COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 13 avril 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances

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- Informations relatives à la commission

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Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances.

Après avoir souligné l'intérêt de la commission pour la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le président Guy Teissier a rappelé qu'une étape majeure avait été franchie avec la présentation, le 21 janvier 2004, du projet de nouvelle architecture du budget de l'Etat, qui comporte 32 missions, 126 programmes et 532 actions. Les crédits du ministère de la défense et des anciens combattants se trouveront répartis à titre principal entre les missions « mise en œuvre de la politique de défense » et « renforcement des liens entre la Nation et son armée », tout en concourant à la mission interministérielle « recherche » à travers le programme « recherche duale ».

Mme Michèle Alliot-Marie a estimé que la mise en oeuvre de la LOLF était un dossier au cœur de la réforme de l'Etat. Le ministère de la défense souhaite montrer à cette occasion qu'il est en pointe dans ce domaine. Il a d'ailleurs anticipé sur les dispositions de la LOLF puisque, depuis le début de la XIIème législature, la ministre et ses collaborateurs rencontrent régulièrement les parlementaires de façon à travailler en toute transparence, conformément aux objectifs de la loi organique.

La LOLF est fondamentalement une réforme politique et non pas technique, il s'agit d'un instrument pour mieux gérer l'Etat. L'objectif est de remplacer une culture de moyens par une culture de résultats. La nouvelle procédure doit permettre d'apprécier l'accomplissement effectif des missions fixées. Sa mise en oeuvre va permettre à l'Assemblée nationale et au Sénat de suivre point par point et régulièrement l'effort fait par l'Etat pour remplir les missions qui lui sont assignées.

La mise en oeuvre de la LOLF est une chance pour dépasser divers blocages et difficultés que le ministère de la défense rencontre dans l'exécution de ses missions. Le dispositif facilitera une meilleure adéquation des moyens du ministère avec ses tâches. Il doit aussi permettre de réfléchir à certaines demandes qui sont adressées régulièrement aux armées en cas de difficultés rencontrées par la société civile. L'automaticité des interventions des personnels et des moyens de la défense, dès lors que des vies sont en danger, en cas d'inondations ou de lutte contre les incendies par exemple, va de soi. En revanche, au regard des moyens consentis, on peut s'interroger sur certaines activités comme le nettoyage des plages en cas de pollution maritime, voire le transport de paille en période de sécheresse.

La LOLF n'a donc pas pour objet de remettre en cause des missions du ministère, mais elle vise à améliorer leur définition et la transparence des moyens qui leur sont dévolus. Elle rejoint ainsi, en matière d'efficacité, la stratégie ministérielle de réforme qui a été engagée depuis le début de la législature et qui vient compléter, en termes fonctionnels, l'effort de la loi de programmation militaire en matière opérationnelle. Les trois priorités de cette stratégie de réforme sont : une meilleure identification des responsabilités, afin d'éviter certaines erreurs rencontrées dans la conduite des programmes, la mutualisation des services et des procédures pour dégager les économies nécessaires et la concentration des moyens sur le cœur de métier du ministère.

Or, ces trois priorités se retrouvent dans la maquette budgétaire découlant de la LOLF. La préparation et la conduite des programmes d'armement seront confiées conjointement à l'état-major des armées et à la délégation générale pour l'armement. Cette responsabilité conjointe pour ce programme restera une exception par rapport au schéma général de la LOLF, qui confie la responsabilité d'un programme à une seule autorité. Ce choix se justifie par le fait que le chef d'état-major des armées est le mieux à même de définir les moyens nécessaires aux armées, en fonction des informations qui lui remontent des différents états-majors ainsi que des forces sur le terrain, tandis que la délégation générale pour l'armement possède l'expérience et la capacité technique pour veiller à ce que la réalisation finale soit conforme aux besoins définis par les opérationnels.

La préparation et l'emploi des forces seront aussi du ressort du chef d'état-major des armées. Assumant la responsabilité de l'usage des forces, c'est en effet lui, et non pas les différents chefs d'états-majors, qui est le mieux placé pour veiller à la cohérence et à la conformité des besoins ainsi que des entraînements avec l'emploi futur des forces. Lui seul peut, par conséquent, procéder aux inflexions nécessaires en la matière.

L'ensemble du soutien à la politique de la défense relèvera du secrétaire général pour l'administration. Il s'agit de la mise en oeuvre du statut des personnels, de la politique immobilière du ministère, des systèmes d'information et de l'ensemble de la gestion. Cette décision tire les conséquences d'une expérience déjà menée au sein du ministère sur ces questions, notamment en matière de programmation immobilière et d'infrastructures.

Cette organisation budgétaire a parfois pu être jugée excessivement concentrée ; était notamment visée l'existence de deux programmes consacrés à la préparation et à l'emploi des forces ainsi qu'aux programmes d'armement, qui mobilisent des effectifs et des moyens considérables. Elle est pourtant cohérente avec l'ampleur du budget de la défense et elle répond aux exigences d'efficacité. Ainsi, il est logique de ne pas distinguer la préparation des forces de leur emploi. Si les forces doivent être entraînées préalablement à leur emploi en opération, il est aussi certain que, dans leur mission opérationnelle, elles effectuent des tâches qui correspondent à une certaine forme de préparation. En outre, des découpages plus fins pourraient aller à l'encontre de l'objectif de mutualisation des moyens et des économies de coûts qui en sont attendues. En toile de fond, il convient de ne pas oublier que le ministère de la défense est aujourd'hui le premier investisseur public national.

L'objectif n'est en aucun cas de limiter la transparence que la loi organique a justement pour objet de développer et à laquelle concourt également le contrôle parlementaire des dépenses et de l'emploi des crédits mis en place par la commission de la défense.

Mme Michèle Alliot-Marie a conclu son propos en exprimant sa conviction que le succès de la LOLF en général dépendra en grande partie de ce qui sera fait au sein de son ministère. Ce dernier tiendra le calendrier fixé et respectera l'échéance du mois de juin. Les commissions des finances et de la défense de l'Assemblée nationale ont reconnu qu'il avait été toujours en tête dans la mise en oeuvre de cette grande modernisation de l'Etat. Le ministère de la défense et ses agents, mais aussi l'Etat dans son ensemble, seront les premiers bénéficiaires de la réforme.

Le président Guy Teissier a souligné l'importance du programme « préparation et emploi des forces », qui recouvre 300 000 hommes et s'élève à 14,4 milliards d'euros. Il a demandé si un découpage par armée ne permettrait pas une meilleure transparence et une plus grande lisibilité, ainsi qu'une plus grande responsabilisation des différents chefs d'état-major.

Rappelant le souhait de la commission et de son président, qui avait fait adopter un amendement en ce sens au moment de la discussion de la loi de programmation militaire 2003-2008, de voir les crédits consacrés aux opérations extérieures inscrits en loi de finances initiale et non plus dans les collectifs budgétaires de fin d'exercice, il a demandé si la mise en œuvre de la LOLF ne constituait pas l'occasion de concrétiser ce principe.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que le découpage des programmes budgétaires par armée serait contraire à trois principes énoncés lors des travaux préparatoires à la mise en oeuvre de la LOLF. En premier lieu, le travail des militaires doit s'inscrire désormais dans un cadre interarmées. Cette évolution est perceptible en opérations extérieures, où il n'est plus guère possible d'agir autrement. Ensuite, la mutualisation des moyens doit être recherchée, dans la mesure où elle constitue une source d'économies financières. Enfin, la prééminence du chef d'état-major des armées sur les chefs d'état-major des différentes armées doit être affirmée. Toutes les armées modernes fonctionnent selon ce principe. En outre, l'absence de découpage budgétaire individualisant chaque armée ne sera pas préjudiciable à la transparence budgétaire : en l'état des programmes du ministère de la défense, il sera à tout moment possible de rechercher et d'identifier les points particuliers relatifs à chacune des armées.

L'intégration du coût des opérations extérieures, mais aussi des interventions intérieures, en loi de finances initiale pourrait effectivement présenter beaucoup d'avantages. Il est loisible au Parlement d'envisager une telle modification du projet présenté par le Gouvernement.

M. Yves Fromion a demandé comment s'articulerait la nouvelle construction budgétaire avec les lois de programmation militaire pluriannuelles ainsi qu'avec les programmes d'armement et les dispositifs de gestion de crise européens.

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que la LOLF ne pourrait que contribuer à une exacte mise en oeuvre des lois de programmation militaire, puisqu'elle permettra au Parlement de suivre, année après année, le degré de réalisation de celles-ci. Les lois de programmation militaire renforceront également la nouvelle procédure budgétaire en lui donnant une visibilité qui pourrait éventuellement servir d'exemple dans d'autres domaines.

Sur le plan européen, la réforme budgétaire permettra un suivi des crédits relatifs à la défense à travers des indicateurs très clairs. Elle constituera un excellent affichage et ne devrait poser aucune difficulté.

Notant que la modification de la structure de la loi de finances était un événement rare, M. Jean-Claude Viollet a demandé si le projet de découpage budgétaire permettrait réellement une modernisation du fonctionnement du ministère de la défense. Certains agrégats, tels ceux qui regroupent l'intelligence stratégique ou les soutiens, paraissent cohérents. Le programme relatif à la gendarmerie maintient de façon positive cette armée au sein du ministère. En revanche, le maintien de la dichotomie entre le titre III, repris dans le programme sur la préparation et l'emploi des forces, et le titre V, repris dans le programme sur la préparation et la conduite des programmes d'armement, paraît plus discutable. La création d'agrégats « dissuasion-protection » et « projection des forces », comprenant à la fois les crédits d'investissement et de fonctionnement, aurait paru plus pertinente sur les plans matériel et opérationnel. C'est probablement la lourdeur de la procédure de transfert des crédits d'une mission vers une autre qui a conduit à adopter une solution proche de l'ancien système. Pourtant, en raison même de l'importance des crédits d'investissement qu'il gère, il semblerait utile que le ministère de la défense puisse bénéficier d'une certaine souplesse pour modifier ses choix en cours d'exercice, à partir du moment où l'information du Parlement serait assurée.

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que l'exercice de définition des contours de la nouvelle maquette budgétaire avait été abordé sans aucun préjugé et guidé par les seuls soucis d'efficacité, de transparence et de modernisation. Le projet proposé correspond à l'évolution des armées les plus modernes. Identifier le titre III dans le programme relatif à la préparation et à l'emploi des forces n'est pas exact puisque ce lourd programme intègre aussi le maintien en condition opérationnelle. Le schéma ancien est réellement abandonné.

M. Charles Cova a constaté que la mise en place de la nouvelle procédure budgétaire allait profondément modifier le comportement des états-majors. Il a souhaité savoir quel accueil ceux-ci avaient réservé à cette réforme et quel était leur degré de préparation à sa mise en oeuvre.

Le président Guy Teissier a ajouté que le rôle des différents états-majors était jusqu'à présent fondamental dans la préparation des forces. Dans la mesure où cette responsabilité sera désormais confiée au chef d'état-major des armées, ne conviendrait-il pas de modifier le décret du 8 février 1982 qui précise les attributions des différents chefs d'état-major ?

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les chefs d'états-majors avaient tout d'abord considéré la LOLF avec méfiance, y voyant un instrument du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pour contrôler et réduire encore davantage les moyens alloués à la défense. Néanmoins, ils ont fini par comprendre que la LOLF pouvait permettre de résoudre certaines difficultés rencontrées dans l'exécution de leurs missions, comme pour le maintien en condition opérationnelle par exemple. La maquette budgétaire a été arrêtée à l'issue de nombreuses réunions et approuvée par tous les chefs d'états-majors, même si ces derniers ont pu regretter que la question du financement des opérations extérieures ne soit pas résolue. Tous admettent aujourd'hui le rôle de coordination et d'arbitrage joué par le chef d'état-major des armées. Dans les années à venir, ce dernier ne sera plus seulement le primus inter pares ; il supervisera également l'entraînement de l'ensemble des armées, comme c'est déjà le cas au Royaume-Uni. Cette évolution demandera du temps et impliquera la modification du décret de 1982, mais le contexte stratégique et les armées françaises ont considérablement changé depuis cette date et la réforme est nécessaire pour maintenir le rang de celles-ci.

M. Joël Hart a fait part de son insatisfaction concernant le financement des opérations extérieures. Si l'on souhaite moderniser la procédure budgétaire et lui donner plus de cohérence, il serait logique de provisionner ces dépenses récurrentes.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que le problème a déjà été abordé lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2004 et qu'un pourcentage plus significatif des dépenses relatives aux opérations extérieures sera inscrit dans le projet de loi de finances initiale pour 2005. C'est absolument nécessaire si l'on veut éviter que le ministère de la défense continue de faire les frais de discussions byzantines chaque fin d'année.

Abordant des questions d'actualité, le président Guy Teissier, après avoir souligné l'ampleur des déploiements de troupes françaises en opérations extérieures, a interrogé la ministre sur la situation en Haïti.

Mme Michèle Alliot-Marie a déclaré que la situation militaire était stabilisée et à peu près calme, mais que demeurait un important problème de lutte contre la criminalité, notamment à Port-au-Prince. Une force multinationale, composée pour l'essentiel de militaires brésiliens et chiliens, devrait prendre le relais des troupes américaines et françaises, même si des gendarmes resteront sur place. Les opérations strictement militaires touchent à leur fin.

Après avoir évoqué les récents événements, d'une grande violence, qui se sont déroulés au Kosovo, le président Guy Teissier a souhaité avoir des précisions sur les modalités du transfert des responsabilités de l'OTAN à l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine, les Etats-Unis ayant donné l'impression de vouloir conserver un rôle important, notamment en ce qui concerne la recherche des criminels de guerre.

Mme Michèle Alliot-Marie a estimé que trois situations différentes coexistaient dans les Balkans.

En Macédoine, l'Union européenne a pris la relève des forces de l'OTAN en avril 2003 et a mené à bien la transition vers une situation normale, dont il faut espérer qu'elle perdurera avec la tenue prochaine d'une élection présidentielle dans ce pays.

En Bosnie-Herzégovine, la situation s'est stabilisée, mais reste fragile, en raison de la présence de criminels de guerre, de l'importance des trafics divers et des tensions entre communautés. Le transfert des responsabilités de l'OTAN à l'Union européenne se déroulera dans le cadre des accords dits de « Berlin plus », ce qui permettra de maintenir sur place une présence de l'OTAN. Les discussions sur le partage des tâches se poursuivent. Si les Etats-Unis et l'OTAN souhaitent conserver une responsabilité première dans la recherche des criminels de guerre, il ne fait guère de doute que, pour des raisons de bon sens, cette compétence sera finalement partagée entre l'OTAN et l'Union européenne.

Au Kosovo, la situation est particulièrement préoccupante. L'OTAN reste responsable des opérations et la France devrait succéder à l'Allemagne en septembre 2004 dans l'exercice du commandement de la KFOR. Les récents événements ont montré la vivacité des tensions entre communautés. Tous les services de renseignement et la mission des Nations unies pour le Kosovo (MINUK) ont été surpris et débordés. La KFOR a pu reprendre la situation en main, au prix de blessés, notamment français, car c'est à Mitrovica que les affrontements ont été les plus durs. Les renforts envoyés en urgence sur place sont seulement temporaires, ce qui fragilise la situation. Il est nécessaire d'obtenir des renforts permanents afin de mieux assurer le contrôle du territoire, tout particulièrement dans la perspective des élections devant se tenir en octobre prochain.

M. Charles Cova, notant qu'un gel de crédits à hauteur de 4 milliards d'euros était évoqué, a demandé quelles sont les hypothèses de gel concernant chacune des armées.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué qu'une rumeur analogue avait déjà circulé l'an passé, mais qu'elle s'était avérée sans fondement et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'il en aille différemment cette année.

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Informations relatives à la commission

· La commission a procédé à la nomination de ses rapporteurs pour avis pour le projet de loi de finances pour 2005.

Ont été nommés :

- pour les crédits de la défense :

· Dissuasion nucléaire : M. Antoine Carré

· Espace, communications et renseignement : M. Yves Fromion

· Marine : M. Charles Cova

· Air : M. Jean-Louis Bernard

· Gendarmerie : M. Philippe Folliot

· Services communs : M. Jean-Claude Viollet

· Crédits d'équipement : M. François Cornut-Gentille

· Forces terrestres : M. Joël Hart

· Titre III et personnels civils et militaires d'active et de réserve : M. Pierre Lang

- pour les crédits des affaires étrangères : M. François Lamy.

· La commission a nommé membres de la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2004 : MM. Guy Teissier, président, Jean-Louis Bernard, Jean-Michel Boucheron, Antoine Carré, François Cornut-Gentille, Charles Cova, Mme Marie-Hélène des Esgaulx, MM. Philippe Folliot, Yves Fromion, Joël Hart, Gilbert Meyer, Jean Michel et Philippe Vitel.

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