COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 mai 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Communication de MM. Georges Siffredi et Jean-Claude Viollet, rapporteurs d'information, sur Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement

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- Informations relatives à la commission

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Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement (communication).

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu une communication de MM. Georges Siffredi et Jean-Claude Viollet, rapporteurs d'information, sur Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement.

M. Georges Siffredi, rapporteur, a rappelé que le plan de restructuration présenté par la direction de Giat Industries le 7 avril 2003 était le sixième depuis 1990, époque où l'entreprise comptait plus de 14 000 salariés. La nécessité de s'adapter au nouvel environnement stratégique et aux réductions de commandes d'engins lourds conduit le groupe à concentrer ses activités sur quatre établissements principaux : Versailles-Satory, Bourges, La Chapelle-Saint-Ursin et Roanne. Les sites de Saint-Chamond, Tulle, Toulouse et Tarbes seront fermés ou verront leur activité fortement réduite.

Le 16 mai 2003, un accord de méthode, signé avec les représentants du personnel, a permis la nomination de deux cabinets d'experts et a ouvert une période de négociations de six mois. Le 1er septembre 2003, les syndicats ont présenté des propositions alternatives entraînant 2 950 suppressions d'emplois, soit 1 000 de moins qu'annoncé par la direction. Si la procédure a été qualifiée d'« exemplaire » par la ministre de la défense, les syndicats considèrent au contraire que la concertation a été bâclée et regrettent que les propositions alternatives des cabinets d'experts n'aient pas été sérieusement examinées.

La direction du groupe s'est engagée à appliquer à tous les personnels les meilleures pratiques de reclassement du secteur. Les intéressés disposent de dix-huit mois pour trouver un nouvel emploi. Les quinze premiers mois seront rémunérés à hauteur de 100 % du salaire d'activité, les trois derniers à 75 %. Pour les fonctionnaires détachés, plus de 800 postes ont été recensés sur l'ensemble du territoire national, dont la moitié dans les bassins d'emploi où Giat est implanté. Les ouvriers sous décret pourront intégrer la fonction publique tout en conservant les conditions avantageuses de leur système de retraite. 2 000 postes susceptibles de les accueillir ont été recensés, dans les services déconcentrés de l'État, la fonction publique hospitalière ou la fonction publique territoriale. Le Gouvernement s'est engagé à présenter à chaque ouvrier quatre propositions d'emploi, dont une au sein du ministère de la défense, une dans une autre administration et deux dans le secteur privé. Les personnels sous convention collective se verront proposer au minimum deux postes dans le secteur privé. Une indemnité de départ représentant deux à trois ans de salaire sera versée aux personnels non fonctionnaires acceptant leur transfert vers un des emplois publics ou privés qui leur seront proposés. Cette indemnité est destinée à compenser la différence de revenu entre ce qui leur est actuellement versé chez Giat et leur future rémunération.

Giat Industries dispose d'une filiale, la Société financière régionale pour l'emploi et le développement (SOFRED), spécialement créée pour faire face aux conséquences des restructurations successives sur les bassins d'emploi concernés. Selon une approche purement statistique, les résultats obtenus par cet organisme lors des précédents plans sociaux peuvent paraître corrects, mais, si la SOFRED est utile pour aider à la revitalisation des bassins d'emploi sinistrés, elle ne semble toutefois pas en mesure de reclasser seule la totalité des salariés de Giat dont les emplois sont supprimés.

M. Georges Siffredi a ensuite indiqué que le contrat d'entreprise promis par l'État avait été signé le 26 mars. Aux termes de ce contrat, le gouvernement s'engage à consentir des commandes pluriannuelles à hauteur de deux milliards d'euros sur la période 2003-2008. L'armée commandera 72 canons Caesar ; le blindé léger AMX 10 P sera rénové par Giat ; le maintien en condition opérationnelle du Leclerc sera également confié à son constructeur.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur, a ensuite présenté l'évolution des négociations entre les partenaires. Il a rappelé que les syndicats avaient déposé un recours afin de faire annuler le plan social de Giat. Dans son jugement en référé du 20 octobre 2003, le tribunal de grande instance de Versailles, dubitatif « sur le caractère complet et précis des informations délivrées aux instances représentatives du personnel » a enjoint à la société Giat Industries de surseoir à la mise en œuvre du plan, dans l'attente du jugement définitif.

Les négociations ont permis de ramener les réductions d'effectifs de 3 950 à 3 200. Les effectifs concernés par les mesures d'âge ont été portés de 680 à 1 300, soit un quasi doublement par rapport aux prévisions d'origine. La durée des congés de reclassement a été augmentée : un congé préalable de réorientation professionnelle (CPRP) de neuf mois, rémunéré à hauteur de 100 % du salaire de base, est mis en place. A l'issue du CPRP, si les emplois proposés ne satisfont pas les intéressés, un congé de reconversion de six mois, également rémunéré à hauteur de 100 % du salaire, sera proposé. Ce congé sera suivi d'un second congé de reconversion de trois mois rémunéré à 75 % du salaire. Enfin, la direction de Giat a accepté que les mesures d'âge proposées aux salariés sous convention collective et aux ouvriers sous décret soient étendues aux fonctionnaires et que le dispositif de fin de carrière des ingénieurs et cadres soit déplafonné.

M. Jean-Claude Viollet a indiqué que ces aménagements avaient conduit la CFDT, la CGC et la CFTC, représentant 49 % des salariés, à signer, le 27 février 2004, le volet social du plan de restructuration, la CGT et FO le refusant. Ils ont également abouti au retrait par l'intersyndicale de l'assignation en justice demandant l'annulation complète du plan. Le projet « Giat 2006 » est engagé depuis quelques semaines avec l'ouverture d'une période de départs volontaires. Puis, en juillet, la direction publiera la liste des postes supprimés avant d'expédier, en octobre, la première vague de notifications individuelles. Une seconde vague devrait intervenir un an plus tard, en octobre 2005.

Les troubles sociaux liés à la présentation du plan de restructuration ont quasiment paralysé l'entreprise pendant un an. La production du char Leclerc est fortement ralentie et ne redémarre que très lentement. La situation financière de Giat Industries reste particulièrement préoccupante, les pertes ayant atteint 640 millions d'euros en 2003. Le chiffre d'affaires, qui s'élève à 729 millions d'euros, est en chute de 16 %. Le coût du plan « Giat 2006 » est évalué à 900 millions d'euros, dont 550 pour le volet social et 350 pour les mesures industrielles. C'est la raison pour laquelle le président-directeur général du groupe, M. Luc Vigneron, a annoncé que Giat Industries aurait besoin d'une nouvelle recapitalisation en fin d'année, la huitième depuis 1991, mais également la plus importante puisqu'elle s'élèvera à un milliard d'euros environ. Depuis 1991, le ministère des finances aura versé près de 4,5 milliards d'euros de dotations en capital à Giat Industries.

Constatant l'ampleur des difficultés que rencontre l'entreprise, le président Guy Teissier a souhaité que la situation de Giat Industries demeure une exception dans le secteur public de l'armement, au vu de son coût social exorbitant, mais aussi de ses conséquences industrielles, l'Etat ayant payé 95 % du montant de matériels qui ne sont pas encore livrés.

M. Jean-Michel Boucheron a insisté sur la nécessité pour Giat Industries de poursuivre une véritable stratégie industrielle. A cet égard, il lui semble inquiétant que l'entreprise ne réalise que 10 % du VBCI alors que ce programme a été présenté comme l'un de ses débouchés naturels. Il a demandé quel plan industriel de long terme est envisagé pour Giat Industries et il a souhaité savoir où en est l'exécution du contrat signé avec les Emirats Arabes Unis, dont les clauses prévoyaient une remise à niveau gratuite des chars.

Tout en soulignant que ces questions débordent du cadre strict de la mission d'information, M. Jean-Claude Viollet, rapporteur, a précisé que l'avenir industriel de Giat Industries constitue une préoccupation intrinsèquement liée à l'application du plan social. Il faut d'ores et déjà envisager l'adossement du groupe Giat Industries, une fois rétabli, à un partenaire français ou européen dans le contexte de restructuration de son secteur d'activité. Au regard de la pénétration des investisseurs américains en Europe, il apparaît en effet urgent d'agir dès maintenant. Attendre la fin du plan de restructuration, en 2006, constituerait une erreur stratégique, compte tenu de l'activisme de sociétés telles que General Dynamics ou United Defense.

M. Yves Fromion a rappelé que les conclusions du rapport d'information qu'il avait présenté à la commission avec M. Jean Diébold, en décembre 2002, soulignaient déjà l'importance de réfléchir dès à présent à la stratégie d'alliances industrielles de Giat Industries. L'entreprise ne peut pas évoluer seule et doit envisager son adossement à un autre industriel de l'armement terrestre pour développer ses activités.

M. Jacques Brunhes a reconnu que le volet social du plan de restructuration avait été amélioré et qu'un certain nombre d'avancées avait été réalisé grâce à l'action menée par les salariés, même si 71 % d'entre eux les considèrent comme insuffisantes. Quand des régions entières sont menacées d'être privées d'industries, comme à Tarbes, on ne peut rester indifférent. La situation actuelle résulte d'erreurs manifestes de stratégie industrielle, qui se prolongent aujourd'hui et présentent des risques graves pour l'avenir de l'armement terrestre en France et pour la stratégie de concentration au niveau européen. Les groupes américains, notamment General Dynamics, contrôlent déjà des entreprises autrichienne, suisse et espagnole et cherchent à acquérir le fabriquant de blindés britannique Alvis. S'ils y parviennent, les Américains étendront leur mainmise sur l'industrie européenne de l'armement terrestre, ce qui doit nous alarmer.

M. Gérard Charasse a déclaré partager le jugement sur les incohérences de la stratégie industrielle. Les problèmes de reclassement des salariés ne sont pas réglés, même si des avancées sociales ont été réalisées. Ainsi, la société Eurodec devait initialement créer 140 emplois sur le site de Cusset. Ce nombre diminue comme peau de chagrin. Sur les 2 300 postes proposés pour les 730 salariés sous convention collective, quelle est la réalité des emplois présentés ? La SOFRED a permis un certain nombre de reclassements, en travaillant notamment avec le comité d'expansion économique, et elle a encore sans doute un rôle important à jouer. Il serait nécessaire que, dans le cadre du comité interministériel d'aménagement du territoire, la SOFRED soit autorisée à continuer sa mission au-delà de 2006, car la revitalisation des bassins d'emploi sinistrés sera loin d'être achevée à cette date.

M. Michel Voisin a évoqué le rôle des organes de contrôle et de gestion. Lorsque le chiffre d'affaires s'élève à 729 millions d'euros et que le prix de revient des produits vendus représente 1,369 milliard d'euros, malgré tous les efforts menés en vue de sauvegarder l'emploi, il est légitime de s'interroger sur la pérennité de l'activité. Des mesures auraient dû être prises beaucoup plus tôt, dès la réduction du nombre des chars Leclerc commandés. Tout chef d'entreprise qui aurait conduit une gestion industrielle et financière similaire à celle menée par Giat devrait rendre des comptes devant un tribunal. La recapitalisation devant prochainement intervenir servira avant tout à financer le plan social et n'apportera aucune solution industrielle. Il faut désormais constater la faillite de la société, tenter de conserver le savoir-faire encore valorisable et arrêter d'alimenter un puits sans fond. Des solutions de transfert à des entreprises privées de l'entretien des chars vendus aux Emirats arabes unis n'ont, semble-t-il, pas été étudiées suffisamment.

M. Georges Siffredi, rapporteur, a considéré que le plan social comprenait beaucoup plus que de simples avancées. Par rapport aux demandes initiales des syndicats, il existe seulement une différence de 150 emplois. Le plan social est plus que correct. La mission de suivi confiée aux rapporteurs n'est pas terminée puisqu'il convient désormais de veiller à la mise en oeuvre effective du plan. En ce qui concerne le volet industriel, l'objectif est de tenter de rééquilibrer les comptes de Giat, en préalable à un adossement aussi rapide que possible.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur, a également estimé que la première phase du travail de la mission d'information était terminée et qu'il convenait désormais de s'attacher à l'examen des reclassements effectifs, au suivi de la publication des textes réglementaires et à la remise en perspective industrielle de Giat. Le groupe ne doit pas être abandonné. Il est nécessaire de maintenir une industrie terrestre de défense française et européenne. La question est d'autant plus pressante que Siemens, actionnaire principal de Krauss Maffei, semble chercher à se désengager, laissant ouverte la porte à de nouveaux investissements américains et à une concentration accrue du secteur.

M. Michel Voisin a précisé que le savoir-faire de Giat était précieux et devait être préservé. En revanche, l'expérience a montré que la structure dans laquelle ce savoir-faire est enfermé ne permet absolument pas sa mise en valeur et conduit même à sa destruction.

Le président Guy Teissier a invité les rapporteurs à poursuivre la mission de suivi dont ils ont été chargés par la commission.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé :

- M. Jérôme Rivière, rapporteur pour avis pour le projet de loi de finances pour 2005 (crédits d'équipement), en remplacement de M. François Cornut-Gentille, qui a cessé d'appartenir à la commission ;

- MM. René Galy-Dejean et Jérôme Rivière, membres de la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2004, en remplacement de M. François Cornut-Gentille et de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, qui ont cessé d'appartenir à la commission ;

- M. Yves Fromion, rapporteur d'information sur la recherche dans le domaine militaire ;

- MM. Jean-Louis Bernard et Antoine Carré, rapporteurs d'information sur les conditions d'exécution des grands programmes de défense ;

- MM. Michel Dasseux et Daniel Poulou, rapporteurs d'information sur la reconversion des militaires ;

- Mme Marguerite Lamour, rapporteure pour le projet de loi modifiant la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer (n° 1549).

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