivement.

La mise en place de structures nouvelles figure également parmi les avancées concrètes de la construction de l'Europe de la défense. Première pierre de cet édifice, le groupe aérien européen, constitué il y a une dizaine d'années, a abouti à la mise en place de la cellule de coordination du transport aérien européen établie à Eindhoven, qui devrait être transformée à l'été prochain en commandement européen du transport aérien. Les possibilités de mutualisation en matière d'entraînement sont une autre source possible d'avancées. Les Etats européens doivent faire face à de fortes contraintes dues à la densité de leur trafic aérien. Une étude est en cours avec l'Italie en vue d'une mise en commun des zones d'entraînement relevant des bases aériennes de Solenzara en Corse et de Decimomanu en Sardaigne. Enfin, chaque rationalisation des armements due aux rapprochements et restructurations industriels permet d'accroître l'interopérabilité des équipements.

Le président Guy Teissier a demandé des précisions sur les capacités européennes de frappe dans la profondeur, particulièrement nécessaires dans la lutte contre le terrorisme et la prolifération d'armes de destruction massive. Il a aussi souhaité connaître le sentiment du chef d'état-major de l'armée de l'air sur le principe même du recours à des actions préventives, évoqué dans le document sur la stratégie européenne de sécurité adopté par le Conseil européen en décembre dernier.

Le général Richard Wolsztynski a répondu que les capacités européennes de frappe dans la profondeur, qui participent de la protection de l'avant, sont importantes. Outre la France, avec ses Mirage 2000, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne disposent d'aéronefs de combat de type Tornado, capables d'emporter des missiles de croisière. Les autres pays, équipés d'avions F16, offrent des capacités de tir d'armements guidés laser. A Manas, les Mirage 2000 français ont été remplacés par des F16 norvégiens, danois et allemands disposant de capacités significatives de frappe dans la profondeur. S'agissant de l'action préemptive, elle ne représente pas de difficulté d'ordre militaire. Le choix d'y recourir est politique. Les Etats anglo-saxons semblent les plus enclins à franchir ce pas.

M. Jacques Brunhes a fait part de ses craintes d'une disparition de la langue française des organismes officiels de l'Union européenne et a rappelé à ce propos la récente adoption à l'unanimité par l'Assemblée nationale d'une résolution sur la diversité linguistique en Europe. Il a ensuite attiré l'attention sur la mainmise des firmes américaines sur les industries de défense européennes, citant le récent rachat du motoriste allemand MTU par le fonds d'investissement KKR, et il a jugé que celle-ci relativisait la construction de l'Europe de la défense, seul le secteur de l'électronique de défense semblant à ce jour épargné. Il a demandé si des mesures destinées à limiter de telles acquisitions ne devaient pas être envisagées à l'échelon européen. Enfin, il a souligné les déficits capacitaires dans le domaine du renseignement et des moyens de projection relevés lors de l'opération Artémis, qui était pourtant limitée dans le temps et dans son ampleur. A quelle échéance ces déficits pourront-ils être comblés, dans la perspective notamment du déploiement d'une force de réaction rapide ?

Le général Richard Wolsztynski a répondu qu'une des conséquences des attentats du 11 septembre 2001 a été la volonté des pays de ne plus dépendre d'un seul fournisseur, en l'occurrence américain, dans le domaine aéronautique. Ce souhait de rééquilibrage est une véritable chance pour l'Europe de la défense et pourrait notamment se concrétiser prochainement par le choix d'Airbus par le Royaume-Uni pour ses appareils MRTT. Une des faiblesses majeures relevées lors de l'opération Artémis a été sans aucun doute le transport aérien. Cette lacune capacitaire ne pourra être comblée qu'à partir de 2011, avec le développement des flottes d'appareils A 400 M. Elle est aujourd'hui palliée, autant que possible, par la cellule de coordination du transport aérien, qui met en commun les flottes de huit pays, et la location d'appareils Antonov. La faiblesse du renseignement se fait particulièrement sentir pour les opérations de grande ampleur. Des progrès pourraient être faits au niveau européen dans le domaine de l'espace. L'usage des deux satellites optiques Hélios par la France en Asie centrale a été précieux. Satisfaire les besoins nécessaires en observation radar et infrarouge ne demanderait le lancement que d'un nombre limité de satellites supplémentaires.

Après avoir regretté l'incapacité des Européens à élaborer une réponse commune pour contrer l'offensive industrielle américaine représentée par l'avion de combat JSF, M. Jérôme Rivière a demandé si, au regard des conflits récents, la perception du rôle des drones avait évolué. Il a également souhaité obtenir des précisions sur le développement du drone de combat sans pilote (UCAV), confié à la société Dassault, et sur les efforts fait par la France en matière de drone stratégique de moyenne altitude longue endurance (MALE).

Convenant qu'il était dommage que l'Europe se soit lancée dans la conception et la production simultanée de plusieurs avions de combat, le général Richard Wolsztynski a cependant fait observer que, avec l'arrivée de la nouvelle génération d'appareils, le nombre d'avions de combat différents en service en Europe allait passer d'une vingtaine à trois ou quatre et que cela constituait un réel progrès, notamment dans le domaine de l'interopérabilité.

La complémentarité entre le satellite, l'avion et le drone d'observation n'est plus à démontrer. Le satellite assure une excellente surveillance stratégique ; cependant, il ne peut suffire aux besoins de renseignement tactique nécessaires à la conduite des opérations ; l'avion et le drone prennent le relais, ce dernier étant sans doute plus adapté lorsqu'une menace sol-air existe ou lorsque les missions sont particulièrement longues.

En matière de drone, la France a joué un rôle précurseur en Europe ; elle a utilisé des drones Hunter lors des opérations au Kosovo et elle est le premier pays à avoir mis des drones en service opérationnel sur son territoire, à l'occasion du sommet du G8 à Evian, en juin 2003. D'autres pays sont cependant intéressés ; ainsi, les Pays-Bas participent à la mise au point du drone français MALE. Celui-ci devra être réalisé à l'échelle européenne.

L'apparition des UCAV, les avions de combat sans pilote, est beaucoup plus récente que celle des drones d'observation. Expérimenter ces appareils est indispensable. Elaborer un concept d'emploi, pour des appareils plus onéreux qu'un avion de combat classique, prendra un certain temps.

M. Jean Michel a exprimé ses inquiétudes quant aux acquisitions industrielles réalisées dans plusieurs pays européens par des sociétés américaines dans le secteur de l'armement terrestre, naval ou aérien, et s'est inquiété d'une stratégie de mainmise, de la part des Etats-Unis, dans le domaine des industries de défense. Il a souligné que le processus de privatisation de Snecma allait permettre, pour la première fois, à des Américains de siéger au conseil d'administration de cette société.

Rappelant que les Britanniques avaient pu prendre conscience, au cours du conflit en Iraq, de la faible propension de l'armée américaine à partager ses moyens de communication et de cryptage, il a demandé si l'Europe n'avait pas pris un trop grand retard dans ce domaine.

Regrettant la dispersion des efforts des pays européens en matière d'avions de combat, et notant que certains Etats engagés dans le projet américain JSF s'inquiètent de l'augmentation du coût du programme, il a demandé s'il n'y avait pas là une opportunité pour un futur avion européen, succédant à la génération des Rafale et Eurofighter.

Le général Richard Wolsztynski a répondu qu'il semble clair que les Etats-Unis entendent conserver, voire accroître, leur suprématie mondiale dans le domaine de la défense et sont prêts, pour cela, à investir dans les industries d'armement européennes. Le danger d'interdépendance est donc réel.

Le désenchantement britannique devant la volonté très claire des Etats-Unis d'assurer leur suprématie en matière de moyens de commandement et de ne pas partager les moyens de communication et de cryptage peut être en effet une chance pour l'Europe de la défense.

Le choix effectué par les Européens de construire deux avions de combat, le Rafale et l'Eurofighter, produira ses effets pendant plusieurs décennies. Il se passera probablement un demi-siècle entre l'entrée en fonction, dans l'armée de l'air, du premier Rafale, au cours du printemps 2004, et le retrait du dernier appareil. Entre-temps, cet avion, comme l'Eurofighter, aura subi des modernisations régulières tout au long de sa carrière. Le calendrier de la conception, puis de la construction d'un appareil de combat unique en Europe s'inscrit dans ce schéma. Les interrogations de plusieurs des Etats qui ont déjà investi dans le JSF américain sur le coût du programme et la capacité qu'ils auront à influer sur les spécificités techniques de l'appareil ouvrent donc des opportunités pour le sort commercial du Rafale et de l'Eurofighter.

Le pessimisme sur ce point n'est pas de mise. Les Etats acheteurs préfèrent que l'appareil dont ils font l'acquisition soit déjà en service dans l'armée de l'air du pays producteur. Une fois en service, le Rafale trouvera des clients, comme c'est le cas aujourd'hui du Mirage 2000.

Après s'être félicité que la réflexion présentée soit centrée sur les menaces actuelles et futures, c'est-à-dire sur le terrorisme sous toutes ses formes, M. René Galy-Dejean, convenant de la difficulté politique du choix entre l'inaction et la frappe préemptive, a mis en exergue l'existence d'une alternative, celle que les diplomates appellent la « gesticulation ». Soulignant l'intérêt, dans cette perspective, de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, il a demandé si les avancées de l'Europe de la défense englobaient ou non, désormais, cette dimension.

Le général Richard Wolsztynski a répondu que la composante aéroportée de la dissuasion n'était pas un élément majeur de celle-ci, mais constituait un outil complémentaire à la force océanique stratégique (FOST). Sa souplesse politique est considérable ; les gradations qu'elle permet sont nombreuses et les situations faciles à mettre en scène et toujours réversibles : mise en condition opérationnelle des missiles, armement des avions, sorties d'avions porteurs, équipés ou non.

La capacité nucléaire aéroportée de la France, désormais unique en Europe depuis que le Royaume-Uni a renoncé à la sienne, est rarement évoquée lors des contacts entre chefs d'état-major des armées de l'air européennes. Cependant, on ressent de plus en plus que les Européens n'imaginent pas qu'elle ne puisse protéger que les frontières de la France.

--____--


© Assemblée nationale